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Cratère de Cova et village de Passagem

Réveil avec le soleil, au frais sous les arbres. Les chevreaux sont libérés de sous leur demi-tonneau et galopent vers leur mère qui les appelle pour téter. Petit-déjeuner aux rayons d’altitude. Mais nous allons grimper encore ! Nous prenons en effet un minibus pour le cratère de Cova qui s’élève à 1166 mètres au-dessus de la mer. La cuvette, large comme une arène de géant, est plantée de champs secs en damiers. Y bougent quelques vaches broutantes, quelques hommes piochant, fourmis dérisoires dans l’étendue. L’auto nous abandonne.

Nous nous mettons alors à grimper les pentes du cratère sous les clochetons wagnériens des pics embrumés dans le soleil. Sur la crête, nous avons une vue générale sur la cuvette d’un côté et sur une vallée couverte d’arbres et de plantations de l’autre. C’est vers elle que nous nous dirigeons en empruntant un chemin en lacets qui descend, interminablement, avec des méandres, vers une ribeira où coule l’eau. Comme à chaque fois que l’eau sourd de la terre, en ce climat, la végétation devient de suite luxuriante : bananiers, papayers, caféiers et même pommiers poussent allègrement, entourés des cannes à sucre omniprésentes. Sur des terrasses aménagées sont cultivés de petits lopins de choux et de carottes.

A un arrêt devant des plants de tabac, qu’entourent des caféiers, une minuscule Patricia de cinq ans nous salue. Elle est parée d’une robe blanche de poupée, mais déchirée ; elle a le visage grave, les traits doux.

Les lacets se poursuivent et le sentier descend toujours. Des femmes épierrent des terrasses. Elles récupèrent pour la construction et portent au village de Passagem dans de grands paniers sur leur tête. Deux vieilles fument la pipe. Un petit travailleur sans chaussures, ni chemise sous son gilet ouvert, brandit deux pics d’un air martial. Il montre les dents pour sourire et prend fièrement la pose. Que voilà un viril petit mâle d’à peine cinq ans ! Les filles du groupe se pâment.

Des écoliers jouent au foot dans la cour ouverte de leur école. Leur « ballon » est une boule de sacs plastiques entourés de ficelle. Ils jouent sans chaussures ni boutons à leur chemise, mais avec une conviction qui prouve leur santé. D’autres enfants ont préparé des chapeaux pour le carnaval qui démarre dans les îles la semaine prochaine. Un beau gaillard se prénomme Hercule et porte un tee-shirt à l’effigie d’un noir américain musclé. Ercoleo a le sourire des enfants bien dans leur peau et de l’énergie plein les membres. Sur invitation de sa maîtresse (oui je sais, il est si jeune, mais elle n’est pucelle que vous croyez) nous entrons dans une salle de classe. Filles et garçons de 6 à 8 ans sont mêlés, en chemisette ou blouse bleu ciel d’uniforme. Au mur sont accrochés des dessins d’objets et d’animaux de la vie courante avec leur nom en portugais : gato (le chat), pato (le canard), copa (le verre)… Les gosses sourient de toutes leurs dents blanches, traits doux, teint chaud, visage frais.

Nous descendons la piste parmi les fleurs et les plantes après le village. Se dressent des manguiers aux longues feuilles vert brillant, des dragonniers à la chevelure de cactus pointue, des bougainvillées fleuri pourpre profond, et un arbre sans feuilles où fleurissent des sommités mauves d’un bel effet. Un oranger en fleurs, subtilement odorant, nous attend au virage juste après un petit footballeur solitaire. Des gamines au sortir de l’école suivent le même chemin que nous et engagent la conversation à deux ou trois. Beautés en bouton. Nous entendons enfin des chants d’oiseaux et le gloussement du rio. A force de descendre et de descendre toujours, nous enfonçant dans cette vallée, nous avons bien fini par découvrir celui qui a creusé tout cela dans les siècles ! Le village de Passagem s’étend le long de ses rives, sur des centaines de mètres. Nous entrevoyons même une piscine – vide – entre les arbres. C’est un bassin de béton profond, peint en bleu ciel, avec des escaliers couleur sang de bœuf pour remonter et une échelle de métal noir. Très chic ! Le bassin est vide, mais on imagine le plaisir des enfants le jour où elle fut remplie.

