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L’écologie politique à la dérive

« Confiée à des bureaucrates de l’écologie, eux-mêmes poussés par la radicalité d’un certain nombre de collapsologues, la transition écologique crée de fréquentes tensions chez ceux qui sont directement affectés par des régimes d’autorisation, de contrôle ou de surveillance de plus en plus stricts. » Tel est le propos de l’introduction de cette étude de la Fondapol – très intéressante en ce qu’elle nous fait toucher du doigt la transposition administrative bêtasse des meilleures intentions proprement politiques. Un travers très français…

Tout commence avec l’idéologie écologiste qui est la nouvelle religion issue du marxisme gauchiste, lui-même issu du christianisme. Il s’agit toujours d’écouter la voix de Dieu, de l’Histoire ou de Gaïa, donc de dire le Vrai de la croyance. Une fois la vérité ainsi établie, il faut l’imposer. L’époque n’est plus à la contrainte dure comme du temps de l’Église ou même des dictatures du 20ème siècle. Elle serait plutôt à convaincre selon l’idéologie démocratique où tout le monde a théoriquement voix au chapitre. Mais ce n’est pas le cas car, pour imposer la loi de l’Histoire écologique, tous les moyens de propagande sont bons, des artistes aux médias, de l’école aux politiciens. L’Apocalypse et la Révolution sont remplacés par l’Urgence climatique. Ce qui nous oblige tous collectivement à aller vite sans réfléchir, à adhérer sans critique et a faire tout, tout de suite – comme dans le fantasme infantile hippie des années 60.

La question n’est pas de nier le réchauffement climatique, ni la nécessité de décarboner l’économie rapidement, ou encore de retrouver une harmonie avec la nature. La question est celle de l’adhésion des citoyens à ce projet, qui doit être rationnel et rationnellement exposé, pas simplement idéologique, avec accompagnements adéquats. On a vu avec la crise des gilets jaunes combien une mesure d’en haut, au motif idéologique et appliquée de façon bureaucratique, pouvait hérisser les citoyens jusqu’à la jacquerie. Il ne s’agit pas d’interdire les voitures à pétrole, mais de permettre à ceux qui en ont d’utiliser d’autres moyens de transport propres et peu coûteux, soit des transports collectifs abordables et sans grèves à tout bout de champ, soit des automobiles individuelles électriques ou à hydrogène à coût raisonnable. Ce qui est loin d’être le cas !

La bureaucratie est le bras armé de cette idéologie, « la nouvelle religion d’État » selon Chantal Delsol. Il s’agit, selon le rapport Fondapol, d’« un système où l’appareil est prépondérant avec pour mission d’orienter les politiques publiques environnementales vers une logique unique de préservation, de protection et de conservatisme ». Car l’organisation bureaucratique est cloisonnée, soumise à hiérarchie, au devoir d’obéissance ; elle produit des règles pour justifier ses postes, une langue de bois spécifique, une tendance naturelle à l’immobilisme par inertie et une irresponsabilité quasi totale. Le meilleur exemple a été, dans l’histoire récente, l’URSS et son système.

Cela « conduit en effet à décourager l’initiative, voire l’innovation, en rendant toutes les actions complexes, longues, onéreuses. » Plus les normes sont exigeantes, plus la facture augmente. D’autant que, malgré ses diplômes exigés et ses concours de recrutement, « l’administration peine à gérer sainement les deniers publics », « les gaspillages – pour ne pas dire la gabegie – sont principalement dus à des revirements de politiques publiques. Les exemples célèbres ne manquent pas, de Notre-Dame-des-Landes aux portiques écotaxes sur les autoroutes… »

Le pouvoir judiciaire est naturellement le bras armé de la bureaucratie avec pouvoir de contraindre et de punir – et des tribunaux « administratifs » ont même été créés pour exempter l’Administration d’être jugée par le droit commun. « La crainte suscitée par le risque d’une responsabilité pénale conduit, bis repetita, à prendre des mesures de protection excessives et fait alors entrer la prévention dans le régime de l’interdiction. » Les crimes contre la nature ont failli être traités comme des crimes sur les personnes par la qualification qu’écocide, comme on dit féminicide ou homicide ! « Le principe constitutionnel de précaution est un allié de poids pour la bureaucratie. Elle y trouve un puissant levier dogmatique pour s’opposer à chaque risque prévisible. » L’ineffable Chirac avait encore frappé : donnez-leur ce qu’ils réclament et qu’on me laisse tranquille, semblait penser le pire président de la Vème République. Les associations, subventionnées sur fonds publics, surveillent tous les projets publics d’ampleur, « bénéficient d’une qualité pour agir sur tout le territoire national et deviennent les sentinelles de la judiciarisation permanente de l’action publique. » Exemples qui ne font que commencer : « On peut constater déjà que l’extinction des enseignes lumineuses dès la fermeture des magasins. L’affaire du siècle est une opération menée par quatre associations et soutenue par des citoyens, des personnalités du milieu du spectacle, visant à attaquer l’État français en justice pour son insuffisance dans la lutte contre le réchauffement climatique. »

La suite ? Le numérique devrait aider comme en Chine au formatage des « bons » comportements écolos et sanctionner entreprises, commerçants et particuliers. La réduction de l’éclairage, une baisse de la température dans les magasins sont des scénarios envisagés. Avec le nouveau compteur Linky, il est facile en effet de savoir si un individu utilise sa climatisation, s’il a pris plusieurs douches ou s’il débranche ses appareils électroniques.

« L’incongruité est que les écologistes se proclament les meilleurs promoteurs de la démocratie participative à travers la consultation des citoyens. De grandes conférences sont mises en œuvre pour donner la parole à ces derniers. Des procédures de concertation et d’enquête publiques sont censées récolter leur avis. Des référendums sont même organisés pour connaître leur position face à de grands projets comme celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Or, in fine, rien n’est pris en considération. L’impression générale demeure que l’avis des citoyens n’est pas suivi. » Autrement dit, la démocratie c’est quand vous êtes d’accord avec le credo ; sinon, vous n’avez pas droit à la parole : cancel !

Ce sont des procédés qui mènent au totalitarisme : quand un groupe militant est persuadé de détenir la Vérité, il fera tout pour l’imposer. Les réfractaires ou même seulement ceux qui émettent une quelconque critique, sont assimilés à des ennemis du peuple, des espions de la grande industrie, voire à des possédés du diable. Les camps de rééducation devraient s’ouvrir dans la foulée, après tout c’est bien ce qu’ont produit les régimes d’Hitler, de Staline, de Pol Pot et de Xi.

« La solution passe par des investissements puissants et multiples, une décentralisation plus forte, la mise en œuvre du principe de subsidiarité, une réelle déconcentration et l’implication permanente des citoyens dans les décisions qui les concernent. La capacité à faire confiance à l’échelon local sera la clef de la réussite ou de l’échec de la grande transformation écologique de notre société. » Telle est la conclusion – que je partage – de cette étude Fondapol qui est bienvenue dans le débat public. Pas de « décroissance » – toujours au détriment des faibles – mais une production maîtrisée, adaptée aux changements exigés.

De la transition écologique à l’écologie administrée, une dérive politique, David Lisnard et Frédéric Masquelier, mai 2023, Fondation pour l’innovation politique, 30 pages, www.fondapol.org (disponible gratuitement en téléchargement PDF)

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La mode corrompt les mœurs, dit Montaigne

Le chapitre XLIII des Essais, livre 1, réagit aux « lois somptuaires » que François 1er édicta pour empêcher la ruine de certaines maisons nobles mais aussi pour protéger l’ordre social en distinguant les rangs de naissance par le costume. Notre philosophe périgourdin se gausse de la mode et des afféteries. Pour lui, ces lois sont ridicules : que le roi se mette à la sobriété et la cour s’y mettra, entraînant avec elle toute la société. Nous ne pouvons que faire un parallèle avec la sobriété énergétique exigée désormais de nos concitoyens. Que l’Élysée et Matignon commencent à diminuer la taille de leurs voitures, à prendre le train (ce que fit François Hollande – mais un court temps seulement), à éviter ces déplacements en avion peu utiles à l’ère des communications de masse – et nous aurons le comportement exemplaire que les « interdictions » ne sauraient produire.

En revanche, il serait nécessaire « d’interdire » carrément à la SNCF et à la RATP d’illuminer comme à Noël toutes les nuits les gares et les voies alors que ne roulent aucun train de voyageurs – puisque ces entreprises semblent incapables de s’en rendre compte tout seul. Que la lumière ne soit pas allumée en plein jour dans certains RER, ni en pleine nuit dans les rues. Comme toujours, les entreprises soviétiques que sont les gros machins d’État style SNCF, EDF et France Télécom, même vaguement privatisés, sont irresponsables. L’inertie des habitudes est la principale mode. Contrairement à Montaigne, pour qui « en toutes choses (…) la mutation est à craindre » (il vivait en société d’ordres « voulus par Dieu »), la mutation est pour nous indispensable. Elle ne se fait pas en claquant des doigts mais avant tout, encore une fois, par l’exemple.

Nous sommes en revanche en accord avec Montaigne lorsqu’il s’appuie sur Platon pour vilipender la « nouvelleté » qu’est la mode sans rime ni raison. « Platon, en ses Lois, n’estime peste du monde plus dommageable à sa cité, que de laisser prendre liberté à la jeunesse de changer en accoutrements, en gestes, en danses, en exercices et en chansons, d’une forme à autre ; remuant son jugement tantôt en cette assiette, tantôt en celle-là, courant après les nouvelletés, honorant leurs inventeurs ; par où les mœurs se corrompent, et toutes anciennes institutions viennent à dédain et mépris ». Sans être aussi sévère dans le conservatisme, force est de constater que les inventeurs de la Silicon Valley comme Bill Gates, interdisent à leurs propres enfants d’user des nouvelles technologies tant qu’ils n’ont pas l’âge de le faire avec raison – à 14 ans selon lui. Mais, une fois de plus, il faut le répéter, c’est aux parents et autres adultes (comme ces profs souvent largués) de donner l’exemple. Une école de la Silicon Valley est même entièrement sans connexions. Le laisser-faire n’est bon qu’aux personnes en maturité, pas aux inconscients pas encore finis : laisse-t-on le volant à un gamin de 10 ans ?

Les minijupes des années soixante ont probablement excité à la débauche mais c’était pour la bonne cause de la libération des mœurs. Nous voyions il y a peu encore des parents autoriser les fillettes à s’habiller ras la fesse – comme les stars – faute de décolleté plongeant présentable ; nul doute qu’elles n’incitaient à la pédocriminalité ceux qui en avaient le penchant (quelques pourcents, mais avides). La mode a viré à l’inverse pour les garçons, désormais engoncés dans des slips doublés de caleçons et de shorts de moins en moins courts pour atteindre les genoux (rappelons que short veut dire court). Le nombril à l’air fleurit désormais chez les jeunes filles ; c’était le cas des gars dans les années soixante-dix. La mode est vanité et accapare l’attention sans intérêt. La société mercantile y encourage et les réseaux sociaux l’amplifie. Pour quel bien ? Certainement pas celui des valeurs humaines ni de l’intelligence…

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Convention climat

La montagne accouche donc d’une souris… C’était pourtant une bonne idée de faire plancher des citoyens lambdas, tirés au sort pour un panel représentatif, sur les mesures concrètes à prendre à propos de l’urgence écolo. Cela renouvelait la pratique démocratique ; cela mettait hors d’atteinte des lobbies le sujet. Sauf que… pas grand-chose n’en est sorti.

Une convention hors institutions a le mérite de sortir les sujets abordés de la politique politicienne, vous savez, celle qui fait grimper aux rideaux toutes les oppositions dès qu’une proposition quelconque est présentée : Pensez, tout changement, même à ma marge, dérange forcément quelque nid juteux ou entame quelque fromage – donc « l’opposition » en profite, c’est de bonne guéguerre dans les petits jeux de théâtre entres amis sortis des mêmes écoles et fréquentant les mêmes milieux. L’intelligence collective mérite mieux que ces chamailleries de cours de récré et une convention citoyenne est donc un renouvellement bienvenu.

Mais faut-il pour cela se contenter de sortir des incantations sans aucune évaluation du coût (économique, social, environnemental) ? D’abonder dans le sens des « experts » selon qu’ils parlent bien et sont persuasifs en répétant dix fois la même chose pour bien ancrer la « bonne direction » dans les esprits « libres » ? Faut-il éviter soigneusement toutes les mesures qui fâcheraient les gilets jaunes et autres manifestants, telle la taxe carbone pourtant économiquement significative ? Faut-il refuser toute responsabilité des choix en ne proposant au référendum que des mesures juridiques absconses que le citoyen moyen ne comprend pas ? Faut-il en rester au symbolique impuissant de « la Constitution », comme le fameux principe de précaution invoqué à toutes les sauces mais qui n’a eu aucune conséquence juridique concrète à ce que l’on peut savoir ?

