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John Le Carré, Le tailleur de Panama

Harry Pendel, juif irlandais, s’est installé au Panama grâce à l’oncle Benny. Il a fondé une société d’habilleur à façon, Pendel & Braithwaite tailleurs près la royauté, anciennement à Savile Row, la rue chic de Londres, où l’excellent maître Braithwaite l’a formé à la coupe, au goût et aux mesures. La meilleure société de Panama, politiciens, nouveaux riches et militaires, viennent s’y fournir et échangent quelques informations entre-soi durant l’essayage.

C’est ce qui intéresse un diplomate hors cadre anglais, Andrew Osnard, mystérieusement envoyé par une officine proche du pouvoir conservateur mais en marge des services. L’intérêt de Panama est son évasion fiscale mais aussi son canal. Le président Clinton a promis de rendre pour 1999 aux Panaméens la zone de 10 miles de large cédée par traité perpétuel en 1903. Ce qui ne fait pas les affaires des conservateurs républicains des Etats-Unis, notamment de certains de leurs généraux.

Les Anglais, lassés de l’Union européenne qui les rabaisse au niveau d’un pays moyen alors qu’ils ont connu l’empire, veulent renouer avec le grand large. Quoi de mieux que les barbouzeries conjointes avec ces patauds de Yankees qui ont un gros bâton mais un petit cervelet, une armée puissante et déjà sur place mais aucun analyste compétent sur les conséquences de la rétrocession du canal. Ainsi les Rosbifs veulent se faire aussi gros que le bœuf et niquer ainsi les Grenouilles, trop subtiles. C’est ce qu’ils croient.

Andy Osnard est un jeune homme séduisant, un peu replet, grand baiseur devant l’Eternel après être pourtant passé entre les mains expertes des surveillants et camarades excités du collège d’Eton. Il en a d’ailleurs été exclu pour « comportement vénérien » (pas adonisien). Il voit en Pendel le parfait indic, une « source » de premier ordre sur les dessous politiques et géopolitiques du Panama.

Mais Pendel est un menteur, un escroc qui enjolive la réalité pour se poser socialement. Il a épousé la fille d’un ingénieur américain du canal et s’est forgé le beau rôle d’apprenti, disciple puis associé du prestigieux Braithwaite… qui n’a jamais existé, pas plus que la prestigieuse boutique de Savile Row. Il s’agissait plus prosaïquement du vieil oncle Benny, juif de l’East End dans son entrepôt qui a soudoyé Harry adolescent pour qu’il y mette le feu afin d’être remboursé d’une collection ratée par ses assurances. Mais le garçon, figé après l’acte, s’est fait prendre et a passé des années en prison pour mineurs. Il y a fait la connaissance de Mickie Abraxas, play-boy du Panama, régulièrement violé par les malfrats parce que trop jeune et beau gosse. Mickie est devenu son seul ami.

Comme il est riche et introduit, plutôt porté à récuser la dictature qui l’a fait foutre en prison au sens littéral, il soutien moralement « les étudiants » et les manifestations. Bien qu’il n’y en ait plus au Panama après Noriega, l’opposition est « souterraine » selon Pendel, et ne demande qu’à s’enflammer.

Cette belle histoire enchante Osnard et ses patrons occultes de Londres, dont un industriel de l’armement qui finance et un gras patron de presse à scandale qui manipule. Ces gens-là veulent un prétexte pour « intervenir » et sauver le canal de la mainmise japonaise ou chinoise potentielle sur cette voie cruciale du commerce maritime mondial. Pendel est recruté parce qu’il a été ruiné par bêtise, incité à acheter une ferme rizicole par son banquier panaméen avec la dot de sa femme, puis béat de s’apercevoir que l’eau a été détournée par la ferme voisine… qui appartient au banquier. Il a besoin d’argent et sert à Osnard et à ses patrons quémandeurs un complot asiatique secret coupé sur mesure selon lequel un canal nouveau serait en projet qui dévaloriserait l’ancien. Osnard a de l’argent pour rémunérer les sources et Pendel les cumule… pour lui-même, inventant des personnages, faisant jouer à son épouse un rôle qu’elle n’a pas. Osnard se sert d’ailleurs aussi.

Tout le roman, sombrant parfois dans le délire des phrases, est une satire humoristique du monde de l’ombre. Nul ne sait plus qui manipule qui, qui profite de qui, qui sait quoi de façon certaine. Pendel, en bon tailleur juif, sert l’histoire qu’il veut entendre à Osnard, jeune ambitieux du renseignement pressé par son patron écossais peu futé, lui-même poussé à « trouver » quoi qu’il en coûte l’étincelle qui permettra d’armer, d’informer et de dominer – pour le plus grand profit des entreprises concernées.

Bien sûr, le mensonge ne peut perdurer sans qu’un grain de sable ne vienne mettre par terre tout l’échafaudage des sources imaginaires et des informations amplifiées et déformées, voire inventées. L’épouse de Pendel s’en aperçoit la première lorsqu’elle croit que son mari voit une maitresse durant ses absences en soirées de plus en plus répétées ; Osnard s’en aperçoit ensuite lorsque ladite épouse vient lui rendre visite ivre, nue sous sa robe décolletée, pour accuser Pendel de la tromper et d’inventer des révélations ; l’ambassadeur s’en aperçoit lorsqu’il doit recevoir le patron d’Osnard, en grand secret, avec ses lingots d’or au noir. Mais la sauce prend par le suicide du héros pressenti – et l’intervention armée est déclenchée, satisfaisant l’orgueil patriotard anglais, le lobby de l’armement américain, la presse tabloïd de Londres.

C’est un peu long mais on y croit. Les personnages sont saisis dans leur jus, tous escrocs parce que la vie ne les a jamais bien servis. Osnard apparaît comme le plus sympathique, en marge, débrouillard. Pendel s’enferre en revanche dans ses mensonges auxquels il a le tort de finir par croire : par conformisme, pour donner la réponse qui fait plaisir. Le style regorge de piques ironiques sur la société anglaise comme « les crétins du parti conservateur, impérialistes, eurosceptiques, racistes, pan-xénophobes et ignares infantiles » p.346 – qui sévissent plus que jamais dans le Brexit – ou le « prof de sciences à l’école primaire qui, après l’avoir violemment flagellé, avait suggéré qu’ils se réconcilient en ôtant leurs vêtements » p.238.

John Le Carré, Le tailleur de Panama, 1996, Points 2018, 456 pages, €8.30 e-book Kindle €7.99

DVD Le tailleur de Panama, John Boorman, 2001, avec Pierce Brosnan, Geoffrey Rush, Jamie Lee Curtis, Leonor Varela, Brendan Gleeson, Daniel Radcliffe (10 ans), 1h49, 14.50 blu-ray €36.54

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Christian Jacq, Le procès de la momie

Le célèbre égyptologue auteur de best-sellers antiques se décentre cette fois-ci en 1821 à Londres. Un aventurier colosse qui veut se faire reconnaître par la « bonne « société impériale britannique est allé fouiller et piller des tombeaux égyptiens après que Bonaparte ait mis les pyramides et les momies à la mode. Il en a rapporté de quoi ouvrir une exposition et trafiquer amulettes, vases canopes et autres babioles découvertes. Giovanni Belzoni a réellement existé ; il a réellement publié à Londres en 1820 un livre de ses aventureuses fouilles et Christian Jacq cite les parties dont il s’inspire.

Mais il organise autour du personnage et de l’Egypte un véritable roman policier prévictorien. Londres est le centre commercial de l’empire et l’aristocratie comme la haute finance s’épanouissent après les guerres napoléoniennes, sous le roi libertin George III, futile et dépensier. Les salons s’ennuient et bruissent de rumeurs sur les uns et les autres. Aussi lorsque Belzoni, aidé de son imposante épouse Sarah, invite une sélection de lords, de professeurs et de politiciens à venir assister à la sortie de bandelettes d’une momie, c’est la ruée. Chacun se presse pour être au premier rang et pouvoir raconter dans les salons durant des mois ensuite ce privilège.

La profanation ne plaît pas à tout le monde. Un pasteur hystérique y voit (naturellement) une offense à Dieu ; un aristocrate ultraconservateur une viande des siècles bonne à donner aux chiens ; un professeur de médecine légale veut disséquer le cadavre du jeune homme sous sarcophage, étonnamment bien conservé. Chaque invité ou presque veut une part de cette relique, qui un bandage du visage, qui le voile sur le torse, qui le tissu bitumineux des pieds, qui le vase de côté, qui l’amulette du front.

Lorsque la séance est terminée, le médecin-légiste fait emmener la momie nue dans le grand amphithéâtre de la faculté, où il doit passer la nuit à l’examiner. Le lendemain, il est retrouvé mort – et la momie a disparu. Suivent très vite le pasteur (que personne ne semble regretter) et le lord acariâtre (que seul regrette le parti conservateur au pouvoir, pour son financement), à chaque fois déchiquetés avec un crochet à momifier. Trois morts pour une momie, quel est ce mystère ?

L’inspecteur de la police de Londres Higgins goûte les débuts enchanteurs d’une retraite bien méritée, entre son chat Trafalgar et son chien Gebb, sur son domaine du Gloucestershire, à relire La tempête de Shakespeare. Il a proposé en vain la création d’une police délivrée de la corruption et plus professionnelle sous le nom de Scotland Yard, mais cela lui a été refusé. D’obscures manipulations politiciennes tiennent à ce que le crime reste vigoureux, tout comme aujourd’hui les paradis fiscaux sont utiles aux coups fourrés anonymes de certains services d’Etat.

Mais la qualité des victimes fait scandale et son passé d’enquêteur hors pair le font rappeler : il faut que cette affaire se résolve au plus vite pour rassurer la bonne société, et qu’il attrape l’agitateur révolutionnaire qui se fait appeler Littlewood. Il promet le pouvoir du peuple et la décapitation des riches sur le modèle de la Terreur sous Robespierre : inconvenant, n’est-il pas ? Higgins aura fort à faire pour démêler les deux affaires qui pourraient n’en faire qu’une. Qui a intérêt au crime ? A quelle fin voler la momie ? Serait-elle ressuscitée, selon les indications du Livre des morts des anciens Egyptiens dont Champollion vient in extremis de rendre la lecture possible en résolvant l’énigme des hiéroglyphes ?

Chapitres courts, action un peu lente au début qui s’accélère très vite, intrigue bien tordue pour égarer les soupçons du lecteur – ce roman policier historique est bien fait et passionnant, même si les personnages (sauf Higgins) sont assez caricaturaux. Comme dans les romans d’aventures pour adolescents dans les années 1960 des éditions Marabout, un « dossier » illustré sur la momification est proposé comme « instructif » à la fin de l’édition originale. Un bon moment de lecture qui permet de s’évader doublement : à Londres en 1821 et en Egypte antique !

Christian Jacq, Le procès de la momie, 2008, Pocket 2010, 480 pages, €1.98

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Raphaël Enthoven tacle la droite Maréchal

La Convention des droites avait démocratiquement invité Raphaël Enthoven, juif comme Eric Zemmour et venu lui aussi d’Algérie, mais de l’autre bord, celui du « progressisme ». Il faut en parler et le dire : « Je suis venu parce que la diabolisation a le triple effet de vous rendre service, de vous faire trop d’honneur et de donner bonne conscience à celui qui diabolise. »

Les arguments qu’il présente en contre sont d’autant plus intéressants qu’il se place sur le plan de l’efficacité : « Ce qui ne marchera pas – et j’en prends l’avenir à témoin – c’est la tentative d’arriver au pouvoir et de « construire une alternative au progressisme » (sic) en passant par la droite. Et, qui plus est, la droite dure. (…) Pour des raisons à la fois idéologiques, stratégiques et métaphysiques. »

Les raisons idéologiques :

« En amalgamant l’UMP et le PS dans un gloubi-boulga libéralo-mondialisé, l’extrême-droite de l’époque a manqué le sens véritable de ces causes communes entre gens antagonistes. Et la leçon qu’il fallait en tirer. » Qui est que droite et gauche ne sont plus efficients au profit d’un nouveau clivage « que moi, j’appellerais « libéral contre souverainiste » et que, peut-être, vous préférerez nommer « mondialistes contre patriotes ». » Clivage qui s’est « installé dans le pays en 2017, avec la victoire d’Emmanuel Macron – qui n’est pas une victoire de la gauche, mais une victoire du libéralisme. » Conclusion : « En vous agrippant à la droite comme le PS s’agrippe à la gauche, vous vous condamnez au parasitisme politique (et à l’indécision sur la question européenne). »

Les raisons stratégiques :

« Ai-je intérêt à m’ouvrir au monde ou bien à me replier sur mon pré carré ? » Or « la nostalgie ne fait pas un projet. [Elle] ne rassemble que des craintifs. Qui sont nombreux. Mais qui le sont de moins en moins. Et qui vieillissent. » Vous n’êtes pas un mouvement mais un agglomérat qui « ne recouvre, en réalité, que des retrouvailles entre militants innombrables qui communient dans la déploration – ce qui est très agréable, mais politiquement stérile. » Car « je parle de l’efficacité de vos valeurs dans un pays qui, majoritairement, leur tourne le dos.»

