Articles tagués : commerçant

Robert-Louis Stevenson, Veillées des îles

Le romancier écossais, fragile des poumons, part dès 1888 pour les mers du Pacifique puis s’installe aux Samoa. Intéressé par les cultures locales et documenté par les administrateurs, les missionnaires et les indigènes, il entreprend d’écrire sur le sujet. Il allie exotisme et aventure, réalisme et merveilleux.

C’est que les cultures polynésiennes sont déstabilisées par l’arrivée des Blancs. Leur technique scientifique et leurs richesses matérielles font envie aux îliens, tandis que les vahinés aux seins nus et l’existence de farniente des indigènes font fantasmer les marins. Stevenson restitue les détails de la vie réelle tant des Polynésiens que des Blancs, adoptant leurs langages et leurs visions du monde.

Ce sont deux univers parallèles inconciliables qui se confrontent, la Bible et l’animisme, le missionnaire et le sorcier, le commerçant et les « chefs », le mâle blanc pudique éperdu de désir et la jeune fille peu vêtue experte en pratiques sexuelles mais qui aspire – comme chacun – à l’amour. Les mœurs sont fidèlement dépeintes par un calviniste curieux de tout et dont la vie s’achève (Stevenson mourra bientôt, à 44 ans).

Trois nouvelles forment le recueil, la première étant jugée de trop peu de pages pour faire l’objet d’une publication en roman. Elle donne cependant son titre au recueil : Veillées des îles. C’est la mieux construite, la mieux écrite et surnage au-dessus des autres, un phare dans l’œuvre de l’auteur.

Un Anglais assez fruste, Wiltshire, débarque dans une île pour tenir un comptoir de négoce, échangeant marchandises occidentales (couteaux, outils, cotonnades, conserves, lampes…) contre du coprah (noix de coco séchée dont on extrait l’huile utilisée en cosmétique). Le précédent tenancier s’est enfui, semble-t-il terrorisé. Wiltshire est accueilli par les « Blancs » de l’endroit, Case qui s’adapte à tout interlocuteur, et Black Jack l’interlope qui est noir. Mais, dans les îles, tous ceux qui viennent d’Occident sont considérés comme « Blancs » par les indigènes, quelle que soit la couleur de leur peau.

Case s’entremet aussitôt pour trouver à Wiltshire une « épouse », une jeune indigène qui se balade en tunique mouillée ras des cuisses ou carrément seins nus ceinte d’un pagne. Ce sera Uma. Le « certificat de mariage » écrit en mauvais anglais est une farce : il accouple Uma à Wiltshire pour seulement une semaine et permet au « mari » d’envoyer au diable son épouse à tout moment. Non seulement l’Anglais fraîchement débarqué apprécie peu cette malhonnêteté, mais il s’aperçoit vite qu’Uma est « tabou ». Aucun indigène ne vient lui acheter ses marchandises ni lui livrer du coprah. Case est l’auteur de cette manipulation et a une réputation de sorcier s’accoquinant avec les diables. Il va régulièrement initier des jeunes hommes dans la montagne et ils reviennent ayant entendu des voix, observé des morts revenir à la vie et entrevu un diable sulfureux dans une anfractuosité.

Wiltshire, bien que peu éduqué, est honnête – un vrai protestant. Il ne tire satisfaction que du devoir accompli, pas de l’argent amassé ni du pouvoir sur les autres. De plus, il est amoureux de sa femme, de ses formes, de sa jeunesse, de son caractère affirmé. Il est l’antithèse de Case, qui a usé de la fille avant de la faire ostraciser. Wiltshire va donc s’opposer frontalement à l’autre Blanc, montrant que l’Occident n’est pas uniment véreux, manipulateur ou malhonnête. Si plusieurs sortes de savoirs coexistent, l’ancestral des îles avec la nouveauté occidentale, l’existence en société ne peut se fonder que sur des valeurs universelles de respect.

Il va donc pousser le missionnaire itinérant à le marier en bonne et due forme, puis va explorer la montagne dite maléfique et démonter les diableries inventées par Case pour impressionner les indigènes : une harpe éolienne en guise de « voix », des poupées bariolées vêtues de chiffons pour les « morts-vivants », de la peinture fluorescente sur le « diable ». Cela se terminera par un duel, dans une ambiance western – et le camp du Bien gagnera, même si l’avenir reste incertain. Wiltshire fera plusieurs enfants à Uma et les aimera, mais si l’aîné part faire des études en Australie, les filles seront-elles bonnes à marier parmi les Blancs ? C’est que le métissage est incompatible avec l’esprit colonial, imbu de la supériorité du dominant.

La seconde nouvelle, Le diable dans la bouteille, met en scène un flacon contenant un diablotin qui circule depuis des millénaires, permettant à qui le possède de réaliser tous ses désirs. Le prix en est de livrer son âme au diable et d’accepter de rôtir pour l’éternité en enfer. Evidemment, ceux qui préfèrent le présent au futur, les courte-vue, les jouisseurs, choisissent la richesse et la gloire sans se préoccuper de l’éternité durable. Il existe cependant une façon de se racheter : en vendant la bouteille à un autre, moins cher qu’on l’a payée. Sauf que le prix diminuant à chaque transaction, il sera bientôt impossible de s’en défaire. La morale réside donc moins dans l’usage de la richesse (après tout utile) que dans le désir insatiable d’accumulation (qui est péché d’avarice). Seul l’amour pourra surmonter l’argent – et seul le pécheur irrémédiablement condamné par ses crimes (version sans pardon très protestante), supportera de garder la bouteille jusqu’à sa fin.

