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Gustave Flaubert, Le candidat

Pour sa première – et heureusement seule ! – pièce de théâtre, ce fut un four (Le sexe faible ne compte pas, elle était la pièce de Louis Bouilhet que Flaubert a terminée par fidélité à son ami). Elle fut retirée en 1874 après quatre représentations. C’est que Gustave est un naturaliste, pas un matamore. Or il faut au théâtre accentuer le trait, forcer la caricature, donner l’illusion – simplifier (d’où le succès du théâtre aujourd’hui dans les collèges). Flaubert exècre l’illusion ; il lui préfère les petits faits vrais.

Le candidat est une comédie sur la politique. Flaubert aurait pu en faire une satire, ce qui était dans son tempérament. Il l’avait commencé dans L’éducation sentimentale avant de poursuivre avec Bouvard et Pécuchet et le fameux Dictionnaire des idées reçues. Hélas ! il ne réussit qu’à être plat. Son candidat est d’accord avec tout le monde – le type même du démagogue qui veut surtout accéder au pouvoir pour les honneurs. Il se dit donc légitimiste devant le comte qui veut le soutenir avant de virer libéral devant l’industriel qui le pousse, de se dire républicain face à son mentor en politique, puis carrément « socialiste » (le pire !) devant les ouvriers venus en populace brailler dans son salon. Cela aurait pu être du plus haut comique… si l’ornière du déjà-vu répétitif ne finissait par lasser.

Rousselin, le candidat, est un bourgeois riche retiré des affaires qui s’ennuie en province ; il se dit que le titre de député ne déparerait pas une carte de visite. Aucune conviction, aucune mission, aucun service : il s’agit seulement de se placer. Le comte de Bouvigny est un aristocrate ruiné par les révolutions, qui est légitimiste par désir surtout de conservatisme social ; il n’est candidat avec « ses » paysans que pour « faire barrage » (comme on dit aujourd’hui) aux affreux révolutionnaires que sont les républicains, les libéraux et les socialistes ou pour « faire pression » sur Rousselin afin qu’il marie sa fille à son fils : rien de positif, seulement une réaction. Gruchet, industriel de filature en mauvaise posture financière, se veut républicain et joue le démagogue avec « ses » ouvriers, mais il ne s’agirait pas d’encourager la chienlit (comme disait le général) : il n’est poussé à la candidature que par Murel qui veut lui aussi « faire pression » sur Rousselin afin qu’il finance son journal – Gruchet se retirera de la candidature après avoir négocié la remise de sa dette auprès de Rousselin. Lequel se retrouve donc au milieu, qu’il prend pour le « juste » milieu (comme disent aujourd’hui les socialistes). S’il est favori, malgré sa peur de ne pas l’emporter, c’est qu’il ne fâche à peu près personne en général, mais seulement certains en particulier – ce qui se négocie avec de l’argent et des honneurs. Il a surtout une fille, Louise, à marier. L’attrait de la fortune et de la position sociale vaut bien pour les adversaires un bulletin de vote…

C’est donc un constant mélange de politique et de famille, de corruption et de maquignonnage, qui se développe autour de Louise. Elle aime Murel, le mentor en politique de son père et principal actionnaire du journal local qui « fait l’opinion » (comme on le croit encore aujourd’hui alors que les gens votent bien souvent pas comme on croit). Mais son père hésite à la donner pour le prestige social au fils du comte, un gandin niais et religieux sans métier, ou à Murel, qui va le faire élire et qui aime la donzelle. Laquelle en pince pour lui bien que son père finisse par la « vendre » au vicomte pour assurer son élection. Quant à Julien le journaliste poète, jeune premier romantique qui aurait pu être sympathique, il n’est qu’un exalté miséreux, qui plus est amoureux d’une femme mûre, l’épouse Rousselin de 38 ans ! L’époque sait bien, avec Balzac, que « La femme de trente ans » connait son acmé et que la suite n’est que progressive ruine. Le spectateur ne peut adhérer à cet amour incohérent et surtout passé de mode.

Non seulement la pièce ne fait pas rire mais elle n’est pas engagée : l’auteur met tous les partis sur le même plan. Certes, l’opportunisme est le principal ressort de la politique, avec les intérêts particuliers et la corruption – encore eût-il fallu le mieux montrer. Une pièce politique qui est apolitique est un comble ! C’est tout régime représentatif qui se trouve ainsi dévalué, les individus étant peints comme des coquins qui ne poursuivent que leurs propres buts égoïstes au détriment de tout « intérêt général » (comme disaient les gens de 1789). Le suffrage « universel » (tout récent à l’époque) se réduit à la foire d’empoigne des petits intérêts qui se négocient en coulisse, les commerçants exigeant les libertés de faire et moins d’impôts, les paysans illettrés tenus par le curé voulant qu’on suive leur comte traditionnel et ses intérêts de caste, les ouvriers livrés à leurs instincts et pulsions restant sans conscience sociale (comme les gilets jaunes et Black blocs d’aujourd’hui).

Des candidats sans envergure et des électeurs sans jugement… n’est-ce pas encore un peu le cas de nos jours ?

Gustave Flaubert, Le candidat, 1873, Livre de poche 2017, 224 pages, €4.10

Gustave Flaubert, Œuvres complètes IV 1863-1874 : Le château des cœurs, l’Education sentimentale 1869, le Sexe faible, le Candidat, La queue de la poire, Vie et travaux du RP Cruchard, Gallimard Pléiade, édition Gisèle Séginger, 2021, 1341 pages, €64.00

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Alexis de Tocqueville

Tocqueville n’est pas reconnu : il a le défaut pour les intellos d’être « libéral ». Horresco referens ! Le libéralisme est devenu une insulte pour tous ceux qui ne pensent qu’en se posant « à gauche », même si les révolutionnaires adulés de 1789 étaient tous libéraux… Le père d’Alexis de Tocqueville, bien qu’aristocrate, a voué pourtant son existence tout entière au service public. Le comte Hervé considérait le service du pays comme une vertu héritée de la noblesse – est-ce une vertu réservée à « la gauche » ? La naissance a laissé la place à l’exigence mais la probité intellectuelle reste toujours plus rigoureuse que celle du commun, au service de l’Etat.

Père occupé, mère repliée sur elle-même, le jeune Alexis Henri Charles Clérel, vicomte de Tocqueville, est né en 1805. Il est élevé par un vieux précepteur, celui-là même qui avait élevé son père orphelin dès 13 ans. « L’abbé Lesueur l’a entouré d’une sollicitude à laquelle il répondait par une profonde affection », dit un biographe d’Alexis. La raison est une étincelle divine dans l’être de chair ; elle exige une discipline pour luire plutôt que d’être mouchée pour ses penchants. C’est ainsi que l’on pratique la vertu lorsqu’on est libéral. Certains pédago-progressistes pourraient en tirer de fructueuses leçons.

Alexis est d’un tempérament « ardent » pour les femmes ; il est amoureux dès 16 ans. Il n’épouse qu’à 30 ans Mary, une anglaise plus âge que lui qui est une figure de mère pour son anxiété d’enfant solitaire, petit dernier de la lignée. Son père l’a appelé auprès de lui à 15 ans pour le sortir de la clôture familiale et l’élever en raison. Il lui donne toute liberté de lire et de lier amitié. « Renfermé dans une sorte de solitude durant les années qui suivent immédiatement l’enfance, livré à une curiosité insatiable qui ne trouvait que les livres d’une grande bibliothèque pour se satisfaire, j’ai entassé pêle-mêle dans mon esprit toutes sortes de notions et d’idées qui d’ordinaire appartiennent plutôt à un autre âge », dit Alexis de lui-même (lettre du 26 février 1887). Ses lectures favorites sont les classiques français du XVIIe, les auteurs antiques, Voltaire et Rousseau, de nombreux récits de voyage et, parmi les contemporains, Chateaubriand.

Il considère qu’en 1830 les Bourbon se sont conduits comme des lâches. Juge auditeur à la Cour de Versailles en 1827 après son droit, le jeune Alexis passe deux mois aux Etats-Unis en 1831, missionné par l’Intérieur pour étudier le système pénitentiaire. Il en sortira un rapport, puis un livre, De la démocratie en Amérique. Il découvre dans les nouveaux Etats-Unis démocratiques les vertus de la classe moyenne, le sérieux et l’obéissance à une morale due à l’emprise de la religion sur les mœurs. Il n’apprécie cependant pas le « pesant » orgueil américain, ni la « rusticité » des manières. La vieille Europe se trouve partagée face aux Etats-Unis. « Contrairement à la France de l’Ancien régime où les classes moyennes voulaient la destruction des privilèges, en Angleterre elles veulent avoir accès aux droits de l’aristocratie. Le fait que cette dernière reste une classe ouverte, aux frontières indécises, fondée sur une richesse accessible, entretient cet espoir des classes moyennes. »

Tocqueville revient à Montesquieu : la république américaine obéit au devoir civique, né de la morale chrétienne. « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité ». La religion – quelle qu’elle soit, y compris sans être divin – a cette vertu d’élever la masse au-dessus de ses petits intérêts personnels. Les Etats-Unis, de la commune jusqu’à l’Etat fédéral, est un ordre organique. Au contraire de la France où l’administration napoléonienne a cassé l’ancien pour rebâtir de zéro. Cette table rase qui a tout centralisé est une forme de despotisme. Tocqueville, en bon libéral dans la lignée de Montesquieu, stigmatise cette « autorité toujours sur pied qui veille à ce que mes plaisirs soient tranquilles, qui vole au-devant de mes pas pour détourner tous les dangers sans même que j’aie besoin d’y songer. » Il dit tout ce qu’a d’étouffant « cette autorité [qui], en même temps qu’elle ôte ainsi les moindres épines de mon passage, est maîtresse absolue de ma liberté et de ma vie, monopolise le mouvement et l’existence à tel point qu’il faille que tout languisse autour d’elle quand elle languit, que tout dorme quand elle dort, que tout périsse quand elle meurt ». Qu’on se souvienne de la période Pétain pour l’écroulement et de la période Chirac pour le gluant sommeil, ou encore du confinement administrativement surveillé, attesté et puni, et l’on verra que Tocqueville était prémonitoire !