Les raisons métaphysiques :

« La société elle-même est incurablement libérale. » Eh oui, « on ne revient pas sur une liberté supplémentaire. » « La nature humaine [est] ainsi faite que si vous lui donnez une liberté qu’elle n’avait pas auparavant, elle considèrera qu’en la lui retirant, vous l’amputez d’une partie d’elle-même. »

« Et – ce qui est plus grave que tout – vous brandissez des valeurs sans jamais questionner la valeur de ces valeurs. » « La nature n’est pas une norme. Son fonctionnement n’est pas une intention. »

« Vous donnez à la francité tous les attributs d’un communautarisme. La façon dont vous êtes fiers d’être Français donne le sentiment qu’être Français est une valeur en soi. Or, l’être-français n’est pas un dispensateur magique de vertu. Et la France, dans l’histoire, s’est souvent conduite comme le féal et le collaborateur de ses conquérants. » La repentance est peut-être excessive et récupérée, elle est avant tout une lucidité. « Qui aime le mieux la Turquie? Celui qui reconnaît le génocide arménien ? Ou celui qui brûle des kiosques en France parce qu’il n’aime pas la Une du Point ? Qui aime le mieux la Russie ? Celui qui réhabilite le stalinisme ou celui qui en détaille les crimes ? ». « Le nationalisme – ce communautarisme étendu à la nation dont soudain tout est bien parce que c’est mien – relève, en vérité, de la haine de soi qui, pour ne pas assumer ses crimes, trafique la grande Histoire et jette un voile pudique sur des infamies. »

« 1) nous n’avons pas d’identité (autre que nos souvenirs, nos habitudes et les particularités d’un ADN) et ce qu’on se représente comme une souche n’est qu’un tas de feuilles mortes. 2) Pour cette raison, la passion de l’identité n’est pas une passion de la singularité, mais au contraire une passion grégaire, une passion du troupeau. Pour croire à la fiction de son identité, il faut être nombreux. » Et « c’est à l’illusion de se protéger quand il se replie qu’on reconnaît le tempérament de l’esclave. »

Plutôt angoissé, en témoignent ses redites et sa précipitation parfois, Raphaël Enthoven a eu le courage d’aller dans la fosse aux lions pour dire leurs quatre vérités aux catholiques conservateurs qui rêvent d’être révolutionnaires mais n’amalgament que des mécontentements sans proposer un projet positif. « En vérité, je vous le dis », déclame-t-il comme le Christ, vous êtes « comme une arche de Noé », dit-il encore – traits d’humour qui n’ont peut-être pas échappés aux croyants plutôt chenus dans la salle. Comme Zemmour, Enthoven cite des auteurs : Albert Camus, Romain Gary – et, à un moindre niveau, Jacques Chirac. Il parle haut et clair et dit combien il croit le projet Maréchal condamné.

Pour ma part, je trouve Raphaël Enthoven plus convaincant qu’Eric Zemmour – c’est tout l’intérêt d’un débat démocratique. Parce que la France est politiquement libérale (au sens de 1789), attachée aux libertés et à l’égalité, d’où découle la fraternité (qui n’est pas un communautarisme). Parce qu’il faudrait une dictature pour en éradiquer les droits et le désir (peut-être est-ce ce dont rêvent les maréchalistes ?). Parce que l’identité française n’est pas une valeur en soi mais une suite d’habitudes, de mœurs et d’histoire dont la seule conservation ne produit qu’une passion de troupeau et ne fait pas un projet futur pour le pays. Si les arguments d’Eric Zemmour méritent qu’on les prenne en compte, le repli qu’il prône en réponse n’est pas la bonne solution : elle ne marchera pas. La haine de soi de l’homme qui ne s’aimait pas n’a rien de positif.

Le discours de Raphaël Enthoven (écrit un peu toiletté) dans Le Figaro

Le discours parlé sur YouTube (enregistrez sous 780 p et pas 1080 p car le son ne passe pas)

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Boycott the US ?

Trump le prouve, l’Amérique s’isole. Elu de justesse par une vague de conservateurs bigots adeptes de la morale des années 50 et du créationnisme, de nationalistes suprémacistes blancs angoissés de devenir minoritaires (quelque part vers 2060) et de libertariens hostiles à l’impôt qui veulent que l’Etat se retire des programmes sociaux, le président de la (pour le moment) première puissance mondiale donne le ton : America first, America is back.

Ce qui signifie en langage clair : égoïsme sacré et primat de la force sur le droit.

D’où la récente rafale de décisions économico-stratégiques : taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium, déni de l’Organisation Mondiale du Commerce en refusant de nommer les arbitres et en bafouant ses règles, renégociation de l’Alena, dénonciation de l’accord sur le climat, rejet de l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce sont évidemment les entreprises européennes qui seront le plus frappées par les sanctions américaines – à croire que nous ne sommes plus ni alliés ni même « amis ». Car, dans le même temps, après avoir tempêté et exhibé son gros bâton entre les jambes, Trump a accepté brusquement « l’offre » du dirigeant nord-coréen d’une rencontre historique… sur le nucléaire. La leçon est claire : respect à la position de force. L’Iran n’a rien à offrir, la Corée du nord si ; l’Europe a l’habitude de se soumettre (sauf en 1996), rappelez-vous les 9 milliards de $ d’amende à la BNP pour avoir commercé avec l’Iran, Alstom bradé à General Electric sous une menace de même nature sous le faiblard Hollande. L’Europe devra montrer ses muscles par des rétorsions franches et substantielles si elle veut survivre dans la « guerre » économique que lance le pachyderme de Washington.

A moins de changer d’alliance et de se rapprocher de la Russie, de la Turquie et de l’Iran – contre les alliés américains : l’Arabie saoudite pépinière d’extrémistes islamiques et Israël au gouvernement « quasi fasciste » (Rony Braumann né là-bas) qui menace tout le Proche-Orient et attise le radicalisme religieux. Car où est l’intérêt actuel de l’Europe à soutenir ces régimes qui font surgir le terrorisme sur notre sol ? Notons que la remise en cause du soutien ne s’adresse pas aux peuples mais à leurs gouvernements va-t’en guerre et à leurs groupes dévots extrémistes.

Chacun, si l’on en croit Trump, défend ses propres intérêts.

Donc, pourquoi pas nous ? Il ne s’agit pas de faire la leçon aux Américains sur leurs choix au nom de « la Morale » dont les néo-cons et les blancs cassés, âgés et sans diplôme, se foutent. Pour eux, « la morale chrétienne » est celle de l’Ancien testament (celle du Talmud), pas celle du Nouveau. Les dirigeants européens, qui sont tous allés voir le monstre, se résignent jusqu’à présent à collaborer – comme sous l’Occupation. Les États-Unis national-identitaires sont aujourd’hui, comme l’Allemagne nationale-socialiste hier, le pays le plus puissant. Et ses alternatives (Poutine, Erdogan et Rohani) peut séduisantes. Mais le nationalisme identitaire gagne l’Europe et si Marine Le Pen avait été moins nulle, peut-être la France aurait-elle basculé. Un ou deux attentats islamistes de grande ampleur en plus suffiraient-ils pour voir s’allier la droite Wauquiez avec un Front national relooké Marion ? Ou une immigration de masse suffirait-elle pour (comme en Italie) voir se joindre extrême droite et extrême gauche ?

Car si d’aventure la situation devait se dégrader avec les Etats-Unis, l’alliance et « l’amitié » pourraient bien exploser. La décision de dénoncer le traité signé avec l’Iran a été annoncée le 8 mai – une date symbolique pour la relation transatlantique puisqu’elle rappelle la victoire sur le nazisme. En rejetant de façon complète tous les efforts des plus proches alliés de l’Amérique, celle-ci bafoue l’alliance et dit son mépris pour ses alliés.

A quoi peut donc encore servir l’OTAN ?

D’autant plus que la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies donnait force de loi à l’accord de Vienne.

A quoi peut donc encore servir l’ONU ? Les accords internationaux constituent-ils encore une garantie de sécurité collective ? Donald trompette clairement que non. Avis aux Coréens du nord et aux Chinois…

Trump déclare que l’individualisme est roi en Amérique et que l’isolationnisme est roi dans le monde.

Tout ce qui est collectif est désormais banni pour l’Amérique, de l’assurance maladie en interne aux traités de commerce et aux accords internationaux. En bon dealer des groupes qui le soutiennent, le chacun pour soi doit aboutir à la domination du plus fort (même s’il n’est pas le meilleur), en gros les suprématistes blancs bigots et libertariens. Qui ne retrouverait, dans cette posture, le racisme clairement affiché durant les années 30 qui affirmait que la « race » aryenne, étant supérieure en tout (sauf à la course olympique), devait dominer son « espace vital » et influencer le monde entier ?

Si l’Amérique s’affiche égoïste et adepte de la seule force, devrons-nous résolument boycotter l’Amérique ?

Exit Google au profit de Qwant, exit Microsoft au profit des logiciels libres, exit Apple au profit de Samsung, exit Amazon au profit de la Fnac, exit Facebook au profit de Copains d’avant (même si c’est passablement ringard – mais Facebook est déjà ringard chez les 13-17 ans), exit Twitter ce piège à temps, exit Linkedin au profit de Viadeo, exit Mac Donald’s au profit de Flunch ou du bistrot du coin, exit les jeans Lévi-Strauss, les boots et autres bombers, exit les films yankees et les séries hollywoodiennes au profit de chaînes européennes, exit les voyages aux Etats-Unis pour d’autres destinations (d’ailleurs bien plus intéressantes).

J’espère et je souhaite que l’Europe et surtout les trois grands pays que sont l’Allemagne la France et le Royaume-Uni parlent enfin d’une seule voix pour affirmer leur refus de l’extraterritorialité des lois américaines et prennent la décision d’appliquer des contre-sanctions très dissuasives – puisque Trump et ses trumpistes ne comprennent que ça. L’alliance avec l’Amérique se dévitalise et l’amitié est en train de crever.

Nous nous détournons de plus en plus des Etats-Unis.

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Faits, opinions et intérêts…

Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Est-ce que ça dépend ? Et pourquoi ?

En théorie, les faits disent le vrai, ce qui s’est réellement produit. Mais chacun sait que l’observation des uns n’est pas celle des autres et que le « témoignage » varie largement ! C’est donc l’observation « neutre » des faits qui permettent d’établir le vrai. Mais chacun sait que le neutre n’est qu’une convention de procédures et d’analyses, qu’il standardise l’observation pour éviter la subjectivité et qu’il ne prend pas en compte la totalité du réel. Le fait est donc un regard normalisé mais pas complet. La méthode scientifique a justement pour but d’affiner ce regard par de nouvelles techniques plus précises d’observation et des procédures plus complètes d’examen. Mais il s’agit d’un idéal, d’une tendance dont on ne verra jamais la fin. Le fait restera donc approximatif.

La vérité est alors affaire d’opinion. Comme l’a dit Nietzsche, il s’agit d’une métaphore, donc d’un résumé qui fait illusion. Prendre l’illusion pour la réalité est une faute. En revanche, avoir la « volonté de vérité » est un mouvement pour approcher sous plusieurs angles et en creusant plus profond le fait.

  1. Il y a l’opinion paresseuse, qui s’appuie sur les préjugés (ce qu’on croit avant même de savoir), et plus encore sur le grand nombre (si beaucoup sont d’accord, alors ce doit être vrai). Le fait, alors, est établi comme une croyance partagée, pas comme une réalité objective. Et cela donne la croyance aveugle en religion, le plébiscite en politique, le lynchage en justice et l’insurrection braillarde en démocratie.
  2. Il y a l’opinion éclairée, qui s’appuie sur le raisonnement (cet instrument de jugement qui s’élève au-delà des apparences pour se hausser au contexte et à la synthèse). Le fait, alors, n’est établi qu’avec de multiples précautions, techniques diverses d’observation, mesures à différents moments, regards croisés, recoupements. C’est plus long, plus incertain, mais plus efficace à la fin. Et cela donne l’agnosticisme en religion (le peut-être de Jean d’Ormesson, le pari de Pascal), le régime représentatif en politique, les différents étages de juridiction en justice avec avocat, droits de la défense et procédures d’appel, le débat avec vote libre et non faussé en démocratie.

