Lire Matzneff quand même ?

Devant l’hystérie médiatique du très petit quartier élitiste parisien de Saint-Germain-des-Prés qui conchie en horde ce qu’il a tant adoré et vanté durant des décennies, je reprends dès demain un billet écrit en 2009, paru sur un ancien blog du mondéfer et toujours lisible parce que repris alors sur AgoraVox « le média citoyen ».

Citoyen, il faut l’être plus que jamais devant les hordes. Ces humanités-là, des deux ou multiples sexes revendiqués (LGBTQ2S… et + si affinités) ne pensent pas avec leur tête mais avec leur queue : ils se frottent dans le nid social bien douillet à la chaleur fusionnelle du « je suis d’accord » et abolissent toute individualité pour conspuer le trop commode Bouc émissaire.

Matzneff en archange aux pieds fourchus : comme c’est pratique ! Cela permet de se dédouaner à bon compte de ses turpitudes passées et de se blanchir la bonne conscience en se rengorgeant d’être plus vertueux que les autres. D’autant plus que cet auteur n’est pas « de gauche » comme la horde l’exige quand on se veut de la Culture. Les adeptes de la loi de Lynch (attitude ultralibérale des Etats-Unis honnis) sont aidés en cela par l’ineffable hypocrisie chrétienne, catholique de gauche pour Gallimard, qui « retire » de la vente » toutes les œuvres publiées de l’auteur tandis que le ministre « et de droite et de gauche » croit « devoir » donner son grain de sel démagogique en faisant examiner pour retrait (c’est pas moi, c’est la commission) l’allocation vieillesse d’un pauvre des lettres bien décati désormais à 83 ans. Fustiger la pédosexualité, c’est un concert de braillements quand c’est Matzneff – mais un silence assourdissant et gêné quand c’est le curé ! Tirer sur les ambulances c’est mal quand c’est Daech, c’est le Bien suprême quand c’est Springora, Angot, Weil et consorts, dont le talent littéraire ne résistera pas aux décennies qui viennent, au contraire de celui qu’ils, elles (et les autres) fustigent à longueur de clavier (ils ont enfin quelque chose à dire dans les médias ! une CAD – cause à défendre).

Je reprécise une énième fois que je ne suis pas pour le viol des « enfants », et que même la puberté qui en fait des « adolescents » (avec consentement dès 13 ans en Espagne par exemple, pays pourtant très catholique) n’est pas licence de les pénétrer ni de les dominer sexuellement (autant dire les choses comme elles sont : violer n’est pas violenter mais pénétrer). Cet âge immature est fragile, d’autant plus que notre société maternante et surprotectrice ne l’aide en rien à « se construire » comme disent les psys, les laissant d’une naïveté confondante dans la vie et sur le net. Notre adolescence post-68 était nettement plus « mature » comme on dit aussi pour singer la modernité anglo-saxonne – ce pourquoi nymphette Vanessa se trouvait bien moins candide oie blanche à 13 ans qu’elle peut le laisser entendre à 40 ans. Matzneff note fort justement dans ses Carnets noirs « cette maladie spécifiquement féminine qu’est la réécriture, la réduction du passé » (17 mai 2008). Marcel Proust avait déjà montré combien le « travail de mémoire » était reconstruction enjolivée du passé, voire fantasmée lorsqu’il s’agit de sexe (Albertine, c’était Albert et la madeleine dans le thé du vulgaire pain grillé dans le café…).

Gabriel Matzneff s’est construit volontairement l’image d’un ogre transgressiste, dans la lignée à la mode après mai 68 où il était devenu « interdit d’interdire ». Et où la lecture de Wilhelm Reich (à nouveau oublié aujourd’hui) faisait du sexe la seule activité humaine qui vaille, du berceau à la tombe – l’a-t-on déjà oublié chez les plus de 30 ans ? Mais le « journal » de Matzneff, s’il était probablement peu censuré par son auteur avant publication pour ses premiers tomes (sortis bien après les faits) l’est devenu progressivement, réduisant les relations à des actes répétitifs amplifiés et déformés, d’une tristesse qui suscite le malaise. Plus sur le vide d’exister qu’ils révèlent et sur le narcissisme effréné qui vient en compensation que sur les âges des partenaires en transgression des lois. Matzneff s’en est aperçu probablement, ce pourquoi les Carnets noirs 2007-2008 s’élèvent un peu au-delà des draps pour évoquer la culture et la littérature, où il excelle.

Matzneff demeure intéressant. C’est la première raison.