Alexis de Tocqueville est surtout réaliste ; il ne voit aucune Raison hégélienne marxiste dans l’Histoire ni aucun déterminisme historique quelconque au régime démocratique. L’homme est pour lui doué de libre-arbitre, éclairé par la raison (au sens français originel de bon sens) pour exercer un choix moral. Une nouvelle aristocratie naît sans cesse de l’intelligence, même si l’on préfère la nommer méritocratie. La figer en statut à vie de fonctionnaire est antinomique avec la démocratie, comme les Etats-Unis l’ont bien compris. La pesanteur de la classe moyenne, qui tient à son confort et répugne à tout changement, comme l’instinct grégaire de toute majorité, volontiers despotique, peuvent entraver le débat démocratique et violer la loi impunément.

Le collectif ne garde jamais son élan initial. Les liens sociaux se détendent à mesure que progresse l’individualisme et que monte la préférence pour les cercles restreints de la famille, des amis et de la tribu, de sa petite région et de sa communauté de travail ou d’origines. A l’Etat anonyme et tutélaire est déléguée la protection de la tranquillité publique, au détriment de tout nouvel arrivant comme de toute idée neuve. Les adaptations sont lentes et les réformes douloureuses, changer ses habitudes répugne à la majorité installée. La maladie politique de la démocratie prend pour noms : versatilité, caprices, démagogie, tyrannie.

Sceptique en ce qui concerne toute croyance, les excès de sacralité et l’appétit de miracles du catholicisme fin de siècle lui répugnent. Tocqueville est chrétien par tradition mais plutôt spiritualiste. S’il croit en Dieu et en la vie future, il ne suit pas les dogmes catholiques. Il accuse la noblesse française de carence ; elle n’a pas su, comme l’anglaise, absorber des hommes nouveaux pour s’adapter aux nouvelles tâches. Lui devient député de la Manche en 1839 pour défendre le libre-échange et l’abolition de l’esclavage rétabli par Napoléon dans les colonies et en Algérie. Il est élu conseiller général en 1842 puis Président du Conseil général en 1849. Il devient membre de l’Assemblée constituante de 1848 dans laquelle il défend l’élection du président au suffrage universel et les contrepouvoirs que sont les deux chambres et la décentralisation régionale.

Là encore, il est en avance sur son temps. Il a vu les dangers du bonapartisme pour le fonctionnement de la France et s’est opposé à Louis-Napoléon, ce pourquoi il est un temps incarcéré à Vincennes. Retiré sur ses terres, il entreprend l’écriture de son second livre célèbre. L’Ancien régime et la Révolution, publié en 1856, montre les dangers du centralisme et de la mobilisation nationale permanente – ces plaies du système politique français. Qui demeurent.

Toujours de santé délicate, Alexis de Tocqueville meurt d’une tuberculose à évolution lente à 54 ans en 1859, sous l’Empire. Il reste le penseur libéral français le plus cultivé et le plus créateur. A ce titre, il mérite d’être lu et relu !

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique – Souvenirs – L’Ancien régime et la Révolution, Laffont Bouquins 2012, 1180 pages, €30.50

Alexis de Tocqueville, Œuvres, Gallimard Pléiade

  • tome 1, 1991, 1744 pages, €69.00
  • tome 2, 1992, 1232 pages, €63.50
  • tome 3, 2004, 1376 pages, €64.00
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Patrimoine et démocratie

Les ricanements ou – plus mal encore – les sous-entendus des journalistes de télé et de radio faussement objectifs à propos de la publication du patrimoine des ministres, est au mieux une envie jalouse, au pire une imbécilité démocratique. Voudriez-vous être gouvernés par des pauvres ?

La pauvreté en soi n’est pas une tare – même si les chances, aujourd’hui dans nos pays démocratiques, sont données à tous, même inégalement. Travailler à l’école au lieu de faire le pitre, apprendre ses leçons au lieu de ne songer qu’à niquer les filles, se former une fois adulte lorsque la rébellion adolescente est passée : tout cela reste possible. Ceux qui ne le font pas n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes. Un niveau de vie décent est atteignable par tous, quels que soient les handicaps de départ.

Si « la richesse » est également une tare, pourquoi alors voter pour les candidats dont le revenu dépasse le salaire moyen d’un Français ? Pourquoi élire ceux dont le patrimoine paraît « indécent » ? Serait-ce que cette fameuse « indécence » est éminemment volatile ? Qu’elle dépend surtout de quel est votre parti ? Au pouvoir, tout est juste – dans l’opposition, c’est inadmissible. Est-ce ça la politique ? Cette vision binaire et bornée des choses ?

Je me réjouis pour ma part que des personnes « riches » (tout est relatif) puissent nous gouverner – homme ou femme (pour l’instant le troisième sexe n’est pas autorisé en France : imaginez la niaiserie d’une écriture « inclusive » avec trois sexes ?) Car le patrimoine acquis AVANT de faire de la politique n’est pas le signe d’un enrichissement sur le dos du contribuable, mais le résultat d’une existence professionnelle réussie. Si Nicolas Hulot fut célèbre et obtient toujours des droits d’auteur sur une émission culte, pourquoi lui en faire grief ? Si Muriel Pénicaud a été reconnue en entreprise au point d’occuper des postes stratégiques, c’est plutôt bon signe sur ses qualités de dirigeante dans le service public, non ? Si la ministre de la culture Françoise Nyssen a hérité d’une maison d’édition prospère, elle en a bien amélioré les ventes, ce qui est très positif pour prouver son dynamisme et sa faculté d’organisation.

Ils sont tout le contraire d’un Mélenchon ou d’un Fillon. Mélenchon politicien de profession depuis quarante ans, stagiaire en usine quelques mois avant d’être pion de collège puis vaguement prof avant de se lancer – définitivement – dans le parasitisme politique. Lui s’est enrichi en revendant sa permanence de député acquise avec les frais de mission du Parlement ! Fillon, de son côté, a fait du népotisme en embauchant femme et enfants, même si c’était légal, sur l’argent du contribuable. N’évoquons même pas Chirac, ni Mitterrand…

Notons aussi que gouverner n’est pas faire la loi ni voter le budget. La marcheuse députée dépitée des 5000 € par mois à elle alloués (hors frais remboursés) qui déclare indécemment « manger pas mal de pâtes et ressortir de vieux vêtements de la cave » montre surtout combien elle est bordélique ; elle laisse un gros doute sur sa capacité à gérer le budget de la nation (rôle historique du Parlement), puisqu’elle ne sait manifestement pas gérer le sien. Elle est tout le contraire de son collègue François de Rugy qui, volontairement, se contente d’un SMIC (même s’il avoue qu’avec deux enfants, c’est un peu juste) !

Si l’on peut légitimement soupçonner députés ou sénateurs de profiter de leur position sans contrepartie démocratique (et même de se laisser tenter, si l’on en croit les lobbies…), le poste de ministre exige des qualités qui sont au-dessus du niveau moyen des élus. Leur patrimoine, en ce cas, est plutôt le signe d’une réussite et un encouragement à les nommer.

Je ne crois pas une seconde que le con moyen puisse gouverner comme il a mené sa chienne de vie. Ce n’est peut-être pas « égalitaire », mais c’est « équitable ». Ceux qui ne comprennent pas chercheront dans le dictionnaire pour une fois dans leur vie : il est fait pour ça. Car le niais en politique, si d’aventure il était nommé ministre (la démagogie peut tout), n’aurait pas la capacité à résister à une administration technocrate qui connait tous les rouages du système et sait empêcher, même passivement, toute tentative de contrecarrer ses vues ; ni ne résisterait aux tentations les lobbies de ci ou de ça qui veulent absolument un décret conforme ou un marché d’Etat. Nous l’avons suffisamment vu sous la IVe République où les ministres ne duraient que le temps d’une rose – c’est-à-dire pas grand-chose.

