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Esteros de Papu Curotto

Ce film argentin sensible n’est pas encore englué dans la pruderie quaker qui envahit le monde depuis l’Amérique réactionnaire. Il dit la nature – la sensualité, l’affection et l’attirance. Il dit le passage béni de l’enfance à l’âge adulte et la naissance du désir, focalisé sur « la première fois ».

Deux amis d’enfance argentins, parce que leurs parents sont eux-mêmes amis, vivent une relation fraternelle jusqu’à leurs 13 ans où les émois surgissent. Matías (Joaquín Parada ado, Ignacio Rogers adulte) est plus gai, plus exubérant et plus sensuel, préférant porter un débardeur plutôt qu’un polo, aimant rire et danser, prenant l’initiative, encouragé par sa mère aimante et attentive aux motions de son garçon. Jerónimo (Blas Finardi Niz enfant, Esteban Masturini adulte) est plus cérébral, en retrait, tenu par son père exigeant plus que par sa mère effacée.

La mère de Matias les voit encore enfants alors qu’ils deviennent adolescents. Elle les encourage à se battre à la mousse à raser torse nu pour le carnaval ; elle les fourre ensemble sous la douche lorsqu’ils reviennent trempés de pluie et de s’être roulés dans la boue ; elle les fait coucher dans la même chambre où le froid ne tarde pas à les faire se rejoindre nus dans le même lit ; elle les prend en photo en slip, endormis dans le même hamac au soleil du matin, le bras passé autour du corps de l’autre. Elle est touchée, admirative, fière de ces deux petits mâles qui savent aimer simplement.

Le film découpe l’action, somme toute banale des retrouvailles dix ans après, entre l’univers onirique de l’adolescence où tout reste possible et celui réaliste de l’âge adulte où tout se referme. Matias n’a guère réussi sa vie ; il est resté amputé affectif, velléitaire créatif, s’occupant d’effets spéciaux et d’animation plutôt que de réaliser un film. Jerónimo a réussi des études de biologie au Brésil, où son père s’est exilé pour trouver du travail lors de leur séparation à l’adolescence ; sa carrière de chercheur sur un soja plus résistant lui assure un bon salaire ; il a une copine, celle-là même qui a remis les deux amis en relation, embauchant Matias pour maquiller Jeronimo en zombie pour le carnaval.

Zombie, le thème préféré des deux ados dans les films lorsqu’ils s’échangeaient des cassettes magnétiques ; zombie, l’image de ce qu’est devenue la vie pour chacun d’eux. Car elle n’est plus irradiée par l’amour, le plaisir de l’autre, la joie de l’échange, le soutient dans les efforts. Après le carnaval, où la petite amie déclare à Jeronimo qu’elle le sent parfois décalé, absent, où elle se retrouve comme avec son premier béguin partagée entre la carapace belle et aimable et le quant à soi de son compagnon, elle décide de rester en ville avec ses amies (car elle préfère la ville) tandis que Jeronimo va retourner à la ferme des parents de Matias où ils furent tous les étés jusqu’à celui des 13 ans où le père de Jeronimo a décidé d’émigrer au Brésil pour suivre la modernité.

Les deux jeunes hommes au début de leur vingtaine replongent dans les « esteros », ce paysage mouvant d’étangs et de lagunes de la province argentine de Corrientes. La nature y est vierge, des plantes et des animaux y vivent librement, plus de quatre mille espèces, dont les enfants avaient appris par cœur les principales : le capibara, le loup à crinière, le cerf des marais, l’anaconda, le piranha et le caïman. Malgré ces espèces dangereuses, ils se sentent maternés dans cette nature où se mêlent la terre et l’eau. Ils font des bagarres de boue, plongent dans l’eau glauque des étangs, jettent leurs shorts aux orties, se frottent et s’étreignent dans une exubérance virile et enfantine à la fois. Ils sont dans le sein maternel, au cœur de l’été, tout à leurs sensations et sentiments. Ils retrouvent adultes les émois de leur adolescence et se remémorent leur « première fois », entre eux, dans le même lit, sous le même drap. Peau à peau ils se sont caressés, excités, ont joui. Ce fut leur dernier été, leur seule fois, sans rien de plus, mais inoubliable.

Une fois la décision du père de partir au Brésil, Jeronimo s’est éloigné volontairement de Matias ; il a considéré ce dernier été comme un égarement et s’est remis sur les rails sociaux admis. On le voit parler filles avec les autres garçons tandis que Matias, en retrait, cherche à l’attirer vers lui. Il se refuse. Adulte, Jeronimo reviendra sur ce rejet et le relativisera. Il n’est pas au fond amoureux de sa petite amie, ni prêt à fonder une famille comme tout le monde, ni peut-être même à poursuivre ces recherches de la modernité qui lui semblent un brin vaines. Il choisit la nature, l’éros de l’esteros, et la mère de Matias plutôt que la science, le thanatos de la science, et son propre père. Un hymne au désir, à l’affection et à l’amour plutôt qu’à l’orgueil, l’ambition et la réussite. Léger et pudique, joliment tourné avec des acteurs en empathie.

DVD Esteros, Papu Curotto (Argentine), 2016, avec Ignacio Rogers, Esteban Masturini, Joaquín Parada, Outplay 2017, 1h23, €20.00 espagnol sous-titré français ou anglais

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Des muscles et des garçons

C’est une histoire d’amour entre les garçons et leurs muscles. Tous voiles ôtés, ils se révèlent en leurs formes ; ils ont la forme dans le double sens de santé et d’architecture. Le corps pousse et, dès 12 ans, ils ne se contentent plus d’admirer la musculature virile comme les petits de 4 ans dans leurs dessins animés : ils veulent la tester sur eux-mêmes, ressembler à leurs modèles. Gavés de superhéros, ils se veulent superhéros.

A la fin des années 1990, dans un TGV qui menait vers le sud, j’avais assis à côté de moi un garçon vigoureux de 13 ans (il m’a donné son âge) qui avait laissé sa mère et sa sœur occuper la banquette parallèle. Lui était « grand », il se voulait indépendant. Il a sorti de son sac ado des revues de muscles et les a feuilletées avec gourmandise.

Son appétit n’était pas érotique mais sportif à ce qu’il m’a semblé : pas de rougeur ni de suée, pas d’œil fixe ni de lèvres qui s’assèchent – en bref aucun des symptômes habituels de la sexualité génitale. C’était plutôt de l’esthétique : il voulait correspondre à l’image virile dont il goûtait l’original sur papier glacé. Il voulait devenir un homme – un vrai.

Je lui ai demandé s’il pratiquait la boxe et il m’a dit « non, de la musculation », sans hésitation ni gêne aucune. Ce n’était pas du culturisme, mot vieilli, mais du body-building, terme à la mode, très tendance chez les jeunes adolescents gavés de films américains de Rambo et de Schwarzenegger et de mangas animés japonais aux éphèbes fins et athlétiques alors récemment introduits en France. Pas de la culture de tête pour se mesurer à un adversaire mais de la culture de muscles pour se faire admirer. Le narcissisme de la génération Mitterrand.

Malgré son âge, il n’avait rien de la gracilité d’un Dragon Ball ni la teigne d’un Tetsuo Shima de 15 ans mais plutôt la carrure d’un Sylvester Stallone en herbe. Le muscle était pour lui une armure, une affirmation de soi envers son père peut-être, une charpente de mâle pour s’opposer à sa petite sœur et à sa mère qui semblaient former clan à elles deux. Le monde des hommes réaffirmé face à celui des femmes, qui devenaient de plus en plus féministes radicales.

Devenir athlétique a toujours été pour moi la conséquence d’une pratique sportive assidue ou d’une vie saine à courir, sauter, grimper et nager dans la nature. Un effet de la grande santé, pas un effet voulu pour en jeter. La force naît de la sève et la puissance de l’exercice pour aboutir à une âme ferme. Mens sana in corpore sano disaient les Latins dans mes livres de classe qui reprenaient les classiques, soit ici la Dixième Satire de Juvénal : « un esprit sain dans un corps sain ».

Le muscle, c’est la chair irriguée par le sang, la robustesse physique qui permet de protéger et d’aimer, la vigueur qui fait se sentir bien d’être indulgent aux faiblesses des autres et généreux de sa propre puissance. C’est bien le corps qui fait l’homme bon, pas la tête. Fermeté d’âme va avec fermeté de chair – malgré les religions du Livre qui se sont voulues en réaction à la santé païenne.

Il est dans les normes que les garçons aiment le muscle ; ils veulent devenir des hommes. Mais la société du spectacle en fait trop souvent des pantins gonflés sans rien à l’intérieur. Car ce n’est pas l’apparence qui compte mais ce qui est derrière. L’armure n’est pas le squelette et la culture des muscles ne remplace pas la culture de l’esprit, encore qu’elle puisse aider à maîtriser les passions. Tous les grands sportifs sont peu portés au sexe (sauf les footeux camés, mais parce qu’on leur propose une troisième mi-temps et qu’ils ne veulent pas laisser croire…).

J’aime pour ma part voir des garçons sainement musclés, heureux de vivre et d’exercer sans honte tous leurs sens. L’été, la plage, le desserrement des contraintes sociales vestimentaires et scolaires, sont le moment où les corps fleurissent au soleil et à la brise, où les corps se révèlent – dans leur saine beauté.

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Joanne Harris, Vin de bohème

Ce roman d’une franco-anglaise mêle harmonieusement les tons des deux cultures, c’en est étonnant. Le lecteur se trouve plongé dans la magie celte, le côté merveilleux du Seigneur des anneaux, en même temps qu’il reste dans le pragmatisme moderne. Il découvre également la générosité terrienne de la paysannerie du sud de la France avec ses fâcheries de village et ses secrets de famille. L’arrivisme anglais, son culte du rien ou du fric, se confronte à ce monde de la nuit des temps.

Jay a passé trois étés chez ses grands-parents dans le sud-ouest et, quinze ans plus tard, il s’en souvient avec nostalgie. Devenu écrivain, ce temps enfui lui est cher, d’autant plus que la rencontre de Joe, personnage exubérant et mystérieux, rendait la réalité magique. Il fabriquait notamment un élixir de bohème qui faisait voir la vie autrement. Ce que cherche vainement à retrouver Jay adulte dans la boisson. Jusqu’à ce qu’il découvre l’annonce d’un château à vendre dont il croit se souvenir. Et une bouteille de Fleurie 1962 raconte l’histoire.

Certes, les Français de l’auteur font un peu trop terroir vu des villes, ou préjugés du temps d’un été. La querelle des anciens et des modernes est naïvement outrée. Nous sommes presque dans la caricature à la Peter Mayle. À l’inverse, ses enfants anglais paraissent trop sages pour aujourd’hui, trop peu épris de ce sadisme british dans leurs bagarres. Que sont quelques coups d’un plus fort, ou même d’être poussé dans un buisson d’ortie une fois le tee-shirt arraché par une furie, à côté des explorations plus fortes de Sa Majesté des mouches dont l’actualité nous fournit souvent la réactualisation ?

Mais l’inspiration est là. Il y a une histoire, un style, un message. C’est enlevé, joliment écrit, souvent touchant, et le lecteur passera sur les petites imperfections. Il n’est pas aisé pour une femme adulte de décrire ce qui se passe dans la tête d’un jeune garçon en pleine adolescence. La puberté est si différente entre garçons et filles !

La fin, comme réconciliée, vaut la lecture. Elle est bien peu arriviste et presque écologiste au meilleur sens du terme, l’accord de l’homme dans son paysage. Comme quoi la France et l’Angleterre sont peut-être plus proches qu’on ne le dit l’une de l’autre. Plus accordée sur une manière de civiliser les humains que les autres pays alentour.

Joanne Harris, Vin de bohème, 2000, Folio 2002, 516 pages, €9.70

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Confinés

Le deuxième discours du président a été, comme le premier, celui d’un intello plutôt que d’un politique : trop long, trop de mots, trop peu de clarté, des phrases à l’envers qui sont un style à l’écrit mais qui passent mal à l’oral (« allez voir votre médecin… bla-bla… mais d’abord téléphonez » au lieu de « n’allez pas voir votre médecin, sauf si… »). Il parlait trop vite, ne martelant pas les points importants. Il a répété six fois « nous sommes en guerre » sans que cela signifie quoi que ce soit de concret (on fait quoi ?). Sinon un rappel de son prédécesseur Hollande qui parlait de « guerre contre le terrorisme » – tout en maintenant « l’Etat de droit » pour les terroristes (!). Sinon aussi un fâcheux rappel à l’Exode de 40 où « la guerre » (un virus étranger qui pénétrait sur le territoire) avait fait fuir les Parisiens hors de la capitale : justement ce qui s’est produit dimanche et lundi.

Le confinement est là, même si le président n’a pas prononcé le mot, un étrange tabou. Serait-ce du politiquement correct que d’appeler un chat autrement qu’un chat ? Toujours est-il qu’il fallait en arriver là, tout comme les Chinois, les Coréens, les Italiens, les Espagnols un mois ou dix jours avant. Les Français insouciants ou volontiers dédaigneux qui n’avaient pas pris la menace au sérieux se sont retrouvés le bec dans l’eau et le frigo à sec. Les Anglo-saxons, partisans du darwinisme revu par Spencer décident pour l’instant « que les loosers crèvent » ou que « les meilleurs gagnent » (ce qui est la même chose). Ils n’ont pris aucune mesure : que le virus se développe, qu’il contamine, qu’il fasse ses morts nécessaires, après, tout le monde sera tranquille.

Le pire étant (comme d’habitude) le gros paon vantard de Trump, pour qui le coronavirus est un « virus étranger » (suivez mon regard) à qui l’on doit interdire les frontières en les fermant drastiquement, comme à tout immigré. D’où annulation de tous les vols en provenance d’Europe – sauf du Royaume-Uni – dont les contaminés inévitables feront crever les cousins Ricains plus vite.

La bourse ne s’en remet pas, y compris à Wall Street, patrie pourtant du « deal ». Mais qu’y a-t-il à « dealer » lorsque l’ennemi est mortel ? La bourse ou la vie ? Le dealer en chef étant incompétent, sinon impotent, la Fed ayant baissé ses taux trop fort et trop vite pour garder une quelconque marge de manœuvre – tout en montrant ainsi que la situation était PLUS grave que prévue ! – il ne reste plus RIEN entre le virus et l’économie. Qui va mal, qui ira plus mal. Qui se redressera une fois la crise passée, mais pas avant un trimestre au moins.

La débâcle boursière est « normale » : la crise est imprévue (donc risque croissant) et inédite (donc futur inconnu). C’est à mon avis presque le moment de réinvestir pour ceux qui ont des liquidités. La crise sanitaire ne va pas durer des mois mais probablement jusqu’à l’été (où la chaleur assèchera le virus plus efficacement). En revanche, les conséquences économiques seront graves (récession en 2021 et résultat des entreprises en baisse) et exigeront des recentrages anti-mondialisation, donc des bouleversements utiles mais boursièrement anxiogènes : tout ce qui dérange les programmes automatiques nécessite de les reprogrammer, d’où délai – et vente d’abord.

