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5 Vieux Vilnius

Nous poursuivons jusqu’à l’église orthodoxe de l’Esprit-saint, en retrait de la rue, à la façade rose pâle, flanquée de son monastère. L’église baroque date de 1638 et a brûlé plusieurs fois. Au 18ème, l’architecte Johann Christoph Glaubitz a décoré son intérieur en stuc du dernier baroque. Le jubé est peint d’un vert criard assez étonnant.

L’hôtel Astoria, de la chaîne très chic et chère Radisson, rappelle le souvenir douloureux des violences conjugales : c’est dans une chambre de cet hôtel que Bertrand Cantat, bourré et camé, a démoli à coups de poing le 27 juillet 2003 sa compagne Marie Trintignant, camée et bourrée. Le chanteur du groupe Noir désir, avait des désirs noirs (et un père para). Condamné à 8 ans de prison, transféré à Toulouse, il est libéré pour bonne conduite à la moitié de sa peine. Sa femme Krisztina Rády se « suicidera » deux ans après, victime elle aussi de ses violences conjugales… Le groupe Noir Désir se dissout peu après.

Au restaurant nous est servi un menu imposé : une salade russe, une escalope de porc panée avec des pommes de terre vapeur et de la salade, en dessert une génoise marbrée de crème. Le café est compris mais la bière à notre charge. Elle est très bonne, 3€ les 33 cl. Elle sera plus chère partout ailleurs, autour de 5€. Comme elle me fait dormir l’après-midi et me fatigue, je n’en prendrai que deux fois durant tout le séjour.

La cuisine lituanienne est composée surtout de pommes de terre (pour les farcir de tout en cepelinai ou en râpé plokštainis), de betteraves (pour faire la soupe rose), de hareng de la Baltique (cru ou salé), de chou (à fermenter), de concombre, d’aneth (le persil du nord), d’oseille (pour la soupe), de champignons des forêts nombreuses, de crème aigre (pour les crêpes varskeciai), de pain noir au seigle à l’odeur de miel – et aux flatulences inévitables -, de miel (pour le gâteau arrosé skruzdėlyna ou termitière). En boisson le kvas, boisson à base de pain fermenté, la bière, et les « vins » de coings ou de pissenlit.

Nous voyons la tour de Gédymine, un reste du château en briques construit fin XIIIe siècle sur sa butte par le grand-duc Vytautas lorsque Vilnius est devenue la capitale de la Lituanie. La place de la cathédrale comprend une statue du grand-duc de Lituanie avec son « loup de fer » dont parle la légende. « Alors que le grand-duc Gediminas était parti à la chasse dans les forêts de la vallée de Šventaragis vers l’embouchure de la rivière Vilnia, et que la nuit tombait, le groupe de chasseurs fatigués après une longue et fructueuse chasse, décida d’installer leur campement et d’y passer la nuit. Pendant son sommeil, Gediminas fit un rêve inhabituel dans lequel il vit un loup de fer au sommet de la montagne où il avait tué un bison d’Europe ce jour-là. Le loup de fer se tenait la tête levée fièrement vers la lune, hurlant aussi fort que cent loups. Réveillé par les rayons du soleil levant, le duc se souvint de son rêve étrange et consulta le prêtre païen Lizdeika pour l’analyser. Ce dernier dit au duc que son rêve lui indiquait de fonder une ville parmi ces collines. D’après le prêtre, le hurlement du loup représentait la renommée de la ville future : cette ville serait la capitale des terres lituaniennes, et sa réputation s’étendrait aussi loin que les hurlements du mystérieux loup… »

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Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé

L’auteur est connu pour ses romans policiers, dont le célèbre Nécropolis – la cité des morts, paru en 1976. Décédé il y a un an à 89 ans, en mai 2023, Herbert Lieberman était New-yorkais et possédé par toutes les hantises de l’Amérique des pionniers. Ce roman-ci met en scène une bande d’adolescents des deux sexes, frères et sœurs, élevés en cage dorée dans un vieux château français du XIIe siècle transporté pierre à pierre dans une île du nord-est des États-Unis et entouré de grandes forêts où vit une tribu de nains consanguins dégénérés aux mœurs primitives. Nous sommes entre le roman policier, la science-fiction et la fable philosophique.

Car il y a une intrigue policière : le meurtre du père, venu comme chaque année passer une semaine à interroger un à un ses enfants sans qu’ils le voient, pour se garder de toute émotion. Il ne veut juger que des résultats de l’éducation et de l’hygiène qui leur est imposée. Un policier est venu du continent, le colonel Porphyre, accompagné de quelques-uns de ses hommes. Qui a tué ? Chaque adolescent voulait le faire, mais qui l’a vraiment fait ? L’énigme se résoudra à la fin.

Mais pas sans un passage obligé par les autres thèmes du roman. Il est d’anticipation car il se situe vers les années 2070, bien longtemps après l’époque de son écriture ; là encore, le lecteur découvrira pourquoi vers la fin. Science car le père est un milliardaire excentrique (l’argent conduit à tout pouvoir, ou presque), qui a décidé de faire faire des recherches sur la longévité. Il a embauché pour cela un ancien médecin nazi (la grande mode aux États-Unis au début des années 1990), lui a installé un laboratoire secret dernier cri où il peut réaliser toutes es expériences sur les souris blanches, les rats de laboratoire, les chiens et les singes. Les années passent et les recherches sont prometteuses. D’où son application à l’humain.

Fiction car Jones, le père, teste la molécule, ça marche. Il décide alors d’une expérimentation à grande échelle dans des conditions soigneusement contrôlées depuis la naissance ; pour cela, il lui suffit d’engendrer ses propres enfants avec différentes femmes choisies sur plan, en fonction de paramètres génétiques, d’hygiène et de santé. Engrosser une femme par jour (comme Georges Simenon), lui permet assez vite de disposer d’un cheptel suffisant pour tester son protocole de longévité. D’où ce château fermé où les ados vivent en vase clos.

Des sept adolescents du château (il existe d’autres centres de par le monde), Jonathan est le narrateur. Il est le puîné derrière Cornélius, un peu retardé. Puis suivent Sofi, Ogden et Leander, Letitia, et la plus petite : Cassie. Les âges ne sont pas à très assurés car nul ne connaît sa date de naissance, ni ne fête son anniversaire, et il n’y a pas de miroir dans les pièces pour se regarder. Tout est soigneusement maîtrisé dans ce château, l’éducation classique littéraire, mathématique, musicale et sportive, le nombre de calories par repas, pas plus de 600, et la température extérieure fraîche qui garde les corps en légère hypothermie à 32° centigrades. Les fenêtres sont closes et les ados ne sortent jamais pour conserver une atmosphère contrôlée, comme en laboratoire. Ce sont les conditions les meilleures pour vivre le plus longtemps.

L’assassinat de Jones va briser cette routine et remettre en question l’expérience. Devant le colonel policier, Sophie avoue avoir transpercé d’une fléchette la gorge de son père qui dormait, après la soirée et le bal en son honneur. Puis c’est Jonathan qui avoue l’avoir d’abord étouffé avec un oreiller. Mais la cause de la mort n’est, selon le légiste, ni la plaie au cou, ni l’asphyxie… Tous sont perturbés par la disparition brusque de Leander, le plus joli et le plus gentil de la fratrie. Il est plus jeune que Jonathan et son frère préféré. En revanche, Ogden le défie sans cesse et le hait. La rumeur veut qu’une fois l’an l’un des enfants soit appelé ailleurs, après entretien avec le père. Cette année, c’est le tour de Leander, qui disparaît lors d’un tour de magie de l’oncle Toby. Ce dernier, frère cadet de Jones, assure avec le signor Parelli et Madame Lobkova, l’éducation des enfants et la bonne marche du château. Amateur de jeunesse, il couche volontiers avec ses nièces.

D’ailleurs, la sexualité est non seulement permise mais aussi encouragée chez les adolescents. Cassie vient rejoindre Jonathan la nuit dans son lit :« J’embrasse les seins de ma petite sœur, elle gémit doucement. Nous nous frottons l’un à l’autre, exactement comme nous l‘ont appris oncle Toby et Madame Lobkova au début de notre puberté – que Jones considère comme l’âge idéal pour commencer sa vie sexuelle. N’ayez de relations qu’avec les membres les plus proches de votre famille, ceux dont vous savez qu’ils n’ont pas de maladie. Ressentez de la joie, nous prêchait-t-il. Pas de la concupiscence. La concupiscence vous ravale au rang des bêtes » p.43. Une philosophie libérale de l’éducation contrôlée bien loin de Rousseau. Le sexe, la reproduction, tiennent d’ailleurs une grande part dans ce roman d’anticipation.

Leander est peut-être encore vivant et Cassie part à sa recherche, une porte de poterne étant mystérieusement ouverte alors que les issues restent toujours closes. Pourquoi ? Elle laisse un message à Jonathan, son grand-frère préféré, qui part à sa recherche en pleine nuit. La forêt est sombre et les huttes des Hommes des bois ne tardent pas à apparaître, avec de grands feux devant. Cassie est-elle prisonnière ? Jonathan n’a pas le temps d’en savoir plus, il est assommé et se retrouve nu, enchaîné, dans une hutte crasseuse où il est laissé dans boire ni manger durant une journée entière. 

Puis un groupe de jeunes des bois viennent le rosser avant que surgisse une femelle adulte qui les chasse, le nettoie, l’abreuve et le nourrit, avant de l’exciter et de le chevaucher sauvagement. Il jouit comme jamais, dans la crasse alentour et sous le corps difforme de la naine qui se tortille en un rythme savant. Il est alors rhabillé d’une simple tunique et emmené enchaîné vers un temple où on le place dans un cercueil, celui de Jones, et où il reste enfermé, couvercle vissé, une nuit complète. Au petit jour il en est extirpé, puis emmené devant la foule, où il est couronné roi. Sa seule fonction sera de baiser chaque nuit avec la Femme des bois pour l’engrosser et engendrer une espèce moins dégénérée. Il ne peut rien faire d’autre. Il revoit Leander et Cassie, prisonniers, mais ne peut les approcher. Leander est comme absent, terrifié par ce qui lui est arrivé. Lui qui devait être roi n’a pas supporté l’épreuve de l’enlèvement et du cercueil. Trop sensible, il est devenu fou et parqué avec les spécimens dans un baraquement de camp entouré de barbelés.

C’est le colonel Porphyre qui va délivrer Jonathan, Leander et Cassie, avant de les ramener à grand peine au château. Où les Hommes des bois ne tardent pas à les assiéger, tandis que les membres du personnel et les savants ont fui en emportant richesses, armes et nourriture. Porphyre attend des renforts du continent, mais le téléphone est coupé par les sauvages et le siège devient critique. Occasion pour les adolescents d’apprendre quel âge ils ont et à quoi leur existence a pu servir… La trame ne se dévoile en effet qu’à la fin, et tout ce que j’ai pu dire ci-dessus n’est qu’en guise d’apéritif.

Il y a quand même une incohérence logique due au temps qui passe. Les adolescents ne cessent d’apprendre et de s’exercer, durant des années. Mais on se demande à la fin pourquoi ils ont si peu retenu durant tout ce temps passé. Avec ce protocole d’éducation soigné, ils devraient être devenus des génies, ou du moins des garçons et des filles avisés et intelligents. Or il n’en est rien – paradoxe de l’intrigue… Leur développement mental ne semble pas suivre leur développement corporel.

Curieux roman inclassable que ce policier de science-fiction philosophique, quelque part entre Dix petits nègres (réédité sous le titre woke Ils étaient dix), L’île du docteur Moreau, La ferme des animaux, Sa majesté des mouches et Le monde perdu. Une puissance onirique rare en ce siècle de spécialisation étroite où les gens ne veulent plus sortir de leur case, ni les romans de leur nombrilisme ou de l’Hâmour convenu. A lire ou relire !

Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé (Sandman, Sleep), 1993, Points Seuil 1995, 459 pages, occasion €1,97

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Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses

Kerry McGrath est procureuse et son mentor, le sénateur Jonathan Hoover, envisage pour elle de la faire nommer juge. Elle est divorcée et mère d’une fille de 10 ans, Robin. Son ex-mari, Bob, ancien procureur, est devenu avocat des malfrats, notamment d’un certain Jimmy Weeks, affairiste sans scrupule qui n’hésite pas à commanditer des gros bras pour intimider ou tuer.

Robin a eu un accident de voiture avec son papa, qui conduit trop brutalement, et elle n’avait pas attachée vraiment sa ceinture. Blessée au visage, elle est soumise aux soins du docteur Charles Smith, chirurgien esthétique réputé. Il la soigne, elle n’aura aucune séquelle, sa beauté sera préservée. C’est que le docteur Smith attache une importance vitale à la beauté ; elle est pour lui comme une porcelaine fragile qu’il faut préserver. D’ailleurs passe, au sortir de son cabinet, une stupéfiante belle jeune femme, refaite du visage. Kerry se dit qu’elle l’a déjà vue quelque part, mais où ?

Cela la turlupine, et elle finira par faire l’association d’idée avec un crime commis jadis, dont elle a condamné le coupable selon la justice, celui de Suzanne Reardon, épouse de Skip l’entrepreneur. Suzanne était magnifique vivante, mais horrible en cadavre avec les yeux exorbités et la langue pendante. Elle a été étranglée et une brassée de rose de la race Sweetheart répandue sur elle (d’où le titre en américain). La fille que Kerry a vue chez le docteur Smith ressemblait trait pour trait à Suzanne. D’ailleurs, elle ne tarde pas a à apprendre que la Suzanne assassinée était sa fille…

Elle se penche alors sur l’accusé Skip Reardon, désormais en prison, et qui en a pour trente ans. Est-ce vraiment lui le coupable ? Il jure que non, les jurés ont été d’un avis opposé, mais l’enquête a-t-elle été au bout ? Kerry va donc la reprendre sur son temps libre. Elle ne tarde pas à s’apercevoir que personne ne veut plus en entendre parler, ni son patron qui aspire au poste de gouverneur et voit d’un sale œil surgir le spectre d’une erreur judiciaire sous sa responsabilité, ni son mari Bob que son client malfrat presse de faire abandonner Kerry, ni son mentor le sénateur Hoover qui fait suspendre sa nomination comme juge, ni le docteur Smith qui commence à filer sa nouvelle réussite esthétique dans la rue.

D’ailleurs, Robin se fait poursuivre dans la rue par une voiture qui fonce sur elle après que son conducteur l’ait prise en photo… Il en faut plus pour impressionner la procureuse qui désire devenir juge. Elle prend toutes les précautions possibles pour sa fille et va de l’avant. Elle reprend les témoignages écartés, comme celui de la voisine en face de la maison du crime, qui a vu le soir une voiture noire arrêtée devant la maison. Et le petit garçon handicapé de 5 ans qu’elle gardait qui s’est exclamé : « c’est la voiture de grand-père », signifiant par là que c’était un vieux modèle. Aidée de Geoff, un avocat encore célibataire, devenu ami et qui se prend de béguin pour elle, et de son enquêteur Joe, elle va creuser l’affaire.

Et découvrir la vérité.

Le roman est bien ficelé mais les personnages surgissent à profusion, ce qui déroute au début. On se demande ce que viennent faire Grace, l’épouse du sénateur, Jason Arnott, le dandy richissime qui aime les belles choses, Haskell le comptable qui cherche à se dédouaner, et ainsi de suite. Les coupables potentiels du meurtre de Suzanne sont au moins quatre et le lecteur ne peut décider entre eux jusqu’à ce que cela s’éclaire sur la fin. Tous les fils se nouent pour un final imprévu. Un bon cru Clark des années 1990.

Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses (Let Me Call You Sweetheart), 1995, Livre de poche 1998, 316 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

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Les romans policiers de Mary Higgings Clark déjà chroniqués sur ce blog

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Garde à vue de Claude Miller

Les flics à l’ancienne, en province, dans les années Mitterrand. Pas d’ADN ni de téléphonie, ni de caméras de surveillance à l’époque, mais une enquête toute psychologique, un choc entre personnalités. Deux petites filles de 8 ans ont été retrouvées mortes étranglées, violées, jetées dans un fossé ou sur une plage en l’espace d’une semaine. Un notaire, dont la voiture a été retrouvée à proximité de la plage par les gendarmes le soir du second meurtre, est interrogé.

C’est la veille du Nouvel an, la ville de Cherbourg est en effervescence, il fait froid et il pleut. Pas de quoi avoir la trique pour violer, comme le note un inspecteur facétieux. L’inspecteur Antoine Gallien (Lino Ventura), confronte Maître Jérôme Martinaud (Michel Serrault) dans son smoking de sortie, et le met devant ses contradictions. Ce sont de petits détails insignifiants, mais qui dessinent une cohérence policière.

Le notaire a fait son devoir de citoyen et il devient suspect numéro un. Il a prévenu la police pour le premier meurtre : que faisait-il dans ce lieu marécageux plein de ronces ? Comment a-t-il pu reconnaître la fillette de loin dans l’obscurité s’il ne savait pas qui elle était et où il l’avait mise ? A-t-il promené le chien Tango du voisin ce soir-là ? Lui a déclaré que oui, des voisins ont témoigné que non. Est-ce un oubli ou un mensonge ? Le notaire voulait un chien mais sa femme n’en voulait pas, elle préfère les chats, mais lui n’en veut pas, ça fait des saletés. Pas d’enfant non plus, sa femme l’a répudié de son lit. Pourquoi ? Elle aimait la chose avant de se marier mais en est révulsée après. A moins que ce soit lui qui l’ait choquée, mais elle ne l’avoue pas.

Qu’a-t-il fait le soir du second meurtre, si près de la plage où le cadavre a été retrouvé ? Lui déclare qu’il s’est promené dans les dunes vers le phare. A-t-il entendu quelque chose ? Non, rien, sauf le bruit du ressac, rien d’autre. Et la corne de brume, alors ? Il a dissimulé le fait qu’il est allé ce soir-là aux putes après avoir été voir sa sœur. Mais un mensonge rend aussitôt le policier soupçonneux : menteur une fois, menteur toujours !

La nuit s’étire et l’interrogatoire n’avance pas. Martineau s’enferre mais il dit ne pas avoir tué. L’inspecteur-adjoint Belmont (Guy Marchand) tape le procès-verbal (en deux exemplaires avec carbone) et se marre ; il le croit d’évidence coupable et en a marre. A cette époque d’autorité toute-puissante, aucun avocat n’était autorisé durant la garde à vue. L’inspecteur est impulsif et lorsque Gallien doit sortir, appelé pour aller voir l’épouse du notaire qui veut retrouver son mari (ce qui n’est pas permis), Belmont l’impulsif frappe Martineau pour le faire avouer. Le scandale ne sera qu’en interne, rien ne sort publiquement à cette époque des violences policières.

Gallien reçoit Chantal Martineau (Romy Schneider), qui confirme les chambres à part et évoque sa répulsion envers son mari. Un soir de Noël, il a longuement conversé avec sa nièce Camille (la mignonne Elsa Lunghini de 8 ans à l’époque), et est resté avec elle seul dans la pièce aux cadeaux. L’épouse les a surpris très proches l’un de l’autre mais juste en train de parler. Ils se sont tus à son arrivée. Elle déclare que son mari lui disait des choses qui n’étaient pas de son âge, ce qui est très subjectif vu ce qu’elle a pu entendre, et plutôt ignoble, on n’en saura pas plus. Mais elle ajoute une « preuve » : le ticket de caisse du teinturier auquel le notaire a confié l’un de ses deux imperméables le lendemain du second meurtre. Pourquoi ? Etait-il souillé de quelque fluide ?