Nous installons le pique-nique près d’une fontaine au robinet coupé. Le riz cuit hier soir se peuple de thon et de tomates vertes avant d’être englouti à pleins bols. Et les petites bananes qui suivent, poussées ici, sont parfumées. En revanche, les sardines portugaises « à l’huile de soja » n’ont aucun succès.

Les jeunes désœuvrés qui rôdent autour de nous durant la sieste près de la fontaine à sec se coiffent rasta et arborent des médaillons d’émail coloré sur la gorge. Ils sont entre deux mondes, celui des îles où ils sont nés mais où rien n’est possible pour eux, et le monde extérieur fascinant mais difficile à conquérir. Ils ressentent le malaise essentiel d’être d’ici mais de rêver d’ailleurs, sachant que lorsqu’ils y seront, ils auront la nostalgie du déraciné. Ni d’Afrique, ni d’Amérique, ni noir, ni blanc, ils sont toujours entre deux mondes. L’histoire de leur peuple est courte et dramatique : enlèvement, esclavage, famine, émigration. Ils aspirent à un monde nouveau puisque l’ancien ne leur apporte rien. Ils n’ont rien à hériter, ils doivent se faire eux-mêmes. Ils préfèrent le disco d’Amsterdam et ses rythmes de modernité aux vieilleries traditionnelles nées des plantations et de la dictature. Comment ne pas comprendre cet écartèlement culturel ? L’un d’eux s’appelle Tony. Il est coiffé rasta et arbore tous les accessoires de la réussite locale : vêture occidentale, quincaillerie, lunettes noires – et un pick up Toyota avec lequel il doit faire taxi. Rasta Tony fait nettoyer son véhicule par un gamin complaisant qui va pieds nus, chante et lui fait la conversation pendant qu’il passe un chiffon mouillé sur la carrosserie rutilante. Rasta Tony a des bouclettes nattées, une chemise hawaïenne ouverte sur un torse maigre, une médaille verte et rouge lacée au cou et un short de jean noir. Rasta Tony se paie le luxe d’aller boire une bière pendant que le gamin peaufine en battant pour quelques sous le tapis du chauffeur.

Au-dessus de nous le manguier fait de l’ombre et les cannes, un peu plus haut, balancent en rangs serrés leurs tiges souples et leurs feuilles dont le soleil souligne en filigrane les nervures. Une sieste morne en vallée moite. Soudain éclate un disco local, remixé dans les studios d’Amsterdam. C’est une radio-cassettes allumée par un rasta qui croit ainsi nous faire plaisir. Ce bruit en attire d’autres en débardeurs et lunettes noires. Un cabot (verdien) aux oreilles mitées sent la nourriture et vient quémander, œil triste et queue doucement battante. Je lui donne du pain qu’il mâche consciencieusement jusqu’à la dernière miette.

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Georges-Emmanuel Clancier, Le pain noir

Au milieu des années 1970, Serge Moati réalisa un feuilleton télé (terme français pour « série ») sur la deuxième chaîne ; il surfait sur la vague régionaliste et nostalgique du « retour à la campagne » des socialistes en plein essor. Il faut y voir là les prémices de l’écologie, terme vague de la nouvelle religion laïque (si l’on peut oser cet oxymore) des « progressistes » qui rétrogradent. La pédale sur le frein du changement, ils « reviennent » aux valeurs traditionnelles, immuables ou presque, de la paysannerie début de siècle (le XXe). Les romanciers populaires seront légion, oubliés aujourd’hui mais parfois sans raison. Georges-Emmanuel Clancier, en premier lieu poète, était précurseur en faisant roman des récits de sa grand-mère limousine.