Être capable, c’est être libre – et être libre c’est non seulement être éduqué mais aussi avoir réussi quelque chose. Ce pourquoi un champion de judo comme ministre ne me choque en rien, même s’il ne connait pas le marigot parisien ni la mare aux crocodiles politiques. Sûr de soi en sa spécialité, il sait prendre du recul. Ce ne serait pas le cas d’un quidam nommé par tirage au sort, proposition utopique faite sous la Révolution et bien vite écartée comme inepte. Le sort peut se justifier entre égaux, or l’égalité réelle n’existe pas en compétences. Tout le monde ne les a pas, ni n’est apte à les acquérir en quelques mois.

Nier tout cela est politiquement dangereux. Quand les rustres sont au pouvoir, cela donne l’URSS sous Staline ou l’Allemagne sous Hitler. Quand l’élite est politique et non méritocratique, cela dessert la démocratie. Les Français l’ont bien jugé lorsqu’ils ont entendu Marine Le Pen « canner » devant Emmanuel Macron lors du débat présidentiel. Ils n’ont surtout pas élu l’incompétente – au contraire. Même s’ils ne sont pas de la même sensibilité politique que le président.

Alors, oui, que des ministres aient un patrimoine, AVANT d’entrer en politique, c’est heureux. Je m’en réjouis pour la France et pour les Français. Seuls les jaloux et les amers d’avoir perdu peuvent raisonnablement dire le contraire.

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Réformer la Ve République ?

Ces institutions, nées à la fois de la déroute de la IIIe sous l’avancée allemande et de l’explosion de la IVe à cause de la crise algérienne, sont une création du général de Gaulle. Elles visent à assurer l’efficacité de l’Exécutif pour les décisions qui divisent, en même temps qu’elles maintiennent le lien démocratique par l’élection directe du président de la République et par l’usage du référendum. Après quatre décennies d’instabilité institutionnelle et de versatilité politicienne des constitutions précédentes (1918-1958), cela fait près de six décennies que l’actuelle fonctionne à peu près bien malgré démission, décès présidentiel, alternance, cohabitation et état d’urgence.

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Pourquoi donc la « réformer » ?

Changer le thermomètre lorsque la température monte ou parce qu’elle ne vous convient pas est un travers politique très français. Surtout à gauche dont la plupart des idéologues n’ont jamais accepté les institutions gaulliennes – mais pas seulement.

Décider exige d’avoir une vision de la France dans le monde, un projet politique pour les Français et de susciter un élan à la fois chez les militants, les électeurs et les parlementaires. Comme tout cela est fatiguant ! Comme il serait préférable de botter en touche, de proclamer « cépamoicélôtre », en associant les députés et les sénateurs, voire même les citoyens à la décision ! Première réforme envisagée : le VRAI référendum d’initiative populaire. Car il existe, mais tellement limité et corseté qu’il est inutilisable. Quant à son utilisation régionale pour l’aéroport breton, tout le monde attend que l’Exécutif fasse… exécuter enfin la décision prise par 55% des voix pour. Or Normal 1er s’en garde bien !

Il est vrai que, selon le mot d’Olivier Duhamel, président de la Fondation nationale des sciences politiques, « les Français sont un vieux peuple plus que monarchique, dont la plupart des cultures politiques et métapolitiques sont des cultures de l’autorité et de la verticalité, qu’il s’agisse de celles de l’Ancien régime, de celle des jacobins, de celle des catholiques, de celles des bonapartistes, de celles des républicains, de celle des staliniens, de celles des gaullistes… » (entretien avec Marcel Gauchet dans Le Débat 191, septembre 2016, p.47). Les socialistes, comme les radicaux et les centristes mais aussi les faux-gaullistes radsoc, sont plutôt de culture parlementaire, moins dans l’autoritarisme et plus dans le compromis et la négociation. Sauf que la société française, écartelée entre partis idéologiques, syndicats dans l’affrontement et les ego démesurés, ne peut fonctionner sans qu’une instance tranche, en dernier ressort. Le retour à la IVe ou à la IIIe République n’est souhaité par personne.

Réformer la présidence ?

Cela a déjà été fait (passage à 5 ans et deux mandats successifs seulement), mais les hommes comptent autant que les institutions : un président qui ne préside pas ne sert pas à grand-chose : voyez le Fout-Rien Chirac (disciple de Queuille) et la « névrose d’hésitation » (O. Duhamel) Hollande. Peut-être pourrions-nous revenir à un mandat assez long de 7 ans, mais unique ? Raymond Barre et René Rémond y étaient favorables. Cela permettrait de distinguer à nouveau la fonction présidentielle (qui est garante) de celle du Premier ministre (qui gouverne), en lieu et place du cafouillage sarkollandais depuis dix ans.

Réformer le Parlement ?

Cela passe peut-être par moins de députés et une dose de proportionnelle pour qu’ils représentent enfin la vraie France éclatée entre partis de gouvernement et partis qui ne veulent surtout pas gouverner. Cela passe peut-être par une réforme du Sénat avec moins de sénateurs et une représentativité un peu plus directe que le vote des grands électeurs.

Cela passe surtout par une navette moins longue entre les assemblées et par une réforme du droit d’amendement – qui devient ridicule quand on en dépose plusieurs milliers sur le même sujet. Certaines démocraties en Europe permettent d’adopter des lois directement en commissions – pourquoi ne pas le tenter ? Avec plus de moyens d’expertise pour les parlementaires : tout le monde y gagnerait, y compris le délai pour les décrets d’application.

Un changement du calendrier électoral est facile à faire : il suffit au président de dissoudre l’Assemblée nationale juste avant les présidentielles. Les députés seraient donc élus sur des programmes de partis avant l’élection du président de la République, redonnant tout son lustre au premier des ministres et à son gouvernement. La France deviendrait alors un peu plus proche des autres régimes parlementaires européens, sans modifier radicalement sa Constitution. Mais ce n’est probablement pas l’Obsédé de la synthèse, actuellement en poste, qui accomplira cette tâche régénératrice.

En fait, à part quelques petites réformes comme indiqué ci-dessus, la Ve République ne demande pas à être changée – elle fonctionne mieux que d’autres, sachant qu’il existe aucun régime parfait : voyez Hillary Clinton, battue malgré ses 2 millions de voix de plus que Donald Trump. Mais la règle est la règle et tout le monde s’y soumet. Renverser la table parce que l’on est battu est une option de mauvais joueur. Justement : faut-il réformer ceux qui vivent de la politique ?

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Réformer les politiciens ?

Ce qui va mal en France est l’effondrement de la gauche, prise entre les changements du monde qu’elle ne sait pas penser et la nouvelle option de bloquer faute de vouloir gouverner. L’islamisme radical et la révolution numérique demandent autre chose que le « socialisme XIXe » à la Mitterrand, le social à outrance Jospin ou les mesurettes branlantes Hollande ! Sans parler des impasses du « mouvement social », des manifs pour rien et des gens qui passent la nuit debout sans que rien n’en sorte.

Les extrémismes Mélenchon-Le Pen n’ont aucun projet – hors de « revenir » au tout-Etat, jacobin ou mussolinien : donc encore plus d’autoritarisme à la Chavez ou Poutine, à la Erdogan ou Trump.

La droite est probablement mieux apte à gérer l’islamisme, rien qu’en réaffirmant ce fait que la France a été longtemps catholique (pas besoin d’avoir la foi, reconnaître la culture suffit) et que ce vieux pays n’est pas les Etats-Unis (affairiste et individualiste). Mais saura-t-elle gérer les bouleversements du travail engendré par le numérique ? A part NKM, il n’y a personne.

A gauche, il y a Macron – s’il est accepté comme homme de gauche par les socialistes… ce qui reste à démontrer.

Laissons donc la Ve République telle qu’elle est, réformons-là à la marge en pesant bien les conséquences (tout le contraire de la légèreté Chirac-Jospin sur le quinquennat !) – ce qui importe avant tout est de PENSER le monde tel qu’il change, donc de proposer des voies d’avenir. Inutile de casser le thermomètre, il faut surtout changer de politiciens.

