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Normal s’efface, le néant s’ouvre

Monsieur le président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être, maintenant que vous avez le temps…

Vous avez eu raison de renoncer à vous représenter pour à nouveau cinq ans. Personne ne vous désire, tant vous avez mal incarné la fonction régalienne par vos hésitations, votre manque de clarté, votre autorité bafouée sans jamais de conséquences.

Vous avez laissé proliférer les ambitions mesquines et les critiques en l’air des petits egos en mal de médiatique.

Vous avez laissé les Français sur une ambiguïté à la Mitterrand – sauf que n’êtes pas à la hauteur d’un Mitterrand. « Mon ennemi la finance », avez-vous dit, « renégocier le traité européen avec Mme Merkel », avez-vous affirmé, « taxer à 75 % les hauts revenus », et ainsi de suite. Vous n’avez rien fait de tout cela (c’est heureux pour la France), mais vous avez excité les nostalgiques de la gauche archaïque, des frondeurs aux atterrés, qui se présentent désormais en ordre dispersé à la primaire (s’ils sont disciplinés) et directement au premier tour (s’ils se sentent plus gros que le bœuf).

Vous avez promis d’éradiquer le chômage à peu près chaque année depuis 5 ans, en faisant une politique qui est le contraire même de celle qui peut créer de l’emploi : l’augmentation massive des impôts sur les ménages (qui tue la consommation), sur les entreprises (qui dissuade d’investir), les normes tatillonnes votées à grand renfort de surenchère par vos députés en liberté (plus contraignantes que celles de Bruxelles), la nomination purement politicienne d’une Cécile Duflot au logement (qui a fait reculer le marché, donc la construction, donc l’emploi dans le bâtiment sur au moins deux ans)…

Votre social a été remplacé par la technocratie du social, la minable petite « boite à outils » contre le chômage faite de contrats aidés en associations et collectivités (qui n’aboutissent sur rien) et sur des « formations » sans métier au bout (qui ne font que reculer l’inévitable). Ah, vous avez été lyrique sur le mariage gai (qui ne concerne qu’une infime minorité de Français), sur le détricotage des peines planchers (qui ne rendent pas les délinquants plus réfléchis mais les ramènent plus vite dans le trafic et la violence).

Peut-être avez-vous « sauvé la Grèce » que le grand méchant loup Merkel s’apprêtait à croquer, mais est-ce si sûr ? Si la puissante Allemagne a consenti à prêter pour faire durer, n’était-ce pas aussi dans son intérêt ? Vous en Sauveur, faut-il sourire ?

Certes, la gauche a toujours secrété une nouvelle religion en tordant Marx du côté messianique, puis Keynes en prophète de l’État-providence, puis en faisant de l’écologie une prophétie d’apocalypse… Mais avez-vous fait assez la pédagogie de ces illusions aux militants, aux intellos, aux Français ?

Certes, le Parti socialiste s’est réduit à une machinerie pour sélectionner des candidats, abandonnant toute ambition d’être un laboratoire d’idées. Mais n’avez-vous pas été 11 ans durant son Secrétaire général ? Vu son état actuel, on ne peut que frémir en imaginant la France après deux quinquennats de François Hollande.

Donc vous avez bien fait, Monsieur le président, de vous retirer. Vous avez su garder une dignité, laissant les egos et les moralistes se battre entre eux – puisqu’ils savent mieux que vous ce qui est bien pour tout le monde.

francois-hollande-renonce

J’aime la gauche pour son élan et quand elle est en mouvement – ai-je écris il y a quelque temps ; je n’aime pas la gauche morale, figée dans son catéchisme. Ma génération a assez subi les curés, les cocos, les maos, les trotskistes, les profs, les adjudants et les patrons pour subir aujourd’hui l’impérieuse moraline d’un « parti » socialiste. Ce mot de Nietzsche décrit cette glu édifiante qui se croit obligée d’enrober tout discours du miel des Grands mots pour qu’il soit « acceptable » aux adeptes.

D’ailleurs, « la gauche », qu’est-ce que c’est ? Jacques Julliard, son historien, en a caractérisé quatre : libérale, jacobine, collectiviste, libertaire. Vous étiez de son aile droite, en social-libéral – mais si vous l’aviez dit, vous n’auriez jamais été élu par « le peuple de gauche », qui vibre toujours aux grands souvenirs et dénie au présent tout pouvoir de réalité. Votre actuel Premier ministre de même tendance, Manuel Valls, brûle de se présenter : il sera vraisemblablement minoritaire au sein de ce parti explosé qui n’a plus rien de « socialiste » – puisque l’intérêt collectif y est sacrifié à chaque seconde aux petits intérêts privés des egos qui se poussent du col.

La gauche libérale est désormais incarnée par un jeune poulain que vous auriez pu adouber, mais que vous laissez batifoler sans soutien : Emmanuel Macron. Tant pis pour votre image dans l’Histoire – à laquelle vous tenez – puisqu’il va recomposer une gauche non jacobine et encore moins collectiviste hors du parti dont Mitterrand vous avait laissé l’héritage. Libéral mais aussi réformiste (comme Rocard), il a aussi un côté moderne, libertaire, (comme Joseph Proudhon). Il désire comme lui le moins d’État possible parce que la société – la jeunesse – est apte et aspire à se prendre en main à la base.

Tout l’inverse d’un Montebourg volontiers histrion, enflant la voix pour accoucher de quoi ? de promesses ? de réalité reniée ? Tout l’inverse surtout d’un Mélenchon adepte de la bande des quatre principes de la gauche collectiviste : centralisme, autoritarisme, fiscalité, clientélisme.

Quels sont donc les intérêts de classe sous-jacents à ces candidatures ?

  • les fonctionnaires, les urbains et une part des classes moyennes salariées avec Valls ;
  • les jeunes entrepreneurs, les professions libérales et la bourgeoisie de province avec Macron ;
  • les retraités et l’âge mûr nostalgique de l’époque Mitterrand avec Montebourg ;
  • les petit-bourgeois déclassés amers de leurs études qui n’ont servi à rien avec Mélenchon ?

Qui saura entraîner les intérêts divergents de ces groupes sociaux par une idéologie qui transcende ces clivages ? Vous n’avez pas su, trop préoccupé de vos petits jeux tactiques politiciens avec les Taubira, les Duflot, les Batho, les Cahuzac…

Les médias et vos partisans parlent de « sidération » – comme si votre décision était tombée des nues ! C’est qu’ils ne pensent pas par eux-mêmes, qu’ils se contentent de suivre et de hurler les slogans du parti, vos partisans ! « Sidérer : atteint par l’influence maligne des astres », dit le dictionnaire (même racine que sidéral) : combien ils sont loin des réalités, vos socialistes, s’ils se laissent « frapper de stupeur » (sens dérivé de sidérer) par votre décision ! Ne voient-ils pas pourtant que tous les ténors qui se croyaient sont systématiquement dégommés par les urnes ? Duflot, Sarko, Juppé, Copé… Vous-mêmes l’auriez été, probablement. Votre sagesse aura été d’anticiper.

Votre folie aura été de croire que les socialistes, que vous avez dirigés, à qui vous avez demandé votre élection, étaient capables d’intelligence sur le monde actuel et sur les changements inévitables de l’avenir proche. Or ils résistent des quatre fers à tout changement, ces soi-disant « progressistes » ! « Stupeur : engourdissement de l’intelligence et de la sensibilité », dit encore le dictionnaire. Le monde les stupéfait, comme votre décision ; ils sont hors du sens, hors du monde.

Le normal s’efface, le néant s’ouvre, ils ont déjà perdu la partie.