Le pain noir était celui que mangeaient les paysans les plus pauvres. Passer du blanc au noir était signe de déchéance, métisser au froment pur de la balle et du son signe d’appauvrissement nourricier. Les Charron sont métayers quand l’histoire commence. Cathie, leur petite fille de 5 ans, vit heureuse entre ses parents, ses frères aînés et son parrain, le fils premier, adopté après la mort de ses parents. Outre le parrain, viennent Mariette, Martial, Francet, Aubin, puis Cathie. Naîtront ensuite Clotilde et Toinette. Huit enfants, c’est bien lourd pour un ménage paysan. Encore heureux qu’on ait une ferme. Mais le métayage est une exploitation car le bourgeois propriétaire est rapace, guère plus aisé que ses paysans en ces régions où la terre rend mal. On se débrouille avec l’élevage, les fruits, les champignons, les pissenlits, la pêche, la chasse aux lapins. La ferme est autarcique et familiale, un rêve de phalanstère écolo régressif pour les petits-bourgeois socialistes des années 1970 et 80. Mais la vie n’est pas rose…

Le roman débute en 1877 et n’est que le début d’une saga en quatre volumes, de l’enfance à l’âge mûr. Cathie la fillette apparaît en être de lumière, tel Gavroche ou Cosette, ou encore Oliver Twist : une fleur de fumier, un ange en enfer. La misère n’empêche pas la beauté, ni la pauvreté la générosité car tout vient du cœur. On ne peut donner que ce qu’on a mais, lorsque l’on n’a que très peu, le don est celui de soi, de l’attention, l’affection, de l’entraide. Le monde est rude et les vices humains profonds car, si l’on subit le malheur, on fait le mal. Nul n’est responsable de son destin, mais de ses actes si.

Parce que son attelage mené par un jeune fat a renversé et tué un métayer, le propriétaire de la métairie somme Jean Charron le père de porter un faux témoignage aux gendarmes en affirmant que le mort était saoul et qu’il divaguait sur le chemin. Moral, Jean refuse ; il sera chassé et forcé de se retirer à la ville, dans un petit appartement pas cher des faubourgs avant une masure encore moins chère encore plus éloignée. Il devient feuillardier avec son fils aîné Martial, qui a terminé à 14 ans l’école (le feuillardier débite des cercles en lattes de châtaigniers pour entourer les tonneaux). Son second, Francet, frappé à la jambe par des camarades, n’est pas soigné à temps et reste handicapé de la jambe, bouche à nourrir qui coûte en médicaments avant de trouver à tourner des fuseaux sur son grabat. Mariette s’est mariée avec le garçon de ferme Robert et invite Aubin, 12 ans, à venir travailler sur ses terres. Aubin est si beau gamin à 13 ans qu’une jeune fille riche l’embrasse dans la forêt, ce qui fait rêver Cathie de princesse et de merveille. Mais il passe au travers d’un plancher de grange pourri à 14 ans et se fracasse la nuque au pied de l’échelle. C’est autour de Cathie d’être placée, à 8 ans comme bergère, dès 9 ans comme servante d’auberge ou de cuisine. Lorsque sa mère sera en couche pour la dernière fois, elle viendra s’occuper des petites à la maison.

Et puis sa mère s’épuise en ménages pour acquérir quelques sous, elle maigrit, attrape la tuberculose qui lui fait cracher ses poumons et meurt. Pour Cathie, « il va falloir… » Elle devient adulte à 13 ans alors qu’elle soigne seule ses deux petites sœurs, aidée un soir par son amoureux timide Aurélien, du même âge. Ils se rendent compte qu’ils font déjà couple dans la maison à eux tout seuls. Et les bébés appellent Cathie « maman ». Elle garde le don d’enfance qui est de s’émerveiller d’un rien, une poésie qui lui donne le bonheur de l’âme sans lequel la bonté ne peut fleurir.

Un roman de terroir qui dépasse la glèbe pour s’élever à l’universel et qui m’a touché à l’époque, plus peut-être qu’aujourd’hui à la relecture. Mais on vieillit… les émotions ne sont plus si grandes ni si fraîches.

Georges-Emmanuel Clancier, Le pain noir, 1956,  Robert Laffont, occasion €4.95 e-book Kindle €4.99

Georges-Emmanuel Clancier, Le pain noir – La fabrique du roi – Les drapeaux de la ville – La dernière saison, Omnibus 2013, 1152 pages, €29.00

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Jeux interdits de René Clément

L’enfance, la guerre, la mort ; la France, l’exode, la défaite – ce sont ces trois thèmes qui reviennent en boucle dans cette histoire de l’an 40, dont les Français « se fichent » selon leur proverbiale bêtise.