 

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Marcher sur le feu à Tahiti

Le Heiva bat son plein en été et juste avant l’ouverture des « Fêtes de juillet » c’était le rituel du umu ti organisé par le grand tahu’a Raymond Graffe. Cette marche sur le feu date des temps immémoriaux. Ce rituel purificateur est unique au monde. A l’origine il servait à se prémunir de la disette en faisant cuire des racines de ti (Cordyline terminalis) que l’on conservait ensuite pendant des mois et vérifier le pouvoir des prêtres. Si ceux-ci parvenaient à marcher sur les pierres ardentes, c’est que les dieux et le mana étaient toujours avec eux. Mais, avant de faire marcher les volontaires sur ces pierres, la préparation est colossale et doit être millimétrée.

marcher sur le feu

En voici le déroulement :

  1. Avant la cérémonie le grand prêtre se retire pour effectuer une retraite spirituelle dans la vallée pendant 72 heures. Il jeûne, médite, communie avec les dieux. Ainsi il pourra dompter le feu et permettra aux visiteurs de traverser la fournaise.
  2. Il doit trouver 3 tonnes de bois, 10 m3 de pierres volcaniques ; 200 feuilles de ni’au séchées, 200 troncs de bambous verts.
  3. Il faut creuser une fosse de 8 mètres de long sur 2,50 m de large et 0,50 m de profondeur et la remplir.
  4. Allumer le four le jour venu à une heure précise pour que les pierres soient à la bonne température le soir
  5. Couvrir les braises de pierres volcaniques. La température du four est alors à 4 500 degrés. Sur l’endroit où les visiteurs marcheront, la température varie entre 1 200 et 640 degrés.
  6. La cérémonie débute par des danses incantatoires pour honorer les déesses Hina Nui Te A’ara et Te Vahine Nui Tahura’i.
  7. Le grand prêtre balaye les pierres avec des feuilles de auti sacré.
  8. Les volontaires sont invités à traverser la fournaise. Il ne faut pas avoir bu d’alcool depuis la veille, les femmes qui ont leurs règles ne peuvent pas participer mais elles sont autorisées à regarder la cérémonie.
  9. Une fois qu’on a commencé à marcher sur le feu, interdiction de faire marche arrière.
  10. A la fin du rituel le grand prêtre pose un interdit sur le four et accompagné de sa famille va prendre un bain purificateur dans la mer.

Marcher sur les braises ? L’édito du Tahiti Pacifique ‘Probité impossible à Tahiti’ revient sur l’affaire du député polynésien qui a été condamné le 16 juin à 2 ans de prison avec sursis, 5 ans d’inégibilité et à rembourser 8,8 millions de XPF (environ 74 000 €) pour avoir détourné des fonds publics, des subventions versées à une association fantôme qu’il récupérait par la suite pour, entre autres, aller s’amuser à Las Vegas. A la barre, le député a reconnu l’intégralité des faits qui lui étaient reprochés : « J’ai dérapé » a-t-il reconnu, tout en annonçant que « la politique, c’est pire qu’une machine à laver – et qu’il ne ferait pas appel »

« Mais neuf jours plus tard, il faisait appel. Il trouverait la peine très sévère… »

L’appel est suspensif, le député conserve son mandat, ses émoluments jusqu’au prochain procès !

Ainsi va la vie politique au pays des lagons. A bon entendeur, Salut.

Hiata de Tahiti

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Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu

philippe de villiers le moment est venu de dire ce que j ai vu
Philippe de Villiers est de droite, dans sa version « légitimiste » détectée par René Rémond, cela ne fait aucun doute – et je ne suis pas de son bord. Ce n’est pas une raison pour ne pas le lire car, comme tous les humains intelligents qui réfléchissent sur leur pratique, il énonce quelques vérités bonnes à entendre.

Ce parler-vrai détonne dans une classe politique engluée de moraline et réduite aux 300 mots du politiquement correct que formate l’École nationale d’administration. L’auteur en sort, il sait ce qu’il dit : « ce n’est pas une école, c’est un moule, un laminoir sémantique (…) vous en sortez (…) le cerveau formaté (…) et le cœur vide » p.21. Son livre est donc plaisant à lire, empli de « révélations » et de formules bien frappées. Pas étonnant à ce qu’il soit la meilleure vente des livres politiques 2015 selon les libraires.

Ce qui plaira aux lecteurs avides de confidences people est le portrait qu’il dresse de quelques politiciens français encensés en leur temps. Disons qu’il les replace dans leur inanité au regard de l’histoire.

  • Chirac : « Pour lui, les mots n’ont guère de sens » p.32. Démagogique, il a une « affectivité profuse sur l’instant » p.33 – ce pourquoi les Français l’aiment – mais « il ne sait quoi penser » p.35 et surtout, « il s’en fout ».
  • Giscard : « Son œil de colin froid » p.40 montre qu’il « appartenait à un autre monde, le monde anglo-saxon » p.42. Ingénieur des âmes, il veut intégrer la France dans une Europe fédérale libérale et atlantiste.
  • Mitterrand : le grand roublard séducteur, créa la performance en incitant Yves Montand à présenter le tournant de la rigueur de 1983 comme un moment positif pour la France. L’émission Vive la crise, en 1984, fait avaler le revirement vers la globalisation libérale : des mesures pour débloquer les capitaux et décider du maintien du franc dans le Système monétaire européen. C’est aussi Mitterrand qui suscite SOS racisme avec BHL, Pierre Bergé et Harlem Désir, en 1984 toujours, pour promouvoir la haine de soi et, par réaction, le Front national – cela afin de déstabiliser la droite. Mitterrand lui-même l’avoue à l’auteur (p.135). « Sous couvert d’antiracisme, SOS racisme sauve le racisme. Fabriquer des racistes pour mieux les dénoncer. Provoquer et nourrir la haine pour s’en repaître » p.110. Villiers n’a pas de mots assez durs pour cette entourloupe politicienne – que la gauche benêt continue d’alimenter aujourd’hui.
  • Sarkozy : « Moi qui le connais bien, je ne crois pas qu’il mente. Il est dans l’instant. Et c’est l’instant qui change. C’est un capteur d’ondes (…) Sur le fond, il ne change pas (…) il est Américain, du ‘parti républicain’, citoyen du monde (…) Il n’a pas de doctrine. Il veut simplement être aimé » p.295.
  • Delors, Camdessus, Lamy, Lagayette, Peyrelevade : tous démocrate-chrétiens « iraient bientôt coloniser les instances internationales (…) partir évangéliser au nom de l’économie œcuménique mondialisée, toutes les nations » p.50.

Il a un jugement sans nuances sur la politique, que je partage. « Je suis entré en politique par effraction. Et j’en suis sorti avec dégoût. Aujourd’hui, je la déteste » – c’est dit dès l’introduction, p.9. Que ceux qui veulent se faire mousser en transformant leurs projets en mensonges se lancent dans l’arène. Pour ma part, et je crois que beaucoup d’électeurs partagent ce point de vue, je n’ai pas besoin d’être élu pour exister. S’il faut des candidats qui se dévouent, bien peu sont dignes de rester en politique au bout de quelques mandats…

  • En cause le politiquement correct du « tribunal médiatique », analogue au « tribunal révolutionnaire » sous la Terreur. « C’est le journaliste insinuateur qui distribue les bons et les mauvais points » p.16 Ivan Levaï « le malveillant » le lui a démontré lors d’une Heure de vérité en 1992. Les médias, qui veulent se faire bien voir du Mainstream, en rajoutent dans la moraline. La centralisation parisienne des médias comme la concentration des holdings accentuent ce phénomène. Ils en rajoutent aussi dans le divertissement consumériste, ainsi Le Lay de TF1 avouera sans nuance qu’il s’agit de vendre du temps de cerveau disponible pour les publicités Coca Cola. « Ce n’est pas ce qu’on dit qui compte. C’est l’impression qu’on produit » p.192. Philippe de Villiers montre comment, avec le milliardaire Jimmy Goldschmidt, il a berné les médias en commandant des sondages tout en spéculant sur l’action TF1 – afin d’avoir de l’antenne et de la notoriété. Si vous payez les sondeurs, ils vous considèrent vous donnent les quelques pourcents dans l’épaisseur du trait. Sinon, rien.
  • En cause aussi la construction européenne, qui est une déconstruction : « Le but n’est pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec le politique » p.159. Passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses. Claude Cheysson lui avoue (p.157), l’UE est « le système de l’engrenage », on ne peut jamais reculer. Ce pourquoi le traité de Maastricht apparaît comme « un changement de régime. Le passage de la démocratie à l’oligarchie » p.156.

Député européen, Philippe de Villiers a vu les lobbyistes en action à Bruxelles. Ils servent les intérêts privés et les politiciens sont bien peu immunisés contre leurs tentations (visites, spectacles, restaurants, notes argumentées, amendements tout rédigés…). « Derrière chaque vote, il y a un lobby » p.199. Ces auxiliaires législatifs dicteraient 75% des normes européennes, remplaçant le gouvernement (politique) par la gouvernance (administration). « À Bruxelles, l’essentiel de ce qui se fait ne se voit pas » p.200. Opacité des procédures et faible contrôle démocratique livrent l’Union européenne aux industriels et aux idéologies. Pour un quart, les députés seraient membres de l’intergroupe LGBT (lesbiens-gais-bi-trans) – en quoi cela sert-il la politique ? L’Europe dépossède : « la grande aliénation, la grande dépossession, la grande infiltration » p.205, énonce Villiers.

Remembrement et agrochimie tuent la terre et le travail bien fait. « On a tué les métiers indépendants : le paysan avec la mondialisation des marchés, l’artisan avec les délocalisations, le commerçant avec la grande distribution, les pêcheurs avec les bateaux racleurs de fond qui viennent de Corée ou du Japon sur nos côtes » p.104. Où l’auteur attrape tout et ajoute au péril de mondialisation le vieux péril jaune de son enfance… Mais il n’a pas tort lorsqu’il dit que la perte d’indépendance dans le travail conduit à la perte de l’indépendance d’esprit : Karl Marx l’a décrit sous le terme « d’aliénation ». La réflexion, la durée et l’application sont remplacée par le mobile, le provisoire et le futile.

