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O’Macron, un variant très contagieux

Le président hier a parlé, dommage que ce fut sur TF1 et non pas sur une chaîne du service public. La soirée aura quand même empêché les accros au petit écran d’écouter les sempiternelles téléfilms yankees qui diffusent la propagande féministe et puritaine du colonisateur d’Occident. Le format était original par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à présent, en courtes séquences successives ponctuées d’images et parfois d’émotion.

Le tout a duré 1h52 mn et non pas « deux heures » comme répètent à l’envi les médias – chacun peut le vérifier sur le replay de la chaîne. Dans l’ordre, les séquences les plus longues ont été celles consacrées à la crise sanitaire (20 minutes), aux réformes (17 minutes), à l’endettement de la France (12 minutes), à la république (11 minutes), et au style du président (10 minutes). D’autres séquences ont concerné les institutions, les inégalités, la parole des femmes, le terrorisme, et le « quoi qu’il en coûte » assumé.

Le président ne « voulait pas faire de politique » mais présenter une rétrospective des cinq ans passés à l’Élysée. Sa candidature viendra probablement, mais plus tard, au début de l’année prochaine, alors qu’il lui reste encore quatre mois pour prendre des décisions, peut-être difficiles. Nul ne doute qu’il ne soit candidat, sauf si un événement exceptionnel devait le conduire à renoncer.

Le ton général a été celui d’une certaine satisfaction pour le travail entrepris, mais aussi une reconnaissance des difficultés imprévues. Un « en même temps » qui a permis d’apprendre et de résister. Emmanuel Macron est passé de la situation « d’aimer la France » en début de quinquennat à celle « d’aimer les Français » en fin de quinquennat. Il a toujours « envie de faire », même s’il a commis des erreurs – il a le souci de ne pas les répéter. La philosophie du « en même temps » est celle d’être à la fois « efficace et juste ».

Cela se décline sur tous les sujets :

  • Sur la crise sanitaire où le confinement a été nécessaire alors que personne ne savait comment la pandémie allait se développer (« tous les pays ont confiné », à commencer par la Chine, pourtant productrice de masques). Pour les autres vagues, la vaccination a pris le relais et le confinement est devenu moins nécessaire (jusqu’à présent).
  • En économie, où le « quoi qu’il en coûte » est assumé et, en même temps, les réformes concernant la fiscalité et l’encouragement à l’investissement des personnes aisées – car le mérite doit aller avec la solidarité pour « un pays juste ». Pourquoi reconnaître le mérite dans les arts ou le sport et pas en économie ? Une phobie morale de « l’argent » ? « Je n’ai pas l’obsession de l’argent » (comme Nicolas Sarkozy – c’est moi qui rajoute) mais la culture du succès économique (pas comme François Hollande – idem).
  • Sur le chômage, où la réforme a permis des créations d’emplois et des entrées en apprentissage beaucoup plus fortes qu’auparavant.
  • Sur le débat démocratique avec les nombreuses lois débattues au Parlement et le Grand débat sur le climat qui a permis aux « invisibles » et aux « empêchés » de découvrir qu’ils avaient leur place alors que des décisions bureaucratiques concernant la taxe carbone et les 80 km/h avaient été prise par des fonctionnaires depuis Paris.
  • Sur le pouvoir d’achat, source d’inégalités – compensées pour les classes moyenne et populaire par le chèque énergie, l’allocation adulte handicapé, le minimum vieillesse agriculteurs, la suppression de la taxe d’habitation, la prime d’activité… Mais en même temps permettant l’investissement qui crée de la richesse pour financer le modèle social.
  • Sur la parole des femmes contre les violeurs et les maris violents, mais avec la présomption d’innocence et le respect des procédures judiciaires plutôt que le lynchage médiatique et des réseaux.

Inutile de récapituler tout ce qui a été accompli durant cinq ans malgré les grèves, les gilets jaunes et le Covid. Aucune réforme n’a été vraiment marquante mais une suite de réformes allant dans le même sens, vers la responsabilité et le mérite, en faveur du travail et du goût du risque.

La dette est importante mais on la remboursera par plus de travail, pas par les irresponsables « on l’annulera » ou par « les générations futures s’en débrouilleront », ni par la posture de « père fouettard » en augmentant massivement les impôts et les taxes – « cela a été essayé et cela n’a pas marché » (ce qu’a tenté François Hollande avec le désastre qu’on connait et ce que propose Valérie Pécresse un peu légèrement). Plus travailler implique une réforme des retraites afin d’être en emploi plus longtemps et mieux aux deux extrémités des âges, des jeunes comme des seniors. La réforme sera simplifiée en trois régimes plutôt que les 42 existants pour réduire les inégalités de privilèges historiques.

Le service public devra être modernisé pour être plus efficace mais le problème n’est pas « le nombre de fonctionnaires » comme le répète la droite. Ou peut-être (le président ne l’a pas évoqué) dans les régions et les départements où les postes sont mal définis et les horaires pas toujours respectés. Au niveau national l’armée, la police, les magistrats, l’enseignement, l’hôpital, sont des fonctions régaliennes qui manquent de fonctionnaires – et aussi de simplification bureaucratique.

Le simplisme des propos des extrêmes-droites comme de la droite qui se durcit, est plaisant même s’il ne s’agit que de promesses électorales qui seront sans lendemain parce qu’irréalistes :

  • Diviser les Français n’augmentera pas la sécurité.
  • Accuser « l’islam » ne résoudra ni le terrorisme, ni l’obligation de laïcité.
  • Proposer de dépenser encore et de fournir toujours plus de moyens ne résoudra pas la question de l’organisation des rôles et des fonctions des services de l’État.

Il faut augmenter les moyens, certes, mais selon ce que l’on peut et non pas selon ce que l’on désire. Il faut surtout former et réformer avant de lancer des slogans irresponsables. Or il n’y a aucune responsabilité dans les braillements violents des extrémistes, qu’ils soient gilets jaunes ou zemmouriens. Incendier une préfecture ou casser les sculptures de l’Arc de Triomphe ne démontrent ni un sens civique développé, ni un amour de la France.

Les peurs existent, le ressentiment global augmente, la méfiance aussi – et les réseaux sociaux amplifient les comportements de foule, tel le lynchage de Samuel Patty comme les ralliements complotistes que l’on constate ici ou là. Le président a raison de garder raison face à ces débordements infantiles que quiconque parvenu au pouvoir ne pourrait plus tolérer.

Il regrette un certain nombre de propos malvenus, mais souvent sortis de leur contexte. Ainsi le jeune homme à qui il conseillait de traverser la rue pour trouver un nouvel emploi lui avait demandé s’il avait un poste d’horticulteur ou tout autre boulot, alors que le patron du restaurant en face cherchait des serveurs. Le président ne l’a pas dit, mais les médias sont souvent dans la caricature, faute de professionnalisme. Le scoop immédiat plutôt que le contexte, le buzz valorisant plutôt que l’effort de rechercher, réfléchir et recouper.

À chacun, il demande d’être pleinement citoyen, ce qui implique certes des droits, mais « d’abord des devoirs » – ce que déclarait justement Joséphine Baker. Il parle aux jeunes indifférents à la politique, à ceux tentés de se radicaliser, aux musulmans qui se demandent s’ils peuvent exercer leur religion, aux femmes qui ont peur de porter plainte. « Tout ce qui divise affaiblit » rétorque-t-il au polémiste Zemmour. La démographie change, en effet, mais ce qui compte n’est pas de fermer les frontières, slogan illusoire, mais de maîtriser à la fois les flux qui entrent et l’intégration de ceux qui sont là. Il faut des frontières, notamment européennes, et en même temps développer l’Afrique, continent qui envoie ses pauvres et sa démographie en surplus vers l’Europe.

Sur son style personnel, le président évoque sa « vitalité », sa « volonté de bousculer et de transgresser » mais est plus conscient du respect qu’il doit aux gens, et aux mots qui peuvent blesser. « J’ai appris », répète-t-il plusieurs fois. La photo où il pose avec un Noir torse nu qui fait un doigt d’honneur n’aurait jamais dû être diffusée, c’était une erreur. « J’ai été naïf », dit-il. C’était à la suite de l’ouragan à Saint-Martin, lorsqu’il avait été convié par une famille à visiter son appartement. Là encore un instant sorti de son contexte.

Sur l’avenir, qu’il évoque à grand traits : « où va la France ? ». Elle va :

  • vers la transition écologique et sociale qu’il faudra organiser,
  • vers l’innovation pour garder une place dans la mondialisation,
  • vers le niveau nécessaire pour résister à la guerre technologique qui ne fait que commencer.

Ce qui implique de réformer l’éducation et l’apprentissage pour s’adapter à un monde en changement. « Nous sommes le pays de tous les possibles » dit-il en conclusion.

À part sur l’international, où la séquence n’a duré que deux minutes à propos du contrat australien révoqué, tout le reste a été consacré aux affaires et questions intérieures que tout le monde se pose. C’était pédagogique et varié, très illustré, même si les journalistes comme le président portaient curieusement la même couleur de costume bleu pétrole – couleur incongrue en transition écologique.

Le président est jeune, intelligent et pédagogue, dynamique et capable d’apprendre. Il se dit « affectif » mais en même temps apparaît comme cérébral, ce qui paraît un bon compromis lorsque l’on doit prendre des décisions pour le pays.

S’il est à nouveau candidat, il sera à mon avis un variant redoutable car très contagieux.

Je ne crois pas qu’Éric Zemmour, Marine Le Pen, Anne Hidalgo ou Yannick Jadot fassent le poids contre lui. Pour Jean-Luc Mélenchon ou Valérie Pécresse, c’est peut-être différent mais le premier a peu de chance d’accéder au second tour. La droite veut prendre sa revanche sur la victoire qu’elle escomptait avec François Fillon, mais ce n’est pas gagné, surtout si elle se crispe sur l’illusoire (moins de fonctionnaires, restrictions budgétaires, fermeture culturelle).

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Les R le retour

Enfin l’affiche est pleine, tous les candidats sont en lice. Les Républicains se sont fait attendre, tergiversant par peur panique de réitérer le désastre de 2017, Nicolas Sarkozy sèchement viré, Juppé éliminé et Fillon qui explose en vol. Après « procédure » sur « procédure », les nouveaux adhérents (+60% en deux semaines !) ont voté un premier tour, faisant surgir un Ciotti du chapeau tel un Zemmour plus respectable (issu d’immigré lui aussi, mais italien, et depuis le début du XIXe). Au second tour, c’est la légitimité qui l’a emporté dans un « grand remplacement » inédit dans le parti gaulliste : une femme !

Valérie Anne Émilie Roux, épouse Pécresse, coche toutes les cases : née à Neuilly, bac à 16 ans au lycée privé de Versailles, parlant russe et japonais, HEC puis ENA, trois enfants, plusieurs fois ministre, bébé Chirac adoptée par Sarkozy, au RPR et ses suites depuis 20 ans, catholique dans son intimité mais laïque dans la société.

Elle a surtout acquis depuis six ans une expérience de gestion régalienne dans la plus grande région d’Europe, l’Île-de-France, confrontée aux problèmes sociaux des banlieues et de l’immigration, au chômage et aux nouvelles industries. Elle peut faire jeu égal avec Emmanuel Macron sur le plan des compétences, même si elle est un peu moins jeune.

Est-ce à dire que LR s’est chiottisé (ci en italien se prononce chi, comme Cinecitta ou la Cicciolina) en adoptant les propositions radicales de son challenger qui a recueilli 39% des voix au second tour ? C’est en fait toute la société française qui s’est droitisée, dans la ligne des sociétés occidentales (Trump, Brexit) et même mondiales (Chine, Inde, Russie, Turquie, Brésil, Philippines…). Il faut dire que la resucée en France du Bataclan avec l’interminable procès six ans après, qui montre le laxisme des polices d’alors et la lâcheté des gouvernants à réagir « de peur de faire le jeu de » a exaspéré les citoyens qui ne voient guère ce qui a été accompli dans l’ombre depuis – mais voient surtout les migrants partout : dans la Manche quand ils sombrent, dans la rue quand ils errent, aux frontières polonaises, grecques, espagnoles et italiennes quand ils se massent, dans le discours niaiseux du pape qui « croit » qu’on est tous frères.

Ce dont a profité le Jean d’Arc venu du bled, frère Zemmour, qui a éructé contre tous ceux venus d’Outre-Méditerranée qui croient qu’être au Coran veut dire être branché. Mais sa hargne de roquet et son ressentiment haineux ont fait se détourner ceux qui n’avaient que son discours à se mettre sous la dent il y a peu avec une Marine Le Pen flottante, une gauche évanescente, des écolos marginaux radicaux, et une droite qui cherchait encore son candidat. Maintenant que tous sont arrivés (Macron sera sans aucun doute candidat lui aussi), chacun peut commencer à évaluer les personnes et à mesurer les différences.

A droite, il y a pléthore ; à gauche aussi mais le total de tous les candidats de gauche reste peu audible, faute d’avoir quelque chose à dire sur ce qui préoccupe les gens : les libertés, l’avenir du travail, le vivre en république. C’est à droite que cela se passe désormais et Valérie Pécresse aura à se garder autant des extrêmes tentés par Zemmour/Le Pen que des centristes tentés par Macron.

Ce qui est délicat est que Zemmour abaisse le niveau de qualification pour le second tour en divisant l’extrême. A condition qu’il réussisse à obtenir ses 500 signatures (ce qui n’est pas acquis) et à ouvrir sa campagne à des thèmes plus rassembleurs que la seule haine des immigrés. A condition aussi de s’entourer de compétences, et elles ne se bousculent pas à sa porte. Marine s’est réveillée et elle tient le peuple ; Emmanuel tient les patrons et les intellectuels mais Valérie peut tenter certains d’entre eux, même si l’électorat LR est surtout âgé, retraité et conservateur. Les petits patrons, les artisans et commerçants, les professions libérales, pourraient être tentés par sa revendication de libertés accrues dans l’autorité retrouvée – l’essence du courant bonapartiste. Sauf qu’un général Bonaparte (ou Boulanger, ou de Gaulle) en femme oblige à remonter à Jeanne d’Arc – et à tailler des croupières à Eric Zemmour, qui en avait endossé l’armure.

Identité, laïcité, république sont les thèmes de Valérie Pécresse ; il recoupent les revendications de droite à la liberté (de faire), à l’autorité (de l’État) et à la protection (des citoyens). Il y a donc un coin à enfoncer dans le macronisme libéral ancré dans les valeurs plus « jeunes » des mœurs et d’un certain laisser-faire. Mais rien n’est joué chez Madame « un tiers Tchatcher et deux-tiers Merkel » comme elle se dit. Le tropisme vers le « nouveau » (une femme à la tête des gaullistes, du jamais vu !) n’a qu’un temps ; encore faut-il convertir l’attention à la durée, ce que Macron a su faire en 2017 et pas Zemmour pour l’instant.

Un duel Macron/Pécresse aurait quand même de la gueule aux présidentielles. Je ne suis plus sûr de qui gagnerait.

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Azouz Begag, Le gone du Chaâba

Un roman autobiographique d’un fils d’immigré algérien à Lyon devenu ministre délégué du gouvernement Villepin. Le Chaâba est la tribu en arabe ; il désigne ici le bidonville de Villeurbanne dans lequel grandit au début des années soixante Azouz entre ses parents, ses frères et sœurs, ses cousins et les voisins. Malgré les conditions de vie, ils sont heureux car en famille et en bande. Les objets sont moins importants que l’amour. Le vélo, désiré puis obtenu, moins important que l’amour du père qui craint les accidents.

Le gamin est éveillé, il aime lire et découvrir, il aime l’école. De quoi ne plus « être un Arabe » selon ses copains mauvais en classe. De quoi transformer en essence ce qui n’est qu’attitude, en « race » ce qui est flemme. Même si le maître d’école est bienveillant, la société l’est moins, rejetant les allogènes – qui en tirent une fierté à rebours et se complaisent dans le rôle assigné de différents. Faut-il donc être traître à soi pour devenir français ?

La République est implacable – et indifférente : tous pareils. Se conformer est la loi du succès. Le petit Azouz du roman passera (de justesse) en sixième à cause d’une maîtresse de CM2 à Lyon, où ses parents ont loué un HLM après avoir quitté le bidonville sans électricité, ni WC, ni eau courante. L’institutrice ne l’aimait pas parce qu’il était arabe et qu’il prétendait être français. Ce sera en sixième qu’il rencontrera son « Monsieur Germain » (l’instituteur mythique de Camus) en la personne de Monsieur Loubon, pied-noir d’Algérie revenu d’Oran. Il parle arabe, connait le Coran et la culture indigène, et fait la synthèse avec la française. Rassuré, conforté, le jeune Azouz va s’accrocher et réussir.

Le roman est écrit simplement avec une certaine distance ironique. Il conte des anecdotes, vécues ou entendues, d’où sourd l’émotion. Un roman pour classe de français qui veut montrer une expérience d’immigré. Les histoires d’enfance font toujours recette par empathie.

Ce n’est pas simple d’être un enfant d’ailleurs, algérien de Sétif par origines, français par naissance dans un hôpital de Lyon, encouragé par son père à s’en sortir par l’école mais flanqué d’une mère qui ne parle pas français, ne porte pas de vêtements européens, ne cherche pas à s’intégrer. Gone car gosse lyonnais, du Chaâba par appartenance à la tribu venu d’outre-Méditerranée. Ecartelé, instable, divorcé, se cherchant à vie.

La photo de couverture est celle de l’auteur, à l’âge d’Azouz, lisant un livre.

Azouz Begag, Le gone du Chaâba, 1986, Points Seuil 2005, 238 pages, €7.00 e-book Kindle €7.99

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Jules Vallès, L’Insurgé

Dernier tome de la trilogie Jacques Vingtras, semi autobiographique, ce sont cette fois les années de l’empire puis la défaite et la Commune que décrit Vallès, soit de 1860 à 1871. Le lien avec l’enfance, c’est la révolte contre tout ce qui est établi : les institutions représentatives qui trahissent le peuple, la bourgeoisie qui impose ses intérêts, la religion catholique qui rend les gens moutons sous la houlette d’un berger, la religion laïque qui reproduit la précédente sous les Grands mots et les Grands principes qui font rugir mais n’accouchent de rien de concret.

En lisant Vallès, la Commune apparaît comme un foutoir où tout est spontané, ultra local, désorganisé. Chaque quartier s’empare du « pouvoir » mais ne maîtrise rien, aucun plan d’ensemble pour se défendre ni élaborer un programme. Certes la pression des Prussiens était là, celle du gouvernement légitime « versaillais » aussi, certes la Commune est née de hasard, du vide des légitimes et n’a duré que trois mois, certes la « sainte colère » et « la douleur » populaire s’exhalaient en émotion publique plus qu’en actes concrets – mais il semble que le propre des révolutionnaires était d’avoir chacun sa propre idéologie, au détriment du collectif. Marx ne s’y est pas trompé qui parle de « sac de pommes de terre » pour ceux qui n’ont pas la conscience unifiée de leur classe.

Vallès, dans tout cela, court d’un bout à l’autre des quartiers, élu commandant ici pour démissionner juste après, élu à nouveau délégué avec écharpe tricolore pour la rouler en boule sous le bras, jamais le coup de fusil, rarement le coup de main à la barricade, toujours en session à discuter encore et toujours avec les « comités ». Ce qu’il aime, c’est « planter le drapeau » plutôt qu’élaborer une politique. Ce moment historique est pour lui le couronnement de sa vie, le rachat de son enfance torturée par les autres dans la famille qu’il trouve avec les ouvriers révolutionnaires aux chand’vins, la revanche du corps brimé par le corsetage vestimentaire toujours trop cher et toujours trop rigide, la créativité du langage avec son argot, ses abréviations d’époque, ses métaphores – le seul instant de parfait bonheur. D’ailleurs, une fois la plume posée sur ce dernier tome, il est mort l’année qui a suivi, sans voir encore la publication en volume du texte cousu des instants de sa vie.

Le 4 septembre, dont il existe une rue à Paris, est celui où la République fut enfin proclamée en 1870, après la Restauration, le roi et l’empire, « grâce » à la défaite (et à l’amputation de l’Alsace-Lorraine, grosse de guerres futures). « 4 septembre, 9 heures du soir. Nous sommes en République depuis six heures ; « en république de paix et de concorde ». J’ai voulu la qualifier de Sociale, je levais mon chapeau, on me l’a enfoncé sur les yeux et on m’a cloué le bec » p.983 Pléiade. Le 6 septembre, il rencontre Auguste Blanqui, le premier communiste français (non marxiste mais léniniste) : « il a (…) la main nette et le regard clair. Il ressemble à un éduqueur de mômes, ce fouetteur d’océans humains. Et c’est là sa force. (…) Mathématicien froid de la révolte et des représailles, semble tenir entre ses doigts le devis des douleurs et des droits du peuple » p.989. Il le suit.

« La Sociale contre Marianne » : Vallès déteste à l’inverse Gambetta, républicain parlementaire et opportuniste, « mélange de libertinage soûlard et de faconde tribunicienne » p.922 qui se défile au dernier moment après avoir fait rouler les rrr du mot « patrie ». Où était-il lorsque le peuple excédé des politiciens se mit en armes ? « Gambetta a inventé une angine dont il joue à chaque fois qu’il y a péril à se prononcer » p.947.

Vallès fait un sort au mythe des « pétroleuses » qui auraient mis le feu à la ville alors qu’il s’agissait de tactique défensive pour réduire deux maisons envahies par les Versaillais. Il fait un sort aussi aux « massacres », l’exécution des otages s’est faite malgré les ordres, dans l’indiscipline d’une foule en colère qui voulait se venger des curés, des sergents et des mouchards. L’engrenage de la violence n’est pas toujours maîtrisable et il faut s’en souvenir avant d’appeler à n’importe quelle insurrection – comme les intellos de bureau le font souvent trop légèrement. Vallès en témoigne, qui a cherché à tempérer les hargnes.

Au total, un livre de combat où l’auteur à mis sa vie en jeu avant de la coucher sur le papier. C’est parfois haletant, écrit haché, empli de portraits acérés et de scènes populaires. Vallès observe et, s’il a parfois la tentation de créer des statues comme Hugo, se reprend vite lorsqu’il s’en aperçoit – ainsi de lui-même dans la glace « j’avais pris une attitude de tribun et rigidifiais mes traits, comme un médaillon de David ‘Angers. Pas de ça, mon gars : Halte-là ! » p.907.

Jules Vallès, L’Insurgé, 1883 publié 1886, Folio 1975, 410 pages, €8.60

Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00

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Face aux risques, l’Etat

Afghanistan, Haïti, Liban, Mali, Venezuela, de plus en plus nombreux sont les Etats faillis qui sombrent dans la corruption et le chaos. Sans Etat solide, sans le sentiment d’appartenir à une même communauté de destin, pas de cité mais le règne du chacun pour soi dans la loi de la jungle. Retour au clanisme, à la féodalité prémoderne. C’est ce que réussissent les trafiquants de tous ordres qui préfèrent leurs affaires aux peuples, dans les pays aux charnières géopolitiques, comme ceux cités plus haut. C’est ce que voudraient réussir les corrupteurs de tous ordres pour faire prospérer leurs affaires dans les pays démocratiques : les industriels, les histrions, les vendeurs de sécurité, les trafiquants de drogue et de chair humaine.

Pourquoi Trump aux Etats-Unis sinon le désir de voir triompher la lutte pour la vie libertarienne, là où prospère le mieux le capitalisme ? Pourquoi les antivax, black bloc et autres gilets jaunes en France sont-ils soutenus par les fascistes des extrêmes (gauche et droite) sinon par le désir de déstabiliser les opinions et préparer dans le chaos la divine surprise d’arriver au pouvoir comme cela a failli se faire en 2002 comme en 2017 ? Méfions-nous de ceux qui clament « la liberté » alors qu’ils prônent l’autorité sur le ton d’Orwell en 1984 : la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, la vérité c’est le mensonge ! Ceux que j’ai rencontrés qui refusent « le vaccin » (sans distinguer aucunement les anciens des modernes, les inactivés des ARN) n’ont aucun argument rationnel pour le faire ; ils mentent sciemment et préfèrent leur mensonge, qui est « croyance » à la simple observation des faits, qui est « vérité ». Pour eux la vérité est le mensonge car ce n’est pas la leur.

Le sinistre imbécile, syndicaliste de l’est, qui affirme ce lundi matin sur les ondes comme vérité révélée que « nous n’avons pas assez de recul pour juger de l’innocuité « du » vaccin (lequel ?) » n’a aucune conscience de l’énormité qu’il profère et qu’un zeste de bon sens suffit à détruire : quoi, 3 milliards de personnes vaccinées dans le monde depuis un an et pas de recul ? quelques très rares cas de complications alors que « l’immense majorité » (scie du vocabulaire de gauche) s’en sort très bien et pas de recul ? la hausse des contaminations mais de moins en moins de cas graves et de morts dans les hôpitaux grâce à la campagne vaccinale et pas de recul ? l’effondrement sanitaire des Antilles en raison de trop peu de vaccinés par méfiance des peu éduqués et pas de recul ? Prend-t-on vraiment les citoyens pour des cons ?