Une petite fille de 5 ans, Paulette (Brigitte Fossey, 6 ans) voit ses parents mitraillés par un stuka allemand sur la route de l’exode où l’auto de Parisien parentale a rendu l’âme. Ce sont le papa et la maman de Brigitte qui ont joué les victimes dans le film. Elle court après son petit chien, forçant ses parents à la suivre – et à mourir. Tout comme le chien. Car l’enfant blonde porte la mort en elle : ses parents, son chien, le cheval affolé qu’elle suit qui tue le fils aîné des paysans… Une réminiscence inconsciente peut-être des brutes blondes qui envahissaient le pays livré à l’impéritie contente d’elle-même des vieilles badernes et à la lâcheté de sa bourgeoisie. Il aurait fallu poser la question à l’auteur du scénario, François Boyer qui en fit un roman, Les Jeux inconnus, réédité sous le titre du film au vu de son succès.

Il n’y a rien « d’interdit » à vivre son enfance, à récuser la mort, à aimer par résilience quiconque se présente et s’intéresse à vous. Et pourtant si : la fin en témoigne, poignante d’abandon dans une France en proie au chaos et à l’égoïsme. Car ils ne sont pas beaux, les Français de 40 : des fuyards pressés qui marchent sur les retardataires aux pécores bornés par leur petite existence et par la haine du voisin, jusqu’à l’indifférence des « sœurs » de la Croix rouge qui collent une étiquette sur une enfant comme on tamponne un dossier.

Paulette rencontre Michel (Georges Poujouly, 11 ans) quelque part en Auvergne (le père lit La Montagne). C’est un garçon de 10 ans déluré mais gentil, petit dernier d’une portée fermière aux trois garçons et deux filles. Le gamin garde les vaches, court partout pieds nus dans ses godasses et débraillé, ébouriffé et les mains sales. Mais ce gavroche populaire est pleinement dans la vie, le cœur débordant de générosité. Il adopte la blondeur et les yeux clairs de la fillette tombée du ciel par les stukas ; il la console, l’écoute, joue avec elle.

La première chose est d’enterrer son chien, jeté au ruisseau par une matrone frustre, juchée sur sa charrette en fuite tandis que son homme la tire. Elle n’en veut pas, de cette bouche à nourrir, confite en égoïsme frileux, mais le mari l’a prise, attendri, et elle doit faire avec. Sauf qu’une auto trop pressée coince la carriole au bord d’un pont et que Paulette, qui ne se sent pas accueillie, s’enfuit entre les jambes des fuyards pour atteindre son chien qui dérive au fil du courant. C’est avec la bête morte dans les bras que Michel la découvre, poursuivant une vache folle. Il la ramène à la maison et entre avec elle dans le monde imaginaire de l’enterrement.

En ces années d’ignorance et de dressage, la France éduque ses enfants par la trique et le par-cœur (cela n’avait guère changé encore dans les années soixante). Michel est bon élève au catéchisme, sans croire vraiment qu’il y ait un Dieu tel qu’on le décrit, et il récite son par-cœur sans en penser un seul mot. Comme ses parents et ses frères ou sœurs sont encore plus ignares et indifférents que lui, il se venge de l’autoritarisme paternel en mélangeant exprès les prières. Il n’y a que lorsque son frère aîné (Jacques Marin) est au plus mal et crache le sang dernier qu’il remet à l’endroit les paroles, par superstition, comme si elles avaient un pouvoir. Pour lui comme pour les adultes et pour le curé, la croix, « qu’est-ce que c’est ? – Ben, c’est l’bon Dieu ! ».

Pour Paulette, il faut donc une croix pour son chien et, afin qu’il ne reste pas seul dans son trou comme les humains enterrés à la va-vite « hop, comme des chiens ! », il faut enterrer d’autres animaux morts : un cafard qui passait par là « ça pue ! », un poussin que Michel est allé voler chez les voisins Gouard et a ramené à même sa peau sous la chemise, un « verre de terre », un hérisson, un loir et ainsi de suite. Pour cela il faut des croix et encore des croix.