Dans cette inconsistance, peut-être devons-nous y voir le tropisme du « bon élève » que chaque Français moyen veut présenter à autrui ? Plus égal que moi tu meurs… Plus conventionnel, jamais. Plus dans la ligne de la mode, surtout pas ! Le tirage au sort a donc accouché de la bonne vieille « sagesse des nations », pas très loin du café du commerce. D’autant que certaines propositions tendent à « interdire », vieille mentalité caporaliste française qui vient de loin et qui perdure. Surveiller et punir reste le mantra du citoyen lambda car ce sont toujours « les autres » qui ne sont pas assez vertueux – soi-même ? jamais. Pour que j’obéisse, il faut donc « les » forcer à faire pareil, sinon, pourquoi moi je le ferais ?

Que de yakas dans les « propositions » ! Il s’agit le plus souvent de « réfléchir », « légiférer », « informer », développer »… Rares sont les propositions concrètes, applicables ici et maintenant. « Aménager les voies publiques » en est une, « réduire la vitesse sur les autoroutes » une autre.

Mais quel exemple emblématique de l’absence de toute évaluation des conséquences ! Quel choc entre éthique de conviction et éthique de responsabilité ! Où les bonnes intentions accouchent de pas grand-chose… Yaka réduire la vitesse sur autoroute puisque ça pollue moins et que ça sauverait peut-être des vies – non, mais personne n’y avait donc pensé ? Quelle bonne idée, surtout quand elle n’est pas jaugée selon les conséquences : les conducteurs vont-ils continuer à prendre les autoroutes payantes s’ils ne peuvent pas rouler plus vite que sur les nationales gratuites ? Oh, mais yaka réduire la vitesse sur les nationales ! Et ainsi de suite… Pourquoi ne pas carrément « interdire » les voitures au profit des lobbies syndicaux radicaux des transports qui pourraient ainsi bloquer tout le pays à merci ? Pourquoi ne pas plutôt enjoindre aux constructeurs automobiles de produire des moteurs moins consommateurs, moins polluants, avec des énergies différentes – mais à des prix compatibles avec le pouvoir d’achat ? Le véhicule électrique à 40 000 € est un véritable scandale quand on sait qu’il y a beaucoup moins de pièces sous le capot qu’un moteur à essence à 25 000 €.

Sur la consommation, c’est mieux mais focalisé sur « l’éducation » (de l’enfant, du consommateur, de l’industriel), encore un vieux tropisme français dont l’efficacité n’est pas démontrée. Peut-être même au contraire : tous les « rebelles » font exprès de transgresser les injonctions éducatives pour niquer la société – voyez les révoltés du masque lors de la « fête de la musique » sur un air de Covid. Rançon du caporalisme curé-instit-flic-assistante sociale, faire craquer les gaines est la seule idée du rebelle mis sous camisole douce.

Sur le travail, en dehors de « production, stockage et redistribution d’énergie pour et par tous » (qui remet donc en question le monopole EDF ?), peu de concret. Il s’agit encore et toujours d’« accompagner » de « prendre en compte », de renforcer » – rien qui ne fait déjà ni qui se ferait plus vite si les interdictions-injonctions étaient mises en œuvre. Parce que cela prend du temps – et coûte des emplois parce qu’il faut numériser et automatiser.

Se nourrir n’est concret que sur « le crime d’écocide », thème en -cide très à la mode comme génocide et féminicide. Mais la « Haute autorité des limites planétaires » est-elle autre chose que le vieux rêve utopique de la République universelle, donc sans effet concret face aux Trump, Xi Jinping, Poutine, Bolsonaro, Erdogan et consorts ?

A eux les Vertueux de faire la Morale aux citoyens ; aux autres, les agissants de « prendre leurs responsabilités » de politiciens – et les vaches seront bien gardées. La morale sera sauve, mais pas la société. Car il n’est pas nouveau de faire la morale aux autres, sans jamais rien faire de concret pour changer les choses. La gauche au pouvoir en France depuis Mitterrand II n’a fait que ça – il faut dire que les changements de Mitterrand I avaient montré leur désastre de Grand bond en avant au bord du précipice.

Le mieux pour assurer un atterrissage en douceur de la convention tout en forçant la responsabilité de proposer, serait probablement de réaliser un référendum à question multiples – comme en Suisse. Les citoyens décideraient. Ils voteraient oui ici et non là, ce serait clair pour tout le monde. Et bien concret, sans faux-fuyants ni tortillages de cul envers les lobbies industriels ou les manifestants hargneux. Le « Peuple » en a décidé, exécution.

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Lire Matzneff quand même ?

Devant l’hystérie médiatique du très petit quartier élitiste parisien de Saint-Germain-des-Prés qui conchie en horde ce qu’il a tant adoré et vanté durant des décennies, je reprends dès demain un billet écrit en 2009, paru sur un ancien blog du mondéfer et toujours lisible parce que repris alors sur AgoraVox « le média citoyen ».

Citoyen, il faut l’être plus que jamais devant les hordes. Ces humanités-là, des deux ou multiples sexes revendiqués (LGBTQ2S… et + si affinités) ne pensent pas avec leur tête mais avec leur queue : ils se frottent dans le nid social bien douillet à la chaleur fusionnelle du « je suis d’accord » et abolissent toute individualité pour conspuer le trop commode Bouc émissaire.

Matzneff en archange aux pieds fourchus : comme c’est pratique ! Cela permet de se dédouaner à bon compte de ses turpitudes passées et de se blanchir la bonne conscience en se rengorgeant d’être plus vertueux que les autres. D’autant plus que cet auteur n’est pas « de gauche » comme la horde l’exige quand on se veut de la Culture. Les adeptes de la loi de Lynch (attitude ultralibérale des Etats-Unis honnis) sont aidés en cela par l’ineffable hypocrisie chrétienne, catholique de gauche pour Gallimard, qui « retire » de la vente » toutes les œuvres publiées de l’auteur tandis que le ministre « et de droite et de gauche » croit « devoir » donner son grain de sel démagogique en faisant examiner pour retrait (c’est pas moi, c’est la commission) l’allocation vieillesse d’un pauvre des lettres bien décati désormais à 83 ans. Fustiger la pédosexualité, c’est un concert de braillements quand c’est Matzneff – mais un silence assourdissant et gêné quand c’est le curé ! Tirer sur les ambulances c’est mal quand c’est Daech, c’est le Bien suprême quand c’est Springora, Angot, Weil et consorts, dont le talent littéraire ne résistera pas aux décennies qui viennent, au contraire de celui qu’ils, elles (et les autres) fustigent à longueur de clavier (ils ont enfin quelque chose à dire dans les médias ! une CAD – cause à défendre).

Je reprécise une énième fois que je ne suis pas pour le viol des « enfants », et que même la puberté qui en fait des « adolescents » (avec consentement dès 13 ans en Espagne par exemple, pays pourtant très catholique) n’est pas licence de les pénétrer ni de les dominer sexuellement (autant dire les choses comme elles sont : violer n’est pas violenter mais pénétrer). Cet âge immature est fragile, d’autant plus que notre société maternante et surprotectrice ne l’aide en rien à « se construire » comme disent les psys, les laissant d’une naïveté confondante dans la vie et sur le net. Notre adolescence post-68 était nettement plus « mature » comme on dit aussi pour singer la modernité anglo-saxonne – ce pourquoi nymphette Vanessa se trouvait bien moins candide oie blanche à 13 ans qu’elle peut le laisser entendre à 40 ans. Matzneff note fort justement dans ses Carnets noirs « cette maladie spécifiquement féminine qu’est la réécriture, la réduction du passé » (17 mai 2008). Marcel Proust avait déjà montré combien le « travail de mémoire » était reconstruction enjolivée du passé, voire fantasmée lorsqu’il s’agit de sexe (Albertine, c’était Albert et la madeleine dans le thé du vulgaire pain grillé dans le café…).

Gabriel Matzneff s’est construit volontairement l’image d’un ogre transgressiste, dans la lignée à la mode après mai 68 où il était devenu « interdit d’interdire ». Et où la lecture de Wilhelm Reich (à nouveau oublié aujourd’hui) faisait du sexe la seule activité humaine qui vaille, du berceau à la tombe – l’a-t-on déjà oublié chez les plus de 30 ans ? Mais le « journal » de Matzneff, s’il était probablement peu censuré par son auteur avant publication pour ses premiers tomes (sortis bien après les faits) l’est devenu progressivement, réduisant les relations à des actes répétitifs amplifiés et déformés, d’une tristesse qui suscite le malaise. Plus sur le vide d’exister qu’ils révèlent et sur le narcissisme effréné qui vient en compensation que sur les âges des partenaires en transgression des lois. Matzneff s’en est aperçu probablement, ce pourquoi les Carnets noirs 2007-2008 s’élèvent un peu au-delà des draps pour évoquer la culture et la littérature, où il excelle.

Matzneff demeure intéressant. C’est la première raison.

La seconde est que je n’aime pas qu’on interdise un livre, surtout une fois édité. Or « retirer de la vente » est l’euphémisme qui désigne aujourd’hui la censure, tout comme un balayeur est devenu « technicien de surface » ou un éditeur une « pompe à fric ». Je n’ai pas lu les derniers tomes du « Journal » et j’avoue qu’ils m’intéressent peu. Gabriel Matzneff était d’une époque et celle-ci est bel et bien révolue. Mais je note qu’on ne les trouve désormais qu’à des prix prohibitifs d’occasion, la rareté programmée faisant monter les enchères. Seuls les friqués peuvent se procurer les tomes « interdits ». Gallimard participe donc à accentuer le fossé entre riches et pauvres, entre élite à pèse et petits intellos réduits à mendier auprès des mafias des occasions la possibilité de lire. C’est un procédé honteux.

Si les propos écrits dans les tomes du Journal de Matzneff étaient répréhensibles, pourquoi les avoir édités ? Une fois parus, ils ne sont plus la propriété exclusive de l’éditeur mais du public. Chacun a droit à l’information. Je ne doute donc pas que, comme pour Mein Kampf (dont les élucubrations méritent d’être lues justement pour crever la baudruche du mythe) et pour les pamphlets antisémites de Céline (pour la même raison, le style en plus), les œuvres censurées de Matzneff ne paraissent bientôt sous forme numérique sous le manteau. Ce serait de salubrité démocratique : chacun a le droit de se faire son propre jugement tant qu’aucune interdiction judiciaire n’est édictée, fondée en droit et en raison.

Demain donc je republie mon billet 2009 sur les Carnets noirs de Gabriel Matzneff. Un billet écrit bien avant l’hystérie actuelle : vous pourrez vous faire votre opinion personnelle dégagée des enfumages médiatiques d’aujourd’hui.

Cela dit, je ne force personne à s’informer ou à penser tout seul. Ceux qui le veulent liront ; pour les autres, le blog est vaste et couvre de multiples sujets.

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Jeux interdits de René Clément

L’enfance, la guerre, la mort ; la France, l’exode, la défaite – ce sont ces trois thèmes qui reviennent en boucle dans cette histoire de l’an 40, dont les Français « se fichent » selon leur proverbiale bêtise.

Une petite fille de 5 ans, Paulette (Brigitte Fossey, 6 ans) voit ses parents mitraillés par un stuka allemand sur la route de l’exode où l’auto de Parisien parentale a rendu l’âme. Ce sont le papa et la maman de Brigitte qui ont joué les victimes dans le film. Elle court après son petit chien, forçant ses parents à la suivre – et à mourir. Tout comme le chien. Car l’enfant blonde porte la mort en elle : ses parents, son chien, le cheval affolé qu’elle suit qui tue le fils aîné des paysans… Une réminiscence inconsciente peut-être des brutes blondes qui envahissaient le pays livré à l’impéritie contente d’elle-même des vieilles badernes et à la lâcheté de sa bourgeoisie. Il aurait fallu poser la question à l’auteur du scénario, François Boyer qui en fit un roman, Les Jeux inconnus, réédité sous le titre du film au vu de son succès.

Il n’y a rien « d’interdit » à vivre son enfance, à récuser la mort, à aimer par résilience quiconque se présente et s’intéresse à vous. Et pourtant si : la fin en témoigne, poignante d’abandon dans une France en proie au chaos et à l’égoïsme. Car ils ne sont pas beaux, les Français de 40 : des fuyards pressés qui marchent sur les retardataires aux pécores bornés par leur petite existence et par la haine du voisin, jusqu’à l’indifférence des « sœurs » de la Croix rouge qui collent une étiquette sur une enfant comme on tamponne un dossier.