La pandémie comme les catastrophes climatiques, naturelles ou humaines des pays cités en tête montre que sans Etat qui dirige et coordonne, pas de sécurité : ni militaire, ni policière, ni économique, ni sociale. Il faut un Etat pour lever les impôts correctement, réprimer la corruption, briser les monopoles trop criants, assurer le transport alimentaire et sanitaire, créer un minimum de revenus lors des empêchements de travailler. Il faut un Etat pour réguler la recherche et inciter à ce que les productions vitales restent assurées sur le sol du pays (le gel, les masques, l’oxygène, le Doliprane…) malgré les tentations du moins cher dans la mondialisation. Il faut un Etat qui finance la recherche fondamentale et encourage les start-up pour réagir rapidement à tout ce qui survient de nouveau – comme un coronavirus, une invasion d’insectes ou l’élévation des températures (la France a été à la traîne et c’est aux Etats-Unis qu’un Français a assuré un vaccin ARN chez Moderna, tout comme l’allemand BioNtech a dû s’associer à un industriel américain pour produire son vaccin Pfizer).

Brailler contre le Covid, se dire scandalisé par la « dictature » sanitaire de devoir porter un masque ou de présenter un test négatif à défaut de vaccin (gratuit), est un luxe de riche, d’enfant gâté qui devrait faire un séjour en Haïti, au Liban ou en Afghanistan pour mesurer combien leur mentalité est pourrie. Ils méprisent comme des ingrats ce qu’on leur donne au nom de Grands principes ou d’un Idéal qu’ils sont bien infoutus de réaliser eux-mêmes : les gilets jaunes, quelle politique ? les antivax quelles mesures sanitaires ? les fascistes à la Trump ou Castro, version Le Pen ou Mélenchon, quel autoritarisme ? C’est curieux, Poutine exige une vaccination d’au moins 60% des travailleurs et son grand admirateur souverainiste français Florian Philippot la refuse ?

Notre problème est celui de l’éducation et de la communication.

L’enseignement scolaire à la science est médiocre, presque tout entier centré sur l’écologie ; l’éducation à l’économie reste écartelée entre la simple comptabilité et l’idéologie anticapitaliste par principe ; la transmission des savoirs est considérée comme reproduction bourgeoise à combattre pour prôner à l’inverse une sorte d’anarchisme de moutons ; car l’esprit critique n’est développé que contre (tout ce qui ne va jamais) et pas en positif (comment pourrait-on faire ?).

Le gouvernement et les institutions ont leur part. Le premier parce qu’il a menti sciemment sur les masques et vanté les vaccins alors qu’il y avait encore pénurie, laissant proliférer le n’importe quoi des charlatans et des manipulateurs sans que chacun puisse juger auprès de ses proches. Les secondes parce que la France, pays de mythologie révolutionnaire, a conservé jalousement la centralisation et la hiérarchie « de droit » des rois, et que tout remonte à l’Elysée qui ne peut tout savoir, tout prévoir ni tout faire.

Il faudrait… mais chacun le sait depuis plus d’un demi-siècle si j’en crois mes premières études à Science Po : bien situer le cadre d’intervention de l’Europe et ne pas se défausser sur elle à chaque fois qu’on ne veut pas ; décentraliser véritablement pouvoirs et moyens en responsabilisant chaque niveau ; réduire les lois, les bureaux et les obstacles administratifs à tout ce qui est neuf ; supprimer l’inepte « principe de précaution » de la Constitution, encore une lubie de Chirac avec le quinquennat et le « je promulgue la loi mais je demande à ce qu’elle ne soit pas appliquée » qui a détruit en un moment toute légitimité à l’Exécutif en remplaçant la règle par le bon-vouloir…

Faut-il une VIe République ? probablement pas car ce serait retourner au régime des partis qui a fait tant de mal aux Français des années 1950. Mais il faudrait sérieusement, hors des querelles de Grands principes et de chapelles intéressées uniquement par le Pouvoir, réfléchir à adapter la France au monde qui vient. Face aux risques, seul l’Etat permet de réagir, pas le citoyen tout seul, ni son clan prêt à la guerre civile. Encore faut-il un Etat démocratique qui écoute ses citoyens et pas un diktat non négocié venu d’en haut – au risque des promesses illusoires des démagogues.

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Le vent se lève de Ken Loach

L’Irlande secoue en 1920 la tutelle impériale britannique. L’insurrection de Pâques 1916 à Dublin, en pleine guerre mondiale, avait proclamé la république mais avait été durement réprimée par des navires de guerre, et ses meneurs exécutés. Le sentiment d’indépendance continue néanmoins à couver et le parti indépendantiste Sinn Fein a remporté haut la main les élections de 1918. Le gouvernement anglais a interdit le parlement. C’est dans ce contexte que les partisans irlandais rendent le pays ingouvernable par la grève, le boycott des tribunaux et des impôts, le refus syndical de transporter des troupes dans les trains. Les Anglais réagissent comme des Anglais : brutalement. Pour eux, les Irlandais sont des bougnoules incultes, paysans sous la coupe des prêtres catholiques, et il faut les mater comme fut matée en Inde la révolte des Cipayes.

Damien Donovan, devenu docteur en médecine, prépare son départ pour un hôpital de Londres. Il participe à un dernier tournoi de hurling avec ses copains lorsque des paramilitaires anglais, les Black and Tans (noirs et fauves), les alignent contre le mur de la ferme et les humilient au bout de leur fusil. Ils ont le courage des lâches : la sauvagerie faute de légitimité. Comme Micheál Ó Súilleabháin, un adolescent de 17 ans au nom imprononçable pour un anglais, refuse d’articuler avec l’accent requis, il est emmené à l’intérieur, torturé et tué. « Ça fait un de moins, sergent ! », s’exclame un jeune con, sûr de sa bande et des fusils. Damien témoin s’insurge mais ne peut rien ; il semble se résigner malgré les objurgations de ses amis pour qu’il reste parmi eux, avec les partisans.

Mais lorsqu’il va pour prendre le train, il assiste à une nouvelle brimade des Anglais armés sur la population. Une escouade menée par un sergent irascible exige de monter dans le train, ce que refusent le chef de gare et le chauffeur. Ils sont frappés. Ils seraient même tués si la troupe ne retenait son sergent, le train ne pouvant partir sans conducteur… Damien décide alors de rester pour faire cesser cette barbarie. Seule l’indépendance conquise les armes à la main permettra de bouter les impériaux hors d’Irlande et de vivre enfin en paix. Il rejoint donc son grand frère Teddy O’Donovan, chef de maquis et recherché.

Menacé en sa famille par son seigneur foncier sur la requête d’officiers anglais, un jeune homme que Damien a vu grandir livre l’endroit où les partisans se cachent. Ils sont encerclés par les paramilitaires, capturés, emprisonnés. Teddy est torturé pour lui faire avouer où sont les (rares) armes ; on lui arrache les ongles un à un à la pince. Il ne parle pas et son frère Damien le soigne. Ecœuré, une jeune recrue d’origine irlandaise ouvre les cellules et déserte avec eux. Sauf trois car il n’a pas la clé ; ils se feront fusiller. Teddy et Damien retrouvent ceux qui les ont trahis et les exécutent en pleine campagne.

Dès lors, ce sont des actions de guérilla. La ferme des Donovan est incendiée en représailles et la fiancée de Damien rasée. Mais survient la trêve, message apporté par un gamin à vélo envolé : un accord proposé par le Premier ministre britannique David Lloyd George en 1921 pour un Etat libre d’Irlande mais sans six des neufs comtés de l’Ulster au nord, et avec exigence de rester dominion de l’empire. Ceux qui acceptent le compromis et ceux qui veulent lutter pour une complète indépendance s’affrontent – et les deux frères se déchirent comme Abel et Caïn. Le traité est ratifié par le Dáil Éireann, le parlement d’Irlande, en décembre 1921. Mais une majorité du peuple le rejette, d’où la guerre civile jusqu’en 1923.

Ken Loach montre la contradiction entre les nationalistes (qui se contentent provisoirement de l’acquis) et les révolutionnaires (qui veulent instaurer une république de plein exercice et sociale). En caricaturant : les bourgeois et les prolétaires. L’Eglise, comme toujours, est du côté des puissants. Mais le curé est désorienté lorsqu’il voit plus de la moitié de ses paroissiens quitter « son » église quand il les somme de se taire et d’obéir – comme s’il était la Voix de Dieu lui-même, orgueil habituel  à ceux qui croient détenir la Vérité. Quant aux bourgeois, ils agissent comme les Anglais il y a peu, alignant les paysans contre les murs pour trouver les armes, arrêtant les opposants et les faisant fusiller s’ils refusent de parler…

Damien y passera, tué par son frère pour la même cause, mais chacun pris dans l’engrenage de son propre engagement. Damien, qui a exécuté le traître qu’il avait vu grandir, mais qui a livré le groupe aux Anglais, ne peut pas trahir à son tour – même au nouveau gouvernement irlandais. Une tragédie bien amenée dans la camaraderie de combat et les verts paysages. Un grand film.

Le titre anglais est un vers du médecin poète irlandais Robert Dwyer Joyce (1830-1883), né à Limerick, qui chantait la Rébellion de 1798 en Irlande où les partisans emportaient de l’orge dans leurs poches comme provision. Lorsqu’ils étaient tués et enterrés à même la terre, l’orge poussait sur leurs tombes comme une régénération de la vie.

Palme d’or du Festival de Cannes 2006.

DVD Le vent se lève (The Wind that Shakes the Barley), Ken Loach, 2006, avec Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham, Gerard Kearney, William Ruane, Arcadès 2019, 2h07, €17.00

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Arrogance de cour

Le rapport de la commission Duclert sur la France et le génocide rwandais de 1994 est disponible pour tout public. Il jette un pavé dans la mare. Ce qu’il dit des circonstances de l’intervention de la France au Rwanda intéressera les protagonistes et a déjà été détaillé par les médias. Ce qui m’intéresse est plutôt le fonctionnement de la « démocratie » républicaine. Là, c’est la cata : un roi en sa cour, coupé du monde et isolé dans ses certitudes. La politique comme un grand jeu véhiculée par des mythes (les ethnies, Fachoda, l’emprise américaine), les gens sur le terrain réduits à leur condition d’objets : racisme envers les Noirs et obéissance doigt sur la couture du pantalon pour militaires, diplomates et chercheurs. Le pire de la France, le pire de la gauche, le pire de Mitterrand.

Où est la « démocratie » dans l’absence abyssale du Parlement ? Où est la république dans le trust de la politique étrangère par le seul président ? Où est la raison dans la fièvre idéologique qui aveugle sur ce qui se passe vraiment ? « A la faillite de l’État savant, s’ajoutent les écarts à la norme administrative et éthique qui finissent, lorsqu’ils deviennent fréquents et admis, à entraîner des violations de l’État de droit », est-il écrit dans le rapport. Gouverner, c’est prévoir : là rien n’est prévu. Présider, c’est avoir une hauteur de vues : là personne n’est écouté. Intervenir, c’est avec des objectifs précis et des ordres nets : là, c’est le grand flou ignorant ou gêné. C’est « une constante française, dit le rapport, celle de ne pas poser de mots sur une politique et de ne pas formuler d’objectifs clairs. Une partie de l’explication tient au fait, qu’à aucun moment, une interrogation globale sur la politique militaire française au Rwanda n’est assumée. En effet, les différents acteurs n’ont pas l’occasion de s’interroger sur le caractère atteignable des objectifs et sur la possibilité de mettre des moyens pour y répondre, afin de contribuer efficacement à donner au pouvoir politique les moyens intellectuels dont il a besoin pour affiner sa réflexion et sa décision. »

Aucun contre-pouvoir n’est toléré sous François III, les ministres ferment leur gueule ou s‘en vont, même en cohabitation royale avec un premier ministre chiraquien, le pouvoir élyséen était trop puissant pour se rééquilibrer. Jusqu’au comportement mafieux : « Ces responsabilités sont politiques dans la mesure où les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent. La Commission a démontré l’existence de pratiques irrégulières d’administration, de chaînes parallèles de communication et même de commandement, de contournement des règles d’engagement et des procédures légales, d’actes d’intimidation et d’entreprises d’éviction de responsables ou d’agents. Les administrations ont été livrées à un environnement de décisions souvent opaques, les obligeant à s’adapter et à se gouverner elles-mêmes. »

Aucun diplomate n’est lu et quiconque élève une voix discordante se voit sanctionné dans sa carrière. « Les diplomates épousent sans distance ou réserve la position dominante des autorités, et une administration imperméable aux savoirs critiques dont ceux de la recherche ou même ceux produits dans le périmètre du Quai comme les analyses du CAP », note le rapport. Antoine Anfré, jeune stagiaire qui avait émis un avis différent est sanctionné dans sa note administrative. Or, écrit le rapport (et cela demeure valable aujourd’hui, « répondre à une notation vexatoire n’est pas conseillé. La réaction de l’agent à cette situation contribue même à l’évaluation de son profil et aux garanties que la hiérarchie souhaite obtenir sur la loyauté des cadres – celle-ci s’entendant généralement sous l’angle de la soumission. »

Aucun militaire n’est cru, même les agents de la DGSE pourtant sur le terrain, tant « il faut » à tout prix, quoi qu’il en coûte, désigner les coupables a priori, les Tutsi « étrangers » du parti d’opposition réfugiés et forcément aidés par l’Ouganda voisin. « Entre le colonel Sartre et l’amiral Lanxade, deux conceptions de l’injonction de regarder s’opposent manifestement. Le premier s’applique à regarder la réalité du terrain, qui est d’une difficulté sans nom, le second s’emploie à faire voir une réalité attendue », relate le rapport. Au mépris des faits, sourd aux avertissements, aveugle aux réalités. « La faiblesse des contre-pouvoirs est aussi liée à une forme de faillite intellectuelle des élites administratives et politiques dans leurs entreprises de définition d’une stratégie française au Rwanda », écrit implacablement le rapport.

« Cette faillite a plusieurs causes, disent encore les rapporteurs : organisation des administrations, difficulté à faire émerger des opinions discordantes sans risque pour ceux qui les porteraient, pesanteur générale des représentations concernant cette région de l’Afrique et les enjeux qui lui sont propres mais aussi des préconceptions globales concernant les pays africains, une crise de la pensée française qui s’empêche de concevoir la réalité du Rwanda et lui en substitue une autre ». C’est curieux, en lisant cela le lecteur se prend à penser à aujourd’hui.

La gestion de la crise pandémique n’est guère meilleure que celle du Rwanda. Peut-être connait-on un président moins royal et une cour moins sectaire, mais les administrations restent tout aussi formalistes et bureaucratiques, les opinions discordantes sérieuses sont tout aussi déconsidérées, ceux qui les portent tout aussi mis à l’écart et les représentations du virus tout aussi ancrées dans les biais et les préjugés. Le Coronavirus, comme le Rwanda, suscite la même crise de la pensée française. « D’importantes questions, cruciales même, se posent sur la collecte et les circuits d’information, sur le rejet des analyses dissidentes et des savoirs indépendants, dont ceux des chercheurs et universitaires, sur le poids de représentations fermées et unilatérales, sur la situation d’impensé du processus génocidaire, sur les choix d’occultation versus médiatisation, sur les actes d’hostilité conduits contre les institutions prônant une autre politique, sur les procédés de marginalisation de celles qui contesteraient les processus unilatéraux de décision. Ces questions se posent aujourd’hui », rappelle le rapport sur le Rwanda.

La différence entre 1994 et 2020 réside dans l’Internet, les réseaux et les médias en continu. Par leur acharnement de roquets, leurs courtes vues et leur véhémence de procureurs férus de « principes » abstraits et de yakas péremptoires, ils empêchent de penser – si jamais il restait de vrais intellos pour le faire. Je n’en vois pas beaucoup. Ou ils se taisent, prudents devant la diversité des chiennes de garde et autres dénonciateurs prêts à dégainer les premiers au cas où l’on oserait contester ce que l’on « doit » penser sur le moment. Qu’on se souvienne de l’ineptie hydroxychloroquine, vantée par un éminent professeur de Marseille « à la télé » (donc c’est vrai). Ceux qui émettaient des doutes risquaient d’être lynchés. Dans l’autre sens, les Complotistes permanents (cela semble un trait de tempérament) doutaient de tout ce qui était officiel pour se ruer sur tout ce qui était farfelu (donc non officiel), jusqu’à ce que le Clown en chef de cette bande négationniste aille jusqu’à prôner officiellement « à la télé » (donc c’est vrai) qu’on inocule de l’eau de javel dans les poumons des covidés – puisque ça désinfecte, hein ? Les morts étaient niés, les mesures barrières étaient vues comme d’inacceptables restriction à la liberté absolue de ces libertariens de théorie (qu’on les lâche dans la jungle sans Etat où règne la démerde perso et la loi du plus fort, ils viendront bientôt supplier qu’on les reprenne en société !)…

L’une des conclusions du rapport : « La responsabilité éthique est posée lorsque la vérité des faits est repoussée au profit de constructions idéologiques, lorsque des pensées critiques qui tentent de s’y opposer sont combattues, lorsque l’action se sépare de la pensée et se nourrit de sa propre logique de pouvoir, lorsque des autorités disposant d’un pouvoir d’action réelle renoncent à modifier le cours des événements. » Ainsi du juridisme pointilleux opposé au « nous sommes en guerre », du pouvoir abandonné aux « experts soignants » au détriment de la politique – la gestion de la cité -, de la démission française sur l’Europe malgré le « quoi qu’il en coûte ». L’arrogance est peut-être moins de cour, plus énarchique et diplômée, mais elle est là.

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Joseph Kessel, Mary de Cork

Une fatalité qui va, du crépuscule à la nuit, telle est l’atmosphère de la nouvelle écrite sur la guerre civile irlandaise par un Kessel qui fut en reportage l’année 1920. Il en fait un roman, c’est-à-dire une tragédie cornélienne dans le style sec de Mérimée.

Mary est mariée à Art depuis onze ans ; ils ont un fils de 10 ans en commun, Gerald. Mais ils sont chacun d’un côté de la barrière : Art autonomiste modéré qui accepte l’offre de dominion faite par l’Angleterre, Mary républicaine fanatique qui veut continuer la lutte jusqu’à l’indépendance finale. Ils se sont séparés depuis neuf mois (le temps d’une gestation), Mary suivant dans les montagnes le parti de Valera tandis qu’Art devient le policier de Collins. Le fossé entre les deux est devenu infranchissable, la mort plus forte que l’amour.

Ils se rencontrent dans le réduit d’un pub obscur du quartier du port avant d’aller retrouver à l’appartement commun le fils rentré de l’école. Gerald est ébloui par les aventures de sa mère, qu’il voit comme héroïques, lorsqu’il apprend enfin ce qu’elle fait et pourquoi elle est absente depuis si longtemps. Art observe avec amertume que son gamin a déjà choisi entre eux.

C’est alors que le chef du service de renseignements du parti de l’Etat libre de Collins toque à la porte. Mary se cache dans la chambre de Gerald mais elle entend tout : les rebelles sont repérés, une embuscade va leur être tendue, Art est requis pour s’y rendre. Dès lors, son choix cornélien est fait : entre son honneur et son amour, elle choisit son honneur. Elle va faire prévenir son camp par Gerald, un enfant « innocent » comme un ange messager du dessein divin, afin non seulement de déjouer l’embuscade mais d’en tendre une autre aux assaillants – dont son mari, qui sera probablement tué.

Car Mary est « un cœur pur », ce qui signifie une fanatique prête à tous les moyens pour atteindre son but, sans souci d’humanité ni de sentiments. Par hubris, cet orgueil insensé, elle retourne les valeurs : de l’honneur elle fait un déshonneur en trahissant son amour et son couple ; de son humanité elle fait une barbarie en incitant son fils à devenir parricide ; de la solidarité elle fait une guerre civile entre frères qui va déchirer l’Irlande durant des années. Qui veut faire l’ange fait la bête, résumait Pascal, et c’est bien de cela qu’il s’agit : la pureté poussée à l’absolue devient le Mal. L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. Liberté mesurée ou absolue franchise ? Le moyen terme ne convient jamais à la foi fanatique – la liberté ou la mort. « Partisans de l’Etat libre et partisans de la République irlandaise s’entretuèrent », dit sobrement Kessel, p.178 Pléiade.

Cette nouvelle est un témoin du temps, l’époque des absolus à principes du XXe siècle en son entier, de Lénine à Pol Pot. Avec ses tyrannies et ses massacres induits, comme si l’aspiration au mieux n’aboutissait qu’au pire, bien loin de la juste harmonie raisonnable que les Grecs avaient découverte. Cette époque a réhabilité les instincts contre la raison « et, un instinct, s’il est net de tout alliage, a toujours quelque chose de fort, de vierge, qui force l’admiration. Il y a en lui cette pureté des animaux et des plantes que ne peuvent acquérir nos sentiments les plus raffinés » p.181, Avant-propos de 1927 au recueil Les cœurs purs qui comprend Mary de Cork, Makhno et sa juive, Le thé du capitaine Sogoub.

Joseph Kessel, Mary de Cork, 1925, dans Les cœurs purs, Folio 1988, 192 pages, €6.90 e-book Kindle €6.49

Joseph Kessel, Romans et récits tome 1 – L’équipage, Mary de Cork, Makhno et sa juive, Les captifs, Belle de jour, Vent de sable, Marché d’esclaves, Fortune carrée, Une balle perdue, La passagère du Sans-Souci, L’armée des ombres, Le bataillon du ciel, Gallimard Pléiade 2020, 1968 pages, €68.00

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Steven Saylor, Meurtre sur la voie Appia

Ce gros polar historique s’inspire directement du Pro Milone écrit par Cicéron – encore lui – mais utilise également d’autres textes plus précis sur l’événement. Car le meurtre de Clodius Pulcher sur la via Appia a réellement eu lieu. L’auteur, expert d’histoire romaine estime même « que le meurtre de Clodius a précipité les événements qui ont conduit à la guerre civile entre Pompée et César, et finalement à la dissolution de la République romaine » p.424.

Car tout commence par une émeute des gilets jaunes d’époque, qui se répandent dans les rues de Rome et vont casser les boutiques et jusqu’à brûler le Sénat. Clodius était un démagogue retors et beau comme un dieu, qui baisait sa sœur après s’être donné enfant aux puissants ; il n’avait aucun scrupule à manipuler les gens, fomentant des agitations, séducteur de la plèbe pour obtenir le pouvoir. Lorsque son cadavre est ramené par une litière de sénateur anonyme dans Rome un soir, c’est l’émeute.

Fulvia, l’épouse aux nombreux amants de Clodius – mais fille du dictateur Sylla, épousée par politique – mandate Gordien par la sœur de Clodius, la fameuse Clodia qui l’aimait plus qu’un frère. Les deux femmes veulent savoir qui l’a vraiment tué. Est-ce Milon, représentant des Optimates, l’élite de l’époque, qui briguait le consulat contre lui ? Cicéron ne tarde pas à convoquer Gordien lui aussi pour mieux défendre Milon en apportant des preuves qu’il n’y est pour rien. Quant à Pompée, revenu habiter aux abords de Rome tant qu’il commande une armée, il charge Gordien de se renseigner sur ce qui s’est vraiment passé. Durant cette mission, ses propres gardes protégeront sa maison et sa famille.

Le premier fils adopté, Eco, accompagne le Limier comme limier adjoint et ils vont interroger les témoins de la via Appia sur la rixe qui a opposé les escortes de Milon et de Clodius. Elles se sont malencontreusement croisées entre un temple à Vesta, au bosquet sacré déboisé sauvagement par Clodius pour agrandir sa villa, et une auberge à Bovillae. L’affaire semble plus compliquée que prévu et les témoins n’ont pas tous le même discours. Lorsqu’ils retournent à Rome à cheval, Gordien et Eco sont assommés et enlevés, leur garde du corps Davus, « fort comme Hercule et beau comme Apollon », descendu et laissé pour mort.

Au bout de quarante-quatre jours, père et fils parviennent à s’évader du puits où ils sont prisonniers en maîtrisant leurs gardes et, sur le chemin vers Rome… rencontrent Cicéron et sa troupe en route pour voir César. Nous sommes en -52 et César n’a pas encore vaincu Vercingétorix ; il est revenu en Italie en raison des événements, accompagné de Meto comme secrétaire, second fils adoptif de Gordien et désormais jeune homme de 26 ans.

Gordien rend compte à Cicéron, à Pompée, à Fulvia, à Clodia. Mais toute la vérité ne sera pas dite, se dévoilant par lambeaux. Un procès aura lieu contre Milon, après que Pompée, avec l’aval des sénateurs, eut rétabli l’ordre dans Rome à l’aide de ses soldats. Cicéron défendra Milon et échouera. Exit les deux démagogues, Clodius assassiné et Milon exilé : ne restent que les futurs dictateurs en lice, avec la bénédiction des citoyens qui en ont marre des désordres.