Il est banal de le redire mais si la bourse baisse, c’est qu’il y a plus de vendeurs que d’acheteurs… Les acheteurs existent donc toujours (sinon il n’y aurait AUCUNE transaction, comme quelques semaines en 2008), mais ils sont moins nombreux. Il faut avoir 1/ des liquidités en attente et 2/ une position à moyen terme optimiste (ou professionnelle) pour se lancer à l’achat. A court terme, ce sont les robots automatiques aux algorithmes aveugles qui font le jeu. C’est un effet de la technique : la donne a changé. En revanche, sur le moyen-long terme, les fondamentaux classiques restent plus que jamais valables. Or ces fondamentaux montrent une récession probable avant tout rebond. L’économie et la bourse étaient d’ailleurs fragiles, dopés par les liquidités injectées de force depuis des années par « les » banques centrales, en premier lieu la Fed américaine.

L’examen des graphiques de l’indice américain Dow Jones sur 10 ans, 5 ans et 3 mois le montre : la bourse s’est envolée depuis de trop nombreuses années pour qu’un retour à des niveaux plus compatibles avec la réalité ne soit nécessaire (et désirable). La chute est brutale, à la mesure de l’envolée. L’analyse graphique montre que la baisse n’est pas terminée mais doit faire un petit rebond avant de retomber à un plus bas (une figure en W). Peut-être sera-ce au moment où les Etats-Unis seront touchés par la pandémie, dans quelques semaines, peut-être vers le point bas atteint en 2018 ? Nous avons en effet, depuis 2015 et le W caractéristique sur le graphique à cette époque, connu la dernière phase de hausse boursière, effacée de 32% en quelques semaines. Le CAC 40 a surréagi, avec la brutalité en un mois des algorithmes automatiques, crevant son support à 4000 ; on peut supposer que la fin de la purge est proche, réalisée à 95%. Mais les indices européens ne pourront se redresser sans un redressement des indices à Wall Street : encore un peu de patience.

Pour le futur, l’économie renaîtra, elle renaît toujours. L’échéance est probablement à situer vers la fin de cette année. Le rebond des achats et contrats différés sera fort, comme d’habitude, mais des réorientations stratégiques sont inévitables. On ne traverse pas une crise sanitaire mondiale de cette ampleur sans prendre la mesure de l’éloignement des producteurs de pièces détachées, des médicaments, et d’une part de l’alimentation. Ni sans prendre en compte, désormais, les frontières : elles existent, elles se manifestent par leur fermeture politique – brutale et unilatérale, sans « deal » possible. D’où une certaine « démondialisation » dans les années à venir et le rapatriement d’une part « stratégique » de la production sur les territoires nationaux. Et un retour de l’Etat dans le pilotage.

Ce réflexe est assez sain et il est seulement dommage qu’il faille une crise pour l’y forcer. La Chine est peut-être un pays qui ne cesse d’émerger, mais il est avant tout un concurrent sévère, sinon un ennemi bientôt dominateur. Il ne faut pas le perdre de vue. La Russie, riche de matières premières, d’un immense territoire (vide) et d’investissements militaires privilégiés, est moins dangereuse pour l’Europe que la Chine à terme. En effet, la démographie russe décline et le prix des matières premières qu’elle possède en abondance (pétrole et gaz) décline aussi. La faute aux énergies renouvelables mais aussi à la politique étrangère inepte de Trump, au Moyen-Orient comme ailleurs, qui voit l’Arabie Saoudite et la Turquie se rapprocher de la Russie et contrer les Etats-Unis sur le prix du pétrole et le choix des armes. Le prix du baril chute dramatiquement, le gaz et le pétrole de schiste américain deviennent moins rentable à exploiter… entraînant un peu plus la récession aux Etats-Unis.

Il y a donc un créneau pour l’Europe dans son processus d’union fédérale. Chaque Etat montre qu’il reste à la fin souverain (le chacun pour soi des mesures sanitaires le prouve) mais aussi qu’une attitude commune sur les frontières (Schengen) et sur la production (par exemple les masques) reste indispensable pour ne pas se diluer et devenir inféodé à l’un ou l’autre des blocs antagonistes pour ce qui est essentiel (médicaments, alimentation, énergie).

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Préados sur la plage

L’été qui se déploie est l’occasion d’exposer son corps aux yeux des autres et de jouer avec le désir. Dès les prémices de la puberté, une certaine excitation vague régit les comportements. Il ne s’agit pas encore de « sexe » comme certains adultes obsédés d’interdits le croient, obscurément jaloux de leur progéniture qui les pousse vers la fin, mais d’une exubérance irrationnelle qui saisit les esprits et les cœurs via les sensations du corps.

Être quasi nu libère. A la fois des vêtements qui peuvent se salir, se craquer, qui étouffent, mais aussi des conventions sociales puisque tout le monde se met dans le même appareil, et des préjugés moraux qui placent « la vertu » au-delà du nécessaire. Les filles en bikinis sont telles que la nature les a faites ; les garçons en slip révèlent sans atours ce qu’ils sont.

L’exercice, le jeu, sont des évidences. Il faut se dépenser pour décharger cette tension du corps liée à la situation. Le sable, la vague, les contacts sur la peau nue, les regards électrisent. On saute, on fait des acrobaties, on se lance le ballon qui va claquer sur les torses nus des gars et les seins des filles, ou sur les cuisses.

On se lance à l’assaut des vagues qui s’élèvent pour se rouler, terrassé par la force, dans l’eau mousseuse qui gifle. La chair exaspérée y trouve écho à ses élans.

C’est ensuite un corps apaisé qui s’exhibe, en attente d’un jus de fruit ou d’un beignet, offert aux regards sans fausse honte, tel qu’il est.

Des amis se mettent naturellement la main sur l’épaule, complices du désir partagé.

Des adolescents un peu plus âgés commencent déjà à mimer le coït, sans le savoir, sans le vouloir, pris par l’événement.

On comprend que la plage soit un lieu de perdition pour les croyants du Livre. Les trois religions proche-orientales ont une phobie du corps, de cette chair transitoire qui habille l’âme sur la terre. Le désir, pourtant divin puisque le dieu nous a créé ainsi, est banni car il fait aimer les autres ici-bas plutôt que le seul Dieu jaloux au-delà (qui assure l’emprise des clercs).

On comprend aussi que la véritable libération de cette domination d’église comme de ces phobies et névroses passe par le côté païen, solaire, de la plage qui rappelle la nudité grecque et la sensualité romaine. Après tout, ces civilisations sans Dieu unique ont réussi ce que notre civilisation judéo-chrétienne n’a pas su : établir pour les siècles un âge d’or de la réflexion philosophique, du théâtre moral, des meilleures formes de gouvernement. Tout pour l’humain ici-bas, en laissant à l’au-delà sa part de mystère.

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Magdalen Nabb, Mort d’un orfèvre

La signora Giusti a 91 ans et ennuie la police ; elle ne cesse d’appeler pour se plaindre. Lorsqu’il passe la voir, sur le chemin d’autre chose, l’adjudant des carabiniers Guarnaccia l’écoute parler : elle a surtout besoin d’attention car elle ne quitte plus son appartement au sixième étage sans ascenseur. Mais elle a entendu la nuit précédente du bruit, des éclats de voix, une dispute, des hauts talons frapper le sol en partant. Depuis, plus rien, ou presque. Des grognements qui attirent le gendarme dans l’appartement d’à côté où un homme jeune agonise : l’orfèvre hollandais.

Nous sommes à Florence et le père de l’homme en question avait été séduit par la ville, puis par une fille. Il s’y était installé, son fils était né. Il lui avait appris dès 14 ans le métier dans l’atelier du rez-de-chaussée. La mère est morte très tôt d’une attaque, la belle-mère a disparu, le garçon est resté avec son père, et la signora Giusti lui a tenu lieu de marraine. Elle l’aimait bien, il lui a confié ses clés lorsqu’il allait faire de longs séjours à Amsterdam où, une fois adulte, son père l’avait chargé de la filiale là-bas. C’est avec ces clés que l’adjudant peut entrer dans l’appartement.

Il appelle les Frères de la Miséricorde, confrérie propre à Florence qui sert à la fois de pompiers et de croque-morts, mais Toni l’orfèvre en est à ses derniers instants. Les seuls mots qu’il prononce sont énigmatiques : « ce n’était pas elle ». De qui veut-il parler ? De son assassin ? De la signora arrivée dans la pièce ? Il a avalé des somnifères à une dose suffisante pour le faire passer dans l’au-delà. Est-ce un suicide ? Le substitut du procureur le croit, surtout parce que cela n’exige pas d’enquête et que la chaleur, à Florence, est pénible à supporter en été. Les touristes déambulent « presque nus » selon l’auteur mais les carabiniers doivent porter l’uniforme et les officiels le costume.

Pourtant, Guarnaccia qui pense à ses vacances en Sicile avec sa femme, sa vielle mère et ses deux petits garçons, ne peut s’empêcher de songer qu’il y a eu meurtre. De petits détails qui clochent, les contradictions, l’absence de mobile pour quitter volontairement la vie. Il n’aura de cesse que d’enquêter et de fouiller les vilains secrets que gardent jalousement les familles. Car Florence est volubile et conviviale en apparence mais secrète dès les intérieurs refermés. Que s’est-il donc passé dans la vie de l’orfèvre pour qu’on le retrouve mort en pleine jeunesse, sa femme attendant son premier enfant en Hollande ?

L’intrigue est retorse et les preuves minces ; l’assassin, s’il existe, sait brouiller les pistes et fuir à temps. Sauf que Guarnaccia agit comme la statue d’un Commandeur, poussant aux extrémités ceux qui défient la loi.

Une belle enquête traitée à la Maigret, dans une société florentine contemporaine qui sonne vraie, mais avant l’invention du telefonino.

Magdalen Nabb, Mort d’un orfèvre (Death of a Dutchman), 1982, 10-18 2009, 253 pages, €6.47

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Mayonnaise médiatique

L’été a été caniculaire mais pas seulement dans l’atmosphère ; les esprits français étroitement urbains furent échauffés. Ne voilà-t-il pas que « l’affaire » d’un conseiller ayant commis des actes limites était assimilée au Watergate voire à l’affaire Dreyfus ? Le citoyen contre les pouvoirs (merci Alain, vilipendé par ces mêmes intellos trois mois plus tôt) est une grande chose ; l’hystérie bobote des éditorialistes et politiciens qui adorent jeter de l’huile sur le feu une autre. Ce pourquoi le « journalisme » est l’une des professions les plus mal considérées par les Français, juste après les politiciens démagos ou affairistes.

Pourquoi l’été sort-il des « affaires » ? Parce que la presse aux abois n’a rien à dire et que les acheteurs de journaux ou les auditeurs de chaîne sen continu désertent. Il y a quelques années c’était « le burkini », fake news habilement mise en scène qui avait remis en cause – à en croire les moralistes – les fondements mêmes de la République. Qui parle encore du burkini ? Aujourd’hui c’est un conseiller au nom arabe.

Ben Allah ! dénonce l’extrême-droite, Ben holà ! pose l’extrême-gauche. Un événement banal est devenu affaire d’Etat pour les petits esprits. Ce sont moins les faits en eux-mêmes, qui ressortent d’une sanction et d’une réorganisation des conseillers, sans plus, que le regard que porte sur eux « la presse » avant « les médias », puisque l’affaire a été orchestrée avant tout par ce parangon de vertu affichée qu’est Le Monde. Un tel « Comité de vigilance antifasciste » se reconstitue volontiers pour surveiller et dénoncer les pouvoirs modérés qui tentent de gouverner ; ils se font curieusement absents dès qu’il s’agit de surveiller et dénoncer les vraies menaces, comme celle du terrorisme islamiste, de l’extraterritorialité des lois américaines ou de l’influence des lobbies sur la loi… Soyez fort avec le faible et servile avec le fort !

Le prétexte Benalla était tout trouvé pour les procureurs cyniques de la morale pour les autres. Tous les impuissants battus aux élections se liguaient en cartel de jaloux anti-Macron. L’inquisition Mélenchon en profitait pour tenter de délégitimer les urnes qui avaient « mal » votées – puisque le Mélenchon n’était arrivé que QUATRIÈME au premier tour de la présidentielle. Quelle baffe démocratique pour ce prétendant calife, désormais trop âgé pour briguer le poste ! Sa haine rancunière le fait agir – l’avez-vous remarqué ? – comme le vieux Le Pen : ne pouvant parvenir au pouvoir, il a pris ce même ton de tribun qui agite les fantasmes mais qu’il serait bien en peine de mettre en œuvre si d’aventure le pouvoir lui échoyait. La démagogie dans toute son éternelle splendeur.

La rentrée des ratés se fait en ce lundi gris de pré-automne où France Culture, toujours à la pointe de l’extrême-mode intello, invite dans la première des Matins la virago gauchiste, féministe, écologiste, antisioniste, pro islamiste -en bref arriviste – Clémentine Autain. Cette fille de chanteur ressasse les poncifs à la mode avec cette légèreté intellectuelle issue du manque d’éducation post-68 et de culture propre à la génération Mitterrand. Peu importent les faits, seules les idées comptent. Yaka repeindre le monde – à condition qu’elle soit du bon côté du pouvoir. Le reste ne l’intéresse pas (toute ressemblance avec un certain Tromp n’est PAS fortuite). J’ai zappé Guillaume Erner et son penchant à se trouver toujours du côté du plus fort (en gueule).

Pour l’opposition d’extrême-mode, Benalla est un nervi du président, qui est donc fasciste – « le peuple » (qui parle évidemment par la seule voix du tribun) doit donc le démettre. Que les tabassés (mollement, ils n’ont même pas eu droit à l’hôpital) aient caillassé et insulté copieusement les forces de l’ordre auparavant, est pardonnable ; que lesdites forces et le conseiller « observateur » aient entrepris de faire respecter l’ordre, voilà qui est intolérable ! Curieuse conception de la force publique. Ceux qui veulent une VIe République montrent qu’elle serait plus celle d’histrions que de gouvernants.

Pauvre France petitement intello qui préfère les « principes » en chambre aux réalités du terrain et les « idées » générales à la tâche concrète de gouverner. Même Hulot se met de la partie.

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Saisons

Lorsque j’étais enfant, je préférais l’hiver. Il est vrai que cette saison était plus marquée qu’aujourd’hui, avec neige durable et froid très souvent sous zéro. J’aimais cette atmosphère ouatée de la neige qui tombe, ces bruits adoucis de l’atmosphère et cette fête que figurait alors n’importe quelle lumière, celle du feu de bois étant alors la plus belle. Mais surtout, après l’air glacé du dehors, aussi sec qu’une vodka avalée d’un trait comme je l’apprendrai plus tard, j’aimais ce cocon de la maison, du salon où était réunie la famille, ces parfums discrets de bois et de cuisine. J’ai observé chez mes encore petits il y a peu ce goût pour la réunion chaleureuse, particulièrement forte durant l’hiver.