Paulette rencontre Michel (Georges Poujouly, 11 ans) quelque part en Auvergne (le père lit La Montagne). C’est un garçon de 10 ans déluré mais gentil, petit dernier d’une portée fermière aux trois garçons et deux filles. Le gamin garde les vaches, court partout pieds nus dans ses godasses et débraillé, ébouriffé et les mains sales. Mais ce gavroche populaire est pleinement dans la vie, le cœur débordant de générosité. Il adopte la blondeur et les yeux clairs de la fillette tombée du ciel par les stukas ; il la console, l’écoute, joue avec elle.

La première chose est d’enterrer son chien, jeté au ruisseau par une matrone frustre, juchée sur sa charrette en fuite tandis que son homme la tire. Elle n’en veut pas, de cette bouche à nourrir, confite en égoïsme frileux, mais le mari l’a prise, attendri, et elle doit faire avec. Sauf qu’une auto trop pressée coince la carriole au bord d’un pont et que Paulette, qui ne se sent pas accueillie, s’enfuit entre les jambes des fuyards pour atteindre son chien qui dérive au fil du courant. C’est avec la bête morte dans les bras que Michel la découvre, poursuivant une vache folle. Il la ramène à la maison et entre avec elle dans le monde imaginaire de l’enterrement.

En ces années d’ignorance et de dressage, la France éduque ses enfants par la trique et le par-cœur (cela n’avait guère changé encore dans les années soixante). Michel est bon élève au catéchisme, sans croire vraiment qu’il y ait un Dieu tel qu’on le décrit, et il récite son par-cœur sans en penser un seul mot. Comme ses parents et ses frères ou sœurs sont encore plus ignares et indifférents que lui, il se venge de l’autoritarisme paternel en mélangeant exprès les prières. Il n’y a que lorsque son frère aîné (Jacques Marin) est au plus mal et crache le sang dernier qu’il remet à l’endroit les paroles, par superstition, comme si elles avaient un pouvoir. Pour lui comme pour les adultes et pour le curé, la croix, « qu’est-ce que c’est ? – Ben, c’est l’bon Dieu ! ».

Pour Paulette, il faut donc une croix pour son chien et, afin qu’il ne reste pas seul dans son trou comme les humains enterrés à la va-vite « hop, comme des chiens ! », il faut enterrer d’autres animaux morts : un cafard qui passait par là « ça pue ! », un poussin que Michel est allé voler chez les voisins Gouard et a ramené à même sa peau sous la chemise, un « verre de terre », un hérisson, un loir et ainsi de suite. Pour cela il faut des croix et encore des croix.

Comme son père (Lucien Hubert) l’a taloché pour avoir usé du marteau dans la maison alors que son frère agonisait et qu’il a entrepris de clouer une croix « dans la maison d’un mourant, ça porte malheur ! », il faut les voler. Au-dessus du corbillard, dans le cimetière, dans l’église même – au risque de se faire prendre par le curé (Louis Saintève), ce qui ne manque pas d’arriver. Nouvelles taloches – on battait beaucoup les enfants dans la France autoritaire et mesquine jusque dans les années 1980. Mais le comble est la croix du frère, à peine enterré, que Michel a transporté avec la brouette. Le père accuse les Gouard, les voisins haïs par jalousie parce que le vieux a été médaillé de sauvetage et que le fils est parti à la guerre alors que les siens ne sont pas assez bons et réformés. Les deux pater familias (Lucien Hubert et André Wasley) se battent en plein cimetière, roulant jusque dans une tombe ouverte jusqu’à ce que le curé vienne les séparer.

Lorsque les gendarmes arrivent à leur ferme, la famille croit que c’est sur plainte des Gouard, mais c’est seulement parce qu’ils ont entendu parler de Paulette et qu’ils viennent la chercher pour la confier à la Croix rouge. Au grand désespoir de Michel, naïvement amoureux de la petite ; elle ne veut pas le quitter, comme tous les enfants petits qui s’attachent à la première figure qui s’intéresse à eux quand les parents ne sont plus là. Le père promet de la garder mais c’est une promesse en l’air, comme les Français autoritaires et mesquins en faisaient aux enfants jusque dans les années 1980. Paulette est enlevée et Michel, au désespoir, jette toutes les croix volées dans la rivière qui passe sous le moulin. Les deux enfants ne se reverront jamais et le monde imaginaire qu’ils ont créé avec leur jeu sera désormais « interdit ». Les Français, autoritaires et mesquins, adorent « interdire » encore aujourd’hui, des gens de gauche aux gens de droite, des religions aux réseaux sociaux, jusque dans l’université où avoir « dit » un mot tabou ou commis ce qui est devenu « un crime » un demi-siècle plus tard vous « interdit » à jamais de parler.

Ce film simple et cru arrachait des larmes aux adolescents des années 1960 et 1970, je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui (avec le cynisme narcissique ambiant, j’en doute un  peu). L’arrangement à la guitare de Narciso Yepes devenu une scie des premiers pas en guitare, un instrument fort à la mode dans ces mêmes années, jouait pour beaucoup. Il reste la perte de l’innocence et une belle histoire d’amour plus fort que la mort dans une France en loques à la moitié du siècle précédent. La lumineuse Brigitte Fossey a commencé à 6 ans sa carrière, étant même présentée à la reine Elisabeth, tandis que son compère Georges Poujouly a grandi en muscles mais guère en notoriété, son principal film ayant été à 17 ans Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle.

Lion de Saint-Marc à la Biennale de Venise 1952

DVD Jeux interdits, René Clément, 1952, avec Georges Poujouly, Brigitte Fossey, Lucien Hubert, Laurence Badie, Suzanne Courtal, Jacques Marin, Marcel Mérovée, Louis Saintève, André Wasley, StudioCanal 2009, 1h21, €8.61

François Boyer, Jeux interdits (Les jeux inconnus), 1947, Folio 1973, 149 pages, €6.80

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Écologie punitive

Taxer, interdire, limiter, exiger sont des comportements de commandement. Sous prétexte « d’urgence » (mais qu’ont-ils foutu durant quarante ans ?) les gouvernements français veulent dresser la société par des mesures « incitatives » (en fait coercitives), et notamment fiscales, contre l’émission de particules et de gaz à effet de serre et de tri des emballages. Mais l’énergie est principalement nucléaire en France et remplacer le pétrole par l’électricité dans les voitures, outre que cela a un coût (il faut louer les batteries à vie), ne fait que déplacer le problème. Et si toutes les autos étaient électriques, il faudrait construire plusieurs nouvelles centrales. De plus, les « aides à l’achat d’un véhicule propre » étant indifférenciées, le riche en bénéficie tout autant que le pauvre, gaspillant ainsi les deniers des contribuables.

Le constat immédiat est clair : seuls les bourgeois des villes ne ressentent pas les mesures comme coercitives car ils « ont les moyens ». L’essence plus chère ? Le diesel au même prix ? La voiture hybride ou tout-électrique ? L’isolation des bâtiments ? Le surcoût du « bio » ? Rien de cela ne leur importe car cela impacte peu leur pouvoir d’achat. Il n’en est pas de même pour le rural réduit au SMIC ou à la retraite de base en province, ni pour le banlieusard moyen, eux qui doivent se déplacer pour tout (et de plus en plus avec la désertification des services publics). L’écologie punitive accentue les inégalités, creuse le fossé entre « élites » nanties et le peuple et fait le lit de la droite extrémiste.

Malgré le discours « de gauche » affiché par les écologistes en France, la mentalité est fondamentalement conservatrice. Tout part des Lumières qui font de la Nature une Providence sans Jéhovah, une sorte de grand Horloger implacable dont les « lois » immuables s’appliquent avec indifférence. Ce qui donne la pensée technocratique pour qui tout est mathématisable, donc modélisable, conduisant les « ingénieurs » à administrer la société et les « ingénieurs des âmes » (terme forgé sous Staline) à reformater les mentalités. Thomas Malthus, bien connu des économistes, se réjouit que les pauvres connaissent la famine car cela régule les naissances trop nombreuses dans cette catégorie « dégénérée » de la société. Jean-Jacques Rousseau, l’asocial paranoïaque, fait de « la société » (urbaine, policée, de cour) le lieu des vices et de l’exploitation des hommes, aimant se réfugier en « thébaïde » à la campagne. Aujourd’hui encore, un Pierre Rabi fait du « progrès » un éloignement de la vie naturelle, donc une déchéance d’humanité.

Or le savoir scientifique est une curiosité légitime et le progrès des techniques un bienfait humain. Nous vivons plus vieux et en meilleure santé qu’à l’âge des cavernes, qu’au Moyen Âge et même qu’avant la guerre de 40. Ce n’est pas « le progrès scientifique » qui est néfaste, mais ce qu’on en fait. Il faut sortir de l’ornière de la pensée biblique qui fait de toute audace un « péché » et croquer le fruit de l’Arbre de la connaissance un prétexte à punition. Le Paradis d’ignorance béate est un mythe qui inhibe toute volonté de sortir de sa condition dominée. Il va de soi que la bombe atomique et les pesticides cancérigènes ne sont pas des applications fastes de la science. Mais nous ne sommes pas dans un monde de dieux : quand la guerre menace tous les moyens sont bons ; quand le profit allèche, aussi – mais là nous pouvons réguler. Depuis Rabelais, les Français savent (devraient savoir si l’éducation « nationale » faisait son boulot) que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Le problème des écologistes français n’est pas la cause à défendre mais les moyens qu’ils emploient. Imbibés de leur passé gauchiste, commencé intellectuellement sous Lénine et Mao avec l’exemple politique de Robespierre et de Castro (oyez Mélenchon !), ils méprisent la liberté au nom des Lois « scientifiques » de l’Histoire ou de la société. Ils sont les grands « sachants » et jouent au grand sachem ; comme en classe (nombreux sont les profs dans les partis écolos), ils veulent imposer leur savoir, même s’il est intimement mêlé de croyances non rationnelles parfois. Le politiquement correct et la pensée de horde remplacent chez eux le libre examen. La question de la limite entre les libertés individuelles et l’efficacité collective leur est étrangère. Puisqu’il « faut », alors « yaka » – sans débat ni nuances.

Ce pourquoi ils échouent depuis une génération à convaincre. On cause « protection du littoral », mise en valeur du « patrimoine », valorisation des petites exploitations « bio », observation « des oiseaux » et « bienfait des plantes » – mais rien ne change au fond car rien de concret n’est proposé qui soit socialement acceptable (sauf le tri sélectif, avec beaucoup de mal). On fait dans le symbolique (ah, l’énergie solaire !) avec une efficacité quasi nulle ; on veut donner des droits aux bêtes alors que les gens sont déjà mal jugés par la « justice ». On emploie alors la terreur de l’Apocalypse climatique (évidemment imminente), on soutient la théorie du Complot des multinationales, on attise les haines de classe entre ceux qui « profitent » du système et ceux qui le subissent. Sans analyser plus avant, sans convaincre pour autant.

Force est de constater que soit l’écologie n’est que le paravent d’ambitions politiciennes (former un parti-pivot à gauche pour obtenir des avantages électoraux et la manne du financement public qui va avec), soit elle n’est qu’incantation d’une pensée magique (ce que j’ai maintes fois constaté chez les sincères croyants naïfs de la cause).

Ce n’est pas comme cela que l’on va avancer !

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Tocqueville et la nature de la démocratie

Longtemps Tocqueville a été ignoré par nos bons analystes politiques, obnubilés par Marx et par ses épigones. Les années 1980, marquées par l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, par la disparition biologique des dinosaures du soviétisme et par le virage chinois en faveur du capitalisme, ont permis de retourner aux analyses des systèmes sans y mêler la Providence ou l’Histoire. Pierre Manent, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, tente dans un court essai de 1983 qui reste d’actualité, de « dégager ce qu’il y a de plus original » chez ce penseur atypique à propos de la démocratie.