L’histoire ne se répète-t-elle jamais ? Ce qui se joue en France ces derniers temps ressemble fort à ce qui s’est joué à Rome avant César. Les démagogues haranguent les foules réceptives, les gilets jaunes cassent et brûlent comme si tout leur était permis, la république s’affaiblit et le droit est bafoué. Quant à « la vérité », reconnaissons que tout le monde s’en fout ! Il y a vingt ans déjà, l’auteur faisait dire à Cicéron : « Hélas la vérité ne suffit pas. Souvent, c’est même la pire des choses pour la défense d’une cause. C’est pour cela que nous avons la rhétorique. La beauté, le pouvoir des mots. Rendons grâce aux dieux pour l’art oratoire » p.357. N’importe quoi, pourvu que ça mousse ! Les Anglais commencent à le comprendre avec les promesses fallacieuses du Brexit, après lequel on allait raser gratis ; les Américains le voient avec les vérités « alternatives » de Trump sur le charbon, la sidérurgie, les représailles commerciales contre la Chine et la « négociation » qui n’avance pas avec Atomic Kim ; les mélenchonistes voient les ravages du successeur de Chavez au Venezuela et les lepénistes l’ineptie de l’alliance rouge-brun en Italie… Les promesses n’engagent que les cons qui les croient, disait pour une fois justement Jacques Chirac. Ce bon roman historique, basé sur des faits réels, permet de le mesurer en passant un bon moment.

Et Gordien va adopter deux nouveaux petits garçons esclaves pour renouveler le stock, les frères Mopsus et Androclès, ce qui promet une suite.

Steven Saylor, Meurtre sur la voie Appia (A Murder on the Appian Way), 1996, 10-182002, 425 pages, €6.43

Les romans historiques de Steven Saylor déjà chroniqués sur ce blog

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Mayonnaise médiatique

L’été a été caniculaire mais pas seulement dans l’atmosphère ; les esprits français étroitement urbains furent échauffés. Ne voilà-t-il pas que « l’affaire » d’un conseiller ayant commis des actes limites était assimilée au Watergate voire à l’affaire Dreyfus ? Le citoyen contre les pouvoirs (merci Alain, vilipendé par ces mêmes intellos trois mois plus tôt) est une grande chose ; l’hystérie bobote des éditorialistes et politiciens qui adorent jeter de l’huile sur le feu une autre. Ce pourquoi le « journalisme » est l’une des professions les plus mal considérées par les Français, juste après les politiciens démagos ou affairistes.

Pourquoi l’été sort-il des « affaires » ? Parce que la presse aux abois n’a rien à dire et que les acheteurs de journaux ou les auditeurs de chaîne sen continu désertent. Il y a quelques années c’était « le burkini », fake news habilement mise en scène qui avait remis en cause – à en croire les moralistes – les fondements mêmes de la République. Qui parle encore du burkini ? Aujourd’hui c’est un conseiller au nom arabe.

Ben Allah ! dénonce l’extrême-droite, Ben holà ! pose l’extrême-gauche. Un événement banal est devenu affaire d’Etat pour les petits esprits. Ce sont moins les faits en eux-mêmes, qui ressortent d’une sanction et d’une réorganisation des conseillers, sans plus, que le regard que porte sur eux « la presse » avant « les médias », puisque l’affaire a été orchestrée avant tout par ce parangon de vertu affichée qu’est Le Monde. Un tel « Comité de vigilance antifasciste » se reconstitue volontiers pour surveiller et dénoncer les pouvoirs modérés qui tentent de gouverner ; ils se font curieusement absents dès qu’il s’agit de surveiller et dénoncer les vraies menaces, comme celle du terrorisme islamiste, de l’extraterritorialité des lois américaines ou de l’influence des lobbies sur la loi… Soyez fort avec le faible et servile avec le fort !

Le prétexte Benalla était tout trouvé pour les procureurs cyniques de la morale pour les autres. Tous les impuissants battus aux élections se liguaient en cartel de jaloux anti-Macron. L’inquisition Mélenchon en profitait pour tenter de délégitimer les urnes qui avaient « mal » votées – puisque le Mélenchon n’était arrivé que QUATRIÈME au premier tour de la présidentielle. Quelle baffe démocratique pour ce prétendant calife, désormais trop âgé pour briguer le poste ! Sa haine rancunière le fait agir – l’avez-vous remarqué ? – comme le vieux Le Pen : ne pouvant parvenir au pouvoir, il a pris ce même ton de tribun qui agite les fantasmes mais qu’il serait bien en peine de mettre en œuvre si d’aventure le pouvoir lui échoyait. La démagogie dans toute son éternelle splendeur.

La rentrée des ratés se fait en ce lundi gris de pré-automne où France Culture, toujours à la pointe de l’extrême-mode intello, invite dans la première des Matins la virago gauchiste, féministe, écologiste, antisioniste, pro islamiste -en bref arriviste – Clémentine Autain. Cette fille de chanteur ressasse les poncifs à la mode avec cette légèreté intellectuelle issue du manque d’éducation post-68 et de culture propre à la génération Mitterrand. Peu importent les faits, seules les idées comptent. Yaka repeindre le monde – à condition qu’elle soit du bon côté du pouvoir. Le reste ne l’intéresse pas (toute ressemblance avec un certain Tromp n’est PAS fortuite). J’ai zappé Guillaume Erner et son penchant à se trouver toujours du côté du plus fort (en gueule).

Pour l’opposition d’extrême-mode, Benalla est un nervi du président, qui est donc fasciste – « le peuple » (qui parle évidemment par la seule voix du tribun) doit donc le démettre. Que les tabassés (mollement, ils n’ont même pas eu droit à l’hôpital) aient caillassé et insulté copieusement les forces de l’ordre auparavant, est pardonnable ; que lesdites forces et le conseiller « observateur » aient entrepris de faire respecter l’ordre, voilà qui est intolérable ! Curieuse conception de la force publique. Ceux qui veulent une VIe République montrent qu’elle serait plus celle d’histrions que de gouvernants.

Pauvre France petitement intello qui préfère les « principes » en chambre aux réalités du terrain et les « idées » générales à la tâche concrète de gouverner. Même Hulot se met de la partie.

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Christian de Moliner, La guerre de France

Christian de Moliner n’est jamais meilleur que lorsqu’il quitte le présent pour conter une histoire. Dans ce thriller de politique fiction, il imagine la France de 2035, vingt ans après les premiers attentats islamiques de 2015 au Bataclan sous le pantin mollasson qui présidait alors socialement « la démocratie ». Vingt ans et trente mille morts plus tard, c’est la guerre en France. Deux clans s’affrontent : les islamistes qui font de leurs ghettos de banlieues des forteresses où la République ne rentre plus – et les nationalistes qui organisent les représailles et pratiquent le biblique œil pour œil.

C’est donc l’impasse et le gouvernement reste impuissant malgré ses moyens régaliens, empêtré de tabous et de morale.

C’est alors qu’une étudiante à Science Po habitant rue du Dragon, Djamila Loufi, est abordée dans la rue par un mystérieux agent qui se fait appeler Charles Maur… non, pas lui, Maurras, mais Mauréan. Ce qu’il lui propose est inouï : aller rencontrer les deux chefs des clans islamique et nationaliste à la conférence de Chisinau, organisée conjointement par les Russes et les Saoudiens dans la minuscule République de Moldavie, à peine 500 000 habitants, coincée entre l’Ukraine et la Roumanie.

Pourquoi elle ? Parce qu’il lui révèle qu’elle est la fille du dirigeant nationaliste, issue « d’un viol » selon sa mère, sa condisciple étudiante (devenue bizarrement aide-soignante) avant de se suicider quatre ans auparavant. Mais « le viol » – ce fantasme récurrent de l’auteur – est une histoire construite par la mère, pas forcément la réalité… C’est ce que va découvrir peu à peu Djamila/Anne, étant forcée d’accomplir malgré elle tout ce qu’on lui demande. Car sa copine Pauline a été enlevée et une voiture manque de l’écraser dans la rue ; mais elle est désignée major du concours de journalisme à Science Po et obtient passeport et visa en deux jours.

La guerre de France va-t-elle faire une pause grâce à la négociation, sinon s’arrêter ? Car aucun des deux clans ne peut gagner pour le moment ; les islamistes comptent à terme sur leur natalité galopante, les nationalistes sur le rejet croissant des valeurs incompatibles avec la république – et cela fait vingt ans que cela dure.

Tout citoyen peut contester le parti-pris historique de l’avenir en objectant par exemple que l’Etat – pourtant quasi-monarchique sous la Ve République avec l’article 16 de la Constitution – a bien plus de pouvoir que le lamentable exemple hollandais a laissé ; que « les Français » ne supporteraient pas vingt ans d’attentats croissants et un tel nombre de morts sans élire « démocratiquement » un gouvernement fort sur l’exemple autrichien, hongrois, italien, américain et même allemand, qui n’hésiterait pas à remettre en cause les « aides sociales » aux terroristes et à déchoir de nationalité puis expulser les pires ; que la minorité religieuse qui se met volontairement en infraction avec les lois républicaines ne pourra qu’être rejetée massivement par les électeurs si elle devient trop menaçante – avec l’aide probable des autres pays européens affectés des mêmes maux ; que les tabous de la morale ne résistent pas longtemps quand on tue vos enfants.

Mais l’intérêt du livre est de projeter une hypothèse vraisemblable sur le futur, comme Jean Raspail l’avait fait en son temps sur l’immigration venue de Méditerranée avec Le camp des saints. L’arrestation, après que ce livre fut écrit, d’une cellule anti-islamiste qui se proposait de répliquer par des attentats ciblés aux attentats ciblés – prémisse d’une guerre de France – vient conforter la fiction.

Ce livre qui sort le 30 août devrait alimenter le débat lors de la rentrée littéraire. Il offre un divertissement utile en forçant à penser l’impensable : comment éradiquer le terrorisme ? comment faire vivre en bonne entente des communautés sous une même loi laïque ? ou comment expulser in fine les incompatibles ? L’histoire est écrite sans fioritures, les caractères approfondis et l’action progresse de chapitre en chapitre sur un alléchant mode complotiste. Voici un bon livre, dans la lignée de l’étude sur l’islam en pratique mais surtout du premier roman d’anticipation politique qu’est Trois semaines en avril et qui forme une suite. Qu’on se le lise !

Christian de Moliner, La guerre de France, 2018, Pierre-Guillaume de Roux, 140 pages, €23.00

Les œuvres de Christian de Moliner chroniquées sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

PS : dans la version définitive, corriger SVP le sigle SDCE p.127 qui ne veut rien dire : le SDECE a changé de nom sous Mitterrand pour devenir DGSE, s’il s’agit d’un autre service, le préciser.

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Charles de Gaulle, Mémoires de guerre

L’homme qui incarne à la France se raconte. Étrange destin que celui de ce militaire politique, de ce général stratège, de ce chef de la France légitimé par lui-même.

C’était un homme d’un autre temps, un chevalier médiéval, un peu Lancelot, un peu Jeanne d’Arc. Il paraît venu du fond de l’histoire, enrobé de légende, pour sauver la princesse emprisonnée. « Toute ma vie je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire autant que la raison » p.9. La France est une princesse des contes, une « madone » p.9, une « mère » p.269. Il faut l’aimer, lui rendre hommage, agir pour elle. Elle est un mythe actif qui fait agir la volonté. La forme n’est pas l’acte selon Aristote ; il y faut l’intervention d’une cause extérieure : la volonté. Pour De Gaulle, « la France ne peut être la France sans la grandeur » p.9. Pour ce pays, cela signifie simplement la volonté d’exister : car qu’est-ce que la France sinon une mosaïque de peuples, de traditions diverses, toujours prêts à se diviser ? Les provinces, les partis, les notables sont des ferments de division. En 1940, la France fut « trahie par ses élites dirigeantes et par ses privilégiés » p.224. Intellectuels fascinés par la dictature (stalinienne ou nazie), militaires sclérosés, politicards démagogues, jeunesse contre la guerre, commerçants et industriels prêts à toujours s’entendre pour négocier… Pour les partis, ses grands ennemis-symboles du gaullisme, la politique n’est pas « l’action au service d’une idée forte et simple », mais « une chorégraphie d’attitudes et de combinaisons, mené par un ballet de figurants professionnels, d’où ne devait sortir jamais qu’articles, discours, exhibitions de tribun et répartitions de places » p.228. Conséquence : au moment de la percée allemande, c’est un effondrement politique total. L’Assemblée nationale remet à Pétain tous les pouvoirs, presque sans en avoir débattu. « Le parlement ne siégeait pas, le gouvernement se montrait hors d’état de prendre en corps une solution tranchée, le président de la République s’abstenait d’élever la voix, même au sein du Conseil des ministres, pour exprimer l’intérêt suprême du pays » p.74. En bref, l’État était anéanti.

De Gaulle a opéré « le transfert de la souveraineté hors du désastre et de l’attentisme » p.77. « L’appel venu du fond de l’histoire, ensuite instinct du pays, m’ont amené à prendre en compte le trésor en déshérence, a assurer la souveraineté française. C’est moi qui détiens la légitimité » p.593. Pétain n’est rien, mal élu, sous la contrainte ennemie, et il a accepté l’asservissement de la France. De Gaulle est un recours, il symbolise le pays, la France qui veut durer. « La république n’a jamais cessé d’être. La France libre, la France combattante, le Comité français de la libération nationale, l’ont tour à tour incorporée. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu » p.580. Pour Aristote, l’essence du politique est l’intérêt de la cité. Or la cité est de l’ordre de la nature : sans elle, les hommes ne pourraient réaliser leur être de la façon la plus haute. La politique n’est donc pas un « contrat », elle ne se réduit pas à une « économie du pouvoir » où celui-ci aurait à être réparti, où chaque citoyen en posséderait une part comme un « bien » propre. La souveraineté n’existe qu’en actes. Elle doit assurer pour le mieux l’intérêt général. De Gaulle est dans le droit fil de cette conception du politique. « C’est en épousant, sans ménager rien, la cause du salut national que je pourrais trouver de l’autorité. C’est en agissant comme un champion inflexible de la nation et de l’État qu’il me serait possible de grouper, parmi les Français, les consentements, voir les enthousiasmes, et d’obtenir des étrangers respect et considération » p.78. À partir de ce moment, la responsabilité de ceux qui se prétendent en charge de la France, côté Pétain ou côté résistance, « se mesure ici-bas non à leurs intentions mais à leurs actes, car le salut du pays est directement en cause » p.151 ; la politique, c’est « une âme, une volonté, une action nationale » p.545. Elle « ne vaut que par ses moyens » p.299. « Il n’y a de réussite qu’à partir de la vérité » p.186, c’est-à-dire qu’à partir d’une vision réaliste des moyens dont on dispose. Il y a une « logique des événements », « car ceux-ci, dans les grands moments, ne supportent aux postes de commande que des hommes susceptibles de diriger leur propre cours » p.339. Étonnante prescience de la philosophie chinoise essentielle, où la « propension des choses » ne peut être contrée, et où le sage s’immerge dans son courant pour utiliser, au bon moment, son énergie, pour chevaucher la dialectique.

C’est pourquoi De Gaulle avait bien vu que la démocratie n’était pas une fin en soi, mais un moyen institutionnel commode de réaliser l’essence du politique, l’intérêt de la cité. Durant la guerre, il l’a mise entre parenthèses, car elle ne fonctionnait plus. Il a incarné tout seul la légitimité, avant de créer le Comité, puis l’Assemblée consultative ; les circonstances l’exigeaient. Une assemblée est préférable car, lorsqu’elle délibère, elle prend des décisions plus sages qu’un individu seul, même le plus sage, car la délibération est un jugement. En politique, ce qui importe n’est pas qui est apte à prendre une décision, mais qui est apte à juger de ce qui se fait politiquement. C’est pourquoi le politique est l’ensemble des citoyens. De Gaulle s’est présenté devant eux, par la radio, et sa légitimité l’a emporté sur celle des partis qui acceptaient la défaite.

Ce réalisme gaullien de la politique, nourri au cynisme d’Aristote, lui a donné un regard aigu sur le monde. Les Nations-Unies ? C’est utile mais il ne faut pas exagérer leur importance. « Les membres en seraient les Etats, c’est-à-dire ce qu’il y a au monde de moins impartial de plus intéressé » p.796. On l’a bien vu lors de la dernière guerre du Golfe… Les idéologies ? « Dans le mouvement incessant du monde, toutes les doctrines, toutes les écoles, toutes les révoltes, n’ont qu’un temps. Le communisme passera. Mais la France ne passera pas » p.240. Un demi-siècle plus tard, ce jugement s’est avéré. « La Russie soviétique observe, calcule et se méfie. Assurément, tout porte le Kremlin à désirer qu’il renaisse une France capable de l’aider à contenir le monde germanique et de rester indépendante à l’égard des États-Unis » p.460. Ces derniers ne sont pas meilleurs : « L’idéalisme y habille la volonté de puissance » p.510. Les Etats jouent l’égoïsme sacré. « Les propos du président américain achèvent de me prouver que, dans les affaires entre Etats, la logique et le sentiment ne pèsent pas lourd en comparaison des réalités de la puissance ; ce qui importe c’est ce que l’on prend et ce que l’on sait tenir » p.512. Et encore : « Les États-Unis, admirant leurs propres ressources, sentant que leur dynamisme ne trouvait plus au-dedans d’eux-mêmes une assez large carrière, voulant aider ceux qui, dans l’univers, sont misérables ou asservis, cédaient à leur tour aux penchants de l’intervention où s’enrobait l’instinct dominateur. C’est cette tendance que, par excellence, épousait le président Roosevelt » p.352.

Pour faire de la bonne politique, pour mieux la comprendre, il faut décidément en revenir à Aristote.

Charles de Gaulle, Mémoires (Mémoires de guerre, Mémoires d’espoir), Plon 2016, 1584 pages, €28 e-book Kindle €15.99

Charles de Gaulle, Mémoires, Gallimard Pléiade 2000, 1565 pages, €69

Les Mémoires de guerre (seulement) existent aussi en trois volumes en Pocket, 1, 2, 3, mais chacun coûte 8.50 € – autant acheter l’édition Plon !

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Mystique républicaine

On ne lit plus Péguy aujourd’hui, même si notre prof de français de seconde nous en parlait jadis avec admiration. Cela ne se vend plus, probablement à cause du style. Car il est lourd, redondant, circulaire. C’est un style de discours en tribune, de déclamation en assemblée, pas fait pour le silence du livre et de la lecture. Pourtant en Notre jeunesse, écrit en 1910, se trouvent des idées toujours jeunes.

Paradoxalement, il y est peu question de la jeunesse, et encore moins de celle de l’auteur. Péguy développe ses conceptions politiques à leurs débuts, marquées de façon indélébile par l’affaire Dreyfus. J’ai retrouvé certaines de mes interrogations adolescentes, notamment ce que Péguy appelle « la mystique républicaine ». C’est une grande idée, une idée simple, mais qui porte encore. Plus qu’avant même, car l’argent des machines politiques et la complexité des imbrications économiques et internationales laissent le champ politique désormais ouvert aux seuls spécialistes. Avec le recul, la mystique républicaine a fait se lever la Résistance, puis la conquête du pouvoir par la gauche en 1981. Un nouveau consensus écolo-centriste, fondé sur la même mystique, est peut-être né avec le mouvement de renouveau d’Emmanuel Macron ?

Qu’en est-il, selon Péguy ?

Le monde moderne est « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique » p.15. La mystique est le sens des valeurs, la culture en acte. Ses incarnations en sont Jeanne d’Arc, Barra et Gavroche, de Gaulle, Jean Moulin. « Ne parlez point si légèrement de la république, elle n’a pas toujours été un amas de politiciens, elle a derrière elle une mystique, elle a en elle une mystique, elle a derrière elle tout un passé de gloire, tout un passé d’honneur, et ce qui peut être plus important encore, plus près de l’essence, tout un passé de race, d’héroïsme, peut-être de sainteté » p.17. Car « des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi » p.28. Mais c’est une loi de l’histoire que toute foi s’use, que toute légitimité devienne routine.

La mystique se dégrade en politique, les pensées en idées, les instincts en propositions, la culture en enseignement, l’organique en logique. Ce qui était vivant s’intellectualise, le premier mouvement devient opportunisme. On ne bâtit plus, on nomme une commission pour étudier la possibilité de bâtir ; on ne tranche plus, on cherche le plus petit commun consensus (comme à Notre-Dame des Landes…). Le souci de rigueur et d’équité des défenseurs de Dreyfus a été minée par « la politique » avec le bloc des gauches au tout début du siècle. Ils ont trahi l’intégrité au profit du pouvoir. Les « socialistes », sous Mitterrand et Hollande, ont de même préféré leurs petits jeux politiciens et bramé « la Morale » tout en agissant comme des mafieux et des escrocs trop souvent.

Ce ne sont plus ni des saints ni des héros, mais des clercs et des politiciens qui régissent la république. Ils méprisent la grandeur qu’ils ne comprennent plus (ça ne s’apprend jamais à l’ENA), leur scepticisme intellectuel se croit très fort dans le calme et la paix. Viennent les troubles ou la bataille – ou les attentats –  et les esprits destructeurs qui se moquaient de tout se terrent. Ils dénient la réalité qui existe au cœur de l’islam, ils excusent les terroristes par leur milieu social, ils accusent de racisme les Juifs qui ont peur et d’idées extrémistes « de droite » tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Ils se dissimulent, tremblent, voire collaborent : la fidélité à leurs valeurs se tait devant la trouille. Cela s’est vu en 1940 – où une majorité de gens de gauche a voté Pétain ; Péguy, mort en 1914, l’avait prédit – cela s’est vu en 2015 où « tous Charlie » s’est révélé un leurre et où nombre d’intellos sont devenus collabos des tendances fascistes d’un certain islam.

Et ce sont les obscurs, les sans-grades, ceux qui avaient conservé en leur cœur quelques braises de cette mystique républicaine, malgré les sarcasmes et le cynisme à la mode, des juifs de gauche comme Raymond Aron et des cathos de droite comme Daniel Cordier qui sauvent l’honneur de la république et du pays. Et les valeurs pour lesquelles il vaut de mourir. Hier les résistants et ceux qui se sont opposés à la torture en Algérie ; aujourd’hui les flics de terrain, mal à l’aise dans les banlieues à caïds, ou les soldats qui vont combattre Daech ou Aqmi – tous ceux que « la gauche » bobo ignore ou méprise, bien au chaud dans le confort des prébendes d’Etat ou des collectivités, bien à l’aise dans la langue de bois de « la morale » et des « grands principes », le compte en banque bien garni, parfois en Suisse ou dans un paradis (non socialiste).

D’où la baffe monumentale aux présidentielles, aux moral-socialistes. D’où la poussée Le Pen, miraculeusement stoppée par l’indigence de la chef et la séduction du jeune attrape-tout. D’où la colère prête à jaillir contre les urbains intellos s’ils ne se ressaisissent pas. Pour le moment, malgré une certaine arrogance due à sa jeunesse et à son parcours tout de réussite, Emmanuel Macron a repris le flambeau : la France existe dans le monde, la confiance est revenue pour y investir, l’emploi se redresse un peu avec une petite croissance, les réformes sont en train, des décisions sont prises – tranchées – sur les absurdités des prédécesseurs (l’aéroport de Nantes, le budget de la défense, les règles du travail, la taxation du risque).

Nos vertus françaises (que Péguy appelle d’un mot vieilli, « la race », traduit aujourd’hui par le mot tradition), nos valeurs culturelles dans le monde, notre originalité en Europe, Charles Péguy les énumère en 1910 : « Les vertus de la race : la vaillance claire, la rapidité, la bonne humeur, la constance, la fermeté, un courage opiniâtre, mais de bon ton, de belle tenue, de bonne tenue, fanatique à la fois et mesuré, forcené ensemble et pleinement sensé ; une tristesse gaie qui est le propre du Français ; un propos délibéré ; une résolution chaude et froide ; une aisance, un renseignement constant ; une docilité et ensemble une révolte constante à l’événement ; une impossibilité organique à consentir à l’injustice, à prendre un parti de rien. Un délié, une finesse de lame. Une acuité de pointe » p.130. En gros, la faculté d’aller droit au but avec style. Nul doute qu’Emmanuel Macron ne l’exerce mieux que François Hollande, avec un style meilleur que celui de Sarkozy : il serait une sorte de Chirac qui a un projet au lieu d’être girouette au vent.

Il est intéressant de relire Charles Péguy pour cette mystique républicaine ; pas besoin d’être un croyant laïc pour comprendre ce qu’il veut dire – que la république est une zone à défendre, pas si répandue sur la planète où règnent soit les dictatures, soit les démocratures. La mystique est de faire vivre la France et ses vertus ; la politique est trop souvent de les édulcorer en gestion administrative ou clientéliste. C’est toute la distinction du général de Gaulle entre les deux « p » de la Politique et de la politique, voir loin ou à courte vue, décider pour le pays ou magouiller pour être réélu. Auparavant on mourait pour la république ; aujourd’hui on en vit… Que l’une et l’autre politique se tiennent, avec et sans majuscule, le chemin d’équilibre est étroit mais mérite d’être tenu. Sans cela, à quoi bon la république ?

