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Fin du monde contre fin du mois

Cette expression frappante d’un gilet jaune colza résume à merveille le grand écart entre les inclus et les exclus, les bobos urbains et les smicards ou érémistes périurbains ou provinciaux. L’écologie – française, parisienne, intello – révèle la lutte des classes.

Dès lors, pas de consensus sur la planète. D’un côté ceux qui ont les moyens d’avoir le temps ; de l’autre les pauvres qui n’ont pour échéance que la fin du mois.

C’est en principe au Politique d’opérer la synthèse entre le court et le long terme, de définir les étapes et les efforts, d’expliquer aux uns et aux autres les enjeux communs malgré leurs intérêts particuliers divergents.

Hollande, brimé par l’économie sur le court-terme (pour avoir massivement augmenté des impôts), s’est lancé dans la « grande cause » de la COP 21. De grandes idées et de grands mots – qui ont accouchés de petites décisions, vite remises en cause par le populiste en chef d’outre-Atlantique.

Macron a bridé Hulot, qui s’est démis. C’est que gouverner n’est pas célébrer, la politique n’est pas une cléricature ni le gouvernement une grand messe. L’écologie est une chose trop sérieuse pour la laisser aux écologistes, surtout français, surtout parisiens, surtout intellos.

La base se rebiffe car, s’il faut décider, donc choisir, la facilité de taxer une fois de plus est une fois de trop. Où vont les sous ? Ce serait démocratique de le dire, que le Parlement le contrôle, que la Cour des comptes ponde des rapports qui ne servent pas à s’asseoir dessus.

La boussole politique doit être l’intérêt général et le sens des étapes : on ne change pas la société par décret, ni un parc automobile et des habitudes de travail et de vie d’ici 2022. Hulot avait du culot de pousser à aller toujours plus vite. Enfiler des taxes à sec fait mal et le populo se rebiffe. Il veut bien reconnaître que la médication est pour sa santé à long terme, mais en attendant ? Il lui faut aussi manger, travailler et vivre.

Le gouvernement infléchit son intransigeance et surtout son budget – avec raison. Car seul le raisonnable peut convaincre, pas la trique fiscale  (dite « incitative » – comme si un suppositoire pouvait l’être !), ni l’émotion de foule portée à tous les excès de l’instant.

Pour agir en raison, il faut convaincre. Et pour cela s’appuyer sur les relais naturels et indispensables que sont les corps intermédiaires, à commencer par les maires des communes. Auxquels il faut ajouter les parlementaires à condition qu’ils fassent leur métier qui est de voter le budget, de mûrir les lois et de contrôler l’Exécutif (pas sûr que cela se passe correctement). Mais aussi les syndicats, qui reflètent le monde du travail et la base, en dépit de leurs œillères idéologiques ou trop intéressées par les intérêts de leurs diverses corporations. Et les associations, plus informelles, les experts, les universitaires, les médias.

Le tort du président est de les ignorer superbement. On ne gouverne pas tout seul, même en France, pays de « L’Etat c’est moi ». Emmanuel Macron est probablement plus impatient et pressé qu’imbu de sa personne mais, en un an et demi, le mal est fait : son image s’en ressent.

La fin du monde est théorique, le Club de Rome l’avait déjà prévue imminente en 1972, après saint Jean qui nous voyait mal passer l’an mille. Le pic du pétrole est annoncé pour demain depuis deux décennies, alors que les découvertes se multiplient et que le pétrole de schiste n’était pas vu. Il est probablement nécessaire de remplacer les énergies fossiles par des énergies durables, mais substituer l’électricité au carburant issu du pétrole consomme inévitablement du nucléaire sur le court et le moyen terme. Sans parler des métaux rares pour les piles.

L’intelligence serait l’adaptation : remplacer par exemple progressivement une partie du diesel issu du pétrole par du « diesel vert » issu des végétaux, dont le colza. Le biogazole existe, permettant (après adaptation) de rouler avec ses voitures en cours d’usage, le temps de la transition. Mais qui le prône ? Qui l’encourage ? Qui le développe ?

Non, mieux vaut « taxer » pour inciter, et punir pour dresser les mentalités. Pauvre écologie politique…

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Histoire de fin de mois

C’était dans ces derniers jours de juillet où le soleil, qui dardait depuis quelque temps, laissait apprécier l’atmosphère climatisée des hypermarchés. Ces hangars voués au commerce, qui remplacent les bons vieux marchés ouverts dans les villes moyennes, sont d’habitude l’occasion de côtoyer diverses populations. Ils attirent par leur abondance et clignent de l’œil aux clients tant par leurs bas prix que par la complaisance avec laquelle ils flattent les modes audiovisuelles. Le rayon librairie offre ainsi du « marc lévy » et du « j-m cavada » au mètre linéaire, alors que l’on peut toujours y chercher Marcel Proust ou même Elisabeth George. Il suffit de coller un bandeau « vu à la télé » pour faire d’un auteur une marque à débiter en carrés comme du jambon prétranché sous blister.