Car ce régime moderne n’est pas un régime comme les autres ; pas plus qu’il ne ressemble à la démocratie décrite par Aristote ou Platon. Son « principe » politique est « l’égalité des conditions », « l’absence ou au moins la grande faiblesse des ‘influences individuelles’ » p.21. La souveraineté du peuple, qui est la définition commune, ne peut exister que sur cette base. Pour Tocqueville, les Etats-Unis sont le laboratoire de la pure démocratie car fondés sans passé historique, sur un territoire quasi-vierge, dans une société réduite aux familles d’émigrants. Dès lors, la démocratie apparaît comme le régime « naturel » de chrétiens livrés à eux-mêmes dans une nature hostile. La famille, la commune, les associations, préexistent au gouvernement fédéral. Contrairement à la France, tributaire d’un passé monarchique absolu et d’une aristocratie toujours présente, aux Etats-Unis « le principe politique de la souveraineté du peuple est ‘répandu dans la société entière’ » p.18

Ce n’est pas tant la forme représentative qui importe, ces élections formelles qui forment l’idée commune de la démocratie, que « l’opinion publique ». Plus de révérence envers un quelconque patronage, une opinion autorisée qui se voudrait supérieure par décret divin ou appartenance de caste : chacun est maître de soi et coauteur de la volonté générale. « C’est introduire dans l’histoire humaine une mutation radicale du lien social » p.26. La religion n’est pas indispensable à l’homme démocratique mais Tocqueville croit que le besoin de religion est naturel et que le christianisme aux Etats-Unis est surtout utilitaire, modérateur : « L’Américain, en confessant sa religion, s’empêche de tout concevoir et lui défend de tout oser » (cité p.134). L’idéal démocratique isole : « l’égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne », écrit Tocqueville. Chacun se replie sur soi, la société se dissocie. C’est le but des libres associations (y compris religieuses) que de recomposer à partir des individus égaux le tissu social que sans cesse l’inégalité des conditions tend à défaire. Ce que l’aristocratie secrétait naturellement (la dépendance), la démocratie doit la fabriquer politiquement. Contrairement aux marxistes, Tocqueville pense que « la démocratie formelle est le remède aux maux produits par la démocratie réelle » p.49.

Les inégalités naturelles reconstituent des différences dans les démocraties les plus égalitaires. Ce pourquoi la démocratie reste et restera un idéal inaccessible mais un moteur social. Dans ce régime moderne, les inégalités existent mais ne se constituent pas en aristocratie héréditaire : « les membres des classes riches n’exercent pas de magistrature sociale en tant que membres de ces classes » p.34, au contraire de l’Ancien Régime où le noble appartenait à une espèce différente du fait de sa naissance. Il n’était « ni législateur ni sujet », donc « indépendant de la société » qu’il influençait « en raison de sa position » p.35. En démocratie, « parce que l’horizon de la conscience sociale est l’égalité, les positions extrêmes de hauteur et de bassesse, de richesse et de pauvreté paraissent des ‘accidents’ » p.54. La mobilité sociale existe et est encouragée par le système car il délégitime irrémédiablement toute idée de privilège.

Le revers est que la personne compte moins : « Dans toutes les sociétés il y a des opinions communes ; mais c’est seulement dans la société démocratique que cette opinion commune prévaut sans obstacle, car les autres sources possibles d’opinion ont perdu toute créance » p.66. Par exemple le noble, l’Eglise, la classe. « Plus le pouvoir social démocratique fait sentir sa pression, plus le dogme majoritaire prévaut, et plus les différences entre les principes et les buts de la majorité et ceux de la minorité s’estompent » p.67. C’est à cela que l’on mesure la température démocratique d’un pays : au conformisme. « La religion, de dogme révélé, tend à se faire opinion commune, convention protectrice du corps social » p.135. La démocratie est réalisée lorsque l’égalité des conditions donne l’égalité des opinions. Pierre Manent ajoute : « et les seules protestations de quelque ampleur contre le conformisme et le consensus démocratiques se font au nom d’un idéal social prônant une uniformité plus complète, une ressemblance plus achevée » p.70.

Par parenthèses, c’est sans doute l’erreur commune des politiciens de vouloir à tout prix se démarquer du parti élu comme des rivaux dans leur propre parti : le salut politique est dans le courant de l’opinion, pas contre elle. Les rassembleurs optimistes, qui ont un projet, gagnent toujours face aux diviseurs qui se contentent d’être systématiquement « contre ». Le rôle critique est dévolu aux savants, aux observateurs et aux ‘intellectuels’ – pas à ceux qui briguent les suffrages de leurs concitoyens.

L’avantage, dit Tocqueville, est que les mœurs démocratiques sont plus « douces ». Une société aristocratique distingue les individus comme de sang différent (le sang bleu) ; une société démocratique fait de chacun son semblable et suscite ce sentiment d’empathie qui fait qu’on se met volontiers à la place des autres. La solitude de l’homme démocratique, c’est l’individualisme, pas l’égoïsme ! Tocqueville : « L’égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l’homme à ne rien rapporter qu’à lui seul et à se préférer à tout. L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » (cité p.82). L’idéal démocratique est la condition moyenne où le désir d’acquérir et la crainte de perdre se cumulent pour obséder le cadre moyen ou le petit-bourgeois du souci des biens matériels, de la consommation, de posséder comme tout le monde. D’où le ressentiment lors d’un « déclassement » dû à la conjoncture économique, ou la frénésie d’afficher des « marques » pour les ego faibles (ados, banlieusards, nouveaux riches).

Deux attitudes à ce stade, note Tocqueville : « l’héroïsme » du commerçant américain que la concurrence pousse à faire mieux pour réduire l’inégalité constatée avec ses semblables ; ou « l’envie » du citoyen français qui s’efforce de ramener le concurrent le plus chanceux à la norme commune. « Le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande », écrit Tocqueville, c’est le ressort du système démocratique. Mais dans la première attitude ce désir est positif puisqu’il pousse à l’émulation ; dans la seconde, négatif puisque qu’il est envieux et niveleur, encourageant à rester dans la seule moyenne.

D’où le recours au tiers neutre : l’Etat central. Les Américains le limitent au maximum parce que leur démocratie vient de la base ; les Français l’étendent au maximum parce que « l’établissement de la concurrence parfaite exige que l’état central interdise à quiconque (…) de jouir d’un privilège immérité dans la concurrence qui doit être rigoureusement égale » p.96. Malgré les stratégies sociales hypocrites de contournement que l’on sait (ENA, relations incestueuses affaires publiques/affaires privées, clanisme, collèges privés, clubs sélects, « ghetto français » et ainsi de suite).

Les ennemis de la démocratie sont ceux qui veulent consolider les inégalités « naturelles » : ce sont les réactionnaires. Mais d’autres ennemis sont les « excessifs ou immodérés ». Ces partisans d’une démocratie radicale sans cesse nivelant pour éradiquer toute forme d’inégalité concrète sont « pure Négation, puisque vouloir réaliser l’abstraction démocratique, qui n’a rien d’humain, c’est vouloir réaliser l’irréalisable, et l’effort pour réaliser l’irréalisable ne peut consister que dans la destruction de tout ce qui est réellement humain » p.179. On l’a vu en 1793 avec le « Salut Public », en URSS du « socialisme réalisé », en Chine « populaire » avec Mao, au Kampuchéa « démocratique »… On pourrait le voir avec un Mélenchon.

Cet essai intelligent fait réfléchir et donne envie de méditer Tocqueville.

Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, 1983, Gallimard Tel 2006, 196 pages, €7.90
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I & II, Souvenirs, L’Ancien Régime et la Révolution, 1 volume collection Bouquins Robert Laffont, 2012, 1180 pages, €30.50

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Faillite de l’idéologie soviétique née en 1917

Toute foi confrontée au réel se rationalise. Confrontée aux oppositions elle se justifie et se fige. Dès 1981, et sur les promesses illusoires de la gauche marxiste au pouvoir, la presse française constate la faillite de l’application de l’idéologie soviétique. Les Français, toujours en retard d’une guerre, y croient encore…

La foi, qui est élan, ne laisse pas place au doute mais cette absence résulte du mouvement de l’esprit, non de la contrainte. Lorsque l’enthousiasme diminue, le groupe militant élève des barrières contre les interrogations. Alors survient le règne du dogme et l’inquisition. Des procès de Moscou à la Hongrie, à la Tchécoslovaquie, aux purges du PCF, la certitude communiste ne survit que d’interdire droit de cité à la plus infime interrogation, elle n’existe que de traquer partout la question, de la tuer dans l’œuf. Le Monde du 24 décembre 1981 décrit « les bases théoriques et structurelles des pays communistes : le dogmatisme de l’idéologie et le monolithisme du parti, trouvent l’un et l’autre leur source dans le léninisme. » Lénine était encore à l’âge de la foi, même si son pragmatisme foncier lui a fait prendre les tournants nécessaires à la réalisation du But qu’il avait en l’esprit. Il laissait sa place au doute – non sur la Fin dernière – mais sur les voies et moyens pour y parvenir. Il reconnaissait parfois se tromper. Sous la gauche, le parti ne se trompe plus. Et l’on invoque Lénine comme une Sainte Ecriture.

Le socialisme reste-t-il réponse à une réalité mouvante, comme l’affirme Georges Marchais au XXIVe Congrès du PCF ? La presse 1981-82 constate la fin d’une génération qui s’accroche au pouvoir, sans qu’aucun mécanisme ne vienne rationaliser le clientélisme, l’Afghanistan « sauvé » de ces féodaux qui refuse de se plier volontairement aux avancées de l’Armée soviétique, les récoltes de céréales comme toujours catastrophiques. Pour le Quotidien de Paris du 6 février 1982, « traduit en terme politique [le marxisme est aussi] un cadre d’organisation des sociétés dans lequel la fin – inévitable parce qu’inscrite dans l’histoire – justifie des moyens. » Ce qui faisait le génie de Lénine était de ne pas prendre Marx à la lettre, mais seulement comme référence et étendard. Staline vint, matois, terre à terre, dogmatique, il accentua les exagérations fanatiques de Lénine. Pouvait-il en être autrement ? Staline fut non seulement un fils légitime de Lénine ; il fut aussi son fils unique.

Santiago Carrillo, secrétaire général du Parti Communiste espagnol, note en 1982 que « L’URSS est un pays qui a dépassé le capitalisme et qui a supprimé la propriété privée des grands moyens de production. Cela ne veut pas dire qu’il existe en Union soviétique une société socialiste développée, comme ils disent là-bas. » Dans la vision qu’avait Karl Marx de l’Histoire, où la société se développe suivant un schéma social faisant se succéder les régimes en fonction de la propriété des moyens de production, on peut dire que la collectivisation est une « étape supérieure » au capitalisme, dans le sens où elle viendrait « après ». Mais dans l’histoire réalisée, le capitalisme apparaît plus efficace et plus souple pour répondre aux besoins de la société.

Alors que, dans les pays en voie de développement, le marxisme permet d’y espérer le changement sans que l’on ait à se changer soi-même. Il suffit de supprimer les causes extérieures des problèmes que l’on doit affronter. Alibi pour les dirigeants en place, souvent plus préoccupés de leurs intérêts personnels que des peuples dont ils se disent en charge, le marxisme fournit le bouc émissaire idéal : cet Occident « blanc, chrétien et capitaliste ». Quel est le pays sous-développé ayant choisi le marxisme qui ait réussi ? La Chine n’a pu émerger qu’en revenant sur le dogmatisme de Mao, en ouvrant une zone franche et en permettant aux entreprises étrangères de s’implanter. « Un peu de capitalisme ne peut pas faire de mal à la Chine », dit-on là-bas. Et le succès est venu…

Le socialisme reste un espoir, que Georges Marchais exprime au XXIVe Congrès du PCF : « c’est à la fois une socialisation des grands moyens de production et d’échange, un pouvoir représentatif du peuple travailleur au sein duquel la classe ouvrière exerce un rôle politique dirigeant, la satisfaction progressive des moyens matériels et culturels sans cesse croissants de tous les membres de la société, un effort fondamental pour modifier les rapports sociaux. » Mélenchon reprend presque mot pour mot aujourd’hui ce mantra communiste. La réalité est moins rose et Marchais l’avoue : « dans l’histoire, nous le savons bien, aucune transformation sociale n’a été facile, aucune n’a échappé aux revers et aux contradictions (…). C’est précisément pourquoi il n’y a pas, il ne peut pas y avoir, scientifiquement parlant, de « modèle » passe-partout, prêt-à-porter de socialisme. Le socialisme n’est pas un objet d’importation, car il ne peut résulter que du mouvement réel de la société, du mûrissement des contradictions au sein de celle-ci. »

Des décennies de socialisme « en expérience » dans plusieurs pays du monde ne sont pas faits pour encourager. Le Monde du 24 décembre 1981 écrit que le marxisme est « une idéologie qui sert de base au système coupable des pires atrocités, y compris le génocide, commises au cours de ce siècle, en Europe. » Et Le Matin du 29 décembre 1981 : « l’expansionnisme soviétique s’avance en effet masqué derrière l’idée généreuse du socialisme (…) Que l’idée du socialisme s’évanouisse, et l’empire apparaîtra pour ce qu’il est en réalité, c’est-à-dire comme une force, une force nue, une force brute. » Souslov était passé maître en l’art de trouver les justifications idéologiques à tous les mauvais coups perpétrés par l’URSS.