La seconde option est plus longue et plus ardue, elle demande plus d’effort à l’être humain (mâle, femelle ou neutre) ; elle répugne donc au grand nombre, plus porté à se soumettre à un dieu dont on croit qu’il dit tout et sait tout, à accuser d’abord et à réfléchir ensuite, à se créer des boucs émissaires faciles et à actionner le yaka expéditif plutôt que de se demander concrètement comment changer les choses. En gros, la traduction politique en est Trump, Erdogan, Poutine ou Mélenchon (voire Le Pen si elle n’était pas quasiment éliminée par sa médiocrité).

Les modernes sont relativistes, car ils savent que « la vérité » n’est jamais qu’approchée, qu’elle ne règne pas immuable dans le ciel des Idées ni est écrite dans un Ciel mais qu’elle se construit pas à pas. Les antimodernes, qui se font appeler « conservateurs » ici ou là sont absolutistes, car ils croient que « la vérité » est donnée une fois pour toute, qu’elle règne par la voix d’un Dieu machiste et tonnant qui a seul raison, et qui a élu un seul peuple (le Blanc pour les Trumpistes, Israël pour les Juifs, la communauté des croyants pour l’Islam) pour faire advenir son Règne unique.

Les faits, pour les conservateurs, « ne se discutent pas » : ils sont vrais parce que c’est dit comme ça. Cette « post-vérité » peut être contraire à la vérité, qu’importe ? C’est la vérité du moment et de la communauté qui y croit. Cette façon de voir les faits est « politique » car le mensonge y est permis s’il s’agit de servir une cause plus haute, celle de « Dieu », du Parti ou d’un Chef ; il ne s’agit pas d’un péché contre l’Esprit mais d’une tactique de guerre utile.

Or le modernisme s’est imposé contre le conservatisme depuis les révolutions du XVIIIe siècle, tout comme l’Occident sur les autres peuples du monde par la colonisation, puis par la technologie et le dollar.

  1. Certains en réaction à cette domination mâle, blanche et fondée sur l’expertise scientifique prônent donc son radical inverse : valorisation du féminisme, des peuples de couleur et de l’antisystème. Leur « politiquement correct » combat la morale sexuelle traditionnelle pour l’hédonisme libertaire, la prétention occidentale à être seule interprète de « l’universalisme » et exercent une « déconstruction » critique de la « domination » (qu’ils voient partout à l’œuvre).
  2. D’autres, tout aussi en réaction mais réactionnaires au sens politique, réaffirment cette supériorité supposée du mâle, blanc, fondé sur la science (mais soumise dans ses recherches aux dogmes du Livre). Ils combattent le politiquement correct des libertaires sur le sexe avec n’importe qui, la repentance occidentale pour tout et la critique dissolvante, afin de rétablir les traditions et les dominations « légitimes » selon Dieu ou l’histoire.

Comme on le voit, rien n’est simple et tout se complique ! Il n’y a pas le « progrès » d’un côté et « l’obscurantisme » de l’autre, la raison contre l’émotion, la démocratie contre la tyrannie, la liberté contre le dogmatisme, ni même la gauche contre la droite ou la laïcité contre les religions…

  1. Il y a les passions croissantes qui submergent la raison et exige des politiciens du symbole plus que des mesures, l’affirmation de la souveraineté du pays plus que des accords internationaux, la protection des retardataires plus que la promotion des leaders.
  2. Il y a l’individualisme croissant induit par le mouvement de la société et par les technologies ; il produit du débat mais aussi des invectives et tend de plus en plus à coaguler des communautés virtuelles qui se ferment pour rester entre-soi en excluant tous les autres qui dérangent.
  3. Il y a la complexité croissante des savoirs qui ne permet plus au grand nombre de comprendre ce qui se passe, comment on peut aller dans la lune ou si c’est du cinéma, pourquoi les datas sont collectées aussi massivement et l’obscurité de leur tri pour leur « faire dire » quelque chose. La paresse est de voir des complots là où on ne comprend pas.

Dans ce magma, les faits deviennent vite opinions, lesquelles ne sont le plus souvent que le paravent d’intérêts communautaires ou particuliers.

Croyez-vous que Trump gouverne pour l’Amérique ou pour son clan ? Qu’Erdogan soit le président des Turcs ou seulement des musulmans conservateurs turcomans qui adulent son parti ? De même, croyez-vous que ceux qui votent extrémiste en Europe soient de purs fascistes ou gauchistes tentés par le césarisme – ou des déboussolés qui voudraient bien calmer le jeu de la finance, de l’immigration et de la dérégulation ? Les Somewhere combattent les Anywhere : ceux qui sont de quelque part ceux qui sont de nulle part.

Sans être un militant engagé ni souscrire à tout ce qu’il fait, il est possible de penser qu’un Emmanuel Macron tente le soi-disant impossible (selon Chirac, Sarkozy et Hollande) de concilier ces contraires : promouvoir les leaders en même temps qu’il protège les retardataires. C’est du moins ce qu’il dit, probablement ce qu’il veut, peut-être ce qu’il va réussir.

 

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Vers la démocrature ?

Le raccourci entre démocratie et dictature est un mot de Pierre Hassner, disciple de ce Raymond Aron qui – bien plus que Sartre et Beauvoir ! – fut lucide sur le totalitarisme marxiste en URSS, en Chine, à Cuba et ailleurs dans les années 50, 60 et 70. Ce qui n’a pas été vu hier peut n’être pas vu aujourd’hui. La démocrature donne les apparences de la libre décision démocratique (partis, élections, parlement, droit) mais assure dans la réalité l’essentiel du pouvoir aux mêmes.

La Russie de Poutine est une démocrature, l’Algérie et la Chine à parti unique en connivence avec l’armée aussi, la Turquie d’Erdogan en devient une, le Brésil du sénat destituant en est un embryon, et c’est le rêve de Donald Trump (la trompette trompeuse du parti des Éléphants !) comme de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon de la réaliser en France. Leur idéologie, c’est le Peuple. Magnifié, idéalisé, massifié : le Peuple en soi, sans aucune distinction particulière, le peuple en masse comme hier sous Hitler et Staline, « l’immense majorité » disait-on à l’époque, la « volonté générale » disait Rousseau, ce totalitaire émotionnel. Et c’est vrai : les Allemands comme les Soviétiques des années 30 votaient régulièrement ; ils élisaient massivement les mêmes, nazis et communistes – la démocratie apparente était sauve.

democratie dictatoriale

C’est que « le Peuple » n’existe pas ; comme Dieu, il lui faut des interprètes qui disent Sa pensée et qui agissent en Son nom… En URSS et en Chine pop, c’est le Parti communiste qui est le détenteur de la vérité révélée comme de l’exégèse des œuvres des grands révolutionnaires (Marx-Engels, Lénine, Staline, Mao). Dans la Russie de Poutine, c’est ce mélange de conservatisme petit-bourgeois et de nationalisme ravivé par les guéguerres aux ex-frontières qui est populaire, entretenu par une propagande massive des médias aux mains des dirigeants (tous manipulateurs experts de l’ex-KGB). En Turquie, Erdogan prend tous les pouvoirs, surtout après la tentative de putsch ratée de généraux pusillanimes qui n’ont pas pris les moyens de leurs ambitions ; le parti d’Erdogan est soutenu par une confrérie islamique sunnite puissante – et Allah est convié à soutenir le Pouvoir.

Mais la démocrature tente aussi les pays jusqu’ici démocratiques : le Royaume-Uni vient de vivre un hold-up institutionnel avec le Brexit en faisant croire que tous les maux étaient dus à la bureaucratie européenne ; certains se repentent aujourd’hui d’avoir cédés aux mensonges et aux sirènes de la souveraineté solitaire. Les États-Unis sont en train de vivre le psychodrame présidentiel, éclatés entre un Trump qui parle haut, proclame publiquement le politiquement incorrect et renverse la table – et une femme traditionnelle trop raisonnable, bien connue et longtemps au pouvoir.

Nous ne sommes pas exempts, en France, de ce genre de tentation, surtout après le troisième attentat de Nice, contre lequel le culbuto content de lui qui reste notre Président répète tout sourire que « tout va être fait » pour éviter un quatrième (puis un cinquième, puis un sixième ?) attentat – sans surtout ne rien changer aux institutions, aux procédures, ni aux manières de faire, malgré « l’état d’urgence ». Mais à quoi sert-il donc concrètement, cet état ? Le petit barrage de tapettes assuré par les diverses forces de police à Nice n’a pas de quoi rassurer les foules : il était aussi inefficace que l’entrée du bâtiment qui abritaient les parachutistes à Beyrouth, dans un pays en guerre, en 1982. Les « spécialistes » et les « décideurs » ne comprendront-ils donc jamais ?

Faut-il attendre à chaque fois la réalité meurtrière de la vraie guerre pour prendre enfin des mesures qu’on aurait dû prendre avant ? Les juges (administratifs) en restent à la lettre du droit, sans considérer les circonstances et les 240 morts français à cause de l’islam radical ? L’islam existe depuis 1300 ans et le burkini est une nouveauté : qu’a-t-il à voir avec la religion musulmane ? La provocation n’est-elle pas manifeste ? C’est ce que disent les femmes saoudiennes… contre les idiots utiles du gauchisme bobo. Toutes ces provocs ne sont-elles pas orchestrées ? C’est la thèse que défend Fatiha Boudjahlat, militante pour l’égalité en droits des femmes et secrétaire Nationale du MRC à l’Éducation… contre la bien-pensance qui se dit anti-réactionnaire et qui réagit au quart de tour. Manuel Valls a raison de dire que cet arrêt n’épuise pas le débat « politique ». L’arrêt juridique, rendu par le Conseil d’État au sujet des arrêtés des maires sur le burkini défend « les libertés » mais reste dérisoire : Tuot, l’auteur du rapport socialiste 2013 sur l’intégration a été l’un des juges. Il persiste à minimiser l’islam en religion « comme les autres », donc soumise au même droit commun – alors que l’islam est un projet global, totalisant, comme l’était le catholicisme jusqu’en 1905. Si l’idée française de nation est  la volonté de vivre ensemble, qu’en est-il de ces comportements ? Peut-on être « français comme les autres » quand on rejette volontairement et violemment ce projet collectif ? Revenons aux origines de la IIIe République, celle qui fonde la France actuelle : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. » C’est Ernest Renan qui le dit – fort justement ! Faut-il en revenir à la conception allemande du droit du sang, qui était celle de la France d’Ancien régime ? Pourquoi, dès lors, les intellos de gauche tortillent-ils du cul comme s’ils étaient gênés face à la volonté manifeste des islamistes (pas des musulmans) de renverser ce qui fait la France ? Comment devons-nous comprendre cette « soumission » volontaire au plus fort parce qu’il brandit un couteau ?

« L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion », disait encore Renan : la liberté existe, celle d’aller vivre ailleurs, en conformité avec ses convictions. Mais l’exercice des libertés n’est possible que dans la neutralité et je souscris à la déclaration de Raphaël Enthoven (dans La morale de l’info sur Europe 1 le 24 août) : « interdire un interdit, c’est lui donner de la force ». Laisser faire cette « mode » aussi inconfortable que ridicule du burkini, n’est-ce pas la vouer à disparaître ? Ce qu’il faut quand on est sûr de soi ? – « défendre sans trembler la laïcité et la République qui défend aussi la majorité des musulmans contre la prise de pouvoir d’un islamisme rétrograde », dit aussi Michel Santo sur son blog. Le meilleur du libéralisme est sans doute là.

Sûr de soi, sans trembler… mais quel politique est sûr de soi et ne tremble pas ? Mais quel politique va-t-il expliquer à la fois le droit et son application POUR TOUT LE MONDE ? N’y a-t-il pas des islamistes intolérants ? des racistes musulmans ? Des bobos qui crient à l’écorché dès que l’on OSE aborder ces questions pour eux taboues ? Les électeurs sont lassés de se retrouver avec les mêmes incapables, qui trustent les postes sans résultats concrets. Et nous allons rejouer en 2017 le duo des bras cassés Hollande-Sarkozy, comme si de rien n’était ? Si les primaires sont aussi indigentes qu’elles le promettent, l’électeur sera tenté plus qu’ailleurs de renverser la table, de passer un violent coup de karcher sur ces nuisibles qu’il a assez vus.

islamisation a peine voilee 2016 a saint denis

Car, après les attentats à répétition excusés par la boboterie de la repentance et de padamalgam, des mosquées financées à guichet ouvert par les intégristes wahhabites, des prêches haineux laissé sans réaction, des provocations en tous genres donnant lieu à « polémiques » entre intellos bien au chaud ; après l’éclatement partisan à la suite de Nice ; après la dislocation européenne initiée par l’Outre-Manche attisant le pourquoi pas nous ; après l’explosion turque, « pays candidat à l’Union européenne » – les électeurs sont désormais sans aucune illusion.