La dernière nouvelle, L’île aux voix, est issue d’un conte du folklore de Hawaï. Un jeune homme, Keola, est marié à Lehua dont le beau-père est sorcier. Il sort régulièrement des dollars tout neuf sans travailler. Un jour, alors que la bourse est vide et que le vapeur apporte des marchandises convoitées, le beau-père engage son beau-fils pour une expédition rapide en sorcellerie. Il s’agit de s’asseoir sur un tapis, de brûler certaines feuilles sur du sable, puis de se trouver transporté ailleurs. Là, sur une plage paradisiaque, le sorcier va ramasser des coquillages tandis que Keola court ramasser certaines feuilles à brûler. Tant que le feu sera alimenté, le sorcier pourra agir ; lorsqu’il s’éteindra, les deux hommes seront ramenés dans leur salon, à condition d’être présents sur le tapis. Ce qui est fait – et les coquillages deviennent des dollars. Induit en tentation, le jeune homme qui n’aime pas travailler se dit qu’il serait bien bête de ne pas en profiter. Il demande alors à son beau-père de lui offrir un instrument de musique. Mais celui-ci ne veut pas que son pouvoir soit connu, ni que son vaurien de beau-fils se pavane en exauçant tous ses désirs – qui sont évidemment sans limites. Il le conduit au large et brise le bateau en gonflant jusqu’à devenir montagne. Keola est recueilli in extremis par une goélette qui le prend dans son équipage. Mais le second est violent, jamais content, un brin sadique sexuel et le jeune homme, souvent fouetté de cordage, s’enfuit à la nage aux abords d’une île où poussent en abondance le coco et où le lagon regorge de poissons. Il vit seul en Robinson jusqu’à ce que les habitants de l’île voisine y viennent en villégiature, comme ils le font régulièrement. Ils ne peuvent y habiter car des « diables » hantent la plage, des voix se font entendre et des feux s’allument et s’éteignent. Keola sait de quoi il s’agit et conseille de couper les arbres produisant une certaine feuille, celle qu’il a brûlée dans le foyer du beau-père. Sa second épouse, locale, lui avoue que ses compatriotes sont cannibales et qu’ils vont le croquer. Keola se cache et assiste bientôt à une grande bataille entre sorciers invisibles mais armés et indigènes au bord de la plage. Ceux-ci coupent en effet les arbres désignés par Keola. Celui-ci serait lynché si Lehua, sa première femme, n’avait entrepris de suivre les traces de son père et de se transporter sur l’île en brûlant les herbes idoines. Elle aime Keola et le sauve. C’est un conte, mais aussi une morale : les îles polynésiennes sont le lieu où s’affrontent deux réalités incompréhensibles l’une à l’autre, celle des forces de la nature et des esprits, et celle de la rationalité technique et scientifique. Être incrédule ne suffit pas ; écouter et comprendre est une meilleure attitude ; aimer est le summum de ce qu’il faut faire.

Au total, ces trois nouvelles sont un bon divertissement exotique qui nous rappelle les fantasmes occidentaux sur les îles de Polynésie, la contrainte moraliste chrétienne et la domination économique occidentale de la fin du XIXe siècle. Jusqu’à aujourd’hui, où sectes protestantes et obésité américaine sévissent et acculturent encore et toujours.

Robert-Louis Stevenson, Veillées des îles, 1893, 10-18 1998, occasion

Stevenson, Œuvres III – Veillées des îles, derniers romans (Catriona, Le creux de la vague, Saint-Yves, Hermiston, Fables), Gallimard Pléiade 2018, 1243 pages, €68.00

Les romans de Robert-Louis Stevenson déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Polynésie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Tocqueville et la nature de la démocratie

Longtemps Tocqueville a été ignoré par nos bons analystes politiques, obnubilés par Marx et par ses épigones. Les années 1980, marquées par l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, par la disparition biologique des dinosaures du soviétisme et par le virage chinois en faveur du capitalisme, ont permis de retourner aux analyses des systèmes sans y mêler la Providence ou l’Histoire. Pierre Manent, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, tente dans un court essai de 1983 qui reste d’actualité, de « dégager ce qu’il y a de plus original » chez ce penseur atypique à propos de la démocratie.

Car ce régime moderne n’est pas un régime comme les autres ; pas plus qu’il ne ressemble à la démocratie décrite par Aristote ou Platon. Son « principe » politique est « l’égalité des conditions », « l’absence ou au moins la grande faiblesse des ‘influences individuelles’ » p.21. La souveraineté du peuple, qui est la définition commune, ne peut exister que sur cette base. Pour Tocqueville, les Etats-Unis sont le laboratoire de la pure démocratie car fondés sans passé historique, sur un territoire quasi-vierge, dans une société réduite aux familles d’émigrants. Dès lors, la démocratie apparaît comme le régime « naturel » de chrétiens livrés à eux-mêmes dans une nature hostile. La famille, la commune, les associations, préexistent au gouvernement fédéral. Contrairement à la France, tributaire d’un passé monarchique absolu et d’une aristocratie toujours présente, aux Etats-Unis « le principe politique de la souveraineté du peuple est ‘répandu dans la société entière’ » p.18

Ce n’est pas tant la forme représentative qui importe, ces élections formelles qui forment l’idée commune de la démocratie, que « l’opinion publique ». Plus de révérence envers un quelconque patronage, une opinion autorisée qui se voudrait supérieure par décret divin ou appartenance de caste : chacun est maître de soi et coauteur de la volonté générale. « C’est introduire dans l’histoire humaine une mutation radicale du lien social » p.26. La religion n’est pas indispensable à l’homme démocratique mais Tocqueville croit que le besoin de religion est naturel et que le christianisme aux Etats-Unis est surtout utilitaire, modérateur : « L’Américain, en confessant sa religion, s’empêche de tout concevoir et lui défend de tout oser » (cité p.134). L’idéal démocratique isole : « l’égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne », écrit Tocqueville. Chacun se replie sur soi, la société se dissocie. C’est le but des libres associations (y compris religieuses) que de recomposer à partir des individus égaux le tissu social que sans cesse l’inégalité des conditions tend à défaire. Ce que l’aristocratie secrétait naturellement (la dépendance), la démocratie doit la fabriquer politiquement. Contrairement aux marxistes, Tocqueville pense que « la démocratie formelle est le remède aux maux produits par la démocratie réelle » p.49.

Les inégalités naturelles reconstituent des différences dans les démocraties les plus égalitaires. Ce pourquoi la démocratie reste et restera un idéal inaccessible mais un moteur social. Dans ce régime moderne, les inégalités existent mais ne se constituent pas en aristocratie héréditaire : « les membres des classes riches n’exercent pas de magistrature sociale en tant que membres de ces classes » p.34, au contraire de l’Ancien Régime où le noble appartenait à une espèce différente du fait de sa naissance. Il n’était « ni législateur ni sujet », donc « indépendant de la société » qu’il influençait « en raison de sa position » p.35. En démocratie, « parce que l’horizon de la conscience sociale est l’égalité, les positions extrêmes de hauteur et de bassesse, de richesse et de pauvreté paraissent des ‘accidents’ » p.54. La mobilité sociale existe et est encouragée par le système car il délégitime irrémédiablement toute idée de privilège.

Le revers est que la personne compte moins : « Dans toutes les sociétés il y a des opinions communes ; mais c’est seulement dans la société démocratique que cette opinion commune prévaut sans obstacle, car les autres sources possibles d’opinion ont perdu toute créance » p.66. Par exemple le noble, l’Eglise, la classe. « Plus le pouvoir social démocratique fait sentir sa pression, plus le dogme majoritaire prévaut, et plus les différences entre les principes et les buts de la majorité et ceux de la minorité s’estompent » p.67. C’est à cela que l’on mesure la température démocratique d’un pays : au conformisme. « La religion, de dogme révélé, tend à se faire opinion commune, convention protectrice du corps social » p.135. La démocratie est réalisée lorsque l’égalité des conditions donne l’égalité des opinions. Pierre Manent ajoute : « et les seules protestations de quelque ampleur contre le conformisme et le consensus démocratiques se font au nom d’un idéal social prônant une uniformité plus complète, une ressemblance plus achevée » p.70.