Annie Kriegel, dans le Figaro du 16 décembre 1981 : « le parti socialiste et le parti communiste français (…) (sont concernés) tout particulièrement parce qu’ils sont comptables, chacun à leur manière, de la faillite historique de l’utopie socialiste ». Libération va plus loin le même jour et parle de « la faillite interne totale du communisme, la mort de l’idéologie communiste, le fait que ces partis communistes sont des cadavres vivants qui ne remuent que faiblement. »

La presse se fait l’écho des dissonances enregistrées parmi les communistes eux-mêmes. A Madrid, Santiago Carillo, secrétaire général du PC espagnol, a affirmé que l’instauration d’un gouvernement militaire en Pologne est « en contradiction avec les bases du socialisme, du marxisme et du léninisme ». C’est un régime militaire « antipopulaire, autoritaire, et donc antisocialiste » qui a ainsi été instauré. Et Libération cite les Brigades Rouges, dans un document de décembre 1981, pour qui « le soi-disant camp socialiste » n’est socialiste « qu’en paroles » et le mode de production en URSS est « depuis des années le capitalisme d’Etat ». Alexandre Zinoviev confirme dans Libération du 27 janvier 1982 que « l’idéologie soviétique est devenue un mécanisme formel gigantesque. Ce mécanisme fonctionne assez bien. Pour les changements on a besoin d’époques entières. » Le révélateur est venu de Pologne. Le coup de force a étalé au grand jour la réalité de l’ordre rouge. Elle se résume en quatre points : une puissance militaire formidable au service d’une idéologie périmée, une machine à écraser la liberté, un système incapable de faire vivre dans des conditions décentes les peuples qu’il domine, un instrument dont la finalité cynique est de broyer l’homme. La faillite atteint même les journalistes communistes, puisque Guy Barbier écrit dans Le Monde du 29 décembre 1981 sur « cette paradoxale conception de la lutte des classes qui aboutit à approuver l’écrasement militaire de ce qui est indiscutablement toute une classe ouvrière, ou au moins à s’y résigner au nom des intérêts supérieurs du « socialisme ». »

Si Marx formule des hypothèses scientifiques sur fond de philosophie, le « marxisme » comme système est moins vivant. Quant au léninisme, il se veut une science appliquée. Staline a fait de Lénine « l’homme devenu mausolée » et de sa pensée un bunker théorique dans lequel on peut se retrancher à tout moment. En témoigne ce monument de Leningrad (redevenue Saint-Pétersbourg) ou Lénine, debout devant la gare de Finlande, harangue la foule debout sur la tourelle d’un blindé coulée dans les douilles de bronze des obus de la guerre.

Hélène Carrère d’Encausse note « l’extrémisme de la pensée politique russe » qui « est une constante qui se perpétue des populistes aux bolcheviks » (Lénine, la révolution et le pouvoir, 1979). L’explication tient en ce que « l’illégalité, le débat en milieu clos ont coupé les idées du réel, et les intellectuels discutant dans un cadre abstrait ont été conduits à poser les problèmes en termes extrêmes (…) Coupée du monde extérieur, sans prise sur lui, l’intelligentsia se défend en affirmant son originalité, en considérant qu’elle seule détient la vérité. » Coupée du monde et vivant dans le ciel des idées… Notre intelligentsia socialiste, et notamment Badiou qui inspire tant d’extrêmes-idéalistes, est bien de ce moule-là.

Lénine, mis en minorité, nie la signification du vote et sort de l’Iskra peu après le Congrès de Bruxelles. Puisque les Bolcheviks y sont minoritaires, le journal ne représente plus la majorité « réelle » et Lénine transporte le centre du parti hors de l’Iskra (Mélenchon fait de même en se plaçant hors du parti Socialiste). Il fera de même lors de la prise du pouvoir en dissolvant l’Assemblée constituante. Mélenchon, élu député, refuse la cravate, le drapeau européen, la légitimité de l’Assemblée même : pour lui, « le peuple » est le groupe que lui décide être « le peuple », et pas un autre, notamment les prolétaires qui votent Front national ou Macron. En 1917, Lénine espère le miracle de la Révolution mondiale dans trois semaines ou trois mois. Staline attend des miracles de la collectivisation des terres et de l’industrialisation forcée. Pour Khrouchtchev, le miracle doit venir de l’exploitation des terres vierges. Brejnev croit aux miracles engendrés « scientifiquement » par l’introduction de la chimie dans l’agriculture. Mélenchon attend un miracle du citoyen en armes constamment mobilisé et donnant de la voix. Mais les prophéties ne se réalisant pas, il faut sauver du doute la doctrine et le système. Le responsable, c’est l’ennemi, qu’il faut détruire.

La coercition commence avec Lénine, qui a écrit de sa main l’essentiel des articles du premier Code pénal soviétique. Staline n’a rien amélioré : « Sincère et convaincu, mais fanatique et borné » selon Boris Souvarine en 1937, Staline est un pur produit du léninisme. Les gloses pour partager les responsabilités et chercher à quel moment le socialisme a « dérapé », n’ont pas de sens : la foi est totalitaire parce que les affidés sont certains d’avoir raison ; le parti n’a pu survivre que parce qu’il s’est montré impitoyable aux errements et aux compromis ; l’idéologie n’a pu s’adapter que parce que le marxisme est aussi une théorie de l’action et pour l’action. Pour Gorbatchev, on a oublié en URSS le « facteur humain ».

L’idéologie est un sentiment d’appartenance à « une cohorte cooptée de privilégiés à haut risque », selon l’expression d’Annie Kriegel. A l’origine, les révolutionnaires étaient poussés par la foi, puis obligés par les circonstances à ne pas se déjuger. La révolution une fois consolidée, l’enthousiasme n’était plus adapté, on préférait les conformistes aux activistes. Une société assurée de durer a le temps devant elle. Pourquoi brusquer les choses ? Georges Lavau dans la revue Pouvoirs n°21 de 1982 dénombre cinq « lois d’utilisation » de l’idéologie par les Etats communistes : source de croyance, instrument d’analyse du réel, justification, ressource de pouvoir contre les USA (le socialisme champion du tiers-monde), ciment du système communiste mondial. Tout pouvoir a besoin de légitimité, et la légitimité a besoin d’utopie. On ne peut gouverner sans faire rêver.

Dans cette critique de la « rationalisation », on perçoit ce regret « de gauche » que l’utopie ne soit pas mieux servie. On charge Staline pour conserver une image pure des origines de la Révolution et de la pensée de Lénine.  Les ressources de la dialectique remplacent l’élan. L’évolution historique étant un processus qui avance en surmontant les contradictions, il est toujours aisé de faire du moment présent un moment charnière d' »intensification » des contradictions, qui oblige à une vigilance accrue. A droite, on croit qu’il est plus difficile de se défendre contre l’idéologie soviétique, parce qu’il faut la discuter pas à pas, alors qu’une foi se rejette d’un bloc. D’où les tentatives de ramener le socialisme soviétique à l’ideal-type d’une foi qui se serait dévoyée.

Retourner à 1981, la gauche au pouvoir et l’URSS encore toute-puissante, permet de comprendre les ressorts de l’illusion et du mensonge. Ils sont à l’œuvre aujourd’hui, sur les mêmes bases.

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Il n’est pas interdit d’interdire

Faut-il réprimer le désir ? Le désir jaillit sans limite, il ne saurait y avoir de « désir durable » comme on le dit du développement. Mais faut-il pour cela obéir aux diktats de mai 68 qui en faisaient le dieu ultime ? Nous changeons de monde, le bouleversement actuel le démontre à l’envi, ne faut-il pas changer aussi de façon d’être ? Pourquoi le laisser-faire intégral des mœurs serait-il Bien, alors que le laisser-faire intégral des affaires serait Mal ? Peut-on séparer l’attitude privée de l’attitude dans les affaires ? Ce n’était pas l’avis d’Adam Smith, pape du libéralisme, qui avait écrit une Théorie des Sentiments Moraux (1759) avant La Richesse des Nations (1776). Car les affaires sont aussi affaires de mœurs.

Que nous changions de génération est la grande découverte de ces dernières années. Les enfants du baby-boom sont désormais trop vieux pour imposer leurs manières et les excès qu’ils ont eus ramènent le balancier dans l’autre sens. Rappelez-vous mai 1968 : « interdit d’interdire », « faites l’amour, pas la guerre », « sous les pavés la plage ». Plus de limites aux désirs, l’immédiat de l’adolescence cigale plutôt que la prévoyance adulte des fourmis bourgeoises. Tout travail est une aliénation de la liberté ludique, place au bon plaisir, sous prétexte de ‘lutte contre l’exploitation’ de tous par quiconque.

C’était mignon en 1968 à 20 ans (l’amour et la générosité quand on n’a rien), égoïste et arriviste en 1988 à 40 ans (chacun pour soi quand on a quelque chose), catastrophique en 2008 à 60 ans lorsque les subprimes, stock-options, traders et autres Madoff ont fait vaciller le système financier mondial (moi d’abord, consommation effrénée et fric quand on n’a plus que ça pour se sentir encore jeune), apocalyptique à 70 ans, à la veille de 2018, quand menace la guerre nucléaire internationale, la guerre de religions entre continents, la guerre des ventres en Europe et la guerre civile des gauchistes contre les fascistes (surenchère velléitaire, indignation de bureau, manif sur les réseaux, impuissance qui vient…). Le libertaire sympathique a évolué en ultralibéral arriviste puis en libertarien prédateur avant de se muer en vieillard libidineux de ses désirs passés… L’homme est redevenu un loup pour l’homme. Le désir en revient à se restreindre, au moins de pudeur, sinon de règles ; au moins vis-à-vis des autres, sinon de la planète : ne plus consommer à outrance, tempérer ses envies, chercher à ne pas épuiser (ni à s’épuiser).

Sauf que je n’y crois pas une seconde : le désir est un torrent instinctif qui fait ce qu’il veut. Tout le processus d’éducation (famille) d’instruction (école), de civilisation (société et culture) et de spiritualité (religions) vise à dompter et à canaliser ce désir – quitte à faire de certains désirs des « maladies » socialement répréhensibles ou punies dans l’au-delà.

Heureusement que le désir existe, sinon nous n’aurions idée de rien, tout nous paraîtrait fade et sans attrait. Mais le désir déchaîné, tel qu’on l’a fantasmé en mai 68, a eu les conséquences qu’on sait : déstructuration intime, frustrations sociales, destruction de la planète. Les hédonistes égoïstes ont compensé par l’arrivisme et le m’as-tu vu à tout prix, dont le fric est un instrument. La culture commune doit reconnaître le désir, mais le dompter et l’orienter sans l’étouffer ni le refouler. Freud a inventé le Surmoi qui, selon lui, discipline et sublime le ‘ça’. Mais il redécouvrait le fil à couper le beurre pour les lourds bourgeois viennois car Platon en parlait déjà dans La République comme d’une nécessité sociale. Les désirs naissent de la vitalité intime et se révèlent durant le sommeil, « quand la partie de l’âme qui est raisonnable, douce et faite pour commander à l’autre est endormie, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée d’aliments ou de boisson se démène et, repoussant le sommeil, cherche à se donner carrière et à satisfaire ses appétits. Tu sais qu’en cet état elle ose tout, comme si elle était détachée et débarrassée de toute pudeur et de toute raison : elle n’hésite pas à essayer en pensée de violer sa mère ou tout autre, quel qu’il soit, homme, dieu, animal ; il n’est ni meurtre dont elle ne se souille, ni aliment dont elle s’abstienne ; bref, il n’est pas de folie ni d’impudeur qu’elle s’interdise » (Livre IX).

Platon, en bon Grec pondéré, distingue les désirs nécessaires des désirs superflus. Ces derniers sont définis comme « le désir qui va au-delà (…) désir qu’on peut, par une répression commencée dès l’enfance et par l’éducation, supprimer chez la plupart des hommes, désir nuisible au corps, non moins nuisible à l’âme, à la sagesse et à la tempérance » (Livre VIII). Ce sont des « désirs prodigues », non des « amis du profit » – ainsi le dit Platon. Il faut donc « réprimer » ces désirs et les canaliser au profit du bien commun et de l’utile à soi. Pour Platon, sagesse est tempérance et plus l’on est tempéré, plus l’on est sage. L’éducation est répression des désirs infantiles, l’instruction est répression des désirs hédonistes, la civilisation est répression des désirs égoïstes, la religion est asservissement de tous ses désirs à son seul dieu (ce qui est un excès). Le petit d’homme doit apprendre à se maîtriser, à travailler, à servir la société comme la culture universelle – mais pas à s’abolir en son dieu (même laïc sous le nom de Socialisme ou Communauté nationale ou Droit de l’Homme) sous peine d’enfer infini. Discipline, travail et service étaient justement les trois horreurs de la jeunesse 68 ! Faudrait-il en revenir à la société précédente qui les valorisait ?