Ils ont l’impression qu’une démocratie directe, où ils auraient enfin leur mot à dire, serait préférable à la démocratie représentative qui balance les pouvoirs, équilibre les institutions et demande des débats avant toute décision. Si « nous sommes en guerre » comme le dit le président, alors pourquoi ne pas adopter les processus de décision raccourcis de la guerre ? 1914-18 a montré combien l’autoritarisme s’est amplifié avec le conflit ; la guerre contre le terrorisme pourrait bien avoir de semblables effets, exigés d’en bas comme en Turquie ou aux États-Unis par la population, contre les résistances des bobos mondialistes et des élites confortablement installées dans le fromage public. L’électeur à qui l’on a appris à obéir plus qu’à réfléchir se demande : tous ces garde-fous des institutions (la double délibération des Assemblées, le recours au Conseil constitutionnel ou au Conseil d’État, l’élaboration rituelle du droit, l’indépendance de la justice, la surveillance de la police), sont-ils encore utiles ? Ne faut-il pas les raboter ? les suspendre ? les supprimer ?

Ces vertus du libéralisme politique sont fragiles, d’autant que le libéralisme est attaqué de toutes parts, à gauche comme à droite, au nom de l’État, de la Nation en armes une et indivisible, de la neutralité jacobine qui ne reconnaît aucun particularisme – ni corse, ni basque, ni breton, ni catholique, ni musulman. Le multiculturalisme est à la mode chez les gendegôch et les bobos parisiens, alors que la fécondation de la culture par l’Ailleurs est conditionnée avant tout par la santé de sa propre culture. Tout ne vaut pas tout, dans le grand méli-mélo métissé des gauchistes hors sol. Être fier d’être soi serait-il bien en Kabylie ou à Tahiti, mais horrifique en France même ? Montaigne doit-il être traduit en novlangue texto et simplifié au politiquement correct dans une jacklanguerie « artiste » du dernier chic ? Pourquoi introduire l’arabe en classe alors qu’on ne sait même pas apprendre le français correctement ?

moins de libertes contre le terrorisme

Mais si tout va mal et que les pires conservateurs apparaissent comme ceux qui sont au pouvoir et autour (en France la gauche bobo depuis Mitterrand ; aux États-Unis le clan Clinton), c’est aussi parce que la promesse de la démocratie libérale n’est plus tenue depuis le nouveau millénaire. Les excès de la finance, « la crise », la puissance des lobbies bancaires, le droit extraterritorial imposé par les États-Unis, la prosternation envers les pratiques chinoises de voyou, ont laissé stagner, voire régresser, le pouvoir d’achat – en Europe comme aux États-Unis.

L’immigration massive et incontrôlée, la culture sociologique de l’excuse qui justifie la vengeance islamiste par l’injustice passée, le rejet des fils d’immigrés mal intégrés à cause de leur idéologie radicale, l’intolérance croissante aux différences revendiquées (burkini, voile… mais aussi torse nu en ville, seins nus à la plage, short en vélo !), apparaissent à l’électeur en régression sociale comme d’insupportables provocations : les élites s’occupent des « victimes » autoproclamées par la repentance coloniale (France) ou le culte du fric et de la performance individuelle (USA), elles ne s’occupent pas de l’électeur moyen ou populaire.

Sauf qu’il a le droit de vote. Et qu’il va s’en servir. Même si les partis politiques ne font guère recette, Internet dit tout, permet tout, entraîne tout. Les vieux rassis, au pouvoir depuis trop longtemps, n’en ont aucune conscience ; ils n’y « croient pas ». Dommage pour eux, le phénomène Trump et la grossière erreur des sondages anglais le montrent.

Je déplore à titre personnel la haine irrationnelle du libéralisme, tant politique qu’économique, qui agite nos élites de gauche comme de droite, tout comme la distorsion vers le monopole du libéralisme aux États-Unis ou en Allemagne. Car le leg libéral est aussi politique : celui des institutions. Il assure la tempérance et la raison par la séparation des pouvoirs et le débat organisé. S’il venait à disparaître dans l’illibéralisme comme en Russie, en Turquie ou en Hongrie, tous les petits « révolutionnaires » indignés qui manifestent à longueur d’années pour revendiquer des « droits » seraient les premiers à en pâtir. Lénine les avait éradiqués sans état d’âme… Et nous aussi en pâtirions.

Il est difficile de résister à la pulsion de mort qui taraude nos sociétés malsaines, face à des contre-sociétés plus vigoureuses et sûres d’elles-mêmes. La psychologie de masse rencontre le petit moi étriqué laissé à lui-même par la famille déstructurée à la mode et par l’école démissionnaire du tout vaut tout. Mais il faut résister, affirmer ce qui vaut, faire appliquer les lois existantes, modifier celles qui le doivent pour assurer de vivre ensemble, renforcer l’Union européenne en posant clairement ses frontières et ses normes – comme le font les États-Unis, la Chine ou l’Inde, sans état d’âme. Cela sous peine de disparaître dans une prochaine nuit des longs couteaux.

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Raoul Girardet, L’idée coloniale en France 1871-1962

raoul girardet l idee coloniale en france
La colonisation française active, militaire, économique, scolaire, avec conquête et occupation des territoires, création d’un réseau de soins, d’écoles et de transports, a duré un siècle. Il ne s’agit pas de “justifier” ni “d’excuser” – mais de “comprendre”. L’inverse même de la mentalité ignare et sectaire d’aujourd’hui – jusqu’à Manuel Valls – qui croit qu’analyser, c’est excuser et tenter de comprendre déjà pardonner.

Comprendre est la thèse que défend Raoul Girardet, professeur à Science Po, dans ce livre paru en 1972 chez un éditeur « de droite » car le sujet n’était pas à la mode. Depuis, il l’est revenu, mais pour d’autres raisons que le patriotisme des pays décolonisés : pour affirmer une identité communautaire en opposition à celle des Français de la République. Il est donc utile et intéressant de relire ce livre, travail initialement universitaire, avec tout le recul, l’analyse d’archives et l’érudition qui s’attache à la science historienne.

Coloniser n’a pas été un mouvement de masse mais une série d’initiatives dispersées, promues par certains milieux, qui ont forcé l’opinion jusqu’à l’apogée de l’Exposition Coloniale à Paris en 1931. La décolonisation fut douloureuse mais au fond un soulagement du « fardeau de l’homme blanc ». Aller s’occuper des autres était peut-être chrétien, mais répugnait au monde des affaires. Commercer, oui, s’établir, non. Flaubert en témoigne dans son Dictionnaire des idées reçues : « Colonies (nos) – s’attrister quand on en parle. »

C’est bien l’absence d’une politique volontaire qui s’affirme pour se lancer dans les conquêtes. La décision du gouvernement de Charles X de s’emparer d’Alger n’était pas d’acquérir des territoires à exploiter mais d’éradiquer la piraterie qui terrorisait le commerce en Méditerranée et réduisait nombre de passagers en esclavage en « barbarie ». La guerre était une décision de prestige pour la monarchie.

Les politiciens libéraux y étaient hostiles par principe : la conquête coloniale coûte cher car il faut entretenir l’armée et nombre de petits fonctionnaires ; elle ne profite pas globalement à la métropole et n’enrichit que quelques négociants. Contrairement aux thèses marxistes, complaisamment enseignées en écoles et universités, au mépris du réel historique. Le gourou du libéralisme économique, Jean-Baptiste Say cité par Girardet, le dit clairement : « tout peuple commerçant doit désirer qu’ils soient tous indépendants pour qu’ils deviennent plus industrieux et plus riches. » Selon ce même principe, les Américains ont toujours été hostiles à la colonisation. Même lorsqu’ils font la guerre, ils ne savent pas « occuper » un pays, trop égoïstes et centrés sur eux-mêmes pour se préoccuper des autres.

La conquête coloniale n’est donc soutenue que par les militaires d’Afrique, les marins et quelques gros négociants des ports. S’y ajoutent quelques explorateurs et géographes, quelques écrivains exotiques (Jules Verne) et les Saint-Simoniens, précurseurs des socialistes, qui veulent régenter les sociétés pour les plier à la discipline du Progrès en même temps que les émanciper, par mission universaliste.

Une doctrine militante de la colonisation ne voit le jour en France qu’à la fin du Second Empire. Elle vante l’unité économique globale nécessaire à l’harmonie sociale, la grandeur de la France et son rayonnement dans le monde, enfin la possibilité d’augmenter la production en trouvant ainsi de nouveaux débouchés.

colonies cafes

Le perfectionnement intellectuel, sanitaire et moral des indigènes est second : aller conquérir, bâtir et éduquer servira bien plus qu’aux indigènes à la régénération morale des Français après la défaite de 1870, l’amputation du territoire et la dépression économique de 1873. Le discours à la Chambre du socialiste Jules Ferry sur la politique coloniale, en 1885, le résume à loisir. De 1880 à 1895, sous la IIIe République naissante, les possessions françaises passent ainsi de 1 à 9,5 millions de km². Ce n’est qu’après 1890 que naissent divers comités, comme celui du Maroc, puis l’Union Coloniale qui fait lobby avec ses conférences, ses dîners mensuels, son Congrès à Marseille en 1906 et ses cours libres en Sorbonne. L’École Coloniale naît en 1889 et un Ministère des Colonies est instauré en 1894. Tandis que la politique coloniale anglaise est inspirée par les commerçants et les industriels, la politique coloniale française est politique et militaire. L’idéologie de la République est jacobine, centralisatrice et assimilatrice, au contraire du modèle anglais de self-government.

S’installe alors la justification morale critiquée aujourd’hui, déclinée en idéologie politique. Les intérêts particuliers de la France ne peuvent être dissociés de l’intérêt général de l’humanité ; le désir d’épanouissement de l’homme, à l’œuvre dans l’école publique, est étendu au développement de l’Empire outre-mer. La Raison révélée luttera contre les oppressions superstitieuses et tribales. On croyait alors (faussement) à une hiérarchie des races et c’était du « devoir des aînés » avancés de protéger et d’éduquer les « petits » arriérés.

Ce dynamisme, qui est l’une des dérives des Lumières, a été adopté avec enthousiasme par le parti Radical dès 1902. Les Conservateurs n’y sont venus qu’en 1905, ils désiraient plutôt la puissance et y ont vu la destinée de la France. Les socialistes parlaient alors de « flibusterie coloniale » (Jules Guesde) visant à parer à la surproduction tout en enrichissant une ploutocratie financière. Jaurès répudiait la force mais est resté tenté par la diffusion du Progrès.

L’apogée du colonialisme est fixé par l’auteur en 1931. La Grande Guerre a montré le rôle considérable des colonies dans la victoire (1 million d’hommes mobilisés, 200 000 tués). Le maréchal Lyautey concilie dans l’opinion éclairée le prestige du soldat à celui du bâtisseur, double figure du père tutélaire qui protège et élève ses « enfants ». Le commerce colonial, qui représentait 13% du total du commerce en 1913, en représente 27% en 1933. La société se convertit grâce à la Croisière Noire des voitures Citroën 1925 puis à la Croisière Jaune 1933 (événements précurseurs de l’agitation médiatique des courses et autres Dakar). Les romans sahariens de Pierre Benoît et de Joseph Peyré enfièvrent les imaginations.

Dans l’entre-deux guerres apparaissent les premiers mouvements revendicatifs dans les colonies : le Destour en 1920 en Tunisie, les Oulémas en 1935 en Algérie, le terrorisme en 1930 au Tonkin. Léninistes comme sociaux-démocrates (tels André Gide) sont d’accord pour l’égalité des droits et pour le droit à disposer d’eux-mêmes des peuples de couleur. « Le préjugé de civilisation se délite », selon Lucien Romier en 1925. L’ethnologie naissante affirme le pluralisme des cultures et le processus d’acculturation de l’idéologie du Progrès. Les romans sahariens d’Isabelle Eberhardt et de Roger Frison-Roche convertissent plutôt le Blanc à la vie indigène.