François Hollande sur ce blog

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Écologie et gauchisme : Eva Sas, Philosophie de l’écologie politique

Eva Sas Philosophie de l ecologie politique
François de Rugy, député, quitte EELV, parti accusé de « sectarisme gauchiste »; Jean-François Placé, sénateur, menace de le faire lui aussi et déplore les petits arrangement arrivistes de Cécile Duflot. L’écologie est-elle un avatar mai 68 du gauchisme pour bobos arrivés ? Un petit livre paru il y a 5 ans y répond…

Économiste sociale au sein d’Europe Écologie Les Verts et député de l’Essonne, Eva Sas tente une synthèse idéologique sur les fondements du parti. C’est intéressant, mais n’englobe au fond que l’écume des choses. Comme si elle avait voulu collecter des idées pratiques, politiquement utilisables dans les débats, plutôt que de replacer l’éco-logie (la science de notre habitat) dans son contexte historique.

Pour elle, tout commence en mai 68. Avant ? – Rien. Après ? – Tout.

Les années 1970 font prendre conscience d’un monde fini (mais Oswald Spengler l’avait dit en 1918 et Paul Valéry en 1919 – Épicure pointait déjà la petitesse de l’homme dans l’univers infini)… Cette génération bobo – Eva Sas est née en 1970 – croit que tout commence avec elle, notamment la philosophie. Elle fait donc de l’écologie politique le bras armé d’une doctrine qui combat l’homme (mâle, car Eva Sas est aussi féministe) comme maître et possesseur de la nature selon Descartes qui reprenait la Bible.

Pour que ces idées soient utilisables, il ne faut pas remonter avant mai 68 (que tout le monde connait) et ajouter les réflexions de l’École de Francfort (Jonas et Habermas) sur la refondation éthique après Auschwitz. Ainsi reste-t-on dans le vent, politiquement correct et tout empli de bonnes intentions.

Rien n’est faux, dans ce qu’expose Eva Sas, tout juste un peu rapide parfois – mais clairement orienté vers l’usage politique. Sa troisième partie sur le « nouveau paradigme » de l’écologie politique est le plus faible du volume. Les parties 1 et 2 méritent la lecture pour recentrer les idées de notre temps sur notre temps : « la pensée 68 contre une société en perte de sens » et « la refondation de l’éthique : retrouver du sens ». Mais comme tout cela est dialectique, hégélien, présenté comme inévitable !… Thèse, antithèse, synthèse – et voilà le paradis retrouvé. Sauf qu’il reste à construire, et que la « pratique » arriviste agressive des Duflot et autres écolos politiques français ne donne vraiment pas envie.

L’écologie serait, selon l’auteur, « forcément de gauche » car le monde limité exige une répartition selon la justice, donc un « besoin de régulation » contre les intérêts forcément égoïstes. Mais en quoi « la gauche » est-elle une catégorie encore pertinente dans le monde clos globalisé ? Justice et régulation sont les maîtres-mots, autre façon de traduire le « surveiller et punir » du soixantuitard Michel Foucault. Certes, la « démocratie participative » chère à Pierre Rosanvallon est préconisée, bien qu’on ne la voie guère en actes dans le parti vert, qui démontre que « l’exigence » écologique se traduit bien souvent dans l’urgence par la coercition.

Selon l’auteur, Mai 68 a été « une émancipation libertaire contre un ordre social figé » (bien qu’issu de ce bouillonnement idéologique, politique et social de la Résistance oublié par l’auteur, dont Stéphane Hessel a rappelé les fondements dans Les Indignés). L’humanisme universaliste réduit l’Homme à l’abstraction d’une norme et évacue les déviants (Michel Foucault) – ce qui n’est pas faux. Il faut reprendre Nietzsche pour établir que toute norme est aliénante, y compris l’universel, et revivifier la force vitale comme vecteur en interactions avec d’autres. Tout cela tire l’écologie vers le vitalisme et l’organicisme contre-révolutionnaire…

D’où le battement inverse « de gauche » : le productivisme privilégie les besoins matériels alors que les besoins affectifs, artistiques et spirituels sont négligés. La consommation est fondée sur l’illusion du désir et la croyance que le nouveau est toujours mieux. Ivan Illich est convoqué pour démontrer que l’homme est esclave de la technique (mais Nietzsche et Heidegger l’avaient dit bien mieux avant lui). La technique induit des monopoles radicaux comme la voiture, qui exige de travailler pour la payer, permet d’habiter loin de son travail pour l’utiliser, exige de partir en vacances avec elle pour la rentabiliser. La technique force à la professionnalisation, donc formate une oligarchie du savoir spécialisé : nul habitant ne peut construire sa maison sans architecte, produire sa propre électricité sans EDF, se soigner sans médecin. Le savoir n’est plus partagé mais délégué à des experts, le vote remplace le débat, l’État-providence réduit la dépendance aux autres et engendre la bureaucratie des comportements. De tout cela il faut se libérer, dit fort justement l’auteur, pour la planète (objectif affiché) et pour réaliser l’utopie du jeune Marx de retrouver sa propre nature (objectif caché).

Rien n’est faux dans l’analyse, tout est biaisé dans la solution : pourquoi faudrait-il (impératif présente comme allant de soi) réaliser Marx ?

La seconde partie oriente plus encore, par Auschwitz et Hiroshima, le sens « à retrouver ». Malgré les progrès du Progrès, la technique et la démocratie, la barbarie reste ancrée en l’homme et la vulnérabilité de la nature est mise au jour (cette vision peut-elle être qualifiée « de gauche » ?). La Raison n’est pas neutre, selon Jürgen Habermas résumé par l’auteur : si la raison objective structure la réalité, la raison subjective sert les intérêts du sujet. D’où le recours à Hans Jonas et à son « Principe responsabilité ». Si le pouvoir humain d’agir s’étend à la planète entière, le pouvoir de prévoir reste faible ; il faut promouvoir une éthique de l’incertitude et le principe de précaution. La responsabilité est le corrélat du pouvoir : n’agis que si ton action est compatible avec la permanence de la vie. La nature aurait un sens, qui est de promouvoir la vie – et la vie serait « bien ». Voilà deux présupposés philosophiques qui ne sont pas discutés par Eva Sas.

Habermas réhabilite la raison vers « l’agir communicationnel » : la condition sens est l’entre-nous, les interstices du dialogue pour une compréhension commune. La vérité n’est pas en soi mais issue d’un consensus, ne sont valides que les actions pour lesquelles tous sont d’accord. Pour réaliser cet accord, la démocratie participative est indispensable, la légitimité est l’espace entre les sujets, pas les arguments pour ou contre ; il faut que chacun sorte de lui-même pour trouver une position au-dessus de tous. Cette utopie où se multiplient les « il faut » est-elle réalisable ? Ne s’agit-il pas plutôt de « convaincre » les réticents par propagande, rhétorique et coup de force de quelques-uns ? Encore une fois, l’usage de cette démocratie participative dans les congrès écolos français ne fait pas envie ! Or la légitimité commence par l’exemple…

La dernière partie, la plus faible, fait sortir le loup du bois : l’ambition écologiste (française) est de produire « un homme nouveau » pour « changer la vie ». Comme Lénine fondé sur Marx, dont Staline a prolongé le caporalisme bureaucratique.

Certes, l’homme multidimensionnel à la Marcuse est vanté ; certes, la liberté est présentée comme fondement de l’autonomie à préserver, qui est maîtrise du rapport à soi et au monde ; certes, la solidarité résulte des interdépendances entre les êtres humains et la nature, elle se construit dans le dévoilement sans fin des déterminismes. Eva Sas parle (comme Marx) de « conditions authentiquement humaines » pour vanter la démocratie participative + le principe responsabilité + la réduction des inégalités. Mais ces injonctions sont assez peu convaincantes, ancrées dans l’abstraction : aucun exemple précis n’est donné de la façon dont cela fonctionne concrètement.