Allez, disons-le, serait-ce « réactionnaire » ? Le terme connote en effet une idée de revenir à ce qui était. De fait, Platon préfère les oligarques, plus disciplinés et tempérants que les démocrates. Mais il déteste plus encore les tyrans, qui sont les démocrates dévoyés, ceux pour qui les désirs sont des ordres, surtout les leurs. « De l’extrême liberté naît la servitude la plus complète et la plus atroce » (Livre IX). C’est bien ainsi que la crise de 1929 s’est terminée en Allemagne, en Italie, au Japon… Aujourd’hui, la licence de tout laisser-faire dans les mœurs a abouti à l’anarchie prédatrice du chacun pour soi dans les affaires : crédits irremboursables, gratifications sans causes, trading sans limites et autres escroqueries en pyramide. En plus futile mais de même eau, les politiciens battus aux dernières élections multiples en France, veulent leur revanche, leur « troisième tour social », le « pouvoir de la rue » (qui est en fait le pouvoir du seul tribun qui remue les foules, comme Hitler savait le faire et que Mélenchon le tente). Ces actes égoïstes, signes de mœurs déréglées, ne risquent-ils pas d’appeler une réaction violente des autres, gouvernants ou gouvernés ? Une nouvelle tyrannie à venir ?

Si Platon n’était en effet pas un démocrate, le monde a changé et la culture s’est enrichie. On ne réclame pas aujourd’hui le retour à l’aristocratie (de naissance), tandis que l’oligarchie (de fait) montre ses méfaits : les prédateurs au pouvoir en Russie, les communistes du parti en Chine, les patrons-énarques en France, les lobbies du pétrole, de l’armement et de l’agriculture aux Etats-Unis, l’armée en Algérie et au Pakistan, les mollahs en Iran et le dictateur suprême en Corée du nord et au Venezuela – entre autres. La « démocratie » nous suffit, même si nous avons conscience qu’elle n’est qu’un idéal sans cesse à bâtir, tenté d’oligarchie à chaque minute – si on laisse faire.

Mais Platon avait raison : sans éducation dans la famille, instruction à l’école et civilisation dans la société, l’homme n’est que bête. Bestial infantile à vouloir tout, et tout de suite. Bêta égoïste à foutre les autres et à se foutre des autres. Bête immorale à ne respecter ni dieu ni maître, ni même une quelconque règle. Nous ne réclamons surtout pas le retour à la société d’avant 68, répressive, hiérarchique et disciplinaire – ce caporalisme moraliste qui hante la société française depuis Napoléon (aussi bien dans la droite morale que dans la gauche morale). Nier la réalité des désirs ne sert à rien : ils sont là et se manifestent comme une source irrépressible qui jaillit. Mais les maîtriser sert à soi-même pour se construire, et à la société pour servir au projet commun. On ne naît pas homme, on le devient. Oui, l’éducation, l’instruction et la civilisation –  tout ce qui maîtrise les désirs – nous rendent humains !

Il n’est pas interdit d’interdire, ni de faire la guerre malgré l’amour, ni de retourner aux pavés après la plage.

Platon, La République, 428 avant JC, Garnier-Flammarion 2016 traduction Georges Leroux, 810 pages, €10.00, e-book format Kindle €2.99

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Adolf Hitler, Mein Kampf

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La polémique à la française, que les intellos adôôrent susciter, court actuellement sur la réédition de Mein Kampf (Mon combat), écrit par un certain Adolf Hitler en 1924. Polémique imbécile, comme toutes les polémiques intellos à la française, qui révèle l’esprit de secte toujours présent ici, au rebours de l’esprit de libre-examen des sociétés protestantes alentour.

L’Allemagne – pourtant victime du livre – a réédité Mein Kampf, pour l’Histoire. Mais pas la France, qui hésite, moralise, intervient. Ils se disent laïcs, les intellos de la gauche bobo qui sévissent dans l’édition et les médias – mais ils agissent comme des curés de l’Eglise catholique : comme si le Texte devait obligatoirement passer par eux – par leur imprimatur ou leur Index – pour exister. Ils savent bien mieux que vous ce qui est bon pour vous, puisque la Morale est inscrite immuablement dans leur ciel des Idées. Et que c’est péché d’y déroger. Au lieu de laisser à chacun le choix de lire et de comprendre, ils assènent leur vérité révélée.

Mein Kampf existe un peu partout sur le net – et en français. Au lieu de proposer une édition commentée, historique, replacée dans son contexte, les intellos préfèrent « interdire ». Débattre n’est pas leur fort, puisqu’ils savent la Vérité. J’ai toujours pensé que cette engeance des clercs en bande, qui se croient du haut de leur savoir accumulé, n’était pas démocratique. En voici un exemple de plus.

Mais pourquoi reprendre Mein Kampf aujourd’hui ? D’abord parce que je ne l’ai jamais lu en entier bien qu’il ait figuré dans la bibliographie que tout aspirant à Science Po, en année préparatoire, était censé avoir lue au début des années 1970. Ensuite parce que notre temps, célébrant du bout des lèvres Mai 68 (c’est « tendance » chez les bobos), revient de plus en plus aux vieilles idées pétainistes, catholique moralistes, voire pires. La cause en est le vieillissement de la population, certes, mais aussi la crainte de l’avenir mondialisé entre capitalisme financier et terrorisme islamique.

Le capitalisme dans sa version ultralibérale américaine semble d’autant plus incontrôlable que l’ignorance française à son égard est abyssale, en raison de vieux préjugés cathos comme d’un enseignement marxiste sans faille depuis deux générations et d’un écologisme issu du gauchisme comme nouvelle Mission d’éclairer le monde.

Quant à l’islamisme, ce radicalisme que la majorité des Musulmans est loin de partager, il ramène trois siècles en arrière, à l’époque où Voltaire terminait sa correspondance par « écr. l’inf. » – écrasez l’infâme – mot de combat contre tout obscurantisme.

Hitler peut être lu dans la version 1934 des Nouvelles Editions Latines, reprise en 1973. On peut aussi le trouver en PDF sur Internet, à vous de chercher. Les deux volumes allemands de l’édition 1933 sont traduits en un seul, de 686 pages. Cette édition française fut « interdite » par Hitler lui-même à l’époque, tant il disait clairement ce qu’il pensait de tout le monde et ce qu’il voulait leur faire. Depuis, Trump, Poutine et Duterte font exprès de proférer des énormités – mais pas sûrs que les actes suivent – c’est toute la différence des époques.

Le livre, offert à tout ménage allemand des années 30, est assez indigeste, disons-le : mots simples mais style pensant. J’en retiens quatre thèmes, dont un seul présente encore un intérêt autre qu’historique de nos jours :

Les considérations politiques d’époque ont vieilli et s’étalent verbeusement.

Les délires racistes sur le Juif ne passent plus. Cette hantise paranoïaque servant de bouc émissaire à tous les maux de l’Allemagne n’est pas sensée. Il faut cependant la connaître parce que certains pays arabes d’aujourd’hui la reprennent telle quelle, complaisamment : ils n’inventent rien, ils répètent. La phobie sexuelle d’Hitler le poussait à « nettoyer », purifier, éradiquer, « dératiser ». Quand on fait des humains des bacilles, l’extermination par le feu et la chimie industrielle n’est qu’un second pas qui coûte peu. Notons que les salafistes, wahhabites et autres daechistes font des mécréants des « porcs » qu’on peut impunément égorger pour la plus grande gloire de Celui qui n’a rien dit de tel (le Coran a été parlé, pas écrit, et à l’oreille d’un illettré en plus, qui a dû traduire pour ses auditeurs, qui ont noté, recopié, déformé… et ainsi de suite. Comment voulez-vous que le texte littéral soit la voix même de Dieu ?)

Les éléments d’autobiographie hitlérienne, bien que choisis et magnifiés par son auteur, sont intéressants et vivants, mais servent surtout aux historiens pour comprendre le personnage ; ils ne disent rien de la société qui l’a porté au pouvoir. Or c’est toute une société qui est entrée en délire, pas un homme seul, même führer (voir les études de Chapoutot et Mosse).

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Restent les chapitres qui concernent la propagande politique. Là, c’est du grand art. Hitler était en avance sur son temps : la nécessité de la foi politique, l’art de la parole plutôt que de l’écrit, la tenue des réunions avec organisation de service d’ordre, l’usage de la force pour impressionner et s’affirmer, le marketing de « créer l’événement », le sens de l’image, affiche et cinéma – qu’a-t-on réussi de mieux depuis ? Mai-68 n’a-t-il pas efficacement repris ces vieilles recettes ? Elles ne sont pas hitlériennes, elles appartiennent à la modernité des media : image et son, mise en transe et émotion, sentiment océanique d’appartenir, manipulation des mots, choc médiatique pour devenir quelque chose, et ainsi de suite… Est-ce donc cela que craignent les intellos bobos ? Que l’on démonte et « déconstruise » (mot fétiche de leur doxa) leurs manipulations (constantes dans les médias) ?

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Cela ne fait guère qu’une soixantaine de pages sur l’ensemble, à peine 10% du livre. Mais, pour cela seul, Mein Kampf vaut d’être encore lu par les gens raisonnables – ceux qui veulent comprendre. Tout aspirant politicien devrait le faire, en parallèle avec Que faire ? de Lénine et les écrits de Machiavel et de Mazarin.

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Hitler est-il toujours dans la bibliographie conseillée aux étudiants de Science Po ? J’en doute un peu, tant le politiquement correct de la gauche conformiste, qui règne plus qu’ailleurs dans cette grande école technocratique parisienne, a dû passer par là. Hormis les recettes de propagande, Mein Kampf est aussi passé qu’un papier peint jauni jamais changé depuis l’époque kitsch.

Adolf Hitler, Mein Kampf / Mon combat, 1924, format Kindle 2016, 641 pages, prix non indiqué (peut-être faussement disponible sur Amazon France pour cause de politiquement correct « dénoncé » en 2014 ?)

Adolf Hitler, Mein Kampf / Mon combat, Nouvelles éditions latines 1932, 650 pages, €36.00 disponible sur le site de l’éditeur qui indique que : « La Cour d’appel de Paris a décidé, dans un arrêt du 11 juillet 1979, d’autoriser la vente du livre (édition intégrale en français), compte-tenu de son intérêt historique et documentaire, mais assortissant cette autorisation de l’insertion en tête d’ouvrage, juste après la couverture et avant les pages de garde, d’un texte de huit pages mettant en garde le lecteur. »

Disponible également sur chapitre.com

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Capitalisme et socialisme

Le régime économique capable de produire le mieux de la richesse est l’économie de marché. Malgré le développement inévitable d’inégalités. Le rôle du politique n’est pas de régenter l’économie mais, justement, de se préoccuper des inégalités produites pour les compenser.

  • L’économie a pour fonction de produire des biens et des services avec des ressources rares en matières premières, énergie, capitaux et compétences humaines.
  • Les institutions représentatives de citoyens ont pour fonction de régler la société, de réguler l’économie et la finance, et de redistribuer une part de la richesse produite selon le consensus démocratique. Chacun son rôle…

Le capitalisme n’est pas un système qui organise une société, mais une technique d’efficacité économique, fondée sur la rareté du capital et sur le risque d’entreprise. Le siècle marxiste a opposé de façon artificielle capitalisme et socialisme, comme si tous deux étaient des systèmes complets qui organisaient la société de façon totale – de part en part. Rien n’est plus inexact.

Le socialisme « scientifique » marxiste est bel et bien un système, sorti tout armé du cerveau d’un philosophe, avec la tentation hégélienne d’intégrer la totalité des actions humaines dans une Histoire implacable comme un destin mécanique. Avec l’utopie « morale » issue des religions du Livre de rendre les hommes tous égaux devant le destin laïque et scientifique. L’utopie marxiste a pris la suite naturelle de l’au-delà promis par le Dieu révélé. Dans cette croyance, tout serait politique et l’utopie vise l’égalité radicale. N’importe quelle initiative créant une inégalité de fait devrait donc être, en socialisme, surveillée, contrainte et sanctionnée par un collectif puissant. Dans un tel contexte, la technique capitaliste disparaît car elle ne peut plus opérer, sauf au niveau de l’artisan tout seul dans son atelier. Dès qu’il y a entreprise, il y a salariat, donc captation de la plus-value selon Marx, donc exploitation de l’homme par l’homme. L’idéal de Karl Marx est ce village du néolithique ou des communautés villageoises décrites par Emmanuel Leroy Ladurie dans Montaillou et Jean-Pierre Le Goff dans La fin du village.