Cela suffit pour conforter l’orientation de l’enquête. Une intime conviction se forme, même si l’inspecteur Gallien préfère les faits. Or les faits convergent vers le notaire, faute d’autres preuves. Le fil de la réalité est écarté pour la cohérence du scénario. Martineau, lassé, comprend qu’il est pris et enserré dans une toile sociale de on-dits et de ratages familiaux. Sa nièce Camille, qu’il aime comme un père, risque d’être appelée à témoigner à la barre. Sa femme ne l’aime pas, elle ne veut pas divorcer, ils n’ont pas d’enfants ni de chien. Lorsqu’il s’intéresse au chien ou à l’enfant du voisin, c’est pour être aussitôt soupçonné de mauvaises intentions. Sa vie est foutue : pour avoir la paix, il avoue tout ce qu’on voudra. La garde à vue à la française est (était ?) un entonnoir vers l’inculpation directe. Les flics se faisaient un film et y tenaient mordicus, écartant les autres pistes. Tous les témoins, sentant le sens du vent, orientaient leurs déclarations vers l’opinion la plus forte.

Sauf qu’un inévitable coup de théâtre empêchera l’erreur judiciaire. Car le vrai coupable n’a pas d’histoire et ne présente aucune contradiction : il est bête, et transparent.

Aujourd’hui, le suspect serait lynché par les réseaux sociaux avant même de pouvoir s’expliquer. Aimer les enfants fait grimper l’hystérie, même si c’est en tout bien, tout honneur. On ne peut mignoter que les siens, et encore, pas trop en public. On serait dénoncé à moins, la délation étant le sport favori des « bonnes âmes » en France depuis toujours. La raison des faits est trop volontiers ignorée au profit des croyances et des fantasmes – même chez les flics.

En 1981, le public éclairé était plus en faveur des libertés que du soupçon – l’époque a changé, et pas toujours en bien.

Un bon film psychologique, avec une brochette d’acteurs comme on n’en fait plus, posés, cultivés, patients, talentueux. Lino Ventura est très bon en flic à qui on ne la fait pas mais qui ne s’énerve jamais. Romy Schneider joue les trop belles femmes, déçues donc vénéneuses (elle mourra quelques mois plus tard). Michel Serrault le notable voit s’écrouler toute respectabilité en même temps que les apparences de son couple. Il croit que sa femme l’attend au sortir de sa garde à vue, parce qu’elle est garée devant le commissariat et au volant, mais…

DVD Garde à vue, Claude Miller, 1981, avec Lino Ventura, Michel Serrault, Romy Schneider, Guy Marchand, Michel Such, TF1 studio 2017, 1h21, €9,36

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Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg

Témoin d’époque, l’auteur frappe un grand coup. Le confinement Covid l’a fait réfléchir sur la société comme elle va dans un premier roman, La conversation, sur les réseaux sociaux qui prennent de plus en plus de place, sur la technique qui étend son emprise sur l’humain. Les responsables ? Les patrons des GAFAM (Google, Apple, Amazon et Microsoft) et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), ces multinationales technologiques et de réseau.

Dès la page 13, Mark Elliot Zuckerberg, l’un des fondateurs de Facebook et désormais propriétaire aussi d’Instagram, de WhatsApp, Messenger et Threads, est exécuté d’une balle dans la tête. Facebook, nommé au départ Facemash, autrement dit « fesses-book » qui permettait de noter les appréciations sur les étudiants et étudiantes les plus sexy à la fac, est devenu un réseau social mondial et rentable renommé Meta Platforms. Zuckerberg n’en possède que 13 % des parts mais en contrôle 60 %, le reste étant coté en bourse et partiellement aux mains d’investisseurs institutionnels.

Il envisage de développer la blockchain pour la monnaie, l’épargne et les paiements, les lunettes connectées qui filment à votre insu, le Metavers qui est un univers parallèle, et l’IA pour capter et faire fructifier les données des utilisateurs. Autrement dit, Mark Elliot Zuckerberg est « le » prédateur du futur, le Big Brother d’Orwell dans 1984. Le fait qu’il soit juif, capitaliste et américain n’est pas mentionné par l’auteur, bien que cela participe du « Complot » mondial dont les défiants sont habituellement férus.

A la page 18, d’autres crimes sont évoqués sur les patrons d’Amazon, d’Apple, de Microsoft, et même de l’ex-président Trump, de même que sur Merkel, Sandrine Rousseau (après tortures, l’auteur se venge-t-il symboliquement ?), et divers attentats contre d’anciens dirigeants comme Sarkozy ou Hollande. Au total, près d’une centaine.

Le meurtrier de Zuckerberg est arrêté assez vite à Paris, dans le palace où il se prélasse, son forfait accompli. Le commissaire Gerbier, usé et fatigué après des décennies de crimes et d’enquêtes dans une société qui pourrit par la tête, est chargé comme meilleur professionnel du 36, de l’interroger. Il a en face de lui un homme de son âge, qui avoue appartenir à un réseau terroriste pour éradiquer l’emprise technologique sur les humains : Table rase.

Il y a peu d’action mais beaucoup de conversation. La soirée puis la nuit passent à deviser afin de savoir pourquoi on a tué, et qui est impliqué. Le pourquoi devient limpide : c’est une critique en règle de l’ultra-modernité : les réseaux qui abêtissent, la moraline du woke qui censure et inhibe, l’IA qui formate peu à peu et réduit l’intelligence humaine. La société hyperconnectée est nocive : il est bon d‘être réactionnaire envers elle !

Premier argument du terroriste : le complot serait général, pour mieux dominer les populations, intellos compris (souvent très moutonniers) : « Vous savez, la meilleure façon de contrôler la pensée d’une population est simplement qu’elle n’en ait pas. Noyer sa réflexion et son attention dans un flot continu d’informations stupides – ou commerciales , ce qui revient à peu près au même – est un excellent moyen d’y parvenir. Limiter l’esprit humain est aujourd’hui devenu un véritable programme politique. Plus le peuple sera ignorant et occupé à des futilités, plus il sera facilement contrôlable » p.53. Sauf que l’on pourrait objecter que les États-Unis ou la France ne sont ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran et que le « contrôle social total » reste un fantasme de défiant complotiste. Nul n’est obligé de suivre les errements des réseaux, des chaînes d’info et de la violence radicale.

Second argument : c’est le capitalisme qui est en cause : « Une société dont l’économie ne survit qu’en générant des besoins artificiels, avec pour objectif d’écouler des produits dont la plupart sont inutiles voire nocifs pour la population comme pour la planète, ne me paraît pas digne de survie à long terme » p.57. Mais quel est le « long terme » ? Pour Michel Onfray comme pour quelques autres, le « capitalisme » est né dès le néolithique ou même dès la première société humaine qui produit et stocke pour échanger… D’autre par, le « capitalisme » est un outil économique, une technique d’efficacité diablement efficace : même la Chine « communiste » s’y est convertie avec la réussite qu’on lui connaît, au contraire de l’archaïque mentalité russe, dont l’économie et la prospérité stagnent.

Troisième argument, anthropologique, vers le Soushomme, l’abêtissement général dans le futile, le tendance et l’autocensure pour ne pas offenser : « Passer d’un mode de vie résolument ancré dans le réel à des relations essentiellement virtuelles et souvent, ne nous voilons pas la face, purement mercantiles, est forcément contre-nature. Les réseaux sociaux incarnent ainsi la caricature la plus vide de sens de notre époque. (…) La mise en scène de toutes choses relève aujourd’hui d’un phénomène de cirque, servi par la consommation instantanée et ininterrompue d’informations sans aucun intérêt. A ce stade, ce n’est plus un appauvrissement, c’est une désertification intellectuelle et une raréfaction glaçante des relations sociales… » p.77. Nietzsche appelait à la volonté pour aller vers une sur-humanité ; la technologie, comme Heidegger le disait, ramène plutôt l’humain vers la sous-humanité de bête à l’étable qui regarde passer les trains.

Quatrième argument, l’effritement des relations sociales sous les coups de la victimisation, du buzz et du woke et la remise en cause de la démocratie sous les coups de force des gueulants : « Désormais, pour exister, au moins médiatiquement parlant, il faut absolument revendiquer quelque chose, protester. S’en prendre à quelqu’un, faire valoir ses traumatismes, bref être une victime, peu importe de qui ou de quoi. Dis-moi ce que tu revendiques, je te dirai qui tu es ! (…) Mon propos est de dénoncer une atmosphère délétère qui déteint sur tous les pans de la société, et entrave sérieusement la liberté d’expression en suscitant des phénomènes d’autocensure particulièrement inquiétants. Un travers en grande partie dû à l’amplification médiatique du moindre fait divers et de la moindre déclaration sortie de son contexte par les chaînes d’information continue, et bien sûr par les réseaux sociaux. (…) Les fondamentaux démocratiques de la société sont désormais pris en otage par quelques tristes sires qui les dévoient de manière éhontée pour leur usage personnel, et surtout pour se faire de la publicité à moindre frais » 103. On pense à la Springora et à la Kathya de Brinon – entre autres. Mais doit-on les croire sans esprit critique ? Leur force médiatique tient surtout à la lâcheté de ceux qui sont complaisants avec leurs fantasmes et leurs approximations.

Habilement, sous forme d’un interrogatoire policier, l’auteur reprend les critiques les plus usuelles sur les méfaits de la technique et le mauvais usage des outils, comme sur l’abandon de ceux qui sont chargés de transmettre : les parents, les profs, l’administration, les intellos, les journalistes, la justice, les politiques. Ils ne sauvegardent pas l’humanité en laissant advenir par inertie « un transhumanisme sauvage » p.142.

En cause l’éducation et la famille, dont l’auteur ne parle guère. Je pense pour ma part que l’habitude viendra d’user mieux de ces choses, qui sont aujourd’hui beaucoup des gadgets à la mode dont on peut se passer (ainsi Facebook ou Instagram), ou qui font peur aux ignorants qui ne savent pas s’en servir. Je l’ai vécu avec le téléphone mobile : l’anarchie et l’impolitesse des débuts a laissé place à des usages plus soucieux des autres. Quant aux réseaux, les cons resteront toujours les cons, quels que soient les outils de communication, et il faut soit les dézinguer à boulets rouges s’ils vous attaquent, soit les ignorer superbement. Le chien aboie, la caravane passe.

Ce roman policier un peu bavard, aux dialogues, parfois réduits à un échange de courtes interjections comme au ping-pong, pose la question cruciale de notre temps : que voulons-nous devenir ? Il se lit bien et n’échappe pas à un double coup de théâtre final fort satisfaisant. Clin d’œil, l’auteur est lui-même sur Facebook.

Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg, 2024, éditions La route de la soie, 146 pages, €17,00

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Paul Guimard, L’ironie du sort

Paul Guimard, qui fut pendant la guerre journaliste de des faits divers à L’Ouest-Éclair est mort il y a 20 ans, en mai 2004, à 83 ans. François Mitterrand l’approchera vers 1965 et ils deviendront proches. Tous deux aimaient à songer au destin, à la mort, à l’au-delà possible.

Chacun croit maîtriser son destin et donc être libre, alors que le sort est ironique et, à dix secondes près, peut changer votre sort à tout jamais. C’est ce qui est arrivé au jeune Antoine Desvrières, 22 ans, un résistant de Nantes chargé de tuer un enquêteur de la Wehrmacht qui a accumulé un dossier sur leur réseau clandestin. Le lieutenant Werner de Rompsay est issu de Huguenots français émigrés en Allemagne après le diktat du Roi-Soleil révoquant l’édit de Nantes qui tolérait la religion réformée. Désormais Allemand, portant un prénom allemand, le lieutenant aristocrate combat pour sa patrie et traque les terroristes. Antoine est tout aussi légitime que lui à résister à l’occupation et à tuer l’ennemi. Là n’est pas la question.

La question est : va-t-il réussir ?

Tout est minutieusement préparé, l’arme, l’heure, le lieu, l’itinéraire de fuite, l’alibi. A onze heure du soir précise, dissimulé dans l’ombre d’un porche après le couvre-feu, Antoine est prêt à tirer avec un pistolet Wembley de 9 mm. Il attend le lieutenant qui rentre tous les soirs à pied de la Kommandantur jusqu’au logis de sa maîtresse, la jeune Micheline de 19 ans qui se laisse sauter sans vergogne. Antoine vient de quitter Marie-Anne de Hauteclaire, sa fiancée, fille d’un bâtonnier pétainiste mais en révolte contre ses conceptions archaïques du monde et de la société. Ils ont déjà fait l’amour, elle attend un enfant. Antoine ne le sait pas encore.

Dès lors, le destin va s’en mêler. Le chauffeur de la patrouille, Helmut Eidemann, a du mal à démarrer sa traction-avant Citroën, souvent en panne. À quelques secondes d’intervalle, il fera basculer le destin. Aurait-il réussi auparavant, tout se serait passé comme prévu. Hélas, il a eu une douzaine de secondes de retard, et a surgi dans la rue plein phares juste au moment où Antoine venait de tirer et de tuer le lieutenant. Il a saisi son pistolet et l’a déchargé sur la silhouette, le blessant aux jambes. Antoine est pris, il sera interrogé et condamné à mort. Marianne, sa fiancée, se consolera dans les bras de Jean, l’ami le plus cher d’Antoine et tous les deux élèveront le petit garçon qui naîtra quelques mois plus tard qu’ils prénommeront Antoine.

Ou alors, seconde hypothèse, le chauffeur a démarré à l’heure et a pu rattraper au lieutenant, lui proposant de lui faire faire un bout de chemin en voiture, juste avant qu’Antoine ne puisse tirer. L’opération a donc échoué et le dossier accumulé par Werner et donné à la Gestapo va démanteler tout le réseau. Antoine ne sera pas inquiété, mais Jean, qui travaille à l’Ouest–Eclair, sera raflé, interrogé et condamné à mort. Antoine se mariera avec Marie–Anne et ils élèveront ensemble le petit garçon qui naîtra quelques mois plus tard qu’il prénommeront Jean, le nom du meilleur ami disparu.

Telle est l’ironie du sort. Une sorte de grain de sable qui enraye les mécaniques les mieux huilées. Les conséquences de ces deux scénarios se feront ressentir en ondes concentriques bien des années après encore. Dans le premier cas, Antoine sera un héros et son beau-père pétainiste sera blanchi des accusations de collaboration, tandis que que dans le second, il sera radié du barreau et déchu de sa Légion d’honneur. Dans le premier cas, le père d’Antoine deviendra maire du petit village natal près de Nantes, dans le second il restera professeur dans la ville jusqu’à sa retraite.

Et Antoine, s’il vit, divorcera quelques années plus tard lorsque son fils aura dans les 13 ans. Marie Anne qui avait épousé un héros de guerre a vécu avec un fonctionnaire international à l’Unesco devenu plan-plan. Elle ne pourra le supporter. Antoine rencontrera Ursula sur le seuil de son bureau, une Suissesse à la famille dont les bifurcations du destin ont été nombreuses. Il en prendra conscience dans l’album de photos déposé exprès sur sa table de nuit.

Au fond, quoi que l’on fasse, notre liberté ne s’exerce que dans les limites du hasard. Toute une série de causes surviennent au même moment qui empêchent parfois de réaliser ce que l’on a prévu. Nous n’avons pas plus de prise sur notre existence que le capitaine sur son frêle esquif dans une mer démontée. À nous de surnager et de nous adapter ou, quand il s’agit de vie ou de mort, de subir le sort qui nous est imparti.

Un film d’Édouard Molinaro a été tiré de ce roman en 1974 mais il ne fait pas l’objet d’édition en DVD.Il reste que ce court texte alimente la réflexion sur le hasard et la nécessité, la liberté et le destin.

Paul Guimard, L’ironie du sort, 1961, Folio 1974, 160 pages, €7,80

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Guêpier pour trois abeilles de Joseph Mankiewicz

Un riche Américain exilé en Suisse durant la dernière guerre, puis dans un palais à Venise, s’inspire d’une intrigue de théâtre de Ben Jonson, écrite en 1606 pour monter un canular. Il invite les trois anciennes femmes de sa vie à venir le rencontrer, assurant qu’il est mourant et qu’il va désigner l’une d’elles comme seule héritière. Cecil Sheridan Fox (Rex Harrison) est le Volpone de Ben Jonson – le Renard ; il engage un régisseur-secrétaire au nom prédestiné de Mosca, McFly (Cliff Robertson) – la Mouche -, jeune homme qui a fait du droit mais n’a pas obtenu sa licence à cause du droit commercial.

Tout est mis en place pour que monte le suspense. Le pot de miel de la fortune supposée attire les trois belles un brin décaties par la vie, ou désireuses de prendre leur revanche : Mrs Sheridan (Susan Hayward), Merle McGill (Edie Adams) et la princesse Dominique (Germaine Lefebvre dite Capucine). La première a pour nom initial Texas Crockett – tout un programme ! Fox lui a pris la distillerie de bourbon de son père, qu’il a rebaptisée à son nom. Elle assure qu’elle a des droits premiers puisque reconnue en concubinage notoire par l’État américain où ils vivaient, un vrai lien juridique proche du mariage. Elle est accompagnée de son infirmière personnelle Sarah Watkins (Maggie Smith la professeur Minerva de Harry Potter, ici jeune) qui veille surtout à ce qu’elle ne prenne pas trop de somnifères. La seconde est une actrice inculte et vulgaire qui croit que le fils du pape Borgia a donné une pendule à Fox, lequel l’a dans sa jeunesse reformatée et recoiffée avant de la confier aux producteurs. Mais son talent décline et elle commence à racler ses fonds de tiroirs. La troisième est une princesse française, belle et froide, à la fortune délabrée ; elle aimerait bien se refaire sur son ancien amour.

Les acteurs sont en place, le décor est mis, le rideau se lève.

Les trois hypocrites sont reçues une à une par le grand malade qui s’amuse. Chacune lui apporte un cadeau, tous en rapport avec le temps : un sablier de poudre d’or pour la princesse, une pendule kitsch pour Sheridan, une pendule moderne à fuseaux horaires pour l’actrice. Chacun révèle ainsi son caractère. Mais Mrs Sheridan, qui se sent des droits de quasi-épouse pour régenter l’impotent, convoque un vaporetto ambulance pour emporter le malade à l’hôpital ; la sirène, semblable à celle des flics de Los Angeles, fait flipper Merle, en souvenir de son existence hasardeuse. Le régisseur a fort à faire pour inventer in extremis un prétexte juridique pour empêcher le transport et tout faire échouer.

Dans la nuit, alors que McFly drague Sarah un peu amoureuse de lui dans un café de Venise, Mrs Sheridan meurt. Son flacon de somnifères vide est à côté de son lit. L’infirmière sait que ces somnifères ne sont que des placebos et que les véritables sont sous clé dans sa mallette, mais sa maîtresse est bel et bien morte. Qui l’a fait ? Elle appelle la police et l’inspecteur Rizzi (Adolfo Celi) mène l’enquête. Il voit bien ce qu’a de trouble toute l’histoire mais ne peut mettre la main sur le vrai coupable. Les deux ex-maîtresses restantes tentent de se fournir un alibi réciproque, tout en s’accusant de mentir. McFly joue un jeu étrange en arpentant le palais un carnet à la main et en gardant des pièces de 1 $ neuves qui ne sont plus dans le sac de Mrs Sheridan.

C’est encore une fois l’infirmière – le grain de sable – qui va enclencher le mécanisme de la fin. Mais impossible d’en dire plus, le film ne se termine pas comme la pièce de Ben Jonson. Tout est leurre, apparences et manipulations. Tout est trompe-l’œil, même les décors où un faux mur peint cache des volets sur la rue ou un monte-plats. Un vrai théâtre pour un reclus lassé de ses contemporains. Personne ne contrôle personne, au fond, et le destin s’accomplit malgré soi.