Tout ce livre vise à montrer que l’écologie politique est « naturellement » la pensée d’aujourd’hui, la seule vraie pensée du « progrès » social désormais détaché du progrès économique. Pensée de combat, les notions telles que nature, nature propre de l’homme, vie, vitalisme, humanité authentique, inégalités, déterminismes – ne sont pas définie ni discutées, mais présentées comme allant de soi. Or rien ne va de soi : seule l’exemplarité du parti vert et de ses membres le pourraient. Nous en sommes loin.

Avec ce danger totalitaire du politiquement correct orienté vers le Bien : « C’est ce côté démocratique qui entraîne l’aspect idéologique, parce qu’il faut, pour cimenter les masses, une sorte de corps de croyance commune, donnée par le parti et le chef du parti, et qui caractérise cette espèce de monarchie nouvelle qu’est la monarchie totalitaire », analysait François Furet du communisme.

Un petit livre intéressant – pour savoir comment pensent les écolos idéologues – mais qui laisse insatisfait. On comprend pourquoi, en France, pays où les mots et la pose théâtrale comptent plus que les faits et les actes, l’écologie soit emportée par le gauchisme. Vieux reste métaphysique venu de la Bible et de Hegel…

Eva Sas, Philosophie de l’écologie politique – de 68 à nos jours, 2010, éditions Les petits matins, 134 pages, €12.00

Lire aussi dans ce blog :

Eloi Laurent, Social-écologie
Bourg et Witheside, Vers une démocratie écologique

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Moraline socialiste

Balles tragiques à Charlie Hebdo, 12 morts. Les événements de janvier bouleversent les postures politiques, mais l’unanimisme en réaction à la barbarie fanatique ne fait que masquer les clivages. Puisque tout le monde – ou presque – se sent Charlie (sans décider entre « être » et « suivre » dans le slogan « je suis »), faisons vivre ce ton libertin qui, de Molière et Voltaire à Cabu et Wolinski – en passant par Flaubert, Daumier, Desproges et quelques autres – est un trait de la culture française. L’ironie plus que l’humour, la satire politique plus que la dérision : se moquer, c’est considérer l’autre, donc aimer s’affronter à lui civilement – pas le mépriser, encore moins le tuer ! Le véritable mépris se manifeste par la plus complète indifférence : on ne rit jamais de ce qui n’existe pas à nos yeux.

Le rire, disait Bergson, nait du mécanique plaqué sur le vivant. C’est pourquoi tous les sectaires, les croyants ânonnant, ont toujours été la cible privilégiée des humoristes – religion ou pas.

Les événements l’ont prouvé, s’il en était besoin, coexistent deux postures de gauche : celle qui veut agir (au gouvernement mais parfois en région), et celle qui préfère rester dans le confort de l’opposition (« frondeurs » ou intellos sans mission). J’ai déjà parlé des intellos de la gauche bobo ; je parle aujourd’hui des politiciens. Manuel Valls, Premier ministre, a été parfait durant la crise, le ton juste, les mesures choc, l’équilibre du droit. D’autres ministres ont été reconnus et les Français sondés le manifestent sans réticence. Mais d’autres politiciens de gauche, rencognés dans leurs fiefs et jalousant peut-être ce pouvoir auquel ils ne sont pas directement conviés, préfèrent le rappel à la Morale.

Les Grands Principes (évidemment figés une fois pour toutes quelque part entre 1789 et 1917) sont leur Bible et leur Coran. Lorsque j’évoque par exemple des mots tabous comme « épuration ethnique » (réponse à une question d’un blogueur) ou « lobby juif » (institution légitime aux États-Unis) – même si ma conclusion est nuancée – je me vois accusé aussitôt de « blasphème ». Quand vous avez un interlocuteur face à vous, son œil perd de son brillant, son discours devient monocorde, il dérape en pilotage automatique comme ces appareils où il suffit de mettre une pièce pour que sorte encore et toujours la même chanson. Les ténors de la Gauche bien-pensante édictent des fatwas dans les médias pour stigmatiser et déconsidérer ces loups démoniaques (de droite ou « ultra-libéraux » pas moins) qui osent souiller leur onde pure… Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

J’aime la gauche pour son élan et quand elle est en mouvement ; je n’aime pas la gauche morale, figée dans son catéchisme. Ma génération a assez subi les curés, les cocos, les maos et les trotskistes (par ordre d’apparition à l’histoire). Nous subissons aujourd’hui la triste moraline socialiste. Ce mot de Nietzsche décrit cette glu édifiante qui se croit obligée d’enrober tout discours pour qu’il soit « acceptable » aux adeptes. La réalité toute crue ne saurait passer sans cette sauce – analogue au ketchup pour les ados (qui en mettent partout parce qu’ils craignent le vrai goût des choses).

Soyons donc impertinent et osons moquer les travers de ces « vaches sacrées » qui aiment à prendre trop souvent la position du missionnaire et s’affichent en précieuses ridicules.

La fin d’année 2014 a vu les grandes orgues du socialisme tonner sous les voûtes. La Charte des Socialistes pour le Progrès Humain rappelle les élans romantiques louis-philippards des proto-socialistes étrillés ensuite par Marx en termes « scientifiques » et par Lénine en termes « politiques ». La Charte fait ronfler les grands mots, ceux qui ne veulent rien dire et qui servent de réceptacles bien démagogiques à toutes les aspirations et fantasmes : émancipation, démocratie, égalité « réelle », progrès, justice « sociale », primat du politique, collectif. On voit combien la vraie vie fait voler en éclat ces grands principes, lorsque le droit tombe sous les kalachnikovs et combien l’émancipation promise toujours n’arrive pas à avancer sous la pression du victimisme (les assassins seraient de pauvres victimes de la société, la désintégration scolaire n’aurait rien à voir avec l’immigration, le collectif est forcément plus fort que les communautarismes…).

Le romantisme politique (qui a culminé en 1848) est caractérisé par le sens du spectacle (drame, héroïsme, sacrifice), par la sentimentalité et l’éloquence (appel à l’idéal, Lamartine, Hugo), par une insistance misérabiliste (les pauvres, les opprimés, Gavroche, Cosette, Michelet, Eugène Sue), enfin par l’appel ”religieux” (une vision morale étendue à l’univers, des dénonciations au nom de l’Infini, la mystique pédagogique et le Progrès comme justification). Ces thèmes viennent du catholicisme et le socialisme les a récupérés sous Jaurès, Blum et Mitterrand. Ils continuent à courir sous la surface soi-disant « laïque » des socialistes au pouvoir.