Mais l’on y trouve aussi tout l’équipement de la maison, les vêtements et l’alimentation. Tout est dans tout, mais pas réciproquement : encore faut-il en avoir les moyens, même modestes… Et c’est à cet instant que débute l’histoire.

Une fois bien parcourues les allées d’abondance, supputé la qualité de ci ou l’avantage de ça, chacun se retrouve à la caisse derrière son chariot. Une fois opéré le rituel du tapis roulant, vient le moment de payer. Et les fins de mois ne sont pas des plus propices pour les budgets serrés, surtout en été où ces damnés mois de juillet et d’août se succèdent en comptant un nombre de jours au maximum. C’est ainsi que la caisse peut se trouver bloquée un moment, le temps d’extirper la fameuse « seconde pièce d’identité » pour tout paiement par chèque, ou pour frotter sa carte bancaire qui s’obstine à ne pas vouloir passer.

gamin en ete supermarche

J’étais ainsi dans la queue avec deux caddies avant moi : un homme d’âge mûr, discret et observant les alentours durant l’attente, et toute une tribu au passage en caisse. Il y avait là la mère, une matrone fatiguée et ses quatre marmots d’environ 8, 7, 5 et 3 ans pour autant qu’on puisse évaluer. Trois garçons et une fillette, l’avant-dernière. Celle-ci était vêtue d’une robe simple mais coquette ; elle se serrait contre l’aîné qui lui tenait la main, intimidée par toutes ces opérations compliquées. Le petit, assis dans le chariot, ouvrait ses grands yeux et regardait le monde. Le cadet portait un débardeur trop grand pour lui dont le col bayait jusque sur le sternum et dont une bretelle, la gauche, s’obstinait à glisser de son épaule ; il la remontait de temps à autre d’un geste agacé et machinal, l’oubliant dès qu’il était pris par quelque action. L’aîné ne portait rien sur le torse. Tous étaient en short et en tongs, déshabillés pour l’été : prêts à bronzer, moins à laver, autant d’économies. La mieux vêtue était la petite fille car, partout dans le monde on habille mieux les filles : elles salissent et déchirent moins, et la pudeur l’exige, quelle que soit la religion ou la morale locale. Il n’en est pas de même pour les garçons dont les parents sont fiers d’exhiber les muscles, même naissants, et heureux de laisser libres les corps tourmentés d’agitation qui usent plus vite les vêtements que quiconque.

Je ne sais si l’aîné s’appelait Pierre, mais j’eus cette réflexion saugrenue qu’il semblait qu’on l’eût déshabillé aujourd’hui pour habiller Paul, son frère. Le débardeur devait être porté hier par le plus grand, qui l’avait cédé et n’avait plus rien à se mettre. La peau dorée des marmots, sous leur blondeur, montrait qu’ils s’habillaient peu en jouant dehors, mais peut-être le tee-shirt à moins de 5 euros, dans le caddy, était-il son futur vêtement « de sortie » ?

Ce vêtement, jeté comme un chiffon sur le tas des marchandises, accompagnait du pain, de l’huile, de la lessive, une salade et des tomates, des pâtes, quelques légumes, du café, des confitures, deux ou trois babioles dont un magazine télé… Reste que l’attente se prolongeait. A la caisse, la carte bancaire refusait de passer et des remarques commençaient à fuser dans la queue : « la paye n’est pas encore tombée, elle aurait pu attendre » ou « c’est bien malheureux avec tous ses gosses ». Les petits se tenaient sages, eux qui couraient et riaient auparavant en se poursuivant entre les rayons, sentant confusément la gravité sociale de la situation. Le ventre de l’aîné s’était crispé, dessinant des boursouflures.

L’homme qui me précédait, alors, est intervenu. Il n’a jeté que deux phrases mais elles furent décisives : « à combien se monte le ticket ? » et « laissez-moi passer ma carte, c’est bon. » Pantoise, la mère s’en est presque étouffée, avant de se confondre en remerciements.

L’homme l’a regardée et je soupçonne que ses yeux étaient bons parce la femme a bafouillé. Il a dit simplement : « vous avez de beaux enfants ». L’aîné a glissé d’un souffle un « merci, Monsieur », en serrant sa sœur contre son sein. Je ne sais si c’était pour la remarque ou pour le paiement, mais les enfants sont souvent plus sensibles aux paroles qu’aux cadeaux.

L’homme a eu un geste évasif puis s’est détourné pour placer ses achats sur le rail. Une fois passé, il s’est éloigné sans un mot.

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