Adolescent, j’ai préféré l’automne. Ce flamboiement des feuilles sur les arbres, ce paysage adouci par la brume des matins mais où couve comme un feu de couleurs, ce soleil bas qui dore toute chose étaient pour moi une splendeur quelque peu romantique. Une nature qui se mettait au diapason des passions humaines. Epoque des fruits en coque, châtaignes qu’on se jetait à la sortie, noix et noisettes que l’on allait recueillir, pignons et glands, époque du bois mort à ramasser pour l’hiver et des pommes à engranger sur des claies séparées afin de les conserver longtemps. C’était aussi le temps de la rentrée, les retrouvailles avec les copains et cette atmosphère d’école, en fin d’après-midi, où le ciel déjà sombre faisait allumer les lampes, donnant une sorte d’intimité à la classe rassemblée. La pluie glougloutait dans les ruisseaux, le long des rues et l’air avait ce goût épais d’une barbe à papa aromatisée d’humus et de vague fumée.

Adulte, je préfère le printemps. Cette saison où tout renaît irradie de vie. Les oiseaux chantent comme les enfants poussent, les bourgeons éclosent sur les branches comme les cols s’ouvrent et la vêture s’allège. Le ciel a ce pommelé qui rend l’azur plus limpide. Le printemps, ce sont les premières caresses de l’astre, brutalement étouffantes dès février, suivies de près de ces bouffées de froid qui restent de l’hiver. Ce contraste maintien éveillé, il donne du goût à l’existence, il oblige à surveiller les petits, rapides à se déshabiller mais jamais à remettre. Le printemps, ce sont les fleurs à peine écloses, la fraîcheur des rivières gonflées, l’herbe d’un vert tendre où brillent comme des soleils miniatures ces pissenlits aux feuilles gaillardes mais encore douces à la langue une fois mises en salade. Ou ces fleurs jaune d’or qui, approchées, donnent à la peau un aspect de beurre frais. Le printemps, c’est une joue de gamin, lisse et rose, où peut parfois briller une larme pour quelque futilité, mais sous laquelle le sang chaud court à loisir, irriguant d’énergie le corps tendu vers l’avenir.

Lorsque je serai vieux, peut-être préférerai-je l’été ? Le paysage immobile sous un soleil figé, les couleurs franches des choses, la chaleur constante agréable aux os las. L’été me semble chaque année une période d’éternité, lorsque tout a poussé, le blé déjà jauni et les arbres bien verts, l’herbe touffue, les fruits mûrs et les légumes éclatants au jardin. La touffeur de l’air sous le soleil implacable fait naître les canicules durant lesquelles on ne peut rien. L’été bronze les enfants et l’activité les durcit. Ils sont beaux, comme dans une plénitude. Les adolescents qu’ils sont devenus ont les muscles durs et dorés, le verbe vif la sensualité à fleur de peau et l’amitié au cœur. La vacance de l’esprit, en été, est déjà le repos – et peut-être est-ce cela qui me séduira alors ?

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Route vers Samarcande

Nous quittons Tachkent et sa chaleur humide pour la climatisation du bus. C’est un Mercedes acheté d’occasion à une compagnie de bus française. Il a été bien révisé par les mécaniciens bricoleurs d’ici. 330 km de route nous attendent pour rallier Samarcande, deuxième ville d’Ouzbékistan, mais avec 400 000 habitants seulement, un tiers de la capitale. Samarcande signifie « la grosse ville », « la ville riche ». Elle était le centre de la Sogdiane, ce pays prospère préislamique, célèbre pour son art de la poterie. Le vent du nord ne rencontre aucun obstacle sur les plaines. Il fait donc froid l’hiver, -15° en moyenne, mais très chaud l’été, +45°. Il pleut au printemps.

L’été brûlant de la steppe incite les gamins à se baigner dans les rigoles boueuses le long des routes. Elles sont peu nombreuses ces rigoles, en général vouées à l’irrigation, et chacune d’entre elle attire inévitablement sa brochette de corps dorés qui en ressortent luisants comme des scarabées. Un adolescent en slip, assis sur le bord en ciment du canal qui amène l’eau précieuse aux champs de coton, surgit telle une statue de Tireur d’Epine. Il a le corps de bronze, le dessin nerveux des muscles et l’attitude apollinienne qui convient. Une grosse médaille d’or étoile sa gorge vernissée du bain. Les fillettes ne sont pas conviés par leurs frères à ces agapes du soleil et de l’eau. La plaine est composée de champs cultivés, parfois d’arbustes. Des vaches noir et blanc, quelques chevaux à la longe, broutent l’herbe rase. Le réseau routier est en piteux état en raison des variations climatiques et du manque d’entretien, mais il est peu encombré.

Depuis l’horizon, je vois se lever un voile dans le ciel. Il accourt d’autant plus vite que nous fonçons à 100 km/h droit vers lui. C’est une brutale pluie d’orage. Brève et violente, elle fait retomber la poussière, claque la peau nue des gosses et favorise la pousse du blé. Tel Gribouille, les gamins ne sortent pas de leurs rigoles pour s’abriter de la pluie : ils s’y plongent au contraire jusqu’aux yeux, avec délices, pour échapper aux traits piquants des gouttes agressives.

Nous voici en pleine « steppe de la faim ». Nous devons la traverser pour arriver à Samarcande. Son nom lui vient du manque d’eau qui l’a rendue longtemps non cultivable. Et ce jusqu’aux grands travaux khrouchtchéviens. Bien peu écologiques, ces travaux ! Louable était l’intention, il s’agissait de permettre la culture du blé et du coton et ce fut réussi. 12 000 km² de canaux furent creusés à force pour détourner l’Amou-Daria il y a 50 ans, dont le canal Karakoum qui amène 17 km3 d’eau douce par an sur 1300 km. Mais ce prométhéisme marxiste n’est pas resté sans conséquences : le Syr-Daria n’arrive plus à la mer d’Aral au nord de l’Ouzbékistan et celle-ci s’assèche. Sans parler du gaspillage de l’eau entre évaporation intense de tous ces canaux, déperdition des conduites, arrosages de lieux non cultivés, offre trop abondante pour les besoins réels… Seulement 55% de l’eau collectée servirait vraiment aux plantes ! On mesure les ravages de la bureaucratie d’Etat dans l’irresponsabilité et le je-m’en-foutisme, le monopole du Ministère de l’Eau aux temps soviétiques empêchant toute initiative locale et estampillant toute objection comme « politique » !

Certes, la production agricole a été multipliée par quatre entre 1950 et 1980, les légumes sont plus abondants de près de sept fois depuis 1960, la viande est produite deux fois plus, le lait trois fois, et ainsi de suite. Mais à quel prix ! L’idéologie productiviste fait peu de cas du support matériel, selon la mauvaise habitude marxiste, accentuée par l’activiste Lénine. C’est l’une des causes de la chute de l’URSS, avec Tchernobyl. La science à la soviétique était rendue tellement administrative, liée aux clans du pouvoir et à l’esprit boutique du Parti, qu’elle ne servait plus guère à « étudier la nature » mais à conforter l’ego des dirigeants.

La mer d’Aral s’étendait sur 68 000 km² en 1960, sur la moitié seulement en 2000. Au début 1990, le niveau avait perdu 14 m depuis 1960 et sa surface s’était réduite de 28 000 km², soit 40% de sa surface. La salinité de l’eau avait été multipliée par trois, tuant les poissons, et réduisant la pêche à rien dès 1979. Plus de caviar, dont la région produisait pourtant 10% de la production totale de l’URSS ! Les roseaux sont passés d’un territoire de 8000 km² à 200 km², 38 des 178 espèces animales subsistaient seulement – loutres, sangliers, cerfs, tigres et de nombreux oiseaux ont été éliminés… L’économie des hommes s’en est trouvée transformée. Des ports autrefois se retrouvent à 30 ou 80 km de l’eau, les pêcheurs ne pêchent plus (les Gaïa-intégristes diront « ne pèchent » plus !). Le climat est devenu plus sec avec hivers plus rigoureux et été plus arides. Les vents transportent les sels du fond marin asséché jusqu’à 500 km alentour, rendant les sols moins propres à la culture. La pollution par les engrais, véhiculée par les canaux d’irrigation qui reviennent dans le débit des fleuves, contamine les nappes phréatiques. Cette mauvaise qualité de l’eau à l’ère soviétique a entraîné une nette augmentation des affections intestinales et des cancers de l’œsophage.

La chute de l’URSS a permis d’entreprendre des travaux d’aménagement, notamment une digue pour retenir une partie des eaux du Syr-Daria, et il semble en 2007 que le niveau de la mer d’Aral soit remonté bien plus vite que les experts ès catastrophes ne l’anticipaient. Une région spéciale, la Sin Daria a été créée en 1973 pour gérer irrigation et cultures.

Justement, un poste frontière se dresse sur la route. Encore un héritage du soupçon et du contrôle politique soviétique. Une frontière est ainsi érigée entre chaque région, tout comme l’octroi chez nous sous l’Ancien Régime. C’est la « porte de Tamerlan », entre deux montagnes, qui nous ouvre le chemin de Samarcande. Par ce défilé à l’est, les caravaniers venus de Chine abordaient la ville. La rivière Sanzar (« endroit caillouteux ») coule à l’envers : vers l’est et pas vers l’ouest comme toutes les autres rivières d’Ouzbékistan. La légende veut qu’une mère ayant perdu son bébé dans la rivière ait prié Allah. Le Dieu a inversé le cours pour rendre son bébé à l’implorante. A la montagne Gourista commence le désert de sable rouge. La rivière Zarafshan (« l’eau qui porte l’or ») a livré du métal et irrigué les alentours de Samarcande avant que l’Amou-Daria n’ait baissé en raison des grands travaux du XXe siècle.

Samarcande est située au centre du pays, dans la vallée de la Zeravchan. Y sont produits du thé, du textile, des engrais et des pièces de moteur. Ancienne Maracanda, Samarcande fut la capitale de la province perse de Sogdiane, conquise par Alexandre le Grand en 329 avant, puis par les Arabes en 712. Elle fut presque entièrement détruite par Gengis Khan pour devenir en 1369 la capitale de l’empire de Tamerlan. Les Ouzbeks s’en emparèrent en 1500. La ville compte quelques 390 000 habitants.

Samarcande se divise aujourd’hui en trois : 1/ l’ancienne ville, inhabitée ; 2/ la vieille ville ; 3/ la ville moderne, administrative. Ce soir, nous logeons à l’hôtel Orient Star, dans la ville moderne. Le bâtiment est neuf, mais construit sur un thème traditionnel. L’ensemble a un air de mosquée et le restaurant est situé sous la coupole. Un jardin sur l’arrière offre sa détente, avec piscine, mais elle est en cours de récurage ce soir. Un thé de bienvenue nous est servi dans le hall, peut-être pour vérifier que les chambres sont bien prêtes. Abricots secs, raisins secs, cacahuètes, tous produits de la région proche, accompagnent le thé brun comme du temps des caravanes.

Nous dînons tôt, vers 19 h, pour tenter d’avoir un sommeil long et réparateur après notre nuit blanche d’avion. D’ailleurs, une coupure de courant intervient pile à 21 h, pour on ne sait quelle raison. Tout le quartier est concerné. Le lit est encore à faire, seul le drap de dessous est mis, celui de dessus reste plié. C’est à la lampe frontale que je m’en débrouille.

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Soif

L’été revient, et avec lui la soif.

Le climat se réchauffe, l’eau se fait plus rare, il pleut moins – ou à torrent. Chacun retrouve le plaisir simple de l’eau aux fontaines du plaisir.

L’eau à laquelle on aspire, celle que l’on boit, celle qui est la vie.

La peau tout entière aime l’eau qui coule, caresse et refroidit. S’en verser, s’en imbiber, s’en délecter est d’un rare plaisir aux temps chauds du climat ou des hormones.

La jeunesse est cet âge où la vie est la plus présente. En soi durant qu’on la vit, et pour les autres, lorsqu’on la regarde. Et la soif est sans borne.

Soif de vie, soif de plaisir, soif de vivre. A déguster torse nu pour ne pas en perdre une seule goutte. « Les plus douces joies de mes sens ont été des soifs étanchées » disait Gide comme Nourritures terrestres.

D’eau ou de lait, de tout liquide – la soif à boire le pis de la fontaine animale.

Boire à la fontaine est une joie indicible, la première gorgée de frais sur un palais aride – et c’est la vie même qui est rendue.

La vie faite fille, fontaine du désir, à boire à grandes goulées.

 

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Ô tons de l’automne !

J’aime l’automne, la couleur de l’automne, la fraîcheur de l’automne.

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Les feuilles prennent de multiples teintes d’or vif, de bronze, de rubis. Parfois subsiste le vert, comme un retard, un regain de vigueur.

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J’ai pitié de ceux qui vivent sous les tropiques, ils ne connaissent jamais qu’une unique saison, plus de pluie parfois, quelques degrés de moins, mais toujours l’été. Dans nos pays tempérés, les saisons varient, la nature s’habille, nue en hiver et vêtue en été, le contraire des humains. Mais elle n’est pleinement belle qu’au printemps lorsque tout reverdit et fleurit, et en automne, lorsque les feuilles fondent en or et tapissent les chemins.

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L’automne est la fatigue de l’été, le mûrissement d’une année. Les gestes ralentissent, le cœur s’apaise, l’esprit s’élève.

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Lorsque la température baisse, surtout la nuit, les chats se réfugient dans la maison. Nous ne les avions plus vus depuis juin, sauf aux heures des repas, le matin tôt et le soir tard ; ils dorment désormais sur canapés et se blottissent sur les genoux, quémandant des caresses comme des enfants. Leur fourrure gonfle. Indiquant peut-être que l’hiver sera froid.

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C’est pourquoi les tas de bois débutent sur les chemins.

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En attendant, l’humidité fait verdir une dernière fois les prés.

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La lumière enchante les sous-bois.

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Elle fait chatoyer la rivière.

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Et le pêcheur médite, solitaire, guettant le poisson endormi qu’il appâte en bout de ligne.

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Massacre à la tronçonneuse

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La production courante du cinéma américain ne brille pas par son originalité, ni par son intérêt. Elle est faite pour consommer de suite, sans l’emballage du désir, ni la nostalgie du revoir. Ni rêve, ni imagination, mais l’excitation morbide – et unique – d’un instinct. Une fois vu, le produit est usé, bon à jeter tel une capote anglaise. Pourquoi donc interdire aux junkies de se shooter, puisque la pseudo-culture de masse américaine leur sert du film sur le modèle de la seringue jetable ?