La décolonisation prendra 12 ans, de 1950 à 1962. Lâcher l’Empire est un arrachement car il a été l’ultime refuge de la souveraineté française durant le nazisme. Les Anglais sont partis de leurs colonies mais la lutte nouvelle contre ‘le communisme en un seul pays’ sert de prétexte à conserver la mainmise française en Asie et en Afrique.

colonisation et etats unis romain gary

L’anticolonialisme réunit quatre courants différents selon Girardet : l’antillais (Césaire, Fanon), le révolutionnaire (Sartre), l’humaniste (la revue Esprit) et l’intérêt national (Aron, de Gaulle). Les États-Unis sont malvenus de critiquer la colonisation française, comme en témoigne Romain Gary : leur idéologie des Lumières n’était pas plus vertueuse ! Il faut plutôt y voir la pression mercantile pour « ouvrir » aux produits américains les marchés encore fermés. Si les colonies n’ont pas coûté cher jusqu’en 1930, selon les travaux de l’historien Jacques Marseille, l’après Seconde Guerre mondiale a en revanche coûté à la France deux fois les crédits qu’elle recevait des États-Unis pour sa reconstruction.

Au total, Raoul Girardet replace la colonisation dans son mouvement. Il permet de la saisir comme phénomène global :

  1. politique pour créer un empire face à la Prusse et à l’Angleterre, menaçantes ;
  2. missionnaire pour porter haut partout la langue, les mœurs, le génie et le drapeau de la France, avec le devoir moral d’éduquer les populations indigènes ;
  3. économique, mais en dernier, pour échanger la production de ciment, de cotonnades et de machines contre du vin, du cacao et de l’huile.

Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, 1972, réédité en Poche Pluriel 2005, 506 pages, €9.86

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Hélène Carrère d’Encausse, Les Romanov

helene carrere d encausse les romanov
Trois siècles, douze règnes dont celui de deux femmes, des meurtres, des trahisons, des faux tsars, l’histoire russe est aussi mouvementée que celle des Rois maudits. Hélène Carrère d’Encausse, spécialiste de la Russie et de l’URSS, elle-même née en Géorgie et parlant russe et que j’ai eu l’honneur d’avoir comme professeur en Science politique, poursuit une érudition au galop très bien écrite. La Russie y est présentée par les personnes et par le haut, mais sans oublier les conditions ni le bas peuple.

En 1613, Michel Romanov monte à 16 ans sur le trône russe ; en 1917, Alexis Romanov périt à 13 ans sous les balles bolcheviques. Entre les deux, la pénible remontée de ce grand peuple aux multiples nationalités, enserré dans son immense espace continental, tourmenté du Dieu orthodoxe (chrétien des origines) – et écartelé constamment entre deux aspirations : l’Europe, l’Asie.

Le retard mongol ne sera jamais rattrapé ; aujourd’hui encore, le despotisme « asiatique » marque la fausse démocratie russe sous Poutine. Sans cesse, la Russie devra courir derrière l’Occident – et désormais derrière l’Asie. Le débat a fait rage entre slavophiles et occidentalistes, il dure toujours.

michel romanov

Les premiers se revendiquent de la culture paysanne, arriérée, superstitieuse, orthodoxe, byzantine. Les seconds ne jurent que par la culture des élites éduquées à l’européenne, valorisant le savoir scientifique et l’émancipation par le haut. Si le paysan est volontiers solidaire de sa commune, épris de justice et volontiers anarchiste par fraternité, l’élite est plutôt individualiste, méritocratique, valorisant l’éducation et le savoir. Qu’on lâche d’un côté et le pays s’agite ; seule une poigne forte peut maintenir ses tensions en certain équilibre. Ce que Vladimir Poutine tente à nouveau, après la période libérale d’Eltsine.

De ces tsars et tsarines Romanov, trois émergent : Pierre le Grand (qui bâtit Saint-Pétersbourg), Catherine II (qui ouvre l’intelligentsia) et Alexandre II (qui abolit le servage). Les autres sont plus conservateurs, effarés des réformes de leurs prédécesseurs. Nicolas II, le dernier tsar, en est le plus faible. Velléitaire, tourmenté par sa bonne femme hautaine, pondeuse de filles à répétition et d’un seul fils hémophile – inapte à régner –, sous la coupe du moine débauché Raspoutine, il ne mènera rien au bout, se lassant trop vite des hommes compétents qu’il a réussi à trouver. Ignorant du peuple malgré sa bonne volonté, ignorant ce qui se passe car effrayé des attentats, ignorant l’exaspération de l’intelligentsia qui va faire la révolution – il proposera toujours trop peu trop tard.

alexis romanov 13 ans

La révolution fait se rencontrer le peuple ignare et communal avec l’intelligentsia nihiliste, ascétique et vouée à tout ce qui est « utile » (p.315). Évidemment le premier va perdre, dominé par les seconds sous Lénine. Malgré ses malheurs, il a néanmoins pu évoluer à marche forcée vers la modernité sous Staline. Il fallait pour cela que la dynastie Romanov soit éradiquée – ce que Lénine ordonna sans état d’âme, pas plus envers les femmes qu’envers l’enfant. Il lui suffira de ressusciter l’État policier créé par Alexandre III pour contrôler le pays… que Poutine ravive en partie pour garder son pouvoir.

L’intérêt d’un ouvrage court sur le temps long est qu’il dégage fort bien les lignes de forces qui conditionnent l’histoire Russe. Il y a des changements, mais aussi des pesanteurs comme chaque pays en connaît (la France ne fait pas exception à cette règle !). Celles de la Russie ressortent de son état continental, fermé, immense, où tout ce qui existe semble là de toute éternité. Ce qui est peu propice à désirer autre chose que les choses comme elles sont.

Hélène Carrère d’Encausse (de l’Académie fançaise), Les Romanov – une dynastie sous le règne du sang, 2013, Poche Pluriel 2014, 440 pages, €10.00

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Bonapartisme français aujourd’hui

Lorsqu’il gagne, ce courant volontariste et centralisateur impulse en général un élan à l’économie en favorisant des politiques d’État pour les grandes entreprises. Ce fut le cas sous Napoléon III et sous de Gaulle. Mais le bonapartisme comme tempérament politique n’est pas seulement à droite : Clemenceau, Mendès-France, Chevènement, Montebourg, Valls l’incarnent aussi.

Sarkozy a eu le malheur d’arriver en même temps que la crise des financiers en délire, venue des États-Unis, et son bilan est peu brillant. Mais il a tendu à favoriser la politique économique « de l’offre », orientée production, par opposition à une politique « de la demande », orientée vers la consommation. C’est ce qui l’a distingué de la gauche tradi, volontiers clientéliste, qui n’admet jusqu’à François Hollande « le capitalisme » que si elle peut autoritairement surveiller et punir les entrepreneurs qui ont trop de succès, pour arroser ses électeurs favoris.

Hollande est honni à gauche car il n’a pas le tempérament bonapartiste jacobin. Il se raccroche à Manuel Valls, volontiers gaullien, mais il n’a pas pris assez tôt et assez fort les décisions nécessaires pour réussir.

Cesar Paris jardin tuileries

Le bonapartisme n’est pas libéral, ce pourquoi Napoléon s’est tant opposé aux Anglais. Le libéralisme est une souplesse de penser ; il n’est pas le laisser-faire mais la règle de droit, longuement débattue dans l’opinion et pesée en lois réfléchies par les deux chambres du Parlement. Le libéral est pour la liberté, mais tempérée, il accompagne le mouvement de la société et accepte avec réalisme le mouvement du monde global ; il s’y adapte sans s’y dissoudre. Ce pourquoi il est seul apte à entraîner avec lui les conservateurs, exposant en raison et dans la durée l’intérêt de changer, sans précipiter le changement lui-même. Le PACS, qui horrifiait les tenants de la droite dure sous Chirac, est désormais encensé par la droite forte, contre le mariage homo…

Le libéralisme est désormais peu audible à droite, faute en est à Bayrou qui se croit prédestiné à la présidence par décret d’en-haut et qui a si mal géré son alliance avec l’UMP, tout en étant incapable de rallier la gauche modérée lorsque c’était possible. Mais il émerge à gauche avec les petites touches précautionneuses du président Hollande. De quoi hérisser les conservateurs, autant à gauche qu’à droite, les premiers désirant « revenir » au jacobinisme de contrainte avec Martine Aubry, les seconds peuplant la Manif pour tous et développant tout un réseau médiatique autour de Zemmour, Soral, Dieudonné et autres « penseurs » du retour à l’avant-1968, avant-1945, avant-1789. Certains même, parmi les écologistes de droite les plus libertariens, voudraient le retour avant le néolithique (où l’exploitation de la terre a créé la richesse, donc l’envie et la guerre, donc l’exploitation forcenée de la nature).

Le conservatisme, s’il est général en Europe et dans les pays avancés (mais aussi en Russie et en Chine…), renaît avec force en France où la population vieillit, voit se déliter les « zacquis » des Trente glorieuses tant chantés sous Mitterrand, et aperçoit les Lumières décliner sous l’influence culturelle d’une immigration de pauvres naïvement (et parfois méchamment) croyants.

francais et economie TNS 2014 11

Le bonapartisme est un caractère. La droite bonapartiste est en faveur de l’action et du plébiscite, donc du peuple majoritaire – même si ce n’est pas le peuple rêvé des bobos… Sarkozy s’est voulu en phase avec le petit peuple oublié, celui qui ne cause pas dans le poste, qui n’a pas fait d’études, qui trouve qu’il y a trop « d’étrangers » et trop peu de « respect », trop de désordre et de racailles impunies, trop de règlements et de fonctionnaires, pas assez d’efficacité, et qui veut voir le travail et l’effort récompensés. L’ordre, c’est que l’économie fonctionne mieux qu’ailleurs ; la paix, c’est qu’aucun État ne nous menace, pas plus les terroristes afghans que la finance anglo-saxonne ou l’Iran délirant des islamistes ou encore les al-caïds des banlieues toulousaines ; le respect de la religion est pour toutes les religions, à condition qu’elles respectent la religion des citoyens : la laïcité ; la garantie des biens passe par l’impôt non confiscatoire et l’encouragement à créer des entreprises et à investir. Tout n’a pas été bien géré sous Nicolas Sarkozy, mais c’est dans cette optique césariste qu’il a envisagé son quinquennat, même s’il n’a pas pleinement investi la fonction sociale d’État de la droite bonapartiste traditionnelle.

Jacques Chirac avait gauchisé son discours lors de son dernier mandat – opposé à la guerre en Irak, avant-gardiste sur les enjeux de mémoire, préoccupé d’environnement – peut-être pour rivaliser avec Lionel Jospin, Premier ministre sorti des urnes, mais peut-être aussi pour faire rempart à l’extrême-droite après le choc 2002. Il est resté aux marges du bonapartisme, installé dans la posture du rassemblement, suiviste de l’opinion quand celle-ci se montre hostile à George W. Bush, soucieuse de purger les culpabilités historiques, préoccupée de pollution et de durable – mais sans plus – heureux de gagner mais fatigué de régner.

Nicolas Sarkozy n’a pas été Napoléon Bonaparte, il n’en avait ni le talent pratique, ni le génie stratégique, ni même la culture. Mais Nicolas Sarkozy s’est inscrit dans ce tempérament issu de la Révolution et actionné en 1848 avec le suffrage universel : l’autorité, la décision, le mérite. Aujourd’hui, le bonapartisme à droite reste incarné surtout par lui, même si Juppé et Le Maire le défient sur ce terrain. Moins Fillon, plus libéral conservateur, donc moins « populaire ». Mais le bonapartisme ne fonctionne que s’il conduit un Destin : la grandeur de la France, la force de frappe, le redressement économique, le projet Calcul ou Airbus, et ainsi de suite. Où sont les projets pour la France de Nicolas Sarkozy ?

Le peuple, au fond, aime bien en France les figures d’autorité, les coups de menton, les affirmations martiales. Ce pourquoi, peut-être, Manuel Valls est-il plus bonapartiste que la plupart des hommes forts de la droite, plus visionnaire gaullien, plus organisateur napoléonien. Ce pourquoi aussi – peut-être – se verra-t-il au second tour face à Marine Le Pen. Cette femme qui déménage (selon les propos off de Sarkozy) est en effet un autre avatar, plus national et populiste, de ce même bonapartisme qui forme le fond de la république en France.

Pour ma part, vous me pardonnerez de rester libéral… tout cet activisme théâtral français me pèse. Nos pays voisins, moins dans l’esbroufe et mieux aptes à débattre et négocier des compromis acceptables, se portent beaucoup mieux sans nos coups d’éclat et nos coups de menton.