En décembre, Martine Aubry dénonce – contre son propre gouvernement qui voudrait desserrer les carcans sur l’emploi – « la promenade du dimanche au centre commercial et l’accumulation de biens de grande consommation ». Elle moralise brutalement, du haut de son impérium moral-socialiste : « Je me suis toujours engagée pour un dimanche réservé à la vie : vie personnelle, vie collective. » C’est oublier que la « vie collective » exige aussi des gens qui travaillent le dimanche : les conducteurs de train pour ne pas prendre sa voiture non-écologique, les cinoches pour projeter des films « culturels », les musées et leurs gardiens asservis à travailler quand les autres se baladent, les boulangers qui font le pain du matin, les marchés où les « producteurs » viennent présenter leurs récoltes, les policiers pour suivre les délinquants et sécuriser les lieux publics…

La consommation moralement acceptable de Martine Aubry apparaît comme celle des bobos urbains. Les autres, les prolos, campagnards ou banlieusards, en sont réduits à l’achat en ligne sur Internet, le dimanche – puisqu’ils travaillent toute la semaine. L’interdit sur le travail du dimanche a-t-il mis depuis des siècles « la culture au cœur de la vie » ? Il y a mis la messe, oui – la culture, non. Cette Culture aubryste serait-elle la nouvelle messe sociale à laquelle tous sont sommés d’assister ? Mieux ne vaudrait-il pas réformer le mammouth du conservatisme scolaire, ou ne pas faire payer (comme dans le Paris Hidalgo-socialiste) les musées de la Ville aux chômeurs, que d’énoncer ce genre de jugement moralisateur sur les activités des gens ? Ils sont censés en socialisme être libres, « émancipés », « égaux », ils font ce qui leur semble bon : de quoi l’État devrait-il se mêler ? La bonne conscience morale de classe est insupportable, édictée par ceux-là mêmes qui se parent de vertu populaire.

selfie nue

Même chose, le même mois, en plus immature. L’insupportable ado de Troisième, Cécile Duflot, pose avec Virginie Lemoine « pour lutter contre l’homophobie ». Est-ce cet « acte » qui va changer les comportements ? Si oui, on attend d’elle un selfie nue devant un HLM contre le mal-logement. Cela ferait encore plus ado et encore plus progressiste, les seins nus étant la transgression des normes bourgeoises qui fait causer dans le poste – et la posture féministe cette révolte anti-mecs qui fait tant jouir les anémiques intellos de gauche. Il est vrai que le bilan-logement du ministère Duflot n’est pas très flatteur… Détourner l’attention par un coup d’éclat ne rehausse pas le niveau de cette politicienne trop avide de célébrité médiatique pour être honnête.

C’est enfin l’ineffable président, François Hollande, qui lors de son « inauguration » de la Cité de l’immigration, a réduit la République à « l’adhésion à un projet commun ». Sans plus. « Parce que depuis 150 ans, la République n’est pas liée aux origines, c’est l’adhésion à un projet commun. » N’avez-vous qu’à venir et adhérer – comme au parti socialiste – pour devenir « français » ou « européen » ? « Vivre en France, c’est une somme de devoirs et de droits » : c’est un peu court, politicien ! On l’a vu juste un peu plus tard… avec les lamentables Kouachi et Coulibaly, « français » de ressentiment qui haïssaient la république, la civilité, la culture, la liberté… On l’a vu plus largement hors Hexagone après le printemps arabe : sans nation, pas de corps politique ni d’État qui fonctionne, pas de régulation organisée des intérêts particuliers mais une simple association d’ayants droit ou de mafias trafiquantes ou cléricales.

Tocqueville l’a bien montré, que Hollande n’a manifestement jamais lu : plus la démocratie avance, plus l’égoïsme croit et plus la solidarité recule. Plus les droits particuliers se multiplient, plus chacun se replie sur ses acquis, au détriment du collectif. C’est bien « de gauche morale » que de vouloir tout et son contraire, afin d’attraper le maximum de gogos dans les filets ! L’incantation au collectif est contradictoire avec les droits pointilleux des ultraminoritaires, l’élan progressiste commun est contradictoire avec les petits narcissismes qui rendent indifférent. Se sent-on français avec la simple « adhésion » par la carte d’identité ? On « adhère » à quoi ? Au système de copains du Moi-président ?

Moi president Hollande exemplaire

Les « racines » sont certes à critiquer et à renouveler pour les garder vivantes, mais ce n’est pas un projet aussi vague à la sauce hollandaise qui va rendre fier d’être français ! Ni donner envie de participer à la démocratie collective. Ni encourager la solidarité ou l’ouverture à l’autre. Il y a une rare maladresse chez Guimauve le conquérant – comme l’appelait Fabius (…avant d’être ministre).

La leçon socialiste apparaît donc comme un catéchisme : obéissez aux commandements ! Or ni le Bien ni le Mal ne sont fixés pour l’éternité (sauf dans la Bible et le Coran), ils dépendent d’une construction historique – variable selon les sociétés. Si les amours entre adolescents du même sexe sont une éducation chez les Baruyas, cela « ne se fait pas » en Europe et est clairement « haram » dans le monde musulman (même si des accommodements avec la réalité sont clairement avérés). Il n’y a pas que l’écologie ou le salafisme à vouloir être « punitifs », le socialisme moral aussi qui condamne les comportements du peuple (consommer le dimanche autre chose que « la » culture reconnue par les bobos), ou les sentiments envers les comportements minoritaires (on peut accepter que deux lesbiennes vivent ensemble, mais pourquoi remettre en question « le mariage », s’interrogent les gens – pour ma part, cela m’est indifférent mais le choc populaire est une réalité).

Nietzsche l’a exposé largement, « la » morale du temps est toujours la morale des Maîtres, de ceux qui dominent. Martine Aubry, Cécile Duflot, François Hollande, édictent « ce qu’il faut penser » – aussi ridicule ou courte-vue que cela puisse paraître. Car il s’agit dans ces trois faits de nier la réalité (acheter le dimanche, le mariage comme sacralité, les conditions réelles pour se sentir français) au profit d’arguments d’autorité qui abêtissent le citoyen, l’électeur, les gens du peuple.

Et ceux qui les profèrent impunément…

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Dans deux ans 2017

Deux ans est court en économie et long en politique. Les tendances à l’œuvre aujourd’hui en économie ne se redresseront pas d’ici deux ans tant la machine productive est comme un tanker, lente à virer. Mais la politique réserve toujours des surprises et tout dépendra d’ici là des candidats en lice à la prochaine présidentielle. Pour le moment, nul n’en sait rien : François Hollande peut renoncer officieusement en raison du chômage (comme il l’a dit un jour – peut-être pour faire diversion), ou être débarqué par la primaire socialiste… Nicolas Sarkozy peut être rattrapé par les affaires, ou être convaincu de laisser la place lors des primaires UMP.

Il est donc trop tôt pour faire des pronostics, les sondages d’intention récents CSA/RTL et Odoxa/Le Parisien ne montrent que des « intentions » virtuelles, pas des raisons impératives. Les électeurs s’adaptent aux sondeurs, ils manifestent plus facilement leur colère ou leur désir lorsque la réponse qu’ils font ne les engage pas. Mettre un bulletin dans l’urne, c’est autre chose !

Mais les tendances sont à observer dès maintenant car les tendances demeurent; elles ont leur inertie. Ce que disent les sondés est qu’ils veulent « changer » : de politique, d’immobilisme réglementaire qui inhibe l’économie, d’égoïsmes corporatistes. En bref changer de méthode, donc de personnel politique. Avec les partisans de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont-Aignan, ce sont près d’un tiers des électeurs qui veulent donner un bon coup de pied dans la fourmilière. Un vrai coup de barre à droite qui contamine tous les partis.