L’attrait de ces productions prêtes à consommer est des plus primaires : l’horreur, l’excès, l’imprévu inexorable. La construction en reste au schéma de base : présentation des personnages au quotidien, anesthésie du bonheur tranquille et naïf en famille standard – voiture Ford, maison Levitt, jean Levis et tee-shirt Fruit-of-the-Loom – puis mise en situation par quelque excentricité qui tourne très vite à l’anormal inquiétant, paroxysme et hystérie de rigueur, et final rapide où le Bien se fait souvent avoir. Malgré l’espoir de happy-end ancré au cœur de l’Amérique. Pimentez tout cela d’un brin de sexe, de beaucoup de violence et d’une histoire plate aux images banales – et vous avez le navet-qui-se-vend. Car seule la mise en scène, qui vise au spectaculaire, est au niveau. Or la technique est tout ce qui importe aux incultes.

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Tels sont ces films médiocres pour middle-class désœuvrée en fin de semaine. Fast-food, fast-film, tout est sur le même modèle industriel formaté du vite fait-mal fait. En 1974, le Texan de 28 ans Tobe Hopper fonde avec Massacre à la tronçonneuse le genre consommable du film d’horreur ; il va faire des émules. Le titre est accrocheur, attisant cette fascination malsaine pour la fureur et l’hémoglobine, jouant sur toute la palette du sadomasochisme enfouie en chacun. Une catharsis, bien sûr, mais qui la demande ? Ces pauvres solitaires voués à la masturbation en cabines individuelles pour 1$ alors qu’une fille se trémousse nue derrière la vitre ? Les films défouloirs sont dans le même rapport que la pipe l’est à l’amour partagé : l’effet physique est le même, mais les conséquences psychologiques et la profondeur durable de l’acte n’ont rien à voir !

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Le film est vide : vite vu, vite perdu ; on ne le revoit pas car on connait la fin, ce qui se passe pendant n’est que progression technique glauque sans littérature, malgré son prix de la critique au Festival du film fantastique d’Avoriaz en 1976. Cinq jeunes insouciants – typiquement des ‘innocents’ américains – s’enfoncent lors d’un bel été – la saison hédoniste – dans les tréfonds du Texas en minibus, à la recherche de la maison d’enfance de l’une des filles. Retour aux origines… ce qui va prendre un tour macabre. Kirk et Pam se baignent dans un étang, près d’une vieille ferme loin de tout – et le tueur futur s’amuse à les approcher sous l’eau. En quête d’essence – ce sang de l’Amérique – ils vont voir s’ils ne peuvent en acheter à la ferme ; Kirk est massacré à coup de marteau par un primate masqué, Pam est empalée sur un croc de boucher et mise au congélateur ; Jerry, qui les cherche, est assassiné au marteau. Seuls restent deux survivants dans la nuit qui tombe… Franklin est découpé à la tronçonneuse et Sally s’enfuit, seins nus. Slurp ! Sexe et cruauté font bon ménage.

massacre a la tronconneuse cadavre

Inspiré de l’histoire véridique d’Ed Gein, « le boucher du Wisconsin » arrêté en 1957, profanateur de tombes et meurtrier de 33 êtres humains, qui portait un masque de chair et décorait sa maison des restes de ses victimes, le film ne laisse surnager au fond que les obsessions de la société américaine : la peur de la campagne isolée ‘où-l’on-ne-sait-jamais-ce-qui-peut-se-passer’ ; la hantise des pauvres, dégénérés par la solitude, l’endogamie, le puritanisme bigot, la sauvagerie et la mauvaise éducation ; la culpabilité biblique du massacre historique des Indiens natives ; l’hystérie automatique des femelles – sauf si elles font ‘mec’ par féminisme (alors : respect !) ; la normalité ‘innocente’ et désarmée de l’Américain moyen (surtout jeune au teint frais) face au Mal, cette violence gratuite qui viole tous les tabous sociaux, religieux et humains ; l’angoisse devant la machine, pourtant créée par l’homme et que l’homme pervertit, le banal outil utilitaire devenant arme brutale pour crime atroce.

massacre a la tronconneuse hysterie

Le début des années 1970 représentait le pourrissement de l’Amérique et le délitement de ses valeurs ancestrales : jeunesse massacrée au Vietnam, mensonges politiques du Watergate, récents assassinats politiques (John Kennedy, Martin Luther-King), génocide historique des Indiens, chômage dû à la crise du pétrole – tous les cadavres ressortent du placard pour engendrer des monstres et tuer les jeunes vies. Le film rend compte de cette psychologie d’époque.

massacre a la tronconneuse seins nus

Mais il est difficile pour nous Européens d’entrer aujourd’hui dans ce jeu pervers où les bas instincts se défoulent, où la foule se fascine pour le morbide, où le Mal absolu sort vainqueur du pauvre bien – que l’on croit naïvement ambiant. Ce révélateur social yankee ne révèle rien de nous ; ce pour quoi nous l’appelons médiocre. Mais il rapporte des dollars et encore plus de temps de cerveau disponible ! Aujourd’hui les ados, déculturés par toute la génération post-68 adorent. Si ça vous dit…

Massacre à la tronçonneuse, 1974, version restaurée StudioCanal 2004, €19.00

Massacre à la tronçonneuse (remake plus soigné que l’original), blu-ray Metropolitan 2013, €19.71

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Riga en Lettonie

L’avion de la compagnie Air Baltic va se poser à Riga, capitale de la Lettonie, siège de la compagnie et hub pour l’international. De là on peut joindre à bas coûts Moscou, Kiev, Vilnius, Erevan, et jusqu’à Tel Aviv.

L’avion au départ de Paris est mélangé : Lettons aux gamins blonds fluets, Juifs rejoignant Israël par la voie détournée, Russes transitant par la Baltique pour y faire quelques emplettes, Arméniens retournant au pays pour les vacances…

lettonie carte

De faux jumeaux blonds de deux ans font la queue avec leurs parents en poussette. La petite fille est éveillée et me regarde avec ses grands yeux tandis que le garçon dort. Dans l’avion, ce sera le petit mâle qui fera les quatre cents coups tandis que sa doublure restera plus sage. Les deux courent dans la travée centrale, ou hurlent quand il faut rester assis. Selon une fille qui a parlé en anglais avec les parents, ce sont les enfants braillards et hyperactifs du consul de Lettonie à New York. Ils sont déjà trilingues, letton, russe et anglais. Ils gênent les passagers, mais ce sont des enfants. Et le vol ne dure que trois heures.

lettonie vue du ciel

Les environs de Riga, survolé par le Boeing 737-500, montrent une mosaïque de champs avec chacun une construction, puis des bois de conifères.

Des villas nordiques construites en bois jouxtent des « piscines » creusées à même la terre comme des étangs avec une passerelle usée à une extrémité. La pluie les remplit et renouvelle l’eau qui paraît vert sombre vue d’en haut. On ne distingue aucun personnage, ni dedans ni à côté. Il fait 20° en cet été letton.

Riga plan

La ville de Riga est très étendue, peu construite en hauteur sauf quelques immeubles d’époque soviétique.

Lettonie Riga

 

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Histoire de fin de mois

C’était dans ces derniers jours de juillet où le soleil, qui dardait depuis quelque temps, laissait apprécier l’atmosphère climatisée des hypermarchés. Ces hangars voués au commerce, qui remplacent les bons vieux marchés ouverts dans les villes moyennes, sont d’habitude l’occasion de côtoyer diverses populations. Ils attirent par leur abondance et clignent de l’œil aux clients tant par leurs bas prix que par la complaisance avec laquelle ils flattent les modes audiovisuelles. Le rayon librairie offre ainsi du « marc lévy » et du « j-m cavada » au mètre linéaire, alors que l’on peut toujours y chercher Marcel Proust ou même Elisabeth George. Il suffit de coller un bandeau « vu à la télé » pour faire d’un auteur une marque à débiter en carrés comme du jambon prétranché sous blister.

Mais l’on y trouve aussi tout l’équipement de la maison, les vêtements et l’alimentation. Tout est dans tout, mais pas réciproquement : encore faut-il en avoir les moyens, même modestes… Et c’est à cet instant que débute l’histoire.

Une fois bien parcourues les allées d’abondance, supputé la qualité de ci ou l’avantage de ça, chacun se retrouve à la caisse derrière son chariot. Une fois opéré le rituel du tapis roulant, vient le moment de payer. Et les fins de mois ne sont pas des plus propices pour les budgets serrés, surtout en été où ces damnés mois de juillet et d’août se succèdent en comptant un nombre de jours au maximum. C’est ainsi que la caisse peut se trouver bloquée un moment, le temps d’extirper la fameuse « seconde pièce d’identité » pour tout paiement par chèque, ou pour frotter sa carte bancaire qui s’obstine à ne pas vouloir passer.

gamin en ete supermarche

J’étais ainsi dans la queue avec deux caddies avant moi : un homme d’âge mûr, discret et observant les alentours durant l’attente, et toute une tribu au passage en caisse. Il y avait là la mère, une matrone fatiguée et ses quatre marmots d’environ 8, 7, 5 et 3 ans pour autant qu’on puisse évaluer. Trois garçons et une fillette, l’avant-dernière. Celle-ci était vêtue d’une robe simple mais coquette ; elle se serrait contre l’aîné qui lui tenait la main, intimidée par toutes ces opérations compliquées. Le petit, assis dans le chariot, ouvrait ses grands yeux et regardait le monde. Le cadet portait un débardeur trop grand pour lui dont le col bayait jusque sur le sternum et dont une bretelle, la gauche, s’obstinait à glisser de son épaule ; il la remontait de temps à autre d’un geste agacé et machinal, l’oubliant dès qu’il était pris par quelque action. L’aîné ne portait rien sur le torse. Tous étaient en short et en tongs, déshabillés pour l’été : prêts à bronzer, moins à laver, autant d’économies. La mieux vêtue était la petite fille car, partout dans le monde on habille mieux les filles : elles salissent et déchirent moins, et la pudeur l’exige, quelle que soit la religion ou la morale locale. Il n’en est pas de même pour les garçons dont les parents sont fiers d’exhiber les muscles, même naissants, et heureux de laisser libres les corps tourmentés d’agitation qui usent plus vite les vêtements que quiconque.

Je ne sais si l’aîné s’appelait Pierre, mais j’eus cette réflexion saugrenue qu’il semblait qu’on l’eût déshabillé aujourd’hui pour habiller Paul, son frère. Le débardeur devait être porté hier par le plus grand, qui l’avait cédé et n’avait plus rien à se mettre. La peau dorée des marmots, sous leur blondeur, montrait qu’ils s’habillaient peu en jouant dehors, mais peut-être le tee-shirt à moins de 5 euros, dans le caddy, était-il son futur vêtement « de sortie » ?

Ce vêtement, jeté comme un chiffon sur le tas des marchandises, accompagnait du pain, de l’huile, de la lessive, une salade et des tomates, des pâtes, quelques légumes, du café, des confitures, deux ou trois babioles dont un magazine télé… Reste que l’attente se prolongeait. A la caisse, la carte bancaire refusait de passer et des remarques commençaient à fuser dans la queue : « la paye n’est pas encore tombée, elle aurait pu attendre » ou « c’est bien malheureux avec tous ses gosses ». Les petits se tenaient sages, eux qui couraient et riaient auparavant en se poursuivant entre les rayons, sentant confusément la gravité sociale de la situation. Le ventre de l’aîné s’était crispé, dessinant des boursouflures.

L’homme qui me précédait, alors, est intervenu. Il n’a jeté que deux phrases mais elles furent décisives : « à combien se monte le ticket ? » et « laissez-moi passer ma carte, c’est bon. » Pantoise, la mère s’en est presque étouffée, avant de se confondre en remerciements.

L’homme l’a regardée et je soupçonne que ses yeux étaient bons parce la femme a bafouillé. Il a dit simplement : « vous avez de beaux enfants ». L’aîné a glissé d’un souffle un « merci, Monsieur », en serrant sa sœur contre son sein. Je ne sais si c’était pour la remarque ou pour le paiement, mais les enfants sont souvent plus sensibles aux paroles qu’aux cadeaux.

L’homme a eu un geste évasif puis s’est détourné pour placer ses achats sur le rail. Une fois passé, il s’est éloigné sans un mot.

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Vahinés de Tahiti

Selon le dictionnaire de l’Académie tahitienne, vahiné signifie :

  1. Femme, épouse, concubine, maîtresse ;
  2. L’épouse de quelqu’un qui a une fonction. Te tāvana vahine = La femme du maire ;
  3. Madame, placé après le nom de famille ou le nom donné au mariage.

En tahitien, la vahiné est tout simplement la femme, dans toutes ses fonctions.

vahines fleurs nues

Une «belle » femme a le teint brun, vahiné ravarava. La célibataire est vahiné ta’a noa, la maîtresse est vahiné ta’oto, la femme licencieuse vahiné tīai. Comme quoi la vahiné n’est pas licencieuse par nature.

vahine nue au bain

Les vahinés sont plus belles à Noël… car c’est l’été dans l’hémisphère austral. En août, c’est l’hiver, il faire froid, seulement 25°. Les filles polynésiennes bénéficient d’un climat tropical à l’ensoleillement maximum, atteignant près de 3 000 heures de soleil par an aux Tuamotu, dit presque le site Tahiti tourisme. De novembre à avril, c’est la saison des pluies. L’air est lourd, très humide, mais on peut rester nu. C’est bien cette nudité « adamique » qui a fait la réputation des Tahitiens – surtout des femmes ! – auprès des navigateurs du 16ème au 19ème siècle. Les marins uniquement entre hommes depuis des mois croient arriver au paradis : eaux turquoise, soleil bienfaisant, fruits juteux accessibles sur les arbres… et ces femmes nues qui vous accueillent en souriant. Et ces éphèbes minces et  nerveux, c’est selon.

vahine nue buvant coco

Le mythe commence à naître et demeure… bien que la réalité d’hier comme d’aujourd’hui soit moins belle : hier obéissance, cadeau du chef aux mâles blancs ; aujourd’hui obésité, ignorance, avidité pécuniaire sont plus courants que le naturel. La vahiné est bel et bien un mythe.

vahine nue soif

Herman Melville, plus coincé avec les filles qu’avec les garçons évoque Tahiti dans Taïpi en 1846 : baignades nues, massages à l’huile de coco par de jeunes vahinés conduisant à l’extase, jeux avec les enfants. Paul Gauguin tombera amoureux de sa petite vahiné en 1924, comme il le conte dans Noa-noa, voyage de Tahiti.

ados des iles

De nos jours, les interrogations les plus fréquentes sur les moteurs de recherche et sur les blogs contiennent le mot « nu ». C’est donc à mes lecteurs que j’offre ce florilège de vahinés entièrement nues, pour la fête de l’assomption de la Vierge, bénie entre toutes les femmes.

Car Dieu a aussi créé la femme – même dans la Bible macho. Et les commentaires catholiques des Évangiles racontent même que Marie, la Mère de Dieu, est montée tout entière au ciel avec son corps de chair, comme un demi-dieu antique, glorifiant ainsi la beauté corporelle, image de la bonté spirituelle. Les Orthodoxes, plus réalistes, se contentent de préserver le corps de Marie de toute putréfaction par la Dormition jusqu’à la fin des temps. Mais toujours le souffle de l’Esprit transfigure la chair et justifie d’aimer. D’abord le plus accessible, dit Platon, le beau corps devant nous, puis, par son intermédiaire, la Beauté en soi, l’Esprit.