Par parenthèses, c’est sans doute l’erreur commune des politiciens de vouloir à tout prix se démarquer du parti élu comme des rivaux dans leur propre parti : le salut politique est dans le courant de l’opinion, pas contre elle. Les rassembleurs optimistes, qui ont un projet, gagnent toujours face aux diviseurs qui se contentent d’être systématiquement « contre ». Le rôle critique est dévolu aux savants, aux observateurs et aux ‘intellectuels’ – pas à ceux qui briguent les suffrages de leurs concitoyens.

L’avantage, dit Tocqueville, est que les mœurs démocratiques sont plus « douces ». Une société aristocratique distingue les individus comme de sang différent (le sang bleu) ; une société démocratique fait de chacun son semblable et suscite ce sentiment d’empathie qui fait qu’on se met volontiers à la place des autres. La solitude de l’homme démocratique, c’est l’individualisme, pas l’égoïsme ! Tocqueville : « L’égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l’homme à ne rien rapporter qu’à lui seul et à se préférer à tout. L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » (cité p.82). L’idéal démocratique est la condition moyenne où le désir d’acquérir et la crainte de perdre se cumulent pour obséder le cadre moyen ou le petit-bourgeois du souci des biens matériels, de la consommation, de posséder comme tout le monde. D’où le ressentiment lors d’un « déclassement » dû à la conjoncture économique, ou la frénésie d’afficher des « marques » pour les ego faibles (ados, banlieusards, nouveaux riches).

Deux attitudes à ce stade, note Tocqueville : « l’héroïsme » du commerçant américain que la concurrence pousse à faire mieux pour réduire l’inégalité constatée avec ses semblables ; ou « l’envie » du citoyen français qui s’efforce de ramener le concurrent le plus chanceux à la norme commune. « Le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande », écrit Tocqueville, c’est le ressort du système démocratique. Mais dans la première attitude ce désir est positif puisqu’il pousse à l’émulation ; dans la seconde, négatif puisque qu’il est envieux et niveleur, encourageant à rester dans la seule moyenne.

D’où le recours au tiers neutre : l’Etat central. Les Américains le limitent au maximum parce que leur démocratie vient de la base ; les Français l’étendent au maximum parce que « l’établissement de la concurrence parfaite exige que l’état central interdise à quiconque (…) de jouir d’un privilège immérité dans la concurrence qui doit être rigoureusement égale » p.96. Malgré les stratégies sociales hypocrites de contournement que l’on sait (ENA, relations incestueuses affaires publiques/affaires privées, clanisme, collèges privés, clubs sélects, « ghetto français » et ainsi de suite).

Les ennemis de la démocratie sont ceux qui veulent consolider les inégalités « naturelles » : ce sont les réactionnaires. Mais d’autres ennemis sont les « excessifs ou immodérés ». Ces partisans d’une démocratie radicale sans cesse nivelant pour éradiquer toute forme d’inégalité concrète sont « pure Négation, puisque vouloir réaliser l’abstraction démocratique, qui n’a rien d’humain, c’est vouloir réaliser l’irréalisable, et l’effort pour réaliser l’irréalisable ne peut consister que dans la destruction de tout ce qui est réellement humain » p.179. On l’a vu en 1793 avec le « Salut Public », en URSS du « socialisme réalisé », en Chine « populaire » avec Mao, au Kampuchéa « démocratique »… On pourrait le voir avec un Mélenchon.

Cet essai intelligent fait réfléchir et donne envie de méditer Tocqueville.

Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, 1983, Gallimard Tel 2006, 196 pages, €7.90
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I & II, Souvenirs, L’Ancien Régime et la Révolution, 1 volume collection Bouquins Robert Laffont, 2012, 1180 pages, €30.50

Catégories : Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Stendhal, Féder

Entre La chartreuse de Parme et Lamiel, Stendhal reprend les mêmes caractères dans des situations différentes. Féder est fils d’Allemand et non franco-italien comme Fabrice, fils de négociant enrichi puis ruiné et non fils de militaire et d’aristocrate. Mais la trilogie des A (l’amour, l’art, l’argent) sont les mêmes étapes de son initiation à la vie d’homme et à son intégration sociale. Le jeune homme arrive par les femmes, et l’art est un moyen privilégié d’atteindre ces femmes qui vous font.

Féder naît à 17 ans lorsqu’il est expulsé de la maison paternelle pour avoir épousé Petit matelot – terme ambigu qui désigne une actrice d’opéra-comique, Amélie. Le négoce marseillais de son père lui répugne, il lui préfère la peinture ; l’esprit commerçant n’est pas le sien, il affecte de préférer l’art. Mais comment vivre en aristocrate sous ce nouveau régime issu de la révolution – la politique avec 1789 et l’industrielle avec le siècle ? L’art, pour faire vivre, doit se faire reconnaître, or le public est bourgeois, ancré dans la matérialité des choses.

Féder fait donc des portraits, puisque c’est ce qui se vend avant l’invention de la photo. Les bourgeois adorent se montrer et se faire peindre est pour eux comme un selfie pour les ados d’aujourd’hui : une flatterie à sa vanité de parvenu. Pour le bourgeois, qui connait le prix des choses et n’excelle en rien d’autre qu’acheter au plus bas et de vendre au plus haut, tout s’évalue, tout se calcule, tout se fait en fonction du prix. L’argent supplante l’art pour se poser en société après ce changement d’époque : la fin de l’Ancien régime.

Stendhal peint donc avec une ironie toute voltairienne la monarchie de Juillet et compose des portraits à la Flaubert des bons bourgeois enrichis de province qui « montent » à Paris pour franchir une étape supplémentaire. Marseille et Bordeaux, villes de négoce, sont opposées à Paris capitale du pouvoir et de la mode – hier comme aujourd’hui.

Féder va donc à Paris pour « s’élever » en société par les femmes. Son actrice meurt et il se colle à une autre, une danseuse prénommée Rosalinde, qui va lui apprendre la société. Ce qu’elle lui montre est que tout est théâtre et qu’il faut sans cesse jouer un rôle, prendre une posture. Dissimulation et simulation : l’hypocrisie et le masque sont la base pour se faire reconnaître. Jouer au mélancolique pour faire sérieux, se tenir sans cesse « l’air malheureux et découragé de l’homme qui ressent un commencement de colique » (on dira plus tard comme avec un parapluie dans le cul) I p.759 Pléiade, lire La Quotidienne, le journal bien-pensant (on lira aujourd’hui Le Monde), avoir de la piété (aujourd’hui signer des pétitions pour des Droits de l’Homme, pour les immigrés ou les femmes), être habillé triste (aujourd’hui tout en noir). « A Paris (…) tu dois être, avant tout et pour toujours, l’époux inconsolable, l’homme bien né et le chrétien attentif à ses devoirs, tout en vivant avec une danseuse » (I p.756). La jovialité et la gaieté du midi doivent être étouffées sous les conventions : « Votre air de gaieté et d’entrain, la prestesse avec laquelle vous répondez, choque le Parisien, qui est naturellement un animal lent et dont l’âme est trempée dans le brouillard. Votre allégresse l’irrite ; elle a l’air de vouloir le faire passer pour vieux ; ce qui est la chose qu’il déteste le plus » – hier comme aujourd’hui (I p.758)…

Féder renonce donc à l’art pour l’art (peindre en s’efforçant d’imiter au mieux la nature) pour la caricature (qui fait « ressembler » en accentuant les traits et qui enjolive le teint). Plus il est conforme à la mode, plus il a du succès ; plus le succès social vient, plus la reconnaissance officielle arrive (il obtient la croix de la Légion d’honneur) ; plus il est titré, plus on loue son talent. C’est ainsi que l’art se prostitue à l’argent, via la mode – hier comme aujourd’hui. Le mérite de Stendhal est d’avoir saisi ce moment précis où cela arrive dans la société française et parisienne.