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État de la droite en France

La droite en France n’est pas comme la droite des autres pays : aucun libéralisme dans la caste politique, pas plus à droite qu’à gauche. Mais, à l’inverse, toujours la révérence à l’État centralisateur, à l’Homme providentiel, au décideur ultime pour submerger l’anarchie des provinces, des groupes et des intérêts. Or le libéralisme n’est pas le laisser-faire, comme l’inéducation nationale le serine à longueur de manuels issus de la vulgate de gauche – le libéralisme est le domaine de la règle, du droit. L’État y a toute sa place, mais rien que sa place : il n’a pas à intervenir dans les chambres à coucher, les nurseries, les cuisines, les garages ou les jardins.

Les pigeons, les dindons, les bonnets, les alternatifs et les manifestants pour tous sont principalement à droite, mais conservateurs, libéraux, anarchistes et libertaires mêlés. C’est dire combien la droite en France est buissonneuse, buissonnante et buissonnière.

  1. Nicolas Sarkozy, en bonapartiste traditionnel, veut une République forte, il se présente devant le peuple comme le Recours. Il ne garde la référence à Patrick Buisson que pour promouvoir une droite buissonneuse-batteuse. En cette posture, il se positionne moins contre François Hollande que contre Manuel Valls, qui joue la même partition bonapartiste à gauche.
  1. Mais l’UMP n’est pas unie, malgré son nom ; elle est buissonnante. Sarkozy l’a bien compris qui veut la recentrer autour de sa personne pour en faire une machine de guerre électorale. Pas sûr que les courants le suivent, bien que lui croit (en bonapartiste convaincu) que les faibles se rallient toujours au fort. Le dernier baromètre politique TNS Sofres montre Alain Juppé à égalité avec Nicolas Sarkozy à l’UMP en termes de cote d’avenir (65% chacun). Mais Alain Juppé devance nettement Nicolas Sarkozy chez l’ensemble des électeurs (40% vs 29%), signe que l’image de l’ancien chef d’État reste bien dégradée. Des non-sarkolâtres coexistent à l’UMP, comme le courant de François Fillon (toujours velléitaire) ou celui de Bruno Le Maire (qui se veut challenger). Rien n’est joué pour 2017, d’autant que des primaires sont censées avoir lieu avant pour désigner le candidat à la présidentielle… Sarkozy voudrait y échapper car la notion « d’homme providentiel » est contradictoire avec un vote primaire, Fillon déclare qu’il se présentera seul si l’organisation n’est pas irréprochable, Le Maire pourrait faire un score honorable, quant à Juppé il se réserve encore.
  1. La droite ne se résume pas à l’UMP… ce pourquoi elle est aussi buissonnière. Centristes et marinistes font aussi partie de la droite, tout comme font partie de la gauche le PDG de Mélenchon, les lambeaux du parti Communiste et les groupuscules gauchistes. Reste le cas des écologistes, écartelés entre leur conservatisme foncièrement « réactionnaire » de la nature et le « progressisme » de leur histoire personnelle gauchisante. François Bayrou serait candidat si Alain Juppé ne l’était pas, mais Jean-Louis Borloo ne voit pas l’intérêt d’être à la présidentielle. Le centre-droit lui-même est écartelé entre tendances, certains sont libéraux humanistes, d’autres démocrates chrétiens, le reste sociaux européens.

pouvoir populaire

Toute la vie politique française se structure autour des présidentielles. Cette personnalisation du pouvoir affaiblit les idéologies (tant mieux !) mais brouille le message politique (ce qui est un handicap). Un Parlement plus fort ferait contre-pouvoir s’il était doté des moyens institutionnels nécessaires (représentation proportionnelle à l’Assemblée contrebalancée par un Sénat élu au suffrage universel uninominal à deux tours, absence de droit de dissolution présidentielle contrebalancée par le non renversement du gouvernement, élection de l’Assemblée à date différente de la présidentielle, élection du Sénat à date différente de l’Assemblée). Une réforme en faveur du régime carrément présidentiel (à l’américaine) simplifierait peut-être la question. Je ne crois pas au retour des partis comme sous la IIIe ou la IVe République : chacun a trop bien vu où les querelles de bac à sable pouvaient mener…

Le handicap français reste cet étatisme de mentalité, de mœurs et de comportement qui empêche de comprendre les autres (européens notamment), et rapproche plutôt malheureusement les Français des Chinois, des Russes et autres régimes autoritaires (les yeux doux de Mitterrand à Ben Ali, de Chirac à Saddam Hussein et de Sarkozy à Poutine). Ce handicap mental empêche de faire les réformes utiles (en réhabilitant l’entreprise concrètement, pas selon de grands « plans d’État » aux sigles alambiqués comme PDR ou CICE…), empêche de responsabiliser la société civile par esprit d’assistanat systématique (emplois aidés, suppression du tiers-payant et autres ABC de l’égalité). Lui président, François Hollande a offert à la France entière le spectacle effarant de répondre à une chômeuse qui veut travailler qu’il va créer des emplois subventionnés d’État pour l’aider à atteindre ses trimestres ; à un jeune diplômé qui ne trouve pas de travail qu’il va augmenter les emplois jeunes subventionnés d’État pour le salarier un moment ; aux collectivités locales qui voient leurs transferts diminuer que l’État va les abonder puisque « ça ne coûte rien » ! Les citoyens électeurs, responsables de leur budget devant leur banque et devant leur famille, qu’ont-ils pensé de ce gras fonctionnaire à vie, technocrate dans l’âme, malheureusement président parce que le précédent était trop agité ? Certainement pas du bien : l’homme peut être sympathique (encore que le feuilleton Trierweiler après le feuilleton Royal laisse douter de sa noblesse intime), mais le personnage politique apparaît détestable : seuls 12% des électeurs lui font confiance d’après le même baromètre TNS cité, 9% parmi les ouvriers et seulement 6% chez les 18-24 ans ! Même Sarkozy, à son 30ème mois, récoltait encore 36%…

hollande et le pacte budgetaire

La droite a donc un boulevard devant elle pour gagner haut la main 2017 et toutes les élections qui précèdent… si elle se définit et se rassemble un tant soit peu autour des désirs d’électeurs. Or ces désirs sont contradictoires (comme toujours) : un État puissant mais pas un État fort, un pouvoir qui édicte les règles et les fait respecter mais qui ne règlemente pas tout, une France traditionnelle portée par 2000 ans de culture mais l’héritage émancipateur des Lumières, de grandes idées de progrès humain mais un conservatisme de propriétaire, une assimilation possible mais pas un déferlement d’immigration, la coopération européenne mais pas le centralisme technocratique bruxellois, des impôts certes mais bien employés et pas sans cesse bouleversés, une classe politique professionnelle peut-être mais plus ouverte et mieux à l’écoute locale… Est-ce trop demander ?

Gare à l’excès de confiance ! Ce n’est pas parce que Hollande est aussi bas dans les sondages qu’un socialiste ne sera pas président dans deux ans et demi. Sarkozy peut encore susciter le rejet, Juppé ou Bayrou diviser, le chômage, la dette et la fiscalité s’aggraver – entraînant le syndrome de Weimar, ce rejet du parlementarisme et de la caste politique tout entière, la fermeture peureuse contre l’Europe, contre la mondialisation, contre l’ouverture des frontières. L’essai du Front national serait alors possible, l’homme providentiel serait une femme, elle déménagerait bien des politiciens.

Mais que ferait Marine Le Pen si d’aventure elle parvenait en 2017 au pouvoir suprême ? Probablement pas grand-chose : elle n’a ni la qualité de militants, ni l’expérience d’élus nombreux, ni le savoir-faire de hauts-fonctionnaires en nombre, ni les alliés politiques de poids pour gouverner avec assurance et efficacité. Grande gueule et dénonciations ne font pas un programme – pas plus à droite qu’à gauche. Encore deux ans et demi pour savoir…

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Genre, était-ce mieux avant ?

J’ai publié sur ce blog il y a quelque temps une note raillant le « c’était mieux avant » entonné par tous les nostalgiques d’un âge d’or qui n’a jamais existé. Il était le temps de leur jeunesse, l’époque qu’ils comprennent enfin trente ans plus tard et dont ils ne retiennent que le côté positif, un monde en apparence plus stable, aux mœurs engluées encore dans « la tradition » (qu’ils ne cessaient de secouer). Mais le monde évolue sans cesse, probablement pas plus le nôtre que celui d’avant. Le désir d’arrêter le temps, de stopper le mouvement des choses, est aussi vain que ridicule, Bouddha l’avait déjà montré il y a 3000 ans.

Ce désir d’éternel ici-bas manifeste une peur panique de ne plus être dans le courant, plus à la hauteur, perdu dans ce qui arrive, de quitter la jeunesse pleine de santé et de désirs neufs. Cet état d’esprit « réactionnaire », au sens premier de réaction à ce qui arrive, pourrait être une tempérance de la raison qui examine les changements pour choisir lesquels suivre et lesquels mesurer. Mais c’est pire : un refus pur et simple d’accepter que le monde bouge, que l’histoire aille son chemin, que les mœurs évoluent – un refus pur et simple de s’adapter, voire de grandir…

ados cuir amis paris

On en voit tant de faux ados de 35 ans, de faux révolutionnaires de 60 ans, des vieux-jeunes habillés comme à 16 ans qui roulent des épaules ou se maquillent comme à l’âge bête. Ils veulent figer la vie, tout comme certains écolos veulent revenir avant le néolithique, cette période où l’homme a cultivé la nature plutôt que d’y prélever. Tout comme les syndicalistes veulent « garder leur emploi » et leurs zacquis, tant pis si les Chinois, les Brésiliens ou les Allemands produisent plus vite, de meilleure qualité et moins cher et si leur entreprise fait faillite faute de se remettre en cause. Tout comme les moral-socialistes veulent imposer un monde des idées sans aucune idée des forces réelles ni des conséquences infernales de leurs « bonnes intentions ». Tout comme les intégristes de toutes religions (la juive, la chrétienne, la musulmane, la communiste, l’écologique) veulent revenir au monde d’hier, figé, intact, créé une fois pour toutes par Jéhovah, Dieu, Allah, l’Histoire « scientifique », ou Gaia la Mère.

Que la femme aspire à être traitée en égale de l’homme, quelle horreur pour ces croisés du retour où les mâles étaient les maîtres et mesuraient leurs richesses à leur horde de femelles et à leurs troupeaux de bêtes et d’enfants ! Mais quel est ce monde merveilleux « d’avant » auquel ils aspirent ? Pour les islamistes, rien de plus simple : tout est écrit dans le Coran. Même si le Coran n’a jamais été « écrit » par Mahomet – qui ne savait ni lire ni écrire – mais issu de multiples disciples qui prenaient note des prêches du Prophète inspiré par l’archange Djibril, des docteurs de la foi ultérieurs qui ont simplifié, raccordé, corrigé, mis en forme, des politiquement correct de chaque époque où s’est composé le Livre définitif. Mais pour les chrétiens intégristes ? Pour les catholiques de Civitas inspirés des protestants évangéliques américains ? Est-ce au monde la Bible auquel ils aspirent ? A celui du Christ en son exemple vécu ? A celui revu et corrigé par le misogyne Paul de Tarse ? Ou simplement au monde bourgeois leurs grands-parents ?

Femme robe seins nus emilio pucci

Justement, ce monde des grands-parents est évoqué par un écrivain autrichien né en 1881 et mort volontairement en 1942. Stefan Zweig avait 19 ans en 1900, il décrit les mœurs de l’empire austro-hongrois aux trois-quarts catholique :

« Qu’un homme eût des pulsions et qu’on lui permît de les ressentir était quelque chose que la convention était bien obligée d’accepter en silence. Mais qu’une femme pût être soumise à des pulsions identiques, que la Création, pour ses desseins éternels, eût aussi besoin d’un pôle féminin, l’admettre sincèrement eût été une entorse à la notion de ‘sainteté de la femme’. A cette époque préfreudienne, on se mit donc d’accord pour imposer cet axiome qu’une créature de sexe féminin n’éprouve aucune sorte de désir physique autre que celui éveillé par l’homme, ce qui, bien entendu, ne pouvait être officiellement autorisé que dans le mariage. Mais comme même à cette époque morale l’air était saturé d’agents érotiques infectieux, fort dangereux, spécialement à Vienne, une jeune fille de bonne famille, de la naissance jusqu’au jour où elle quittait l’autel au bras de son époux, était tenue de vivre dans une atmosphère absolument stérile. Pour mettre les jeunes filles à l’abri, on ne les laissait pas une minute seules. On leur donnait une gouvernante chargée de faire en sorte que pour rien au monde elles ne fissent un pas hors de leur maison sans être surveillées, on les accompagnait à l’école, à leur cours de danse, à leur cours de musique, et on revenait les chercher. On contrôlait tout livre qu’elles lisaient, et surtout on occupait les jeunes filles pour les distraire de toute pensée potentiellement dangereuse. Elles devaient pratiquer le piano, apprendre le chant, et le dessin, et des langues étrangères, et l’histoire de l’art, et l’histoire de la littérature : on les cultivait et on les surcultivait. Mais tandis qu’on s’efforçait de leur donner la meilleure culture et la meilleure éducation mondaine qu’on pût imaginer, en même temps, on veillait soucieusement à les maintenir dans une ignorance de toutes les choses naturelles qui est aujourd’hui [1941] inconcevable pour nous. Une jeune fille de bonne famille ne devait pas avoir la moindre idée de l’anatomie d’un corps masculin, ni savoir comment les enfants viennent au monde, puisque l’ange devait évidemment entrer dans le mariage le corps immaculé, mais également l’âme absolument ‘pure’. Chez la jeune fille, être ‘bien éduquée’ revenait purement et simplement à ‘s’aliéner la vie’, et cette aliénation a été souvent celle d’une vie entière pour les femmes de cette époque » p.929.