Dans la société industrielle de son temps, Marx n’a pas été appliqué. Lénine a vu dans son corpus idéologique la croyance nécessaire à impulser sa politique : il a pratiqué l’État centralisé, jacobin et théocratique, Dieu étant remplacé par la doctrine « scientifique » marxiste. Il y a dès lors Plan d’État, répartition d’État, pouvoir d’État tenu par un petit nombre de technocrates qui se baptisent « avant-garde » pour se rehausser et conserver le monopole du pouvoir. Il n’y a plus économie mais administration des choses et des hommes. Dans le concret réalisé, cela s’est traduit par la captation du pouvoir par quelques-uns, autoproclamés détenteurs de la seule vérité ‘scientifique’, une redistribution de la pénurie pour la masse, des gaspillages productifs importants faute d’organisation et la destruction massive de l’environnement (mer d’Aral, Tchernobyl, rendements agricoles décroissants, malfaçons industrielles…).

communistes

Le capitalisme a pour effet une économie non d’administration, mais de marché, où les offres des uns s’ajustent aux demandes de tous. C’est une économie d’échanges généralisés, donc de contrats libres entre acheteurs et vendeurs. Elle n’est sortie d’aucun cerveau en particulier mais de la sophistication des échanges. Ce n’est pas une économie spontanée : l’historien Fernand Braudel a montré combien, dans l’histoire réelle, la technique capitaliste avait besoin d’États puissants pour prospérer (l’exemple du Royaume-uni hier, des États-Unis aujourd’hui le montrent…). Seuls en effet les États, qui ont le monopole de la puissance légitime, peuvent imposer le débat commun et les règles communes à tous, avec les moyens de les faire respecter. C’est ainsi que l’on passe de Hobbes à Montesquieu, de l’état de nature à l’état libéral :

• Il faut des représentants élus selon des procédures transparentes acceptées par tous pour débattre de la Loi.
• Il faut des tribunaux établis qui jugent en équité selon le droit connu de tous, limitent par des règles les monopoles, et une police à même d’amener des contrevenants devant la justice.
• Il faut des infrastructures publiques décidées, construites et entretenues par les collectivités territoriales (routes, ponts, ports, réseaux d’énergie et de communication), pour favoriser les échanges.
• Il faut une éducation qui élève chacun autant qu’il le peut et favorise l’égalité des chances.
• Il faut des filets sociaux de sécurité pour faire face aux aléas personnels de la vie comme aux cycles ou aux catastrophes mondiales.
• Il faut un système de crédit organisé, surveillé et garanti qui permette la confiance des échanges.

Le socialisme ne fait pas de la liberté une donnée mais un problème. Partant de l’idée moralisatrice que liberté égale égoïsme, il considère que seul l’État collectif peut dépasser l’individualisme avaricieux. Le contrat libre doit s’effacer devant la politique comme volonté. Pour cela, il faut commencer par interdire. Toute une catégorie de biens est soustraite autoritairement à l’échange :

• Certains peuvent se comprendre, y compris en libéralisme, car liberté n’est pas anarchie : ce sont les fonctions régaliennes de l’armée, la justice, la police, la fiscalité.
• D’autres ont pour objet un consensus social fort et, nous l’avons vu, sont indispensables pour l’épanouissement du capitalisme : éducation, santé, infrastructures, système du crédit.
• Certaines sont débattues : transports, énergie, communications, distribution du crédit.

Le socialisme est un système daté, né avec son théoricien Karl Marx ; pas le capitalisme, issu d’une pratique en émergence progressive avec l’extension des échanges (des cités italiennes aux Grandes Découvertes) et le progrès des connaissances (la statistique, la comptabilité en partie double, l’informatique). L’émergence de l’État dès le moyen-âge (en opposition à l’anarchie féodale) a servi de catalyseur à l’efficacité capitaliste en créant des structures et préservant un climat favorable à l’épargne, à l’investissement et à la libre consommation.

La motivation vient de l’échange de tous avec tous, pas d’un Plan décidé d’en haut par une élite restreinte et cooptée. Un marché est une démocratie de chaque instant où chaque citoyen arbitre en permanence des biens et des services selon ses choix. La preuve en a été apportée par les deux Allemagne, parties sur la même ligne en 1945, arrivées avec un niveau de vie de cinq fois plus élevé à l’ouest qu’à l’est lors de la réunification, moins d’un demi-siècle plus tard.

Une fois définies ces deux formes pures de gestion de l’économie, la capitaliste et la socialiste, force est de nuancer le propos selon les formes concrètement incarnées dans l’histoire. Le capitalisme comme le socialisme sont deux mots-valises dans lesquels chacun enfourne tous ses fantasmes, en faisant le diable ou le bon dieu selon ses convictions morales. Il y a diverses formes d’incarnation de la technique capitaliste ; de même qu’il y a plusieurs acceptions du terme socialisme. Le socialisme à prétention « scientifique », issu directement de Marx et imposé trois générations durant par l’Union Soviétique, n’est plus un système dont l’application est réclamée telle quelle (sauf par de rares nostalgiques). Le capitalisme sous sa forme la plus répandue – américaine – a montré en 2007-2008 ses effets pervers sans ambiguïté.

Reste le mouvement : la préférence pour la liberté d’un côté ; la préférence pour l’égalité de l’autre. Ces deux conceptions morales sont irréductibles, les moyens employés pour réaliser leur utopie ne sont que des outils. Une troisième conception émerge hors Occident, en Asie, axée plus sur le collectif.

fernand braudel la dynamique du capitalisme

Selon l’adage populaire, un mauvais ouvrier n’a que de mauvais outils. Ce n’est pas l’instrument qui est à mettre en cause mais celui qui l’utilise. En ce sens, ceux qui se réclament du socialisme aujourd’hui en France font peu honneur à l’outil politique. De même que ceux qui ont dévié l’outil capitalisme vers des fins d’avidité et de court terme ou de monopole. Chaque société suscite sa propre forme d’économie. L’économie de marché a montré son efficacité dans la production de richesses et l’élévation du niveau de vie. Ce n’est pas par hasard si la Chine communiste ou le Brésil, peuples mêlés du tiers-monde et ex-colonies, ont résolument pris partie pour la liberté des échanges. A condition de lutter sans cesse contre la tendance au monopole, inévitable en système d’efficacité – c’est là le rôle de la puissance publique, surveillée et attisée par des groupements de citoyens pour éviter la corruption des politiciens par les lobbies.

Le socialisme en tant que système visant à éradiquer tout capitalisme n’est plus réaliste, même si certains le croient d’actualité. Si le terme subsiste, c’est en tant qu’utopie morale en faveur de l’égalité la plus grande, comme nous l’avons vu. Mais puisque l’on accepte l’économie de marché (dans le monde entier, elle est sans conteste la plus efficace), la question est de l’aménager pour lui faire servir des fins sociales et humanistes.

L’observateur peut trouver aujourd’hui trois formes types prises par l’outil capitalisme : l’anglo-saxon, le rhénan et l’asiatique.
Le capitalisme anglo-saxon est obsédé par la finance, avec pour objectif la rentabilité et pour héros l’entrepreneur-actionnaire.
Le capitalisme rhénan est obsédé par l’industrie, avec pour amour la technique et le travail bien fait, et pour héros l’ingénieur.
Le capitalisme asiatique est obsédé par le service, avec pour fin le client et pour héros le commercial.

Chacune de ces formes a ses sous-ensembles, ses traductions dans chaque société particulière. Certaines sont qualifiées de « communiste » ou de « social-démocrate » sans que le capitalisme soit hors la loi. C’est ainsi que dans le capitalisme asiatique, la Chine a des entreprises plus familiales et plus claniques que le Japon ; que la Corée du sud imbrique plus étroitement les technocrates d’État aux entreprises privées qu’ailleurs. La Suède, modèle rhénan, a fortement adapté ses entreprises à l’univers anglo-saxon, tout en préservant par consensus social fort un État social très redistributeur (mais désormais sans fonctionnaires à vie).

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La France connait historiquement la forme rhénane du capitalisme (avec sa logique de l’honneur, la noblesse du métier et le goût du travail bien fait) – mais diffère de l’Allemagne par la prédominance de son État centralisé où ses technocrates pantouflent volontiers dans le privé, au contraire de la présence allemande dans les conseils de surveillance d’entreprise des länders et des syndicats de travailleurs. Une social-démocratie à l’allemande ou à la suédoise n’est pas réaliste en France : les syndicats sont trop dispersés, trop faibles et trop fonction publique, pour prétendre incarner la base des travailleurs. Ni un travaillisme à l’anglaise ou à l’islandaise : trop de présidentialisme, de scrutin uninominal, de mœurs petits chefs.

La finalité capital serait-elle pour la liberté d’abord ? la finalité technique pour l’égalité de tous ? la finalité client pour la solidarité ? C’est en effet une question que l’on peut se poser : les pays anglo-saxons ne sont-ils pas les plus individualistes, les pays rhénans les plus égalitaristes et les pays asiatiques les plus collectifs ?

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Jean-François Gayraud, Le nouveau capitalisme criminel

jean francois gayraud le nouveau capitalisme criminel
Docteur en droit pénal, diplômé de Science Po et commissaire divisionnaire de la police nationale, l’auteur traque le crime dans la géopolitique – ce qui est judicieux au vu de la mondialisation. Son dernier livre au titre assez démagogique pour attirer les mélenchonistes, est assez révélateur de l’effarement démocratique de cet observateur de réalités.

Il dit vrai, fourmille d’anecdotes utiles à connaître, rappelle les faits trop souvent passés sous silence par une presse complaisante aux puissances de finance. Mais il n’est ni journaliste, ni chercheur, son livre se présente comme un rapport sous forme d’inventaire avec essai de typologies, mais sans fil conducteur autre qu’un vague marxisme, mâtiné de nietzschéisme mal compris, arrêté à la « race des seigneurs » des années 1950 (et en contradiction flagrante avec les financiers voyous cités, qui invoquent « Jésus »… p.269). « Une morale d’esclaves est essentiellement une morale de l’utilité » (Par-delà le bien et le mal) : n’est-ce pas cette cupidité que l’auteur reproche comme Nietzsche aux financiers ? Son livre amalgame des faits sans liens évidents autres que survenant ces trente dernières années, tels que les actions des yakuza japonais, les profits de la mafia albanaise après la chute du soviétisme, le narcotrafic et le blanchiment par les banques de l’argent des mafias.

Mais l’intérêt d’un tel recueil de faits n’est ni dans son titre, ni dans la théorie nébuleuse d’une « lutte des classes » planétaire entre capitaux « nomades » et règlementation des « États ». Il est dans la description minutieuse et assez neuve du trading à haute fréquence. Les algorithmes automatiques de passation d’ordres de bourse à la microseconde permettent de « voir en avant » du marché en testant les carnets d’ordres à l’achat et à la vente. Il s’agit d’une prédation d’initié, permise par les gros moyens, les gros matériels informatiques et les grosses pressions sur la location d’emplacement tout proches de serveurs boursiers.

Malgré un usage complaisant du jargon américain des marchés livré au lecteur sans traduction, le manque de définitions claires des concepts traités, et nombre de répétitions dues à une rédaction « par fiches », ce livre est à lire pour comprendre notre nouveau monde, né dans les années 2000. Les subprimes sont presque des jouets pour traders débutants, dans ce grand casino des ordres automatiques. Pas moins de 130 pages sont consacrées à ce virus incontrôlable et mafieux qu’est devenu le trading : « Les traders de haute fréquence jouent sur le différentiel temporel pour mener leurs opérations (latency arbitrage). Ce processus a deux conséquences. Il revient (…) à imposer une forme de taxe invisible sur les investisseurs. Ensuite, il crée un marché à deux vitesses avec d’un côté les insiders ou initiés du trading de haute fréquence (banques d’investissement, courtiers hedge funds) et de l’autre les non-initiés (outsiders). Par ailleurs, les Bourses vendent à prix d’or des milliards d’informations sur les acteurs du marché, procurant ainsi aux traders de haute fréquence un avantage concurrentiel dont on doit questionner l’équité » p.253.

jean francois gayraud photo
Après une trentaine d’années dans la finance et écœuré peu à peu de ses dérives, je l’analysais fin 2009 dans un blog aujourd’hui arrêté, « le grand secret est celui-là : entre les analystes à long terme et les traders du day trading, il n’y a plus rien. » L’algorithmique a accentué depuis ce phénomène, l’absence de preuves juridiques et l’absence de culpabilité manifestée par les simples « amendes » exigées des banques a ouvert le terrain de chasse comme jamais auparavant. Les opportunités et les incitations à la fraude sont telles que la tentation est inévitable ; avec l’impunité, le système devient, selon l’auteur, « criminogène ».