Le succès appelle l’argent et, via l’argent, l’amour survient. Un gros bourgeois de Bordeaux, enrichi dans le négoce, commande à Féder une miniature de sa jeune femme de 20 ans à peine sortie du couvent, Valentine. Celle-ci est ignare pour avoir été maintenue sous serre et hors de toute littérature autre que celle des bons Pères de la sainte Eglise, mais assez futée pour avoir évolué dans les failles de l’institution avec l’affection d’une religieuse pauvre. Stendhal livre un secret d’éducation que reprendront plus tard Montherlant et Peyrefitte avec les garçons : « Ce qui est prohibé par-dessus tout, dans les couvents bien-pensants, ce sont les amitiés particulières : elles pourraient donner aux âmes quelque énergie » (V p.796).

Singer Werther le romantique permet de jouer l’amour avant de l’éprouver. Car le sentimentalisme fin de siècle (le 18ème) est récupéré par la société bourgeoise pour feindre l’émotion, alors que tout est fondé pour elle sur l’intérêt – y compris les femmes (faire-valoir et reproductrices). Timide, mais naturelle, Valentine va conquérir Féder et être conquise par lui, sans vraiment que chacun ne le veuille. A tant jouer un rôle, on en vient à l’incarner. Tout passe par le regard : la pose pour la peinture, la rêverie à l’autre, l’interdit social qui exclut d’avouer. Les soupçons du frère du mari, Delangle, sont un piment qui oblige à jouer plus encore, donc à s’enferrer dans le rôle et à l’incarner un peu plus.

Où l’on revient à l’art : il n’existe que là où est le vivant. Tous les peintres de l’époque sont des faiseurs, sauf Eugène Delacroix. Féder se rend compte qu’il a de l’habileté mais pas de talent lorsqu’il fait peindre Valentine par son ami Delacroix. Il ne peut y avoir d’esthétique sans érotique, donc l’amour ramène à l’art lorsque le jeu laisse place à la vérité. Féder est « léger » (Féder en allemand veut dire la plume). Il n’est pas sympathique comme Fabrice del Dongo, mais une sorte de cobaye qui dévoile les ressorts de la société.

Il met en relief, par contraste, le comique provincial, lui qui s’en est sorti – par les femmes. Boissaux, le mari de Valentine, n’est pas dégrossi : il est gros, tonitruant et vaniteux ; il a tout du bourgeois qui se veut gentilhomme, du commerçant qui se croit du goût. Il ne considère les livres que par leur luxe de reliure (dorée à l’or fin), sa loge à l’Opéra que pour mise en scène de soi par sa femme, et ses dîners ne sont réussis que lorsqu’ils sont chers, donnant des petit-pois primeurs en février. Tout doit être mesurable dans le matérialisme bourgeois adonné à la « jouissance physique ». L’émotion et le rêve sont bannis de cet univers mental où toute énergie ne peut qu’être productive.

Ce roman restera inachevé, Lamiel prenant tout son temps qui reste à un Stendhal sujet à une attaque cérébrale et qui décèdera bientôt d’apoplexie, en 1842. Mais ce qu’il dit de son époque s’applique tant à la nôtre qu’il vaut encore d’être lu !

Stendhal, Féder ou Le mari d’argent, 1839, Folio2€ 2005, 144 pages, €2.00

Stendhal, Œuvres romanesques complètes tome 3, Gallimard Pléiade 2014, 1498 pages, €67.50

Les œuvres de Stendhal chroniquées sur ce blog

Catégories : Livres, Société, Stendhal | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Mère pilules

Hier matin à la pharmacie, une mère de famille avant moi demandait un somnifère léger pour son garçon. « J’ai l’habitude de lui en donner tous les soirs avant de se coucher, il dort mieux », avoue-t-elle. Cette façon de faire, comme si c’était la norme, m’a sidéré.

Il semble que le garçon ait entre sept et dix ans mais pourquoi dort-il mal ? C’est ce que la maman ne veut pas savoir. Soit elle s’en fout, soit elle n’a même pas l’idée de s’en préoccuper, soit elle est plus tranquille avec des pilules. Elle a ainsi l’impression d’être une « bonne mère » et de « faire ce qu’il faut » en utilisant le savoir médical et le prestige de la science chimique « pour le bien » de son enfant.

Tout à fait comme les prescriptions absurdes du « manger cinq fruits et légumes par jour » des fonctionnaires de la santé qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. Une seule groseille et un melon entier ? Un chou et un petit pois tout seul ?

Le sommeil est naturel et vient à son heure. Si l’enfant ne s’endort que difficilement, c’est qu’il est anxieux, qu’il n’a pas d’habitudes régulières et que son heure est perturbée ou qu’il n’a pas fait assez d’activités physiques la journée. Se poser la question est faire œuvre d’éducation, c’est être attentif à son enfant. Remplacer ce soin psychologique par des pilules chimiques est carrément une démission.

D’autant que les médicaments ne sont pas « bons pour la santé ». Ils soignent des pathologies précises, et notamment des maladies ; ils ne sont pas « de confort » sans danger, surtout au jeune âge. Les molécules synthétisées ne sont pas aux doses naturelles, même si leur effet est précis et destiné à une cause. Mais nulle étude ne se préoccupe jamais des interactions avec le reste de l’alimentation et rarement avec d’autres médicaments. L’enfant ne doit pas être un animal de laboratoire pour ses parents. Le moins possible de médicaments est requis, surtout sans prescription sur une durée limitée, ni sans surveillance médicale.

Le confort parental ne doit pas passer par la démission sur les pilules. Une pour dormir ? Et la journée une pour être attentif ? Et une pour l’appétit ? Pour le transit intestinal ? Pour être meilleur aux examens ? Pour réussir la course ? Mais où donc s’arrête une telle dérive ?