Charles Péguy, Notre jeunesse précédée par De la raison, 1910, Folio essais 1993, 352 pages,, €11.20 ebook format Kindle €1.45  ²²

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Dick Howard, Aux origines de la pensée politique américaine

Il est d’usage d’opposer ‘démocratie’ à ‘république’, la première étant réputée plus progressiste que la seconde. La démocratie mettrait au pouvoir le peuple, la république n’étant que la chose commune. Nous serions tentés de dire : Ô peuple, que de crimes commet-on en ton nom ! L’incantation au ‘peuple’ n’est en rien un gage de démocratie, en témoignent les dictatures technocratiques partisanes des fameuses « démocraties populaires ». Tellement démocratiques que l’on allait en prison pour un pet de travers, après avoir été forcé d’avouer par des moyens coercitifs auprès desquels Guantanamo paraît presque anodin (film L’Aveu, avec Yves Montand). Tellement populaires qu’il fallait un Rideau de fer pour empêcher les populations de l’est de s’exiler dans cet « enfer » de l’Ouest où l’on vivait pourtant tellement mieux… Ou, plus proche de nous, ces pénuries criantes du régime Chavez-Maduro au Venezuela – pourtant le « modèle » du démagogue tribun Mélenchon.

L’originalité de l’Amérique est d’avoir été la première à traduire les idées des Lumières en institutions. Et la première encore à avoir fait de l’équilibre, sur le modèle de Montesquieu, le secret du pouvoir populaire. Les Etats-Unis ont inventé cette « démocratie républicaine » qui laisse toute sa place au débat de tous – tout en corrigeant les errements démagogiques ou les tentations autoritaires par les institutions. Nous l’observons sans peine avec le clown Trump, forcé de mettre de l’eau dans son vin par les juges fédéraux et les Etats locaux – en attendant peut-être d’être « démis » par ses pour l’instant « amis ».

Dick Howard, Américain parlant parfaitement français, enseigne les sciences politiques à l’université de Stony Brook dans le New Jersey. Il analyse les débuts tâtonnants de la pensée politique américaine durant la guerre d’indépendance. Il montre l’invention d’institutions nouvelles à l’œuvre, la richesse des propositions, les revirements issus des arguments des autres.

Il mène son étude en trois parties historiques : l’indépendance, les institutions, la politique effective. Chacune des parties est analysée en quatre étapes : le vécu, le conçu, le réfléchi et le repensé. Cette approche est toute pragmatique, partant de la vie réelle et des problèmes concrets pour s’élever, par degrés dialectiques, à l’abstraction des rouages, à la rétroaction de leur fonctionnement et au retour sur expérience. Il s’agit d’un état d’esprit typiquement américain et qui a fait ses preuves : la Constitution initiale n’a pas quasiment pas bougé depuis son origine – contrairement à celles de la France qui sont sans cesse amendées ou refaites.

Le cœur de l’écart entre la pensée politique américaine et la française est ce comportement « antipolitique » décrit dès la page 16 : « Il s’agit d’un refus de toute forme d’indétermination historique, et d’un rejet de toute division sociale, quelle que soit sa manifestation, refus et rejet qui se doublent de l’incapacité d’accepter la responsabilité de ses propres jugements. Nous avons là une des expressions d’une politique de la volonté. » Car ni la ‘main invisible’ du marché libre régi par la juridification des rapports sociaux, ni le ‘Plan’ d’un État-providence censé régler la société entière, ne sont « politiques ». Les acteurs politiques y refusent d’exercer leur jugement et d’en assumer les conséquences, sur l’exemple célèbre du « responsable mais pas coupable » du Fabius national.

La politique, c’est l’art de trancher après débat entre des intérêts légitimes mais contradictoires. Or, les technocrates politiciens préfèrent de beaucoup « laisser faire » les choses comme elles vont, les rapports de force tels qu’ils s’établissent ou la Raison pure des administrations. L’Amérique dans ses débuts s’est gardée d’une telle façon de considérer la politique – ce qui est une leçon pour notre régime dévalué par nos deux derniers présidents. Par la suite – et notamment sous George W. Bush – les Etats-Unis ont connu « une rapacité économique aussi bien qu’un nationalisme devenu d’autant plus agressif que l’on est moins sûr de soi-même. » Mais « il est surtout nécessaire d’insister sur le fait que ces excès ne sont ni nécessaires, ni fatals » p.17.

Contrairement à la France, la République américaine n’est pas née toute armée du cerveau de philosophes politiciens. Elle est issue de l’expérience à ras de terre du self-government des Associations durant la guerre d’indépendance. La naissance tâtonnante des institutions est issue d’une intense réflexion sur cette adaptation entre la démocratie directe (avec ses élections étendues à beaucoup de postes officiels) et les institutions républicaines (aptes à créer un Etat acteur des relations internationales et arbitre des divergences d’intérêts à l’intérieur). Les « factions » sociales (Publius) menacent l’unité, mais elles ne peuvent ni ne doivent être éliminées par une Raison d’État masquée sous la démagogique « volonté générale » (Rousseau). Il faut donc en contrôler les effets :

1/ par la représentation « qui épure et élargit l’esprit public » p.349 en rationalisant les passions et argumentant les intérêts (d’où les idées justes chez nous de démocratie participative et de décentralisation de certaines décisions au niveau local – y compris pour les entreprises),

2/ par l’étendue du territoire de la république qui oblige à s’adresser à ce qu’il y a de commun en l’homme – sa raison – plutôt qu’à la diversité des passions, et qui dilue la multiplicité des intérêts particuliers au profit d’un intérêt commun, « à savoir la nécessité de protéger les droits de la minorité » p.351 (d’où le rôle du Parlement comme creuset des idées, lieu de débats et d’élaboration de la loi).

On le voit, ce livre est riche d’informations, de réflexions et d’une façon de penser différente de la nôtre. Ce pourquoi il est précieux : non seulement pour saisir le « moment » Trump dans l’histoire des Etats-Unis, mais aussi pour repenser notre rapport français à l’Etat, dans les errements de la gauche comme de la droite avant les dernières présidentielles.

Dick Howard, Aux origines de la pensée politique américaine, 2004, Livre de Poche Pluriel 2008, 412 pages, 10,70€

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Christian de Moliner, Trois semaines en avril

Dans ce roman d’anticipation politique écrit au galop, l’auteur met en scène une France qui nous ressemble beaucoup. Sauf qu’elle est sortie de l’euro et entrée dans le marasme. La guerre civile frise entre Maghrébins et Blancs, des milices plus ou moins armées tirant parfois dans le tas.

Nous sommes dans une ville « périphérique », selon la typologie de Christophe Guilluy, un endroit du nord-est où l’industrie s’est écroulée, laissant les immigrés en ghetto. Aux futures élections municipales, le maire sortant, plus ou moins compromis (mais n’est-ce pas plutôt de l’arrangement politique ?) va se trouver confronté à une liste blanche et à une liste islamiste. La première veut supprimer les subventions aux religions, la seconde imposer la charia financée par les impôts.

Un face à face entre bande rivales d’adolescents voit tirer un Blanc au nom d’immigration plus ancienne, et s’écrouler un Arabe de 13 ans. Fatima, une prof beur qui passait par là s’indigne et stoppe l’affrontement. Paris décide d’instaurer la loi martiale, comme dans une quarantaine de villes de l’Hexagone. Le capitaine Xavier Dubernard est envoyé relever les parachutistes de la ville.

Lui croit à la République égalitaire et laïque, lui veut négocier ; l’en-face, Arabes et Blancs ne veulent pas. Le tireur – 18 ans – se retranche dans un bâtiment et est tué par l’adjoint de Xavier, un lieutenant arabe… Car lui, militaire, ne croit plus à la République égalitaire et laïque, bloqué dans sa carrière par un plafond de verre malgré ses états de services. Il cède aux sirènes islamistes du caïd local, El Assam, qui lui rappelle quelles sont ses origines. La guerre civile va-t-elle commencer ?

C’est sans compter avec Fatima, beur mais pas musulmane, qui en a soupé des machos méditerranéens qui prennent leur plaisir et abandonnent leurs gosses aux fatmas bonnes qu’à ça. Elle-même est orpheline, délaissée par un djihadiste parti se perdre en Syrie. Elle décide de se révolter contre la violence en organisant une grande marche, puis une chaîne humaine. Toutes deux ont du succès, malgré les tentatives de récupération politique. Fatima en profite pour tomber amoureuse de Xavier, qui n’est pas insensible, malgré sa Nicole qui lui reste à Paris.

Mais la haine est plus forte que la République, et le caïd donne des poignards à trois ados bronzés pour qu’ils aillent zigouiller l’apostate – que lui-même, en tribunal islamique à lui tout seul, à fatwaisé pour « justifier » – au nom de Dieu – le crime.

Ce qui fut fait – mais El Assam est pris par l’armée et (on le suppose) jugé. Il aurait mérité douze balles dans la peau mais n’a pas eu le temps de prendre les armes qu’il avait pourtant achetées au trafiquant de drogue arabe du coin. Le capitaine Xavier s’est bien défendu, gérant la situation explosive avec le moindre mort. Mais c’en est trop. Certains militaires rêvent de prendre le pouvoir…

Suite au prochain numéro ? Car ce roman est un peu le prolongement du Pays des crétins, qui se passe dans une semblable ville quelques années avant nos jours.

Depuis sa parution en avril, Marine Le Pen a échoué à dresser la France colorée contre la blanche – mais peut-être n’est-ce que partie remise ? Un redressement à la Erdogan est-il possible en exaltant la nation et chassant tous les trublions bronzés ? Ou bien un parti islamiste, comme dans Houellebecq, finira-t-il par prendre un pouvoir délaissé par les politiques ?

Bien écrit, sans fausses notes (sauf une, la propension du capitaine Xavier à proposer le mariage à toutes ses conquêtes), ce thriller politique à la fois tient en haleine et fait réfléchir sur l’avenir et sur la civilisation. « France, mère des arts, des armes et des lois » ? Ou grand foutoir multiculti où monte la guerre entre religions ?

Christian de Moliner, Trois semaines en avril, 2017, éditions du Val, 144 pages, €13.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Psychanalyse du libéralisme

charles-melman-l-homme-sans-gravite

Répétons-le, le libéralisme n’est pas le capitalisme :

  1. Le capitalisme est une technique d’efficacité économique qui vient de la comptabilité née à la Renaissance italienne et qui recherche l’efficience maximum, prouvée par le profit.
  2. Le libéralisme est une doctrine politique des libertés individuelles, née en France et en Angleterre au 18ème siècle contre le bon plaisir collectif aristocratique, et qui s’est traduite dans l’économie tout d’abord par le laisser-faire, ensuite par la régulation.

Le libéralisme économique a utilisé le capitalisme comme levier pour démontrer sa croyance. Laissez faire les échanges, l’entreprise, l’innovation – et vous aurez les libertés, la richesse et le progrès. Mais s’il est vrai que l’essor des découvertes scientifiques, des libertés politiques et du capitalisme économique sont liés, il s’agit d’un mouvement d’ensemble dont aucune face n’est cause première.

Comme il est exact que la compétition des talents engendre l’inégalité dans le temps, le libéralisme politique cherche un permanent rééquilibrage : d’abord pour remettre en jeu la compétition, ensuite pour préserver la diversité qui est l’essence des libertés. Toute société est organisée et dégage des élites qui la mènent. Les sociétés libérales ne font pas exception. Ce sont ces élites qui sont en charge du rééquilibrage. Mais elles sont dégagées selon la culture propre à chaque pays :

  • l’expérience dans le groupe en Allemagne,
  • l’allégeance clanique au Japon,
  • l’efficacité financière et le bon-garçonnisme aux Etats-Unis,
  • l’appartenance au bon milieu social « naturellement » compétent en Angleterre,
  • la sélection par les maths dès la 6ème et l’accès social aux grandes écoles en France…

Tout cela est plus diversifié et moins injuste que le bon vouloir du Roy fondé sur la naissance aux temps féodaux, ou la cooptation et le népotisme fondé sur le respect des dogmes aux temps communistes. Pour appartenir à l’élite, il ne suffit plus d’être né ou d’être le béni oui-oui du Parti, il faut encore prouver certaines capacités. Le malheur est que la pente du népotisme et de la conservation guette toute société, notamment celles qui vieillissent et qui ont tendance à se figer. Ainsi de la France où le capitalisme devient “d’héritier”, tout comme la fonction politique.

C’est là qu’intervient la « vertu » dont Montesquieu (après Aristote) faisait le ressort social. La « vertu » est ce qui anime les hommes de l’intérieur et qui permet à un type de gouvernement de fonctionner sans heurt.

  • la « vertu » de la monarchie serait l’honneur, ce respect par chacun de ce qu’il doit à son rang ;
  • la « vertu » du despotisme (par exemple communiste ou Robespierriste jacobin) serait la crainte, cette révérence à l’égalité imposée par le système ;
  • la « vertu » de la république serait le droit et le patriotisme, ce respect des lois communes et le dévouement à la collectivité par volonté d’égale dignité.

Cette « vertu », nous la voyons à l’œuvre aux Etats-Unis – où l’on explique que la religion tient lieu de morale publique. Nous la voyons en France – où le travail bien fait et le service (parfois public) est une sorte d’honneur. Nous la voyons ailleurs encore. Mais nous avons changé d’époque et ce qui tenait lieu de cadre social s’effiloche.

C’est le mérite du psychanalyste Charles Melman de l’avoir montré dans L’homme sans gravité, sous-titré « Jouir à tout prix ». Pour lui, la modernité économique libérale a évacué l’autorité au profit de la jouissance. Hier, un père symbolique assurait la canalisation des pulsions : du sexe vers la reproduction, de la violence vers le droit, des désirs vers la création. Freud appelait cela « sublimation ». Plus question aujourd’hui ! Le sexe veut sa satisfaction immédiate, comme cette bouteille d’eau que les minettes tètent à longueur de journée dans le métro, le boulot, en attendant de téter autre chose au bureau puis au dodo. La moindre frustration engendre la violence, de l’engueulade aux coups voire au viol. La pathologie de l’égalitarisme fait de la perversion et de la jouissance absolue des « droits » légitimes – bornés simplement par l’avancement de la société. Les désirs ne sont plus canalisés mais hébétés, ils ne servent plus à créer mais à s’immerger : dans le rap, le tektonik, la rave, la manif, le cannabis, l’ecstasy, l’alcool – en bref tout ce qui est fort, anesthésie et dissout l’individualité. On n’assume plus, on se désagrège. Nul n’est plus responsable, tous victimes. On ne se prend plus en main, on est assisté, demandant soutien psychologique, aides sociales et maternage d’Etat (« que fait le gouvernement ? »).

Il y a de moins en moins de « culture » dans la mesure ou n’importe quelle expression spontanée devient pour les snobs « culturelle » et que toute tradition est ignorée, méprisée, ringardisée par les intellos. L’esthétisme est révolutionnaire, forcément révolutionnaire, même quand on n’en a plus ni l’âge, ni l’originalité, ni la force – et que la « transgression » est devenue une mode que tous les artistes pratiquent… Le processus de « civilisation » des mœurs régresse car il est interdit d’interdire et l’élève vaut le prof tout comme le citoyen est avant tout « ayant-droit ». Il élit son maître sur du people et s’étonne après ça que ledit maître commence sa fonction par bien vivre. La conscience morale personnelle s’efface, seule l’opinion versatile impose ce qu’il est « moral » de penser ici et maintenant – très influencée par les séries moralistes américaines (plus de seins nus, même pour les garçons en-dessous de 18 ans) et les barbus menaçants des banlieues (qui va oser encore après le massacre de Charlie dessiner « le Prophète » ?).

Je cite toujours Charles Melman : plus aucune culpabilité, seuls les muscles, la thune et la marque comptent. A la seule condition qu’ils soient ostentatoires, affichés aux yeux des pairs et jetés à la face de tous. D’où la frime des débardeurs moule-torse ou des soutien-gorge rembourrés, du bling-bling si possible en or et en diamant qui brillent à fond et des étiquettes grosses comme ça sur les fringues les plus neuves possibles (une fois sale, on les jette, comme hier la voiture quand le cendrier était plein). Quand il n’y a plus de référence à l’intérieur de soi, il faut exhiber les références extérieures pour exister. On « bande » (nous étions 20 ou 30) faute d’être une bande à soit tout seul – Mandrin contre Renaud. La capacité à se faire reconnaître de son prochain (son statut social) devient une liste d’objets à acheter, un viagra social. En permanence car tout change sans cesse.

Pour Charles Melman, cet homme nouveau est le produit de l’économie de marché. La marchandisation des relations via la mode force à suivre ou à s’isoler. D’où le zapping permanent des vêtements, des coiffures, des musiques, des opinions, des idées, de la ‘morale’ instantanée – comme la soupe. Les grandes religions dépérissent (sauf une, en retard), les idéologies sont passées, il n’y a plus rien face aux tentations de la consommation. D’où le constat du psychanalyste : « La psychopathologie a changé. En gros, aux ‘maladies du père’ (névrose obsessionnelle, hystérie, paranoïa) ont largement succédé les ‘maladies de la mère’ (états limites, schizophrénie, dépressions). »

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Il nous semble que cette réflexion, intéressante bien que « réactionnaire », est un peu courte. Charles Melman sacrifie à la mode « de gauche » qui fait de l’Amérique, de la consommation et du libéralisme anglo-saxon le bouc émissaire parfait de tous les maux occidentaux – et surtout français.

L’Amérique, Tocqueville l’avait déjà noté à la fin du 19ème siècle, est le laboratoire avancé des sociétés modernes car c’est là qu’on y expérimente depuis plus longtemps qu’ailleurs l’idée moderne d’égalité poussée à sa caricature. Egalité qui permet le savoir scientifique (contre les dogmes religieux), affirmée par la politique (contre les privilèges de naissance et de bon plaisir), assurée par les revenus (chacun peut se débrouiller en self made man et de plus en plus woman). Cet égalitarisme démocratique nivelle les conditions, mais aussi les croyances et les convictions. Big Brother ne s’impose pas d’en haut mais est une supplique d’en bas : le Big Mother de la demande sociale.

L’autorité de chacun est déléguée – contrôlée mais diffuse – et produit cette contrainte collective qui soulage de l’angoisse. On s’en remet aux élus, jugés sur le mode médiatique (à la Trump : plus c’est gros, plus ça passe), même si on n’hésite pas à les sanctionner ensuite par versatilité (attendons la suite). Ceux qui ne souscrivent pas à la norme sociale deviennent ces psychopathes complaisamment décrits dans les thrillers, qui servent de repoussoir aux gens « normaux » : blancs, classe moyenne, pères de famille et patriotes un brin protectionnistes et xénophobes (le contraire même du libéralisme).

La liberté est paternelle, elle exige de prendre ses responsabilités ; l’égalité est maternelle, il suffit de se laisser vivre et de revendiquer. « Les hommes ne sauraient jouir de la liberté politique sans l’acheter par quelques sacrifices, et ils ne s’en emparent jamais qu’avec beaucoup d’efforts. Mais les plaisirs que l’égalité procure s’offrent d’eux-mêmes. Chacun des petits incidents de la vie privée semblent les faire naître et, pour les goûter, il ne faut que vivre. » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II.1) La marchandisation, c’est le laisser-aller groupal des modes et du ‘tout vaut tout’. Y résister nécessite autre chose que des slogans braillés en groupe fusionnel dans la rue : une conscience de soi, fondée sur une culture assimilée personnellement. On ne refait pas le monde sans se construire d’abord soi-même. Vaste programme…

Charles Melman, L’homme sans gravité, 2003, Folio essais 2005, 272 pages, €7.20

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique tome II, Garnier-Flammarion 1993, 414 pages, €7.00

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Le souper d’Edouard Molinaro

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Trois semaines après l’effondrement définitif du Premier empire à Waterloo, Otrante et Bénévent, duc et prince, alias Fouché et Talleyrand, ministre de la Police et président du gouvernement provisoire – se rencontrent pour un dîner politique préparé par le cuisinier Carême. L’avenir de la France est en jeu, et leur position sociale aussi. Eux que tout oppose, vont-ils s’allier pour la circonstance ? Le roi, revenu dans les fourgons de l’étranger, Louis XVIII frère du roi Louis XVI raccourci car « coupable » (en deux morceaux), est à Saint-Denis. Il n’attend que le feu vert de Fouché pour rentrer dans Paris et rejoindre les Tuileries, réinstaller la dynastie.

Joseph Fouché et Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord sont différents par la naissance, l’éducation, la tournure d’esprit, la façon d’être et d’envisager l’avenir. La simple façon de boire le cognac montre combien le bon-vivre aristocrate et l’impatience à la hussarde marquent l’écart de deux générations. Nous avons là deux France, l’une millénaire, installée dans le savoir-vivre et la culture, l’autre née de 1789, avide de tout bouleverser pour s’imposer. Le dîner rassemble autour des sens, l’odorat, le goût, la vision. Le fumet des plats – asperges en billes de petits pois revenues au beurre, saumon fondant à la royale, pigeons à la financière – s’allie aux délices du palais et plaisirs du regard. La bombe glacée se décline en tiare impériale ou en couronne royale. Les ors des boiseries et le mobilier précieux luisent doucement dans la profusion des bougies tandis que gronde au-dehors à la fois le peuple dépoitraillé et l’orage déchaîné dans la touffeur de juillet. Les tableaux représentent des portraits d’ancêtres ou des souvenirs politiques.

Amour-haine, ces deux-là se sont toujours connus. Rivaux, tous deux enfants de santé fragile, l’un forcé par son père capitaine de négrier à courir presque nu sur le sable pour s’endurcir, l’autre lâché par sa nourrice et affublé depuis d’un pied bot, élevé en loques dans le Paris popu loin de ses parents qui ne l’ont jamais aimé. Tous deux ont été ordonnés prêtres, l’un petit frère oratorien et l’autre évêque, ils ont chacun tué leur Bourbon : Fouché Louis XVI, Talleyrand le duc d’Enghien. Couple historique qui fait l’histoire, tous deux iront à Saint-Denis prier le roi de bien vouloir revenir. La France n’a d’ailleurs pas le choix : les étrangers occupent Paris et ne sauraient tolérer le retour d’une république… Fouché, arrivé à la force des bras, ne peut que sombrer avec ses Jacobins s’il ne se plie pas. Talleyrand chutera avec lui, ne servant plus au roi, mais la dynastie Bourbon reviendra. Malgré ses airs de matamore, c’est bien Fouché qui capitule. Et François-René de Chateaubriand évoquera outre-tombe « le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché » cheminant silencieusement le lendemain dans l’antichambre du roi à Saint-Denis.

Le film d’Edouard Molinaro est tiré d’une pièce de Jean-Claude Brisville et les deux acteurs Claude incarnent leurs personnages à la perfection. Le raffinement cruel et cynique de Talleyrand et la brutalité passionnée de Fouché sont le choc de deux tempéraments éternellement antagonistes, de deux siècles qui se bousculent dans la modernité, d’un basculement de l’Histoire poussé par l’industrie qui s’envole. Hier et demain seront toujours les mêmes, celui qui veut conserver pour en jouir et celui qui veut révolutionner pour les autres seront toujours opposés. Leur alliance ne sera toujours que de circonstances, partielle, éphémère, utilitaire.

Nous en avons l’exemple à la présidentielle, entre Hamon qui veut sauver les débris du parti socialiste et Mélenchon qui préfère jouer solo jusqu’à la défaite annoncée, entre Fillon qui veut revenir aux vertus d’effort et de rigueur et le centre qui veut atténuer la purge pour avancer, entre Le Pen qui désire un retour à l’ancien régime pré-68 et les écolos et gauchos qui rêvent d’un avenir radieux (toujours dans l’avenir et jamais radieux). Entre la culture libérale ouverte plus ou moins à l’œuvre depuis 1945 dans le monde occidental, et l’autoritarisme xénophobe qui ressurgit sur le souverainisme britannique et trumpeur. Talleyrand ou Fouché ? L’année 2017 verra-t-elle comme l’année 1917 un grand tournant du monde ?

DVD Le souper – Le vice au bras du crime – d’Edouard Molinaro, 1992, avec Claude Riche et Claude Brasseur, Lancaster 2010, occasion

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Jules César de Joseph Mankiewicz

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Un peu péplum, mais pas trop, un brin théâtre filmé car tiré de Shakespeare, un peu western sur la bataille de Philippes avec le défilé des chemises bleues attaqué à coups de flèches par les Indiens au son lancinant du tambour. Mais ce film, tourné sept ans après la fin du nazisme et en plein barnum du communisme stalinien, met en garde contre le culte de la personnalité. Il montre aussi combien sont versatiles les foules, avides d’un sauveur et manipulables à merci par tout grand mâle qui sait parler et use des effets de bras et de suspense.