La liberté sans règles permet tous les comportements, or la règle paraît impossible avec la haute fréquence, trop rapide à surveiller et trop complexe à comprendre, même a posteriori. D’autant plus que les banques sont devenues « trop grosses pour faire faillite », menaçant les dépôts et l’emploi, voire même « trop grosses pour mener à la prison », tant la confiance est nécessaire au système financier. Ce pourquoi les règlementations post-2008 ont-elles accouchées, aux États-Unis comme en Europe, de souris. Ne faudrait-il pas interdire cet outil nocif pour la liquidité du marché (puisque les investisseurs traditionnels fuient cette escroquerie) comme pour le financement des entreprises (puisque ces dernières hésitent à entrer dans un casino incontrôlable) ?

C’est bien beau de le dire, encore faudrait-il un consensus, puisqu’il suffit qu’un seul État le permette pour que l’activité se poursuive… grâce aux « États non-coopératifs », appelés en France « paradis fiscaux », qui permettent surtout l’opacité des transactions. L’auteur montre combien encadrer serait raisonnable, mais combien convaincre est avant tout crucial, tant les intérêts croisés et l’entre-soi scolaire et social inhibent les politiciens face aux financiers. Peut-être un krach mondial, engendré par les robots-traders en délire, sera-t-il nécessaire pour que l’humain « débranche » la machine et que l’opinion puisse démocratiquement faire entendre sa voix aux politiciens ?

Malgré ses quelques faiblesses, ce livre est à lire pour comprendre le possible « krach » prochain, mais surtout les mécanismes de la bourse d’aujourd’hui. Encore que ce parasitisme des traders n’est-il aussi criant que parce que manquent les investissements réels du grand cycle d’innovation : Warren Buffet, deuxième fortune américaine, a toujours eu la spéculation en horreur et n’a jamais investi que sur le long terme (plus de 10 ans), dans des sociétés dont il avait étudié et compris le modèle économique. Quant à la première fortune, Bill Gates, il a créé une entreprise bien réelle et à succès.

Jean-François Gayraud, Le nouveau capitalisme criminel, 2014, Odile Jacob, 361 pages, €24.90 format Kindle €19.99
Biographie de Jean-François Gayraud sur Diploweb
Entretien sur France 24
Sur France Culture, les Enjeux internationaux, le Bien commun, les Carnets de l’économie
Intervention devant la commission spéciale du Parlement européen sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux le 19 juin 2012

Voir aussi l’aspect pratique de l’optimisation fiscale des particuliers dans Gestion de fortune‘ (2009)

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Les corps chantent à la plage

L’été venu, la pluie éloignée, les plages se peuplent. Mais la foule est communautaire, il s’agit de se retrouver « entre soi » dans un songe primitif.

1 plage encombrée
Ce pourquoi tout ado, plus sensible qu’enfants et adultes, joue au sauvage, nu entre le ciel et l’eau.

2 ado nu plage
Les filles se vêtent plus, malgré les années 70 la mode des seins nus ne prend plus, à cause des intégristes coincés cathos, juifs et musulmans qui craignent leurs désirs et adorent interdire aux autres ce qu’ils seraient avides de faire eux-mêmes. Intégristes contre intégral.

3 adolescente seins pomme
Seuls les garçons sont plus libres, dans les religions du Livre.

4 adolescents torse nu
Les filles restent entre elles, en bikini quand même.

5 filles bikinis
Les rencontres entre sexes sont datées, c’est dommage, le baiser seins nus était parfaitement érotique.

6 baiser seins nus plage
Aujourd’hui, les garçons prennent le pas sur les filles. « Sur la plage, la société s’exhibe, se regarde, s’entre-regarde et se met en scène pour elle-même, hors de tout contexte » disait il y a 20 ans le sociologue Jean-Didier Urbain.

7 garcon nu contre fille
Hors la plage, on peut se mettre nu, entre soi, comme sur un bateau où les mousses s’ébattent libres au soleil.

8 mousses nus aux homards
Sur la plage, on cache sa nudité intégrale dans le sol, pour faire corps avec la terre, là où s’y mêle la mer.

9 nu dans le sable
L’on se vêt de sable, d’eau ou seulement de lumière.

10 garmins jouant torse nu
Les filles défilent en maillots de bain colorés pour attirer et serrer, chaleur qui se met en valeur.

11 seduire hot
De quoi faire rêver l’ado ému par les hormones.

12 reve nu ado
Ou les ado filles au vu des formes athlétiques sous les habits mouillés.

13 jeunesse mouillee
Mais on ne voit plus guère les seins nu rissolant au soleil, comme les parfaits œufs au plat en petit-déjeuner…

14 seins nus plage

Je vous offre donc aujourd’hui un peu de rêve – même si les photos ne sont pas toutes de moi.

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Tartuffe ou l’esprit français

Il existe peu d’études qui représentent autant la France que le Tartuffe de Molière (1664). Peut-être auparavant les Essais de Montaigne (1580) et, par la suite, le film Ridicule de Patrice Leconte (1996) ? Ces trois œuvres exemplaires sont issus de la religion : les guerres religieuses pour Montaigne, la cabale des dévots pour Molière, la pensée unique du jacobinisme de gauche sous Jospin pour Leconte. Les Français devraient relire Tartuffe. Et pas seulement les ados pour le bac !

Le 12 mai 1664, la pièce est présentée devant le Roi à Versailles et fait satire de la dévotion. Ce spectacle dans lequel les dévots sont présentés soit comme des ridicules (Orgon) soit comme des hypocrites (Tartuffe), dérange tout le monde, sauf Louis XIV. Il a applaudi la pièce mais doit l’interdire à la demande de l’archevêque de Paris parce que non politiquement correcte pour le temps. C’est que la singerie fait partie de la croyance, croit-on. A-t-on vraiment changé ? L’habit continue de faire le moine, malgré les exigences de vertu. Tartuffe est hypocrite et faux dévot. Orgon et sa femme Pernelle sont dupes, même si le bon sens populaire des servantes ou la jeunesse du fils Damis le sont moins.

Moliere Tartuffe jean le pautre

« L’hypocrisie est, dans l’État, un vice bien plus dangereux que tous les autres », dit Molière. L’hypocrite est celui qui agit d’une façon tout en pensant d’une autre. Il dissimule, ce pourquoi  Molière va parler de Tartuffe durant deux actes sans le montrer. Les autres personnages vont le décrire, tout comme la presse laudative de gauche décrit (sans enquêter) ces hommes politiques sains et intègres qui nous gouvernent après la tirade hollandaise du célèbre « moi, président de la République, je… ». « Cagot de critique » selon Damis, « gueux, qui quand il vint n’avait pas de souliers » et qui se comporte en maître selon Dorine, humble et doux, priant pieusement avec de grands soupirs selon Orgon – mais ambitieux, manipulateur et sans scrupules. Combien de ténors socialistes d’aujourd’hui peut-on reconnaître en ce portrait ?

Molière dans sa préface : « Le Devoir de la Comédie étant de corriger les Hommes en les divertissant, j’ai cru que dans l’emploi où je me trouve je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon Siècle ; et comme l’Hypocrisie sans doute en est un des plus en usage, des plus incommodes, et des plus dangereux…». Le théâtre d’hier est aujourd’hui la presse indépendante. Edwy Plenel surgit en nouveau Molière, digne fils des Lumières et de la démocratie. Il attaque non seulement les vices ridicules de son siècle, de gauche comme de droite, mais surtout l’hypocrisie du déni. Faire la leçon au monde entier exige de la vertu personnelle. C’est loin d’être le cas !

  1. l’ex-candidat à la présidence DSK paye et brutalise des filles pour ses plaisirs ;
  2. la députée PS des Bouches-du-Rhône Andrieux est accusée de pillage de subventions via des associations de complaisance ;
  3. l’élue écologiste parisienne Lamblin est mise en examen pour blanchiment d’argent de la drogue ;
  4. le frère du sénateur socialiste Guérini est poursuivi pour détournement de fonds publics, corruption active et trafic d’influence ;
  5. le ministre Cahuzac chargé d’assurer la rigueur et de traquer la fraude fiscale dissimule non seulement un compte à l’étranger non déclaré, mais de probables commissions de lobbying ;
  6. le trésorier de campagne de Hollande Augier possède toujours des actions dans un paradis fiscal…

Évidemment il y a des « affaires » à droite (les frais de la mairie de Paris, les faux électeurs du Vè, Pasqua, Karachi, Bettencourt) – mais c’est la gauche qui fait le plus mal, car c’est la gauche qui exhibe sa vertu et prône la morale citoyenne. Est-on légitime à surveiller et punir quand on est faux dévot ? Ce pourquoi c’est un Français, banquier à Genève, qui a aiguillé les journalistes de Mediapart sur les bonnes pistes : il a déclaré lui-même à la radio être écœuré de la sempiternelle hypocrisie de ceux qui font la loi d’une part et la violent de l’autre.

tartuffe 2013

Molière oppose les dévots de cœur dont les actes sont humains et discrets, aux dévots de cour qui discourent de généralités avec ostentation sans mettre leurs actes en phase avec leurs hautes paroles. Il s’attaque au péché, non au pécheur. La tentation reste humaine ; prendre les mesures légales pour l’empêcher et assurer les moyens administratifs de la contrôler vaut mieux que disserter sans fin à la télé. « Ce n’est pas Cahuzac qui a seulement fait Cahuzac, écrit Marianne. C’est la faiblesse et l’indétermination de ceux qui l’entouraient, la pusillanimité des choix de ceux qui étaient censés le cadrer, le contrôler. » La véritable justice ne se fait pas mousser, elle procède pour ne pas se laisser prendre aux apparences. C’est le bien le reproche fait à François Hollande dans ces affaires que d’être naïf ou incompétent.

Mais la tartufferie va plus loin que la personne Hollande, peu affairiste, contrairement à Chirac. Molière dépeint une famille de la grande bourgeoisie qui cherche à se faire reconnaître des bien-pensants. Sous Louis XIV, il s’agissait de légitimité religieuse ; sous François Hollande, il s’agit de  cette nouvelle religion de gauche à la mode, à laquelle sacrifient les bobos parisiens. Sexe, fric, pouvoir restent la trilogie de la réussite – mais avec l’excuse d’appeler à la révolution et de s’indigner pour le tiers-monde (tout ce qui est loin et ne risque pas de venir troubler le confort immédiat). Pour Tartuffe, l’idéologie religieuse est un masque qui dissimule l’appétit pour le luxe et les femmes. Pour les bobos de gauche, le socialisme est un sésame qui les dédouane par bonne intention. Les journalistes, les producteurs de films, les grands patrons, les hauts fonctionnaires, les francs-maçons, sont conviés à aduler le nouveau riche, à le protéger, à lui donner du pouvoir – en un réseau d’intérêts croisés. Ces gens-là se croient donc au-dessus des lois, partie d’une élite qui se tient les coudes et pour qui (presque) tout est permis. Tartuffe n’est pas seulement un faux dévot mais aussi un libertin. « Le Ciel défend, de vrai, certains contentements, mais on trouve avec lui des accommodements » acte IV, scène V : comme DSK, comme Cahuzac, comme Augier… « Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ! » acte III, scène III.

Comme Tartuffe :

  • n’avouez jamais, car « ce n’est pas pécher que pécher en silence » acte IV, scène V (DSK).
  • usez de restriction mentale selon la doctrine jésuite (Pascal, IXe Provinciale) que prône Orgon (vers 1587 à 1592) : jurez ne pas avoir fait l’acte pourtant réalisé en disant seulement qu’on ne l’a pas fait un certain jour (Cahuzac).
  • excusez-vous des fautes commises par la bonne intention qui était à l’origine (Andrieux, Augier).

Mais où serait le pécheur s’il n’avait été accueilli dans la famille ou élu par le peuple ? Les citoyens ont les gouvernants qu’ils méritent et Tartuffe n’existerait pas sans la famille d’Orgon déjà en crise. Orgon vieillit et veut réaffirmer son autorité sur ses enfants ; la mère d’Orgon s’oppose à sa belle-fille ; la fille veut se marier mais pas contre son gré. Tartuffe est un instrument de pouvoir pour Orgon, mais ce dernier ne fait pas preuve de discernement. Tartuffe, tout en servant les desseins de bonne conscience et de paraître d’Orgon, en profite pour  amasser du vin, des repas, de l’argent, sa femme en passant, enfin sa fille et ses papiers compromettants.

Au final dans Molière, tout finit bien car les qualités du roi sont le discernement, la raison et la perspicacité. Louis XIV est l’antithèse d’Orgon, père aveugle, excessif et fanatique. François Hollande a-t-il cette force de décision de « l’État c’est moi » ?

Molière, Tartuffe, 1669, Bréal Connaissances d’une œuvre, présenté par Brigitte Prost 2000, €4.94

Molière, Tartuffe joué par la Comédie Française avec Robert Hirsch, Jacques Toja, Michel Duchaussoy, Bernard Alane, Claude Winter, DVD réalisé par Pierre Badel, 2008, éditions Montparnasse, 117 mn, €11.83

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