Mais Philippe de Villiers vise plus haut. Il porte un jugement sur l’époque postmoderne, devenue insensiblement post-démocratique par dessaisissement de la politique par l’administration et la bureaucratie. L’ENA, l’Union européenne et l’euro sont, pour Villiers, des démons qui, sous la beauté du diable, ensorcellent les pauvres âmes pour les lier aux lobbies industriels et financiers – eux-mêmes inféodés à Satan lui-même : l’Amérique toute-puissante via l’OTAN (p.335). Théorie du Complot ? Presque… Ce qu’il décrit n’est pas faux, les conclusions qu’il en tire sont biaisées.

Ainsi fait-il un lien entre la béatification à Rome de Marie-Louise Trichet, morte en 1759, et son vague descendant Jean-Claude Trichet, à l’époque président de la Banque centrale européenne. « Nous sommes devant un phénomène s’apparentant à la religion : le salut par l’euro, la rédemption des nationalismes coupables, l’accès, par la monnaie unique, à la fraternité universelle. On ne raisonne plus, on accomplit » p.239. Certains hauts-fonctionnaires sont peut-être des niais spirituels, justifiant de façon cucul leurs décisions économiques, mais la ménagère sait bien ce qu’elle a dans son porte-monnaie. L’euro a été une chance pour les Français : ce n’est pas la faute de la monnaie unique si les gouvernants n’osent jamais toucher aux empilements administratifs d’instances et de codes qui handicapent l’emploi. L’euro est bon aux Hollandais, aux Belges, aux Italiens – pourquoi pas aux Français ? Il ne faut pas confondre la température avec le thermomètre. Ce pourquoi le projet Le Pen (soutenu par Villiers) de sortir de l’euro ne suscite pas l’adhésion enthousiaste !

Pour sa réflexion de haut vol, Philippe de Villiers en appelle à Alexandre Soljenitsyne, qu’il a reçu dans sa propriété de Vendée. Il fait du dissident russe le « mythe universel de la conscience dressée » p.76. Le lecteur apprend d’ailleurs combien les Vendéens étaient cités en exemple de Terreur réussie par Lénine, au début de la révolution. Vendéens comme dissidents sont une insurrection contre l’Idéologie, mythe que le vicomte reprend à son compte.

« Vendéen de père lorrain et de mère catalane » p.54, Philippe de Villiers vante sa réalisation du Puy-du-Fou, « l’anti-Disney » où « le rêve consumériste fait place au rêve historique » p.55. Volontiers libertaire, version féodale, il n’hésite pas à comparer sa gestion à l’autogestion de type yougoslave vantée par la Deuxième gauche des années 1970. « Pas de subventions, pas de dividendes, c’était un capitalisme sans capitaux, une création sans marketing, où l’on n’y développait pas la culture du profit, il n’y avait pas de droits d’auteurs et tous les bénéfices étaient réinvestis » p.52. Aversion catholique contre l’argent, aversion de caste nobiliaire contre la production – puisqu’il suffit de naître.

Il oppose cette culture enracinée au chaos post-68 globalisé où la « génération morale » prône le droit « à la différence » pour promouvoir un multiculturalisme militant où tout vaut tout – afin d’en finir avec « la tradition assimilatrice de la France ». Dans les années 70, on dénonce la France collabo pour susciter la « honte d’être Français », ce qui « tue l’espoir ». « Mai 68 fut le berceau de la nouvelle société bourgeoise (…) agents actifs ou idiots utiles d’un nouveau capitalisme » p.87. Ni frontières, ni limites, seul compte le « marché du désir » : tout est monnayable, la consommation infinie comme le désir ; tout est interchangeable, jouir est se dépenser – donc un devoir (Pierre Bergé) – ce qui dispense de penser. « État post névrotique, désinhibé », cerveau disponible.

« Peu à peu, le patriotisme allait devenir une pathologie, la frontière une déviance, la nation une mare aux diables xénophobes » p.67. Les élites ont trahi. L’anticolonialiste Georges Boudarel, devenu tortionnaire par idéalisme gauchiste auprès du Viet Minh sous le nom de Dai Ding, est reconnu en 1991 au Sénat où il représente le CNRS, sa trahison amnistiée, ses « droits » universitaires rétablis, son nom blanchi… Et toutes les belles âmes de gauche – sauf Lionel Jospin – de soutenir ce suppôt du « camp progressiste » qui a torturé des Français pour le bien de l’Humanité !

Contre la « maladie du vide » (Soljenitsyne, cité p.340), Philippe de Villiers appelle à remettre l’esprit au-dessus de la matière – de façon bien chrétienne et platonicienne. Identité est souveraineté, dit-il face à Poutine, qu’il admire.

Peuple sain enraciné contre élites corrompues et nomades, spiritualité de tradition (donc catholique) contre les nouveaux immigrés (donc islamistes), glorification de la vie contre l’agrochimie, l’avortement et le dénigrement de soi – il y a de tout chez Villiers. Un tout qui forme une constellation en forme de droite légitimiste : terroir, régions, corps intermédiaires, souveraineté, la nation en corps organique. Ne manque qu’un roi pour l’incarner, un non politicien pas obligé d’être élu… Mais revenir avant 1789 est-il un idéal ?

Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, 2015, Albin Michel, 348 pages, €21.50
Format Kindle €14.99

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Bernard Minier, Le cercle

bernard minier le cercle
Une femme est découverte nue et ligotée dans sa baignoire – noyée. La mise en scène et l’environnement ouvrent de multiples pistes. Nous sommes dans une ville universitaire (imaginaire) du sud-ouest, la région d’enfance de l’auteur. La femme est jeune, belle et indépendante (bandante) et enseigne aux khâgnes du lycée élitiste de la ville. Curieusement, l’un de ses étudiants, à peine 18 ans, est retrouvé camé au bord de sa piscine. Il est le coupable idéal parce que personne n’a rien vu, rien remarqué, coupe du monde de foot oblige.

Sauf que… Tout est plus compliqué qu’il n’y paraît. Claire, la prof noyée, n’avait pas que des amis. Elle collectionnait les hommes dont un certain député du coin, leader montant de son parti. Hugo, le jeune homme camé, était son amant depuis ses 16 ans mais aussi le fils de l’ex-femme du flic qui va mener l’enquête – sur sa requête. Servaz, le flic, a traqué dans un premier volume à succès un tueur en série qui s’est récemment évadé et dont on retrouve la trace dans la région. Qui a donc tué la prof ?

Dans une longue quête ponctuée d’orages à répétition (un peu trop systématiques…), de personnages fuyants qui ne sont ni ce qu’ils paraissent être ni ce dont ils rêvent de devenir, de scènes de violence crue mais réaliste, la vérité se fera jour. Non sans chausse-trappes, rebondissements et castagnes. Si le nombre élevé de personnages, principaux et secondaires, nuit à l’approfondissement psychologique, l’auteur s’y essaie honnêtement. Nous sommes, certes, loin de Simenon ou même de Fred Vargas, mais les acteurs ne sont pas de simples mannequins symboliques.

Le passé est aussi important que le présent pour comprendre les faits – ce qui incite à réévaluer l’histoire et la littérature dans les programmes scolaires, n’en déplaise aux Belkacem et autres socialistes multiculturels mondialisés. L’auteur a été fonctionnaire des Douanes avant de se mettre à écrire – tout comme son héros Servaz est devenu flic après avoir été brillant dans les études littéraires. Être jeune, à Marsac en 2010, ville universitaire où se forme l’élite de demain, qu’est-ce que cela signifie ? Jouir et se camer en mendiant des notes avec son corps ? La société est-elle accueillante à l’avenir de sa jeunesse ? Le consumérisme fait-il bon ménage avec la profondeur culturelle ? La justice est-elle à la hauteur des traumatismes ?

Autant de questions pertinentes – et très actuelles – que les lecteurs plébiscitent manifestement, puisque Bernard Minier est un auteur très vendu en France. Son premier thriller, Glacé, a obtenu le prix Polar au Festival de Cognac 2011, le prix Découverte Polars Pourpres 2012 et le prix de l’Embouchure 2012 de la police de Toulouse.

L’eau qui tombe (avec les pluies violentes et interminables des scènes), l’eau stagnante du lac isolé de barrage (qui sert de décor au cercle des enfants disparus), l’eau vive des rivières ou de la musique de Mahler (qui ponctuent les moments forts), est le leitmotiv inconscient qui sert de cadre à l’histoire. Comme quoi cet élément vital peut être positif ou négatif, inhibant ou vivifiant, selon qu’on l’utilise. Tout comme la culture, ou la justice, ou la société.

Mais ladite société, frivole et inculte, préfère le foot et la bière. L’amour ou la trahison l’indiffèrent, elle laisse chacun faire ce qu’il veut, y compris en politique où les mêmes trahissent et retrahissent sans vergognes, en toute impunité. La société n’a peut-être que ce qu’elle mérite, au fond ?