Le discours de Marc-Antoine (Marlon Brando) sur les marches du Capitole, après l’assassinat de César (Louis Calhern) par Brutus (James Mason) et sa bande, manipulés par le haineux Cassius (John Gielgud), est un chef d’œuvre de William Shakespeare. Je me souviens encore de ma découverte éblouie de la pièce, guidée par ma professeur d’anglais de Première, ce grand art oratoire de la politique.

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Mankiewicz reprend Shakespeare dans l’opposition psychologique entre Brutus le fils et Marc-Antoine le dauphin. Brutus enlève la foule des Romains, hostile aux assassins, en expliquant que la démesure de César allait ramener la royauté comme sous Tarquin le Superbe et que lui, Brutus, bien qu’aimant César, a protégé la République en éliminant le potentiel tyran. Marc-Antoine retourne la même foule le moment d’après comme un tribun chevronné, en expliquant combien ces « hommes remarquables » qu’a cité Brutus ont massacré de coups un César qui a pourtant refusé par trois fois la couronne, et combien le testament qu’il bandit (mais qui n’est pas le vrai) allait donner au peuple les parcs et les jardins pour son propre agrément.

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Le cinéaste filme des plans de foule comme des fourmis agitées et en contreplongée les orateurs qui dominent et domptent la même foule. Démagogue, subtil, tortueux, Marc-Antoine n’est pas Brutus ; il est bien plus politique, plus serpent que lion. La politique est la puissance des mots sur les hommes (et les femmes de la foule) ; elle est rapport des citoyens à la vérité et au mensonge, masque ou instrument du pouvoir. Brutus est attachant car entier et humain, porté par un amour sincère pour la République et la liberté. Marc-Antoine, le dauphin de César, prendra la place et le fauteuil du dictateur, un temps avec le neveu Octave. Lorsqu’il a retourné la foule, qui crie désormais contre Brutus, Marlon Brando (alors 28 ans) lui tourne le dos et esquisse pour le spectateur un sourire satisfait : il a habilement usé d’art oratoire et de démagogie, il garde à sa main cette foule pour qui il a au fond un profond mépris comme pour tous les ignorants et tous les passionnés. Il ne fera exception que pour Brutus parmi les conjurés, rendant hommage à sa droiture, mais critiquant en filigrane sa rigidité. La politique est l’art de la souplesse.

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De 44 avant à 1944 après, presque deux millénaires ont passés mais l’humanité est toujours aussi bêtement grégaire, elle croit tout ce qu’on lui dit avec art. Chacun joue un rôle comme sur une scène, et le verbe reste performatif – bien plus que les actes. Et la foule est toute surprise lorsque le démagogue fait ce qu’il dit…

Le devin (Richard Hale) a beau mettre en garde César contre les ides de Mars, les éléments se déchaîner pour annoncer sa fin, les cauchemars poursuivre le sommeil de Calpurnia (Greer Garson), la femme de César, l’angoisse saisir la belle Portia (Deborah Kerr), la femme de Brutus – le destin s’accomplira. Brutus a des scrupules, il aime César comme son père, mais il aime la patrie au-dessus et condamne l’ambition dont on l’accuse. Il ne portera pas les premiers coups mais achèvera l’assassinat d’un coup de glaive.

Il n’y a guère que son jeune serviteur Lucius (John Hardy) qui ne soit hanté ni par les scrupules ni par la république ; il fait son travail d’un ton égal, malgré la fatigue qu’il peut ressentir ; il affectionne son maître Brutus, sans l’aimer vraiment. Il est ailleurs, il est esclave, il est étranger à tout ça. Ne restera d’ailleurs de lui que sa lyre, cassée, après le sac du camp des vaincus. Nul ne sait ce qu’il est devenu. Son personnage donne la mesure de la tragédie de Brutus, le garçon en étalon d’humanité qui n’est saisi ni par la passion, ni par l’exaltation politique, ces maux qui aveuglent les hommes.

DVD Jules César de Joseph Mankiewicz, 1953, avec James Mason, Marlon Brando, John Gielgud, Deborah Kerr, Warner Bros €13.99

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Frédéric Encel et Yves Lacoste, Géopolitique de la nation France

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Ce n’est pas un manuel de géopolitique mais un essai d’actualité replacé sur le temps long. Dans ce livre court et facile à lire alternent la vision géopolitique historique d’Yves Lacoste et la vue institutionnelle républicaine du professeur de science politique Frédéric Encel. Et c’est diablement intéressant ! Bien loin des idéologies plus ou moins téléguidées par les émotions victimaires, analysant dans la durée et par le droit, proposant quelques solutions. Car la patrie est en danger « attaquée. De l’intérieur comme de l’extérieur » p.38 – comme au moment de Valmy, où est née la nation.

Puisque la mode post-68 est restée de savoir « d’où » l’on parle, Frédéric Encel avoue être né en France de parents juifs polonais (ce qui ne peut que déplaire à certains lecteurs arabes et aux antisémites) ; Yves Lacoste déclare être né au Maroc de parents français et s’être marié à Camille Lacoste-Dujardin, ethnologue des tribus kabyles (ce qui ne va pas plaire aux souverainistes identitaires et aux ex-partisans de l’Algérie française). Ces origines revendiquées, pour mieux communier dans le creuset français de la nation comme choix à la Renan, sont un enrichissement.

Dédié à Cabu et à Camille, tous deux décédés, les auteurs écrivent un chapitre sur deux du livre, se répondant sur la conquête de l’Algérie, la société postcoloniale, la nation, l’immigration, la mondialisation, l’islamisme, la république. « Mon inquiétude », commence Yves Lacoste, « Que faire ? » termine Frédéric Encel. Malgré une bibliographie de quatre pages, le ton n’est jamais au jargon (sauf le pédant et inepte « et/ou » dont abuse Encel, déformé par la sociologie pseudo-informatique).

De l’extérieur, la nation France est attaquée par des groupes islamistes téléguidés par l’Etat islamique en Syrie et au Levant : Merah, les Kouachi, Coulybaly, Abaaoud, Hadfi, al Mohammad, Amimour, Mostefai, Mohamed-Aggad, Abdeslam… De l’intérieur, la nation France est attaquée par les gauchistes intellectuels, universalistes benêts ou exploitant un fonds de commerce, et par la lâcheté de la gauche en général jusqu’à François Hollande (à peine de gauche, si l’on en croit les socialistes).

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L’inquiétude est sur la nation, idée neuve en Europe à l’époque révolutionnaire, dévoyée par le nationalisme d’entre-deux guerres et le frontisme revanchard du FN. Les belles âmes de gauche, jamais en reste de bonne conscience pour eux-mêmes et de morale pour les autres, ont « déconstruit » en bons intellos des années 50 et 60 la nation pour l’accuser de tous les maux : pétainisme, colonialisme, autoritarisme, gaullisme, libéralisme (ultra), ségrégationnisme… en bref, la nation est devenue (je traduis) « discrimi-nation ». Elle est dénoncée par les descendants des combattants FLN (qui s’empressent d’immigrer en France où règne plus d’abondance et de liberté que dans leur patrie indépendante), par les ex-porteurs de valises jamais remis de la fin des colonies (dont l’accusation virulente était leur seule justification), par les ex-marxistes (qui veulent à tout prix remplacer la classe sociale par la « race sociale » pour continuer à égrener le dogme dans sa pureté), par les sans-frontières qui rêvent de fraternité universelle (beau programme mais auquel ne souscrivent ni les daechistes, ni les Chinois, ni les Américains, ni les Russes, ni même les Anglais…).

Or « nous ne sommes ni des clones, ni des êtres strictement neutres, aseptisés, sans racines ni épaisseur culturelle », rappelle Encel p.185. Langue, territoire, religion, histoire, traditions, mœurs – fondent une manière commune de voir et de sentir qui est légitime. De plus, « la nation française s’est constituée et choisie hors de l’emprise des religions (…) Avec, toutefois, l’attachement manifeste pour un substrat chrétien composé d’un épais réseau d’églises et de cathédrales, de quantités de termes et d’expressions issues des Evangiles ou du moyen-âge chrétien, d’une statuaire (…) d’une gastronomie incluant vins et viandes porcines en abondance… » p.200.

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Frédéric Encel vilipende donc justement tous ces « idiots utiles » (terme emprunté à Lénine) qui accusent « d’islamophobie » tous ceux qui leur déplaisent ou – pire – ne pensent pas EXACTEMENT comme eux : « Un démographe aigri et touche-à-tout, un journaliste-militant et soutien fanatique des dictateurs arabes (les Assad notamment), un ancien humanitaire pour qui tout ce qui est occidental est par nature immonde, des militants Frères musulmans, un philosophe maoïste et ancien soutien des génocidaires Khmers rouges » p.53. Le jeu est de mettre des noms sur ces descriptifs (j’ai pour ma part quelques idées).

Et Yves Lacoste de renchérir : « En France, à une époque où le marxisme est passé de mode, c’est encore une façon pour certains intellectuels d’attirer l’attention et d’avoir un brevet d’appartenance à la ‘vraie gauche’. C’est rejoindre la brigade de ceux que j’appelle les pourfendeurs du colonialisme (c’est-à-dire des fanfarons, puisqu’il n’y a plus de véritable adversaire de l’indépendance des colonies, celles-ci étant toutes devenues politiquement indépendantes) » p.114.

L’immigration postcoloniale est « au cœur du trouble » selon Yves Lacoste, qui retrace l’histoire des émeutes de banlieue en province, des premiers attentats du GIA à Paris, les conséquences géopolitiques mondiales de l’invasion soviétique de l’Afghanistan, les émeutes de 2015 en banlieue parisienne. Et de faire du Maghrébin, puis du Noir musulman, des victimes – alors même que l’immigration (massive en 1975) des boat-people vietnamiens, eux aussi ex-colonisés, n’a engendré aucun trouble.

Yves Lacoste cite l’immense historien philosophe pieux musulman d’origine tunisienne Ibn Khaldoun « (1333-1406) qui apporte la preuve qu’une pensée rationaliste arabe est compatible avec l’islam » p.70. Ibn Khaldoun ne parle pas de djihad, « il est la preuve que l’invocation divine n’est pas très utile en géopolitique, c’est-à-dire dans les rivalités de pouvoirs sur les territoires » p.72. Ce n’est pas la volonté de Dieu qui explique les changements dans l’histoire, mais les changements progressifs des sociétés humaines.

Déstabilisées par la mondialisation, les populations croyantes musulmanes au Maghreb et au Moyen-Orient, se réfugient dans le texte littéral : la nation est détestée au profit de l’oumma (la communauté des seuls croyants – de la secte précise qui l’édicte). Les Etats-Unis et, en Europe, particulièrement la France, font de la nation un contrat social rationnel entre individus – l’inverse même de la croyance intégriste islamique. D’où le combat à mort envers ces pays, ainsi qu’envers les « koufars » (renégats) des pays arabes qui les suivent. Les assaillants islamistes chantaient « Concert au Bataclan, j’attaque en rafalant / Du sang de porcs giclant » : « C’est bien la nation française telle qu’elle est, avec son histoire, ses institutions républicaines et démocratiques, sa culture, ses libertés fondamentales, qu’exècrent les djihadistes », écrit Frédéric Encel p.81.

Ce n’est pas dans le livre, mais j’ajoute : comment, devant cela, ne pas comprendre le raidissement des citoyens français pour la réaffirmation de l’identité nationale avec Fillon ou Valls ? au détriment des Montebourg, Hamon, Peillon et autre Filoche – bien en retard d’une guerre sociale…

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Yves Lacoste de mettre en garde : « Cet éloge du vin et de la cuisine française auquel je me livre ici a pour but d’attirer l’attention des Français sur cet attachement qu’ils éprouvent ainsi à la France ; mais aussi sur ce qui pourrait se passer quand les musulmans qui vivent dans notre pays se mettront à voter pour un parti qui les représente (… obéissant à) l’obsession du mouvement islamiste qui ne manquera pas de faire pression » p.253.

Que faire ? Ou bien voter Front national (je rigole) ou bien « pédagogie et protection, revalorisation du français à l’école, encourager l’associatif laïque, secourir les jeunes femmes menacées, réprimer les ségrégations à l’embauche, restaurer l’autorité républicaine à l’école, surveiller et punir les extrémistes de tous bords, instaurer (peut-être) une garde nationale pour éviter les milices armées » – et la guerre civile (pp.259ss). Telles sont les propositions, un peu faibles et assez banales mais sans doute nécessaires, du géopolitologue de Science Po Frédéric Encel. Un programme pour Valls ou Fillon ? En tout cas un bel objet de réflexion plutôt que d’émotion.

Frédéric Encel et Yves Lacoste, Géopolitique de la nation France, 2016, PUF, 287 pages, €19.00

e-book format Kindle, €14.99

Vient de paraître ce même jour sur Slate.fr l’interview de David Thomson sur les djihadistes, et surtout sur le déni très français de la caste médiatico-politique des menaces de l’islamisme. A lire absolument !

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Laïque cité

La laïcité : tout le monde en parle et personne ne sait vraiment ce que c’est… notamment les textes officiels français ! Tous ignorent le terme « laïcité » et, quand ils emploient le mot « laïc », c’est dans des sens différents. « La République est laïque », affirme la Constitution de 1958, mais ce que cela signifie concrètement n’est écrit nulle part. Si l’on remonte aux débats parlementaires de la Constitution de 1946, on observe deux conceptions alors affrontées :

  1. La séparation militante des églises et de l’Etat, sur le modèle de la loi de 1905 ;
  2. La neutralité libérale de l’Etat à l’égard de toute religion, issue de la liberté de conscience définie par la Déclaration des Droits de l’homme de 1789 (art.10) et de la liberté de culte admise par la Constitution de 1791.

Le mot « laïcité » n’apparaît dans le dictionnaire du français qu’en 1871 – lorsque le Pape est enfermé au Vatican par les armées. Il n’est pas un concept universel, l’anglais ne retient par exemple que « secularism » qui signifie avant tout attachement au monde, au temporel, libre-pensée, doctrine des partisans de la laïcité, voire matérialisme. « Laical » et « laicize » ont été empruntés au français pour figurer ce terme abstrait du Grand Principe, qui n’a guère de signification pour les anglophones – d’où les incompréhensions anglaise et américaine. L’école « laïque » est ainsi pragmatiquement appelée « non-clerical » ou « undenominational » (sans appartenance revendiquée).

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La Convention Européenne des Droits de l’homme ne reconnaît qu’en négatif la liberté de conscience (art.9) et la non-discrimination (art.14) – pas « la laïcité » positive. Nombre d’Eglises sont officielles ou établies en Europe : au Royaume-Uni, au Danemark, en Finlande, en Suède jusqu’en 2000, en Grèce. Sans parler de la religiosité militante aux Etats-Unis où même le veau dollar se voit affublé de la devise « In God We Trust » !

En ces pays, la croyance a-t-elle pour cela plus de poids en politique ? Il est permis d’en douter. Au contraire, même : les gensdegôch n’ont pas à masquer leurs convictions tranquilles, élaborées en deux millénaires, sous des rodomontades en –isme et des appels aux barricades. La liberté, l’égalité, la fraternité, sont des valeurs issues des Evangiles ; elles ne sont pas nées toutes armées dans les cerveaux des bons sauvages révolutionnaires, même français…

Le dictionnaire Robert (éd. 1973) définit la laïcité comme « principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l’Etat n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Eglises aucun pouvoir politique. » Force est donc de constater que la laïcité reste un concept négatif : on ne reconnaît pas, on ne finance pas (loi de 1905), on exclut de la sphère publique d’Etat (Constitution de 1958) – en contrepartie, les cultes n’ont pas à intervenir sur les institutions.

Cet aspect négatif a été transformé en argument de combat par les militants anticléricaux. L’histoire française a en effet été marquée – bien plus que d’autres ! – par la lutte entre les pouvoirs spirituels et temporels. Il faut dire que l’Eglise catholique, aveuglée d’orgueil, a exagéré : les pouvoirs de l’Inquisition se voulaient absolus, le Pape en ses Etats se voulait souverain et même « infaillible » ! Ils voulaient avoir le pas sur les rois et l’orthodoxie catholique condamnait par la mise à l’index – jusqu’en 1966 ! – tout écart aux textes (Copernic, Galilée, Montaigne, Descartes, Voltaire, Swift, La Fontaine, Fénelon, Diderot, La Mettrie, Pascal, Michelet, Baudelaire, Flaubert, Balzac, Stendhal, Lamartine, Hugo, Dumas, Kant, Zola, Gide, Beauvoir, Sartre, Kazantzakis…).

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Nombre de monarques ont pris du champ et secoué la tutelle : l’Angleterre où le roi s’est fait proclamer chef de l’Eglise par ses évêques, Philippe le Bel et le gallicanisme début 13ème siècle. Sous Louis XIV, monarque absolu adepte de « l’Etat c’est moi », l’évêque Bossuet défendra l’idée que le Pape et l’Eglise n’ont de pouvoir « que » spirituel. Les Lumières affirment avec raison le mouvement des idées et du libre-arbitre contre l’obscurantisme des croyances. L’éducation doit mettre en garde les petits d’hommes contre l’obéissance sans examen et contre le fanatisme. Mirabeau et Condorcet veulent arracher l’éducation aux prêtres pour former des citoyens. Rien d’étonnant à ce que le Pape ait condamné la Révolution et sa volonté de remplacer l’homme pécheur que seule la Grâce divine peut racheter (par l’intermédiaire de l’Eglise) en individu émancipé, fort de ses droits et de sa raison. La Restauration de 1814 va d’ailleurs faire de l’Eglise le soutien naturel aux forces conservatrices et ‘réactionnaires’ (ce qui veut dire désirant un retour de fait à l’Ancien Régime). Le Pape Grégoire XVI condamnera même le catholicisme « libéral ».

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Le conflit se focalisera sur l’enjeu scolaire : qui maîtrise l’enseignement maîtrise l’idéologie de l’avenir. L’Etat en France se veut justement interventionniste, porteur d’une idée contraignante du bien commun. Tout le militantisme ‘de gauche’ depuis deux siècles s’est investi pour garder la forteresse, ce pourquoi les « affaires » de foulard ou de maillot de bain (seins nus, torse nu, burkini) restent si sensibles. La loi Falloux (1850) libère l’enseignement scolaire, Jules Ferry expulse les Jésuites en 1880, l’enseignement primaire devient gratuit en 1881, les programmes non-confessionnels en 1882, le personnel doit être laïc en 1886. Le respect des différences et l’autonomie communautaire ne doit pas être poussée jusqu’à nier l’instance supérieure : la citoyenneté.

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Garantir à tous l’égalité devant la loi signifie contenir la guerre des tribus politiques, religieuses ou ethniques par une « volonté générale » supérieure. Clermont-Tonnerre en 1791 : « il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus. » Deux siècles plus tard, la République dit (devrait dire) la même chose aux Musulmans.

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Mais la neutralité républicaine n’est pas la séparation radicale. Trois départements de l’Est, retournés à la France après la victoire de 1918, conservent leur régime de cultes reconnus à financement public… C’est donc que ce régime n’est pas contraire à la Constitution, puisque les deux suivantes de 1946 et 1958 ne l’ont nullement remis en cause ! En conséquence, la loi Debré de 1959 subventionne certains établissements confessionnels, sous condition contractuelle. Il s’agit donc d’impartialité plus que de séparation. La Décision du Conseil Constitutionnel du 19 novembre 2004 précise cette position moderne et de bon sens :

  • Elle interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes.
  • Cette interdiction s’adresse aux individus dans leurs relations avec les collectivités publiques.
  • Elle ne limite la liberté religieuse que lorsqu’elle vise à nier l’Etat. Elle porte non sur la croyance (qui reste libre) mais sur son utilisation.
  • Elle rappelle que tout citoyen comme tout individu autorisé à demeurer sur le sol national doit respecter les règles communes définies par la loi.

Point d’ethnocentrisme jacobin visant à transformer l’homme – mais point non plus de laxisme laïc, ce qui favoriserait les radicaux intolérants. Le contrat social français sépare la justice du Bien. La première est du ressort de la loi, votée par les citoyens en société, et révisable. La seconde est du ressort des convictions de chacun, qui peuvent être religieuses et croire en une Vérité révélée, ou ressortir de l’usage humain de la raison.

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Une société sûre d’elle-même sait « jouer », elle sait prendre ses distances face aux valeurs, en évitant le pire qui est cet « esprit de sérieux » (Sartre) des militants de tous bords. Les Français aiment les guerres de religion pour un peu tout. Cela se traduit aujourd’hui par « des polémiques », et les médias en raffolent car elles font vendre. Mais le chiffre des ventes est-il le seul critère de la vérité ? A chacun de savoir raison garder et de privilégier toujours les procédures aux anathèmes : les règles et le droit sont des contraintes nécessaires de la vie en commun. Elles permettent de modérer et de socialiser.

La liberté de conscience est intérieure, la liberté d’exprimer et de manifester doit demeurer soumise à la loi.

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Liberté ou égalité en France ?

Les Français ont une devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Tout paraît bien équilibré, la liberté en premier qui seule permet le reste, l’égalité en second qui permet à chacun de se révéler, la fraternité pour le tout afin de ne laisser personne sur le bord du chemin.

Sauf que, selon les périodes, la liberté est vue comme opportunité ou comme aliénation, comme l’expression de sa propre responsabilité ou comme une soumission aux forces qui dépassent : le capitalisme, le monde, le destin, la religion. Si ceux qui ont fui Pétain et les nazis à Londres en 1940 avaient agi comme les gréviculteurs d’aujourd’hui, crispés sur leurs acquis, la France ne serait plus la France mais une province éloignée de l’Hinterland allemand. Résister, c’était faire preuve de sa responsabilité en faisant le pari de la liberté. Oh, ils étaient bien peu nombreux, ceux qui ont osé ! La majorité attendait de voir, tergiversait avant de se décider, accrochée par mille liens trop respectables aux habitudes, aux droits acquis, au regard de leur milieu, à la révérence envers l’autorité, à la force imposée…

2016 n’est pas 1940 et nulle armée n’occupe encore la France pour enjoindre de se soumettre ou de mourir. Mais le dilemme entre liberté et abandon est toujours là. L’égalité est ce qui permet de se justifier lorsqu’on ne veut rien changer : tout le monde pareil, évidemment figé dans les positions acquises… Tiens, cela ne rappelle-t-il rien à ceux qui se piquent d’un peu d’histoire ? Mais si, souvenez-vous : ce fameux Ancien régime que l’on se vante tellement, deux siècles après, d’avoir renversé par « LA » Révolution !

Le statut était d’Ancien régime : on naissait noble et nanti ou réduit au tiers et asservi ; seuls « les ordres » religieux (encore un statut !) permettaient de botter en touche lorsqu’on avait quelque talent. La révolution a voulu mettre la chose du peuple (la république) avant les privilèges de quelques-uns et le pouvoir du peuple (la démocratie) au-dessus du pouvoir de quelques privilégiés. Mais, pour fonctionner efficacement, la démocratie exige que chacun y mette du sien : chacun doit trouver sa place, elle n’est plus acquise ; initiative et compétences font avancer la machine, hier figée dans l’idéologie d’un Ordre divin.

Or, aujourd’hui, chacun se réfugie en ses statuts et privilèges, cherchant à reconstituer cet Ordre immobile d’Ancien régime face au mouvement du capitalisme, à la déferlante du monde, aux changements de la modernité. Ce pourquoi la « démocratie » est moins démocratique, les privilégiés s’arrogeant le droit de gouverner dans l’abandon général. Les gens s’effraient de voir que tout va plus vite, que rien n’est plus acquis, que toutes les situations peuvent être remises en cause. C’est humain.

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Mais ce qui est humain aussi est de savoir réagir, « prendre ses responsabilités » comme dit la langue de bois politicienne. Il s’agit en fait de voir le monde tel qu’il est et de s’adapter aux réalités. Pas forcément en démissionnant des règles et procédures élaborées pas à pas depuis longtemps, mais en les adaptant, en en créant de nouvelles.

C’est ce que refusent de comprendre une partie des syndicats, des partis politiques, des fonctionnaires, des employés, des citoyens. Oui, l’économie est désormais globalisée et il est nécessaire d’adapter notre façon de produire et ce que nous produisons pour simplement survivre : existe-t-il encore des allumeurs de réverbères ? des rempailleurs de chaise ? des chaisières dans les parcs ? Pourquoi voulez-vous que certains métiers restent les mêmes alors que tout change autour d’eux ? Pourquoi les taxis garderaient-ils leur monopole ? Pourquoi telle usine, de moins en moins rentable, ou telle raffinerie, inadaptée à la mutation anti-diesel, ne devraient-elles pas fermer ? Pourquoi tel service administratif, qui produit des règles et du papier, ne devrait-il pas être aminci, précisé et réorganisé ? Pourquoi tant de collectivités locales emboitées en poupées russes, avec à pour chacune sa bureaucratie ? Ne sommes-nous pas à l’ère du numérique où nombre de procédures peuvent s’effectuer en ligne ?