Comme son père (Lucien Hubert) l’a taloché pour avoir usé du marteau dans la maison alors que son frère agonisait et qu’il a entrepris de clouer une croix « dans la maison d’un mourant, ça porte malheur ! », il faut les voler. Au-dessus du corbillard, dans le cimetière, dans l’église même – au risque de se faire prendre par le curé (Louis Saintève), ce qui ne manque pas d’arriver. Nouvelles taloches – on battait beaucoup les enfants dans la France autoritaire et mesquine jusque dans les années 1980. Mais le comble est la croix du frère, à peine enterré, que Michel a transporté avec la brouette. Le père accuse les Gouard, les voisins haïs par jalousie parce que le vieux a été médaillé de sauvetage et que le fils est parti à la guerre alors que les siens ne sont pas assez bons et réformés. Les deux pater familias (Lucien Hubert et André Wasley) se battent en plein cimetière, roulant jusque dans une tombe ouverte jusqu’à ce que le curé vienne les séparer.

Lorsque les gendarmes arrivent à leur ferme, la famille croit que c’est sur plainte des Gouard, mais c’est seulement parce qu’ils ont entendu parler de Paulette et qu’ils viennent la chercher pour la confier à la Croix rouge. Au grand désespoir de Michel, naïvement amoureux de la petite ; elle ne veut pas le quitter, comme tous les enfants petits qui s’attachent à la première figure qui s’intéresse à eux quand les parents ne sont plus là. Le père promet de la garder mais c’est une promesse en l’air, comme les Français autoritaires et mesquins en faisaient aux enfants jusque dans les années 1980. Paulette est enlevée et Michel, au désespoir, jette toutes les croix volées dans la rivière qui passe sous le moulin. Les deux enfants ne se reverront jamais et le monde imaginaire qu’ils ont créé avec leur jeu sera désormais « interdit ». Les Français, autoritaires et mesquins, adorent « interdire » encore aujourd’hui, des gens de gauche aux gens de droite, des religions aux réseaux sociaux, jusque dans l’université où avoir « dit » un mot tabou ou commis ce qui est devenu « un crime » un demi-siècle plus tard vous « interdit » à jamais de parler.

Ce film simple et cru arrachait des larmes aux adolescents des années 1960 et 1970, je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui (avec le cynisme narcissique ambiant, j’en doute un  peu). L’arrangement à la guitare de Narciso Yepes devenu une scie des premiers pas en guitare, un instrument fort à la mode dans ces mêmes années, jouait pour beaucoup. Il reste la perte de l’innocence et une belle histoire d’amour plus fort que la mort dans une France en loques à la moitié du siècle précédent. La lumineuse Brigitte Fossey a commencé à 6 ans sa carrière, étant même présentée à la reine Elisabeth, tandis que son compère Georges Poujouly a grandi en muscles mais guère en notoriété, son principal film ayant été à 17 ans Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle.

Lion de Saint-Marc à la Biennale de Venise 1952

DVD Jeux interdits, René Clément, 1952, avec Georges Poujouly, Brigitte Fossey, Lucien Hubert, Laurence Badie, Suzanne Courtal, Jacques Marin, Marcel Mérovée, Louis Saintève, André Wasley, StudioCanal 2009, 1h21, €8.61

François Boyer, Jeux interdits (Les jeux inconnus), 1947, Folio 1973, 149 pages, €6.80

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Paul-Emile Victor, Apoutsiak

En ce jour de l’hiver, me reviens un souvenir d’enfance. Auréolé de ses expéditions polaires et papa à 40 ans d’un premier fils, Jean-Christophe, Paul-Emile s’est préoccupé des enfants. En 1936 il a traversé tout le Groenland d’ouest en est en traîneaux à chiens, avec deux compères. Puis il est resté quatorze mois seul à Kangerlussuatsiaq au sein d’une famille Inuit où il baisera, comme le veut la coutume, la belle Doumidia. Chef des Expéditions polaires françaises dès 1947, il commet l’année suivante un petit livre qui a enchanté mes très jeunes années parce qu’il raconte la vie étrange d’un autre enfant comme moi : Apoutsiak.