« Il soupira en songeant que des pays entiers étaient sur le point de s’écrouler, les quatre cavaliers de l’Apocalypse avaient pour nom finance, politique, religion et épuisement des ressources, et ils cravachaient ferme – mais la fourmilière continuait à danser sur le volcan et de se passionner pour des choses aussi insignifiantes que le football. Servaz se dit que le jour où le monde finirait dans un déchaînement de catastrophes climatiques, d’effondrements boursiers, de massacres et d’émeutes, il y aurait des types assez cons pour marquer des buts et d’autres encore plus cons pour se rendre au stade et les encourager » p.103. Si les gens s’enfoot, pourquoi s’en faire à leur place ?

Bernard Minier, Le cercle, 2012, Pocket thriller 2015, 788 pages, €8.40
Site de l’auteur

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Écologie et gauchisme : Eva Sas, Philosophie de l’écologie politique

Eva Sas Philosophie de l ecologie politique
François de Rugy, député, quitte EELV, parti accusé de « sectarisme gauchiste »; Jean-François Placé, sénateur, menace de le faire lui aussi et déplore les petits arrangement arrivistes de Cécile Duflot. L’écologie est-elle un avatar mai 68 du gauchisme pour bobos arrivés ? Un petit livre paru il y a 5 ans y répond…

Économiste sociale au sein d’Europe Écologie Les Verts et député de l’Essonne, Eva Sas tente une synthèse idéologique sur les fondements du parti. C’est intéressant, mais n’englobe au fond que l’écume des choses. Comme si elle avait voulu collecter des idées pratiques, politiquement utilisables dans les débats, plutôt que de replacer l’éco-logie (la science de notre habitat) dans son contexte historique.

Pour elle, tout commence en mai 68. Avant ? – Rien. Après ? – Tout.

Les années 1970 font prendre conscience d’un monde fini (mais Oswald Spengler l’avait dit en 1918 et Paul Valéry en 1919 – Épicure pointait déjà la petitesse de l’homme dans l’univers infini)… Cette génération bobo – Eva Sas est née en 1970 – croit que tout commence avec elle, notamment la philosophie. Elle fait donc de l’écologie politique le bras armé d’une doctrine qui combat l’homme (mâle, car Eva Sas est aussi féministe) comme maître et possesseur de la nature selon Descartes qui reprenait la Bible.

Pour que ces idées soient utilisables, il ne faut pas remonter avant mai 68 (que tout le monde connait) et ajouter les réflexions de l’École de Francfort (Jonas et Habermas) sur la refondation éthique après Auschwitz. Ainsi reste-t-on dans le vent, politiquement correct et tout empli de bonnes intentions.

Rien n’est faux, dans ce qu’expose Eva Sas, tout juste un peu rapide parfois – mais clairement orienté vers l’usage politique. Sa troisième partie sur le « nouveau paradigme » de l’écologie politique est le plus faible du volume. Les parties 1 et 2 méritent la lecture pour recentrer les idées de notre temps sur notre temps : « la pensée 68 contre une société en perte de sens » et « la refondation de l’éthique : retrouver du sens ». Mais comme tout cela est dialectique, hégélien, présenté comme inévitable !… Thèse, antithèse, synthèse – et voilà le paradis retrouvé. Sauf qu’il reste à construire, et que la « pratique » arriviste agressive des Duflot et autres écolos politiques français ne donne vraiment pas envie.

L’écologie serait, selon l’auteur, « forcément de gauche » car le monde limité exige une répartition selon la justice, donc un « besoin de régulation » contre les intérêts forcément égoïstes. Mais en quoi « la gauche » est-elle une catégorie encore pertinente dans le monde clos globalisé ? Justice et régulation sont les maîtres-mots, autre façon de traduire le « surveiller et punir » du soixantuitard Michel Foucault. Certes, la « démocratie participative » chère à Pierre Rosanvallon est préconisée, bien qu’on ne la voie guère en actes dans le parti vert, qui démontre que « l’exigence » écologique se traduit bien souvent dans l’urgence par la coercition.

Selon l’auteur, Mai 68 a été « une émancipation libertaire contre un ordre social figé » (bien qu’issu de ce bouillonnement idéologique, politique et social de la Résistance oublié par l’auteur, dont Stéphane Hessel a rappelé les fondements dans Les Indignés). L’humanisme universaliste réduit l’Homme à l’abstraction d’une norme et évacue les déviants (Michel Foucault) – ce qui n’est pas faux. Il faut reprendre Nietzsche pour établir que toute norme est aliénante, y compris l’universel, et revivifier la force vitale comme vecteur en interactions avec d’autres. Tout cela tire l’écologie vers le vitalisme et l’organicisme contre-révolutionnaire…

D’où le battement inverse « de gauche » : le productivisme privilégie les besoins matériels alors que les besoins affectifs, artistiques et spirituels sont négligés. La consommation est fondée sur l’illusion du désir et la croyance que le nouveau est toujours mieux. Ivan Illich est convoqué pour démontrer que l’homme est esclave de la technique (mais Nietzsche et Heidegger l’avaient dit bien mieux avant lui). La technique induit des monopoles radicaux comme la voiture, qui exige de travailler pour la payer, permet d’habiter loin de son travail pour l’utiliser, exige de partir en vacances avec elle pour la rentabiliser. La technique force à la professionnalisation, donc formate une oligarchie du savoir spécialisé : nul habitant ne peut construire sa maison sans architecte, produire sa propre électricité sans EDF, se soigner sans médecin. Le savoir n’est plus partagé mais délégué à des experts, le vote remplace le débat, l’État-providence réduit la dépendance aux autres et engendre la bureaucratie des comportements. De tout cela il faut se libérer, dit fort justement l’auteur, pour la planète (objectif affiché) et pour réaliser l’utopie du jeune Marx de retrouver sa propre nature (objectif caché).

Rien n’est faux dans l’analyse, tout est biaisé dans la solution : pourquoi faudrait-il (impératif présente comme allant de soi) réaliser Marx ?

La seconde partie oriente plus encore, par Auschwitz et Hiroshima, le sens « à retrouver ». Malgré les progrès du Progrès, la technique et la démocratie, la barbarie reste ancrée en l’homme et la vulnérabilité de la nature est mise au jour (cette vision peut-elle être qualifiée « de gauche » ?). La Raison n’est pas neutre, selon Jürgen Habermas résumé par l’auteur : si la raison objective structure la réalité, la raison subjective sert les intérêts du sujet. D’où le recours à Hans Jonas et à son « Principe responsabilité ». Si le pouvoir humain d’agir s’étend à la planète entière, le pouvoir de prévoir reste faible ; il faut promouvoir une éthique de l’incertitude et le principe de précaution. La responsabilité est le corrélat du pouvoir : n’agis que si ton action est compatible avec la permanence de la vie. La nature aurait un sens, qui est de promouvoir la vie – et la vie serait « bien ». Voilà deux présupposés philosophiques qui ne sont pas discutés par Eva Sas.

Habermas réhabilite la raison vers « l’agir communicationnel » : la condition sens est l’entre-nous, les interstices du dialogue pour une compréhension commune. La vérité n’est pas en soi mais issue d’un consensus, ne sont valides que les actions pour lesquelles tous sont d’accord. Pour réaliser cet accord, la démocratie participative est indispensable, la légitimité est l’espace entre les sujets, pas les arguments pour ou contre ; il faut que chacun sorte de lui-même pour trouver une position au-dessus de tous. Cette utopie où se multiplient les « il faut » est-elle réalisable ? Ne s’agit-il pas plutôt de « convaincre » les réticents par propagande, rhétorique et coup de force de quelques-uns ? Encore une fois, l’usage de cette démocratie participative dans les congrès écolos français ne fait pas envie ! Or la légitimité commence par l’exemple…

La dernière partie, la plus faible, fait sortir le loup du bois : l’ambition écologiste (française) est de produire « un homme nouveau » pour « changer la vie ». Comme Lénine fondé sur Marx, dont Staline a prolongé le caporalisme bureaucratique.

Certes, l’homme multidimensionnel à la Marcuse est vanté ; certes, la liberté est présentée comme fondement de l’autonomie à préserver, qui est maîtrise du rapport à soi et au monde ; certes, la solidarité résulte des interdépendances entre les êtres humains et la nature, elle se construit dans le dévoilement sans fin des déterminismes. Eva Sas parle (comme Marx) de « conditions authentiquement humaines » pour vanter la démocratie participative + le principe responsabilité + la réduction des inégalités. Mais ces injonctions sont assez peu convaincantes, ancrées dans l’abstraction : aucun exemple précis n’est donné de la façon dont cela fonctionne concrètement.

Tout ce livre vise à montrer que l’écologie politique est « naturellement » la pensée d’aujourd’hui, la seule vraie pensée du « progrès » social désormais détaché du progrès économique. Pensée de combat, les notions telles que nature, nature propre de l’homme, vie, vitalisme, humanité authentique, inégalités, déterminismes – ne sont pas définie ni discutées, mais présentées comme allant de soi. Or rien ne va de soi : seule l’exemplarité du parti vert et de ses membres le pourraient. Nous en sommes loin.