La victoire de Syriza en Grèce et les espoirs de Podemos en Espagne ne se traduisent pas en France par un engouement vers Mélenchon ou Duflot, loin de là ! C’est au contraire tout le corps social français qui glisse un peu plus vers la droite, à l’image des pays du nord plus que des pays du sud. D’autant que Syriza s’est allié à un petit parti, mais d’extrême droite, les Grecs indépendants… La simple comparaison des intentions de vote en France pour François Bayrou (8 à 11%) ou pour Jean-Luc Mélenchon (9 à 11%), comparés à ceux pour Marine Le Pen (29 à 33%) le prouve : le droitisme est populaire, vient du peuple. Duflot apparaît trop ado immature, intello petite-bourgeoise arriviste, pour compter comme alternative dans le débat national, ou même comme « alliée » utile d’une gauche crédible (2 à 3%).

intentions de vote presidentielles 2017 1er tour csa 2015 01

Les effets des attentats contre Charlie-Hebdo recentrent le débat public sur la sécurité, la discipline scolaire et le communautarisme : tout ce qui – par laisser-aller « cool et sympa » – a sapé lentement les valeurs communes au peuple français. Si 4 millions de personnes ont marché pour « la liberté », elles ont aussi marché pour « l’égalité » – laissant la « fraternité » en dernière étape – à ceux seuls qui s’assimilent et veulent vivre comme des Français en France. Semblent désormais passés de mode l’irénisme bobo (tout va bien et tout le monde il est beau… dans nos beaux quartiers), la doxa Bisounours des journaux de centre-gauche qui tortillent du cul et cherchent tous les échappatoires possibles dès qu’il s’agit de faire respecter la loi (considérée comme « anti-hédoniste » voire « colonialiste »), le déni de la plus grande part de la gauche qu’il existe de vrais problèmes avec la seule immigration musulmane (1% de la population en plus à chaque décennie depuis 1990), l’islam comme religion laissée à l’anarchie des capitaux étrangers, les banlieues ghetto où l’école publique constamment démissionne. Le Premier ministre a même parlé « d’apartheid » (trop grand mot mais qui fait prendre conscience par son choc à gauche) pour désigner ces zones où le consensus social veut parquer l’illettrisme des sans-qualifications, les familles trop nombreuses qui ne vivent que d’aides, le chômage qui conduit aux trafics.

Tous les chiffres de la moyenne nationale doivent être multipliés par deux dès que l’on observe les banlieues : deux fois plus de sans-diplômes (dans les 40%), deux fois plus de chômeurs adultes (autour de 25%), deux fois plus de jeunes sans travail ni stage (près de 45%), deux fois plus de condamnations pénales… Dès qu’un jeune veut s’en sortir, il faut qu’il sorte de ces ghettos où est encouragé le non-travail, l’affiliation à une bande, la mise au pas des filles et l’enrichissement délinquant. Gilles Kepel, coordinateur d’une étude sociologique publiée dans Passion française – les voix des cités, s’est vu refuser un compte-rendu du livre par Le Monde, quotidien du politiquement correct : ce que montrait l’étude ne cadrait pas avec le tout-va-bien de la ligne bobo. Gilles Kepel le dénonce lui-même publiquement sur France Culture. Ce temps-là du déni serait-il enfin derrière nous ? S’il ne l’est pas encore dans les têtes intellos, le populo fera irruption violemment dans la réalité politique en votant pour « les méchants ».

integration des etrangers en france 2015 01 odoxa

Le Premier ministre Manuel Valls, conscient de cette tendance, a pris en remorque le Président Hollande pour assurer la fermeté durant la crise. Mais le regain de popularité récemment induit n’est pas durable : outre le chômage, déterminant majeur des votes en général, l’encouragement au communautarisme féministe, gai, lesbien, bi, trans et autres, l’allégeance à la repentance coloniale et pétainiste, la culture scolaire de l’excuse et la victimisation sociale de celles et ceux qui ne manifestent pas un respect particulier pour les codes communs – laissent une trace profonde dans l’esprit des électeurs. Surtout ceux qui ont peu fait d’études – mais qui votent à voix égales. François Hollande est un élève de Mitterrand, en moins habile : il pratique une économie de droite et un affichage de gauche, les mœurs ne coûtant rien au budget – et tant pis si le consensus social s’en trouve fracturé et la société française un peu plus clivée.

Si les Lumières ont rendu libre des appartenances déterminées (génétiques, familiales, éducatives, sociales, tribales, nationales), la gauche bobo réaliène en enfermant chacun dans d’étroites catégories, objet de « droits » particuliers. L’égalité n’est pas respectée, certains sont « plus égaux que les autres » comme le raillait Coluche. Ne saurait-il par exemple y avoir de « racisme » mais tout au plus « un mauvais usage du vocabulaire » lorsque c’est une personne de couleur qui insulte ? Et si cette phrase vous « choque », c’est que vous n’avez pas encore compris que le respect de la loi exige qu’elle soit appliquée également à tout le monde ; seul le juge peut nuancer l’égalité en équité en fonction de circonstances atténuantes. Faut-il reconnaître implicitement le blasphème, bien qu’il ne soit plus dans la loi depuis la Révolution, ni dans les mœurs depuis la séparation de l’Église et de l’État en 1905, si cela choque certaines catégories de victimes du passé ? En ce cas, pourquoi faire la distinction entre le souvenir douloureux de la Shoah et celui de la colonisation ? Y aurait-il des « martyrs » plus égaux que les autres ? Si la moquerie est une référence culturelle bien française, pourquoi ne pas se moquer également du malheur des uns comme de celui des autres ? Y aurait-il des tabous inavoués ? De même, la « liberté d’expression » tant vantée par le pouvoir s’arrête très vite lorsqu’il s’agit du pouvoir… Certains politiciens en vue échappent « naturellement » à la fiscalité commune, ou au respect de la législation électorale ; certains footeux ou mannequins célèbres échappent « évidemment » à l’impôt en vivant fictivement hors sol 6 mois + 1 jour par an (il suffit de composter des billets de TGV sans prendre les trains).

Je sais bien que ces questions ne sont ni politiquement correctes, ni peut-être fondées en droit lorsque l’on examine les cas particuliers – mais j’observe que ce sont celles qui travaillent les moins éduqués et que les intellos comme les politiciens doivent y répondre, avec pédagogie, sous peine d’être disqualifiés dans les urnes. Une partie éclairée de la gauche, emmenée par Manuel Valls, a pris le virage sécuritaire de la fermeté républicaine : n’est-ce pas une prise de conscience brutale de ce que réclament les lepénistes (et la classe populaire) depuis des années ? Alors que Mélenchon et Duflot veulent ouvrir tout grand les frontières, on voit très bien que les électeurs ne veulent pas les suivre.

L’avantage de François Hollande en 2017 sera qu’il aura effectué un mandat et pourra (peut-être) plaider pour la réalisation de son programme initial, qui prend plus de temps que prévu : après l’austérité (nécessaire), les progrès sociaux (en second mandat). Son handicap est qu’il utilise le mensonge trop souvent pour être cru encore (+ 572 500 chômeurs depuis son arrivée au pouvoir en mai 2012…), que sa vie privée est plus chaotique que celle qu’il reprochait à son prédécesseur, que nombre de femmes ne lui pardonneront jamais d’avoir largué Trierweiler par un simple « communiqué de l’Élysée », et que sa personnalité offre une image inconsistante, entre hésitations permanentes et synthèse par dépit, ce qui mécontente tout le monde. En témoigne son « score » virtuel CSA/Le Parisien : 51% contre Marine Le Pen… soit l’épaisseur du trait (ou deux fois la marge d’erreur).

L’inconvénient de Nicolas Sarkozy est qu’il a été président et qu’il n’a pas convaincu, faute de réaliser les réformes indispensables ou promises, et que sa personnalité touche-à-tout et agitée agace encore deux ans après – sans parler de quelques « affaires » toujours en cours… Son avantage est qu’il a été déjà président et qu’il peut aisément convaincre qu’il avait raison, en 2012, d’avoir droitisé son discours, et qu’il ne refera pas l’erreur de temporiser sur les réformes de fond. Grand débateur et apte à rallier derrière lui (ce qu’il doit encore prouver), il peut tailler des croupières à la gauche… mais peut-être pas aux lepénistes. Dans le Doubs, abstient-toi ! pourrait être la redoutable leçon des tendances à l’œuvre. Surtout que son parti vient de désavouer sa ligne non-peut-être par la ligne traditionnelle ni-ni : ne fait pas « la synthèse » qui veut…

Alain Juppé commence à prendre de l’âge et, s’il est rassurant, il est aussi perçu comme rigide – sans vrai programme pour le moment et un peu du passé. C’est le cas aussi pour Martine Aubry, qui irait si Hollande n’y va pas, mais qui est bien « rigide » et bien « de gauche ancienne mode » pour un électorat qui se pousse progressivement vers la droite.