De la vahiné nue à la sagesse, le chemin est long mais commence… Avis aux ados !

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Foot d’été

La « saison » est finie (ouf !). Rien de tel qu’une « huitième journée du match avancé de ligue 1 pour le championnat de France » Strasbourg-Saint-Denis, Réaumur-Sébastopol ou d’on ne sait quel accouplement qui sonne comme une station de métro – pour agacer dès le matin.

foot dessin ballon

France-Info en fait même désormais une « actualité » au même titre que la guerre en Syrie, les menaces de Poutine ou les errements grecs – actualité qui prend même le pas sur les autres le samedi et le dimanche soir !

gamins foot

Quand j’étais gamin, j’aimais le foot ; aujourd’hui je ne le supporte plus.

foot en slip

Non le jeu en lui-même, encore que les règles aient changé (les « tirs au but » sont une étrange manière de « gagner »…). Mais le permanent scoop médiatique sur les stars du ballon, sur leurs états d’âme (exprimés en général sous forme de borborygmes ou de banalités), sur le fric des droits de retransmission et des transferts des joueurs.

Quand j’étais gamin, seul le jeu comptait, pas le fric ni la frime.

foot a trois garcons torse nu

Aussi je préfère le foot en été, lorsqu’il est un vrai jeu, sur les plages. Pas d’uniforme des marques célébrées avec maillot d’équipes financées par le Qatar et pompes à crans fluo, mais le slip seulement.

foot a trois garcons torse nu plage

Pas de terrain synthétique ou arrosé à grands renforts d’hectolitres en pleine canicule, mais le sable chaud et mou de la plage.

foot seins nus

Même les filles s’y mettent, dit-on, mais je n’ai pas vu beaucoup de petites filles jouer au foot dans le sable – ni ailleurs en été. Que font les féministes ? C’est un jeu sain, travail d’équipe tout autant que de tête, et qui fait du bien au corps. Sur le net, celles qui se montrent gardant le haut on ne sait pourquoi.

foot fille decolletee

La liberté n’est-elle pas quasi totale lorsqu’on joue, dans l’été des vacances, vêtu juste d’un cache-sexe ?

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Regrets de plage

ado muscle torse nu

C’était le bon temps, la plage ! Enfants et adolescents de tous les sexes s’y exhibaient libres. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, en général jouer avant de déjeuner, puis jouer avant de goûter, et jouer avant de dîner. Et encore après.

fille beach volley

Voir comment sont les autres était un attrait : poitrine et arrière-train des filles, épaules et abdominaux des garçons. Mais pas à tout âge, petits garçons et petites filles plongent de concert sans se demander de quel sexe est l’autre.

fille et garcon torse nu

Se promener presque nu était un grand plaisir. En slip dans la ville, après le bain, était admis. Parfois un sein nu sur deux pour les belles filles…

gamin muscle en slip

sein nu pas l autre

Les fratries se retrouvaient sur le sable à se mesurer au ballon. La coupe du monde venait d’expirer et chaque bande de gamins rejouait les matchs.

gamins torse nu

Mais ce bon temps est fini. L’automne est là qui rend floue la silhouette, engoncée sous les vêtements. On ne joue plus, on est sérieux, l’école et la famille l’exigent.

Jusqu’au prochain été.

torse nu

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Les corps chantent à la plage

L’été venu, la pluie éloignée, les plages se peuplent. Mais la foule est communautaire, il s’agit de se retrouver « entre soi » dans un songe primitif.

1 plage encombrée
Ce pourquoi tout ado, plus sensible qu’enfants et adultes, joue au sauvage, nu entre le ciel et l’eau.

2 ado nu plage
Les filles se vêtent plus, malgré les années 70 la mode des seins nus ne prend plus, à cause des intégristes coincés cathos, juifs et musulmans qui craignent leurs désirs et adorent interdire aux autres ce qu’ils seraient avides de faire eux-mêmes. Intégristes contre intégral.

3 adolescente seins pomme
Seuls les garçons sont plus libres, dans les religions du Livre.

4 adolescents torse nu
Les filles restent entre elles, en bikini quand même.

5 filles bikinis
Les rencontres entre sexes sont datées, c’est dommage, le baiser seins nus était parfaitement érotique.

6 baiser seins nus plage
Aujourd’hui, les garçons prennent le pas sur les filles. « Sur la plage, la société s’exhibe, se regarde, s’entre-regarde et se met en scène pour elle-même, hors de tout contexte » disait il y a 20 ans le sociologue Jean-Didier Urbain.

7 garcon nu contre fille
Hors la plage, on peut se mettre nu, entre soi, comme sur un bateau où les mousses s’ébattent libres au soleil.

8 mousses nus aux homards
Sur la plage, on cache sa nudité intégrale dans le sol, pour faire corps avec la terre, là où s’y mêle la mer.

9 nu dans le sable
L’on se vêt de sable, d’eau ou seulement de lumière.

10 garmins jouant torse nu
Les filles défilent en maillots de bain colorés pour attirer et serrer, chaleur qui se met en valeur.

11 seduire hot
De quoi faire rêver l’ado ému par les hormones.

12 reve nu ado
Ou les ado filles au vu des formes athlétiques sous les habits mouillés.

13 jeunesse mouillee
Mais on ne voit plus guère les seins nu rissolant au soleil, comme les parfaits œufs au plat en petit-déjeuner…

14 seins nus plage

Je vous offre donc aujourd’hui un peu de rêve – même si les photos ne sont pas toutes de moi.

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Yukio Mishima, L’ange en décomposition

yukio mishima l ange en decomposition folio

Nous arrivons au terme de la tétralogie wagnérienne de Mishima, un volume plus court, bâclé sur la fin, qui n’aboutit qu’au néant. Ayant fait revue de toute sa vie depuis les sens jusqu’à l’esprit, en passant par la passion, Mishima conclut à l’inanité des choses, au courant perpétuel du temps, à l’effacement de toute mémoire.

Nous sommes en 1970 et Honda, le seul lien et mémorialiste de la tétralogie, a 76 ans. La vieillesse est là, cruelle, que Mishima l’auteur veut à tout prix éviter pour lui-même, préférant mourir en beauté mais en pleine jeunesse, comme Achille, à décrépir peu à peu en ronchonnant sur l’époque. « Tout lui déplaisait, la laideur de cette chair impuissante, les bavardages inutiles qui masquaient l’impuissance, le radotage lassant, des cinq ou six fois, l’automatisme dont le radotage même faisait un tourment, la suffisance et la poltronnerie, la cupidité et l’égocentrisme, cette lâcheté d’une frayeur constante de la mort, cette licence totale, ces mains ridées, cette démarche de chenille arpenteuse, ce mélange d’insolence et d’obséquiosité sur le visage. Dire que le Japon fourmillait de vieilles gens » (chap.26). On comprend qu’il ait voulu échapper à cette déchéance, comme Montherlant, mais avec l’histrionisme en plus.

Honda, passant par hasard près d’un point de guet pour les bateaux entrant et sortant du port, fait la connaissance de Toru (prononcer Torou), adolescent de 16 ans dont le maillot de corps laisse entrevoir les trois grains de beauté qu’avaient Kiyoaki, Isao et Ying Chan réincarnés. Enquête faite, une incertitude subsiste tant sur la date de la mort de Yin que sur la naissance de Toru, mais Honda veut y croire ; il n’a plus le temps. Il adopte le garçon et l’éduque, certain qu’il trouvera la mort avant ses 21 ans, comme les autres, fauché en plein élan de beauté et d’énergie.

Malignité du destin qui se moque des humains, coquinerie du sort qui n’aime rien tant qu’à égarer la raison, Toru se laisse éduquer puis, la majorité atteinte, n’en fait plus qu’à sa tête. Il manigance un coup tordu pour rompre ses fiançailles avec la fille qu’il n’aime pas et organise la mise en tutelle de son père adoptif. Heiko, la vieille amie gouine de Honda, invite le garçon un Noël pour tout lui révéler, et combien lui, le seigneur sans passion, manipulateur intellectuel des autres (son QI est de 156), s’est fait berner. Le miroir de Narcisse du guetteur-voyeur Toru se brise, comme celui de Senkitchi dans L’école de la chair, l’entraînant dans un engrenage pareil à celui de l’adolescent Noburu dans Le marin rejeté par la mer, tandis que le vieux manipulateur Honda ressemble de plus en plus au Shunsuké des Amours interdites. L’imagination de Mishima tourne en rond, il commence à ressasser. Il abrège dès le chapitre 28 et bâcle le finale. De désespoir, le garçon s’empoisonne, ce qui le rend aveugle, et se laisse soigner par Kinué, la laide folle qui est raide folle de lui.

Honda a gagné une demi-victoire : ce n’est pas la mort, mais l’impuissance qui attend Toru, la vieillesse précoce où il se laisse aller. La réincarnation d’humain en ange entre en décomposition, Toru présente les cinq signes fatidiques recensés par le bouddhisme (chap.8). La conscience alaya (celle qui subsiste au-delà du Moi), se désagrège dans le grand Tout bouddhiste en bouclant Kiyoaki l’ami par Toru le fils : « Il y avait là, dans le moindre détail, et jusque dans l’absence d’un but quelconque, le double de Honda, mis à nu dans un néant limpide » (chap.10).

Honda, une dernière fois, à 81 ans, va rendre visite à Satoko, abbesse du monastère Gesshuji depuis ses vœux prononcés après sa rupture avec Kiyo, 60 ans auparavant. Celle-ci a conservé sa beauté, épurée par l’âge, mais elle a épuré aussi ses souvenirs, ne gardant que ceux qui valent durant cette vie. Et Kiyoaki, l’amant magnifique, n’en fait pas partie. Honda est déconcerté d’apprendre que l’oubli a emporté tout ce à quoi il a voué son existence. Lui fini, cette belle histoire de réincarnation sera néant, même le Journal de ses rêves de Kiyo que Toru a brûlé. Les êtres passent comme les saisons, mais le temps demeure. Un signe à son arrivée au monastère aurait dû l’avertir : « Il se rappelait l’image lumineuse des quatre saisons sur le paravent en ce temps-là. On l’avait remplacé par un paravent tout uni en roseaux tressés » (chap.30). Commencée en hiver, la tétralogie se termine en plein été. Si blanche, si neuve, si pure, c’est pourtant la destinée de la neige de printemps de fondre au soleil, alimentant l’éternelle cascade dont aucune molécule n’est jamais la même, et qui va se perdre dans la mer de la fertilité – avant que l’évaporation ne fasse à nouveau naître la neige… Illusion d’existence stable, de moi constant, la cascade s’oppose à la neige, le flux à l’immobilité, le passage incessant du temps à l’être.

ange de paille

Mishima garde une lecture nihiliste du bouddhisme. Comme de la vie moderne : « L’ordre était-il protégé, toutes choses se déroulant selon un code de lois, sans qu’on put déceler nulle part la moindre trace d’amour ? (…) Le ‘facteur humain’ avait-il été soigneusement balayé ? » (chap.26). L’écrivain, en sa toute dernière œuvre (rendue à l’éditeur le matin de son suicide), lance un cri affectif, il hurle ce qu’il n’a pas eu enfant : affection et attention, insertion dans une famille et dans un groupe. Comme lui, Toru est orphelin, donc glacé, incapable de relations humaines normales. La neige fraîche devenue glace figée, l’inverse du nirvâna bouddhiste, idéal de fusion dans le flux d’énergie de l’univers. La dernière phrase du livre, de la tétralogie comme de l’œuvre entière de l’écrivain Mishima, est celle-ci : « Le plein soleil d’été s’épandait sur la paix du jardin ».

Ce pourquoi Mishima ne croit qu’à l’énergie, un instant incarnée dans un être jeune, en pleine passion et beauté. L’éternité éphémère qu’il cherche est celle du souvenir, de ces deux ou trois générations de la mémoire, incarnées ici en Honda. Ce pourquoi lui, Kimitake Hiraoka né en hiver un 14 janvier, voudra mourir en Yukio Mishima à 45 ans en automne, un 25 novembre. Sinon en héros, du moins en symbole pour le Japon, s’éventrant au sabre court avant de se faire décapiter par un compagnon selon la tradition. Comme un guerrier samouraï, même si ce geste spectacle est dérisoire dans la société industrielle en plein essor de 1970.

La lecture de la tétralogie achevée, je la trouve un peu décevante, baroque, bariolée, ressassant les fantasmes mille fois écrits de l’auteur. Il avait probablement conscience de tourner en rond et de quitter son public, d’où ses éclats publicitaires des dernières années. Neige de printemps est le plus séduisant des quatre tomes, Le temple de l’aube le plus lourd. Mais il faut dire que la traduction depuis l’anglais n’arrange rien de la fluidité du texte comme de sa compréhension ! Les approximations, les faux synonymes, les anglicismes, les virgules mal placées abondent. Pourquoi qualifier une chaîne à médaille, au cou de Toru, de « collier » ? Pourquoi la procédure d’empêchement juridique de Honda vise-t-elle à le dire « inhabile », alors qu’inapte serait médicalement plus juste et surtout incapable est le seul mot juridiquement correct ? Pourquoi parler de « l’impossibilité » plutôt que de l’impossible ?

Il manque une vraie bonne traduction directement du japonais de l’œuvre de Yukio Mishima.

Yukio Mishima, L’ange en décomposition, 1970, Gallimard Folio 1992, 288 pages, €5.89

Yukio Mishima, La mer de la fertilité (Neige de printemps – Chevaux échappés – Le temple de l’aube – L’ange en décomposition), Quarto Gallimard 2004, 1204 pages, €27.55

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Peter Robinson, Saison sèche

1999 Peter Robinson Saison seche

Un été de grande sécheresse, l’un des trois lacs réservoirs du Yorkshire découvre le village enseveli depuis 1953. Un jeune garçon aventureux l’explore, cherchant le Talisman de son monde magique. Il grimpe sur un appentis au toit de schiste encore debout et puis… Voilà que le thriller commence.

Cela fait 7 ans que l’inspecteur divisionnaire Banks est en poste à Eastvale. Sept ans de bonheur. Mais l’auteur se doit d’expliquer pourquoi un enquêteur si talentueux stagne au même poste dans une campagne perdue. Il fait donc s’abattre sur le pauvre inspecteur une série de revers qui permettra à son inventeur de le garder en place…

Le Chef du poste a changé, l’amical Grinsthorpe a cédé la place à l’ambitieux Riddle. Banks a mouché l’incompétent lors d’une précédente enquête. Est-elle publiée en français ? Le côté dilettante de l’édition française pique ici ou là dans une œuvre, sans voir que le roman policier anglais fonctionne par série : le jeune policier s’affirme et devient inspecteur, le lecteur voit ses enfants grandir. C’est ce qui fait le charme des Grands Détectives 10/18 – mais Christian Bourgois a su donner à cette collection de vrais directeurs, pas une série d’amateurs comme Albin Michel.