Le film n’a inspiré à sa sortie qu’une indifférence polie, déjà daté à la veille de l’explosion hormonale de 1968. Il est depuis devenu culte, comme souvent, une fois la crise d’époque passée. Ses qualités de mise en scène et de scénario digne d’un roman policier se révèlent, à la fin surtout, qui va de rebondissement en rebondissement.

DVD Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot), Joseph Mankiewicz, 1967, avec Rex Harrison, Susan Hayward, Cliff Robertson, Capucine, Edie Adams, BQHL éditions 2021, audio anglais ou français, 2h06, €12,00 Blu-ray €19,99

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Au cœur de la nuit

Cinq récits fantastiques du film noir anglais d’après-guerre, sur des nouvelles d’H.G. Wells, E.F. Benson, John V. Baines et Angus McPhail. Ils se raccrochent à un sixième récit central qui boucle sur lui-même, l’aventure d’un architecte (Mervyn Johns) convoqué par un ami d’ami (Roland Culver) pour conseiller des travaux d’agrandissement dans un cottage à la campagne.

L’architecte de rend dans sa petite voiture sport au lieu-dit, rencontre l’ami d’ami et ses amis dans un salon où une flambée donne de la chaleur, tout autant que les clopes que chacun se passe à peu près toutes les dix minutes, avant un verre de whisky renouvelé dès qu’il est vide. On n’avait aucun soin de sa santé dans les années quarante… Mais ce n’est pas le propos. L’architecte est « sidéré », terme à la mode désormais de qui n’a jamais rien vu et se trouve stupéfait, engourdi d’intelligence (s’il en avait) et de sensibilité. Il convient ici car tout est comme dans son rêve récurrent, un cauchemar où il reconnaît chaque détail de la maison, chaque personne, chaque événement qui survient. Il prédit la venue d’une femme brune qui n’a jamais le sou, les lunettes cassées du psy de service, l’horreur qui va survenir s’il reste. On le convainc de rester…

Mais son récit engendre aussitôt des Mee too ! de rigueur ! Nul ne veut être en reste et le psy (Frederick Valk) a fort à faire pour tenter d’expliquer rationnellement l’improbable. Et quand il ne sait pas vraiment, il jargonne, comme tout bon psy doté d’un côté charlatan. La psychanalyse est-elle une science ? Ou un art analogue à la médecine ou à la prêtrise ? Au milieu du XXe siècle, après la guerre industrielle et la Bombe, le doute sur la science se fait jour, il est pire aujourd’hui où les « fausses vérités » deviennent « alternatives » pour les gogos prêts à croire n’importe quel braillard du moment qu’il a une grande gueule.

Le pilote de course réchappé d’un accident (Anthony Baird) raconte comment il a vu, une nuit, un chauffeur de corbillard (Miles Malleson) depuis la fenêtre de l’hôpital lui faire signe en lui disant : « il reste une place, Monsieur » ; et lorsqu’il est sorti et a voulu prendre le bus, le contrôleur qui avait la même tête lui a dit la même chose, le faisant reculer. Heureusement, car ledit bus à étage s’est abîmé dans la Tamise par accident peu après. C’est le premier récit.

Il y en aura d’autres : Un conte de Noël, Le miroir hanté, L’histoire du golf, Le ventriloque.

Le conte de Noël est une fête d’enfants dans une maison hanté par un meurtre, celui d’une grande (demi pour la morale)-sœur sur son petit frère Francis. La jeune fille qui le raconte (Sally Ann Howes, 14 ans au tournage) est la première a s’exclamer Mee too ! dans le salon du cottage, après le récit du pilote. Le meneur est un adolescent déguisé en Puck (Michael Allan) qui entraîne tout le monde à jouer à cache-cache. Il a pour objectif de voler un baiser à la jeune fille sous couvert de la recherche. Mais celle-ci, partie dans les combles, en joue, elle l’étourdit et disparaît derrière une porte qu’elle trouve derrière elle. Là, un petit garçon habillé à l’ancienne pleure ; il dit s’appeler Francis et avoir peur que sa demi-sœur ne le tue. Elle le console, le couche et redescend pour se faire découvrir. Mais nul n’a jamais entendu parler d’un gamin dans une chambre. Elle a sauté les siècles pour se retrouver dans l’histoire qui hante la maison !

Le miroir Chippendale du XVIIIe est acheté par une femme (Googie Withers) à son fiancé chez un antiquaire, qui lui apprendra ensuite son histoire dramatique. Il était dans la chambre où son propriétaire, maladivement jaloux, a étranglé sa femme en croyant qu’elle le trompait. Le fiancé d’aujourd’hui (Ralph Michael), qui noue sa cravate devant le miroir, aperçoit derrière lui la chambre initiale, pas la sienne. Il en devient fou – en fait de sexualité refoulée – et manque de réaliser ce que l’autre a fait, jusqu’à ce que la fiancée, résolue et sagace, abatte le miroir d’un coup de chandelier, mettant fin à l’ensorcellement.

Le golf met en scène deux amis de sport (Basil Radford et Naunton Wayne) qui se disputent la même fille et la jouent en une partie. Le gagnant a triché mais l’autre accepte sa défaite et marche vers la rivière jusqu’à se noyer. Il va dès lors hanter le survivant de façon comique et le suivre à six pieds derrière lui (référence au six pieds sous terre de rigueur pour les morts anglo-saxons) jusque dans la chambre à coucher. Il en est possédé jusqu’à en perdre ses moyens – jusqu’à sa disparition finale dans une pirouette inattendue.

Quant au ventriloque (Michael Redgrave), il est dépassé par sa créature de pantin. Son double prend peu à peu sa place dans son esprit et il est seul, apeuré, sans la poupée fétiche. Celle-ci insulte sans vergogne celles et ceux qui ne lui plaisent pas, attire en revanche celui qui le séduit, un autre ventriloque avec qui il voudrait s’associer. C’est tout le subconscient qui se fait jour, l’homosexualité refoulée. Le maître en est devenu esclave, jusqu’à la tentative de meurtre par jalousie, un acte que le conscient n’aurait jamais permis.

Film à sketches avec ses hauts et ses bas, un fil conducteur jusqu’au pied de nez final, ce récit d’épouvante assez rare de névroses obsessionnelles nous laisse aujourd’hui dubitatif et excité. L’Angleterre sortait de la guerre et de ses nuits hantées de la peur des bombardements. Cette catharsis était bienvenue ; elle se regarde encore aujourd’hui, avec plus de distance mais non sans intérêt pour les profondeurs de la psyché.

DVD Au cœur de la nuit (Dead of Night), Cavalcanti, Charles Crochton, Basil Dearden, Robert Hamer, 1945, avec Michael Redgrave, Googie Withers, Mervyn Johns, Basil Radford, Naunton Wayne, Universal Music 2002 VO anglais doublé français, 1h44, €67,04, Blu-ray StudioCanal 2014 en anglais uniquement €14,45 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Sarah Dars, La morte du Bombay-Express

Ce livre est au croisement d’une fan de romans policiers et d’une spécialiste des langues orientales qui a beaucoup voyagé en Mongolie et en Inde entre autres. Sarah Dars, française, écrit sur la mentalité et les mœurs indienne comme si elle y était née. C’est ce qui fait son charme et ravira ceux qui sont allés en Inde du sud et connaissent ses paysages et ses habitants.

Bien sûr, son brahmane médecin détective amateur, expert en art complet du Kerala, art martial et art médical en même temps – le Kalarippayatt qui apprend à tuer et à soigner – est un peu « trop », comme disent encore les ados, trop parfait, séduisant, souple, invincible, intuitif. Mais c’est un plaisir de lire ses déductions et de suivre ses aventures. Une sorte de Sherlock Holmes en plus convivial, bien que végétarien et abstinent de tout alcool. A l’anglaise, il ne se promène jamais sans parapluie, moins contre la pluie ou le soleil que comme bâton de combat.

Doc – il ne porte que ce surnom – est flanqué d’un compère médecin à la Watson, le fidèle Arjun. Habitant Madras, ils prennent le train pour Bombay, Mumbai comme on dit aujourd’hui par nationalisme hindou anti-anglais – bien que le nom de Mumbai vienne du portugais… Le Bombay-Express se traîne sur les plaines assommées de chaleur et se tortille sur les pentes des ghats qui traversent la péninsule indienne entre deux océans. C’est lors d’une nuit à bord que, dans le compartiment des premières, une femme en sari synthétique meurt d’un incendie, la porte verrouillée.

Qui l’a fait ? S’est-elle suicidée par le feu comme les veuves traditionnelles qui suivent leur mari dans la mort ? Mais le sien de mari, le jeune producteur de Bollywood Bijal, fils de la célèbre star Tâmrâ, tous deux dans le même train, est bien vivant. Il est fusionnel avec maman et dédaigne sa jeune Priyânka, fille d’un magnat de l’industrie probablement épousée pour sa dot – que son père a finement cantonnée pour éviter que le mari ne mette la main dessus. Alors, est-ce un meurtre ? Mais quid de la porte verrouillée ? Et que vient faire le trop beau secrétaire de Bijal dans cette affaire, lui qui a tiré le signal d’alarme mais est retourné dans son compartiment immédiatement après ?

A Bombay, aux 18 millions d’habitants sous la mousson, l’enquête policière piétine et Doc joue les intermédiaires entre la famille du mari, dont il soigne la star éprouvée par ces événements, la famille de la morte, qui soupçonne fortement l’époux bollywoodien Bijal, et la police, dont l’inspectrice névrosée irascible ne sait comment avancer. Il en profite pour établir un régime pour Kaustubh son beau-frère, dont l’épouse Kamalâ cuisine trop bien pour son tour de taille. En se promenant, il est pris à partie par un malfrat à qui il fait son affaire – sans le tuer. Raghunâth le jeune secrétaire bengali disparaît, il se sent menacé, Doc le recherche. Est-il coupable de quelque chose ?

Doc le brahmane expert en arts du Kerala, se veut un homme complet, un sage qui déverse sa bienveillance sur ses semblables trop accrochés par leurs émotions. « Il devait être en plus ferré sur la philosophie, la morale, la stratégie, et capable, par conséquent, de participer à des joutes verbales comme à toutes sortes d’affrontements purement doctrinaux » p.200. Mais si cette mort n’était au fond qu’une sinistre plaisanterie ? Un rire du destin ? Un karma qui se gondole ?

Sarah Dars, La morte du Bombay-Express – Une enquête du brahmane Doc, 2002, Picquier poche 2013, 245 pages, €7,10 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Elisabeth George, Une chose à cacher

Une bonne enquête (la 21ème) du trio bien connu Thomas Lynley, commissaire par intérim, et son équipe, les sergents Barbara Havers (grosse, laide et mal fagotée) et Winston Nkata (l’ex-racaille devenu flic et bien sapé). La série ronronne, sans aspérité, laissant les personnages figés dans leur caricature. Le lecteur n’apprend en effet rien de nouveau sur aucun d’entre eux – ils restent plus vrais que nature. Trop même, ce qui agace un brin, comme s’ils restaient dans l’ornière, gardant le même âge et la même vie.

Mais l’enquête est intéressante, plongeant à pieds joints dans le choc des cultures et le politiquement correct. Nous sommes à Londres, ce qui permet à l’autrice américaine d’oser son propos en l’attribuant à l’exotisme européen. Manière de ne pas froisser les susceptibilités exacerbées par les réseaux des Noirs woke en butte aux lois et aux mœurs des Blancs.

Car il s’agit d’un meurtre d’une policière noire, Téo Bontempi, d’origine nigériane, dont l’autopsie révèle qu’elle a été excisée dans son enfance. Une brigade spéciale de la Met, la police de Londres, a été créée pour endiguer ce fléau contraire aux Droits de l’Homme et à l’égalité entre homme et femme. Mais les coutumes ancestrales ont la vie dure et l’immigration s’en moque. Ce n’est qu’à la troisième génération, peut-être, que la raison et le droit peuvent l’emporter. L’intégration dans la communauté nationale plutôt que dans la communauté tribale est à ce prix.

Il est curieux d’ailleurs que les Offensés, qui s’effarouchent de tout manque de « respect » pour les coutumes particulières ou ethniques, combattent quand même le machisme africain et les mutilations génitales des femmes. Ne devraient-ils pas, dans leur théorie, respecter ces façons de vivre non-blanches ? Pourquoi les Blancs leur feraient-ils la morale ? Elisabeth George n’évoque pas ce dilemme, se contentant d’affirmer la loi et l’égalité au-dessus de tout.

Ce qui ne va pas de soi, évidemment. Abeo, le macho nigérien aux deux familles pour avoir le plus d’enfants possibles, signe selon lui de sa virilité, soumet sa femme Monifa et la roue de coups si elle n’obéit pas. Celle-ci, malgré les aides sociales qui lui permettraient d’échapper à son sort, est contente comme ça, pour ne pas mécontenter ni la coutume ni sa mère. Ce qui fait bouillir le fils, Tani, tout frais émoulu de ses 18 ans, qui veut protéger mère et petite sœur. Car son père veut « préparer » Simi, 8 ans, pour la marier à un Nigérian au pays, ce qui veut dire excision du clitoris au rasoir dans une arrière-cuisine, jambes et bras tenus par des tantes, et infibulation du vagin sans anesthésie pour l’empêcher d’avoir des relations avant mariage.

Tani va se battre avec son père, obliger sa mère, entraîner sa copine noire comme lui mais « évoluée », s’adjoindre la force de la police, pour sauver Simi de la mutilation afin de lui permettre d’avoir du plaisir plus tard. Quant à la victime, Teo, le traumatisme de la mutilation a été à l’origine de sa vocation. Elle a fait la connaissance d’une association de lutte qui aide les femmes nigériane et somaliennes à éviter l’excision. Est-ce pour cela qu’elle a été tuée ?

L’enquête est longue et tordue, bien menée, longuement pour faire durer le plaisir (notamment en voyage), les coupables potentiels multiples, et la fin n’est pas devinée.

Le dernier roman policier de l’Américaine, tout à fait dans l’air du temps.

Elisabeth George, Une chose à cacher (Something to Hide), 2022, Pocket 2023, 863 pages, €10,80,e-book Kindle €13,99 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers d’Elisabeth George déjà chroniqués sur ce blog

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Les Évadés de Frank Darabont

Le réalisateur de La ligne verte (chroniqué sur ce blog) adapte une nouvelle de Stephen King, paru dans le recueil Différentes Saisons (chroniqué sur ce blog). Un détenu à tort s’évade à l’aide d’une affiche de Rita Hayworth sur les murs de sa cellule. Pas seulement par l’imagination devant la femme, mais pour masquer le tunnel qu’il creuse derrière.

Le jeune banquier Andy Dufresne (Tim Robbins), sous-directeur (vice-president en américain) est condamné en 1947 pour avoir tué sa femme qui le trompait et son jeune moniteur de golf de huit balles – soit deux de plus que le barillet du revolver, ce qui indique la préméditation. Lui jure ne pas avoir tué. Certes il est allé devant la maison où ils bisaient ; certes il avait un revolver – mais il était ivre et il est parti au bout d’un moment sans rien faire et a jeté le revolver dans le fleuve. On ne l’a pas retrouvé en draguant le fond, ce qui met en doute sa parole. Le jury le condamne comme coupable – et à perpétuité, aux États-Unis deux fois « la prison à vie » pour les deux meurtres (les Yankees auraient-ils plusieurs vies, comme les démons?).

Le voilà conduit à la grande prison d’État de Shawshank, où il doit se soumettre à la discipline de fer du directeur Samuel Norton (Bob Gunton) – un faux-cul « chrétien » qui aime citer la Bible tout en s’affranchissant de ses commandements – et du capitaine Byron Hadley (Clancy Brown), un costaud sadique qui adore dominer à coup de matraque ceux qui ne peuvent se défendre.

Andy reste réservé mais finit par se lier à Red, un Noir américain (Morgan Freeman) qui assure un trafic de tout ce qui peut se procurer, contre un petit pourcentage. Il veut un marteau taille-pierre pour sculpter des pièces d’échec dans les cailloux de la prison. Ce qui fut fait, de même qu’une grande affiche de Rita Hayworth, qui sera remplacée au fil des ans par Marilyn Monroe éventée par la bouche de métro, puis par Raquel Welch à peine déguisée de linges. Andy Dufresne a une idée obstinée : s’évader. Il se sait innocent, injustement condamné, brimé en prison au-delà du raisonnable par une bande de pédés (les Trois sœurs) qui le violent à loisir après l’avoir tabassé.

L’espoir, tout est là – avec la volonté. Car il ne suffit pas d’attendre et d’espérer naïvement sans rien faire. L’espoir est la meilleure chose, à condition qu’il soit actif. Il mettra dix-neuf ans à réaliser son objectif mais y parviendra de façon brillante en creusant un tunnel avec le petit marteau… derrière les affiches de filles, puis en empruntant le tuyau d’égout qui mène à la rivière à cinq cents mètres des murs pour éviter l’odeur. Entre temps, il fait devant tout le monde comme si de rien n’était, utilisant sa tête à défaut de muscles pour se faire une place. Il écrit au Sénat pour obtenir des fonds pour la bibliothèque et, à force de lettres, deux par semaines sur six ans, obtient gain de cause. Il apprivoise le redoutable capitaine sadique en lui faisant économiser les impôts (fort lourds après-guerre) de l’héritage de son frère, puis en conseillant un gardien pour une épargne-études pour ses fils, enfin en rédigeant toutes les déclarations de revenus des gardiens de la prison, et même celle du directeur.

Lequel voit d’un bon œil ce détenu tombé du ciel (grâce à Dieu) qui peut l’enrichir gratuitement. Andy, par sa connaissance des failles du système fiscal et des mécanismes financiers, blanchit pour le directeur les pots-de-vin attribués par les entrepreneurs de la région pour la main d’œuvre gratuite des prisonniers. Le directeur, en bon « chrétien » puritain, voit la main de Dieu dans cette manne et ne veut surtout pas qu’Andy sorte du système.

Aussi, lorsque Tommy Williams (Gil Bellows), un jeune rocker illettré arrive en « poisson frais » dans l’établissement et qu’il déclare qu’un détenu dans une autre prison lui a raconté avec force détails le double meurtre qu’il a accompli chez le le riche play-boy prof de golf et sa pétasse qu’il était en train de baiser – la femme d’un banquier ! – Andy demande la révision de son procès. Mais le directeur ne veut rien entendre. Il va même, en bon « chrétien » croyant traditionnel, défendre sa position sociale « voulue par Dieu » et sa richesse mal acquise mais « bénie de Dieu » en faisant tuer tout simplement le garçon par le capitaine sur le mirador en « tentative d’évasion ». Il l’avait convoqué tout seul hors les murs exprès pour lui faire avouer son mensonge mais, lorsque Tommy lui a juré que le détenu lui avait vraiment avoué son double meurtre avec précision et jouissance, il l’a fait éliminer. Pas question que la poule aux œufs d’or disparaisse de la prison.