François Fillon a été fusillé par le machiavélisme hollandais qui a laissé « fuiter » une conversation privée avec l’ineffable Jouyet (toujours entre deux chaises). Mais François Fillon a-t-il vraiment envie d’être président ? Ses prises de bec avec Copé, ses prises de positions floues, tardives ou inexistantes sur les grands sujets qui intéressent les Français, l’ont déjà plus ou moins disqualifié pour le poste.

Manuel Valls et Bruno Le Maire sont encore jeunes pour briguer le mandat suprême. Le premier ne peut se présenter contre son président si celui-ci est candidat – à moins que les primaires n’en décident autrement, ce qui paraît peu probable tant les Français révèrent l’autorité légitime (à l’inverse des Européens du nord). Le second garde une image trop technocrate encore, avec trop peu d’expérience et trop peu d’alliés de poids, même s’il avance dans l’opinion.

Mais d’ici deux ans peuvent se passer beaucoup de choses. L’euro, notamment, n’est plus intangible. Je ne crois guère à un éclatement de la monnaie unique (si la Grèce sort, serait-ce si grave ?). Si l’euro devait chuter encore, contre dollar surtout, il y aurait probablement une reprise de la croissance – mais qui profiterait aux entreprises, les exportatrices d’abord, pas aux ménages. Au contraire, ceux-ci verraient leur facture énergétique augmenter largement (essence et gaz), de même que les entreprises lourdement consommatrices d’énergie (automobile, chimie). L’Allemagne profiterait plus que la France d’un euro faible… D’autant que les prêteurs exigeraient des taux de rémunération plus élevés pour compenser la perte sur l’euro : l’État français, entre autre, ne pourrait plus emprunter à si bon compte et serait obligé de remettre le pied sur le frein des dépenses publiques – ce qui n’arrangerait pas la croissance. La bourse monterait, ce qui accentuerait les inégalités entre les 3.7 millions de Français qui ont quelques actions (contre 8 millions en 2007) et ceux qui restent scotchés au fameux Livret A ou aux contrats d’assurance-vie en euro. Nul doute que ces effets accentueraient les tropismes des votants : anti-Hollande, dubitatifs envers l’UMP, ignorant le centre, et portés aux extrémismes… surtout de droite.

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Eloi Laurent, Social-écologie

L’auteur, économiste à l’OFCE de Science Po, utilise la méthode Fitoussi : la compilation de recherches en économie et sciences sociales pour délivrer un message. Ce qui est une excellente chose, ces recherches étant peu accessibles au commun. Mais le fil conducteur de la compilation est candidement idéologique : montrer que la seule écologie possible est socialiste, qu’on ne peut sauver le monde (et réaliser l’Histoire) qu’en suivant la « raison » sociale-écologique. D’où les deux parties : envisager et gouverner, chacune en deux sous-parties, la 3ème sous-partie du 1 étant une extension d’exemples de la 2ème sous-partie. Nous avons donc, avec ce livre, un objet sociologique pétri de bonnes intentions mais entaché de millénarisme.

La loupe socialiste sur l’écologie

L’écologie devrait être au-dessus des partis puisqu’elle touche l’ensemble de la planète, donc l’existence de tout le monde. Or elle semble prendre la suite de Dieu (eschatologie chrétienne), de la Raison dans l’Histoire (Hegel), puis de la nécessaire réalisation du communisme (Marx réalisé par Lénine et Staline)… La science sociale est utilisée pour démontrer ce ‘dessein intelligent’ qui aboutirait « naturellement » à cet écolo-socialisme sauveur. Évidemment, avec cette loupe, « le capitalisme » n’est pas un système d’efficacité économique mais un égoïsme du profit ; évidemment, le clivage gauche-droite ne saurait être dépassé car les pauvres ont toujours raison dans l’Idée pure, même si tous les êtres vivants sont les victimes ; évidemment, il est nécessaire de « faire payer les riches » tout en assurant une décroissance – comme hier les nobles léguaient leurs biens aux monastères pour assurer leur salut.

Malgré ces aspects déplaisants, noyau idéologique dur enrobé du sucre rose de l’idéologie, ce livre offre quelques pistes qui font réfléchir. Moins sur la « théorie » que sur la gouvernance. La théorie se résume au progrès saint-simonien selon lequel « l’homme construit des institutions pour changer et vie et maîtriser en partie son évolution ». Que l’homme soit social, Locke l’avait dit avant Marx, mais qu’il soit déclaré « socialiste » est un choix personnel à l’auteur. La dérive est affirmée mais non démontrée. Nos sociétés seront-elles plus justes si elles sont plus soutenables ? Ou bien la raréfaction des ressources et la lutte pour les biens exacerbera-t-elle les tensions sociales et individuelles ?

Il semble que – malgré la somme des « recherches » ici filtrées selon le dogme – la seconde l’emporte sur la première ces dix dernières années… Il faut se rendre compte que les sciences sociales sont myopes : elles ne peuvent démonter que ce qui existe déjà, pas anticiper ce qui n’existe pas encore. D’où les soubresauts de la bourse et les crises économiques, que chacun explique parfaitement… une fois qu’elles sont arrivées. La compilation Eloi Laurent porte sur le passé encore riant aux ressources abondantes, aux États-providence, à l’émergence limitée du « tiers » monde. Quant au futur…

L’auteur penche nettement pour le socialisme politique, donc pour la méthode Coué du volontarisme public. Pourquoi pas ? Mais ne pas trop rêver : ce n’est plus l’Occident qui impose sa morale au monde entier, mais le jeu des puissances. Chacune a intérêt à préserver en commun ce monde fini, mais pas au point de renoncer à sa place. D’où les échecs répétés des grand-messes écolo mondiales et des limitations d’émissions universelles. Faut-il attendre la réalisation du communisme sur la planète pour préserver l’environnement ? Certaines affirmations de l’auteur le laissent penser : « les inégalités de revenus et de pouvoir sont une cause fondamentale » des problèmes d’environnement (p.27). Autrement dit, jamais le paradis ne pouvant être atteint ici-bas, l’écolo-socialisme devrait être repoussé aux calendes. Est-ce bien raisonnable ?

Comment évoluer pour la planète ?

D’autres arguments sont plus utiles au débat, penchant volontiers vers Tocqueville plutôt que vers Marx. Pour Elinor Ostrom, il existe un autre chemin que l’alternative simpliste État ou marché pour assurer le développement soutenable : la diversité institutionnelle. Les hommes dans l’histoire ont su inventer d’une façon pragmatique des institutions de coopération. Aujourd’hui, les pays mûrs, éduqués, riches, savent se protéger par des normes antisismiques, antipollution et pro-santé (additifs alimentaires, agence du médicament…). Une société d’individus libres et responsables, à même de former des associations volontaires, est plus proche du libéralisme politique que du socialisme à la française…

Les pays démocratiques sont plus attentifs que les pays autoritaires selon Amartya Sen, car le système démocratique protège du pouvoir excessif des castes naturelles en promouvant les réseaux d’alerte et la pression politique. Et la démocratie n’est certes pas l’apanage du socialisme ! Il suffit de voir comment sont comptabilisés les votes des Congrès du PS, ou protégés les puissants caciques du parti comme Frêche, Guérini ou DSK, ou minimisée la corruption des élus… Certes, le débat démocratique est myope et lent, mais l’alternative à la démocratie est la contrainte. La Chine communiste est-elle plus efficace en matière d’environnement que les pays occidentaux ? On voit bien que non. Pire encore est la Russie… Malgré le rythme court terme des élections, la démocratie permet aux idées de s’exprimer et aux citoyens sensibilisés au durable de se mobiliser. Les débats sont larges et approfondis, permettant la réflexion sur le temps long, par-delà les élections courtes. L’action est flexible car l’information et libre et la politique ne dépend pas de bureaucraties centralisées.