Que tous les réactionnaires, ceux qui se réfugient dans la religion à la lettre pour ne surtout plus décider de rien, les tentés par le vote extrémiste à droite, voire les simples conservateurs, méditent ces lignes. Le monde d’hier était un monde étouffant, contraignant, aliénant. Ce n’est pas parce que vous avez peur de la liberté – peur de ne pas être à la hauteur des choix à faire – que vous devez vous réfugier dans la tyrannie d’une caste de prêtres, d’imams ou de politiciens qui promettent tous l’au-delà ou le lendemain, mais jamais ce qui compte : l’ici et le maintenant.

Stefan Zweig, Le monde d’hier – souvenirs d’un Européen, 1942, traduction Dominique Tassel, Romans, nouvelles et récits tome 2, Gallimard Pléiade 2013, €61.75

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Dominique Reynié, Les nouveaux populismes

dominique reynie les nouveaux populismes

Voici un excellent livre d’analyse sur le changement politique de l’époque actuelle partout en Europe, écrit sans jargon et qui se lit d’une traite. La poussée de Marine Le Pen est décortiquée et expliquée clairement, aussi bien que les tentatives ratées de Jean-Luc Mélenchon et Bepe Grillo.

Comme toujours dans ce genre d’ouvrage écrit par un professeur à Science Po, la description est impeccable mais les solutions restent vagues. Un professeur n’est pas un politicien, et nul doute que la poussée récente du repli sur soi des populations européennes vieillissantes, contestées et appauvries n’a pas encore suscitée d’idées neuves sur les réponses possibles. Mais se contenter d’appeler à l’acceptation d’une immigration inévitable, à un « libéralisme musclé » pour mieux intégrer, à encore plus d’Europe pour faire des économies et à moraliser la vie politique m’apparaît un peu faible.

Reste que la bonne question posée par Nicolas Sarkozy jadis sur « l’identité nationale » est le reflet pragmatique (mal pensé et mal traité par l’équipe Sarkozy) d’une poussée évidente de ce que l’auteur appelle le « populisme patrimonial ». « S’il est un aspect de la globalisation qui conditionne fortement le développement des partis populistes (…) c’est certainement l’immigration, l’islam et le surgissement d’un multiculturalisme conflictuel, en lien avec le fort déclin démographique… » p.32. L’engrenage est bien brossé : libéralisme = laisser-faire = circulation sans frontières = immigration majoritairement musulmane = revendications multiculturelles incompatibles avec la laïcité et les mœurs habituelles aux Européens = menaces sur la sécurité, l’habitat, les fréquentations et mariages, les prestations sociales, les pressions alimentaires et culturelles… Le dire ce n’est pas « être raciste » – comme le psalmodient les bobos repus de bonne conscience dans la gauche morale – c’est décrire les faits. Or, dénier les faits, c’est laisser « ces interrogations et ces inquiétudes travailler sourdement la société. C’est sur ce non-dit que les populistes imposent leur discours, pointant les tentatives d’enfouissement, de dénégation et de censure qu’ils prêtent aux responsables des partis de gouvernement » p.110.

La plupart des gens répugnent à modifier rapidement leur mode de vie – ce pourquoi ils deviennent conservateurs envers les changements, et même « réactionnaires » lorsqu’on veut leur imposer de force. Ce comportement concerne tous ceux qui sont menacés, à droite comme à gauche. Les « zacquis » des syndicats sont aussi menacés que la « sécurité » à droite. D’où cette poussée du populisme hors des divisions traditionnelles, mettant en cause les élites contre le peuple, les gouvernants contre les gouvernés. Mélenchon comme Le Pen jouent sur le même tableau contre « l’UMPS ». Mais, montre très bien Dominique Reynié, c’est partout pareil en Europe, Royaume-Uni compris. C’est même au Royaume-Uni qu’après les attentats de Londres en 2005, existe le plus fort rejet de l’islam et de l’immigration extra-européenne, le multiculturalisme ayant clairement échoué.

Or c’est l’Europe qui contraint, consensus mou sur une social-démocratie libérale sans frontières ni valeurs autres que purement juridiques. D’où le rejet de l’Europe, qu’elle soit agricole, monétaire ou de Schengen. Fatale pente, démontre Reynié, « la promotion de l’opinion xénophobe est une condition sine qua non du succès électoral populiste. En ce sens, il n’y a pas de populisme de gauche. Tel est le problème de Jean-Luc Mélenchon » p.316. Clin d’œil à mon analyse de Mélenchon entre Péguy et Doriot, d’un socialiste de gauche jacobine comme le républicain Péguy poussé au national-socialisme comme l’ex-communiste Doriot.

Ce qui permet la percée des partis populistes ce sont les modes de scrutin (la proportionnelle), les médias (avides de langage cru et de dérapages), et les personnalités histrioniques (dont c’est le seul moyen de se différencier). Mais ces instruments n’existeraient pas sans la base : « Ce sont les classes populaires elles-mêmes qui conduisent ce mouvement de droitisation dont les communistes d’abord, les sociaux-démocrates ensuite et les populistes de gauche enfin sont les victimes successives. L’immigration et la sécurité sont devenues pour longtemps des enjeux capables de déterminer leurs choix électoraux » p.321. Retour du fascisme ? Non. De l’autoritarisme conservateur ? Oui.

Que faire contre le populisme ? En premier lieu arrêter de nier les questions qu’il soulève : la globalisation entraine une immigration incontrôlée que la crise économique rend plus difficile d’assimiler. Ensuite éviter la démagogie en proposant le vote des « étrangers », la construction ouverte de « mosquées », l’autorisation de la burqa, le recul du droit à autoriser une expulsée à revenir du fait du Prince, les avantages sociaux aux sans-papiers et autres discriminations positives, le deux poids-deux mesures des injures racistes (Blanc condamné, minorité excusée) et ainsi de suite. Enfin affirmer les valeurs républicaines, laïques, libérales, sans concession aux tentatives d’effritement des « droits » communautaires ou particularistes. Et peut-être recréer l’Europe comme espace homogène, aux frontières définies, à l’Exécutif clair et au Parlement élu le même jour par tous les citoyens de l’Union, avec des impôts en commun pour bâtir des projets en commun. Ce sont toutes ces réponses que Dominique Reynié ne fait qu’effleurer.

Il pointe que le rationnel ne suffit pas car « la singularité de la politique populiste est de n’être qu’émotion. C’est une politique médiatique jouant sur les ressorts affectifs : colère, peur, envie, nostalgie, ressentiment, etc. » p.345. Mais le rationnel serait néanmoins d’éviter, lorsqu’on est dans un parti de gouvernement, d’agir de même (comme Montebourg, Taubira, Belkacem, Hollande – ou Copé, Boutin, Morano, Sarkozy). D’inviter aussi certains populistes à prendre des responsabilités gouvernementales – leur grande gueule serait rabattue au premier échec, car on ne gouverne jamais sans compromis et nuances, à l’inverse du théâtre médiatique et du discours de tribune. Mais là, on entre dans le tabou des « alliances »…

Dominique Reynié, Les nouveaux populismes, 2011, édition augmentée 2013, Livre de poche Pluriel, 377 pages, €8.55

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Gens de Kiev

Le ciel est gris et une pluie fine se met à tomber qui ne nous lâchera pas. Fleurissent les champignons des parapluies sur les larges trottoirs. Ils marquent tous une femme ; les mâles vont sans, les jeunes en tee-shirts ou débardeurs, les mûrs en imper respectable et étouffant. Nous allons vers l’église Saint-André pour la beauté du site, même dans le gris nuage. Et pour ses stands de souvenirs, disent les mauvaises langues. La rue qui descend voit restaurer les vieux bâtiments. Le quartier sera fort joli, comme à Vienne, quand il sera remis à neuf dans le style.

kiev jeunes garcons
La rue descend jusqu’aux avenues avenantes où déambule funambule la jeunesse, dansant sur ses baskets, aussi peu vêtue que s’il faisait plein soleil. On vit « à la russe », arborant sans complexe cette virilité prolétarienne qui subsiste après le communisme dans les comportements des mâles de 5 à 75 ans.

homme femme enfant ukraine

Les femmes se préoccupent plus de leur toilette et de leur teint, elles ont quitté les comportements hommasses en vigueur au temps soviétique. Les hommes, au contraire, ont le conservatisme des mœurs. Nous le constaterons très vite, les Ukrainiennes sont particulièrement férues de mode et de vêtements. Sevrées par l’idéologie communiste qui voulait les femmes masculines et travailleuses, elles ne furent sitôt libérées de ces mœurs médiévales et munies d’un viatique dû à leur salaire libéral, qu’elles se sont précipitées pour acheter robes, chaussures, maquillage et parfums. Exister, c’est être belle – ici surtout. Pas de tee-shirt informe, de jean boudinant ni de baskets prolo : des hauts talons pour cambrer le mollet, des robes ajustées pour mettre en valeur la silhouette et une coiffure apprêtée qui n’a rien à voir avec ces choucroutes oxygénées des « coiffeuses » qui se prennent chez nous pour des stars. A Kiev particulièrement, et surtout le dimanche, être bien habillé tient du rituel.

kiev musculation proletarienne
Les hommes sont moins touchés par cet engouement pour la mode, sauf les jeunes branchés peut-être. Les petits garçons peuvent avoir l’air de poupées lors des mariages mais, dans le civil, ils sont habillés dans l’usable puisqu’ils ne cessent de grandir et de s’agiter dans les parcs, ce que leur mère encourage pour les muscler et les rendre beaux en faire-valoir. Plus âgés, ils prennent un peu des mœurs américaines, délaissant le saisonnier pour le confortable « vu à la télé » dans les séries globish qui devient signe international d’appartenance. Nous sommes à la capitale, dans les quartiers centraux plutôt chics.

kiev adolescents
Dès que nous prenons le métro ou nous éloignons du centre, nous retrouvons la vêture populaire. Là, pas de frénésie pour « les marques », nous ne sommes pas dans nos banlieues frime. Y règne plutôt l’imitation des majeurs, les gars du populaire se voulant adultes avant l’âge pour s’émanciper. Les grands, justement, font peu de cas du vêtement, affectant ce reste de « grossièreté prolétarienne » qui était l’apanage du stalinisme, des biens-vus du Pouvoir à l’époque soviétique. Il fallait marquer la rupture révolutionnaire : ne pas s’habiller en aristos, ne pas singer les manières bourgeoises, être brut de décoffrage tout entier orienté vers la Réalisation. Les fournées de nouveaux militants, entrés dans le Parti avec l’aide de Staline (secrétaire à l’Organisation), ont assis le pouvoir du « Petit Père des Peuples ».

ukraine virilite proletarienne
Volontiers conservateurs, plus que les femmes, les hommes d’Ukraine paraissent un peu machos, dans le rôle traditionnel que la religion orthodoxe (qui a pris le relais du communisme) leur a d’ailleurs rendus. Car tous, ou presque tous, du plus petit au plus mûr, arborent fièrement la croix d’or au cou. Ce signe ostentatoire, puisqu’interdit à l’époque soviétique, marque clairement la rupture avec « le communisme ». Même dans les endroits climatisés où chute la température, même dans les montagnes où les degrés sont bas, les jeunes hommes ouvrent leur chemise assez pour montrer sur leur gorge nue la croix de leur baptême, signe d’appartenance orthodoxe, signe de nationalité, signe qu’ils sont sortis de l’arriération socialiste. Depuis l’étranger, cette ostentation est touchante comme toute affirmation d’identité un peu adolescente, un peu culturelle, un peu politique. La croix peut être symbole de Dieu – elle dit surtout « j’existe ».