Le gamin aventureux du village englouti sent le toit s’écrouler sous lui. Il s’effondre dans la fange, corps et bras plongés dans la boue visqueuse. Deux dalles de schiste qui glissent l’évitent de peu. Le cœur affolé d’y avoir échappé, le garçon s’extirpe de la terre, ses doigts agrippent quelque chose. Il s’agit d’une main humaine toute racornie !

gamin torse nu ete

Banks a été relégué depuis des mois à la paperasserie pour avoir embarrassé son chef direct. Sa femme Sandra l’a quitté après 20 ans de mariage. Ses enfants sont grands, son fils Bryan réussit à peine son diplôme pour se lancer dans la musique. Banks a dû déménager, il a trouvé à se réfugier dans une fermette du 18ème siècle à restaurer, à l’écart d’un village. Il vit en ours, se soûle la gueule et fume trop, ses amis l’abandonnent. Mais c’est lorsque le haineux Riddle lui confie l’enquête sur ce mort depuis 1953 au moins, qu’il se requinque.

Plongée dans les profondeurs – tout le roman est dans le symbole. Profondeurs du village englouti, où il se passait de drôles de choses sous les apparences ; profondeurs de l’histoire entre 1940 et 1945 où Britanniques et Américains, mobilisés pour la même cause, fraternisaient à coup de whisky, de musique et de queue (dans cet ordre) ; profondeurs d’imagination d’un garçon de 13 ans qui fouille la réalité à la recherche du Mythe, sans bien faire la distinction entre les deux en cette ère vidéo ; profondeurs psychologiques d’Alan Banks, déstabilisé par son divorce, ses enfants émancipés et par sa carrière qui a pris de l’eau ; profondeurs d’Annie Cabot, major relégué dans un bled, ex-fille de hippies, yogi et végétarienne ; profondeurs de Jenny Fuller, psychologue amie de Banks, partie vivre le grand amour et enseigner en Californie, où son amant l’a délaissée pour des « pétasses blondasses » de 20 ans plus jeunes…

Nous avons donc un cadavre, une enquête qui frise la recherche historique, un auteur de romans policiers comme témoin et l’histoire personnelle de Banks comme support. Le tout se noue et se dénoue non sans rebondissements ! Le squelette trouvera son nom, l’assassin sera identifié et puni, ce qui permettra à l’auteur de dire toute l’horreur qu’il pense de certaines peines. Peter Robinson, auteur d’une vingtaine de thrillers, sait se renouveler.

A vous donner envie d’aller passer l’été dans le Yorkshire pour se pénétrer des paysages tourmentés et des gens compliqués, taiseux de nature.

Peter Robinson, Saison sèche (In a dry season), 1999, Livre de Poche 2006, 544 pages, €6.75

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Pavlik et Natacha Schagall, A la nuit succède le jour

pavlik et natacha schagall a la nuit succede le jour

Mémoires croisées de deux Russes Blancs nés en 1897, rencontrés au front et mariés dans la foulée, avant de s’exiler en France via la Bulgarie en 1925. Ce livre de souvenirs, pieusement recueillis, traduits en français et en allemand et édités par leurs filles Irène et Tatiana, est destiné à l’édification des petits-enfants et arrière petits-enfants, Français depuis deux générations. Les éditions Atlantica en avaient édité une première version française en 2007, il s’agit ici d’une seconde édition.

Pavlik est né dans une bonne famille de Saint-Pétersbourg avec trois enfants. Son grand-père avait été serf avant de s’enfuir à la ville, où est devenu entrepreneur en construction. Natacha est née la même année dans la même ville, dans une famille de huit enfants originaire de vieille noblesse et au père officier. Tous deux ne se connaissent pas mais vivent une enfance heureuse, se souvenant des Noël glacials russes tout illuminés de bougies, de nourriture et de cadeaux, du printemps explosif qui donne envie de vivre, dans le nord russe, et des vacances d’été à la datcha de campagne où explorer la forêt, nager, et faire les foins avec les paysans.

Tout ce monde d’avant, immobile depuis des siècles, s’est écroulé de l’intérieur. Le tsar incapable et ses ministres comploteurs, le voyant Raspoutine et la guerre contre l’Allemagne, les soldats abandonnés faute de munitions et le peuple qui gronde de l’écart entre une élite corrompue vautrée dans les ors et la misère à la base. Lénine en profite pour faire son coup de main avant son coup d’État. Les grands mots de l’idéal se résolvent vite en grands maux pour la société. La racaille avinée se sert, à titre de revanche, et plus personne ne produit plus. Tout ce qui tenait la société s’écroule. Sauf le Parti, qui saura tout noyauter, voyant dans tout tiède un opposant comploteur.

Pris dans cette tourmente, sans idées politiques, Pavlik devenu capitaine au front, est chargé de l’instruction du premier bataillon féminin de volontaires, créé de femmes venues de toute la Russie et de tous âges entre 17 et 50 ans pour faire honte aux soldats déserteurs et à l’anarchie de fin de règne. C’est là que, dans l’honneur et le devoir, Pavlik rencontre Natacha. Ils fuiront ensemble, maladroitement et sans but, avant de s’exiler de façon définitive. Leur Russie a disparu à jamais.

C’est une belle histoire d’amour, récit croisés de souvenirs intimes écrits à deux mains, unies pour le meilleur comme pour le pire. Je me demande cependant ce qu’est devenu le petit Nikolaï, frère cadet de Pavlik de 13 ans plus jeune, abandonné à 11 ans à Sébastopol. A-t-il vécu jusqu’à l’âge adulte avec sa sœur Maroussia, mariée de fraîche date et qui disparaîtra dans les camps staliniens des années plus tard ?

C’est une vérité édifiante sur les soubresauts de l’histoire, comment un grand pays s’est brutalement effondré sur lui-même en quelques mois. Tsar faible, noblesse obnubilée par un mage fou, conduite de la guerre laissée sans organisation.

C’est une leçon sociale, combien le ressentiment attisé par les politicards idéologues pour accaparer le pouvoir à leur seul profit rejette de larges pans de la population, pas hostiles à l’origine. Craignez les Che Guevara, Chavez, Grillo et autres Mélenchon ! Leur baratin manipulateur engendre la haine, la jalousie, la violence, et tous ces sentiments bas du tréfonds.

C’est un exemple réussi de résilience, comment un officier valeureux et respecté se mue en entrepreneur du bâtiment en Bulgarie, avant de refaire une nouvelle fois sa vie en France avec sa femme, sous-officier du tsar puis institutrice de maternelle après des études d’agronomie.

Pavlik et Natacha Schagall, A la nuit succède le jour, 2012, éditions Baudelaire, 250 pages, €18.53

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Claire Arnot, Retour à Piazza Clai

Article repris sur le site PublishRoom.

L’enfance est éternelle en chacun. Ou plutôt les premiers souvenirs restent une source féconde toute la vie durant. Claire Arnot est française, mais elle a choisi de vivre en Ombrie, Italie centrale, depuis les années 1990. Elle fait revivre dans ce bref récit bilingue la vie de Luca Fioravanti, reporter-photographe de petite ville de Terni. Le texte est illustré de photos sépia ou noir et blanc de Luca et d’habitants locaux.

« Luca Fioravanti, vous êtes donc né à Terni ? — Oui, ici Piazza Clai, au numéro 9. La maison d’en face. » Les enfants grouillent dans les rues après guerre, les artisans travaillent directement devant les gens. Ses parents, venus des Abruzzes, habitent un temps chez Gina la gattara, la folle aux chats qui avait perdu ses quatre enfants le pire jour des bombardements le 11 août 43. Terni était l’un des points stratégiques à cause de ses aciéries et industries d’armement. Luca est né en 1950 d’un manœuvre et d’une couturière. Son père mourra à 34 d’une chute d’un toit, le laissant orphelin à dix ans.

C’est ainsi que naît un journaliste… « Il a toujours dévoré des yeux. Complexé par sa petite taille, surprotégé par une mère qui n’avait plus que lui au monde, il n’a jamais eu l’âme d’un chef de bande. Il courait peu, jouait mal au ballon, restait prudemment dans la moyenne à l’école et passait plutôt son temps libre à bader Piazza Clai qu’à draguer les filles. » Il a reçu son premier appareil photo a 12 ans, second d’un concours de déguisement où il s’est exhibé en diable. Il le laissera sur l’étagère jusqu’au moment où, mandaté pour effectuer le reportage du char présenté à la fête par son lycée, il mitraille… les jeunes filles qui passent, notamment une brunette qui s’appelait Sara. Coup de foudre ; il lui restera l’art du portrait. Mais pas seulement.

Ces photos prises à la sauvette lui permettent de revoir Sara, d’obtenir un rendez-vous, de se faire apprécier. Ils font l’amour en mai 68 dans les sous-sols de la librairie du père de la jeune fille – il a tout juste 18 ans. « Elle me fit découvrir Marx, Lénine, les poésies révolutionnaires de la Beat génération puis Sartre et Beauvoir. Elle était sensible au mouvement de Potere operaio (pouvoir ouvrier) ». C’est elle qui lui montre l’annonce : le concours de photo amateur du quotidien il Messagero di Roma sur le thème « évoquer l’été ». Et il obtient le premier prix pour une photo d’homme-sandwich se reposant torse nu devant la fontaine alors qu’un agent de police s’approche de lui !

« Le 1er septembre il entre comme stagiaire au Messagero di Roma pour un mois [c’était le prix du concours] : il y restera trente ans ! Et Sara ? — On ne se fréquentait pratiquement plus. Elle avait sa vie, j’avais la mienne. (…) Le travail de photographe était tellement exaltant que je m’y jetai la tête la première ; j’appris sur le tas. » Il reverra Sara épisodiquement, la dernière fois en 1973. Les années de plomb ont suivi en Italie le mouvement de mai 68 sans s’éteindre jusque vers 1977 ; Sara a fait sauter un commissariat, elle qui l’a dépucelé « pour sa douceur » est devenue terroriste… Elle finira d’un cancer en prison.

Mais elle ne laisse pas seulement un photographe… Je ne veux pas déflorer cette belle histoire et je vous laisse sur votre faim. Ce petit opus d’une vie somme toute banale est tout irradiée du final, page 55 du texte en français. Une bien belle réussite à déguster sur tablette.

Claire Arnot, Retour à Piazza Clai, octobre 2012, édition Le texte vivanthttp://www.letextevivant.fr Paris, 114 pages dont 58 pages en français, format Kindle, fichier 1645 KB, €6.99

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Ile de Batz

Article repris par Medium4You.

Enez vaz en breton est à prononcer ‘île de ba’ en français et signifie l’île basse. Elle s’étale sur l’horizon à peu de distance de Roscoff, d’où partent les navettes. Comme 2000 touristes chaque jour de l’été et pour 8€ aller et retour, vous pouvez passer en 15 minutes la journée sur l’île de 3.5 km de long sur 1.5 km de large.

Un sentier côtier en fait le tour complet sur 12 km. Certains chemins sont ouverts aux vélos, d’autres réservés aux pieds.

Nous avons fait tout cela, loué des vélos dès le débarcadère,

visité l’église du bourg, déambulé dans les ruelles,

pique-niqué au calvaire surplombant Pors Leien,

nagé dans une baie ensablée,

arpenté à pied les rochers déchiquetés, grimpé au phare, exploré le jardin colonial Georges Delaselle… C’est qu’il faut les occuper, les petits et les plus grands, sous le soleil.

La partie sud de l’île est la plus intéressante. Outre que la mer y est plus chaude pour les baigneurs (les gamins adorent ça), c’est là que se trouve le débarcadère des navettes, le bourg et son église, puis les différentes cales et pors (petits ports abrités).

A l’ouest la maison du Corsaire, corps de garde construit en 1711 pour surveiller l’abord de Roscoff. Balibar, corsaire révolutionnaire, l’a utilisé pour la défense de l’île. Ce ne sont plus que ruines interdites aujourd’hui pour cause d’écroulements possibles malgré les ronces. Tenez en laisse chiens et enfants ! Surveillez vos ados ! Il n’y a pas de trésor et nous ne sommes pas au Club des Cinq.

Juste au nord, face au large, la mer bouillonne même par beau temps. Des rochers traîtres font de la dentelle des vagues qui viennent. On dit que saint Pol-Aurélien, moine gallois débarqué ici en 553, jeta de son étole le dragon qui hantait les lieux. Le Trou du Serpent est à voir les jours de tempête : le Diable y fait ses griffes, projetant très haut les embruns dans sa rage de ne pouvoir reprendre pied sur l’île protégée du saint…

C’est dans l’église du bourg, dédiée à la Vierge sous le nom de Notre-Dame du Bon Secours, qu’est protégée son étole, monument historique depuis plus d’un siècle. Il s’agit d’une soie orientale du 8ème siècle (deux siècles après l’arrivée du saint, mais nous sommes dans la légende). Un os de saint Pol est aussi conservé en reliquaire. L’église elle-même a été reconstruite en 1874 et ses vitraux datent de 1895.

Seule une statue de Notre-Dame de Penity a quelque ancienneté, en pierre polychrome du 15ème. Lui fait face, de part et d’autre de l’autel, une statue de saint Pol-Aurélien en bois peint du 18ème. La Bretagne est restée pauvre longtemps, vivant de pêche et de céréales ; ce ne sont que dans les villes du commerce que la richesse a pu venir. Les tenants de la « décroissance » devraient y penser au lieu de jouer les Marie-Antoinette mignotant des agneaux ornés de rubans roses.

La côte nord est sauvage, domaine de la lande, des oiseaux de mer qui y nichent et des grèves de sable ; il y a peu de baigneurs et l’eau y est plus froide malgré les 800 m de sable fin de Grève blanche.

Dans les creux du sol sont cultivés les primeurs qui font la réputation aujourd’hui des quelques 507 habitants à demeure – une école, un collège, des commerces. La pomme de terre de l’île de Batz a la chair ferme, les carottes de sable sont de haut goût et les artichauts y poussent dans les embruns. Une quinzaine d’exploitations bios cultivent encore 170 hectares protégés du gel et enrichis d’algues ramassées sur les grèves alentour. Cinq bateaux goémoniers récoltent les laminaires autour de l’île.

Malgré ses 198 marches et sa côte pour y accéder, d’où que vous y veniez, je vous conseille de monter au phare pour 2.20€. Construit en 1836 de granit de l’île, il surplombe Enez vaz de 44 mètres, permettant une vue aérienne unique sur le bourg, le large et les cultures.

Les kids y grimpent comme des chèvres mais se trouvent fort dépourvus, tout en haut, par le vide très aéré qui leur explose le bas-ventre malgré les rambardes de sécurité. Certes, il fait plus frais qu’en bas, mais c’est un vertige salutaire qui les ramène près de vous, passablement frileux.

L’extrémité sud-est de l’île recèle un trésor : le jardin colonial Georges Delaselle. Je vous en parlerai dans une autre note. Même les enfants l’aiment, c’est dire !