Evidemment le pharmacien n’a rien dit, il est aussi commerçant. Et un « somnifère léger » (qui est plutôt un hypnotique) ne peut pas vraiment faire de mal, n’est-ce pas ? Une fois de temps en temps, peut-être, mais s’il est pris régulièrement par un organisme très jeune ? Ne prépare-t-on pas la dépendance, plus tard, à l’alcool, au tabac et aux drogues diverses ? Saura-t-on passer le bac sans dopant, ou le permis de conduire sans adjuvant ? Pourra-t-on travailler normalement sans être « stressé » et se précipiter sur des pilules pour compenser ?

Je me demande si l’on peut, sans conséquences durables, soumettre couramment l’organisme aux molécules artificielles, dosées au-delà de leur présence naturelle dans les aliments, sans engendrer un déséquilibre général ?

Je ne suis ni pharmacien, ni médecin, mais je connais les enfants. Ce qu’il faudrait plutôt à cette maman, c’est un bon psy pour la désintoxiquer des pilules et la rendre attentive à sa progéniture.

Catégories : Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu

philippe de villiers le moment est venu de dire ce que j ai vu
Philippe de Villiers est de droite, dans sa version « légitimiste » détectée par René Rémond, cela ne fait aucun doute – et je ne suis pas de son bord. Ce n’est pas une raison pour ne pas le lire car, comme tous les humains intelligents qui réfléchissent sur leur pratique, il énonce quelques vérités bonnes à entendre.

Ce parler-vrai détonne dans une classe politique engluée de moraline et réduite aux 300 mots du politiquement correct que formate l’École nationale d’administration. L’auteur en sort, il sait ce qu’il dit : « ce n’est pas une école, c’est un moule, un laminoir sémantique (…) vous en sortez (…) le cerveau formaté (…) et le cœur vide » p.21. Son livre est donc plaisant à lire, empli de « révélations » et de formules bien frappées. Pas étonnant à ce qu’il soit la meilleure vente des livres politiques 2015 selon les libraires.

Ce qui plaira aux lecteurs avides de confidences people est le portrait qu’il dresse de quelques politiciens français encensés en leur temps. Disons qu’il les replace dans leur inanité au regard de l’histoire.

  • Chirac : « Pour lui, les mots n’ont guère de sens » p.32. Démagogique, il a une « affectivité profuse sur l’instant » p.33 – ce pourquoi les Français l’aiment – mais « il ne sait quoi penser » p.35 et surtout, « il s’en fout ».
  • Giscard : « Son œil de colin froid » p.40 montre qu’il « appartenait à un autre monde, le monde anglo-saxon » p.42. Ingénieur des âmes, il veut intégrer la France dans une Europe fédérale libérale et atlantiste.
  • Mitterrand : le grand roublard séducteur, créa la performance en incitant Yves Montand à présenter le tournant de la rigueur de 1983 comme un moment positif pour la France. L’émission Vive la crise, en 1984, fait avaler le revirement vers la globalisation libérale : des mesures pour débloquer les capitaux et décider du maintien du franc dans le Système monétaire européen. C’est aussi Mitterrand qui suscite SOS racisme avec BHL, Pierre Bergé et Harlem Désir, en 1984 toujours, pour promouvoir la haine de soi et, par réaction, le Front national – cela afin de déstabiliser la droite. Mitterrand lui-même l’avoue à l’auteur (p.135). « Sous couvert d’antiracisme, SOS racisme sauve le racisme. Fabriquer des racistes pour mieux les dénoncer. Provoquer et nourrir la haine pour s’en repaître » p.110. Villiers n’a pas de mots assez durs pour cette entourloupe politicienne – que la gauche benêt continue d’alimenter aujourd’hui.
  • Sarkozy : « Moi qui le connais bien, je ne crois pas qu’il mente. Il est dans l’instant. Et c’est l’instant qui change. C’est un capteur d’ondes (…) Sur le fond, il ne change pas (…) il est Américain, du ‘parti républicain’, citoyen du monde (…) Il n’a pas de doctrine. Il veut simplement être aimé » p.295.
  • Delors, Camdessus, Lamy, Lagayette, Peyrelevade : tous démocrate-chrétiens « iraient bientôt coloniser les instances internationales (…) partir évangéliser au nom de l’économie œcuménique mondialisée, toutes les nations » p.50.

Il a un jugement sans nuances sur la politique, que je partage. « Je suis entré en politique par effraction. Et j’en suis sorti avec dégoût. Aujourd’hui, je la déteste » – c’est dit dès l’introduction, p.9. Que ceux qui veulent se faire mousser en transformant leurs projets en mensonges se lancent dans l’arène. Pour ma part, et je crois que beaucoup d’électeurs partagent ce point de vue, je n’ai pas besoin d’être élu pour exister. S’il faut des candidats qui se dévouent, bien peu sont dignes de rester en politique au bout de quelques mandats…

  • En cause le politiquement correct du « tribunal médiatique », analogue au « tribunal révolutionnaire » sous la Terreur. « C’est le journaliste insinuateur qui distribue les bons et les mauvais points » p.16 Ivan Levaï « le malveillant » le lui a démontré lors d’une Heure de vérité en 1992. Les médias, qui veulent se faire bien voir du Mainstream, en rajoutent dans la moraline. La centralisation parisienne des médias comme la concentration des holdings accentuent ce phénomène. Ils en rajoutent aussi dans le divertissement consumériste, ainsi Le Lay de TF1 avouera sans nuance qu’il s’agit de vendre du temps de cerveau disponible pour les publicités Coca Cola. « Ce n’est pas ce qu’on dit qui compte. C’est l’impression qu’on produit » p.192. Philippe de Villiers montre comment, avec le milliardaire Jimmy Goldschmidt, il a berné les médias en commandant des sondages tout en spéculant sur l’action TF1 – afin d’avoir de l’antenne et de la notoriété. Si vous payez les sondeurs, ils vous considèrent vous donnent les quelques pourcents dans l’épaisseur du trait. Sinon, rien.
  • En cause aussi la construction européenne, qui est une déconstruction : « Le but n’est pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec le politique » p.159. Passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses. Claude Cheysson lui avoue (p.157), l’UE est « le système de l’engrenage », on ne peut jamais reculer. Ce pourquoi le traité de Maastricht apparaît comme « un changement de régime. Le passage de la démocratie à l’oligarchie » p.156.

Député européen, Philippe de Villiers a vu les lobbyistes en action à Bruxelles. Ils servent les intérêts privés et les politiciens sont bien peu immunisés contre leurs tentations (visites, spectacles, restaurants, notes argumentées, amendements tout rédigés…). « Derrière chaque vote, il y a un lobby » p.199. Ces auxiliaires législatifs dicteraient 75% des normes européennes, remplaçant le gouvernement (politique) par la gouvernance (administration). « À Bruxelles, l’essentiel de ce qui se fait ne se voit pas » p.200. Opacité des procédures et faible contrôle démocratique livrent l’Union européenne aux industriels et aux idéologies. Pour un quart, les députés seraient membres de l’intergroupe LGBT (lesbiens-gais-bi-trans) – en quoi cela sert-il la politique ? L’Europe dépossède : « la grande aliénation, la grande dépossession, la grande infiltration » p.205, énonce Villiers.