La seconde est que je n’aime pas qu’on interdise un livre, surtout une fois édité. Or « retirer de la vente » est l’euphémisme qui désigne aujourd’hui la censure, tout comme un balayeur est devenu « technicien de surface » ou un éditeur une « pompe à fric ». Je n’ai pas lu les derniers tomes du « Journal » et j’avoue qu’ils m’intéressent peu. Gabriel Matzneff était d’une époque et celle-ci est bel et bien révolue. Mais je note qu’on ne les trouve désormais qu’à des prix prohibitifs d’occasion, la rareté programmée faisant monter les enchères. Seuls les friqués peuvent se procurer les tomes « interdits ». Gallimard participe donc à accentuer le fossé entre riches et pauvres, entre élite à pèse et petits intellos réduits à mendier auprès des mafias des occasions la possibilité de lire. C’est un procédé honteux.

Si les propos écrits dans les tomes du Journal de Matzneff étaient répréhensibles, pourquoi les avoir édités ? Une fois parus, ils ne sont plus la propriété exclusive de l’éditeur mais du public. Chacun a droit à l’information. Je ne doute donc pas que, comme pour Mein Kampf (dont les élucubrations méritent d’être lues justement pour crever la baudruche du mythe) et pour les pamphlets antisémites de Céline (pour la même raison, le style en plus), les œuvres censurées de Matzneff ne paraissent bientôt sous forme numérique sous le manteau. Ce serait de salubrité démocratique : chacun a le droit de se faire son propre jugement tant qu’aucune interdiction judiciaire n’est édictée, fondée en droit et en raison.

Demain donc je republie mon billet 2009 sur les Carnets noirs de Gabriel Matzneff. Un billet écrit bien avant l’hystérie actuelle : vous pourrez vous faire votre opinion personnelle dégagée des enfumages médiatiques d’aujourd’hui.

Cela dit, je ne force personne à s’informer ou à penser tout seul. Ceux qui le veulent liront ; pour les autres, le blog est vaste et couvre de multiples sujets.


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5 réflexions sur “Lire Matzneff quand même ?

  1. Effectivement, j’ai lu La côte sauvage de JR Huguenin en seconde, un peu avant 16 ans, sur les conseils de la prof de français. Je n’ai pas trop accroché et ai oublié le livre. Peut-être, sur votre conseil, faudrait-il le relire ?

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  2. Florian78

    Sur Huguenin : vous n’avez pas aimé son roman, à l’âge de 16 ans, donc depuis pas mal d’années ? Relisez-le, vous y retrouverez du nouveau.

    Je l’ai lu bien après vous, mais trop vite pour l’apprécier, avant de dénicher son Journal dans la version abrégée de 1964.
    Un jour, j’eus l’occasion de relire « La Côte sauvage », en réalité de le redécouvrir. Entre-temps, un séjour en Bretagne avait peut-être éveillé quelque chose en moi : le roman m’a emballé. Je l’ai maintes fois lu et relu, avec son Journal, cette fois en version intégrale. je suis retourné en 2009 sur les sites du roman (Plougonvelin, Locronan) : certaines choses avaient disparu, d’autres étaient restées.
    Quand la biographie de Jérôme Michel est parue, j’en ai publié une recension dans « Service littéraire », début 2013.
    J’offre souvent ce livre à des amis : ils me confient ensuite n’être pas sortis indemnes de sa lecture !

    Une coïncidence : alors qu’il achevait à son roman, paraissait dans le journal « Tintin » une aventure très bretonne de Guy Lefranc, par Jacques Martin (auteur de BD que vous appréciez) : « L’ouragan de feu », dont l’action se déroule dans un village breton reconstitué sous pseudonyme, mais sans doute très proche de cette fameuse « Côte sauvage », quelque part dans le Finistère-Nord, entre la pointe Saint-Mathieu et l’Aber-Wrac’h.

    Cordialement.

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  3. Les éditeurs ne se précipitent pas pour « retirer de la vente » les livres des curés, je crains… Même ceux qui se sont inspirés de mai 68. Je ne suis pas plus pour que pour Matzneff mais il y a un net penchant pour n’écouter que les monologues du vagin.
    Sur l’oeuvre de Gabriel Matzneff, je vous suis sur ses publications de jeunesse, plus fraîches et sensibles que celles de la maturité. mais la culture et la langue subsistent même dans la complaisance narcissique du poids mesuré en grammes et des galipettes comptées comme Casanova. De plus, l’intervention des avocats de la maison Gallimard pour le Journal dès Les demoiselles du Taranne font douter désormais de sa vérité pleine et entière : l’auteur préfère se dire « véridique » ou « authentique » que vrai… La vérité « alternative » naît déjà au début des années 2000.
    J’ai publié en 2013 une note sur le Journal de Jean-René Huguenin : https://argoul.com/2013/11/29/jean-rene-huguenin-journal/
    Et plusieurs notes sur Montherlant, que je considère comme un véritable classique, même (et surtout ?) parce qu’il est passé de mode : https://argoul.com/?s=montherlant

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  4. Florian78

    Navré, cher Argoul, de vous contredire sur un point : il n’y a pas de « silence assourdissant et gêné quand c’est le curé », on vient de le voir avec l’affaire de Lyon, puisque tout est bon dès qu’il faut casser du catho (mais beaucoup moins de bruit quand cela concerne des imams ou l’Education nationale).