Andy, qui avait appris à lire au jeune homme et qui l’avait formé pour obtenir son diplôme primaire avec 12 de moyenne, va donc se venger. Non seulement de la société inique qui l’a condamné sans l’entendre ni même chercher bien loin, mais aussi de la prison et de ses dirigeants inhumains. Non seulement il s’évade de façon artiste en 1966, mais il va dépouiller le directeur de tous les fonds accumulés, qu’il a mis sous un nom d’emprunt, envoyer aux journaux la comptabilité de la prison qu’il tenait depuis des années, et dénoncer le capitaine comme meurtrier récidiviste de prisonniers. IL fera arrêter le sadique et se suicider en bon « chrétien » le pécheur directeur. « La Bible vous sauvera », avait dit le bon « chrétien » au prisonnier pour l’inciter à lire le Livre. De fait, Andy avait caché son petit marteau à l’intérieur des pages découpées…

Évidemment, pas de femmes, sauf en pin-up sur les murs, ce qui peut indisposer les féministes bornées. Pour le reste, le film ne manque ni d’humanité, ni d’humour. La scène où le directeur hystérique s’aperçoit de visu que le prisonnier ne s’y trouve plus, alors qu’il a été noté présent à la fermeture des grilles la veille au soir ; la scène où le vieux bibliothécaire Brooks (James Whitmore), libéré au bout de 50 ans, se retrouve sans position et désorienté dans la vie civile, inadapté au monde car « institutionnalisé » de la prison ; la scène où Andy, fraîchement évadé et ayant endossé le costume et les chaussures du directeur qui lui faisait bien cirer, se retrouve dans les banques et retire les fonds avec de faux papiers parfaitement imités ; la scène où il diffuse de la musique d’un opéra du divin Mozart par les haut-parleurs de la prison, bien meilleur que la Bible pour donner un moment de beauté absolue aux misérables…

Mais aussi la scène où Red, passant devant un jury de libération conditionnelle, se fait retoquer à chaque fois parce qu’il dit être réhabilité, et n’est enfin admis à la libération au bout de quarante ans que parce qu’il déclare qu’il ne sait pas ce que « réhabilité » veut dire et qu’il « n’en a rien à foutre ». Et qu’il va sous un arbre de Buxton, dont Andy lui avait parlé, pour trouver une pierre qui ne devrait pas s’y trouver, et la boite qu’elle recouvre, où des instructions lui sont données pour rejoindre Andy au Mexique, sur la plage de Zihuatanejo où ils vont tous deux vivre le reste de leur temps sur l’argent sale du directeur, en réparation de tout ce que la société leur a fait, pêchant, gérant un petit hôtel, conduisant en mer des touristes.

DVD Les Évadés (The Shawshank Redemption), Frank Darabont, 1994, avec Tim Robbins, Morgan Freeman, Bob Gunton, William Sadler, Clancy Brown, TF1 studios 2008, 2h16, €11,73

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Histoires d’outre-tombe de Freddie Francis

« Cinq âmes en transit » est le sous-titre de cette suite de contes gothiques des années 1970, tirés des Contes de la crypte parus dans les magazines américains des années cinquante. Il y a constante référence à la mort, des cercueils, des croix, des cimetières, des moines. Justement, les visiteurs férus de frôler le destin aiment à visiter les souterrains des monastères. En arpentant l’un d’eux, à la suite du gardien qui les presse de rester groupés au risque de se perdre… les voilà perdus.

Au sens métaphysique du terme : « vous êtes perdus ! » Un passage emprunté par les cinq derniers en habits de ville, comme sortant du salon ou du bureau, aboutit à une impasse. Celle de l’éternité. Un moine à la coule brune trône sur un siège sculpté dans la roche en forme de tête de mort. Face à lui, cinq plots de roc émergent, un pour chacun. Ils sont priés de s’asseoir. Plus aucune sortie, la porte de pierre s’est refermée avec un bruit sourd. Ce qu’ils font ici ? Prendre conscience. De ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils resteront éternellement. Car nous sommes aux antichambres de l’enfer.

A chacun de se dévoiler, de révéler à tous – et à lui-même – son inconscient. Fini le déni ! La mort est l’instant de vérité, l’ultime, celle qu’on n’a pas voulu voir durant toute sa vie. Les chrétiens et les bourgeois manient le déni avec maestria, sur l’exemple de Pierre qui nia trois fois le Christ, pourtant son seigneur – qu’il disait. S’ils sont là, c’est qu’ils sont tous des monstres malgré leur apparence civile et respectable.

La première à être sollicitée de se révéler est une femme (Joan Collins). Elle a tout simplement tué son mari le soir de Noël d’un coup de tisonnier, on ne sait pourquoi, par ennui peut-être, et s’est retrouvée (ironie du destin) aux prises avec un psychopathe évadé d’un asile déguisé en père Noël. Il embobine sa petite fille et attire la mère derrière les rideaux avant de l’étrangler avec une lourde jouissance – instrument du destin. Voilà pourquoi elle est morte et se retrouve ici, portant sans vergogne la broche marguerite en opaline que son mari lui offrait pour Noël. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en meurtre.

Le second est un jeune homme (Robin Phillips), fils de famille et fils unique, imbu de son rang et de sa propriété, que son père regarde avec indulgence au lieu de l’élever. Il déteste son voisin d’en face, pauvre jardinier de la commune veuf (Peter Cushing), dont les seuls plaisirs sont de recueillir les chiens errants et de donner des jouets aux enfants. Pourquoi les attire-t-il – au vu et su de tout le monde ? La paranoïa du bourgeois est celle d’aujourd’hui : le sexe soupçonné, des réseaux sociaux pour se dédouaner, la rumeur malveillante. Le fils de famille riche commence une campagne de diffamation pour faire partir le vieux, pourtant à deux ans de sa retraite et qui a toujours vécu dans sa maison. Il fait croire que les chiens ont déterré les roses du voisin, objets de ses soins précieux (alors que lui y est allé de nuit), reçoit pour le thé la bonne société du voisinage afin d’instiller le doute chez les mères sur les intentions perverses supposées du solitaire envers les enfants, envoie une suite de lettre de saint Valentin injurieuses en le pressant de s’en aller. Le vieux, privé d’épouse, de chiens, d’enfants, de boulot, de relations sociales, se pend. Bel exemple de christianisme bourgeois que ce harcèlement communautaire ! Il ira en enfer direct, puisque l’enfer existe, selon sa croyance. Un an après, à la saint Valentin, le vieux sort de sa tombe pour aller se venger.

Le troisième est un homme d’affaires impitoyable qui aime le risque et a perdu. Il est ruiné. Rentré chez lui, il annonce à son épouse (Barbara Murray) qu’ils doivent vendre leur collection de meubles, de tableaux et d’objets d’art rapportés de leurs voyages. Elle avise une statuette de jade achetée dans une boutique obscure à Hongkong et s’aperçoit qu’une inscription est gravée (en anglais!). Le propriétaire de la statue peut faire trois vœux. La conne s’empresse d’en faire un sans réfléchir, redevenir riche. L’associé de l’homme d’affaires lui téléphone à ce moment-là pour lui dire de revenir tout de suite au bureau, une grande nouvelle l’attend. Pressé, fébrile, il prend son coupé sport rouge et file sur la route. Un motard tout en noir le suit comme le destin et c’est l’accident : il meurt. Sa femme affolée s’empresse de faire un autre vœu tout aussi peu réfléchi : qu’il revienne. Les croque-morts apportent justement son cercueil. Oui mais qu’il redevienne exactement tel qu’il était avant l’accident et qu’il vive désormais éternellement, exprime en troisième vœu tout aussi con la femme. Sauf que, juste avant l’accident, il a eu une crise cardiaque… Il est désormais embaumé et – à nouveau vivant – souffre atrocement (et pour l’éternité) des acides qui lui brûlent en permanence le corps. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en affaires.

Le quatrième est un mari adultère qui quitte un soir sa famille pour raisons professionnelles, dit-il. Il embrasse ses enfants petits, une fille et un garçon comme il se doit, et prend sa voiture. Il file droit chez sa maîtresse qui l’attend avec ses valises ; elle a fait déménager son appartement. Mais il est fatigué, elle lui propose de conduire la grosse Jaguar MK2 aux quatre phares de calandre. Il rêve qu’ils ont un accident par la faute de sa maîtresse qui fonce droit sur un camion dont les phares l’hypnotisent ; en lui faisant donner un coup de volant, il envoie la voiture dans le décor et se retrouve mort. Il s’éveille brusquement pour s’apercevoir qu’il est encore dans la voiture et qu’il s’est assoupi. A ce moment, les phares d’un camion, le coup de volant, etc. A nouveau mort, il parvient jusqu’à l’appartement de sa maîtresse, désormais vide, mais s’aperçoit qu’elle est revenue, avec tous ses meubles. Il sera éternellement sujet à revivre ces moments où il a gravement fauté contre la morale, la famille et la société. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en amour.

Le cinquième et dernier est un ancien major (Nigel Patrick), embauché comme directeur d’hôpital pour les aveugles exclusivement mâles. Il n’y connaît rien en aveuglement mais a la certitude de bien connaître les hommes. Qu’il croit. Il impose désormais des restrictions pour faire des économies : moins de nourriture, plus de chauffage passé 21 h, moins de couvertures. Les habitués râlent, d’autant que le directeur se goberge, mais son chien-loup les tient en respect. Lorsqu’un aveugle meurt, de faiblesse et de froid, c’en est trop. Les autres décident de rendre au mauvais dirigeant la monnaie de sa pièce. Ils séduisent le chien avec des morceaux de bacon dont chacun donne une tranche pour l’emmener à la cave et l’enfermer dans une cellule, puis font irruption chez le directeur, le maîtrisent et l’entraînent dans la même cave, où il est enfermé lui aussi. Commence alors une activité aveugle derrière la porte. C’est tout un système de cages qui est bâti à force de scie et de clous. Au final, le directeur repu est livré au chien rendu fou par des jours de faim. Exactement le sort qui l’attendait en affamant les malades.

Deux histoires d’hommes peu reluisants et trois histoires délicieusement misogynes de femmes peu futées. Tout le sel de l’ambiance chrétienne anglo-saxonne dans ces contes édifiants au seuil de la mort. Décédé à Londres en 2007 à 89 ans, Freddie Francis le réalisateur a été un spécialiste des adaptations de Comics américains des années cinquante qui font une satire de la société puritaine et affairiste du temps sous forme d’histoires d’épouvante en bandes dessinées. Appât du gain, trahison, avarice, égoïsme sont impitoyablement vengés comme s’il existait une Justice immanente. La Morale est sauve, l’Illusion aussi.

DVD Histoires d’outre-tombe (Tales of the Crypt), Freddie Francis, 1972, avec Ralph Richardson, Joan Collins, Peter Cushing, Ian Hendry, Richard Greene, ESC editions 2022, 1h32, €27,22 e-book Kindle €7,99

D’autres films de Freddie Francis déjà chroniqués sur ce blog

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Le Caveau de la terreur de Roy Ward Baker

L’horreur des années 70 : être enfermé avec des inconnus dans une pièce, où chacun est sommé de raconter le pire de son inconscient. Dans un grand immeuble à multiples étages, cinq hommes montent successivement dans l’ascenseur, au fil des arrêts vers le rez-de-chaussée. Mais la machine n’en fait qu’à sa tête, elle n’obéit pas aux injonctions et ne stoppe qu’au sous-sol. Là, les portes s’ouvrent comme un rideau de théâtre… et dévoilent une pièce ronde avec une table centrale et cinq sièges judicieusement disposés autour. Des boissons alcoolisées attendent les convives, tous mâles bien entendu. Impossible de sortir, il n’y a qu’une seule issue : l’ascenseur qui s’est refermé. Aucun bouton ne permet de l’appeler.

Le club des cinq se résigne alors à s’asseoir, à attendre et à deviser. Sur une idée de l’un d’eux, due à l’atmosphère oppressante du lieu, chacun doit raconter son rêve le plus fort, son cauchemar récurrent. Ce sont donc cinq histoires « de la crypte » qui sont successivement livrées à l’attention du spectateur.

Le Repas de minuit met en scène l’un des cinq qui rêve de rechercher sa sœur (alors qu’il n’a pas de sœur) via un détective très privé, qu’il tue une fois la mission accomplie. Il récupère l’argent et se rend au domicile de la jeune femme, dans un quartier mystérieux où, lorsque la nuit tombe, chacun se calfeutre chez soi. Les monstres vont apparaître, ainsi qu’il est prédit. Le narrateur ne peut dîner au restaurant car celui-ci ferme à la nuit tombée, à 19h30. Il va donc sonner à la porte de sa sœur, une rousse au visage étrange qui lui ouvre, le reconnaît, le fait entrer. Mais pourquoi voulait-il la voir ? Parce que leur père est mort et qu’il l’a désigné elle comme unique héritière (pas de part réservée en droit anglais, chacun fait ce qu’il veut de sa fortune). Tandis qu’elle lit le papier, il la poignarde par trois fois, comme trois reniements de Pierre envers le Christ. Lorsqu’il ressort de la maison, le restaurant est à nouveau ouvert et il s’y rend pour dîner. Mais le maître d’hôtel, qui n’est plus le même, lui sert un cocktail de mauvais goût, une soupe au sang et lui demande comment il se veut rôti. Le meurtrier s’aperçoit alors dans le miroir qu’il est seul dans la salle et que tous les autres sont des fantômes. Ou plutôt des vampires, et que le rôti, c’est lui. Sa sœur, désormais décédée, entre alors et entreprend de le pomper… à la veine jugulaire.

Le métier de faire le nid montre comment le narrateur, fortune faite en son âge mûr, désire une épouse pour s’occuper de lui. Il se marie avec la fille d’un ami, une Eleanor vieillissante qui n’a pas trouvé chaussure à son pied. Mais il est maniaque et veut que tout soit comme avant, les choses à leur place et une place pour chaque chose. La femme est une intruse qui bouleverse sans le savoir, et sans le vouloir, ses chères habitudes. Mais elle veut bien, trop bien faire. Un soir qu’il doit rentrer à 18h – tapantes – elle entreprend de ranger l’infime désordre qu’elle a mis dans la maison durant la journée où elle s’ennuie. Mais chaque acte de ménage engendre sa catastrophe : bidon de nettoyage renversé, tableau qui se décroche, clou impossible à trouver, marteau qui emporte son portant… Le mari rentré en devient fou, et elle folle. Avec le marteau encore en main, elle lui en flanque un bon coup sur la tronche.

Ce truc va vous tuer présente Sebastian en magicien en vacances aux Indes avec sa femme. Il cherche un nouveau truc pour relancer son spectacle et est prêt à tout pour l’avoir. Avisant un gourou qui transperce un panier empli d’un jeune garçon, le sabre remontant ensanglanté, il montre que le panier est ouvert sur le fond et que le garçon s’est planqué avant de ressortir frais comme une rose ; de même le sabre qui traverse la mâchoire est truqué. Mais l’assistante du gourou veut lui donner une leçon. Elle effectue le lendemain, seule, le tour de la corde indienne, une corde qui sort verticalement d’un vase en osier et ondule comme un serpent sous la son de la flûte, avant de s’élever rigide, au point qu’on peut y grimper. Sebastian cherche le truc, ne le découvre pas : voilà ce qu’il voulait. Il convoite alors de l’acheter, mais la grosse somme n’y fait rien, c’est non. Le lendemain, il joue alors l’époux prévenant qui veut distraire sa moitié souffrante dans la chambre de leur hôtel. Il invite la fille à faire une démonstration devant elle, ce qu’elle réussit à merveille. Puis il la tue d’un coup de poignard dans le dos. Il possède enfin les accessoires, le truc de fou, joue de la flûte et, malgré sa maladresse, fait s’ériger la corde. Mais celle-ci ne l’entend pas de la bonne oreille et elle prend vie autonome, fouettant le tueur et va jusqu’à l’étrangler et le pendre.

Unis dans la mort dévoile une belle escroquerie à l’assurance-vie. Maitland veut se faire passer pour mort à l’aide d’un poison qui ralentit le cœur jusqu’à ce qu’il ne soit plus perceptible. Son copain Alex est chargé d’aller déterrer son pseudo-cadavre, une fois le cercueil dans la fosse. Mais l’air manque et Maitland trouve le temps long. Dans son logis, deux étudiants en médecine désirent un cadavre frais pour réviser leur anatomie et se rendent au cimetière, où ils soudoient le fossoyeur pour déterrer le plus récent. Pendant ce temps, Alex passe en voiture, désirant garder le magot pour lui seul et laisser crever Maitland dans sa bonbonnière en sous-sol. Lorsque le cercueil est ouvert, le cadavre espéré se dresse d’un coup en aspirant l’air, ce qui effraie les deux apprentis médecins et les fait fuir hors du cimetière. Ils croisent la voiture qui fonce en sens inverse et qui, voulant les éviter, va percuter un arbre. Exit Alex. Lorsque les deux reviennent voir le cadavre, le fossoyeur l’a arrangé d’un bon coup de pelle afin qu’il ne bouge plus… Exit Maintland.

Dessin fatal raconte le rêve du dernier des cinq. Il est peintre et se voit à Haïti, sous les tropiques, en train de s’essayer aux portraits tandis que son œuvre est mal considérée à Londres où les marchands de tableaux lui disent que ce sont des croûtes et où un critique d’art réputé l’assassine. Un ami de passage lui apprend que l’une de ses peintures s’est quand même très bien vendue récemment aux enchères et le peintre se dit qu’il a été roulé. C’est le jeu des marchands, lui dit-on, mais il veut se venger. Il va pour cela voir un jeune prêtre vaudou, torse nu dans sa case, orné de colliers de coquillages. Le jeune homme lui dit que, s’il veut un sort, il doit tremper sa main dans l’eau bouillante de la marmite, elle en ressortira chargée de magie. Le peintre hésite, sa main est son outil de travail, mais à quoi bon si ses œuvres ne sont pas reconnues à leur juste valeur ? Il la plonge donc dans l’eau qui bout et la ressort un peu grasse de ce qui mijote, mais intacte. Désormais, tout ce qu’il va dessiner ou peindre sera lié à lui : s’il dessine un trait, le trait sera reproduit sur l’objet où l’être vivant, via un événement réel imprévu. Rentré à Londres, il va se confronter à ses escrocs et leur annonce sa vengeance. Il peint un portrait de chacun d’eux et, pour le critique qui n’a pas vu la valeur de son œuvre, lui crève les yeux ; pour l’un des marchands, il lui coupe les mains ; pour le dernier, il va le voir une dernière fois pour dessiner sous ses yeux un point rouge sur le front. Chacun va subir le sort assigné : le critique sera rendu aveugle par sa maîtresse qu’il quitte sans élégance et qui lui balance du vitriol à la figure ; le second aura ses mains coupées par le massicot qu’il manie pour donner l’exemple à son apprenti qu’il humilie ; quant au dernier, il brandit un revolver face au peintre mais la magie l’oblige à se le retourner entre les deux yeux. Le peintre ridiculisé est vengé. Sauf qu’il a peint un portrait de lui avant que ses mains soient chargées et qu’il ne peut le détruire sans se détruire lui-même. Il l’a donc enfermé dans un coffre-fort, mais l’air vient à manquer ; il doit le ressortir et y parvient in extremis. Mais il s’aperçoit qu’il a oublié sa montre dans le bureau du marchand suicidé et s’y précipite. Las ! Un peintre (en bâtiment) qui œuvre au-dessus de son atelier fait tomber accidentellement un bidon de dissolvant sur le portrait laissé à l’air libre et le visage se décompose – tout comme celui du peintre qui est renversé brutalement par un camion.

Chacun a raconté son histoire, celle de leur inconscient profond. La porte de la pièce où ils sont enfermés s’ouvre, mais sur un cimetière. Les hommes sortent un à un et disparaissent. Le dernier, Sebastian, donne la leçon de tout cela : ils se sont tous damnés et doivent revivre pour l’éternité leurs méfaits en racontant sans cesse leur histoire.

C’est d’un fantastique étrange, plutôt sophistiqué, tout à fait dans les explorations esthétiques des années post-68 à Londres. Les histoires vont crescendo dans le bizarre et captivent. Un bon spectacle, servi par un coffret cher, mais réédité en remastérisé et haute définition, qui comprend un livret écrit et un second DVD de suppléments.