En savoir plus :

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Les interrogations de l’été

Sur un mois, WordPress fournit des indicateurs statistiques de ce qui est recherché par les lecteurs du blog. Attendez-vous à des surprises !

Ce ne sont que nudité, filles et seins à tous les étages. La Polynésie fait rêver parce que les filles vont nues (selon la mythologie), le sexe intrigue parce que ce sont les ados qui consultent le plus les blogs pour y chercher des images. La nature n’est là que pour le nu, l’état de nature où le naturel revient au galop.

Certes, me direz-vous, mais il y a les livres, l’amour, l’imagination, et même la liberté. Certes, répondrai-je, mais les livres sont illustrés sur ce blogs de photos à poil, l’amour est un mot-clé des images, femme et liberté appellent au paradis de nature.

Reste l’imagination. Et là, peut-être…

Nous verrons bien à la rentrée. L’été est fait pour se défouler et jouir en liberté.

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Île Callot

Déchiquetée par les flux et reflux des marées entrant et sortant deux fois le jour du ria de la Penzé et de la rade de Morlaix, l’île Callot prolonge la pointe de Carantec vers la Manche. Le granit rose de son socle ancien a été grignoté par la mer et se dépose en dunes que fixent les ajoncs. Cette terre assiégée par l’eau serpente sur trois kilomètres de long et seulement de 15 m à 300 m de large, laissant ça et là des îlots de résistance plus dure tels ces rochers des Bizeyer, les Grandes Fourches, l’île Blanche, le Cerf et ces Ru Lann qui ponctuent le passage à gué piétonnier sur banc de sable.

Callot est une demi-île. La mer se retire deux fois par 24h, laissant piétons et véhicules accéder à ses 17 plages. Le jusant emporte avec lui la solitude les îliens et permet les échanges comme l’invasion. Aujourd’hui, le passage est de 11h30 à 16h10. Neuf familles y vivent à demeure, par tradition. Des résidences secondaires s’y sont installées, saisonnières. L’été, la population îlienne est multipliée par cent lorsque la marée le permet. Drôle d’île que ce semi-isolement ! L’on n’y exploite plus guère le granit, dont le solide rose a pourtant construit les demeures de Morlaix. La pêche n’est plus qu’un loisir, surtout le ramassage de coquilles par les estivants qui, bien que férus de « bio » pour la plupart, ne savent pas ce qu’ils mangent en prenant ce qui vient : l’élevage de saumons du plateau des Duons, un mille au large, produit les déchets de 600 tonnes d’animaux vigoureux venus de Norvège. Ils sont apportés par la marée et mollusques comme crustacés s’en nourrissent avidement. Mais, nous le savons, la vogue du « bio » n’est qu’une croyance de plus, la foi submergeant largement la raison. L’île conserve quelques champs où poussent des artichauts, des pommes de terre et quelques céréales. Des pâturages servent de temps à autre aux moutons, autrefois plus nombreux, comme le rappelle le « passage aux moutons » qui relie Callot à Carantec. Aujourd’hui, les animaux laineux dont l’intelligence a été vantée par Rabelais, sont remplacés par les touristes, tout aussi blancs, tout aussi Panurge, tout aussi à tondre lorsque la saison est venue.

Mais les habitants ne sont pas de cette eau. Ils préfèrent habiter leurs maisons ramassées sous les rochers, aux toits arrondis comme des coques de bateau renversées, orientés pour offrir la moindre prise aux vents dominants. Les murs de granit offrent leur abri et leur chaleur accumulée la journée aux quelques hortensias qui poussent bleu ou rose selon les minéraux du sol. Le mouvement incessant de l’eau, ce roc à peine semé de terre arable, cette platitude arasée par le vent et la mer, incitent à la contemplation. Tout bouge, tout est éternel. La nature est l’indifférence même à ce qui vit en son sein. Elle est profuse et ce qui meurt laisse la place à ce qui vient.

De l’eau jusqu’à l’horizon, le ciel immense parfois clair, parfois peuplé de noires chevauchées venues du large – comment, dès lors, ne pas se tourner vers l’au-delà des Mystères ? L’Ankou, les Korrigans, les anciens dieux celtiques mènent leur sabbat plus dans les esprits aujourd’hui que dans les chaumières. L’école, construite en 1936, n’abrite plus suffisamment d’élèves pour subsister, même si certains passaient le gué pour y venir jusqu’à la fin des années 70. Le lieu expose désormais durant l’été les œuvres callotines et carantécoises des jours sombres : des aquarelles, des poèmes, des sacs en tissus fleuris, des sculptures… Foi laïque des œuvres qui subsistent après la disparition du créateur.

Sur le plus haut sommet de l’île – 22 m par rapport au niveau moyen des mers – se dresse bien-sûr la chapelle. Car Dieu est une tentation en ces contrées presque vides où les éléments manifestent leur puissance. Contre la jungle du marché où les puissants sont la vague, la marée et le vent, la protection de Dieu ou de l’Etat est désirée, revendiquée et affirmée avec force. Où l’on retrouve ces liens anciens entre catholicisme et étatisme, si typiquement marqués en France.

Les habitants de l’île sont appelés « Calottins ». Leurs ancêtres bretons ont repris l’endroit aux Danois qui, vers l’an 500, avaient fait de cette pointe un repaire où stocker leurs pillages. Le chef celte Rivallon Murmaczon a prié la Vierge Sainte pour qu’il lui accorde la victoire sur ces Vikings païens. Ce qui fut fait. « Aide-toi, le ciel t’aidera ». Rivallon, en action de grâce, a élevé sur l’emplacement de la tente du chef viking Korsolde une chapelle, inaugurée en 513 après JC (l’ancien, pas Jacques Chirac, je dis ça pour les jeunes branchés sur l’Internet toute la journée).

Cette victoire et son symbole étaient encore salués au canon par les corsaires de Morlaix lorsqu’ils couraient sus à l’Anglois au 17ème siècle. Une élégante tour clocher a été érigée en 1672, comprenant une baie double de cloches, ajourée contre la force des vents et pour que porte mieux le son. Des bourdons neufs y ont été placés en 1996 (l’An Un de JC nouvelle formule, Jacques Chirac cette fois, je dis ça etc…). Signe des temps, un angélus automatique a aussi été monté. A quand la cérémonie minute par SMS ou par application iPhone ?

La Révolution, par son collectivisme communautaire, a transformé la chapelle en caserne – glorification de son propre dieu, l’Universel Français parisien. La restauration commence avant la Restauration, dès le Concordat napoléonien qui bâtit un État pacifié sous le règne duquel nous sommes toujours. 1914 voit l’endroit protégé comme Monument Historique. En 1950, après Occupation et faits de Résistance, une croix monolithe (autrefois appelée « menhir » dans la langue préhistorique) est érigée devant l’église. Face à la « baie de Paradis », vers le soleil couchant, au-delà de laquelle se dressent les flèches des clochers de Saint-Pol de Léon.

Nous avons été parmi ces touristes venus à pied explorer cette fin de terre et nous ouvrir au large et à l’ailleurs. Landes de fougères, rochers et amers peints en blancs pour le point des marins d’avant GPS, plages de sable comme la belle abritée Trann ar Vilar face à Morlaix au loin et aux réserves d’oiseaux des îlots, maisons d’hier humbles devant les éléments et confortables naturellement, maisons d’aujourd’hui vaniteuses dans leur goût néo-breton (réinventé social-écolo 1970), église Notre-Dame de la Toute-Puissance restaurée, entretenue, aimée, où viennent se recueillir des gens qui parlent de l’histoire et des arts. Le peintre carantécois Loïz Laouénan a fait don d’une icône du Roi de Gloire.

Annaïg Le Berre a composé en peinture et tapisserie une descente de Croix dont elle a fait don à la veille du Millénium. La nature est omniprésente ici et les réactions des humains soulignées plus qu’ailleurs : apprivoisement du bain et du sable, prédation des coquilles (mais fleurs et plantes interdites de cueillette), souvenir des aquarelles et photos, recueillement religieux. C’est une vacance de l’âme. Et celle des corps, libres sous le soleil et dans le vent.

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Carantec

Article repris sur Ideoz-Voyages

Vers le bout de la Bretagne, droit vers l’Angleterre, coulent la rivière de Morlaix et la Penzé. La mer les a aidé à creuser chacune un aber que les géologues appellent ria. Il s’agit de la même chose, d’une vallée envahie par la mer, mais ‘aber’ est un mot celtique tandis que ‘ria’ vient de l’espagnol. Au milieu de ces deux avancées d’eau salée dans les terres est une pointe, prolongée d’une île basse. La pointe renferme Carantec, l’île s’appelle Callot. Il est nécessaire de prononcer Karanteg et Callote, selon le parler breton.

On dit que le site est « la plage » de Morlaix, à une quinzaine de kilomètres, où la jeunesse dorée vient justifier l’éclat de son épiderme dès les premiers beaux jours. On dit que c’est un hôtelier, Edmond Pouthier, qui a lancé la station auprès de la bourgeoisie fortunée dans les premières années du 20ème siècle. On dit, alors que la République Troisième venait à peine de naître, qu’on ne voyait paraît-il que panamas et ombrelles, vestes d’alpaga et robes à volants dans les hôtels chics de l’endroit. On dit que venaient là des peintres de l’école de Pont-Aven, des écrivains à la mode, des généraux célèbres, des théâtreux œuvrant à la Comédie Française. On dit aussi qu’on ne se refusait rien durant la « saison » à l’anglaise. Mais de toutes les constructions d’époque, il ne reste que vestiges. La mode passe, comme la saison, et les grands palaces comme les vastes demeures ne sont plus adaptées à notre temps.

Même l’église a été reconstruite en 1869 car elle menaçait ruine. L’abside a voulu reproduire les fenêtres de la Sainte Chapelle, en réduction bien sûr, avec la modestie qui sied aux Carantécois. Certaines des pierres sont venues de l’île Callot, menées chaque dimanche par les paysans. L’église occupe le sommet de la cité, comme il se doit dans un pays croyant. Il n’y a pas d’autre monument dans la ville sauf un petit musée Maritime et de la Résistance fort bien fait, non loin de l’église.

Autour d’elle virevoltent en S des rues et des ruelles qui descendent vers les grèves et le port. On ne compte pas moins de neuf plages autour de Carantec, orientées de l’ouest à l’est. Vous pouvez choisir chaque jour selon le vent. La Grande Grève est en face du camping et plutôt populaire, d’ailleurs excentrée dans la « banlieue » de la Penzé. La Grève du Port est plein ouest, très envasée, et n’intéresse guère que les gamins du cru. Grève Blanche, à l’extrémité nord, est « la » plage des Carantécois, face à l’île Callot dont la chaussée d’accès prend à une dizaine de mètres. C’était la plage en vogue au début du siècle, à la pointe extrême de la ville, sous les grands hôtels et face au large. La Grève de Pors-Pol la prolonge vers l’est, un peu plus rocheuse, trop près des bouées amarrant les esquifs. Une pointe rocheuse qui s’élève droit sur la mer sépare ces plages intimes des plages publiques. La Chaise du Curé, un gros rocher en forme de fauteuil entouré d’hortensias, permet une vue élevée de l’île Callot et de l’entrée en rade de Morlaix.

Les autres plages, où viennent mourir les maisons de vacances et où s’installent les cafés-restaurants de rigueur (avec parking), s’étalent vers l’est. Respectivement la plage du Kelenn avec ses marchands de glaces et sa base nautique, la plage du Penker près des bateaux privés mouillés, la plage du Cosmeur en bas des pins de la pointe, puis Tahiti. Peut-être l’a-t-on appelé ainsi parce que c’était aux antipodes – ou presque – du centre-ville ? Ou pour sa grève blonde surmontée des pins maritimes sur la falaise ? En tout cas les baigneurs ont du sable et une vue imprenable sur la forteresse Vauban locale, destinée à impressionner les corsaires anglais tentés par les richesses de Morlaix : le château du Taureau, ancré sur l’îlot rocheux juste en face. Des navettes partent du Kelenn à heures marée pour le visiter.

En redescendant vers le sud, passé la pointe de Pen al Lann, il suffit de traverser le jardin exotique Claude-Goude et quelques établissements d’huîtres pour accéder à la longue plage plein est dite du Clouët. A marée basse, il faut aller chercher l’eau loin et un bassin de ciment a été construit pour que s’y ébattent les enfants du centre aéré quelles que soient les marées, juste avant le golf privé, et sous l’œil attentif des moniteurs. Les petits ont leur bac à sable délimité de clôture et même une salle fermée pour les jours de pluie.

C’est qu’on ne bronze pas tous les jours en été, à Carantec ; il peut même y faire froid lorsque le noroît souffle sa bruine sous un ciel bas. Mais lorsque le soleil donne, les torse nus fleurissent, parfois même au cœur de la ville, surtout quand on n’a pas douze ans. Sandales, bob et short composent l’habillement de base des campings et des colos, sur lequel on brode en fonction de la météo : un simple coupe-vent à même la peau quand on ne sait pas trop ; une fourrure polaire quand on devine sans peine ; un tee-shirt pour aller aux boutiques ; une serviette de bain pour aller à la plage. Mais pas trop d’habits, on s’en encombre, on les perd, on se les fait chiper exprès ou par inadvertance, tel ce gamin qui m’a demandé sur une plage quasi déserte où était passé son tee-shirt qu’il avait laissé là bien avant que j’arrive…

Carantec, c’est une lumière : vive avec le vent, éclatante sous le soleil, fluorescente sous la bruine qui allume les hortensias bleu électrique ou rose tutu. C’est le soleil qui se couche sur les clochers de Saint-Pol, sur l’autre rive de la Penzé. C’est le crépuscule qui fait fondre les contours de l’île Callot, comme si elle larguait les amarres dans la nuit, s’effaçant dans l’obscurité avec la marée qui monte…

Carantec, l’été, ce sont les estivants : ils emplissent le marché du jeudi et emplettent poisson, homards, artichauts du pays, fraises parfumées et oignons roses tressés de Roscoff. Les parents expliquent aux enfants la différence entre langouste et homard, crabe et tourteau, coquille Saint-Jacques et pétoncles. Juliettes ou augustes (selon qu’ils viennent en juillet ou en août), ils emplissent les plages en groupes familiaux, se raidissant dans l’eau à 17° ou s’amusent à marée haute sur le plongeoir.

Carantec, c’est aussi, et toute l’année, les habitants : placides quel que soit le temps, heureux de voir du monde, occupés à pêcher, à commercer, à exercer. Ils ont leur quant à soi, leur façon de penser ; ils sont discrets, sauf lorsqu’on vient les régenter. Sous la Révolution, sous l’Occupation, alors ils résistent. Ils ont bien rénové le centre-ville, remplaçant le parking près de l’église par une placette pavée où s’ouvrent deux restaurants.

Je vous conseille l’un d’eux, ‘La Chaise du Curé’, malgré son décor un peu chargé et plutôt « souvenirs ». On y mange bien, avec des inventions coquettes et une addition de raison. Le croustillant de bar à la sauce crémeuse est goûteux à souhait. Le pressé de pomme et andouille, sous le craquant de brick, est fort inventif.