Une vie captivante parce qu’aux antipodes de la mienne. Elle se situe dans un pays improbable, glacé la plupart du temps, où presque rien ne pousse (sauf des champignons et des myrtilles durant le court été) et où l’on est obligé de chasser et de pêcher pour manger.

Pas de maison mais une hutte igloo ou une tente ; pas d’auto ni de vélo mais un kayak ou un oumiak. On se vêt de peaux de bêtes et l’on reste torse nu à l’intérieur de la maison. Pas d’école mais l’apprentissage auprès de papa et des autres adultes. Un apprentissage pratique de la vie qui consiste à manier le traîneau et les chiens, à chasser au harpon et à pêcher à la ligne, à récupérer tout ce qui se peut parce que cela pourrait servir.

Le livre est illustré par l’auteur-explorateur et fait l’objet d’une double écriture : en gros caractères l’histoire pour les enfants dès 3 ans, en plus petit des explications ethnologiques pour les enfants de 7 ans et plus. Curieusement, ces deux textes se complètent admirablement à l’époque, comme si l’auteur avait inventé l’hypertexte auquel nous sommes désormais habitués par les clics sur les mots surlignés de nos écrans. Les images sont commentées et tout fait sens, accentuant l’écart entre sa vie et la nôtre.

De quoi attiser la curiosité normale d’un jeune être plein d’empathie pour ses semblables sur la planète. Apoutsiak nait tout nu et le reste bébé dans la capuche de sa mère dehors, sur les peaux de phoque dedans. Il mange de la viande cuite sur la graisse de phoque ou parfois crue qu’il coupe au couteau à lame ronde.

A 5 ans il joue habillé de phoque dans la neige avec ses frères et sœurs, cousins et cousines avant de rentrer le soir venu, fatigué de l’air glacé, et de se coucher sans le haut sur une fourrure d’ours : le rêve de tous les jeunes garçons. Fantasme que les filles chez nous réalisent parfois adultes, mais debout et éveillées, en manteau de pauvre bête. La hutte de pierres et de mottes d’herbe l’hiver est l’occasion de vivre tous ensemble en famille, avec toutes ses provisions, ses armes et ses outils, communion qui ravit tous les enfants dont la hantise première est d’être abandonnés et de rester tout seuls.

A 10 ans, Apoutsiak est déjà un presque adulte, conduisant son propre traineau et chassant au harpon à propulseur ; il dort avec les grands. Vers 15 ans il est adulte et, à 20 ans, il a déjà femme et enfants et construit de ses mains un oumiak pour contenir toute la famille. De quoi partir l’été explorer de nouveaux terrains de chasse, comme nous en camping, cette libération touriste des années 1960.

Une vie rêvée, simple et familiale, où la nature est omniprésente tout autour et réservoir inépuisable de nourriture et de beauté. Une vie aux antipodes de la mienne aux mêmes âges, donc d’autant plus intéressante.

Je ne suis jamais allé au Groenland, sur les territoires de vie et de chasse d’Apoutsiak. Il est déjà d’ailleurs au pays des Esquimaux, selon son père Paul-Emile. Mais il reste présent en moi comme une autre vie possible, un brin préhistorique, un peu le futur écologique si l’on en croit nos gourous…

Paul-Emile Victor, Apoutsiak – Le petit flocon de neige, 1948, Les albums du Père Castor Flammarion 1992, 32 pages, €18.29

Aussi en Castor poche

et en CD audio €19.00

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Parc Tenorio

Tandis que les autres se contentent de rester européens, je prends le petit-déjeuner local de riz épicé aux haricots rouges, les œufs sur le plat au chorizo, le pancake, le jus de pamplemousse et le café. De quoi tenir jusqu’au pique-nique du midi.

Vu sur un mur de la ville que nous quittons ce slogan dans la Calle 424 : « Cristo » avec une étoile juive à la place du O. Que signifie-t-il ? Adrian ne veut pas me le dire et élude la question. Sont-ce d’anciens nazis qui accusent le christianisme d’être d’origine juive ?