Remembrement et agrochimie tuent la terre et le travail bien fait. « On a tué les métiers indépendants : le paysan avec la mondialisation des marchés, l’artisan avec les délocalisations, le commerçant avec la grande distribution, les pêcheurs avec les bateaux racleurs de fond qui viennent de Corée ou du Japon sur nos côtes » p.104. Où l’auteur attrape tout et ajoute au péril de mondialisation le vieux péril jaune de son enfance… Mais il n’a pas tort lorsqu’il dit que la perte d’indépendance dans le travail conduit à la perte de l’indépendance d’esprit : Karl Marx l’a décrit sous le terme « d’aliénation ». La réflexion, la durée et l’application sont remplacée par le mobile, le provisoire et le futile.

Mais Philippe de Villiers vise plus haut. Il porte un jugement sur l’époque postmoderne, devenue insensiblement post-démocratique par dessaisissement de la politique par l’administration et la bureaucratie. L’ENA, l’Union européenne et l’euro sont, pour Villiers, des démons qui, sous la beauté du diable, ensorcellent les pauvres âmes pour les lier aux lobbies industriels et financiers – eux-mêmes inféodés à Satan lui-même : l’Amérique toute-puissante via l’OTAN (p.335). Théorie du Complot ? Presque… Ce qu’il décrit n’est pas faux, les conclusions qu’il en tire sont biaisées.

Ainsi fait-il un lien entre la béatification à Rome de Marie-Louise Trichet, morte en 1759, et son vague descendant Jean-Claude Trichet, à l’époque président de la Banque centrale européenne. « Nous sommes devant un phénomène s’apparentant à la religion : le salut par l’euro, la rédemption des nationalismes coupables, l’accès, par la monnaie unique, à la fraternité universelle. On ne raisonne plus, on accomplit » p.239. Certains hauts-fonctionnaires sont peut-être des niais spirituels, justifiant de façon cucul leurs décisions économiques, mais la ménagère sait bien ce qu’elle a dans son porte-monnaie. L’euro a été une chance pour les Français : ce n’est pas la faute de la monnaie unique si les gouvernants n’osent jamais toucher aux empilements administratifs d’instances et de codes qui handicapent l’emploi. L’euro est bon aux Hollandais, aux Belges, aux Italiens – pourquoi pas aux Français ? Il ne faut pas confondre la température avec le thermomètre. Ce pourquoi le projet Le Pen (soutenu par Villiers) de sortir de l’euro ne suscite pas l’adhésion enthousiaste !

Pour sa réflexion de haut vol, Philippe de Villiers en appelle à Alexandre Soljenitsyne, qu’il a reçu dans sa propriété de Vendée. Il fait du dissident russe le « mythe universel de la conscience dressée » p.76. Le lecteur apprend d’ailleurs combien les Vendéens étaient cités en exemple de Terreur réussie par Lénine, au début de la révolution. Vendéens comme dissidents sont une insurrection contre l’Idéologie, mythe que le vicomte reprend à son compte.

« Vendéen de père lorrain et de mère catalane » p.54, Philippe de Villiers vante sa réalisation du Puy-du-Fou, « l’anti-Disney » où « le rêve consumériste fait place au rêve historique » p.55. Volontiers libertaire, version féodale, il n’hésite pas à comparer sa gestion à l’autogestion de type yougoslave vantée par la Deuxième gauche des années 1970. « Pas de subventions, pas de dividendes, c’était un capitalisme sans capitaux, une création sans marketing, où l’on n’y développait pas la culture du profit, il n’y avait pas de droits d’auteurs et tous les bénéfices étaient réinvestis » p.52. Aversion catholique contre l’argent, aversion de caste nobiliaire contre la production – puisqu’il suffit de naître.

Il oppose cette culture enracinée au chaos post-68 globalisé où la « génération morale » prône le droit « à la différence » pour promouvoir un multiculturalisme militant où tout vaut tout – afin d’en finir avec « la tradition assimilatrice de la France ». Dans les années 70, on dénonce la France collabo pour susciter la « honte d’être Français », ce qui « tue l’espoir ». « Mai 68 fut le berceau de la nouvelle société bourgeoise (…) agents actifs ou idiots utiles d’un nouveau capitalisme » p.87. Ni frontières, ni limites, seul compte le « marché du désir » : tout est monnayable, la consommation infinie comme le désir ; tout est interchangeable, jouir est se dépenser – donc un devoir (Pierre Bergé) – ce qui dispense de penser. « État post névrotique, désinhibé », cerveau disponible.

« Peu à peu, le patriotisme allait devenir une pathologie, la frontière une déviance, la nation une mare aux diables xénophobes » p.67. Les élites ont trahi. L’anticolonialiste Georges Boudarel, devenu tortionnaire par idéalisme gauchiste auprès du Viet Minh sous le nom de Dai Ding, est reconnu en 1991 au Sénat où il représente le CNRS, sa trahison amnistiée, ses « droits » universitaires rétablis, son nom blanchi… Et toutes les belles âmes de gauche – sauf Lionel Jospin – de soutenir ce suppôt du « camp progressiste » qui a torturé des Français pour le bien de l’Humanité !

Contre la « maladie du vide » (Soljenitsyne, cité p.340), Philippe de Villiers appelle à remettre l’esprit au-dessus de la matière – de façon bien chrétienne et platonicienne. Identité est souveraineté, dit-il face à Poutine, qu’il admire.

Peuple sain enraciné contre élites corrompues et nomades, spiritualité de tradition (donc catholique) contre les nouveaux immigrés (donc islamistes), glorification de la vie contre l’agrochimie, l’avortement et le dénigrement de soi – il y a de tout chez Villiers. Un tout qui forme une constellation en forme de droite légitimiste : terroir, régions, corps intermédiaires, souveraineté, la nation en corps organique. Ne manque qu’un roi pour l’incarner, un non politicien pas obligé d’être élu… Mais revenir avant 1789 est-il un idéal ?

Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, 2015, Albin Michel, 348 pages, €21.50
Format Kindle €14.99

Catégories : Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Un mineur est-il incapable ?

Les mineurs sont les citoyens qui n’ont pas atteint leurs 18 ans – sauf émancipation, possible dès 16 ans. Mais la loi donne des responsabilités selon l’âge du mineur. Être mineur n’est pas un état fixé sans nuances mais un devenir majeur au fil des années.

7 ans, selon « son degré de maturité » art. 371 du Code Civil, l’enfant peut s’exprimer dans une procédure le concernant, porter plainte ou être entendu par un juge, donner son avis sur une famille d’adoption s’il est orphelin, consentir aux actes médicaux.

10 ans, possibilité d’être mis en garde à vue dans les locaux de police 12 h maximum prolongeable une fois, condamnation à des sanctions éducatives, interdiction de paraître en certains lieux ou de rencontrer certaines personnes, obligation d’accomplir une activité d’aide ou de réparation.