Aujourd’hui, la démocratie, la technique et le capitalisme (qui sont liés), demandent de l’autonomie, pas de l’obéissance ; de l’initiative, pas de la discipline militaire. Schumpeter a remplacé Ford. Il est nécessaire de s’affranchir des habitudes pour adapter son travail à une consommation et à des services publics de moins en moins standards (pareil pour tout le monde, montraient les magasins soviétiques avec un seul paquet de lessive sans possibilité de choix – tout le monde pareil, clamait l’Administration à la française qui ne voulait voir qu’une tête). Chacun exige aujourd’hui qu’on le considère dans sa personne particulière et pas comme un « ayant-droit » lambda ou un consommateur « de masse ». Même les téléphones portables sont customisés.

Employés du privé habitués à suivre et fonctionnaires habitués à obéir aux règles sans jamais se poser de question se trouvent perdus, renvoyés à leurs compétences et à leur autonomie – qui, justement, ne s’apprennent pas dans les écoles : le savoir-vivre, le savoir-être. L’obéissance était un confort, un art d’être conforme, une protection contre la responsabilité (c’est pas moi, c’est la règle). Aujourd’hui que la génération rebelle a enjoint chacun d’être différent – parce que l’autonomie de l’individu a progressé – il faut se distinguer ou stagner. Le statut acquis par un concours ou un premier emploi vers 20 ans n’est plus acquis : il faut prouver ses compétences année après année.

D’où la « souffrance au travail », les périodes de chômage et de reconversion, la dépression dans le couple, la « perte du lien social » que pointent tant de sociologues. Et les échappatoires vers le déni, l’alcool et les drogues, ou vers la violence, conjugale, parentale ou sociale. Ce sont tous des symptômes de cette liberté qui ne passe pas.

Il est bien loin, ce mois de mai 1968 où les forces de la jeunesse, les énergies du printemps et l’élan de la vie faisaient craquer les gaines, tomber les tabous, briser les carcans, et libérer le désir comme les initiatives ! Mai 68 a permis la libération des déterminismes : être soi-même devenait possible. Sauf que… a-t-on toujours le cœur de se regarder tel qu’on est ? Un coming out est-il personnellement libérateur ou bien socialement dangereux ? Le regard des autres est parfois fatal à l’estime de soi.

N’est-on pas mieux, au contraire, dans le nid fusionnel où tous égalent tous, grognant ensemble (pas une voix plus haute que l’autre), dormant ensemble dans le même panier formaté, tétant ensemble, en ayant-droits bien sages le même lait standard des mamelles en apparence inépuisables de l’État-providence ? (Mais qui paye ?) De Ford à Schumpeter, de la chaîne à l’innovation, le capitalisme (cette technique d’efficacité économique) s’est adapté – pas la société française. Car le Français n’aime rien tant que de se savoir à sa place, en hiérarchie et statut, là où la fonction crée l’organe (même inutile), où l’on n’est rien si l’on « n’appartient » pas : à une grande école, à un corps d’État, à telle entreprise, tel parti ou telle association d’anciens ci ou ça. Presque tous les Français rêvent d’être « président » – le plus souvent d’une insignifiante association sportive de quartier – mais ils « appartiennent », là est leur honneur, leur seule personnalité. Ils ne sont rien sans le titre, la carte ou l’uniforme. Ils ont trop peur d’être simplement eux-mêmes, tout nu face à tous les autres et au monde entier qui regarde comment ils sont foutus et comment ils s’en sortent… Hier il fallait obéir, aujourd’hui créer – cela change tout !

D’où la peur sociale : du changement, de la mondialisation, des jeunes (« qui ne sont pas comme nous » – air connu), du progrès, des autres. D’où l’angoisse intime : de ne plus être soi, de ne pas être capable, de se montrer à la hauteur, d’être submergé par des forces qui dépassent, voire par les mœurs étrangères. Les Français ne veulent pas être libres, ils veulent être égaux. Ils préfèrent appartenir que s’appartenir ; ils se disent non pas citoyens, ni producteurs, mais fonctionnaire, cheminot, profession libérale, corps des Mines, franc-maçon, socialiste… Ils ne veulent pas penser par eux-mêmes, ni décider en conscience de par leur libre-arbitre – ils préfèrent obéir aux consignes, suivre les mouvements, voter selon la ligne. Et tant pis si leur petite décision individuelle fait crever le collectif : ils se seront trompés avec tout le monde – irresponsables. Cela fait 40 ans que les politiciens, les syndicalistes, les idéologues des partis, les corps de métier, nous prouvent tous les jours que cela se passe ainsi. Mérah évitable ? – C’est pas moi, c’est la règle. Brétigny une erreur ? – C’est pas moi, c’est faute de moyens. Le chômage plus qu’ailleurs ? – C’est pas moi, ce sont les patrons, Bruxelles, l’euro, le droit du travail, les charges sociales et j’en passe – ce ne sont jamais les politiques néfastes des gouvernants, ni les règles tatillonnes et prolifiques des faiseurs de lois.

La grande peur de la liberté fait se précipiter les gouvernants dans le convenu, les fonctionnaires dans les procédures, les employés dans l’attente des ordres et les syndicats dans les manifs rituelles (aussi braillardes, voire violentes, qu’inefficaces). Quant aux pauvres en esprit, pauvres gens, inadaptés du système, paumés du changement, flemmards et profiteurs (mais oui, il y en a), ils sont laissés pour compte. Personne ne s’occupe d’eux. Ils se précipitent donc vers ce qui brille, ce qui promet, ce qui gueule plus fort : les religions, les partis extrémistes. Eux promettent protection, barrières, surveillance, souveraineté.

gamin s envoie en l air avec une gamine

Mais les autres ? Les jeunes, les ouverts, les responsables, les coopératifs (qu’ils soient californiens technologiques ou écolos de proximité) ? Ceux qui préfèrent la liberté dans les règles à l’égalité d’obéissance ? Ils existent aussi, ils sont de plus en plus nombreux comme en témoignent tous les mouvements « alternatifs » – parfois naïfs et velléitaires, mais qui prouvent une quête de neuf : Occupy Wall Street, Los indignados, Nuit debout, En avant, Rassemblement pour l’initiative citoyenne – et tout le reste.

Gageons que les perdants seront les vieux, les rigides, les privilégiés du statut. Et les gagnants seront tous les autres, à commencer par ceux qui représentent l’avenir. Cette note est loin d’être pessimiste, au contraire !  Elle fait le pari de la jeunesse, du futur, de la vie qui va et qui s’adapte. Sans cesse. Contre les vieux cons…

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Sophie Chauveau, Manet, le secret

sophie chauveau manet le secret

« Manet représente la plus grande révolution artistique de l’histoire de l’art », n’hésite pas à écrire l’auteur p.486, qui est tombée amoureuse de son modèle. Non de l’homme, mais du peintre ; non de sa peinture, mais du bouleversement qu’elle engendre. Elle enlève cette biographie au galop, comme elle sait le faire, passant sans vergogne sur les doutes et les interrogations des biographes à propos de cet homme si « secret ». Le livre se lit très bien et l’on y apprend une foule de choses sur l’époque. Manet est né en 1832 et mort en 1883, ce qui lui fait connaître la révolution de 1848, le coup d’État de Napoléon-le-Petit et l’étouffement de l’empire, la défaite humiliante face à la Prusse, les ravages de la Commune et la réaction bourgeoise qui aboutira, des années plus tard, à la République. Dommage cependant que cette fameuse révolution picturale, répétée à longueur de chapitres, soit si peu expliquée…

Édouard Manet est l’aîné d’une fratrie de trois, dans un ménage de fonctionnaire bourgeois rigide et conventionnel. Il essuie les plâtres avec son père et se rebelle très tôt, vers 12 ans, jusqu’à refuser l’école et de faire son droit – comme il était de bon ton à l’époque. C’est tout juste si, soutenu par sa mère et par son oncle, il obtient de s’engager comme apprenti marin pour le concours de Navale.

edouard manet evasion de rochefort 1881

Ce pourquoi toujours il chérira la mer et peindra les nuances de flots en expert (comme Le combat du Kearsage ou L’évasion de Rochefort). Il embarque donc à 16 ans comme pilotin et va jusqu’au Brésil. Il y connait les filles libérées et son sexe explose en elles. Il en est ébloui, illuminé, et ne sera plus jamais pareil face au puritanisme étriqué de sa miteuse classe sociale à Paris.

edouard manet le combat du kearsarge et de l alabama 1864

Dommage cependant qu’il en ramène – nous suggère la biographe – une syphilis carabinée (déguisée tout d’abord en morsure de serpent et plus tard en tabès) dont il finira par mourir à 51 ans. Exactement comme son père.

edouard manet le dejeuner sur herbe 1863

Rebelle aux écoles, aux conventions et aux études – mais très bien élevé et courtois -, il est en revanche très attentif aux relations humaines. Son oncle maternel, ancien officier royaliste, le prend sous son aile et l’emmène petit visiter le Louvre et voir la peinture ; sa mère invite, lorsqu’il est adolescent, une jeune Hollandaise à venir donner des cours de piano. La belle joue divinement et les frères Manet sont tous sous le charme. C’est Édouard qui va s’enhardir le premier et coucher avec elle jusqu’à lui faire un enfant. Pour Sophie Chauveau il n’y a aucun doute, Léon est bien son fils ; pour d’autres biographes, rien n’est sûr.

edouard manet enfant au chien 1862

Quoiqu’il en soit, Édouard Manet va s’attacher à l’enfant, tout comme son frère (dont on dit qu’il pourrait aussi être le fils), et va le peindre aux divers âges de sa vie. Avec un chevreau, aux cerises, à la pipe, en fifre, en lecture, au déjeuner à l’atelier, au chien (l’enfant triste reporte toute son affection sur la bête). Léon, falot et allergique lui aussi aux écoles, restera fidèle toute sa vie à son « parrain » Édouard. Mais être fils de son parrain (à supposer qu’il l’eût su) ne devait pas être drôle tous les jours dans la société corsetée et victorienne de la France du Second empire, puis des débuts de la IIIe République ! Car Édouard Manet épouse la domestique pianiste Suzanne… mais ne reconnait pas l’enfant qu’elle a (en est-il vraiment le père ?).

edouard manet la peche 1863

Le seul tableau où Léon apparaît avec ses deux parents, Suzanne et Édouard, est dans La pêche en 1863 ; encore est-il représenté centré sur lui-même et son chien, de l’autre côté de l’anse où le pêcheur lance ses lignes… Est-ce pour cela qu’Édouard assure par testament à Léon une certaine part de sa fortune au moment de mourir ?

edouard manet olympia 1863

La bourgeoisie triomphante, repue et contente d’elle-même, impose ses goûts (de chiotte), sa morale (puritaine), sa politique (conservatrice) et ses débauches masculines (théâtres, cocottes, folies-bergères et putes entretenues) – vraiment du beau monde. L’académisme en peinture montre combien le fonctionnariat et la bien-pensance peuvent tomber dans le pompier convenu et ignorer toute nouveauté. Édouard Manet est « refusé » plusieurs fois au Salon annuel. En 1863, son Olympia est un scandale national : pensez ! le portrait d’une pute à poil qui se touche la touffe, assistée d’une négresse (réputée « chaude ») et d’un chat noir (réputé diabolique et sorcier sexuel) ! D’autant que la lumière vient derrière celui qui regarde le tableau et que le spectateur se sent assimilé à un voyeur… Toute la cochonnerie est donc dans son regard – et cette ironie passe mal chez les contents d’eux. (Ce n’est pas différent sur la Toile aujourd’hui avec le puritanisme yankee et catho sur les « torses nus »).

edouard manet blonde aux seins nus 1875

« Manet comprend enfin que ce qui offusque les bourgeois, c’est leur propre abjection, leurs sales façons d’acheter et de traiter les femmes. Lui ? Il les traite si bien » p.452. Il peint toutes les femmes qu’il aime, et il aimera souvent ses modèles jusqu’à coucher avec elles tant il se pénètre d’elles en pénétrant en elles. Berthe Morisot, camarade en peinture, sera le second amour de sa vie (elle épousera son frère).

edouard manet berthe morisot au bouquet de violettes 1872

Bien que demi-mondaine, La blonde aux seins nus se révèle dans sa féminité. Rien de pire que les nouveaux riches ou les nouveaux puissants, hier comme aujourd’hui : ils se font plus royalistes que le roi, sont plus imbus que lui de leurs privilèges, plus rigoristes sur la Morale (en public) et bien pires en privé avec tout ce que l’argent et le pouvoir peuvent acheter… Le bar aux Folies-Bergères peint cet érotisme torride sous la fête et l’alcool.

edouard manet le bar aux folies bergeres 1882

Manet peint la réalité et celle-ci est insupportable à ceux qui se croient. Tout doit être rose, « idéal », montrer le paradis rêvé et non pas la sordide vérité telle qu’elle est. Le déjeuner sur l’herbe, peint à 30 ans la même année que l’Olympia, est un pied de nez à ces prudes qui déshabillent une femme des yeux sans oser jamais le leur demander en vrai. Quitte à peindre une fille nue, autant la parer du titre de « vénus » et la poser en décor mythologique – ça fera cultivé et ravira la bête bourgeoisie qui se pique de littérature sans avoir lu grand-chose. Même une « simple » botte d’asperge fait réclame : est-ce de la « grande » peinture ?

edouard manet botte d asperges 1880

Dommage que Sophie Chauveau ne mentionne pas une seule fois la photographie en train de naître, qui oblige les peintres à inventer du neuf. Édouard Manet ne s’est jamais voulu « impressionniste », même s’il a frayé la voie au mouvement où il comptait nombre d’amis. Mais à lire Sophie Chauveau, le lecteur peut croire que la seule « lutte des classes » a créé tous les ennuis et les rebuffades du peintre. Même si Zola n’est pas sa tasse de thé, criard, gueulard, ignare en peinture, adorant se faire mousser, très près de ses sous – et pas reconnaissant le moins du monde. En 1889, « tous ses amis, Monet en tête, souscrivent généreusement pour faire entrer l’Olympia au Louvre, seul Zola refuse de donner un sou. Rapiat, renégat, ou manque de goût et de cœur ? » p.474.

edouard manet stephane mallarme 1876

Heureusement, Manet n’a jamais manqué d’amis. D’Antonin Proust, ami d’enfance, à Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Nadar, Offenbach, et tous les peintres de la nouvelle école : Degas, Pissarro, Monet, Renoir, Sisley, Berthe Morisot, Caillebotte, Fantin-Latour…

Un bon livre, insuffisant pour connaître le peintre Manet (il manque notamment une liste chronologique des peintures citées), mais qui donne envie d’aller (re)voir sa peinture !

Sophie Chauveau, Manet, le secret, 2014, Folio 2016, 491 pages, €8.20

Les livres de Sophie Chauveau chroniqués sur ce blog

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Paul Harding, La colère de Dieu

paul doherty la colere de dieu

L’Angleterre, en 1379, est un royaume dont le prince est un enfant. Richard II a 12 ans, un précepteur ambitieux et un oncle régent, Jean de Gand, dont le pouvoir chancelant est convoité par des factions nobles ou des guildes bourgeoises. Les corpulents marchands de Londres verraient bien émerger une république comme à Gênes ou Anvers. Pressurés, les paysans et les petites gens de Londres forment des groupes secrets fondés sur la foi naïve des Évangiles : « Lorsqu’Adam labourait et qu’Eve filait, qui était le seigneur alors ? » Un mystérieux Ira Dei – la Colère de Dieu en latin – tire les ficelles.

Sur son ordre, sont assassinés le shérif de Londres et un puissant marchand. L’or de la guilde, gardé dans une chapelle du palais Savoy, en coffre bardé de fer et muni de six serrures dont chaque marchand a une clé, disparaît… Le petit roi s’amuse et le régent fulmine. Il mande sir John Cranston, coroner de Londres, flanqué de son clerc dominicain Athelstan, pour résoudre cette énigme, la quatrième de la série. Mais ce ne sont pas moins de quatre énigmes que le duo aura à connaître : la mort mystérieuse de sir Oliver, ami de Cranston, peut-être assassiné par son aguichante épouse (mais il reste à le prouver) ; le diable qui se manifeste chaque soir dans une maison de ville par la bouche d’une fille possédée, dont la mère est morte et révèle en rêve qu’elle a été empoisonnée (comment la croire ?) ; les étranges disparitions des têtes de décapités, exposées sur le seul pont de Londres fermé chaque soir et gardé (pourquoi voler des têtes ?) ; enfin le complot d’Ira Dei. Ce n’est pas le travail qui manque !

« Nous sommes cernés par le péché, sir John, remarqua sombrement le clerc. Comme dans la plus noire des forêts, où que nous regardions, nous voyons luire les yeux des prédateurs » p.215. On embarque larrons et catins par fournées, tandis que des vendeurs de reliques exploitent la crédulité des âmes. Les nobles méprisants vont à la chasse et les marchands fourrés se pavanent. Où est Dieu dans tout ça ? Eh bien, dans cette berceuse qu’une mère chante à son enfant ; dans ces deux adolescents, fils et fille du fossier et du ramasseur de crottins, qui s’énamourent et qu’Athelstan convainc les parents de fiancer ; dans les yeux lourds de sommeil et les cheveux ébouriffés de Crim, l’enfant de chœur fidèle au poste chaque matin ; dans l’apprenti du serrurier au visage d’ange ; et dans Benedicta, la belle veuve amicale, dont Athelstan est secrètement amoureux. Dieu est aussi dans la logique, transmise par les clercs de l’Eglise, dont Athlestan a été abreuvé. Il se remémore les maximes de son maître Paul pour trouver les solutions.

Une fois encore, la magie agit. L’humanité s’ébat et s’égare en comédies, les passions tuent ou font vivre, le monde avance, doucement. Nous sommes au moyen-âge, dans une ville dynamique et commerçante où une société se forme. Paul Harding le raconte très bien.

Paul Harding, La colère de Dieu (The anger of God) 1993, 10/18 2005, 253 pages, €7.50

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Montesquieu ou Rousseau

L’Angleterre et la France ont fondé l’Etat parlementaire moderne. La féodalité y fut plus forte qu’ailleurs et la théorie de la souveraineté y a été élaborée par les juristes pour asseoir le pouvoir du roi. C’est contre cet absolutisme que sont nées les revendications libérales : liberté de penser, d’aller et venir, de s’exprimer, de posséder la terre, de commercer.

La tentative absolutiste de Charles 1er d’Angleterre, catholique, lève une opposition armée parlementaire qui exécute le roi (30 janvier 1649), dissout la monarchie (7 février), fonde le Commonwealth (république) en mai et élimine les Niveleurs (partisans du peuple souverain, adeptes baptistes de la cité de Dieu ici-bas). Un roi ne reviendra qu’en 1660 avec Charles II. John Locke (1632-1704) et Montesquieu (1689-1755) vont penser cette révolution pour accoucher de la réflexion politique moderne.

Locke est l’anti-Descartes : il ne s’isole pas pour rentrer en lui-même afin de découvrir la Vérité. Il se veut immergé dans son temps et utile aux hommes en société. Ainsi écrit-il des réflexions diverses sur la tolérance, la valeur de la monnaie et l’art de soigner. Montesquieu est de même un penseur de la complexité, écrivant sur le climat et sur les mœurs avant de théoriser les régimes politiques et d’établir l’esprit des lois.

montesquieu de l esprit des lois anthologie

La France est héritière de Montesquieu ; mais elle s’est laissé tenter par Rousseau le Genevois orphelin (1712-1778), sa mystique paranoïaque de la fraternité, son absolutisme populaire, son abstraction universelle. Elle oscille depuis entre Robespierre et Napoléon – héritiers dialectiques de Rousseau – et la IIIe République, acmé de l’équilibre des pouvoirs.

Notre République Ve n’est qu’un compromis bâtard entre Rousseau et Montesquieu. Il n’évite ni le caporalisme jacobin ou extrémiste, ni la tentation du centre. La France reste écartelée entre l’équilibre des pouvoirs (qui laisse la société vivre par elle-même) et l’interventionnisme étatique ou partisan (qui veut imposer une ligne « unanimiste »).

Montesquieu considère les mœurs plus efficaces que les lois. Quant aux institutions, « il faut que le pouvoir arrête le pouvoir ». La loi incarne la raison, mais c’est la vertu qui anime tout régime. Grandeur de la loi, infirmité du législateur : Montesquieu est sceptique sur l’humanité. Ce pourquoi la religion est utile : beau décor et frein social. L’égalité absolue est un rêve mais l’État « doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé. » La séparation des pouvoirs assure l’harmonie de trois forces sociales : le roi, le peuple, l’aristocratie – en trois pouvoirs qui se balancent : l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire.

Montesquieu distingue trois régimes-type qu’il appelle par convention :

  1. République : elle peut être soit démocratique (le peuple en corps, animé d’une vertu civique à l’antique), soit aristocratique (comme à Venise où la vertu est la modération).
  2. Monarchie : le gouvernement d’un seul, sa vertu sociale est l’honneur (ou esprit de corps), mais les lois fondamentales sont indépendantes du monarque et exercées par des pouvoirs intermédiaires. Ce type a la faveur de Montesquieu.
  3. Despotisme’ : le gouvernement d’un seul mais lui seul fait les lois. Sa ‘vertu’ est la crainte.

Que reste-t-il aujourd’hui de Montesquieu ?

Incontestablement les institutions américaines, qui fonctionnent comme ‘république aristocratique’, de même que la fédération allemande créée en 1946. La Ve République tient nettement du type ‘monarchique’, tout comme le régime chinois « communiste » actuel. Le type despotique a donné lieu hélas à d’innombrables exemples : Napoléon 1er, Staline, Hitler, Fidel Castro, Hugo Chavez… Le régime russe sous Poutine balance entre type monarchique et type despotique. Le régime de type démocratique est probablement le mieux représenté par les institutions anglaises : élections simples et directes, la reine restant symbole du pays et de sa ‘vertu’ traditionnelle.

rousseau du contrat social

Rousseau considère la société (concrète) comme injuste et la nature (abstraite) comme bonne.

Cet affect lui vient de son enfance orpheline (abandonné par son père, mère morte en couches), autodidacte et campagnarde. Par ressentiment personnel et empreinte chrétienne profonde, il croit l’homme « naturellement » bon, aliéné seulement par la société. Pour lui, société naît de propriété, qui est sauvegarde égoïste des intérêts. De là viendrait le malheur. Il surgit de la quête d’intérêt personnel, d’amour de la propriété, d’avidité à accumuler de l’argent et de se croire plus que les autres en le dépensant.

Du Contrat social est inspiré par la passion de l’unité. Rousseau veut imposer la subordination des intérêts particuliers à la « volonté générale », souveraine et absolue comme sous les rois. « Chaque membre est partie indivisible du tout ». Cette abstraction fonde l’égalité théorique, donc la « liberté », puisque Rousseau définit ladite liberté comme l’obéissance aux lois de sa propre communauté…

La souveraineté, ainsi rêvée, se doit d’être :

  • inaliénable (pas de gouvernement représentatif),
  • indivisible (ni séparation des pouvoirs, ni corps intermédiaires, ni partis ou factions),
  • infaillible (la souveraineté est vérité d’elle-même),
  • absolue (mais pas « arbitraire » car la « volonté générale » ne serait plus souveraine).

Cette souveraineté unanimiste est le rêve de Mélenchon, tout comme celui – toutes proportions gardées – de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont-Aignan. Mélenchon veut la révolution permanente, la fin de la politique comme métier, les citoyens mobilisés ; Le Pen rêve du peuple comme la vache rêve du taureau, le bon sens près de chez vous, la terre ne ment pas, le sens de la race infaillible; Dupont-Aignan reprend le gaullisme historique pour en faire un intégrisme souverainiste.

Pour Rousseau (et probablement pour la réalité), la démocratie « ne convient qu’à un peuple de dieux ». Les humains étant ce qu’ils sont, le régime aristocratique leur va mieux. Il est l’aptitude des meilleurs, éduqués pour servir et surveillés par les citoyens. Mais le gouvernement est secondaire selon Rousseau, car il a tendance à dégénérer et trahir. Ce qui compte est la souveraineté. D’où l’importance de former des citoyens qui soient conscients de leur pouvoir en corps. Rousseau prône l’éducation (« Émile »), la religion civile et (comme Tocqueville) la vertu à l’antique.

Que reste-t-il aujourd’hui de Rousseau ?

Le caporalisme de la ‘volonté générale’, la mobilisation spartiate des citoyens au nom de l’universel, le mythe du « naturel » qui va de l’écologie mystique à l’éducation libertaire, la haine de la société (assimilée à la Cour, la mode, le médiatique, l’industriel, l’argent, le capitalisme…), la méfiance de tous contre tous, le surveiller et punir, l’intolérance pour les factions et partis, la tentation technocrate, l’illusion fusionnelle.