Avec ce danger totalitaire du politiquement correct orienté vers le Bien : « C’est ce côté démocratique qui entraîne l’aspect idéologique, parce qu’il faut, pour cimenter les masses, une sorte de corps de croyance commune, donnée par le parti et le chef du parti, et qui caractérise cette espèce de monarchie nouvelle qu’est la monarchie totalitaire », analysait François Furet du communisme.

Un petit livre intéressant – pour savoir comment pensent les écolos idéologues – mais qui laisse insatisfait. On comprend pourquoi, en France, pays où les mots et la pose théâtrale comptent plus que les faits et les actes, l’écologie soit emportée par le gauchisme. Vieux reste métaphysique venu de la Bible et de Hegel…

Eva Sas, Philosophie de l’écologie politique – de 68 à nos jours, 2010, éditions Les petits matins, 134 pages, €12.00

Lire aussi dans ce blog :

Eloi Laurent, Social-écologie
Bourg et Witheside, Vers une démocratie écologique

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Jaurès, mort en 14

Il y a un siècle, juste avant la Grande guerre que célèbre tant François Hollande, dans un monde à jamais finissant, un étudiant inspiré par l’Action française assassinait Jean Jaurès, socialiste emblématique, au café du Croissant, rue Montmartre à Paris. Trois jours plus tard, le nationalisme patriotard envahissait les esprits, la guerre était déclarée et les millions de morts allaient joncher les champs, les bois et les monuments des villages.

jaures et l humanite

Célèbre et méconnu, Auguste Marie Joseph Jean Léon Jaurès était né paysan sous Napoléon III, élevé au méritocratisme républicain avec bourse, entré par ses propres forces à Normale Sup, ce temple de la bourgeoisie parisienne, avant d’entreprendre une carrière d’enseignant Troisième République. On aurait pu rester dans Pagnol, on se retrouve dans Hugo. L’orateur barbu popu, Tartarin tonnant du Tarn, a la générosité naïve de ceux restés près du peuple. Il est élu député républicain. Ce n’est qu’après la grève des mineurs de Carmaux, contre le licenciement d’un ouvrier trop absent du fait de ses fonctions de maire, que Jaurès se révèle socialiste : il n’accepte pas la remise en cause du suffrage universel par les nantis propriétaires.

Saint laïque pour la gauche française, il fonde le Parti socialiste, le journal L’Humanité puis la SFIO. Arrimé à la base, il reprend les idées de Marx non sans les critiquer (notamment le naïf coup de force prôné par le Manifeste), mais il reste avant tout chrétien humaniste, désirant prolonger la marche en avant du Progrès humain dans l’Histoire commencée sous les Juifs de la Bible. Il croit à la république et à l’extension des droits démocratiques de tous contre les égoïsmes des possédants, la puissance de l’argent ou l’arbitraire des institutions (ce pourquoi il a défendu Dreyfus). Sans pour cela ravaler les bourgeois ou les Juifs financiers au rang de cloportes à écraser : « Nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfermer hors de l’humanité ». Les revanchards de la gauche contemporaine devraient méditer cette morale – dont ils ont pourtant plein la bouche.

Si Jaurès reste une icône, c’est qu’il représente ce XIXe siècle qui s’est fini le 2 août 1914.

1. Il a la pureté du socialisme idéaliste, jamais encore compromis avec le pouvoir (et les reniements du vote des pleins pouvoirs à Pétain, l’Algérie c’est la France du ministre Mitterrand et la mobilisation du contingent par Guy Mollet, les trois dévaluations de 1981-82 et les « affaires » du septennat finissant, sans parler du mensonge Cahuzac et des fausses promesses du béat qui nous gouverne).

2. Il a l’esprit critique républicain, formé aux écoles classiques, sans jamais devenir cet « idiot utile » du communiste de parti comme furent Sartre, Aragon, Duras et tant d’autres intellos ou artistes. Au contraire, écrivaient avec Jaurès dans L’Humanité des personnalités originales comme Anatole France et Jules Renard.

3. Il a la naïveté universaliste, au temps où l’Occident croyait encore en sa mission civilisatrice et se voyait comme l’Universel en marche pour l’humanité entière, à la Victor Hugo – temps bien enfui depuis que le « tiers » monde a émergé à marche forcée.

4. Il a le socialisme encore humaniste, avant le national et avant le collectiviste, ces deux mamelles de Marx & Engels tétées par Mussolini et par Lénine, chacun des deux inspirant des épigones bien pires encore (Hitler, Mao, Pol Pot, Kim Jong il). Le socialisme « réalisé » (ainsi qu’on disait en URSS) a plus fait CONTRE le socialisme que le diable capitalisme : dès que les peuples enfermés par le rideau de fer ou de bambou l’ont pu, ils ont très vite voté avec leurs pieds – préférant vivre avec « le diable » que sous la « morale socialiste ».

5. Il a le socialisme démocrate, ancré dans la base ouvrière, celle qui s’est perdue après Mitterrand et que les montebourgeois qui plastronnent insultent de nos jours par leurs rodomontades de communicants, tout dans les mots, rien dans les faits. « A la question toujours plus impérieuse : comment se réalisera le socialisme ? il convient donc de répondre : par la croissance même du prolétariat qui se confond avec lui. C’est la réponse première, essentielle : et quiconque ne l’accepte point dans son vrai sens et dans tout son sens, se met nécessairement lui-même hors de la pensée et de la vie socialistes » (1901, Question de méthode – à Charles Péguy).

jaures assassine paris cafe le croissant

François Hollande, au lieu de « célébrer » la guerre, pourrait utilement redonner du sens à Jaurès : il pointerait combien il reste peu de socialistes en vérité, malgré leur appartenance de circonstance au parti qui distribue les places.

Le socialisme XIXe de Jaurès est mort en 14, le socialisme contraignant de l’URSS est mort en 89, le socialisme jacobin donneur de leçons franco-français est mort en 14 (un siècle après), lors des Municipales et des Européennes… Reste à inventer le nouveau – et probablement sans les socialistes !

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Elisabeth George, Le visage de l’ennemi

Elisabeth George Le visage de l ennemi

Voici un superbe roman policier sur l’hypocrisie qui n’a pas pris une ride. Élisabeth George est américaine, et elle n’a pas son pareil pour disséquer au scalpel la société britannique. L’intrigue est bien menée, les personnages crédibles et leur psychologie fouillée. Comme dans la comédie de mœurs, le ressort est une passion, ici l’hypocrisie.

Hypocrisie des politiciens qui vantent la vertu, la main sur le cœur, et fricotent en coulisse comme tout un chacun ; hypocrisie des femmes qui doivent plus que les hommes accentuer leur comportement si elles veulent émerger ; hypocrisie de la presse à scandale, ébouillantée des frasques qu’elle se fait un malin plaisir à dénoncer quand il s’agit des autres ; hypocrisie des public schools dans lesquelles des adolescents frustrés assouvissent leur sexualité jaillissante comme ils peuvent, sur des élèves de sixième terrorisés, sur des moutons ou sur des filles de village vénales ; hypocrisie des filles-mères qui ne veulent pas s’avouer qu’elles ne savent pas de qui est leur enfant tant sont nombreux les garçons à leur être passés dessus pour 2£ chacun ; hypocrisie des pères dont les rêves deviennent les cauchemars des fils ; hypocrisie sociale du paraître, à tous les étages…

« L’hypocrisie, le seul vice qui passe invisible » dit un vers de Milton, cité en exergue. Parce qu’une fille a fauté à 14 ou 15 ans avec tous les pensionnaires d’une école, parce qu’elle a menti au fils qui est né de ces étreintes, une petite fille va mourir et un petit garçon, encore plus jeune, va subir le même sort.

Ève Bowen est sous-secrétaire d’État et député, elle est arrivée à force de travail au poste qu’elle occupe. « Elle travaillait, elle intriguait, elle planifiait, elle réalisait, elle manipulait, elle luttait, elle défendait des causes, elle condamnait » p.384. Mais sa fille a été pour elle un faire-valoir, un marchepied de son ambition ; elle ne la connaît pas, ne l’écoute pas, la veut comme il se doit, sage image présentable à l’opinion. Elle refuse de prévenir la police quand elle est enlevée, par paranoïa et certitude que tout est complot contre sa réussite.

Dennis Luxford est rédacteur-en-chef d’un torchon de la presse à scandale dont le fond de commerce est la traque aux turpitudes sexuelles des politiciens conservateurs. Justement, on en a retrouvé un au bord d’un parc, la queue dans la bouche d’un prostitué de seize ans. Dennis adore son travail et s’est blindé depuis longtemps contre les sentiments. Sauf que son fils Leo, blond fluet de huit ans, ne répond pas au petit mâle idéal qu’il voudrait avoir : costaud, sportif, battant. Ne serait-ce pas parce que lui-même a eu tout jeune des doutes sur sa virilité ?