12 ans, ouverture d’un Livret jeune en banque et droit d’y déposer des sommes sans intervention du représentant légal (Art. L221-24 Code monétaire et financier). Dès leur puberté, les enfants ayant entre garçons ou filles de leur âge des relations sexuelles consenties, ne sont pas condamnés par la loi ; ils ne le sont qu’en cas de viol ou de violence, devant les tribunaux pour mineurs (où ils ne pourront avoir au maximum que la moitié de la peine d’un majeur).

garcon torse nu fille aux epaules

13 ans pour choisir de vivre avec l’un de ses parents en cas de divorce, modifier sa nationalité s’il réside en France depuis l’âge de 8 ans, ouvrir un compte Facebook, subir une condamnation pénale (mais par des tribunaux spécialisés), subir un mandat d’arrêt européen, être incarcéré dans une prison pour enfant, droit de s’opposer au changement de son nom, de s’inscrire sur le fichier automatisé pour refuser qu’un prélèvement d’organes soit opéré sur son corps après la mort.

14 ans, droit de travailler pendant la moitié des vacances scolaires, d’être apprenti junior, droit de conduire un cyclomoteur après avoir passé un Brevet de sécurité routière. A 14 ans ½ possibilité de suivre la formation préalable délivrée par une fédération départementale de la chasse en vue de l’autorisation de chasser accompagné.

15 ans pour avoir légalement des relations sexuelles consenties, homo ou hétérosexuelles (sauf avec une personne ayant autorité sur lui) – mais le viol d’un mineur de 15 ans ou sa corruption ont des peines majorées. La mineure de 15 ans peut recourir aux méthodes contraceptives (pilule, avortement) même sans consentement des parents, demander la convocation du conseil de famille et assister aux séances, admissibilité aux épreuves du Brevet de base de pilotage d’avion, aux épreuves théoriques de l’examen préalable au Permis de chasse.

ados amoureux

16 ans pour travailler, ouvrir un compte en banque, disposer d’un carnet de chèque et d’une carte à retraits limités, adhérer à un syndicat professionnel, créer une association, créer et gérer une société (avec autorisation des parents) ou être associé (sans autorisation) d’une S.A.R.L. ou d’une société anonyme – mais pas d’être commerçant avant 18 ans. Il a le droit à demander une imposition séparée, disposer par testament de la moitié de ses biens. Il peut reconnaître un enfant naturel, a le droit de passer le permis de chasse et le permis de conduire A1, le droit de conduire accompagné (depuis 2014), de demander sans autorisation des parents l’acquisition ou la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité, demander la francisation de son nom. Âge minimal pour être émancipé par décision de justice. Il peut être jugé par une cour d’assises spéciale en cas de crime. Dans certains pays (mais pas en France), droit de voter comme citoyen, droit de conduire un véhicule automobile.

17 ans pour s’engager dans l’armée, droit de répudier la nationalité française si un seul parent étranger.

majorite en france tableau

Ce n’est qu’à 18 ans révolus que l’on est considéré en France comme « majeur », avec tous les droits (et les responsabilités) y afférent.

Cette modernité est due au président Giscard d’Estaing, qui a abaissé l’âge de la majorité en 1974, restée figée depuis 1792 à 21 ans. Sous l’’Ancien régime, auquel certains partis de droite aimeraient revenir, la majorité n’était atteinte qu’à 25 ans – congelée depuis le droit romain ! En contrepartie (soupape sexuelle à l’ordre social ?) jusqu’en 1792 les filles pouvaient se marier dès 12 ans et les garçons dès 14 ans…

Catégories : Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

La crise à Tahiti

Pas facile pour la police d’arrêter ces « banquiers » du Kikiriri clandestin ! C’est l’équivalent du bonneteau en France. Ici à Papeete, c’est autour du marché que cela se passe. Des guetteurs et des siffleurs permettent au banquier de plier bagage en quatrième vitesse à la vue des policiers. Un coup de chance, et voilà le banquier interpellé. Celui-ci était porteur de 300 000 FCP, sa voiture toute neuve servait à camoufler les joueurs. En fouillant un peu plus, les policiers ont découvert que son compte en banque était rebondi, à sept chiffres, que son activité illégale lui rapportait gros, et… qu’il bénéficiait du Régime de solidarité territorial (RST). Son beau véhicule a été saisi ! C’est vraiment pas de bol pour un début d’année.

Chaque jour plus nombreux, ces petits étals des bords de route fleurissent partout. C’étaient surtout des poissons et fruits que les gens proposaient aux automobilistes, auxquels se sont joints des ventes de légumes de son fa’apu, des ukulele, de plats préparés, des firifiri (beignets) à 250 FCP le paquet, des mangues envoyées par les familles des îles, du pua rôti (cochon grillé), des mape chauds (châtaignes tahitiennes), des cocos glacés, etc. Ceux qui ont perdu leur travail, ceux qui souhaitent un complément de revenu, tout le monde (sans patente) devient commerçant pour quelques heures, certains tous les jours de semaine, d’autres seulement le dimanche. Pour améliorer le quotidien de la famille il ne suffit pas de se nourrir avec une modeste pension de retraite. Les vendeurs ambulants sont de plus en plus nombreux. Certaines personnes ont compris que rester assis sur sa chaise en attendant mieux n’est vraiment pas la solution. C’est une conséquence de la crise qui frappe le fenua. Même si ces ventes sont illégales, c’est un système pour survivre.

Comme je vous le disais l’autre jour le tourisme bat de l’aile. J’ai bien posé quelques bougies, mais pour le moment ce n’est pas terrible, la réaction positive se fait attendre. L’autre jour au Trou du Souffleur, un touriste kiwi (néo-zélandais) a été emporté par la houle. Pourtant il y a des panneaux d’interdiction… il a désobéi, le Néo, et sous les yeux de sa femme ses enfants et ses amis il a franchi le muret de protection. Heureusement, la mer a goûté et n’a pas aimé, elle a rejeté son corps une centaine de mètres plus loin sur la plage de sable noir. Direction l’hosto. Ouf, pas d’incident diplomatique entre la Nouvelle-Zélande et la France. Les touristes n’ont pas fréquenté les musées de Tahiti et des îles, ni celui de Gauguin. Tout compte fait, il manque 8000 entrées en 2011. La culture fout le camp.

Une éclaircie, The Brando (hôtel en construction à Tetiaroa) devrait ouvrir, mi-2013. The Brando devrait être un hôtel à part, unique en énergie autonome. La climatisation sera assurée grâce à l’eau de mer puisée en profondeur alors que des panneaux solaires et des groupes électrogènes à l’huile de coprah fourniront l’électricité. Bien entendu, la location des 41 villas ne sera pas à la portée de toutes les bourses. L’hôtel devrait employer entre 80 et 90 personnes, une fois ouvert. Combien de personnes postuleront ?