Connaître les racines de nos inspirations politiques doit nous rendre conscients de ce qu’il est bon de garder – et de ce qui serait nécessaire de faire évoluer. Cela en-dehors des ego surdimensionnés et sans intérêt du personnel politique.

Montesquieu, De l’esprit des lois (anthologie), Garnier-Flammarion 2013, 395 pages, €5.90 

e-book format Kindle, €2.49

Montesquieu, Œuvres complètes tome 1, Gallimard Pléiade 1949, 1665 pages, €59.50

Montesquieu, Œuvres complètes tome 2, Gallimard Pléiade 1951, 1800 pages, €60.00

Rousseau, Du contrat social, Garnier-Flammarion 2011, 255 pages, €3.90

e-book format Kindle, €2.99

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Robert-Louis Stevenson, Le prince Othon

robert louis stevenson oeuvres 1 pleiade
Paysage romantique, prince de légende, vastes forêts sauvages aux rochers antédiluviens d’où jaillissent des cascades bondissantes, burgs sévères fichés sur les hauteurs… voilà pour le décor, furieusement XIXe. Et bien sûr, intrigues de cour et bouillonnement populaire. Les fêtes et les fastes rendent l’impôt trop lourd, tandis que les ambitieux préparent la guerre.

A Grünewald – le bois vert – les personnages de l’élite sont brillants mais lâches et pervers, trop humains ou, peut-être trop « chrétiens ». Il y a une faiblesse congénitale dans cette noblesse futile et inutile, bientôt condamnée par le siècle – et ce dès la fin du roman. L’incompétence le dispute avec l’inexpérience, le peuple laborieux, lui, va comme il peut, mais n’en pense pas moins.

Lui, prince Othon à la trentaine, ne vit que pour la chasse, gouverner l’ennuie, l’amour aussi. Elle, princesse Séraphine son épouse, est une enfant gâtée, capricieuse et tête de linotte qui se croit le pouvoir de gouverner. Les deux se font manipuler par un couple de parvenus, le baron Gondremark et la comtesse Von Rosen. L’auteur, dit-on, s’est inspiré du chancelier Bismarck pour le mâle et de l’aventurière Lola Montès pour la femelle. Sa faune s’inscrit cependant bien dans l’air du temps – celle des « nationalités » et des « révolutions ».

À l’encontre de la politique, travail non noble pour ces seigneurs décadents, la nature offre son amour romantique, panthéiste et universel, fusionnel bien plus que les mesquines alliances de chair et d’intérêts. Rousseau est passé par là, mais lui n’avait rien d’un noble. « Autour d’eux, le soleil, le vent, le vol des oiseaux, les vastes régions de l’air et ses vastes perspectives : tout près, la forêt sauvage et les rochers montants, le son et la voix des torrents de montagne et, loin, en contrebas, l’émeraude de la plaine se fondant dans le bleu de l’horizon » p.846 Pléiade. Joli, n’est-ce pas ?

Prince et princesse se retrouvent cependant à la fin, enfin humains, dévêtus des oripeaux de théâtre de leur pouvoir de carton-pâte ; ils font l’amour nus au cœur de la forêt, dans une clairière enveloppante où les oiseaux célèbrent la vie. Démis du pouvoir, emportés par une révolution, leur château brûlé par les émeutiers, l’intrigant Gondremark chassé par la fureur populaire, ils vivront à la ferme d’amour et d’eau fraîche – et peut-être de sain travail en plus des poèmes rustiques…

Le paysan proche du rythme des saisons est-il plus « naturel » que le souverain régnant sur sa principauté ? Le mythe romantique opposant l’artificielle existence urbaine des élites et la vie écologique des campagnes naît à la mi XIXe, lorsque l’industrie prend son essor autour des villes. Il est de bon ton de dénigrer l’oisiveté et la civilité, ce qui faisait l’essence de la vie aristocratique. En conséquence de cette nouvelle façon de penser, le peuple de Grünewald s’est pris en mains et a proclamé la république.

Mais cet amour naïf pour la nature, pour la princesse retrouvée sans ses robes ni ses bijoux, n’est pas le seul. Se tisse aussi celui de la comtesse pour le prince, jamais consommé (le romantique est moral, avide de « pureté », ce qui est toujours un brin suspect). Von Rosen trahit Gondremark, son baron de compagnon qui joue au premier ministre et voudrait bien la place de calife à la place du calife. Si le coup d’État échoue, c’est par les intrigues de la comtesse qui prévient les uns contre les autres, comme au théâtre. Signe d’un faux amour peut-être, du moins joué par dérision sur un air d’opérette où fusent les répliques spirituelles et bien senties.

Chacun découvre dans les épreuves sa propre nature – en général moins plaisante qu’il ne le croyait. Le prince est faible et inconstant, la princesse égoïste et ambitieuse, le baron obsédé du pouvoir, la comtesse menée par ses passions. Ce tourbillon de cour contraste avec la sérénité des campagnes où le paysan comme le meunier ont un jugement longuement mûri à la force tranquille des saisons, ayant une conception du devoir aiguisée par les travaux et les jours. Élites futiles et peuple sage est le ressort du romantisme, cette nostalgie réactionnaire pour le « bon vieux temps » et le « naturel » (on dit aujourd’hui « bio »). Cela se traduira en politique par le populisme, dont les fascismes ont si bien su jouer, comme Staline après 1941 auprès du peuple russe (et Poutine aujourd’hui). Les vertus ancestrales, ancrées dans la glèbe et polies par les générations, s’opposent de tout leur poids aux vices supposés induits par la culture.

Le lecteur de nos jours ne peut vraiment s’attacher au prince Othon, aussi lâche et versatile que Louis II de Bavière – son modèle, disent les érudits.

Les jérémiades sur le pardon chrétien sont écœurantes de faiblesse, la sensiblerie peut-elle jamais racheter la lâcheté ? C’est la même chose aujourd’hui, où la gauche et les chrétiens pardonnent volontiers aux « méchants », plutôt que de les empêcher de nuire. « Vous me permettez de croire que je m’adresse à des chrétiens ? Nous sommes tous conscients, je l’espère, d’être de misérables pécheurs » p.837 Pléiade. Ces termes préparaient la conscience coupable de notre temps, le péché originel de la domination et toutes ces fariboles d’une culture de l’excuse.

Robert-Louis Stevenson, Le prince Othon – fantaisie romanesque, 1885, CreateSpace Independent Publishing Platform 2015, 192 pages, €15.72
Format Kindle €0.99
Robert-Louis Stevenson, Oeuvres 1 (avec entre autres L’île au trésor et Dr Jekyll), Pléiade Gallimard 2001, 1296 pages, €59.00

Les oeuvres de Robert-Louis Stevenson chroniquées sur ce blog

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Pour 2017 : gauche menteuse et droite écartelée

François Hollande ne cesse de répéter que la reprise est là, que le chômage va baisser… depuis trois ans. Messires ânes ne voient rien venir – or ils sont électeurs et en ont marre des supermenteurs. A la journée des dupes, les gouvernants ne sont pas les maîtres – puisque l’on reste en république, avec droit de vote égal pour tous.

Mais si tous sont mécontents, nul ne voit d’alternative.

L’indignation se suffit à elle-même, bobo contente de soi, elle rentre chez elle pour jouir de son petit confort et de son cercle étroits d’amis – sa morale est sauve. La politique ? Bof… 16% des Français déclarent faire confiance à François Hollande, ils s’en foot, préférant sport+ au grand journal+, les passes sur le terrain aux passe-droits des passe-partout politicards. Pire ! La présidentielle 2017 ne verrait-elle pas revenir le duo de bras cassés que l’on a assez vu, les Laurel et Hardy gauche et droite ? « Ras l’bol », dit vulgairement Martine Aubry d’un ministre : que ne peut-on dire alors d’un ex-président et d’un futur ex-président ! C’est toute l’offre politique qui est refusée en bloc, les malgré-nous refusant le déjà-vu du Sarkozy-Hollande 2012, 85% des Français ayant le sentiment que les hommes politiques ne se préoccupent pas d’eux (enquête Cevipof p.21).

Hollande échoue déjà, même s’il lui reste un an et demi et nul adversaire dans son camp ; Sarkozy ne réussit pas, parce qu’il est revenu trop tôt, dans un parti écartelé par les querelles de bac à sable des Coppé-Fillon. Hollande garde son allure bonhomme qui ne dit pas ce qu’il pense et agit sans le dire tant il a peine à décider quelque chose de clair ; Sarkozy accentue ses défauts personnels comme ses écarts politiciens. Tous deux veulent tout et son contraire, autrement dit rien : le rassemblement dans la désunion. 59% des Français n’ont confiance ni dans la droite ni dans la gauche de gouvernement pour gouverner le pays (sondage Cevipof p.40)

  • A gauche, le choix de l’Europe a été fait par Mitterrand 1983, ce qui n’a jamais été remis en cause. Avec pour conséquence de coller à la politique européenne – largement libérale – sans pouvoir peser autrement qu’en Grands principes (dont tout le monde se fout dans toute l’Europe – même les Grecs qui préfèrent du concret – sauf le cercle étroitement germanopratin « de gauche »). Or le libéralisme, c’est la régulation, pas le laisser-faire du plus fort. Faut-il être borné pour ne pas même « observer » ce qui se fait concrètement chez nos voisins « libéraux » ?
  • A droite, le choix de récupérer les déçus qui lorgnent vers le Front national ne permet pas d’allier centristes et droitistes faute de clarifications – largement mal vues de la caste médiatique – sur l’économie, le travail et l’immigration, ni sans pouvoir peser autrement qu’en Grandes déclarations d’intention (dont tout le monde se fout tant l’original est toujours préférable à la copie, à l’extrême droite comme à l’extrême centre). Alain Juppé ? Ce serait sans la droite de la droite ; et a-t-il la volonté de tuer, ce catholique de l’autre joue, pour gagner contre un Sarkozy sans pitié ?

Est-ce à dire que les extrêmes vont en profiter ? Faute de Podemos ou de Syriza (les Indignés se contentent de blabla), les partis à gauche de la gauche de gauche (en perpétuelle surenchère de toujours plus à gauche) et à droite de la droite (sans surenchère ici) devraient théoriquement voir leurs scores augmenter. Sauf que…

A gauche, les Mélenchon et Duflot ne font pas recette, grandes gueules sans alternative crédible, politiciens déjà vus jusqu’à la nausée, amateurs de com’ en pire que les autres, la surenchère valant chez eux argument. Surtout qu’ils honnissent les « frontières » et appellent au grand mélange de tous contre tous dans l’internationale prolo-écolo du genre (humain ?). Rien que le vendredi 13 et la COP des copains montrent combien les Grands mots sont de grands maux – et que la vraie politique se fait au ras de terre des négociations entre intérêts divergents.

melenchon a l index

Reste la droite, fermement campée par une femme, une blonde, une avocate. Le Front national est un parti atypique parce qu’il occupe certaines fonctions électives (locales) mais ne participe pas – ni n’a participé – à « la chienlit » parlementaire ni gouvernementale que les râleurs vilipendent. Il est donc dedans et dehors, légitime à gouverner mais soigneusement abstinent. S’il attire, c’est qu’il paraît neuf.

  • Les vrais votants FN convaincus de préférence nationale et de repli sur soi « frontières-cocorico-race blanche » sont probablement minoritaires – et plutôt encartés militants ;
  • les tentés d’essayer autre chose contre « la dépossession européenne, le guichet ouvert des aides aux non-citoyens et la répugnante repentance à répétition des bobos pusillanimes » sont probablement majoritaires – sympathisants non encartés et votant.

Mais le FN n’attire pas outre mesure, tant le saut dans l’inconnu fait peur au grand nombre. Gageons qu’une série de députés Front national ou Rassemblement bleu Marine, et pourquoi pas ministres un jour, feraient retomber dans la bonne vieille politique de la négociation et du compromis l’aura de pureté et de volonté actuelle du parti – mais en attendant la menace est là.

Les attentats aussi : ils ont fait passer la poussière sous le tapis au-dessus.

Ils ont pointé le déni réitéré de la gauche et de François Hollande dans sa campagne 2012 ; ils ont pointé la faible efficacité des mesures Sarkozy, pourtant annoncées à son de trompe avant 2012. Que peut-on contre la bureaucratie d’État et l’empilement des niveaux hiérarchiques où chacun, dans la police comme dans les services, est jaloux de son petit pouvoir ? Sans volonté présidentielle lisible et affirmée, pas de coopération – mais le petit traintrain du c’est-pas-moi-c’est-l’autre, du qui-manipule-qui, et cela dans le cadre inamovible des trente-cinq-heures et du budget-en-baisse-constante.

Le problème, c’est l’islam. Certes pas dans sa version classique de religion du Livre comme les autres, mais dans sa version intégriste complaisamment financée par des « alliés » du Golfe, Arabie saoudite et Qatar en tête. Qui dénonce l’isme de l’islamisme ? Quel intello de gauche ? Quel politicien de gauche ? Et pourtant, 56% des Français pensent (avant les attentats du vendredi 13) que l’islam est une menace pour la République française (sondage Cevipof p.49). Hollande est dans le « c’est pas bien » de père la morale, Valls est dans le « vous serez puni » de maître d’école – mais les causes ? L’école, l’enseignement de l’histoire, la repentance, le respect de la loi, la nationalité accordée sans cérémonie, le déni des statistiques et des « incivilités » – du moment qu’elles sont politiquement incorrectes – qui en parle ? Qui les traite ? Belkacem et son programme de naufrage ? Qui distingue ce qui est réaliste de faire et ce qui ne dépend pas de la politique ?

L’impensable doit être pensé, AVANT de devoir panser les plaies de ceux qui l’avaient bien dit et se sentent insécurisés. Pourquoi parle-t-on désormais plus de « république » que de « démocratie » depuis quelques années ?

  • Parce que la gauche a failli, dans le socialisme réel des « démocraties » populaires d’hier bien sûr, mais aussi parce qu’elle n’a pas su renouveler aujourd’hui la participation politique. Malgré ses défauts criants, Ségolène Royal avait au moins écouté la leçon de Pierre Rosanvallon sur la démocratie participative – Hollande s’est assis dessus.
  • Parce que la droite a vu le danger Front national, qui se revendique haut et fort « républicain », et a donc fait de la com’ en changeant le nom d’UMP en « Les Républicains ». Mais les électeurs voient-ils quoi que ce soit de différent dans les idées ou le programme ? Quand les mots ne recouvrent pas les choses, les mots sont dévalués – et alors les poings parlent, chez les électeurs les bulletins de vote.

Inutile d’en appeler à la Morale, les gens savent bien ce qu’ils veulent : des hommes nouveaux et des idées nouvelles, pour régler les problèmes nouveaux et les questions nouvelles que le monde fait surgir sans cesse jusque chez nous. L’islam et ses conversions, l’immigration musulmane (qui, curieusement, ne va pas dans les pays musulmans), la préférence pour le chômage des privilégiés « inclus » (syndicats en tête, beaucoup trop fonction publique), l’Union européenne technocratique et trop étendue, le millefeuille administratif et le poids des absentéistes chez les fonctionnaires, les règlementations empilées qui font carcan, l’imbécilité de l’Administration qui punit l’artisan boulanger parce qu’il travaille sept jours sur sept – volontairement…

Tous ces vieux textes obsolètes, ces services inutiles, ces règles inadaptées, cette morale d’un autre temps : qui va les faire bouger ? Qui va distinguer le meilleur du pire ?

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Gilles Kepel, Passion française – les voix des cités

gilles kepel passion francaise les voix des cites
Gilles Kepel a voulu comprendre « l’intégration » de ces centaines de candidats issus de l’immigration qui se sont présentés aux élections législatives de 2012. Il livre ici un bien meilleur récit que n’importe quel article de « pseudo-journaliste », une bien meilleure analyse que celle de n’importe quel média pressé par l’audience, une bien meilleure réflexion qui décrit les contextes et cite verbatim afin que le lecteur puisse se faire lui-même sa propre opinion. Mieux, cette enquête sociologique de terrain en équipe, malgré tout l’appareil scientifique exigé, se lit comme un récit de voyage.

Le sujet est tabou à gauche et fait l’objet de réprobation morale dans la presse bobo. Ces professionnels du choqué, qui ont inclus dans leur vision du monde la Grande culpabilité dominatrice de l’Occident depuis mille ans (croisés, esclavagistes, colonialistes, missionnaires, fascistes, capitalistes…) dénient toute analyse de la réalité telle qu’elle est ; la poussière, ils la préfèrent sous le tapis. Ce n’est pas le cas de Gilles Kepel, docteur en sociologie et en science politique, professeur des universités et à Science Po, qui a été distingué par l’Institut universitaire de France. Il parle l’arabe couramment, littéraire et dialectal, et n’hésite pas à se déplacer pour rencontrer personnellement les acteurs du terrain en France et à l’étranger. Son discours est bien plus recevable qu’un reporter, forcément superficiel, esclave de l’instant et du spectaculaire, teinté du politiquement correct véhiculé par son media.

« La présente enquête a duré un an, de janvier 2013 à janvier 2014. Elle repose sur cent sept entretiens avec des candidats aux élections législatives de juin 2012, (…) les fidèles des mosquées aussi bien que les adeptes du Front national, (…) des défenseurs convaincus de la République et de la laïcité et d’autres qui s’étaient persuadés de leurs incohérences » p.18. Dans « les quartiers », les héros sont « le caïd et le salafiste » p.19, le trafiquant de drogue et le prosélyte religieux.

« La France sait que l’islam et la démocratie sont compatibles », déclare ingénument Hollande le 14 juillet 2013. Pétrie de bons sentiments de gauche bobo, cette phrase sonne « étrange » pour l’auteur dans la bouche d’un président : « La République laïque n’a rien à savoir sur l’islam et sa compatibilité ou non avec la démocratie – pas plus que sur celles du christianisme, du judaïsme, ou de l’hindouisme. (…) C’est comme si, confronté à la traduction sur la scène sociale et politique de revendications religieuses et identitaires, le chef de l’État avait voulu dire quelque chose qu’il n’est pas parvenu à exprimer » p.32.

Quelque chose qui flotte dans l’inconscient de gauche, depuis Sartre préfaçant Les damnés de la terre de Franz Fanon et déclarant : « il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups pour supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé » (cité p.35) – jusqu’à Mitterrand qui noie l’immigré dans le mélange : « Ce n’est qu’en 1982, avec la prise de contrôle de la Grande Mosquée de Paris par Alger, à l’instigation du premier ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, Gaston Deferre, maire de Marseille, que les vannes de la naturalisation se sont ouvertes, rendues licites par des déclarations du nouveau recteur de la mosquée de Paris, Cheick Abbas » p.234. Multiculturalisme et métissage mondialisé sont dans le logiciel de gauche, au prétexte que les mâles occidentaux blancs seraient génétiquement coupables de domination…

marseille cannebiere

Gilles Kepel livre ses entretiens verbatim avec les acteurs politiques qui investissent désormais les institutions. Il les replace dans l’histoire récente française, tourmentée encore et toujours – seul pays européen à être dans ce cas – par les souvenirs de la guerre d’Algérie. Il distingue trois âges de l’islam en France :

  1. 1962-1989 : âge des « darons » où la religion est vécue « en » France, importation du bled où l’on aspirait à retourner.
  2. 1989-2004 : âge des « Frères » et des blédards, étudiants arabophones venus du « bled » pour étudier à l’université française et qui créent l’UOIF. L’islam se veut désormais « de » France puisque les musulmans acquièrent la nationalité française ou naissent en majorité français. Il s’agit de forcer les pouvoir publics à ce que les croyants puissent suivre les injonctions de la charia (voile, cantine, hôpitaux, piscines, mosquées).
  3. 2004-aujourd’hui : âge de création d’un « espace identitaire en France géré par des opérateurs privés, celui du halal » (qui signifie licite en arabe) p.265. Ce communautarisme a « principalement pour fonction de souder l’appartenance (…) et d’en multiplier les marqueurs exclusifs ». Le modèle est celui des Juifs, la « cacheroute » visant à préserver l’identité du groupe de toute mixité. L’objectif est que le terme « islamophobe » soit condamné à l’égal du terme « antisémite » (p.274). La bourgeoisie beur, née et éduquée en France, a fait émerger « une élite religieuse qui voyait dans la gestion de l’islam une ressource de pouvoir et n’entendait pas la laisser entre les mains des blédards, tout en exigeant de s’émanciper de la tutelle d’un pays dont elle élisait les députés » p.266.

L’idée sous-jacente de l’auteur, proche du terrain par de nombreuses enquêtes sur des années (Quatre-vingt treize, Banlieues de l’islam : naissance d’une religion en France, Banlieue de la République : Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, A l’ouest d’Allah), est que les musulmans sont « en voie de banalisation dans le système politique français, à l’instar des chrétiens, juifs ou incroyants élus dans les diverses assemblées de la nation, attentifs au respect de leurs valeurs » p.266.

marseille femme voilee

D’où le paradoxe d’un Front national qui, d’un côté attise les peurs d’un grand renversement de population et d’un colonialisme à l’envers qui imposerait les normes islamiques à tous dans certains lieux – et de l’autre associe volontiers des candidats issus de l’immigration à ses listes électorales, tant l’appartenance aux classes populaires et l’aversion pour les élites les rapprochent.

Ce que révèlent les entretiens, et que l’auteur n’ignore pas, est que les salafistes « quiétistes », paisibles et spirituels, « suivent aveuglément les avis des oulémas qu’ils révèrent et dont les fatwas qui leur proviennent désormais par Internet depuis l’Arabie saoudite ont force de loi intangible » p.270. Ils peuvent donc devenir des salafistes « djihadistes » pour aller combattre au nom d’Allah. La distinction spécieuse entre islam par essence pacifique et islam guerrier n’est pas aussi exclusive que les bobos veulent le croire.

Mais il reste que, pour l’instant, « la majorité des électeurs qui se considèrent musulmans de France se déterminent dans les urnes à partir d’appartenances sociales, et non communautaires, et ce sont celles-ci qui les ont amené à voter plus significativement à gauche que l’ensemble de leurs compatriotes » p.279, électorat que les « viandards » érigés en associations subventionnées par le Conseil général socialiste en PACA amènent massivement aux urnes (p.117).

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Dans ce livre, l’auteur privilégie deux ville emblématiques : Roubaix, 95 000 habitants et 6 mosquées, qui connait 31% de chômeurs ; Marseille, première ville arabe d’une France qui est le premier pays arabe européen, qui voit l’islam comme un régulateur, fonction que ni l’école ni le sport n’assurent plus : « quand vous avez 99% de Noirs, d’Arabes, de Gitans ensemble, ce n’est plus une école, c’est une garderie ! » déclare à l’auteur Samia Ghali p.63 – « jeune élue de gauche issue de l’immigration algérienne et née au cœur des quartiers nord dans un bidonville » p.59.

Autre exemple, le parcours d’Omar Djellil, « demande d’amour à la patrie, perpétuellement insatisfaite » p.94. Il est passé du centrisme à SOS-racisme, puis au salafisme, avant d’être candidat du Front national. Ce qu’il veut, c’est être reconnu : « Pour que j’aime la France, il faudrait que la France me fasse sentir qu’elle m’aime ! » p.95. Ce sentiment d’appartenance, il le trouve au Front national… A l’effondrement industriel et de l’emploi, au délitement du système de valeurs méritocratique, syndical ou communiste, « se substituent aujourd’hui le Front national et le salafisme, deux disciplines de vie analogiques, dont chacune est portée par l’adhésion à un mythe fondateur : la nation française pour le premier, l’oumma islamique pour le second » p.105.

roubaix femme-voilee-dans-le-centre-ville

Un livre d’actualité passionnant, qui se lit avec aisance, et fourmille d’exemples et de cas concrets sur l’imbrication progressive de l’islam dans la république, mélange « d’amour et de ressentiment » p.252 unique en Europe. Un livre qui va en profondeur, bien au-delà des clichés faciles du Merah ou du Coulibaly – terroristes qui restent des exceptions tout autant qu’Action directe jadis.

Gilles Kepel, Passion française – les voix des cités, 2014, Gallimard collection Témoins, 284 pages, €18.90
CV de Gilles Kepel

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Moraline socialiste

Balles tragiques à Charlie Hebdo, 12 morts. Les événements de janvier bouleversent les postures politiques, mais l’unanimisme en réaction à la barbarie fanatique ne fait que masquer les clivages. Puisque tout le monde – ou presque – se sent Charlie (sans décider entre « être » et « suivre » dans le slogan « je suis »), faisons vivre ce ton libertin qui, de Molière et Voltaire à Cabu et Wolinski – en passant par Flaubert, Daumier, Desproges et quelques autres – est un trait de la culture française. L’ironie plus que l’humour, la satire politique plus que la dérision : se moquer, c’est considérer l’autre, donc aimer s’affronter à lui civilement – pas le mépriser, encore moins le tuer ! Le véritable mépris se manifeste par la plus complète indifférence : on ne rit jamais de ce qui n’existe pas à nos yeux.