    Mais passons là-dessus, votre étude sur Matzneff est intéressante et bienvenue. Ses malencontres font irrémédiablement songer aux « Animaux malades de la peste » : « A ces mots, on cria haro sur le baudet ». Il y a une fameuse hypocrisie à s’en prendre à lui, alors que cela fait 50 ans qu’on sait très bien ce qu’il est, et que tout le monde s’en fichait jusqu’ici, d’autant qu’il a assez peu de lecteurs.

    Matzneff a publié de bons ouvrages, mais faut-il qu’il soit réduit à la mendicité pour sortir ses derniers « Carnets noirs », égotistes et peu intéressants, et ses « mimiles » totalement dénués d’intérêt !

    En fait, l’auteur ne s’est pas renouvelé. Par exemple dans les romans. A partir du décevant « Harrison Plaza », il tend à rabâcher, et certains de ses protagonistes agissent de manière peu conforme à leur personnalité : le Dulaurier de HP n’a pas grand-chose à voir avec le charmant vieux professeur de « Nous n’irons plus au Luxembourg » (que je tiens pour un de ses meilleurs romans, avec « Ivre du vin perdu », « Isaïe réjouis-toi » et aussi « L’Archimandrite », roman de jeunesse).
    « Les lèvres menteuses » : bof, l’auteur quinquagénaire se déguise sous les traits d’un étudiant de 23 ou 24 ans, ce n’est pas très crédible. Les derniers romans en Italie sont corrects, sans plus, avec tous ces doubles de l’auteur (Kolytcheff, Dolet), qui font que Matzneff n’arrête pas de se contempler.

    Côté essais, « Le Défi », « Le carnet arabe », « Comme le feu mêlé d’aromates », « Boulevard Saint-Germain » et « Le Taureau de Phalaris » sont vraiment à retenir.
    « Maîtres et complices » : un peu facile, le sujet méritait d’être plus fouillé, il laisse sur sa faim l’amoureux de la littérature. Cela ne vaut pas « La diététique de lord Byron ».
    « Les moins de seize ans » et « Les passions schismatiques » datent d’une époque où l’on croyait pouvoir tout dire en matière de sexualité, et valent aujourd’hui à l’auteur d’être cloué au pilori : jamais l’adage « pour vivre heureux, vivons caché » n’aura été autant d’actualité.

    Les « Carnets noirs » les plus intéressants sont ceux courant de 1953 à 1982. Son témoignage sur l’Algérie de 1959, ses deux voyages en URSS de 1966 et 1967 sont extraordinaires. Après 1982, l’auteur n’a plus rien d’exaltant à nous dire, c’est répétitif et lassant ; on tourne à l’obsession sexuelle, la possession malsaine. Il ne sait pas aimer.

    Ses recueils d’articles contiennent du bon (ah, l’excellent « Chancre mou » dans « La Caracole » !) et du moins bon, voire du très mauvais (le Kadhafi des années 1975-1980 qui finançait les pires terroristes du monde entier, la Fraction Armée rouge et l’affreux Klaus Croissant, défendu par les gauchos de l’époque et dont, après la chute du mur de Berlin, on apprit qu’il émargeait à la Stasi, la Gestapo est-allemande).

    Ses œuvres de jeunesse sont en définitive les meilleures du lot. Ne tenant pas les promesses de ses débuts, Matzneff est de ces auteurs qui vieillissent mal.

    A contrario, des écrivains comme Montherlant et Mauriac ne m’ont jamais déçu. Ils se placent d’emblée à un niveau très supérieur.
    Enfin, un jeune auteur, contemporain de Matzneff, son quasi-voisin (Parisien du 16e arrondissement), mort en 1962, une semaine avant Roger Nimier, Jean-René Huguenin, nous a laissé un journal très intéressant, d’assez nombreux articles et un unique et beau roman, « La Côte sauvage ». Sur lui, l’excellente biographie de Jérôme Michel, « Un jeune mort d’autrefois », et un recueil de Michka Assayas, « Le feu à sa vie ». Vous devez sûrement le connaître.

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  5. alainrivier

    L’hystérie est presque insuffisant. c’est de l’acharnement pudibond. Marre de toutes ces histoires. la meute tartufienne des assoiffés de moralisme est lâchée….

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