Le Pacifique est une grande poubelle. Le plus vaste océan de notre planète 166 millions de kilomètres carrés a accueilli des centaines d’explosions atomiques, des tonnes de matériel contaminé jetées à la mer à la fermeture des sites, l’eau contaminée de Fukushima relâchée dans l’océan. Deux énormes vortex de détritus plastiques de toutes sortes au nord de l’Océan, essentiellement alimentés par les mégapoles japonaises et californienne dont les matières étranglent les dauphins, étouffent les tortues, empoisonnent les oiseaux marins, se fragmentent sans jamais se biodégrader dont les conséquences sont à ce jour inconnues. Il serait grand temps de respecter l’océan Pacifique.

Hiata de Tahiti

Catégories : Polynésie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Céline et son époque

En 1955, Louis-Ferdinand Céline avait l’œil acéré sur son époque. Il pointait déjà avec humour ce qui deviendrait les dérives de la génération qui venait. Dans ses ‘Entretiens avec le professeur Y’, entièrement rédigés par lui, il se moque de la publicité, des manipulateurs de la jeunesse, et de la fatuité du siècle qui croit que tout commence avec lui. Tout a explosé en vol… sauf la fatuité. Encore un effort, camarades !

Écrire serait un sacerdoce accouché dans la douleur et sans esprit de gagner sa vie ? Céline se fout de la vision romantique du génie méconnu misérable et de l’éditeur mécène, compatissant à la postérité. Il le dit tout cru : Gaston Gallimard, son éditeur, est un commerçant. Dans « le jeu » capitaliste, il faut faire de l’esbrouffe pour exister. Seuls les médias font un livre, le génie à lui seul ne fait pas le succès.

« Il est mécène, c’est entendu, Gaston… mais il est commerçant aussi, Gaston… je voulais pas lui faire de peine… je me suis mis à me rechercher, dare-dare, sans perdre une minute, quelques aptitudes à « jouer le jeu »… pensez, scientifique comme je suis, si j’ai prospecté les abords de ce « jouer le jeu » !… J’ai compris illico presto, et d’un ! avant tout ! que « jouer le jeu », c’était passer à la radio… toutes affaires cessantes !… d’aller y bafouiller ! tant pis ! n’importe quoi !… mais d’y faire bien épeler son nom cent fois ! mille fois !…que vous soyez le « savon grosses bulles »… ou le « rasoir sans lame Gratouillat »… ou « l’écrivain génial Illisy » !… la même sauce ! le même procédé ! et sitôt sorti du micro vous vous faites filmer ! en détail ! filmer votre petite enfance, votre puberté, votre âge mûr, vos moindres avatars… et terminé le film, téléphone !… que tous les journalistes rappliquent !… vous leur expliquez alors pourquoi vous vous êtes fait filmer votre petite enfance, votre puberté, votre âge mûr… qu’ils impriment tout ça, gentiment, puis qu’ils vous rephotographient ! et encore !… et que ça repasse dans cent journaux !… encore !… et encore !… » p.493.

La jeunesse est la proie rêvée du système : naïve, ignare, bienveillante et pleine de bonne volonté énergique, elle est prête à croire à ce qu’on lui dit. Être adulte, c’est adopter les idées de la société dans laquelle on aspire à entrer adulte. Bonheur pour les manipulateurs ! Les maquereaux philosophiques et politiques exploitent sans vergogne cette masse qui bande (donc sourde). Et allez donc ! Les idées sont comme les produits : du prêt à consommer. Abêtir pour mieux dominer. Staline avait piquée le truc à Goebbels qui avait étudié soigneusement le système de l’église catholique – c’est dire si ça ne date pas d’hier.

« J’ai pas d’idées, moi ! aucune ! et je trouve rien de plus vulgaire, de plus commun, de plus dégoûtant que les idées !les bibliothèques en sont pleines ! et les terrasses des cafés !…tous les impuissants regorgent d’idées !… et les philosophes !… c’est leur industrie les idées !… ils esbrouffent la jeunesse avec ! ils la maquereautent !… la jeunesse est prête vous le savez à avaler n’importe quoi… à trouver tout formidââââble ! s’ils l’ont commode donc les maquereaux ! le temps passionné de la jeunesse passe à bander et à se gargariser d’idéaas !… de philosophies, pour mieux dire !… oui, de philosophies, monsieur !… la jeunesse aime l’imposture comme les jeunes chiens aiment les bouts de bois, soi-disant os, qu’on leur balance, qu’ils courent après ! ils se précipitent, ils aboyent, ils perdent leur temps, c’est le principal !… aussi voyez tous les farceurs pas arrêter de faire joujou avec la jeunesse… de lui lancer plein de bouts de bois creux, philosophiques… (…) plus c’est creux, plus la jeunesse avale tout ! bouffe tout ! (…) impatiente, présomptueuse, fainéante… » p.497

La cause première de tout ça ? La fatuité, la vanité, l’histrionisme. Ce siècle croit que tout commence avec lui, que le Progrès (idéalisé) a accouché de la génération la meilleure. L’après-guerre recommence le monde. Beethoven ? Fi ! Heureusement qu’existe son interprète Toscanini sinon que serait Beethoven ? Et Molière sans les metteurs en scène « modernes » ? Et Jeanne d’Arc sans la théâtreuse qui l’enfle pour le public d’aujourd’hui ? Rien n’est vrai, tout est faux, dit Céline. Seule compte l’apparence. Guy Debord pouvait aller se rhabiller avec sa « société du spectacle » : il n’a rien inventé, il a copié Céline. D’ailleurs, Guy Debord existerait-il sans « les farceurs » qui manipulent l’imposture et l’adulent, comme Philippe Sollers ? Qui dénonce la société du spectacle se met en plein dedans…

« Toutes les bourdes sont avalées… empiffrées… redemandées !… du moment qu’elles sont bien poussées !… effrontément !… massivement !… Voltaire l’a dit !… (…) et nous sommes en plein dans l’esprit !… l’esprit du culot atomique !… (…) Toscanini efface Beethoven ! mieux ! il est Beethoven ! il prête son génie à Beethoven !… vingt cabotins recréent Molière !… ils le retranscriptent ! Mlle Pustine joue Jeanne d’Arc… non ! elle est Jeanne d’Arc !… Jeanne d’Arc a jamais existé !… le rôle existait, voilà ! le rôle attendait Pustine !… c’est tout !… (…) le faux triomphe ! la publicité truque, truque, persécute tout ce qui n’est pas faux !… le goût de l’authentique est perdu !… j’insiste ! j’insiste ! observez !… regardez autour de vous !… » p.508

Louis-Ferdinand Céline, Entretien avec le professeur Y, Gallimard Pléiade, Romans IV, 1993, édition Henri Godard, 1598 page, €71.25

Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, Folio, 123 pages, €3.89

Catégories : Livres, Louis-Ferdinand Céline | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,