DVD Le Caveau de la terreur – les contes de la crypte (The Vault of Horror), Roy Ward Baker, 1973, avec ‎ Dawn Addams, Tom Baker, Michael Craig, Denholm Elliott, Curd Jürgens, 1h26, ESC nouveau master haute définition, Blu-ray €40,98

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L’invraisemblable vérité de Fritz Lang

Jusqu’où le militantisme peut-il aller dans l’activisme ? A jouer de sa vie. C’est ainsi qu’Austin Spencer (Sidney Blackmer), un directeur de journal convainc l’un de ses journalistes vedettes Tom Garrett (Dana Andrews), qui doit épouser sa fille Susan (Joan Fontaine), de se prêter à une expérience judiciaire. Il est contre la peine de mort dans son État, qu’il considère barbare, surtout lorsque le condamné peut être innocent. Or la mort est souvent donnée sur des preuves qui ne sont que des convictions, pas des faits. Sa conscience est aux prises avec les affres de la morale.

Il est en opposition avec le District attorney Thomson (Philip Bourneuf), fanatique de la Loi et en course pour sa réélection, qui fait condamner par un jury après avoir énoncé toutes les preuves directe et indirectes. Lui n’a pas de cas de conscience, ce n’est pas lui qui condamne, mais le jury populaire. Il ne fait que rassembler les éléments de culpabilité.

Les deux journalistes vont donc mettre en œuvre une machination secrète, visant à démontrer l’inanité des preuves apparentes. Tom va jouer le meurtrier d’une danseuse de bar, Patty Gray, retrouvée étranglée dans un ravin proche de la ville. Aucun indice jusque là découvert par la police ne permet une piste. Qu’à cela ne tienne, les deux compères vont en fabriquer. Mais non sans prendre à chaque fois un cliché de ce qu’ils font et conserver les factures de ce qu’ils achètent pour établir – in fine – l’innocence du probable condamné.

C’est ainsi que Garrett achète un pardessus gris comme un témoin croit en avoir vu un sur le dos de l’homme qui a pris Patty dans sa voiture noire d’un modèle récent. Garrett possède le même véhicule, ce qui est pratique. Il va laisser des traces de crème à maquillage utilisé par les filles sur la banquette ainsi qu’un bas de femme dans la boite à gant. Puis son briquet, un modèle de luxe offert par Susan pour leurs fiançailles, avec son prénom gravé dessus. Le tout dûment pris en photo, avec la date à l’arrière. Il lie connaissance avec Dolly, une camarade de danse de Patty, puis l’emmène dans sa voiture noire, revêtue de son pardessus gris, jusque près du ravin fatal. Dolly, que ses copines incitent à se méfier de ce bel homme riche que nulle ne connaît dans le bar, prévient le lieutenant de police Kennedy (Ed Binns) qui suit l’auto et interpelle Garrett alors qu’il cherche à embrasser Dolly et qu’elle résiste.

Garrett est arrêté, les preuves contre lui s’accumulent, le procès a lieu. Le District attorney fait son travail de conviction au vu des preuves et laisse au jury le soin de conclure. Garrett a beau affirmer maintes fois qu’il ne connaît pas Patty, le jury hésite longuement – puis le juge coupable de meurtre avec préméditation et le condamne à mort. Thomson est content, il a fait son boulot.

C’est alors que Spencer sort les preuves de la machination de son coffre, les met dans une enveloppe, et sort sa voiture du garage pour aller les porter au tribunal afin de faire invalider la peine en prouvant l’innocence de Tom. Mais il recule sans regarder et un camion le percute de plein fouet, renversant le véhicule, le tuant sur le coup et répandant le feu sur la scène. Les preuves sont détruites… Garrett va être exécuté. Son avocat, qui n’est pas au courant de la mise en scène, et Susan, qui croit aimer son fiancé malgré le jugement de meurtre, vont tout mettre en œuvre pour retarder l’exécution et trouver des preuves contraires afin de réviser le procès. Mais le secret a été trop bien gardé et personne ne sait que les preuves incriminables ont été fabriquées. Les photos ont même été prises avec un appareil à développement instantané, ne laissant ni double ni négatif ! Aucune copie n’a été faite des factures du pardessus, de la crème à maquillage. Le spectateur se dit que les militants anti peine de mort ont été bien légers de jouer avec le destin…

Sauf que Spencer a quand même laissé une lettre qui décrit en détail la mise en œuvre des fausses preuves, retrouvée après sa mort – mais avec un long délai – dans l’un de ses coffres-forts par son exécuteur testamentaire. Une précaution bienvenue qui se révèle in extremis pour gracier Tom. Susan va le voir en prison pour lui apporter cette bonne nouvelle, tandis que la grâce est présentée au gouverneur de l’État. Mais, retournement de situation : Tom se coupe en donnant le vrai prénom de « Patty » qui était Emma, alors que la presse n’en a pas parlé. C’est donc qu’il la connaissait ! Il serait donc coupable ?

Cela reste à prouver, mais les preuves ayant été falsifiées, comment s’y retrouver ? Condamne-t-on un homme juste sur un lapsus ? Tom va cependant avouer à celle qu’il croit amoureuse que « Patty » était sa première femme, épousée par complot, et qui n’a pas voulu divorcer au Mexique, comme il l’avait payée pour le faire. Pour épouser Susan, il devait la faire disparaître. Quant à elle, Susan se révèle très en-dessous de la femme amoureuse telle qu’elle se croit. En fait, elle n’aime pas Tom mais voulait s’allier à lui par convenances, parce qu’il plaît à son père, c’est là la faiblesse du film. On ne croit pas une seconde à l’amour entre Susan et Tom même s’ils s’embrassent à tire-larigot entre deux clopes et deux verres, ces scies de mise en scène des années cinquante à Hollywood.

Drame de conscience assez court pour Susan. Puisqu’au fond elle ne l’aime pas, elle n’hésite que quelques instants avant de le dénoncer. Elle aurait pu se taire devant l’acte d’amour que Tom avait fait pour elle. Mais non, la Conscience la tourmente, ce ramassis de conventions sociales auquel elle n’a aucun courage de déroger. Le personnage manque ainsi de dimension tragique ; elle n’apparaît que comme une poupée sociale qui ne mérite pas d’être aimée. Le gouverneur saisit sa plume, le téléphone sonne, le Dictrict attorney lui passe Susan, il l’écoute, puis range sa plume. Il ne signera pas la grâce. Tom Garrett est ramené en cellule en attendant son exécution.

DVD L’invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt), Fritz Lang, 1956, 1h20, Lang & l’Amérique : 2 Films de Fritz Lang – La cinquième Victime + L’invraisemblable vérité [Édition Collector] Masters restaurés avec le livre « La nuit américaine de Fritz Lang » de Bernard Eisenschitz (80 pages) 2012, €181,13

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Giacometti et Ravenne, Conjuration Casanova

Les auteurs sont écrivains et mettent en commun leurs connaissances pour écrire des thrillers. Le premier a été journaliste d’investigation économique et a enquêté sur la franc-maçonnerie à la fin des années 1990. le second est franc-maçon et étudie les manuscrits. Ils veulent tous deux nettoyer l’obédience des rites folkloriques et des fantasmes complotistes sur le sujet. Ce pourquoi les amis d’adolescence poursuivent depuis 2005 une série qui met en scène un commissaire franc-maçon, Antoine Marcas.

Le ministre de la Culture découvre au matin dans son lit sa maîtresse morte. Aucune plaie apparente, lui ne se souvient de rien. En fait, elle est morte d’extase, de sexe un firmament. Il l’aimait d’amour fou, de son corps, de son cœur, de son âme, et il en devient fou. Il est interné dans une clinique privée de la région parisienne où sont mis au vert les politiciens surmenés. Le commissaire Marcas est chargé de l’enquête car il ne faut pas faire de vague. Le ministre est en effet franc-maçon.

Dans le même temps, une jeune femme près de Cefalu en Sicile réchappe d’un bûcher allumé par leur gourou de la Magia Erotica tirée des œuvres écrites et de chair de Giacomo Casanova. Anaïs avait suivi ce beau-parleur riche au goût exquis, qui savait parler de l’amour comme un accomplissement. Mais pour aller au bout de la chair, une fois les êtres appariés, il était nécessaires de les unir dans l’éternité de la mort, donc de les brûler tout vifs. La jeune femme en a réchappé par miracle, mais pour combien de temps ? Car le Maître ne lâche jamais sa proie, il lui faut accomplir le grand œuvre. En attendant, elle est séduite par le jeune Sicilien qui parle français, dont elle voit le torse nu svelte et musclé dans la vigueur de ses 18 ans lorsqu’il change de chemise, et elle s’offre à lui sur le capot de sa Fiat alors qu’il la conduit à l’aéroport de Palerme pour fuir la Sicile. C’est chaud, comme l’amour et le feu.

Il a pour cela acquis un manuscrit rarissime de Casanova, qui vient de passer en vente à Paris pour une somme astronomique. Mais il veut rester discret, donc anonyme. Pourquoi ? Que recèle de si sulfureux ce manuscrit rédigé à la fin de sa vie par le grand séducteur vénitien, après ses Mémoires ?

Bien construit et haletant, avec le sexe en prime alléchante, c’est un bon thriller qui n’a rien perdu de son mordant avec les années.

Eric Giacometti et Jacques Ravenne, Conjuration Casanova, 2006, Pocket 2011, 447 pages, €18,60 e-book Kindle €9,99

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Témoin à charge de Billy Wilder

Agatha Christie en avait imaginé une nouvelle en 1925 puis, devant le succès, élaboré une pièce de théâtre après guerre en 1953 ; Billy Wilder en fait un film en 1957. Il y aura encore une mini-série BBC en 2016 et un téléfilm policier récemment ! C’est dire combien l’intrigue intrigue, particulièrement tordue car à rebondissements.

Le thème en est l’amour – absolu – face au cynisme de l’humain trop humain. Leonard Vole (Tyrone Power) est un bon à rien touche à tout qui, pris dans l’armée d’occupation britannique en 1945, sauve Christine Helm (Marlène Dietrich) de la famine dans un Berlin en ruines où elle chante dans un cabaret improvisé en sous-sol. Leonard, léger et inconsistant, lui fait plaisir en lui offrant du café instantané et des rations de lait, sucre et œufs en poudre de l’armée américaine. Tout cela parce qu’elle l’a impressionné par son caractère froid et rigide, sa voix grave et ses grands yeux. Il l’épouse pour la faire sortir d’Allemagne et l’établit avec lui en Angleterre.

Mais la vie continue et Leonard va de boulot en boulot, instable et fantasque. Il a inventé un batteur qui « sépare les blancs des jaunes » (?) et espère de l’argent pour lancer son affaire. Il fait la connaissance par hasard, en regardant les vitrines de luxe, de la veuve joyeuse Madame French (Norma Varden) qui essaie un chapeau ridicule. En croisant son regard, il lui fait signe que non de la tête ; la rombière essaie un nouveau bibi et il fait alors oui. Elle l’achète et le remercie mais, comme son bus arrive, il s’en va. Il est ainsi Leonard, instantané, à saisir ce qui passe.

Le destin va en décider autrement et ils se retrouvent par hasard dans un cinéma où le chapeau acheté empêche de voir l’écran. C’est Madame French qui va passer son ennui dans les salles obscures à regarder des films qu’elle a déjà vu plusieurs fois. Ils renouent, elle l’invite à venir prendre le thé ; il lui fait la démonstration de son batteur à main devant la cuisinière bonne à tout faire Janet McKenzie (Una O’Connor) qui le prend en grippe par conservatisme et jalousie. Elle n’aime pas ce beau-parleur qui enjôle sa maîtresse, d’autant que celle-ci tombe amoureuse du bel homme qui a au moins vingt ans de moins qu’elle.

Et Leonard se retrouve dans l’antichambre du célèbre avocat pénaliste sir Wilfrid Robarts (Charles Laughton) qui sort d’une crise cardiaque et que son infirmière dragon (Elsa Lanchester) rudoie pour lui faire faire la sieste, prendre ses pilules, lui imposer sa piqûre, boire son cacao… Ce qui est autant de prétextes à scènes cocasses où le coq éructe contre la poule, qui l’aime bien au fond. C’est que Leonard se trouve accusé du meurtre de Madame French survenu la veille au soir, alors qu’il venait justement de la visiter. Il jure qu’il n’a pas tué. Sir Wilfrid le soumet au teste du monocle (le soleil dans l’œil) et a plutôt tendance à le croire mais la cause est perdue. D’autant que les journaux révèlent qu’une forte somme lui est léguée par testament, ce qui fournit un mobile, même si Leonard jure (une fois de plus) qu’il n’était pas au courant. Sa femme immigrée témoigne aux policiers en sa faveur, mais elle est sa femme, donc sujette à être aveuglée par l’amour, et étrangère, donc sujette à suspicion de la part des « jurés de Londres ». Sir Wilfrid laisse donc la cause perdue à son élève, l’avocat Brogan-Moore (John Williams).

Leonard sorti, surgit alors sa femme Christine, son seul alibi. Sir Wilfrid l’interroge au bas de l’escalier où il doit prendre l’ascenseur mécanique pour ne pas se fatiguer le cœur, et ce qu’elle dit l’incite à aller au combat. Il adore au fond les causes perdues et sent que cette femme qui est prête à tout pour sauver son amour passera mal devant un jury : défendre Leonard sera alors une performance.

Il décide de ne pas la faire témoigner mais l’accusation s’empresse de la convoquer. Si les avocats de la défense Robarts et Brogan-Moore ont réussi à instiller un doute dans les esprits à propos du témoignage de l’inspecteur (chef) qui a trouvé du sang sur la veste du suspect du même groupe que celui de la victime, mais n’a pas vérifié si ledit suspect pouvait être du même groupe sanguin ; s’ils ont réussi a ridiculiser le témoignage de la vieille bonne écossaise Janet qui s’est trouvée déshéritée de la fortune de Madame French lorsqu’elle a changé son testament en faveur de Leonard, et qui devient sourde d’une oreille, alors comment aurait-elle pu reconnaître la voix qui parlait avec sa patronne juste avant le crime ? – le témoignage de Christine est un revers.

Elle ne devrait pas être autorisée à témoigner à charge puisqu’elle est sa femme or, coup de théâtre, un certificat est produit d’un premier mariage en Allemagne en 1942, ce qui annule le mariage anglais. Elle peut donc valablement répondre aux questions. Elle déclare avoir menti aux policiers sur l’heure où Leonard est rentré chez lui le soir du meurtre, elle déclare avoir vu sa veste ensanglantée à la manche et qu’il lui a déclaré avoir tué la veuve. Son excès même indispose le jury de Londres et l’assistance. Pourquoi l’accable-t-elle si elle l’aime ? N’est-elle pas reconnaissante à Leonard de l’avoir sauvée ?

Alors que tout semble plié et que l’accusation va produire son réquisitoire pour le pendre, second coup de théâtre. Une femme de la rue a contacté sir Wilfrid par téléphone pour lui dire qu’elle a des informations pour lui sur « cette traînée » de Christine. Rendez-vous au bar de la gare d’Euston dans une demi-heure, avec du fric. Il s’agit de lettres écrites par Christine à son amant Max sur papier bleu, qui détaille à loisir le piège dans lequel Leonard serait tombé. Les avocats paient et reviennent au tribunal avec ces nouvelles preuves. Christine est confondue en public et s’effondre : elle a menti, elle n’a cessé de mentir à tous, à Leonard en taisant son premier mariage, aux autorités britanniques, aux policiers, au jury. Leonard est acquitté.

Mais quelque-chose chiffonne le vétéran des causes criminelles sir Wilfrid Robarts : tout est « trop parfait », dit-il. La salle s’est vidée, Christine va être inculpée de faux témoignage et faire de la prison mais elle est heureuse : elle aime profondément Leonard et l’a sauvé de la potence. Pour cela, elle a doublement menti pour lui, en le soutenant, puis en retournant sa veste pour l’accabler, enfin en écrivant en hâte les lettres qui vont l’incriminer elle-même – car la fille des rues qui a vendu le paquet, c’est elle-même déguisée ; elle a fait du théâtre. Sir Wilfrid est abasourdi, toute morale est absente et, s’il aime gagner, il n’aime pas que le crime paie.

Mais Leonard, toujours aussi instantané que le café qu’il a initialement offert, revient dans la salle déserte avec une poule, celle qu’il a ravie récemment dans un café et avec qui il est allé consulter une agence pour un voyage cher sous les palmiers quelques jours avant le crime. Car c’est bien lui le meurtrier. Si Christine l’a sauvé, elle lui a menti sur le mariage et ne se trouve donc pas sa femme ; il reprend sa liberté d’autant qu’il a trouvé plus jeune et qu’il est désormais riche. Tout s’effondre devant Christine. Tant qu’à être condamnée, autant que ce soit pour une bonne cause : le meurtre plutôt que le faux parjure. Elle se saisit du couteau qui a tué la French, laissé comme pièce à conviction sur une table et que le monocle de l’avocat titille de son reflet comme par justice immanente, et poignarde Leonard, qui crève.

Sir Wilfrid Robarts, choqué de tant de cynisme et d’amoralité foncière, décide alors de défendre Christine malgré sa santé qui devrait lui interdire toute émotion forte. Mais avec l’approbation enthousiaste de son infirmière.

Un bon film empli d’humour très britannique, de rebondissements inattendus en poupées russes, même lorsqu’on les connaît déjà, et de personnages entiers dans leur rôle. Le film a été un succès et a reçu plusieurs Oscars et Golden Globes en 1958. Il se revoit avec plaisir.

DVD Témoin à charge (Witness for the Prosecution), Billy Wilder, 1957, avec‎ Tyrone Power, Marlene Dietrich, Charles Laughton, Elsa Lanchester, John Williams (II), Rimini Editions 2021, 1h52, €9,98 Blu-ray €19,55

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J.B. Livingstone (Christian Jacq), Meurtre au British Muséum

Étonnant Christian Jacq. Cet égyptologue passé à l’écriture a commis des romans policiers anonymement lorsqu’il n’était pas encore connu, sous le pseudonyme de J.B. Livingstone. Il a avoué cette œuvre mineure des années 1980 dans les années 2015 en la rééditant sous son nom. Meurtre au British Muséum, réintitulé Le crime de la momie et réactualisé à notre époque, est le premier opus de la série inspecteur Higgins.

Je préfère pour ma part la version d’origine, sans la technologie qui envahit tout. Higgins, détective inspecteur chef à la retraite, ne supporte même pas le téléphone ; dans son cottage, il l’a placé dans la cuisine et c’est sa gouvernante qui répond. Lui privilégie la bonne vieille psychologie à la Maigret et l’enquête humaine à tous les gadgets et prélèvements. Ce pourquoi il a obtenu des succès certains, au point que son ancien patron fait appel à lui comme consultant sur les affaires délicates où il en perd son latin.

Comme celle du British Muséum. Sir John Arthur Mortimer, l’égyptologue reconnu et autoritaire qui va bientôt être élu directeur du musée, grippé et ne pouvant sortir sur ordre de son médecin, a envoyé sa femme chercher un dossier rouge laissé dans son bureau. Frances convie le fils de son mari, un Philip de 17 ans émotif et entier, amoureux d’elle, à l’accompagner. Elle pénètre seule dans le bureau et y est assassinée par deux coups de feu. La porte est fermée et, lorsque le gardien trouve enfin le double de la clé, ceux qui font irruption la trouvent morte, une momie dans les bras comme si elle avait voulu l’assassiner.

Higgings, alerté par son supérieur, enquête. Pour lui, tous les protagonistes sont suspects et il va les interroger maintes fois pour recouper les informations, trouver des failles et détecter les mensonges ou omissions de chacun. La déduction s’impose comme moyen d’enquête. Évidemment, tous ont des choses à cacher, l’épouse, le mari, le fils, la gouvernante du couple, le chauffeur, le gardien – et même l’assistant du professeur qui est en conflit ouvert avec lui sur les fouilles à venir… En démêler les fils est un art.

Un bon roman de gare dans le sens noble du terme : il fait passer un bon moment de délassement. Je n’ai pas lu la version remaniée et modernisée, sans doute moins dans son jus que l’original qui a le charme du policier ancien.

