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La mode corrompt les mœurs, dit Montaigne

Le chapitre XLIII des Essais, livre 1, réagit aux « lois somptuaires » que François 1er édicta pour empêcher la ruine de certaines maisons nobles mais aussi pour protéger l’ordre social en distinguant les rangs de naissance par le costume. Notre philosophe périgourdin se gausse de la mode et des afféteries. Pour lui, ces lois sont ridicules : que le roi se mette à la sobriété et la cour s’y mettra, entraînant avec elle toute la société. Nous ne pouvons que faire un parallèle avec la sobriété énergétique exigée désormais de nos concitoyens. Que l’Élysée et Matignon commencent à diminuer la taille de leurs voitures, à prendre le train (ce que fit François Hollande – mais un court temps seulement), à éviter ces déplacements en avion peu utiles à l’ère des communications de masse – et nous aurons le comportement exemplaire que les « interdictions » ne sauraient produire.

En revanche, il serait nécessaire « d’interdire » carrément à la SNCF et à la RATP d’illuminer comme à Noël toutes les nuits les gares et les voies alors que ne roulent aucun train de voyageurs – puisque ces entreprises semblent incapables de s’en rendre compte tout seul. Que la lumière ne soit pas allumée en plein jour dans certains RER, ni en pleine nuit dans les rues. Comme toujours, les entreprises soviétiques que sont les gros machins d’État style SNCF, EDF et France Télécom, même vaguement privatisés, sont irresponsables. L’inertie des habitudes est la principale mode. Contrairement à Montaigne, pour qui « en toutes choses (…) la mutation est à craindre » (il vivait en société d’ordres « voulus par Dieu »), la mutation est pour nous indispensable. Elle ne se fait pas en claquant des doigts mais avant tout, encore une fois, par l’exemple.

Nous sommes en revanche en accord avec Montaigne lorsqu’il s’appuie sur Platon pour vilipender la « nouvelleté » qu’est la mode sans rime ni raison. « Platon, en ses Lois, n’estime peste du monde plus dommageable à sa cité, que de laisser prendre liberté à la jeunesse de changer en accoutrements, en gestes, en danses, en exercices et en chansons, d’une forme à autre ; remuant son jugement tantôt en cette assiette, tantôt en celle-là, courant après les nouvelletés, honorant leurs inventeurs ; par où les mœurs se corrompent, et toutes anciennes institutions viennent à dédain et mépris ». Sans être aussi sévère dans le conservatisme, force est de constater que les inventeurs de la Silicon Valley comme Bill Gates, interdisent à leurs propres enfants d’user des nouvelles technologies tant qu’ils n’ont pas l’âge de le faire avec raison – à 14 ans selon lui. Mais, une fois de plus, il faut le répéter, c’est aux parents et autres adultes (comme ces profs souvent largués) de donner l’exemple. Une école de la Silicon Valley est même entièrement sans connexions. Le laisser-faire n’est bon qu’aux personnes en maturité, pas aux inconscients pas encore finis : laisse-t-on le volant à un gamin de 10 ans ?

Les minijupes des années soixante ont probablement excité à la débauche mais c’était pour la bonne cause de la libération des mœurs. Nous voyions il y a peu encore des parents autoriser les fillettes à s’habiller ras la fesse – comme les stars – faute de décolleté plongeant présentable ; nul doute qu’elles n’incitaient à la pédocriminalité ceux qui en avaient le penchant (quelques pourcents, mais avides). La mode a viré à l’inverse pour les garçons, désormais engoncés dans des slips doublés de caleçons et de shorts de moins en moins courts pour atteindre les genoux (rappelons que short veut dire court). Le nombril à l’air fleurit désormais chez les jeunes filles ; c’était le cas des gars dans les années soixante-dix. La mode est vanité et accapare l’attention sans intérêt. La société mercantile y encourage et les réseaux sociaux l’amplifie. Pour quel bien ? Certainement pas celui des valeurs humaines ni de l’intelligence…

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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