Le rire, disait Bergson, nait du mécanique plaqué sur le vivant. C’est pourquoi tous les sectaires, les croyants ânonnant, ont toujours été la cible privilégiée des humoristes – religion ou pas.

Les événements l’ont prouvé, s’il en était besoin, coexistent deux postures de gauche : celle qui veut agir (au gouvernement mais parfois en région), et celle qui préfère rester dans le confort de l’opposition (« frondeurs » ou intellos sans mission). J’ai déjà parlé des intellos de la gauche bobo ; je parle aujourd’hui des politiciens. Manuel Valls, Premier ministre, a été parfait durant la crise, le ton juste, les mesures choc, l’équilibre du droit. D’autres ministres ont été reconnus et les Français sondés le manifestent sans réticence. Mais d’autres politiciens de gauche, rencognés dans leurs fiefs et jalousant peut-être ce pouvoir auquel ils ne sont pas directement conviés, préfèrent le rappel à la Morale.

Les Grands Principes (évidemment figés une fois pour toutes quelque part entre 1789 et 1917) sont leur Bible et leur Coran. Lorsque j’évoque par exemple des mots tabous comme « épuration ethnique » (réponse à une question d’un blogueur) ou « lobby juif » (institution légitime aux États-Unis) – même si ma conclusion est nuancée – je me vois accusé aussitôt de « blasphème ». Quand vous avez un interlocuteur face à vous, son œil perd de son brillant, son discours devient monocorde, il dérape en pilotage automatique comme ces appareils où il suffit de mettre une pièce pour que sorte encore et toujours la même chanson. Les ténors de la Gauche bien-pensante édictent des fatwas dans les médias pour stigmatiser et déconsidérer ces loups démoniaques (de droite ou « ultra-libéraux » pas moins) qui osent souiller leur onde pure… Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

J’aime la gauche pour son élan et quand elle est en mouvement ; je n’aime pas la gauche morale, figée dans son catéchisme. Ma génération a assez subi les curés, les cocos, les maos et les trotskistes (par ordre d’apparition à l’histoire). Nous subissons aujourd’hui la triste moraline socialiste. Ce mot de Nietzsche décrit cette glu édifiante qui se croit obligée d’enrober tout discours pour qu’il soit « acceptable » aux adeptes. La réalité toute crue ne saurait passer sans cette sauce – analogue au ketchup pour les ados (qui en mettent partout parce qu’ils craignent le vrai goût des choses).

Soyons donc impertinent et osons moquer les travers de ces « vaches sacrées » qui aiment à prendre trop souvent la position du missionnaire et s’affichent en précieuses ridicules.

La fin d’année 2014 a vu les grandes orgues du socialisme tonner sous les voûtes. La Charte des Socialistes pour le Progrès Humain rappelle les élans romantiques louis-philippards des proto-socialistes étrillés ensuite par Marx en termes « scientifiques » et par Lénine en termes « politiques ». La Charte fait ronfler les grands mots, ceux qui ne veulent rien dire et qui servent de réceptacles bien démagogiques à toutes les aspirations et fantasmes : émancipation, démocratie, égalité « réelle », progrès, justice « sociale », primat du politique, collectif. On voit combien la vraie vie fait voler en éclat ces grands principes, lorsque le droit tombe sous les kalachnikovs et combien l’émancipation promise toujours n’arrive pas à avancer sous la pression du victimisme (les assassins seraient de pauvres victimes de la société, la désintégration scolaire n’aurait rien à voir avec l’immigration, le collectif est forcément plus fort que les communautarismes…).

Le romantisme politique (qui a culminé en 1848) est caractérisé par le sens du spectacle (drame, héroïsme, sacrifice), par la sentimentalité et l’éloquence (appel à l’idéal, Lamartine, Hugo), par une insistance misérabiliste (les pauvres, les opprimés, Gavroche, Cosette, Michelet, Eugène Sue), enfin par l’appel ”religieux” (une vision morale étendue à l’univers, des dénonciations au nom de l’Infini, la mystique pédagogique et le Progrès comme justification). Ces thèmes viennent du catholicisme et le socialisme les a récupérés sous Jaurès, Blum et Mitterrand. Ils continuent à courir sous la surface soi-disant « laïque » des socialistes au pouvoir.

En décembre, Martine Aubry dénonce – contre son propre gouvernement qui voudrait desserrer les carcans sur l’emploi – « la promenade du dimanche au centre commercial et l’accumulation de biens de grande consommation ». Elle moralise brutalement, du haut de son impérium moral-socialiste : « Je me suis toujours engagée pour un dimanche réservé à la vie : vie personnelle, vie collective. » C’est oublier que la « vie collective » exige aussi des gens qui travaillent le dimanche : les conducteurs de train pour ne pas prendre sa voiture non-écologique, les cinoches pour projeter des films « culturels », les musées et leurs gardiens asservis à travailler quand les autres se baladent, les boulangers qui font le pain du matin, les marchés où les « producteurs » viennent présenter leurs récoltes, les policiers pour suivre les délinquants et sécuriser les lieux publics…

La consommation moralement acceptable de Martine Aubry apparaît comme celle des bobos urbains. Les autres, les prolos, campagnards ou banlieusards, en sont réduits à l’achat en ligne sur Internet, le dimanche – puisqu’ils travaillent toute la semaine. L’interdit sur le travail du dimanche a-t-il mis depuis des siècles « la culture au cœur de la vie » ? Il y a mis la messe, oui – la culture, non. Cette Culture aubryste serait-elle la nouvelle messe sociale à laquelle tous sont sommés d’assister ? Mieux ne vaudrait-il pas réformer le mammouth du conservatisme scolaire, ou ne pas faire payer (comme dans le Paris Hidalgo-socialiste) les musées de la Ville aux chômeurs, que d’énoncer ce genre de jugement moralisateur sur les activités des gens ? Ils sont censés en socialisme être libres, « émancipés », « égaux », ils font ce qui leur semble bon : de quoi l’État devrait-il se mêler ? La bonne conscience morale de classe est insupportable, édictée par ceux-là mêmes qui se parent de vertu populaire.

selfie nue

Même chose, le même mois, en plus immature. L’insupportable ado de Troisième, Cécile Duflot, pose avec Virginie Lemoine « pour lutter contre l’homophobie ». Est-ce cet « acte » qui va changer les comportements ? Si oui, on attend d’elle un selfie nue devant un HLM contre le mal-logement. Cela ferait encore plus ado et encore plus progressiste, les seins nus étant la transgression des normes bourgeoises qui fait causer dans le poste – et la posture féministe cette révolte anti-mecs qui fait tant jouir les anémiques intellos de gauche. Il est vrai que le bilan-logement du ministère Duflot n’est pas très flatteur… Détourner l’attention par un coup d’éclat ne rehausse pas le niveau de cette politicienne trop avide de célébrité médiatique pour être honnête.

C’est enfin l’ineffable président, François Hollande, qui lors de son « inauguration » de la Cité de l’immigration, a réduit la République à « l’adhésion à un projet commun ». Sans plus. « Parce que depuis 150 ans, la République n’est pas liée aux origines, c’est l’adhésion à un projet commun. » N’avez-vous qu’à venir et adhérer – comme au parti socialiste – pour devenir « français » ou « européen » ? « Vivre en France, c’est une somme de devoirs et de droits » : c’est un peu court, politicien ! On l’a vu juste un peu plus tard… avec les lamentables Kouachi et Coulibaly, « français » de ressentiment qui haïssaient la république, la civilité, la culture, la liberté… On l’a vu plus largement hors Hexagone après le printemps arabe : sans nation, pas de corps politique ni d’État qui fonctionne, pas de régulation organisée des intérêts particuliers mais une simple association d’ayants droit ou de mafias trafiquantes ou cléricales.

Tocqueville l’a bien montré, que Hollande n’a manifestement jamais lu : plus la démocratie avance, plus l’égoïsme croit et plus la solidarité recule. Plus les droits particuliers se multiplient, plus chacun se replie sur ses acquis, au détriment du collectif. C’est bien « de gauche morale » que de vouloir tout et son contraire, afin d’attraper le maximum de gogos dans les filets ! L’incantation au collectif est contradictoire avec les droits pointilleux des ultraminoritaires, l’élan progressiste commun est contradictoire avec les petits narcissismes qui rendent indifférent. Se sent-on français avec la simple « adhésion » par la carte d’identité ? On « adhère » à quoi ? Au système de copains du Moi-président ?

Moi president Hollande exemplaire

Les « racines » sont certes à critiquer et à renouveler pour les garder vivantes, mais ce n’est pas un projet aussi vague à la sauce hollandaise qui va rendre fier d’être français ! Ni donner envie de participer à la démocratie collective. Ni encourager la solidarité ou l’ouverture à l’autre. Il y a une rare maladresse chez Guimauve le conquérant – comme l’appelait Fabius (…avant d’être ministre).

La leçon socialiste apparaît donc comme un catéchisme : obéissez aux commandements ! Or ni le Bien ni le Mal ne sont fixés pour l’éternité (sauf dans la Bible et le Coran), ils dépendent d’une construction historique – variable selon les sociétés. Si les amours entre adolescents du même sexe sont une éducation chez les Baruyas, cela « ne se fait pas » en Europe et est clairement « haram » dans le monde musulman (même si des accommodements avec la réalité sont clairement avérés). Il n’y a pas que l’écologie ou le salafisme à vouloir être « punitifs », le socialisme moral aussi qui condamne les comportements du peuple (consommer le dimanche autre chose que « la » culture reconnue par les bobos), ou les sentiments envers les comportements minoritaires (on peut accepter que deux lesbiennes vivent ensemble, mais pourquoi remettre en question « le mariage », s’interrogent les gens – pour ma part, cela m’est indifférent mais le choc populaire est une réalité).

Nietzsche l’a exposé largement, « la » morale du temps est toujours la morale des Maîtres, de ceux qui dominent. Martine Aubry, Cécile Duflot, François Hollande, édictent « ce qu’il faut penser » – aussi ridicule ou courte-vue que cela puisse paraître. Car il s’agit dans ces trois faits de nier la réalité (acheter le dimanche, le mariage comme sacralité, les conditions réelles pour se sentir français) au profit d’arguments d’autorité qui abêtissent le citoyen, l’électeur, les gens du peuple.

Et ceux qui les profèrent impunément…

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Bruno Le Maire, Jours de pouvoir

bruno le maire jours de pouvoir
De 2010 à 2012, Bruno Le Maire se retrouve ministre de l’Agriculture des gouvernements Fillon sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. « La vérité du pouvoir est dans son exercice », déclare l’auteur en liminaire. Dans ces notes au jour le jour, il varie la focale, passant de l’ONU et du G20 aux minuscules exploitations dans les villages de montagne ou le terroir normand. Inlassablement, il pérégrine, comme si « la politique » n’était que féodalité poursuivie malgré la république : être là, serrer des mains, connaître d’homme à homme. Il ne dit pas tout mais il en dit beaucoup – à qui sait lire en filigrane. « La politique nourrit mon écriture et elle la bride. La littérature tend son miroir à mon action politique et elle la juge » p.299.

Les mesures ? Les projets ? La vraie politique, que De Gaulle appelait la « Grande politique » ? Pschitt ! Les agriculteurs sont divisés en autant de groupuscules hostiles les uns aux autres qu’ils cultivent de parcelles ; tous réclament « des aides » – depuis des décennies – il n’y en a jamais assez ; donnez-leur quelques sous, durement négociés avec les pays européens et après compromis avec les pays émergents, ils sont déçus et reportent aussitôt leurs votes sur l’opposition. Les marchés agricoles doivent-ils être régulés pour éviter la spéculation ou pour faire monter les prix ? Ces querelles de chiffonniers sous perfusion permanente seraient d’un ridicule avéré si les campagnes ne représentaient pas un électorat vital pour un candidat UMP.

Quant aux pays européens, Allemagne en tête, ils ne peuvent que juger frivole cette ardeur franchouillarde à s’entre-déchirer entre petites provinces et petits intérêts locaux alors que la crise – mondiale ! – fait rage, que la finance – sans frontières ! – règne et que des pays très peuplés comme la Chine, l’Inde, le Brésil veulent – légitimement ! – nourrir leur population, exporter le surplus et se faire une place dans les échanges mondiaux.

L’agriculture, décidément, ce n’est pas un ministère mais un observatoire sur la cour de récré.

Bruno Le Maire y réussit assez bien, ne prenant jamais position, écoutant les uns et les autres, laissant travailler les technocrates, négociant ce qu’il faut sur instructions présidentielles, dans les contraintes sévères du Budget. Défenseurs du paysage et de la qualité des produits et des terroirs, les paysans ? Peut-être, mais pas écologistes pour un sou ! Le fait qu’ils exigent du ministre qu’il bouge sans cesse d’un coin à l’autre de l’Hexagone pour aller les rencontrer, en avion, hélico, TGV, auto, produit beaucoup de carbone pour rien. Passer une demi-heure ici à serrer des mains, une heure là à écouter une réunion syndicale, une autre demi-heure ailleurs – et parfois dans la même journée – pour « constater » la sécheresse, la grêle, les inondations… à quoi cela sert-il à l’ère des communications audiovisuelles instantanées ? Quand reste-t-il au ministre le temps de penser l’intérêt national, d’étudier des solutions à long terme, de décider les étapes, dans cette agitation permanente de l’urgence et cette drogue des aides d’État dont pas un agriculteur ne semble plus pouvoir se passer sa vie durant ?

Autour du steak agricole bien saignant, l’auteur ajoute quelques accompagnements sur sa vie politique, des portraits ciselés des ténors qu’il décrit sans prendre position (réservant l’avenir), une louche de sauce européenne et un assaisonnement intime avec ses enfants.

L’un des plaisirs du livre est le Sarkozy dans le texte, ce parler voyou qui ne met jamais les négations (« faut pas » pour il ne faut pas »), ce côté touchant du président lecteur plus cultivé que les médias à 80% de gauche l’ont dit, mais aussi touche-à-tout qu’ils l’ont dit aussi, avide d’être aimé mais solitaire dans l’exercice du pouvoir. « Il a pour les enfants, ou pour tout ce qui touche aux enfants, une disponibilité, une sincérité qui cadrent mal avec les portraits qui sont faits de lui » analyse Bruno Le Maire p.344.

Sur Alain Juppé : « Lui qui passe pour un homme froid et cassant, je le vois surtout simple, direct dans ses jugements, sans double fond, soucieux avant tout de la France. On le dit sec, il est pudique. On le croit vaniteux, il a cet orgueil des personnes qui refusent les humiliations. Blessé à vif par une condamnation injuste, il en garde une méfiance instinctive du risque politique, de ces coups de poker qui permettent de prétendre à la première place (…) Pour le sens de l’État, je ne lui connais aucun rival à droite » p.49.

Bruno Le Maire enrobe sa chronique de sauce européenne, bateau à la dérive, sans pilote dans la cabine. Que serait l’agriculture française sans la PAC, politique agricole commune ? Mais c’est aussi « une évidence pour moi que seule une intégration politique plus poussée, sur des bases idéologiques différentes et suivant des modalités de décision simplifiées, pourra nous sortir définitivement de la crise ; mais c’est une autre évidence que nous n’en prenons pas le chemin et que personne ne sait plus quel est le projet de société, encore moins le projet politique européen » p.334. Une fois ces généralités pleines de bonnes intentions énoncées, nous n’en saurons pas plus. Ce n’était pas l’objet du ministère, mais nous aurions aimé connaître plus précisément ce que proposerait Bruno Le Maire sur les institutions européennes. En revanche, il le dit bien, il est très facile de faire de Bruxelles un bouc émissaire de ses lâchetés politiques – tous gouvernements confondus ! « En définitive, l’Europe se construit moins à Bruxelles qu’on le prétend. Son avenir dépend avant tout de l’implication des États membres et de leurs représentants élus » p.84.

Le piment du texte est ces quelques notules amoureuses saupoudrées de ci de là envers chacun de ses enfants, quatre petits garçons de moins d’1 an à presque 12 ans que le ministre n’a pas assez le temps de voir et dont, pour le dernier, il décrit d’une belle plume la naissance (p.333).

Ces années forment la suite de son expérience de niveau moindre 2005-2007, relatée par Des hommes d’État. Ce livre-ci est plus réfléchi, plus composé peut-être, chaque thème étant soigneusement dosé pour dire sans trop en dire, pour n’oublier personne sans se fâcher avec quiconque, pour chroniquer au jour le jour tout en balisant la mémoire des fils qui n’ont retenu que ses absences. La lecture en est fluide, passionnante, faisant pénétrer au cœur du réacteur politique où, finalement, il ne se décide pas grand-chose tant les politiciens sont désormais « agis » par des forces impersonnelles. Hollande était insignifiant (il le reste) ; il été élu parce que la majorité en avait assez du caractère agité de Sarkozy. Au fond, peu importent les programmes, seuls comptent les hommes, plus encore lorsqu’ils sont parfaitement impuissants à changer ce qui survient.

J’aime cette mesure donnée aux choses, cette attention aux petits faits vrais des êtres et de la vie, cette sensibilité aux paysages et aux sons. Tant de politiciens sont des bêtes de cirque qu’un peu d’intelligence en politique apparaît comme précieuse. Malgré les jaloux, les envieux et les médiocres. Leçon d’Édouard Balladur à l’auteur, le 16 février 2012 : « Vous savez, les gens intelligents, en politique, on ne les aime pas, c’est comme ça, il faut en prendre son parti » p.461. Tant pis pour les médias qui préfèrent ce qui brille : je préfère pour ma part ce qui réfléchit.

Il est curieux que l’éditeur Gallimard ait laissé passé des coquilles énormes comme 4×4 écrit systématiquement 4 3 4 ou G20 écrit parfois B20 et une fois G120 ! Les correcteurs sont-ils de plus en plus illettrés ou sont-ils politiquement sectaires pour saboter ainsi un livre ?

Bruno Le Maire, Jours de pouvoir, 2013, Folio 2014, 521 pages, €8.50

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René Rémond, La Droite en France de 1815 à nos jours

René Rémond La droite en France

Il fallait du courage pour publier une étude sur la droite dans une époque d’hégémonie intello de gauche. C’est le mérite de René Rémond d’avoir bravé la doxa des terroristes en chambre tels que Sartre et ses avatars Homo Normalsupiens – dès 1954.

L’historien de la politique René Rémond, que j’ai eu l’honneur d’avoir pour professeur à Science Po il y a quelques décennies, a défini trois droites, issues de l’histoire nationale depuis la Révolution. Il en fait pour chacune un ideal-type, une trame commune schématique mais opératoire.

La droite légitimiste, hier pour le roi, l’ordre et la société organique (réactionnaire contre la Révolution), est conservatrice, attachée à la culture nationale et aux institutions stables allant, pour sa marge, jusqu’à refuser les changements apportés par 1968, 1945 ou 1789. Elle est aujourd’hui souverainiste, traditionaliste et parfois catholique – pas très libérale même en économie, portée aux hiérarchies et à l’ordre moral. Mais elle peut rassembler sur certains thèmes intimes comme la filiation ou l’éducation d’autres religions du Livre et même certains laïcs effarés du « droit » purement individualiste ambiant.

La droite orléaniste, hier pour la république éclairée parlementaire, les corps intermédiaires et le mercantilisme, prône la séparation du public et du privé pour préserver les libertés et assurer la promotion au mérite et le goût d’entreprendre. Elle veut aujourd’hui déréglementer pour donner de l’air et réduire ces monopoles aux avantages qui ne se justifient plus ; elle désire adapter la France au monde via une Union européenne revivifiée mais, sociale-humaniste ou démocrate-chrétienne, encourage le syndicalisme pour qu’il soit pluriel et moins inféodés aux idéologies politiques.

La droite bonapartiste, hier autoritaire et directe, nationale populaire et un brin sociale, veut aujourd’hui encore rassembler derrière une figure apte à maintenir l’unité de la nation. Napoléon III en était, Charles de Gaulle aussi, tous deux férus d’appels direct au peuple. Moins Jacques Chirac (plutôt « travailliste à la française » ou radical-non-socialiste), encore moins Valéry Giscard d’Estaing (orléaniste, libéral). Nicolas Sarkozy en a adopté une variante personnelle qui sert plus son ambition que le pays.

La France a-t-elle connu une quatrième droite « révolutionnaire » ? Non, répond Rémond, et il détaille ce point de vue d’historien dans son livre de 2005. La France n’a pas été fasciste, même sous Pétain (à l’exception peut-être de Jacques Doriot, ex-communiste devenu nazi). Le maréchal était plus un conservateur catholique traditionaliste (comme Franco ou Salazar) qu’un révolutionnaire comme Mussolini ou un Hitler – il était trop âgé, 84 ans en 1940. Les mouvements de jeunesse revivaient le souvenir des anciens combattants et le ruralisme écologique du mouvement scout, plus que la volonté de changer le monde des jeunesses fascistes ou hitlériennes – la jeunesse était rare dans les années de classes creuses saignées à blanc par la guerre de 14. Même si l’israélien Zeev Sternhell persiste et signe, tout entier avide de culpabilité française, sa conception du « fascisme » est trop étendue pour ne pas s’appliquer à n’importe qui… y compris à Israël même où les Juifs intégristes attisent la violence et encouragent la colonisation, tout en refusant le service militaire pour défendre leur action. Pourquoi la France, comme le Royaume-Uni, n’ont pas viré fascistes, malgré quelques groupes qui revendiquaient cet exemple ? Parce ces deux pays sont sortis vainqueurs de la Première guerre mondiale, au contraire de l’Italie et de l’Allemagne, que la crise des années 30 a moins touché la France encore très agricole que l’Allemagne déjà très industrielle, que l’unité française s’est effectuée dès Philippe le Bel et pas au XIXe siècle comme l’Allemagne et l’Italie, et que l’expérience de la république (sinon de la démocratie) avait déjà un siècle et demi.

Le courant bonapartiste, rappelle René Rémond, est né avec le suffrage « universel » de 1848 dont il faut rappeler qu’il était quand même réservé aux mâles de plus de 21 ans, citoyens et non interdits par la loi… ce qui relativise ce fameux « universel » dont les bobos se gargarisent. Césariste et macho, le bonapartisme est le cœur de la mentalité citoyenne française : il se traduit à droite par l’homme providentiel qui rassemble les petits intérêts et fusionne la nation ; à gauche par le jacobinisme centralisé porté par le « progressisme » sans cesse activé, sans cesse insuffisant, au risque de tourner à vide dans le tourbillon incessant des nouveaux « droits ».

droite en france R Rémond

Aujourd’hui, à droite, qui ?

Le gaullisme était une forme de bonapartisme, à la fois conservateur et moderniste mais le gaullisme, 45 ans après la disparition de son fondateur, s’est peu à peu effacé : que peut donc être un volontarisme sous la construction de l’Union européenne et l’emprise de la mondialisation ? De même, les TIC (technologies de l’information et de la communication) ont renvoyé au XXe siècle la vision du monde ancrée dans la grande histoire comme la façon de gouverner du général De Gaulle.

Reste son inspiration, soucieuse de l’intérêt national et de la grandeur de la France, préoccupée de rassembler pour faire travailler ensemble à l’œuvre commune, méprisant « les petits partis qui cuisent à petit feu leur petite soupe dans leurs petits coins », comme il aimait à le dire… Inspiration que Jacques Chirac avait endormie (sauf sur l’Irak) et que Nicolas Sarkozy n’a pas reprise, homme pressé et sans vision, pragmatique de la gagne plus qu’au-dessus des partis, préférant volontiers son intérêt personnel à l’intérêt général.

Alain Juppé pourrait reprendre le flambeau, en homme de synthèse volontaire et modéré, prêt à travailler avec François Bayrou – mais il est peu charismatique, cette autre caractéristique du bonapartisme de droite.

Bruno Le Maire affirme des valeurs gaullistes, à l’école de Villepin, avec une subtilité rare chez un énarque et une puissance de travail évidente – mais il n’a pas l’entregent populaire d’un Chirac, ce qui le handicape pour gagner, ni la posture de « sage » revenu de presque tout d’Alain Juppé.

Quant à François Fillon, est-il bonapartiste ? Son inaptitude personnelle à envisager qu’il puisse un jour gagner (révélée lors de son duel ridicule avec Copé), le disqualifie probablement pour la course finale à l’UMP.

Les trois types de droite ont évolués depuis l’analyse de René Rémond en 1954, mais les permanences historiques des tempéraments subsistent : souverainistes conservateurs, libéraux plus ou moins sociaux, rassembleurs plébiscitaires. Reste le message subliminal de l’inconscient français que la droite est directe, franche, droite – tandis que la gauche ne saurait être que maladroite, de travers, tordue : il existe bien un tempérament de droite et un tempérament de gauche.

René Rémond, La Droite en France de 1815 à nos jours, 1954, édition révisée 1992, Aubier-Montaigne, 544 pages, €56.00 non réédité, occasion
René Rémond, Les Droites aujourd’hui, 2005, Points histoire 2007, €9.10

L’équivalent pour la gauche : Jacques Julliard, Les gauches françaises.

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