J.B. Livingstone (Christian Jacq), Meurtre au British Muséum, 1984,Éditions Gérard de Villiers, collection Les Dossiers de Scotland Yard, 1996, €0,97 occasion

Réédité sous le Titre Christian Jacq, Le crime de la momie, les enquêtes de l’inspecteur Higgins tome 1, XO éditions 2016, 264 pages, €13,90 e-book Kindle 9,99

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Soupçons d’Alfred Hitchcock

Quand le jeune séduisant oisif Johnnie Aysgarth (Cary Grant) rencontre la belle Lina McLaidlaw (Joan Fontaine) sous un tunnel, dans un train, c’est le coup de foudre. Le cynique joueur perpétuellement désargenté tente sur elle un expédient, lui « emprunter » un timbre pour faire l’appoint de l’amende qu’il doit payer pour voyager en première classe avec un billet de troisième. Nous sommes hors du temps, dans une Angleterre fictive alors qu’elle est en guerre en 1941, pour un public américain qui rêve encore de la vieille Europe (ce qui va s’inverser après-guerre).

Lina tombe raide dingue du bel homme qui l’emmène promener et tente de l’embrasser, puis au bal où il s’introduit, non invité, pour danser. Lui ose tout. Il n’a rien, elle s’en apercevra une fois mariée – sans le consentement de ses parents, le général McLaidlaw (Sir Cedric Hardwicke) et son épouse Martha (Dame May Whitty). L’oie blanche vouée au destin de vieille fille selon ses parents qui désespèrent, est ravie par le renard rusé au beau pelage. L’a-t-il épousé pour sa fortune ? Elle n’en a pas, que 500 £ de rente annuelle servie par son père, et rien à son décès que son portrait en général, pour surveiller moralement le couple. Car John flambe ; il loue une somptueuse maison à sa nouvelle épouse qu’il appelle « Ouistiti » (Monkey Face), il engage une jeune servante Ethel (Heather Angel) et une cuisinière. Avec quoi paie-t-il ? Avec des emprunts un peu partout : les amis, les banques, l’assurance-vie ; le jeu aux courses ; les « affaires » plus ou moins douteuses. Il est sans cesse sur la corde raide, plein d’idées mais la tête pleine de vent. Incapable de travailler, inapte au mariage bourgeois.

Lina, tête d’institutrice à lunettes qui lit au début un livre sur la psychologie de l’enfant, devient vite soupçonneuse. Elle découvre une à une les entourloupes de son mari, prend peur peu à peu. Certes, il a à chaque fois d’’excellentes explications qui tiennent la route, mais quand même… Il est cynique avec ses amis, ses connaissances, son cousin même le capitaine Melbeck (Leo G. Carroll) qui l’a engagé comme agent immobilier dans sa société avant de le virer six semaines plus tard pour avoir piqué dans la caisse. Son ami de collège Biquet (Beaky en anglais, Nigel Bruce), gentil mais naïf, est subjugué par John et lui passe toutes ses lubies. « C’est tout Johnnie ! » est son mantra favori. Rien de grave, il s’en sort toujours, il est gentil.

Mais Biquet ne supporte pas l’alcool, il meurt à Paris après un pari d’avaler un grand verre de cognac, alors qu’il y était pour affaires, dissoudre une société constituée avec John pour mettre en valeur un site touristique au-dessus des falaises sur la côte, que Lina a démonté rationnellement au point de les faire renoncer. La police vient au domicile des Aysgarth pour interroger John sur son ami mais il est absent : il a accompagné Biquet à Londres pour son vol vers Paris. Lina est effondrée, elle soupçonne Johnnie de l’avoir son ami pour sauver ses avoirs. Suspense. Celui-ci revient dans l’heure qui vient, il était bel et bien à Londres, a mis Biquet à l’aéroport avant de passer à son club, il téléphone à la police immédiatement pour répondre aux questions. Mais quand même…

Pourquoi John s’intéresse-t-il autant aux romans policiers de la reine du crime du village ? Pourquoi, au cours d’un dîner avec elle et son cousin légiste, cherche-t-il à connaître le moyen le plus sûr de tuer quelqu’un sans se faire prendre ? Pourquoi cuisine-t-il jusqu’au bout l’écrivaine pour lui soutirer le nom du poison indécelable que tout le monde peut se procurer – car d’usage courant en ménage ? Lina prend vraiment peur. Elle en tombe malade, croit qu’il veut la tuer pour toucher les 500 £ de son assurance-vie au cas où elle meurt. Elle sait qu’il est à court d’argent, sans cesse affairé à s’en procurer à tout prix, elle a lu une lettre de la compagnie qui répondait à l’une de ses demandes. Elle ne boit pas le verre de lait qu’il lui a apporté d’en bas, en montant l’escalier sous la verrière, dans un suspense angoissant.

En voulant repartir chez maman, ayant appris la mort de son père, elle veut s’éloigner de John et peut-être le quitter. Elle est amoureuse mais les coups de canif dans le mariage ne cessent de la blesser. Son cher Johnnie n’a-t-il pas vendu pour 200 £ deux vieilles chaises de famille offertes comme cadeau de mariage par le général afin qu’elles soient transmises à la génération future ? Il ne respecte rien, refuse tout travail honnête, ne vit que d’expédients et d’escroqueries. Elle veut conduire, il ne veut pas ; il tient à l’accompagner. L’auto longe les falaises à pic sur la mer et ses rochers acérés en contrebas. La porte du passager ferme mal, c’est une voiture décapotable un brin usée. John se penche vers la portière comme s’il allait l’ouvrir et pousser sa femme hors de l’auto, un malheureux accident qui lui assurerait le capital d’assurance-vie. Mais c’est un fantasme de femelle angoissée devenue paranoïaque : fausse route, au contraire il voulait la protéger ! Frustration d’être dupé sur ce qu’on croyait savoir…

Le film est conduit comme une enquête policière, mais à l’intérieur du couple, avec l’amour comme enjeu. Le mari dissimule sa gêne financière perpétuelle sous un costume impeccable et son incapacité à gérer ses avoirs sous un air désinvolte ; l’épouse qui craint l’avenir sur la corde raide croit le pire et imagine le reste. La mayonnaise monte peu à peu, au point de culminer dans le fantasme du meurtre… Veut-il l’empoisonner ? Le verre de lait fera déborder le vase. Veut-il la précipiter du haut de la falaise ? La portière sera l’explosion.

Mais tout s’apaise, conclusion heureuse exigée par le studio – comme par la mentalité à l’eau de rose yankee. Cela aurait pu être un film bien noir, cela reste un film de suspense fort réussi, mais dans les normes acceptables par la société des années 40. Le jeu de l’amour et de la peur.

DVD Soupçons (Suspicion), Alfred Hitchcock, 1941, avec Joan Fontaine, Cary Grant, Cedric Hardwicke, May Whitty, Leo G. Carroll, éditions Montparnasse 2003, 1h35, €17,30 Blu-ray €15,05

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Le grand alibi d’Alfred Hitchcock

Tout est théâtre, même le meurtre. En flash-back, Jonathan Cooper (Richard Todd) raconte avoir reçu l’actrice Charlotte Inwood (Marlene Dietrich) qu’il admire et qu’il aime, un soir qu’elle survient affolée. Son mari a été tué – bien fait pour lui, ce violent – mais elle ne sait comment s’en sortir. Il lui conseille de faire comme si de rien n’était et d’aller jouer au théâtre dans le West End londonien, mais en changeant de robe, sa blanche étant tachée de sang. Lui ira chez elle en chercher une autre, une bleue. Mais il se fait repérer par la femme de ménage, revenue comme prévu, ce que la Inwood ne lui avait pas dit, et doit fuir la police qui, aussitôt le recherche. Ce pourquoi il se présente au domicile de sa petite amie Eve Gill (Jane Wyman), oie blanche qui rêve d’être actrice. Elle est amoureuse du garçon et, lorsqu’il lui raconte ainsi sa mésaventure, elle voit bien qu’il est amoureux d’une autre qu’elle mais veut quand même l’aider, par fidélité de camarade. Elle le mène en voiture jusqu’à la côte où son père – séparé de sa mère – possède une maison et un bateau.

Sauf que tout est théâtre, illusion, mensonge. Le récit est faux, le garçon menteur et l’amour incertain. Seul le crime est certains. Eve ne sait plus si elle aime Jonathan ; Charlotte Inwood sait qu’elle n’aime personne qu’elle-même mais fait croire à tout le monde qu’ils lui sont indispensables ; Jonathan ne sait pas se maîtriser lorsqu’il est en colère et danse sur la corde raide des apparences tout en rêvant d’aimer.

Sur ce fil conducteur, l’intrigue avance cahin-caha, entre cabaret berlinois et vaudeville à la Rouletabille. Eve se mue en détective amateur pour infiltrer la chanteuse veuve et voir ce qu’elle peut faire pour Jonathan qui ne l’aime pas et se laisse sortir de son mauvais pas comme un petit garçon. En même temps, l’amoureuse lie connaissance avec le détective inspecteur chargé de l’enquête, un Wilfred Smith (Michael Wilding) bien pâle qui se contente d’observer l’activité des insectes qu’il traque. Il regarde avec amusement Eve se démener et se fourvoyer avant de tirer les marrons du feu avec le père de la jeune fille, le commodore Gill (Alastair Sim), fantasque et contrebandier à ses heures mais bien plus subtil que sa progéniture. Il faut dire qu’Eve tient aussi de sa mère, une poivrote de salon pas très futée (Sybil Thorndike), ce qui offre quelques belles tranches d’humour anglais sur ce qu’il est séant de croire ou pas. Quant à la star Inwood, elle est femelle, araigne et manipulatrice, sans jamais un sourire, plus préoccupée de son visage et de son corps que de tout autre chose. Elle fait valser les hommes et les méprise. Elle a voulu se débarrasser de son mari encombrant et y a réussi.

En bref, rien n’est jamais ce qu’il paraît, ni les gens directement ce qu’on croie. Hitchcock met en scène trois couples, l’un ancien, et parmi les jeunes l’un délétère et l’autre qu’on espère plus normal : Jonathan et Charlotte ne sont pas faits l’un pour l’autre, l’une manipule l’un qui accomplit malgré lui les basses besognes de l’autre sans y trouver son compte ; Eve et Wilfred sont plus naïfs, plus vrais, et formeront peut-être un couple au-delà des apparences, chacun formé justement à en juger, lui comme détective, elle comme actrice débutante. Le troisième couple, celui du père et de la mère d’Eve, est d’ancien régime : chacun aime son enfant mais ils ne peuvent plus vivre ensemble, l’une trop bourgeoise cancanière, l’autre trop aventurier.

La vie est un théâtre où l’on doit juger au-delà des apparences.

DVD Le grand alibi (Stage Fright), Alfred Hitchcock, 1950, avec Jane Wyman, Marlene Dietrich, Michael Wilding, Richard Todd, Alastair Sim, Warner Bros Entertainment France 2005, 1h45, €8,65

DVD Alfred Hitchcock – La Collection 6 Films : Le Grand alibi, Le Crime était presque parfait, La Loi du silence, La Mort aux trousses, L’Inconnu du Nord-Express, Le Faux coupable, Warner Bros Entertainment France, 10h27, €29,99

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La corniche – The Ledge d’Howard Ford

Une reprise « féministe » de Cliffhanger où l’héroïne ne parvient pas à égaler Stallone et où l’intrigue est réduite à une plate caricature typiquement américaine. Il a fallu une horde de producteurs et coproducteurs et trices pour financer ce film de série B qui remue avec délectations les profondeurs des instincts primaires. Mais cela se regarde et l’on frissonne, même si l’on trouve cela bien bête : l’animal qui est en nous est réveillé dans la plus pure idéologie à la Trump où l’individu égoïste est roi et fait régner le droit du plus fort (ici, la plus forte, ce qui change et n’est pas très trumpien).

Deux « meilleures amies » de Los Angeles (la cité des « anges »…) sont venues fêter un triste anniversaire en grimpant une paroi en altitude dans les Dolomites. Près de leur chalet, qu’elles ont rejoint à pied en bonnes sportives, surgissent quatre jeunes hommes, Américains eux aussi, venus pour grimper aussi. Au premier regard Sophie (Anaïs Parello) flashe sur le mâle alpha Joshua (Ben Lamb), pourtant le moins sexy. Elle tanne sa copine Kelly (Brittany Ashworth) pour aller draguer les mâles à côté, d’autant que le leader l’a carrément invitée à venir « boire un verre » avec un pétillement sexuel dans les yeux. Évidemment – c’est gros comme une maison – la conne qui se prend pour l’égale d’un mâle alpha y va. Elle flirte ouvertement, elle se vante de grimper plus vite et mieux, l’accuse de manquer de couilles, lui accorde un long baiser devant tout le monde.

Mauvaise idée d’allumer un psychopathe, et devant ses copains soumis. Kelly, écœurée par tant de vulve ouverte sans vergogne, s’en va se coucher ; elle a autre chose en tête, un souvenir chéri et douloureux. Évidemment – c’est gros comme une maison – le mâle alpha veut se faire la femelle alpha qui, bizarrement, après avoir mouillé et allumé tant et plus, résiste et ne « veut » plus. Joshua commence à la violer en forêt mais il en empêché par ses copains, dont le juriste qui lui rappelle de « ne pas recommencer ». On croit comprendre en effet qu’à 16 ans… Mais pas vu pas pris, alors pourquoi pas ? Sa conception des meufs est à la Trump : « toutes des putes » (il le déclare expressément et donne en exemple la copine du juriste, qui n’était pas au courant). Le caïd des quatre depuis leur école primaire domine les autres ; ils s’en accommodent, par lâcheté mais aussi par cohésion de groupe – ils sont si bien ensembles.

Ils veulent donc « lui expliquer » qu’il s’agit d’un malentendu, qu’on ne va pas appeler la police pour si peu, qu’il faut se réconcilier. Il faut donc rattraper Sophie, CQFD. Commence alors une chasse excitante dans la forêt de nuit avec la conne en proie. S’étant crue alpha, elle n’est plus qu’une petite chose apeurée, halète, geint, court n’importe comment, se prend les pieds dans toutes les branches qui traînent, implore – tous les critères éculés de la femelle Hollywood. Bref, elle fait tellement de foin qu’est rattrapée, empoignée ; elle griffe son agresseur Joshua, elle trébuche comme d’habitude… et tombe de tout son long d’une petite falaise. Mais elle est encore vivante en bas. Il faut appeler les secours ! Mais non, le mâle alpha l’interdit, elle a son ADN sous ses ongles comme on voit dans les séries policières et va parler. Il faut évidemment l’éliminer. Ce qui est fait à l’aide d’une grosse pierre malgré la faible résistance morale des autres, qui sont d’ailleurs impliqués. Le grossier scénario leur fait mettre à tous du sang sur les mains.

La copine Kelly a entendu des cris, elle s’est levée et a couru dans la forêt. On ne sait pourquoi, elle a sa caméra à la main, un vieux machin à objectif comme un tuyau, pas son Smartphone qui aurait été bien plus discret et plus pratique. Elle filme le meurtre et la balance du cadavre dans le ravin. Mais comme elle est femelle dans le scénario, elle ne peut s’empêcher de pousser un cri (hystérique), donc de se faire repérer. Et la course poursuite reprend avec elle pour gibier. Elle parvient à s’enfuir, le plus « fiotte » des quatre (ainsi est-il traité par le mâle alpha, d’autant plus qu’il est mulâtre) la laisse aller comme si il ne l’avait pas vu lorsqu’il la trouve. Kelly empoigne son sac et s’échappe par la falaise qu’elle devait grimper avec Sophie – la si peu sophia, « sage ».

Commence alors le cœur du film, la grimpe. Le juriste s’élance à sa suite, sans corde ni matériel, il manque de l’attraper, agrippe sa culotte, fait chuter ses mousquetons, mais elle lui échappe. Lui dérape et finit en bas, jambe brisée. Les autres le portent dans la cabane mais n’appellent pas les secours, ils lui demandent d’attendre. Mais comme il pourrait divaguer, Joshua va « s’occuper » de lui en prétextant avoir oublié ses gants. Il va ainsi les éliminer un par un – c’est gros comme une maison – en commençant par le meilleur et en finissant par le plus con. Un psychopathe n’a aucun affect, aucun amour et aucun ami. Il est égoïste à point, libertarien à mort.

Pour lui, rien de mieux que la loi du talion, cette bonne vieille loi biblique que les Américains adorent car elles justifient leur droit du plus fort. C’est ce que ce mauvais film va démontrer, implacablement. Kelly grimpe comme elle peut ; elle se remémore les conseils de son ex petit ami, en voix off un peu niaise, qui s’est tué en perdant une bague de fiançailles qu’il a voulu lui, offrir bêtement en pleine paroi, celle-là même que grimpe Kelly, venue avec sa copine Sophie en souvenir de lui pour l’anniversaire. Il a évidemment dérapé – c’était gros comme une maison. Elle-même est aussi limite ; elle perd son téléphone portable qu’elle avait dans une poche et pas à l’intérieur de son sac, sa gourde qu’elle n’a bêtement pas attachée, n’a aucune provision dans son sac de grimpe pourtant soigneusement préparé la veille au soir, aucun vêtement pour se couvrir.

Elle est vite coincée sous une corniche qui termine la paroi – et le spectateur aussi. D’où le titre du film, que les éditeurs n’ont même pas pris la peine de traduire en français. Les autres montent par le sentier à l’arrière et l’attendent au sommet. Elle ne peut ni descendre (car elle n’a pas pris de corde), ni monter car ils lui feraient son affaire. Bien que Joshua affirme qu’il ne veut seulement que la caméra, elle devine bien qu’il va la tuer. C’est d’ailleurs ce qui arrive à ses deux acolytes restants, qu’elle voit successivement jetés du haut par le psychopathe de plus en plus frustré de ne pas voir se réaliser ses désirs.

Je vous passe sur les stupidités telles qu’un serpent python pourtant pas venimeux, la tente providentielle mais accrochée de façon précaire, le gros sac balancé du haut pour la faire chuter, le poignard récupéré, et ainsi de suite. Je ne vous dis rien du meilleur sur la fin.

Le film repousse les limites au risque du grotesque, mais c’est le genre, destiné aux bas du front qui composent désormais la population majoritaire aux États-Unis semble-t-il. On frissonne, on a le vertige, on applaudit aux exploits probablement impossibles à réaliser sur une paroi verticale, on se réjouit viscéralement du talion – mais cela ne nous grandit pas et nous laisse plutôt avec un goût amer. Il n’y a plus désormais ni homme, ni femme, seulement des mâles et des femelles. Les unes bonnes à violer, les autres à trucider pour se venger. C’est la guerre de toutes contre tous.

DVD La corniche – The Ledge, Howard J. Ford, 2021, avec Brittany Ashworth, Ben Lamb, Nathan Welsh, Louis Boyer, Anaïs Parello, AB Vidéo 2022, 1h22, €9,99 Blu-ray €14,97

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Sophie Hannah, Les monstres de Sally

Je ne sais s’il existe une « école de Manchester » pour les romans policiers, mais les écrivains et écrivaines de la ville livrent en général des œuvres de bonne facture, nettement plus élaborés psychologiquement que celles des Américains. Evidemment il y a moins d’action et le déroulé de l’enquête est passablement plus brouillon.

Sophie Hannah insiste sur ce que vivent les mères de famille ayant des enfants petits : c’est la galère ! Comme elle dédie ce livre à « Susan et Suzie » (deux suceuses, selon la consonnance de leur nom), on peut se dire qu’elle connait la façon dont les enfants sucent la moelle de leurs parents. Exigeants, butés, colériques, ils et elles ont tout pour se faire détester. Sauf qu’ils sont vulnérables, chair de la chair et de temps à autre adorables. Chacun et chacune réagit selon son tempérament.