Carantec est un lieu où l’on aime à revenir.

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Paris en un jour

Nombreux sont les touristes ou les voyages scolaires qui viennent à Paris en coup de vent. Leur itinéraire logique suit la Seine, de Notre-Dame à la tour Eiffel. Paris est en effet une ville-centre grâce au fleuve. Il relie dans l’histoire les foires de champagne, les blés de Beauce et les vignobles bourguignons aux marchandises venues par mer depuis Le Havre et Rouen.

Il est aussi le fil symbolique de la tradition qui va de la spiritualité médiévale (Notre-Dame) à la modernité révolutionnaire (place de la Concorde), commerçante (Champs-Élysées) et industrielle (tour Eiffel), en passant par l’Etat et la culture (Louvre).

La tête de l’Etat a migré depuis les Romains de l’île de la cité vers le château du Louvre sur la rive droite, puis le palais de l’Élysée – toujours plus loin vers l’ouest. Le début de l’été est propice, les jours plus longs, le temps souvent beau sans être accablant, une brise rend cristalline l’atmosphère. Paris reste vivant tant que les vacances scolaires ne vident pas les Parisiens, les commerces sont ouverts.

Notre-Dame est la grande cathédrale, vaisseau de l’esprit sur l’île d’origine. Tous les élèves et les Japonais commencent ici. Le mieux est de commencer la visite par le pont de la Tournelle, qui permet de bien voir le chevet. Puis revenir par la rue Saint-Louis en l’île où trônent les boutiques, dont les fameuses glaces Berthillon.

Au centre du portail de Notre-Dame, au-dessus du Christ en majesté, Satan pèse les âmes, surveillé par saint Michel. Sur le parvis, au-dessus de l’ancien Paris qui se visite, des animations attirent plus les gamins que les vieilleries. Mais les rues tracées au sol montrent combien l’ancien Paris vivait à l’étroit, les boutiques n’ouvraient souvent que 4 m²… Dès que le soleil s’établit, le bronzage sur les quais est de rigueur. Cela sous la préfecture de Police bordée de cars de flics, quai des Orfèvres, rendu célèbre par le Maigret de Simenon.

Le Pont-Neuf marque la transition des îles avec le Louvre. Le ‘N’ qui figure sur ses piles n’est pas la marque de Nicolas Sarkozy, comme j’ai entendu un collégien l’affirmer à ses copains, peut-être après la propagande politique de son prof, mais celle de Napoléon 1er.

Il fit en effet aménager les grèves de sable en quais de pierre pour les bateaux de commerce, tel le quai des Grands-Augustins, juste à côté. Le pont date de 1607 et sa construction a duré 29 ans.

Henri IV l’a inauguré, sa statue trône au-dessus du square du Vert-Galant, ex-île aux Juifs. Le Vert-Galant, c’est lui, Henri IV, fort galant avec les dames et fort vert pour baiser plusieurs fois par jour, dit-on.

Une plaque rappelle que Jacques de Molay, grand Maître des Templiers y a été brûlé. Il a lancé sa malédiction à Philippe le Bel vers les fenêtres du Louvre en face, faisant débuter ainsi la dynastie des rois maudits.

Le Louvre est le palais des rois de France avant Versailles. Une passerelle le relie à l’Institut, siège de l’Académie Française (qui n’est pas un tombeau comme les Invalides malgré la coupole, comme j’ai entendu un autre gamin le répéter à ses copains).

La cour Carrée s’élève sur les fondations médiévales du château ; elles se visitent en sous-sol. Un passage voûté, où flûtistes et violonistes aiment à tester la belle sonorité du lieu, débouche sur le XXe siècle Mitterrand. La pyramide de verre attire toujours autant, telle une gemme futuriste parmi tant d’histoire. Les touristes adorent s’y faire prendre et leurs petits tremper leurs mains ou leurs pieds dans les bassins, et plus si grosses chaleurs.

Les statues des grands hommes veillent, Voltaire toujours caché d’un filet (pour cause d’islamiquement correct ou de « rénovation » qui dure depuis 7 ans ?). Racine vous regarde d’un air classique.

Louis XIV caracole un peu plus loin, donnant l’exemple aux gendarmes à cheval qui disent encore « l’Etat c’est moi ».

Il suffit de traverser la rue pour se retrouver parmi les buis du jardin à la française, au Carrousel. Les profondeurs de l’arc de triomphe recèlent un bas-relief de femme nue séduisante aux ados mâles (j’ai entendu un collégien détailler ses attraits à ses copains ébahis).

Dans les jardins batifolent les statues mafflues des femelles Maillol, tout comme les jeunes, en couples ou en amis, qui aiment à s’allonger plus ou moins déshabillés.

Les provinciaux gardent cette impression tenace que Paris est Babylone où les turpitudes sont possibles : la nudité, la drague éhontée, les filles faciles, les gays disponibles. Certains explorent les dessous des statues pour étudier le mode d’emploi d’une femelle métallique.

Les pubères restent sans voix devant Diane, si réaliste.

Comme devant les reliefs protubérants de Thésée ou du jeune Enée portant Anchise. Les ados s’y comparent volontiers, gonflant la poitrine et faisant des effets de muscles pour impressionner leurs copains d’abord, leurs copines potentielles ensuite. Parade de jeunes mâles qui s’essaient à grandir.

Certains veulent s’y comparer et ôtent leur tee-shirt avant de se faire rappeler à l’ordre par leur prof (« on est en sortie de classe, on n’est pas à la plage »), malgré les collégiennes qui trouvent ce puritanisme castrant.

A l’extrémité poussiéreuse des Tuileries se ferme un curieux monument contemporain en métal rouillé.

On y entre comme dans un con avant d’apercevoir le pénis égyptien qui marque le centre de la place de la Concorde (et pas la Bastille, comme un autre gamin le disait en toute naïveté). Ici a été guillotiné Louis XVI et, dans l’hôtel adjacent, a été négocié durant des mois le traité de Versailles où l’intransigeance franchouillarde a produit la guerre suivante.

En face, sur l’autre rive, l’Assemblée Nationale attire peu, on dirait une bourse du commerce assoupie dans une ville du centre. Les godillots intéressent moins les Français que les vrais chefs, si l’on en juge par l’écart d’abstention.

Reste à suivre les quais pour aborder le pont en l’honneur du tsar russe Alexandre III, où des putti des deux sexes se contorsionnent selon l’art pédophile de la fin XIXe (rires des collégiens, « hé, on dirait ton p’tit frère à poil ! – T’as vu, c’est ta sœur en nettement mieux ! »).

Dès le Grand Palais, s’ouvrent les Champs-Élysées. L’avenue n’est pas si grande que ça et les moins de 13 ans sont toujours déçus ; les autres sont plutôt alléchés par les affiches de film, les belles bagnoles, les disques Virgin et par le McDonald’s.

L’Arc de triomphe, au bout, n’est pas le tombeau de Napoléon 1er (comme le croyait Edgar Faure enfant) mais un monument à ses victoires. Sous son arche repose le soldat inconnu de la Grande Guerre, avec sa flamme perpétuelle. Il faut marcher vers la Seine pour terminer le périple par la tour Eiffel. S’il fait beau, monter au sommet vaut le détour : tout Paris s’étale à vos pieds, comme le Trocadéro.

Le visiteur d’un jour passera une heure à Notre-Dame et autour avant d’aller au Louvre. Il pourra y rester deux heures en choisissant de voir soit la Joconde et quelques peintures, soit le Louvre médiéval et le département des sculptures, soit l’aile égyptienne, soit une exposition temporaire. Ne pas tenter de « tout » voir, c’est impossible et lassant.

Ce sera l’heure de déjeuner. Un café-sandwichs existe dans le Louvre même, un restaurant plus chic sous les arcades, d’un bon rapport qualité/prix. Mais les fauchés peuvent aussi remonter l’avenue de l’Opéra pour trouver le Monoprix, trottoir de gauche, avec ses plats tout prêts, ou la boulangerie du pain Paul, juste à côté, aux sandwiches composés de pain délicieux. Une pause chez Verlet, rue Saint-Honoré, permettra de goûter plusieurs centaines de crus de cafés ! Le reste de l’après-midi sera consacré aux Tuileries, aux Champs-Élysées avec ses boutiques et ses cafés, avant de filer vers la tour Eiffel pour le coucher du soleil.

Vous n’aurez pas vu tout Paris, mais vous aurez vu le plus beau.

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Musée Rodin

Auguste Rodin est un grand sculpteur à cheval entre le XIXème et le XXème siècle. Reconnu, officiel, puissant, il n’est pas sans zones d’ombres, revers de son talent. Ses relations avec Camille Claudel, rendue folle, en sont l’un des aspects.

Rodin exalte le mâle, l’homme dominant, musclé, penseur, énergique. Il est bien de son siècle qui croyait tout possible, de Jules Verne à Karl Marx. Il est monumental, aimant la nudité expressive.

Le corps en tension dit l’énergie intérieure, la volonté de faire. Même la pensée ne peut naître que par la contraction du corps sur lui-même.

En 1908, Rodin découvre l’Hôtel Biron par l’entremise de Rainer Maria Rilke, époux de Clara Westhoff, une élève du maître. Cet hôtel particulier bâti en 1730 est sur le point d’être démoli lorsque le sculpteur décide de le louer à bas prix à l’administrateur chargé de la liquidation.

Pour faire sa publicité auprès des marchands et collectionneurs, il coule dans le jardin de trois hectares, retourné à l’état sauvage, quelques-uns de ses bronzes vigoureux.

Proche des Invalides au centre de Paris, nous pouvons en contempler aujourd’hui quelques exemplaires imposants : les Bourgeois de Calais, la Porte de l’enfer, le Penseur sur son piédestal élevé.

Même un Balzac inspiré en robe de chambre et dopé au café, campé fièrement. Beaucoup plus que le VIH – Victor-Marie, comte Hugo – dont le sculpteur n’a retenu que la tête léonine d’un grant’homme content de lui.

Plus  Héraclès archer et quelques femmes nues… Rodin aimait beaucoup les femmes nues : la nudité révèle les êtres.

Le musée est aujourd’hui un établissement public, l’hôtel Biron a été acheté par l’État en 1911. Il assure depuis 1919 la conservation de la collection, deux ans après la mort de l’auteur et selon sa volonté.

Sculptures, dessins, peintures et photographies sont de Rodin ou issues des collections personnelles de Rodin. Il n’y a pas la place pour tout exposer et des expositions sont organisées par roulement, ce pourquoi il faut aller régulièrement au musée.

L’intérieur de l’hôtel vient d’être restauré et ses jardins sont accueillants dès le printemps. Le vert des feuilles domine et donne une aura sensuelle aux bronzes, adoucissant leur aspect athlétique, surtout pour les femmes.

Le plein soleil de midi en été, ou la neige d’hiver, donnent de la dureté aux muscles et rend la chair implacable. Ce sont deux visions extrêmes qu’un visiteur curieux de sensations aimera expérimenter.

Le jardin surtout, par son calme et son étendue, est un paradis pour étudiants en dessin. Camille m’a offert de présenter quelques-unes de ses œuvres ici, et je l’en remercie.

Dessins de Camille de La Comble © droits réservés

Photos Argoul mai 2012

Le site officiel 

Les dessins de Rodin, exposition 2012 sur Argoul.com

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Paris sur Seine

L’été n’est pas fini et la capitale offre ses jeux à qui les veut. L’incontournable pyramide de verre au Louvre offre surtout son bassin d’eau fraîche durant les grosses chaleurs. Les kids s’y éclaboussent à l’envi.

Les jardins font mal aux yeux par leur herbe rare et leur gravier éblouissant, mais les policiers à cheval surveillent tous les comportements suspects.

Dans un bassin confidentiel, les bateaux à voile des gamins vont d’un bord à l’autre selon la brise. Le bassin du Luxembourg, plus grand, plus chic, plus 6ème arrondissement, est mieux connu, mais les Tuileries sont plus intimes.

Au Luxembourg, le basket fait rage car les éphèbes multiculturels peuvent s’exhiber torse nu sans craindre le regard réprobateur des gardiens et des mémères. Surtout si les enfants regardent.

Sur le pont des Arts règne la mode des cadenas, venue du monde anglo-saxon. Mode imbécile, comme tout engouement de foule qui reproduit sans savoir. L’étalage des liens inamovibles (on a perdu la clé) est clinquant et plutôt pathétique : tous ces Armelle & Colin qui vont se séparer dans quelques mois ou se déchirer dans une année…

Mais c’est la mode et tout branché se doit d’offrir son cul aux observateurs amusés pour contempler ce grand « art » à la Jacques Lang.

Reste de branchitude, les bouquinistes. Ils sont plus chers qu’ailleurs et offrent moins de choix que les librairies spécialisées sur Internet mais ils font partie de la vie des quais. Surtout quand Notre-Dame offre sa caution en ligne de mire.

Sur les marches des quais, les amoureux s’en moquent. Le monde peut bien s’écrouler, ils font monde à part dans leur bulle. Ils n’hésitent pas à se regrouper pour bien le montrer.

Grand-mère arpente, elle, le pavé pour montrer au petit-fils la « grande école » dans laquelle il doit entrer cette semaine. A six ans.

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Juste avant la rentrée

Paris revit après les vacances d’été. Les touristes se font plus rares, les provinciaux surtout qui finissent leurs congés à la capitale pour donner un peu de culture aux enfants.

Les Parisiens revenus, ils attendent la rentrée. Si l’on voit peu les ados, entre eux chez les uns ou les autres ou dans les clubs de tennis, les enfants en primaire et les éphèbes en lycée ressortent dans les rues et les parcs.

Ils jouent, ils lisent, ils se roulent dans les parcs avec leur cousine ou leur petite copine.

Ils donnent aussi à manger aux oiseaux. Cette façon de faire est désormais à la mode. Ce ne sont plus les vieilles dames ni les clochards célestes qui pensent aux êtres ailés, mais les enfants. Les profs insistent tellement sur la planète, les petites bêtes et l’harmonie avec la Nature que les voilà tourneboulés.

Mais que les piafs ébouriffés viennent leur manger dans la main – et pas du pain, de la brioche ! – cela les conforte dans l’idée qu’ils sont au sommet de la création, maîtres du monde selon le plan divin, paternalistes avec les animaux.

Il y aurait plutôt à penser le monde contemporain et à protéger les espèces en voie de disparition, mais… Justement, les petits blonds sont en régression et le photographe doit arpenter des kilomètres pour en découvrir un vrai.

La mode est plutôt au tee-shirt à col tunisien pour le melting pot multiculturel.

Les filles à longs cheveux s’instruisent dans Cosmopolitan.

Vêtues légèrement et poitrine bien moulée. La rentrée va engoncer tout ce petit monde dans les moules de la convenance et des règlements. Faites profiter vos yeux, la jeunesse n’est jamais si belle que juste après l’été !

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