La décroissance n’est qu’un slogan pour faire peur, pas un objectif de soutenabilité : « Le développement économique n’est pas néfaste ou bénéfique en soi : son effet écologique dépend du niveau des inégalités et du niveau d’exigence démocratique des sociétés et des gouvernements » p.149. Mais un développement économique sans contrepoids démocratique conduit à un sous-développement humain par un environnement non soutenable. Mentionnons pour exemple l’assèchement de la mer d’Aral par le volontarisme cotonnier de l’étroite caste du PC d’URSS. Ou l’attrait pour la Bombe au Pakistan, au détriment de la masse démographique illettrée laissée en déshérence.

Le développement d’éco-industries, selon Eloi Laurent, doit décarboner (utiliser moins d’énergies fossiles), désénergiser (faire des économies d’énergie et rendre celles-ci plus efficaces), enfin dénaturaliser (augmenter la productivité des ressources naturelles consommées). Il est amusant de constater que cette rationalité de produire le plus avec le moins est l’essence même… du capitalisme dans l’histoire. Étant entendu que ledit capitalisme n’est pas le démon social créé de toutes pièces dans la philosophie de Marx, mais la technique d’efficacité économique fondée historiquement sur la comptabilité en partie double, les villes franches, l’essor du crédit et des parts d’aventure, l’informatique et l’organisation de la productivité.

Dès lors, la critique rose d’Eloi Laurent tombe à plat.

Insister sur la dimension humaine du développement ? Mais bien sûr, qui est contre ? Même Apple veut vendre ses iPhone, iPad et autre iMac pour rendre heureux ses clients. Est-ce que le Minitel de feu le Monopole d’État avait cette ambition ? Il avait plutôt pour devise : « qu’ils prennent ce qu’on leur donne ».

Qu’il faille donc réguler les délires de la finance, augmenter la mesure du PIB de ratios mesurant le bien-être, compenser les inégalités sociales par un filet collectif – quoi de plus légitime ? Mais faut-il obligatoirement voter « socialiste » pour cela ? Le Bien n’est-il que dans le camp des roses ? Toute plante différente serait-elle une mauvaise herbe ? Quelle écologie serait-ce là ?

La candeur social-écologique d’Eloi Laurent a le mérite de pointer l’erreur du mouvement écolo à la française qui s’enferme dans la bonne conscience « de gauche » et la Raison du Bien. Le courant Duflot a conduit l’écologie politique dans une impasse en l’inféodant au parti socialiste. EELV, au sigle technocratique, est beaucoup moins populaire qu’hier « les Verts ». Nicolas Hulot ratissait large, Daniel Cohn-Bendit négociait en politique. Pas Cécile Duflot, qui a enfermé l’écologie dans le socialisme, réalisant une sous-secte de gauche dont chaque sondage mesure un peu plus la popularité… Nombre de citoyens préféreront bien évidemment l’original à sa copie.

C’est l’un des mérites de ce livre que de montrer sans le vouloir combien les écolos français se sont fourvoyés dans leur naïveté eschatologique, au contraire des écolos allemands.

Eloi Laurent, Social-écologie, 2011, Flammarion, 230 pages, €16.44

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Lumières sur la polémique Guéant

Article repris par Medium4You.

Je suis indigné ! Mais si : la boboterie a ses limites. Les zélites autoproclamées comme « avant-garde » progressistes du bon peuple prennent les gens pour des imbéciles. « Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas », a déclaré le ministre Claude Guéant. « Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient ». « Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. » Voilà ce qui déclenche l’ire de Harlem Désir et autre Cécile Duflot. On n’ose parler de polémique « à la française » tant cela ressemble à une polémique « à la con ».

Je ne suis pas partisan de Claude Guéant ni en faveur de l’identité française à la Sarkozy, mais je constate qu’« on » nous enjoint de saliver de façon pavlovienne aux mots honnis du politiquement correct : « idéologie relativiste » attaque la gauche, « avancée » ou « supérieure » caressent le Front national. Rien de plus. N’a-t-on pas droit de préférer notre devise aux dogmes de l’islam ou à la « démocratie » chinoise ou russe ? Surtout aucun argumentaire chez les terroristes de gauche, uniquement des injures. Celui qui parle compte plus que ce qu’il dit pour les bobos à « bonne conscience »… Attitude clairement réactionnaire, intolérante, sectaire, terroriste.

En effet, que signifie être « contre » les propos de Claude Guéant ? Duflot et Désir sont-ils partisans de civilisations qui « nient l’humanité » ? Qui ne « défendent pas la liberté, l’égalité et la fraternité » ? Qui préfèrent donc « la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique » ? La fille de prof et de cheminot renie les valeurs de Lumières. Le fils de Martiniquais revient sur son combat pour les droits de l’homme républicains. On croit rêver…

Ou bien les mots ne disent pas ce qu’ils veulent dire ? Est-ce la politique qui rend aussi borné ?

Est-ce que, parce que Claude Guéant parle, les bobos de gauche doivent aussitôt crier à « Durafour crématoire » ? J’ai du mépris pour ces politicards qui assènent leur préférence aux autres en interdisant de dire autrement, comme s’ils étaient les grands-prêtres de ce-qu’il-faut-penser. Ceux qui se faufilent toujours à la pointe du démagogique. Ceux qui salissent les Lumières et les valeurs du pays au nom de leur revendication au pouvoir. Ils font du mal à la gauche, à la république, au peuple français. Ce pourquoi « le peuple » est enclin à voter Front national, contre les têtes à claques qui « polémiquent » sur la civilisation française, pas digne d’être « avancée » ni « supérieure » aux autres civilisations en France même (pas dans l’absolu !) et surtout pour le peuple français (qui a bien le droit de la préférer) ! A quoi sert de voir gravée la devise ‘Liberté-égalité-fraternité’ au fronton des mairies si c’est pour dire que ça ne vaut pas plus que ‘l’homme vaut deux femmes’ du Coran ou que autres façon de vivre chez Bachar El Assad ou chez Vladimir Poutine ?

Revenons en effet aux sources. Les valeurs de la France sont celles du sacre de Reims mais aussi de la prise de la Bastille, comme le disait l’historien Marc Bloch. Ce qu’on appelle « les Lumières », Tzvetan Todorov – étranger né en Bulgarie – en a écrit tout un livre. Pour lui, les idées des philosophes de la raison viennent de l’Antiquité, reprises à la Renaissance et épanouies à l’âge classique. Nous sommes alors à une époque de débats où l’on privilégie ce qu’on choisit plutôt que ce qui est imposé. Où l’on découvre (après les Évangiles) que des droits inaliénables existent du fait seul d’appartenir au genre humain. La raison, parce qu’elle permet la connaissance, libère des peurs, des superstitions, des tabous et des réflexes communautaires de la « naissance ». Dès lors, la quête du bonheur remplace celle du Salut, car un délit n’est plus un « péché » mais une faute sociale, la propriété n’est plus un privilège « divin » attaché à une caste élue mais le fruit de l’initiative et du travail. Il n’y a pas de Dessein de Dieu ou de l’Histoire (le Progrès) mais une perfectibilité de l’homme (selon Rousseau) recommencée à chaque génération.