Rien de plus opposé que Nick et Sally. Tous deux travaillent, mais autant lui est désordonné, optimiste, prenant tout à la légère et le temps venu, autant elle est maniaque, angoissée, courant toute la journée avec une liste interminable de choses à faire – qu’elle ne réussit pas à caser. Le trait est un peu gros pour la vraisemblance mais permet d’ancrer le crime dans son contexte. Car il y a crime, et même au pluriel, et plus encore en prévision. Les romans policiers ne font plus dans la dentelle (ni dans l’arsenic) depuis longtemps. C’est aujourd’hui du sanglant, du brutal et de la série. Pour motifs psychiatriques, c’est la mode.

Donc Sally Thorning vit l’une de ses journées harassantes habituelles – sans savoir décrocher ni tempérer. Obsessionnelle compulsive, ou presque, elle veut que tout soit en ordre, bien rangé dans des cases, et que chaque chose soit accomplie dans les temps. Hélas ! La nounou des enfants, Zoé 6 ans et Jake 3 ans, lui annonce ne pas pouvoir finalement les garder durant une semaine alors qu’elle l’avait promis, étant grassement payée. Mais elle ne peut, de par la loi (anglaise), garder plus de trois jeunes enfants à la fois et elle a hérité, outre de celui qu’elle garde habituellement, des jumeaux de son amie qui doit aller… se faire refaire les seins. Sally est furieuse de cette futilité et, quand elle quitte en pétard la nounou, s’aperçoit à peine de ce qui se passe dans la rue. Quand soudain, « on » la pousse sous les roues d’un bus, qu’elle ne parvient que par un miracle à éviter, non sans se meurtrir les jambes, la joue, le bras, et déchirer sa robe. Serait-ce la nounou qu’elle a quittée pleine de ressentiment ?

Son mari Nick qui ne s’en fait jamais est à la maison dans le désordre mis par deux enfants petits, tout simplement en train de regarder les infos à la télé. S’affiche le visage d’un homme désespéré qui vient de perdre sa femme et sa fille, toutes deux retrouvées nues dans la baignoire, mortes noyées. Probablement un suicide, mais… On le présente comme Mark Bretherick mais… cet homme ne saurait être Mark : Sally la rencontré fortuitement un Mark Bretherick dans un hôtel où elle se reposait, ayant obtenu une semaine de congés clandestins pour compenser le voyage professionnel impérieux à laquelle elle devait sacrifier. Ils ont fait connaissance au bar, ont échangé de menus propos sur la vie quotidienne, se sont aperçus qu’ils habitaient la même petite ville – et ont couché ensemble. Un séjour fortuit mais agréable, dont Nick ne doit rien savoir, évidemment. Sally n’a pas voulu le « tromper » mais cela s’est fait sans y penser, et elle ne va pas poursuivre la relation. D’ailleurs Mark Bretherick ne la rappelle pas.

Mais si Mark n’est pas Mark, alors qui est-il ?

C’est le début d’une enquête menée par la police sur les cadavres de la mère et la fille, de Sally sur le mystérieux Mark, des amis, relations et comparses des uns et des autres, sans oublier l’ingrédient obligatoire dans le standard des « thrillers » (qui ne thrillent plus autant qu’avant) : les amours compliquées des flics entre eux. Avec une fois, encore la caricature : l’amoureux transi qui a peur de franchir le pas ; l’amoureuse désespérée qui angoisse à l’idée de l’avouer ; le baiseur invétéré de tout ce qui porte jupe et pas de culotte ; le frigide qui s’en moque comme de son premier slip ; le nouveau capitaine au nom imprononçable (pour la « diversité »), le chef impavide mais qui exige (pour « l’autorité » qu’il faut réaffirmer dans la société) que l’enquête soit bouclée avant-hier…

Un début en fanfare qui s’étire, passionnant, sur les relations entre mère et fille, une enquête farfelue où les « intuitions » remplacent souvent les faits et rendent parfois elliptiques les révélations, une progression qui s’embourbe alors que se multiplient les chapitres décentrés, une fin glaçante tout grand ouverte sur les abîmes de la psyché. On ne savait pas le système de mœurs héritées de l’ère victorienne en Angleterre aussi apte à fabriquer des tordus et des tordues !

Sophie Hannah, Les monstres de Sally (The Point of Rescue), 2008, Livre de poche 2012, 503 pages, €4,84

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Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs

Des vacances sur la Méditerranée pour le gendarme Léon Crevette et son ami retraité Eddy Baccardi, qui a vendu du pinard avant de se mettre « à l’écoute » des esseulé(e)es. Il aide sa réflexion : « l’étincelle, celle qui ne jaillit qu’au frottement de deux silex » p.74. Le crustacé au rhum fait plus que des étincelles : c’est un plat qui se déguste.

Un marin mort est retrouvé dans la grotte des Flambeaux noirs ; une vieille légende y mettait un pèlerinage avec des torches qu’on laissait s’éteindre avec ses vœux. Mais quel rapport avec la victime ? Peut-être aucun, si ce n’est qu’elle ne s’est pas noyée. Le Commandant Crevette, sitôt rentré de vacances, est renvoyé en mission sur le lieu de ses vacances – car c’est là que le mort fut découvert. Déjà Valentina, sa compagne russe qui est légiste, a été requise pour autopsier le cadavre, un homme de pas 40 ans, faute de médecin accrédité sur les lieux. Le lieutenant Flocon un brin gelé, en charge du coin, se liquéfie à l’idée de mener une enquête, lui qui sort à peine de l’école de gendarmerie après la charcuterie de ses parents. Les deux vont donc être priés par le proc de travailler ensemble.

Le mort était propriétaire de trois bateaux de pêche dont la Marie-Louise ; tous, curieusement, ont été immatriculés récemment aux îles Marshall, un paradis fiscal où l’on est en outre peu regardant sur le droit du travail. Son fils Victor, 9 ans, est enlevé peu après sa mort. Y aurait-il anguille sous roche ? Son grand-père est sénateur louche, de plus en plus tenté par l’extrême-droite. Une piste ? Mais rien. Il patauge, le Léon, entre « la veuve qui officiellement ne sait rien, le capitaine de la Marie-Louise qui ne dit rien, le dénommé Brahim et le blond barbu qui ont réponse à tout… (…) le sénateur qui a l’air faux comme un jeton » p.86. Les matelots marocain et norvégien ne disent pas ce qu’il savent, mais ils savent quelque chose. Le tout est de les amener à fissurer leur vérité en béton.

Léon laisse s’agiter ses petites cellules grises. Il les entretient aux petits plats d’un restaurant gastronomique non loin de son hôtel. Il déguste même des saint-jacques Rossini ! Une délicieuse recette adaptée par des Belges sur la Côte d’Azur dans le roman, mais qui vient de l’école du Ritz à Paris dans le vrai. Pas très diététique, mais goûteux.

Le gamin finira par s’évader tout seul en faisant un truc qu’il a vu dans une série télé (comme quoi la télé forme la jeunesse). Le sénateur sera pris la main dans le sac ou plutôt le revolver sur la tempe. Le commanditaire de tout le trafic ayant abouti à la mort du père et à l’enlèvement du fils, découvert et châtié. Il s’agissait d’un homme protégé, qui se fait appeler le Docteur T, et qui informe plus ou moins « les services » sur les djihadistes revendeurs de drogue avec qui il est en « affaires » ! Mais, si l’on sait dès le début que le sénateur n’est pas clair (dame, un politicien !), le lecteur ne trouve aucun fil pour le guider dans le labyrinthe. L’enquête est habilement menée par un auteur qui connaît bien les arcanes des Administrations, ayant passé sa carrière comme haut-fonctionnaire.

C’est léger, pétillant, l’auteur s’amuse et ne se prend jamais au sérieux. Comme cette remarque, en passant, sur le sénateur véreux, perquisitionné, qui « s’agite, mélenchonise. C’est un abus de pouvoir, une forfaiture, il est sénateur de la République, et la République, c’est lui ! » p.121. Le gendarme Crevette conduit ses enquêtes à la Maigret, avec le pif plus qu’avec les techniques modernes, et l’optimisme de l’auteur est contagieux. Il fait passer un très bon moment.

Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs – Une enquête de Crevette et Baccardi, 2023, L’Harmattan noir, 219 pages, €20,00

Les romans policiers de Maurice Daccord déjà chroniqués sur ce blog

Contact et service presse : Emmanuelle Scordel-Anthonioz escordel@hotmail.com – 06 80 85 92 29

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Joël Dicker, L’énigme de la chambre 622

Rosie est une dame qui a beaucoup compté pour Joël Dicker et Wolfe était le nom de son grand-père. L’association des deux compose le nom de sa propre maison d’édition, née il y a un an en 2021 après avoir quitté les éditions Bernard de Fallois. Ce dernier décédé en 2018 à 91 ans, l’agrégé de lettres éditeur de Proust et critique de cinéma qui a créé sa propre maison d’édition en 1987, a lancé l’auteur genevois et ce dernier lui rend hommage dans cet ouvrage, un roman thriller décliné sous le style du feuilleton mais avec un début énigmatique et une fin heureuse, le découpage et le rebattage des chapitres comme d’un jeu de cartes faisant genre.

Cet énorme pavé (763 pages en édition de poche) est captivant, lacéré en 74 chapitres qui se chevauchent et mélangent les époques. La grande mixité est à la mode et l’éternel présent le repeint actuel de tout passé.

Sans dévoiler l’énigme, car il y en a une, autant dire que la scène se passe à Genève, dans le milieu feutré et friqué que je connais bien des banques privées, avec le sel d’une cellule d’agents secrets suisses et la tragédie des amours malheureuses. Un meurtre a eu lieu dans la chambre 622 de l’hôtel le Palace à Verbier, dans les Alpes suisses chics. Quinze ans plus tard « l’Ecrivain » (ainsi appelé par sa maîtresse de hasard) s’interroge sur le fait que les chambres sautent le numéro 622 pour un troublant « 621 bis ». Intérêt allumé, enquête ouverte, méfiance générale. De quoi pimenter les chapitres.

Les personnages sont pâlots et stéréotypés comme des rôles de théâtre. Le principal en est « le » Juif qui a toutes les qualités comme le Solal d’Albert Cohen, la profondeur en moins : Lev Levovitch est beau, jeune, polyglotte, cultivé, très adaptable, excellent acteur, séduisant, meilleur que tout le monde… n’en jetez plus. Tous les autres sont fades : le père Sol, saltimbanque raté que sa femme a quitté, Macaire Ebezner l’héritier de la banque privée du même nom fondée en 1700 et quelques, son cousin Jean-Bené bien benêt, l’énigmatique russe yiddish Tarnogol, client du Palace puis client de la banque. Ce qu’on avait deviné depuis longtemps est qu’il joue le rôle du diable chrétien, « je suis pire que le diable, car moi j’existe », dit même le vieux juif, toujours prêt à en rajouter, p.367. Par une entourloupe dont on ne connaîtra le fin mot qu’à la fin, il « échange » le paquet d’actions au porteur que son père a donné à Macaire lorsqu’il entre au conseil d’administration pour l’amour d’une femme, Anastasia, fille pauvre à la mère ambitieuse plutôt portée vers les titres de noblesse et l’épaisseur du compte en banque. Macaire épouse donc Anastasia et vice-préside la banque.

Jusqu’à la mort de son père qui ne l’a pas désigné comme futur président selon la tradition. Il a au contraire voulu faire élire le président par le conseil, qui doit choisir une personnalité extérieure à lui. Bizarrerie de richissime, déçu par le dédain de son fils pour les actions qu’il lui avait données… Le nouveau président sera annoncé et intronisé durant le Grand week-end, rendez-vous annuel de la banque devant ses principaux collaborateurs, tous invités au Palace de Verbier. Mais, comme quinze ans auparavant, rien ne se passe comme prévu.

Impossible d’en dire plus tant l’énigme à résoudre est tordue. La chambre 622 est un huis clos, le Palace quinze ans après en est un autre. Qui l’a fait ? Le lecteur ne le saura qu’à la toute fin, non sans rebondissements inattendus et coups de théâtre. Du bon feuilleton digne d’une nouvelle série télé (après La vérité sur Harry Quebert).

En revanche, une fois refermé le livre, que vous en reste-t-il ? Pas grand-chose. Les personnages sont insignifiants, leur psychologie sommaire ; l’énigme, une fois éventée, ne peut plus surprendre. Vous avez un livre kleenex, à jeter ou donner une fois lu. Le succès immédiat se paie d’un oubli très rapide. Nous sommes dans le présent, dans notre société du tout de suite, dans la consommation sans lendemain.

Passez quand même avec ce livre un long voyage ou une sacrée bonne soirée.

Joël Dicker, L’énigme de la chambre 622, 2020, Rosie & Wolfe poche 2022, 763 pages, €9,50

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Franck Linol, Le souffle de la mandragore

Un roman policier régionaliste qui se passe dans une région mystérieuse au centre de la France, le Limousin, délaissée des grands vents de la mondialisation mais affectée par ses déchets. A Bussière, près de Saint-Junien la ville longtemps communiste, une jeune fille de 15 ans est enlevée puis massacrée, écartelée nue sur la butte de Frochet où courent depuis la nuit des temps d’étranges légendes. Dont celle de la mandragore, un dragon des marais avide de sang frais féminin.

Marion était rentrée du collège par le car puis était allée voir sa copine à dix minutes de chez elle pour lui porter les devoirs car elle était malade. Père ivrogne et violent, mère faible qui se laisse faire, a-t-elle décidé de fuguer ? On dit qu’elle a un petit ami, plus âgé qu’elle, et qu’elle serait bien partie avec lui ; elle a en tout cas couché et le pater est furax.

Surtout que ledit copain se révèle un marginal vivant en caravane près d’un terrain de yourtes où d’ex-hippies, des écolos mystiques et autres repris de nature ont décidé de s’installer pour vivre légalement. Les paysans tradis n’aiment pas trop ces bobos urbains qui jouent aux sauvages, volontiers voyants ou rebouteux, chiant en toilettes sèches, cuisinant au bois et prenant leur bain à poil dans l’eau froide dehors, enfants compris.

Il n’en faut pas plus pour que des rumeurs naissent, entre légende noire et boucs émissaires commodes. Le commissaire Dumontel est pour le moment suspendu et s’ennuie, goûtant divers petits vins qu’il décrit avec gourmandise. Son lieutenant Marval est chargé de l’enquête par le divisionnaire qui joue sa réputation auprès des gendarmes. Car le procureur a cosaisi les deux armes, la gendarmerie parce que Bussière est en territoire rural, et la police parce qu’elle est plus experte en criminalité. Mais Marval est peu sûr de lui et fait appel en privé à son patron sur la touche pour qu’il l’aide dans son enquête. Mais c’est chacun pour soi dans ce grand jeu des énigmes.

Enquêtes de voisinage et prélèvements de police scientifique ne disent pas grand-chose, sinon que la fille a été asphyxiée avant d’être déchirée et démembrée, et que les traces sur le corps ressemblent furieusement à des morsures. La Bête du Gévaudan aurait-elle refait surface ? La mandragore de légende ? Un psychopathe fantasmant sur les loups garous ? D’autant qu’une seconde jeune fille est enlevée, du même âge, la fille d’un marginal volontiers gourou qui parle à l’oreille des chevaux (on appelle ça un « chuchoteur ») et qui s’est installé en yourte il y a des années. Mais lui ne va pas se laisser faire.

Le roman commence lent et se termine brusquement, l’énigme est révélée sans transition. C’est tout le cœur qui est bon mais les extrémités à revoir. L’auteur, prof d’IUFM (si ça existe encore), n’a pas la technique du suspense jusqu’au bout qui est celle des maîtres en genre. Mais tel quel ce roman policier se lit bien. Il accumule les piques contre l’époque, la montée de la violence, les attentats islamistes, la perte des repères, les égarés des guerres balkaniques jusque dans nos campagnes, les thébaïdes écolos, les gens qui se cherchent. Et ses personnages sont crédibles.

Franck Linol, Le souffle de la mandragore, 2017, réédité 2020, éditions La Geste (79260 La Crèche), 325 pages, €12.90, e-book Kindle

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Colin Dexter, Le dernier bus pour Woodstock

Il s’agit du premier roman policier du professeur d’université d’Oxford Colin Dexter, écrit après lecture d’un polar médiocre qui l’a incité à faire mieux. Pris au jeu, ce volume débute la série de l’inspecteur principal Morse qui lui vaudra des distinctions dans la littérature de crime. Ce premier opus cherche moins à découvrir le coupable qu’à présenter un personnage fascinant d’inspecteur du CID (Criminal Investigation Department) dont les petites cellules grises travaillent à coups de whisky et de tabac, sans toujours parvenir à une logique formelle. Son adjoint le sergent Lewis, homme simple et direct, en est dérouté.

Le lecteur aussi, mais ce n’est pas ce qui importe. Ceux qui importent sont les personnages de la petite ville d’Oxford, croqués sur le vif. Les professeurs titulaires surnommés « dons », érudits et maniaques bien que souvent mariés, les épouses qui s’ennuient à la maison à élever des gosses infernaux et vivent la dépression de la quarantaine tandis que leurs maris sacrifient au démon de midi, les jeunes filles qui cherchent le grand amour en vivant en colocation dans la même maison tout en jouissant parfois d’être « violées » (avec leur consentement), les sténodactylos et leur patron, les serveuses de bar, les chauffeurs de cars, les vieilles dames et ainsi de suite.

Un soir, deux filles font du stop et se font prendre en voiture par un homme parce que le bus pour Woodstock n’arrive pas. Le lendemain, l’une d’elle est retrouvée assassinée dans le parking d’un pub connu. Débute alors une enquête pour savoir qui a pris les filles en stop, quelle est la seconde passagère, qui avait un mobile pour assassiner cette jeune fille blonde à la jupe très courte qui ne portait ni culotte ni soutien-gorge et dont le chemisier à demi arraché laissait voir un sein entièrement nu. Une vieille dame a bien vu deux filles, dont l’une en pantalon ; un chauffeur routier a vu une voiture rouge les prendre en stop au rond-point ; la serveuse du pub Black Prince se souvient d’un jeune homme qui attendait régulièrement Sylvia, la fille assassinée, mais qui semble ne pas l’avoir trouvée ce soir-là avant qu’elle soit morte, en sortant dans l’obscurité.

Découvrir qui est le coupable ne sera pas simple car il s’agit d’une partie à quatre où chacun ment en croyant protéger l’autre, tandis que chacun croit savoir qui a fait le coup. L’inspecteur désinvolte papillonne d’hypothèses en questions, de planques en dépouillement de courrier, de recoupements en nouvelles questions. Le ton est moderne et suinte l’humour mais le profil de l’inspecteur principal Morse qui se dessine est plus typé et fantasque que l’acteur qui joue son rôle dans les téléfilms qui en ont été tirés. Morse est amoureux, c’est dommage car la jeune personne est éminemment suspecte…

Colin Dexter, Le dernier bus pour Woodstock (Last Bus to Woodstock), 1975, 18 Grands détectives, 2000, 318 pages, €5.70, e-book Kindle €7.49

Les romans policiers anglais de Colin Dexter chroniqués sur ce blog

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Patricia Wentworth, A travers le mur

Bas de laine et tasse de thé, l’Angleterre a connu la guerre mais reste l’Angleterre. En ce début des années 1950, un oncle riche décède et lègue par testament à une petite cousine l’essentiel de sa fortune. En revenant de Londres, où elle a été convoquée par le cabinet juridique qui s’occupe du testament, Marian Brand est pris dans un accident de train. Un jeune homme de la trentaine, Richard Cunningham, qui l’avait repérée dans son compartiment, est à ses côtés sous le wagon renversé. Ils sont indemnes, il tombe amoureux.