Tous vont se voir remis en cause car « les circonstances faisaient voler en éclats leur enveloppe extérieure qui se brisait comme seuls se brisent les rêves d’enfant qu’on porte dans son cœur » p.552. Finalement on se demande si l’auteur, allant au bout de sa logique, ne valorise pas les rebelles sociaux, ceux qui refusent les conventions a priori hypocrites de la vie en commun : « Il freina pour éviter un ado coiffé comme un Mohican avec un anneau dans le téton gauche qui poussait une voiture d’enfant bizarrement recouverte d’un tissu noir ajouré » p.571… Car pour tous les protagonistes, ce sont « autant d’événements à expliquer à la presse. Tu vis dans un monde où seules comptent les apparences, pas la réalité. Je suis idiot de ne pas m’en être rendu compte plus tôt » p.666. Le Chiffre de la Bête a parlé.

L’inspecteur aristocrate Lynley, qui doit épouser Helen qui hésite, et le sergent Havers, grosse laide informe sortie du populo, tout comme le constable Nkata, Jamaïcain post-délinquant, auront fort à faire pour démêler les fils de cette mise en scène compliquées, fondée sur des mensonges sociaux. Pour toute la gamme de nos émotions, et notre bonheur de lecture. Quel père ne fondra pas en lisant la dernière page ?

Élisabeth George, Le visage de l’ennemi (In the Presence of the Enemy), 1996, Pocket juin 2012, 762 pages, €7.98

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Jonathan Coe, Le cercle fermé

Voici la suite de ‘Bienvenue au club’déjà chroniqué sur ce blog. Nous ne sommes plus dans les années 1970 mais au début des années 2000. Les adolescents au lycée, vivant leurs amours et leurs ambitions dans un humour ravageur ont fait place à des adultes mariés, parfois avec enfants. Sont-ils heureux ? Ont-ils réalisé les promesses de l’aube ? C’est tout le sujet de ce second tome.

Doug l’apprenti journaliste dans le bulletin du lycée et fils de syndicaliste, est devenu journaliste politique ; il est marié à Frankie, fille de la haute, dont il a deux fillettes. Et l’on rit lorsque les gamines essayent maladroitement de répéter les injures sorties de la bouche de leur père à l’énoncé d’une mauvaise nouvelle, devant leur mère outrée. Culpepper, sportif et bon élève en concurrence avec Steve le Jamaïcain noir, est devenu homme d’affaires proche du pouvoir ; il a pris une bedaine et un cynisme qu’on ne lui aurait pas deviné. Steve a laissé la physique, où il a échoué en terminale, pour la chimie où il dirige un labo de recherche jusqu’à ce que la quête du profit maximum immédiat le mette sur la paille dans les années Blair. Le pâle Philip a épousé Claire et ils ont un fils, Patrick, 15 ans au début du livre. Mais le couple a divorcé, ayant chacun fait le choix du mauvais conjoint. Philip est toujours resté amoureux de Lois, qui en a épousé un autre, tandis que Claire aurait bien épousé Benjamin.

Benjamin justement, reste le héros du livre, le personnage central autour duquel tout tourne. Nous l’avions quitté éperdument amoureux de Cicely la poison. L’a-t-il épousé comme rêvé ? Point du tout ! Sitôt l’amour fait, Cicely est partie rejoindre sa mère qui officiait sur les planches à New York, et a connu là « sa période gouine ». Benjamin n’a donc pas écrit son grand œuvre, il est devenu expert-comptable. Il a épousé la triste Emily, militante chrétienne. Ils n’ont pas d’enfant, n’étant pas parvenu à en faire. Le lecteur apprendra, au fil des pages, qu’il s’agissait bien d’un blocage psychologique car tant Benjamin qu’Emily en auront un par ailleurs… mais ne dévoilons pas trop l’histoire. L’auteur entremêle les destins de façon qu’une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits. Mais cela donne des coups de théâtre excellents, comme celui qui arrive à Paul sur la fin. L’infernal petit frère des années lycée est resté aussi chieur qu’ado en devenant député travailliste. Il a constitué un club, comme les Anglais aiment tant à s’y distinguer, le Cercle fermé. Ce rassemblement informel d’amis autour d’un projet politique commun est une façon de comploter à l’intérieur du grand parti, afin de se pousser du col. Ne critiquons pas trop les clubs anglais : les Français ont leurs franc-maçonneries, ce qui ne vaut guère mieux.

Outre sa construction originale qui fait retrouver les personnages selon des liens inattendus, outre l’usage réitéré de fragments littéraires divers tels le récit, le journal intime, le courriel, l’un des intérêts multiple de ce gros roman est sociologique. L’auteur porte un regard aigu sur les travers de son époque et de son pays. Plutôt porté à gauche, Jonathan Coe n’en raille cependant pas moins l’égoïsme indifférent des bobos locaux. Telle cette conne, « la conductrice d’un énorme 4×4 vert bouteille – qui semblait fait pour acheminer des vivres sur des routes défoncées entre Mazar-e-Charif et Kaboul plutôt que pour emmener au supermarché, comme cela semblait être le cas, un couple bourgeois avec enfant – klaxonna furieusement en faisant une embardée, portable à la main » p.81. On se demande combien de mains possède cette Shiva démoniaque qui fait tout en même temps en se foutant pas mal des autres.

Mais les hommes ne sont pas mieux traités. Ils emmènent le dimanche leurs enfants petits au square. « La plupart des nounous, apparemment, avaient leur dimanche libre, et les pères pouvaient ainsi profiter de leurs enfants au parc tandis que les mères restaient à la maison pour faire ce qu’elles ne pouvaient pas faire le reste de la semaine pendant que les nounous s’occupaient de leurs enfants. Ce qui signifiait en pratique que les enfants étaient livrés à eux-mêmes, délaissés et confus, tandis que les pères, chargés non seulement de journaux, mais de pintes de café Starbucks ou Coffee Republic, tentaient de faire sur un banc ce qu’ils auraient fait à la maison s’ils en avaient eu la possibilité » p.112.

Car le monde a pris la bougeotte. « Nos parents ont gardé le même boulot pendant quarante ans. Mais maintenant (…) Doug a changé de boulot. Moi, j’ai changé de boulot et de pays. Steve veut changer de boulot, apparemment » p.303. Sauf un : Benjamin le lunaire, jamais remis de l’amour de sa vie pour l’égoïste évanescente Cicely. Il va d’ailleurs la retrouver, juste au moment où il envisageait de se faire moine, mais je ne déflore rien de plus. Sauf que l’on apprend tout sur le miracle du slip, irrésistible dans le premier volume.

Le monde a pris de l’égoïsme aussi. Les manifs syndicales aux portes des usines précises, dans les années 1970, ont laissé place à des manifs pour des abstractions : contre la guerre en Irak ou pour conserver Rover en Grande-Bretagne. Personne ne fait plus attention aux autres, sauf par nostalgie adolescente, et encore. Le joyeux Harding, potache blagueur célèbre au lycée, est devenu un pronazi cynique célibataire et aigri, vivant tout seul dans la campagne en écolo de Hobbes, en guerre contre tous. Les néolibéraux ont pour hantise la promiscuité, ils s’isolent en cercles fermés, en ghetto de résidence, en plages réservées. « Ils emploient leur argent à installer un système de filtrage, à édifier autant de barrières que possible, afin de n’entrer en contact digne de ce nom qu’avec des gens du même type qu’eux, économiquement et culturellement » p.349. Les néotravaillistes se sont acoquinés avec eux, ce qui explique pourquoi Blair a fini par perdre le pouvoir.

Quant au modèle américain, il est celui de la pute. Racoler le client comme on racole sur le trottoir, susciter le désir de consommer sur le schéma de la baise. Munir, anglais d’origine pakistanaise, est outré de voir à la télé les séries de « stars » américaines : « Ces femmes sont dans un endroit public et elles discutent de la meilleure manière de pratiquer une fellation, exactement comme elles parleraient tricot ou cuisine. Et l’une d’elles – celle-là, là-bas ! – vient de reconnaître qu’elle avait couché avec cinq hommes différents en une semaine ! Quel respect, quel respect ces femmes peuvent-elles éprouver pour elles-mêmes, pour leur corps ? (…) Voilà ce que c’est, l’Amérique, aujourd’hui, un pays de dégénérés ! Pas étonnant que le reste du monde se soit mis à les mépriser ! Quelle… quelle probité attendre d’un pays qui se conduit ainsi ? (…) Qui prêche la religion et la morale, mais dont les femmes se comportent comme des putains » p.420. Ce pourquoi Blair, fourvoyé à tort dans la guerre d’Irak avec Bush junior, a fauté, au grand dam de l’auteur qui vote travailliste.

Un bien beau livre qui montre que tout est lié, que l’on n’oublie jamais, que sans cesse les causes produisent leurs effets inattendus. La vie, quoi. Avec d’attachants personnages.

Jonathan Coe, Le cercle fermé (The Closed Circle), 2004, Folio 2009, 551 pages, €7.98 

Le coffret Bienvenue au club + Le cercle fermé, Folio, €15.96 

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