Oh, certes, les Lumières ont amené la table rase de la Révolution, puis l’exacerbation paranoïaque de la Terreur, plus tard le rationalisme étroit du Scientisme et la supériorité moraliste coloniale, encore aujourd’hui les technocrates imbus de règlements et les financiers en délire de modèles mathématisés : les Raisonnables savent tellement mieux que tout le monde, n’est-ce pas, ce qui est bon pour les autres ! Ils ont reçu la révélation de la Vérité de leur propre esprit, tout comme Mahomet avait reçu la Parole de Dieu par la voix murmurante de Djibril, l’archange Gabriel lui-même. Les règlementations françaises en ont gardé un travers bien connu : dire le Vrai et l’Unique, pour le Monde entier, de toute Éternité – sans jamais tenir compte des particularités individuelles… Fort heureusement, les Lumières sont bien autre chose que cette caricature pour intellos imbus – les Duflot et Désir aujourd’hui. Todorov relève cinq vertus des Lumières : l’autonomie, la laïcité, la vérité, l’humanité et l’universalité.

Oser penser par soi-même avait ravi Diderot. La tradition constitue un être humain mais ne suffit pas à rendre de facto quoi que ce soit légitime ; il y faut la raison. Celle-ci n’est pas seule en l’homme, mais flanquée de la volonté et des désirs. La raison peut éclairer l’humanité, mais elle peut aussi faire le mal car l’autonomie n’est pas l’autosuffisance : l’homme n’est humain qu’en société… et toute société exerce sur l’individu une pression aliénante par la mode, la bande, l’opinion commune, le qu’en-dira-t-on. C’est pour cela que Rousseau fit élever Émile hors des villes. De même, la critique qui émane de la raison est utile mais, lorsqu’elle tourne à vide, elle devient un jeu gratuit, une ‘private joke’ stérile entre intellos – une « polémique » – ou bien le délire calculateur de la finance ou des docteurs Folamour.

Avec les Lumières, le pouvoir spirituel regagne enfin son empyrée, laissant à lui-même le pouvoir temporel. Déjà, le Christ annonçait que son Royaume n’était pas de ce monde, demandant de rendre à César ce qui appartenait à César, réservant le reste à Dieu. Si l’empereur byzantin Constantin impose le christianisme comme religion d’Etat au IVème siècle, la Réforme protestante crée la laïcité en libérant la conscience et les conduites de « l’infaillibilité » de représentants terrestres. La laïcité refuse toutes les « religions », qu’elles soient papales ou politiques : le dogme des curés, l’Inquisition contre Galilée, la Terreur jacobine, le nazisme, le communisme, la mystique écolo, l’injonction islamiste, le politiquement correct…

Aucun jugement de valeur ne doit inhiber la recherche scientifique qui, si elle ne dit pas « le vrai », recherche par essais et erreurs le « vraisemblable », n’hésitant jamais à remettre en cause dès le lendemain les certitudes les mieux acquises. Penser, croire, critiquer, rechercher la vérité, sont des libertés de l’homme du fait même qu’il appartient à l’humanité. Mais il est entendu que toutes les « opinions » ne sauraient se valoir : seuls les hommes « éclairés » (informés et capables de raisonnement), sauront appliquer la méthode expérimentale pour connaître la vérité des sciences, puis en débattre lors de dialogues argumentés. Tout ne vaut pas tout et si toute civilisation est respectable comme émanation humaine et objet d’études, la nôtre peut être préférée chez nous – puisqu’elle est nôtre. La seule qui a permis d’aller sur la lune, vieux rêve de l’humanité…

En notre civilisation occidentale, la vérité n’est pas le Bien transcendant, mais ce qu’on trouve par soi-même. Pouvoir n’est pas du même ordre que savoir. Éduquer aux valeurs n’est pas du même ordre qu’instruire les faits. Nulle volonté collective ne peut rembarrer l’indépendance de la vérité si elle est recherchée selon les méthodes de la raison. Le réel n’est pas de convenance idéologique mais s’impose, sous peine de délirer, ce qui signifie « sortir du sillon de labour », perdre la raison. Et se trouver alors gibier tout trouvé pour le n’importe quoi d’une volonté ou des désirs. Cela ne vaut peut-être pas « plus », mais nous le préférons aux injonctions d’autres cultures. Le dire n’est pas être « raciste » (où a-t-on vu qu’une civilisation était une race ? la civilisation musulmane n’a-t-elle pas agrégé les Arabes, les Berbères, les Persans, les Turcs, les Indonésiens, les Moghols et bien d’autres ? La civilisation chrétienne des peuples sur tous les continents ?). Le dire, c’est affirmer tranquillement que nous préférons nos valeurs humaines à celles que les autres voudraient nous imposer de force.

A commencer par les Duflot-Désir, ces chantres mous du politiquement correct jamais en retard d’un retournement de veste pour rester dans le vent.

Avec les Lumières, ce n’est plus Dieu mais l’homme, qui devient le centre. Son existence n’est plus un « moyen » que la Providence a trouvé pour faire son « Salut », mais la fin de l’homme même : sa préservation, son épanouissement, son bonheur. L’Etat n’est plus sauveur sous l’égide d’un Roi oint mais protecteur des libertés et fournisseurs de services négociés en commun. Détourner ce mouvement des Lumières est, hélas, fréquent mais pas pour cela justifié : l’art pour l’art, la science dégénérée en scientisme borné, la technocratie sûre d’elle-même et dominatrice, le social-imposé – ne sont que des Lumières dévoyées. On ne peut atteindre une fin noble par des moyens ignobles. L’universalité des Lumières veut que tout être humain ait droit à la vie, à la dignité et au bonheur. Simplement parce qu’il appartient à l’espèce humaine et pas parce qu’il est né mâle ou « élu » de tel Dieu, ou citoyen de tel État. En revanche, le respect de chacun ne limite pas la nécessité de normes communes.

Les Lumières se sont épanouies dans l’Europe du 18ème siècle, mais il s’agit bien, selon Todorov, d’une pensée « universelle ». Il en retrouve les traces dans l’Inde du 3ème siècle avant notre ère, dans le christianisme proche-oriental bien sûr, mais aussi dans l’islam du 8ème au 10ème siècle, dans le confucianisme Song et même dans l’Afrique anti-esclaves du 17ème siècle. Le mouvement éclot en Europe en raison de l’autonomie politique acquise par les villes franches des bourgeois commerçants et de la séparation acquise de haute lutte entre Dieu et César. Le Papisme, selon Hume, a laissé dégénérer le savoir. Au contraire, la séparation du spirituel et du temporel l’a régénéré. Le morcellement des puissances, allié à un espace culturel et commercial commun, a rendu l’Europe foisonnante d’échanges – matériels et spirituels. Les idées neuves ont circulé sans entraves comme les gens et les marchandises, malgré l’obstacle des langues. Comme en Inde ou dans les Amériques. Tout au contraire des espaces unifiés à autorité affirmée, comme celui de la Chine ou de la Russie.

Malgré les dérives et les excès, puissent les Lumières irradier le monde entier afin que l’être humain s’y épanouisse sans heurt. Ce petit livre de 160 pages est un bien beau livre. Une mine politique pour une grande partie du globe, si l’on y réfléchit.

Oui, nous avons de quoi être fier de notre civilisation, même si nous ne voulons pas l’imposer à tous. Et nous, peuple français, pouvons le dire, en laissant blablater les histrions métissés et multiculturels, jamais en retard d’affichage moral pour se poser en vertueux.

Tzvetan Todorov, L’Esprit des Lumières, 2006, Livre de poche 2007, 160 pages, €4.75 

France Culture, Lumières un héritage pour demain, 2006, à réécouter 

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