Lorsque Marian va prendre possession de son héritage, une grande maison au bord de la mer, elle découvre deux sœurs célibataires, venues vivre avec cet oncle et deux juvéniles, Félix le musicien et Penny son amie d’enfance. Félix est un enfant d’un premier mariage de son père avec sa nouvelle tante Florence, une grosse personne égoïste et désagréable qui ne l’a jamais aimé, pas plus que la sœur de cette dernière, la volubile et irascible Cassy. D’ailleurs, personne ne s’aime dans cette maison : « Envie, haine, malice et manque de charité. Lorsque ces quatre sentiments sont réunis, un meurtre n’est plus surprenant », cite doctement la détective amateur Maud Silver, fine observatrice de ses contemporains (p.174). Ina, sœur de Marian, mariée à ce beau merle de Cyril Fenton, acteur paresseux et dépensier qui n’aime pas travailler, est malheureuse. Elle aurait dû hériter si son oncle n’en n’avait pas décidé autrement et Cyril est furieux.

C’est l’intrusion d’une bimbo blonde évaporée, Helen Adrian, qui mandate la détective amateur Maud Silver parce que quelqu’un la connaissant bien la fait chanter, qui va nouer le drame. Tout se passe dans le huis clos de la maison divisée, où la nouvelle occupante Marian occupe un côté avec sa sœur Ina et le mari Cyril, le chat Mactavish et la servante Eliza, tandis que les deux sœurs et les deux jeunes occupent l’autre. Une porte de communication à chaque étage est verrouillée des deux côtés mais les gonds sont bien huilés.

Il se trouve qu’un matin Helen est retrouvée morte sur la plage, le crâne fracassé. Qui l’a fait ? Est-ce le maître-chanteur ? Le jeune Félix très amoureux ? Le mari Cyril toujours en quête d’argent ? Ou encore quelqu’un d’autre ? Notre détective Maud va évidemment enquêter, à sa manière tranquille, soutenant une conversation en apparence anodine tout en tricotant des chaussettes de laine grise pour son neveu écolier Derek. L’inspecteur Crisp est chargé de l’enquête, sous la supervision du commissaire March, ami de Miss Silver.

Le lecteur sera égaré par les coupables possibles et leurs mobiles, tandis que la conclusion se profilera fatalement, non sans quelques observations fines sur la société oisive de l’Angleterre comme sur les sentiments amoureux des jeunes personnes. Non sans, aussi une certaine touche de sensualité,: « Le jeune homme surgit sur le palier, la veste de pyjama entrouverte, une mèche rebelle dressée sur la tête comme le plumet d’un heaume. Il avait hâtivement passé un pantalon » p.300. Il s’agit de Félix, coléreux et fragile, que son amie Penny aime en secret depuis toujours.

Patricia Wentworth, A travers le mur (Through The Wall), 1952, 10-18 Grands détectives 1995, 318 pages, €1.85 occasion, e-book Kindle €9.99 

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Patricia Wentworth, Au douzième coup de minuit

Nous sommes le 31 décembre 1941 dans l’Angleterre en guerre. Sir James Paradine, qui dirige une société d’armement, a convoqué toute sa famille au réveillon pour une communication importante : l’un d’entre eux a trahi sa confiance et doit « venir se confesser » à son bureau avant les douze coups de minuit. S’il fait amende honorable, tout sera pardonné et ne sera pas dénoncé. Paradine invite également son ingénieur Elliot Wray l’auteur des plans volés. Il est marié à sa fille Phyllida mais séparé depuis un an par les intrigues de son épouse et mère adoptive Grace Paradine.

Le discours de réveillon est un choc, chacun se regarde en chien de faïence, effaré. Irène, l’une des filles de James, est rentrée chez elle avec son mari, inquiète pour ses enfants, dès 20h45 ; les deux neveux Mark et Richard partent dans leurs appartements à peine plus tard. Les femmes qui restent passent au salon, les hommes les suivent pour le café un quart d’heure après. Sir James Paradine s’est alors retiré dans son bureau. Les uns et les autres y défilent, sous divers prétextes, mais certainement pas, affirment-ils, pour « se confesser ».

A minuit deux, un cri dans la nuit : le maître de maison est passé par-dessus le parapet haut de soixante centimètres de sa terrasse. Il est tombé et gît mort sur la pelouse. La police, alertée, conclut à un meurtre : les blessures sur ses jambes montrent qu’on l’a violemment poussé.

Dès lors, qui l’a fait ?

Dans ce huis-clos délicieusement suranné, Dora Amy Elles, née en 1878 en Inde et qui a pris par décence de rigueur le pseudonyme de Patricia Wentworth (« qui valait la peine »), va agiter les petites cellules grises. Des dix à table, un est coupable, peut-être deux, qui sait ? Commence alors l’enquête dans un fauteuil qui consiste à reconstituer minutieusement l’ambiance, les antagonismes et les emplois du temps afin d’éclairer les actions de chacun.

Miss Maud Silver, vieille fille sagace qui « ressemble à une institutrice en retraite » (p.128), détective amateur comme la future Miss Jane Marple de la concurrente Agatha Christie, se trouve par hasard dans la petite ville. Connue par une relation d’amis, elle est conviée par Mark Paradine, premier neveu et principal héritier, à conduire une enquête discrète qui ne mettra pas en danger la réputation de la famille. Avec son air de paisible tante et son tricot, elle inspire confiance et sait soutirer des renseignements sans le montrer.

Nous sommes dans l’entre-soi convenable et dans l’intelligence des situations. La raison va démêler les fils des actes et les émotions qui les ont produits. La fin sera une demi-surprise mais la toute fin une double surprise.

C’est délicat, simplement présenté, éminemment psychologique, et nous replonge dans les mœurs de la haute société anglaise où les relations entre gens du même milieu comptent bien plus que leurs talents à la ville.

Patricia Wentworth, Au douzième coup de minuit (The Clock Strikes Twelve), 1945, 10-18 Grands detectives, 1994, 253 pages, €1.99 occasion e-book Kindle €8.99

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Patricia MacDonald, Une femme sous surveillance

Comme souvent au MacDo, le prêt à croire et les situations très convenues sont le lot des héroïnes de l’autrice. Ce roman est bon et vous tient en haleine mais l’on ne peut s’empêcher de penser combien est gourde la Laura de Cape Christian. Elle a tout pour être heureuse, un mari jeune et musclé, artiste tenant galerie à succès, convivial et entouré d’amis, un jeune fils de 5 ans adorable. Et voilà que le destin s’en mêle et que Laura perd pied ; elle gâche tout par son comportement erratique et incohérent.

Tout commence dans le rose, se poursuit dans le noir avant que la lueur de l’aube ne ressurgisse à la toute fin, non sans coups de théâtre. Prenez une pimbêche amoureuse de magazine, trempez-là dans l’agression et la mort, laissez sécher à l’air libre et elle finira en prison. Tel est l’itinéraire de la belle Laura. Jimmy son mari est tué un soir dans sa maison par une ombre indistincte ; Laura n’était pas dans la chambre conjugale, elle consolait son petit Michael. Lorsque Laura a entendu du bruit, elle est assommée dans le couloir sans avoir distingué son agresseur ; elle n’a qu’une blessure superficielle à la tête mais mettra plus d’une heure à se rendre compte et à appeler les secours. A-t-elle assassiné son mari ?

Le mobile en serait une prime d’assurance alléchante que le conseiller financier et avocat ami de Jimmy avait conseillé quelques mois auparavant. Le second mobile en serait un amant caché qui voudrait l’avoir pour lui tout seul après la mort (suspecte ?) de sa propre femme et de son petit garçon qui n’aurait pas dû être là. Un amant qui a connu Laura petite, lorsqu’elle lui a sauvé la vie en alertant les secours lorsqu’elle l’a découvert avec une jambe cassée dans la forêt – là où son ordure de père l’avait laissé se débrouiller tout seul.

Les petites villes américaines, et particulièrement celles de la côte est, sont cancanières, bigotes et confites en bourgeoisie puritaine : chacun surveille tout le monde et médit à l’unisson. Il ne faut surtout pas dévier de la ligne de l’opinion, faite surtout par les femmes entre elles. Laura était trop belle, trop à l’aise dans l’existence, elle a suscité des jalousies. Lorsque le malheur la frappe, elle est aussitôt soupçonnée d’être coupable et tout ce qu’elle dit ou fait est interprété en sa défaveur. Lorsqu’elle rencontre par hasard (mais est-ce un hasard ?) le beau blond musclé Ian, physicien en année sabbatique après la mort de sa femme et de son petit garçon sur son voilier où il explore les ports de la côte et les îles paradisiaques pour tenter d’oublier, elle en tombe aussitôt raide dingue.

Mais au lieu de laisser passer le temps décent du deuil et de rester discrète, elle choisit (mais est-ce un choix de raison ou celui plus vulvaire de son désir égoïste ?) de céder aux avances de Ian, puis de se marier précipitamment avec lui, cinq mois à peine après l’enterrement de Jimmy. Plus niaise on ne fait pas. De la génération du « j’ai l’droit », sans penser à rien d’autre qu’à son corps, son feu au cul, à ses états d’âme, pas même à son petit gamin qui ne veut pas qu’elle se remarie même s’il apprécie Ian qui lui apprend le bateau.

Poussés par l’opinion publique, les flics (qui sont élus aux Etats-Unis) ne peuvent qu’enquêter à charge sur cette veuve trop joyeuse qui rompt avec les usages et surtout avec la décence commune. Elle aurait commandité un tueur, dit-on, elle aurait prémédité le meurtre, planifié son changement de vie avec la prime d’assurance en poche. Sa belle-mère lui en veut à mort, rêvant de la voir « griller sur la chaise électrique », son beau-père actionne ses relations d’affaires pour recueillir un témoignage accablant. Même si le tueur de Jimmy est enfin retrouvé et confondu – par le hasard d’une dispute avec sa sœur parce qu’il a voulu violer sa nièce de 12 ans – c’est loin d’être la fin du calvaire pour Laura, invétérée tête de linotte.

Avec l’art de faire rebondir le suspense et d’entrer assez profond dans la psychologie de chacun de ses personnages principaux (en majorité des femmes), Patricia MacDonald concocte un roman policier qui tient en haleine et décrit son Amérique : celle que l’on n’aime pas tant elle est minée de puritanisme et de qu’en-dira-t’on, mais aussi d’égoïsme sacré pour soi-même et de bêtise de comportement. Outre la trame policière, c’est pour cela que lire du MacDo reste intéressant.

Patricia MacDonald, Une femme sous surveillance, 1995, Livre de poche 1997, 351 pages, €7.70 e-book Kindle €8.49

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Pierre Lemaitre, Robe de marié

Une idée originale : comment pourrir la vie de quelqu’un jusque dans les moindres détails. Un thriller haletant, allant de Sophie à Frantz puis à Frantz et Sophie, enfin Sophie et Frantz. Car le plus méticuleux et le plus rusé ne gagne pas forcément à la fin.

Sophie est une jeune femme issue d’un père dans le bâtiment et d’une mère médecin psychiatre. Elle a tout pour être heureuse, un travail créatif, un mari intelligent et amoureux, une amie proche, un bébé à naître. Et puis patatras ! Tout s’écroule par pans entiers : sa belle-mère se tue, son boulot lui échappe, son mari s’accidente puis jette sa chaise roulante dans les escaliers – évidemment elle a perdu le bébé. Pourquoi le sort s’acharne-t-il sur elle ?

Le sort ? Hum… Les pires complotistes peuvent faire l’objet d’un complot et, au fond, nul n’est à l’abri. Sophie s’égare, elle perd la boule. Sa voiture garée dans la rue se trouve deux rues plus loin ; les billets de théâtre qu’elle prend sur le net ne sont pas à la date qu’elle est persuadée avoir demandée ; ses méls arrivent en retard ou jamais ; son dossier de photos professionnelles comporte deux vues ajoutées où on la voir nue goulûment faire une pipe ! Tout se mélange.

Elle ne veut pas être internée, Sophie, donc elle s’isole. Ayant tout perdu sauf la soif de vivre, elle travaille comme nounou à Paris. Mais le petit Léo, 6 ans, dont elle s’occupe à la place des parents pris par leurs carrières, se retrouve un matin « nu, recroquevillé, les poignets attachés aux chevilles » par son pyjama (p.22). Il est étranglé, mort. Sophie ne se souvient de rien. Lemaitre est sadique avec les petits garçons. Déjà Paul, 7 ans, dans Les couleurs de l’incendie, avait été violé et s’était défenestré la chemise ouverte, offrant sa poitrine nue.

Dès lors Sophie fuit. Elle prend son argent à la banque malgré un employé douteux ; elle perd sa valise gare de Lyon en allant aux toilettes, la confiant à une femme au lieu de l’emporter avec elle. Elle fait n’importe quoi, Sophie. Une autre, qui l’a vue mais n’a rien fait, l’invite à déjeuner chez elle pour se faire pardonner. Sophie s’endort un moment à cause du vin. Quand elle s’éveille, la femme est éventrée, morte. Et Sophie a le couteau à la main. Effarée, elle se perd dans la ville, passe en banlieue, sous les radars ; elle se teint et se maquille, change d’apparence et de vêtements, paye en liquide, travaille au noir, permute les lieux et les boulots aussi souvent qu’elle le peut. Combien en a-t-elle tué dans son errance ? Elle est évidemment recherchée par toutes les polices mais amaigrie, échevelée, traquée, elle ne se ressemble plus.

Sa seule issue pour réémerger ? Changer d’identité. Pour cela il existe des officines spécialisées, si l’on en croit l’auteur, qui vous fournissent un extrait de naissance d’une personne authentique, valable trois mois. Avec ce document, une femme peut se marier, et changer de nom, donc obtenir des papiers nouveaux tout à fait légaux. Sophie écume donc les sites de rencontres pour trouver l’homme objet pour son projet.

C’est Frantz. Il est simple mais discret, pas bête mais pas curieux. Il se dit sergent-chef mais pas qu’il est petit-fils de déportés qui ne sont jamais revenus des camps ; ni que sa mère dépressive et haineuse de la terre entière s’est défenestrée dans sa robe de noces. Sophie et Frantz se marient – mais le lecteur sait qui est Frantz, abordé dans la partie suivant Sophie.

Il y aura bascule entre les projets, celui de l’un s’opposant à celui de l’autre, tout aussi pervers même si c’est l’autre qui a commencé. Il y aura du suspense, des scènes savamment orchestrées, des machinations. Un savoir-faire (utile) à éviter tous les contrôles via les smartphones, les méls, les micros, les photos, les papiers, les trains… Sophie va se débattre avec sa déprime, Frantz va s’abattre dans la déprime. Mais tout cela est manipulé. Jusqu’à la robe mise au marié.

Du grand art – et l’on passe une ou deux captivantes soirées !

Pierre Lemaitre, Robe de marié, 2009, Livre de poche 2020, 314 pages, €7.70 e-book Kindle €6.99

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Ruth Rendell, Le lac des ténèbres

Ce qui est agréable avec Ruth Rendell est que le roman policier n’a besoin ni de policiers ni de bandits. S’il y a meurtre, c’est par méprise et sans le vouloir, comme une boule de billard à trois bandes tombe dans le trou. Le titre est tiré du Roi Lear de Shakespeare et la réplique est attribuée à Néron. L’auteur en fait une sorte de destin où les bonnes intentions finissent par paver un paradis qui n’est en fait qu’un enfer.

Martin Urban est le fils unique d’un couple de riches bourgeois, associé aux affaires financières de son père. C’est un garçon égal avant la trentaine, sans relief, dans l’aisance sans être riche, sans petite amie bien qu’il ait couché, sans véritable ami bien qu’il ait des relations. Un jour, en traversant un parc de Londres, il rencontre son ex-condisciple Tim. Ils étaient ensemble à la London School of Economics et, bien qu’ils n’aient pas lié amitié, se retrouvent avec plaisir. Tim est journaliste pour le Post à scandales. Il tire le diable par la queue mais joue régulièrement aux paris sportifs. Martin est intrigué et se laisse tenter par l’expérience.

Un jour il gagne 104 000 £, ce qui est une belle somme en 1980. De quoi acheter une dizaine d’appartements moyens par exemple. Il ne sait trop quoi faire de cette somme, nette d’impôts et tombée par hasard dans sa poche. Il a scrupules à en parler à Tim, on ne sait pourquoi, mais ce genre de réaction est l’essence de l’intrigue. Par culpabilité chrétienne, il décide d’utiliser la moitié de ce pactole pour faire du bien autour de lui. Il a entendu parler de gens nécessiteux qui aimeraient changer d’appartement ou voudraient faire opérer leur fils atteint d’une maladie grave. Le Royaume-Uni, en 1980, est déjà mélangé et le fils en question est indien. Pour les autres, il s’agit d’un vieillard, d’une pauvre schizophrène et d’un couple nécessiteux.

Mais il ne suffit pas de vouloir faire le bien pour le réaliser. Le diable se cache dans les détails et l’enfer est pavé des meilleures intentions du monde. L’un des vieillards, au reçu de l’offre par lettre, décède brutalement d’une crise cardiaque. La schizophrène est effrayée rien qu’à l’idée de quitter son minuscule appartement londonien même pour une maison plus spacieuse. Seuls les parents du garçon malade sont reconnaissants.

Quant à Tim, journaliste brutal doté d’une bonne mémoire, il attend que Martin lui fasse part de sa bonne fortune mais rien ne vient. Il l’invite à une soirée chez lui mais Martin décline. Mystère du tempérament anglais fait de pudeur trop bienséante et du camouflage désespéré de tout sentiment. Martin est vaguement amoureux de Tim mais celui-ci n’en saura rien. L’attitude naturelle eût consisté à parler du gain inattendu avec cet ami retrouvé et de lui offrir un pourcentage en cadeau pour l’avoir incité à jouer. Mais le naturel n’a rien d’anglais et c’est bien là ce qui va nouer le drame. Car il y a drame par détournement d’intentions.

Un matin, Martin reçoit un gros bouquet de chrysanthèmes jaunes apportés par une fleuriste blonde qui ressemble à un jeune garçon. Elle se prénomme Francesca et il en tombe immédiatement amoureux. Celle-ci se laisse faire, déclarant un mari violent et une petite fille de deux ans. Il va la sortir, coucher avec elle, la mettre dans un taxi parce qu’elle ne veut pas que son mari le voit. Lorsque d’aventure il la raccompagne en voiture dans un quartier périphérique, il a du mal à la voir entrer. Et il ne sait presque rien de sa vie.

Il la pousse à divorcer et à venir vivre avec lui, mais elle hésite, diffère. Il va jusqu’à acheter un appartement pour elle en attendant qu’elle puisse quitter son foyer. Mais, en fiscaliste qui veut le beurre et l’argent du beurre, il craint de payer une plus-value sur une résidence secondaire et met donc cet appartement au nom de Francesca. La remise des clés a lieu, le week-end passe, mais Francesca ne donne plus signe de vie. Qui est-elle vraiment ? Que lui est-il arrivé ? Que vient faire Tim dans cette aventure ? Quelles sont les meurtres mystérieux qui parsèment les journaux ? C’est sur tous ces ingrédients que joue l’auteur pour broder son intrigue en patchwork.

Le roman est écrit en phrases courtes et directes, sans description superflue mais avec un sens de la psychologie qui permet aux personnages d’exister.

Dommage que la « traduction » soit aussi mauvaise, multipliant les fautes de français comme il prétent, elle souffra, le Cypriote… D’ailleurs il n’est pas écrit traduction mais « texte français » de Marie-Louise Navarro.

Ruth Rendell, Le lac des ténèbres (The Lake of Darkness), 1980, Editions du Masque 2003, 121 pages, occasion €1.38

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