Nous partons ensuite en bus jusqu’au parc naturel du volcan Arenal, le parc Tenorio. Nous suivons un sentier balisé dans la forêt pluviale pour aller voir deux cascades et une rivière dite « céleste » en raison du bleu de son eau.

Le chemin est bétonné à l’américaine, puis seulement aménagé – mais il n’est pas question de sortir du sentier battu. Il faut descendre une centaine de marches pour accéder au point de vue sur la cascade et l’eau bleue. Nous passons un pont suspendu de métal qui danse quand plusieurs personnes passent à la fois.

Il y a autant à remonter pour atteindre la jonction vers le mirador dans la forêt – où il n’y a rien à voir car il pleut par intermittence et le paysage est dans la brume. Nous aurions dû voir trois volcans, dont le Rincón de la Vieja, le coin de la vieille. J’ai aidé un petit Américain de 5 ans à descendre la marche grande comme la moitié de sa taille pour monter au mirador.

Sur le chemin, nous avons vu une vipère lovée comme un champignon. Nous poursuivons la route boueuse vers la rivière aux ondes célestes. Son eau se situe entre le turquoise et le plomb. Cette couleur est due à la rencontre de deux bras dont l’un est chargé en silice. L’eau bouillonne et son odeur soufrée, dans un méandre où elle est plus calme, fait sentir plus fortement l’anhydride sulfureux.

Nous pique-niquons d’un sandwich au poulet très mince, devenu du caoutchouc dans le sac. Un coati surgit de la forêt pour grappiller quelques morceaux. Je lui donne la fin de mon sandwich immangeable, au grand dam d’Adrian qui dit qu’il est voleur et peut piller les sacs. Il veut chasser l’animal mais celui-ci, affriolé par la nourriture, reste pour les photos de tous.

Nous retournons au parking par le même chemin. Nous croisons des familles, des ados, la plupart Américains, quelques rares Français. La pluie intermittente nous fait mettre et ôter la cape. La plupart des touristes a décidé d’ignorer l’eau qui tombe et marche en débardeur ou même torse nu pour les machos locaux.

Nous avons trois heures de bus pour rejoindre l’hôtel dans le paysage plus sec du Guanacaste, côté Pacifique, en traversant la ligne de crête ornée de gigantesques éoliennes. La forêt pluviale disparaît versant Pacifique pour laisser la place à la forêt tropicale sèche et aux pâturages. La province où nous passons est peuplée de quelques Français ; ils élèvent des chèvres. Mais le fromage et le lait ont un goût fort et doivent être coupés avec du lait de vache pour être accepté par les locaux qui sont très conservateurs en matière de goût.

Sur la route, nous goûtons le fruit du dragon qu’Adrian appelle figue de barbarie, fruit dont était faite la glace d’avant-hier.

Le lodge Rinconcito est une suite de pavillons au milieu de nulle part. Les chambres sont confortables avec de grands lits et une terrasse privative avec hamac dans lequel se prélasser.

Adrian, qui parle beaucoup, nous apprend qu’il n’y a pas d’impôts au Costa Rica sauf une TVA à 13 % et l’impôt foncier. Tout le monde peut demander une parcelle à la mairie, à condition de la cultiver. La taille obtenue dépend de la taille de la famille. Il faut non seulement cultiver pour devenir propriétaire mais aussi acquitter l’impôt chaque année, sinon la terre revient à l’État. Mais peu d’impôts veut dire peu de services : pas d’armée, aucune aide sociale sauf pour les enfants scolarisés avec la cantine gratuite. Chacun gagne ce qu’il travaille – en net. Les ramasseurs d’ananas se font par exemple 150 $ américains par semaine. Adrian a la manie de sans cesse comparer le Costa Rica à la France, ce qui finit par être irritant. En spécialiste des avocats, Adrian nous dit qu’un avocat mûr a la peau noire et non plus verte. Pour aller plus vite, il faut laisser les avocats verts avec un ananas et le mûrissement s’effectue en une journée. Les supermarchés conservent les fruits et les légumes au frigo comme les Américains. Adrian nous vante « la sauce miraculeuse », ainsi dénommée sur les étiquettes : il s’agit d’une sauce anglaise, en fait de la Worcester sauce mais fabriquée ici.

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