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Le long baiser langoureux de Doisneau sévit encore dans les rues animées de la capitale. Les caresses entre filles et garçons ne sont pas rares, moins égoïstes qu’en nos contrées tout en restant d’une décente affection. Chez les enfants, le genre sexué est clairement marqué par le vêtement. Les petits gars portent shorts et débardeur, voire maillot en filet qui laisse deviner les muscles en filigrane. Les petites filles portent haut moulant et bas à volants laissant le ventre nu, ou jupette rose avec haut à bretelles, ou robe toute simple à même la peau, froncée à la taille. Les adonaissantes peuvent être aguicheuses, déguisées en Madonna ou en Barbie, mais sans ce comportement sucré de starlette télé qui sévit trop souvent à l’Ouest. Et elles attendent d’être femmes pour s’habiller en pin up – pas comme chez nous, où des gamines de 6 ou 8 ans portent maquillage et minijupe.

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Nous prenons un funiculaire incongru, mais vénérable, jusqu’au parc qui domine la ville et le Dniepr. Gogol, écrivain ukrainien, venait méditer sur cette terrasse dominant le fleuve. Il y trouvait l’élégance et l’amour de vivre de la ville dans cet endroit vert.

kiev dniepr

Aujourd’hui, vendredi pluvieux de travail, rares sont les amoureux, les mémères, les enfants à y déambuler.

kiev jeunes sous la pluie
Sous la pluie persistante, la ville est grise comme si nous étions à l’automne mais les trottoirs sont noirs de monde. Les boutiques sont bien approvisionnées et les soldes attirent le chaland ; il y a même un McDonald’s : une vacherie contre le socialisme incapable de produire de la viande de bœuf en suffisance et de la restauration pratique aux citoyens.

kiev le mc donald s

La statue de Lénine se dresse toujours au bout de la Chevtchenka, à la sortie d’une galerie souterraine sombre en ce moment mais qui doit être fort animée les hivers. Un maltchik en émerge en polo très moulant, sans manches. La pluie, fine mais pénétrante, ne laisse bientôt plus rien ignorer de son anatomie. Il n’en a cure, cela fait viril. L’ancien marché kolkhozien de la place Bessaravska est désormais marché libre. Les ménagères y trouvent – enfin – ce qu’elles cherchent, plutôt que de croire l’affichage. Le socialisme aime en effet la parole, comme le montre cette vieille blague soviétique : avant, sur la boutique était écrit le nom du boucher et à l’intérieur il y avait de la viande ; sous le socialisme, sur la boutique est écrit le mot viande et à l’intérieur il y a le boucher. N’est-ce pas un peu la même chose avec François Hollande, grand prometteur de réformes, pourfendeur du déficit et de la finance, mais qui ne sait pas passer de la belle parole aux bons actes.

kiev sous la pluie
Le rendez-vous pour le dîner est à 20h. Le « O’Parnass » est une paillotte chic installée au coin du parc, face au jeu des enfants, de la statue d’un musicien sur le trottoir de l’avenue, et d’un bronze de jeune pêcheur ayant ferré un gros poisson. Le menu est « de luxe », le public citadin et l’orchestre « cosaque ». Lorsque s’élève la voix de ventre de la chanteuse, toute conversation ne peut que s’éteindre, submergée. La salade « de printemps » présente divers légumes frais, râpés ou émincés, dans la même assiette. C’est une sonate en radis, concombre, poivron, carotte. La tranche d’esturgeon qui suit est grillée sauce crème accompagnée de quelques aubergines, poivrons jaunes et tomates, grillés aussi. Le poisson est trop cuit mais savoureux. Il pleut violemment lorsque nous sortons du restaurant.

kiev statue bronze jeune pecheur
« Spakoynai notchi ! », bonne nuit. Elle sera douce dans un vrai lit, après une bonne douche. Nous nous envolons pour la France directement le lendemain à midi.

FIN du voyage en Ukraine

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Genre rétro

Un « grand débat de société » amuse la galerie ces temps-ci en France. Comme les politiciens sont impuissants à conforter l’économie et que leurs outils sont obsolètes, comme l’éducation dite « nationale » et la formation dite « permanente » ne préparent en rien à faire confiance, à travailler avec les autres, à entreprendre ou créer, comme la seule issue d’un gouvernement aux abois est de taxer encore et toujours sans jamais réduire la dépense – une diversion existe : l’idéologie.

Elle fait appel aux croyances et surtout pas aux faits ; elle agite les mythes rassembleurs et clive les appartenances ; elle ne met pas la raison en tête mais le cul en premier. Car qu’est-ce que cette rationalité tant vantée chez les socialistes de gouvernement comme chez les chrétiens activistes de Civitas – puisqu’ils s’assoient dessus ? Leur discours cul par-dessus tête affirme « la » théorie du genre. Or elle n’existe pas : seules « des » études de genre existent dans les universités américaines (Gender studies). Même si des députés socialistes affirment le contraire, dans leur inculture crasse formatée éducation nationale ; même si la porte-parole d’un gouvernement de Bisounours le répète, dans son féminisme hargneux de minorité visible.

baigneur garcon

Écoutons Sylviane Agacinski, philosophe rationnelle accessoirement épouse de Lionel Jospin : « Dans la mesure où le genre désigne le statut et le rôle des hommes et des femmes dans une société, c’est en effet une construction historique et culturelle. Ce qu’il faut défaire, c’est la vieille hiérarchie entre hommes et femmes : c’est ce qu’ont voulu les féministes. En revanche, cette déconstruction n’abolit pas la différence sexuelle… » Voilà qui est dit, et bien dit. Que je sache, ce ne sont pas les hommes qui portent à ce jour les enfants dans leur ventre. En revanche, les hommes comme les femmes sont capables au même titre d’élever les enfants. Françoise Héritier, anthropologue, ne dit pas autre chose : la différence biologique existe, mais l’être humain n’est pas que biologique, il n’est pas conditionné par ses programmations instinctives, comme les fourmis. Il est un être social qui, sitôt né tout armé de gènes, est plongé dans le milieu physique, familial, social, national et culturel pour se développer et construire sa personnalité.

La vieille querelle de l’inné et de l’acquis ne concerne que les croyants des religions du Livre. Ils ont cette foi que Jéhovah/Dieu/Allah a tout créé en sept jours, tout dit lors de la Chute du paradis terrestre en vouant les humains à travailler et enfanter dans la douleur pour avoir osé être curieux de connaissance. Les dérivés laïcs de ces croyances (rousseauisme, socialisme, positivisme, gauchismes et écologismes divers) gardent la foi qu’un Dessein intelligent existe (la Nature, l’Histoire, le Progrès) et que découvrir ses lois permettra la naissance d’un Homme nouveau – beau, intelligent, épanoui, en bonne santé…

Dès lors, surgissent comme partout les activistes et les conservateurs.

Ceux qui veulent conserver souhaitent que rien ne bouge, car tout est bien. Créé une fois pour toutes, dans la perfection de l’Esprit omniscient et tout-puissant, il « suffit » de découvrir le Sens pour être enfin apaisé, fondu dans le grand Tout divin.

  • Découvrir le sens littéral du Texte tonné sur la montagne ou susurré tel quel par l’ange messager Gabriel/Djibril dans l’oreille du prophète.
  • Découvrir le sens du progrès historique par les lois marxistes « scientifiques » de l’économie, donc de la sociologie, donc de la politique, donc du mouvement historique.
  • Découvrir les équilibres non-prédateurs de l’humain dans son milieu planétaire, donc renoncer au néolithique, cette appropriation de la terre pour la cultiver, engendrant la propriété privée et la thésaurisation des récoltes, donc les États et la guerre, donc le machisme, l’esclavage, le colonialisme, l’exploitation de l’homme par l’homme jusque dans les usines et les bureaux.

Pour les conservateurs croyants, il suffit d’attendre que la Vérité émerge, que la Voie se dégage – et l’avenir sera radieux, forcément radieux.

Pour les activistes de ces mêmes croyances, la destinée écrite de tous temps a besoin d’un coup de pouce, d’un coup de main ou d’un coup de force – selon leur radicalité. La société nouvelle doit accoucher dans la douleur. D’où cette fascination pour les révolutions, qu’elles soient françaises passées (on ne parle jamais de l’anglaise, pourtant plus ancienne et bien plus efficace !), marxiste-léniniste, maoïste, castriste, arabes, ukrainienne, vénézuélienne, notre-dame-des-landaise…

Les conservateurs mettent en avant le temps, qui fera naître inéluctablement le progrès ; les activistes mettent en avant la volonté politique, qui fera accoucher au forceps ce même progrès. D’un côté Civitas (et tous les religieux intégristes), de l’autre le parti Socialiste (et tous ses avatars plus ou moins radicaux). C’est ainsi qu’il faut commencer à la racine : dès l’enfance, dès l’école.

Le gène serait une contrainte qui conduit à la famille, donc à l’inertie conservatrice. Nier le gène au profit de la construction revient à changer l’homme dont on a déjà écrit les Droits sur une table de la Loi. « On ne naît pas femme, on le devient », disait Simone de Beauvoir, masculinisée en Castor (Le deuxième sexe). Son compagnon Jean-Paul Sartre lui-même, disait la même chose des Juifs, on ne l’est que par le regard des autres : « C’est l’antisémite qui fait le Juif » (Réflexions sur la question juive). Demandez aux Juifs (ou aux Corses, Arméniens, Bretons et autres) s’ils sont d’accord…

collegiens torse nu au vestiaire

Le biologique est donné, le social est construit. Ce qui fonctionne sur l’appartenance ethnique et culturelle fonctionne pour le sexe. La propension majoritaire hétérosexuelle est autant le résultat de la société et de l’éducation que la propension minoritaire homosexuelle. Il n’y a aucune « raison » à penser que la répression de l’homosexualité suffit à l’éradiquer – ni que l’encourager suffit à éviter l’attirance pour l’autre sexe. Les Grecs antiques comme les Anglais victoriens aimaient pour partie les beaux éphèbes et pour partie les femmes : ces deux sociétés n’ont en rien disparues faute de descendance ! Leur sensualité était surtout indifférente à la distinction des genres…

C’est la symbolique politico-religieuse qui fonde une société, pas la biologie, montre Maurice Godelier. Or les humains ne font société que par le symbole : « déconstruire » est scientifique, mais construire est une exigence si l’on veut faire société. Une société ne fonctionne pas sur le seul rationalisme scientifique, trop réducteur pour embrasser l’humain. Le désir n’a pas de « sens social », seule la reproduction en a un, d’où l’encadrement de la sexualité par la religion, la morale et la loi dans tout groupe humain partout dans le monde et dans l’histoire des primates (eh oui, les singes aussi sont « sociaux »). Les sociétés humaines ne se sont donc pas fondées sur le ‘meurtre du père’ selon Freud, mais sur un refoulement sublimé, ou canalisé par les rites, du désir forcément asocial (anarchique).

Brice Couturier dans un Matin récent de France Culture, a fort justement insisté sur la différence entre égalité entre les sexes – objectif légitime et consensuel – et déconstruction des stéréotypes de genre qui relève d’une tout autre logique. Les stéréotypes sont partout : l’esprit critique et la raison consistent à les déconstruire – non pour les abandonner totalement avec horreur, mais pour comprendre comment ils fonctionnent – et accepter ceux qui sont nécessaires. Par exemple, Poutine comme nouveau Mussolini est un stéréotype actuel répandu : il est partiellement vrai ou, du moins, il trahit peu la vérité (qui est plus nuancée, dans son contexte et l’histoire d’aujourd’hui). Poutine vu comme nouveau Mussolini permet de comprendre comment il fonctionne, le stéréotype peut être ainsi un schéma pour l’action.

Mais les stéréotypes ne sont pas des modèles de comportement. Les enfants qui construisent leur personnalité ont besoin de modèles sociaux, ils n’ont besoin ni de foi (affaire personnelle) ni de préjugés (le nom vulgaire des stéréotypes). Les « mythes » en société existent, Roland Barthes a écrit un beau livre là-dessus ; on peut en jouer, aimer les belles histoires – sans pour cela les croire ni sacrifier à leurs incitations. Caroline Eliacheff : « stéréotypes. Ceux-ci ne sont pas immuables : on peut proscrire ceux qui introduisent une hiérarchie ou des comparaisons dévalorisantes; on peut ne porter aucun jugement sur les enfants qui ne s’y conforment pas : libre à eux de se dégager des stéréotypes mais pas de les ignorer. Ce n’est pas la même chose de « faire comme les garçons » et « d’être un garçon » ». Le film Tomboy est à cet égard éclairant !

Ce pourquoi il faut faire confiance à l’esprit critique et au libre examen – attitude intellectuelle qui n’est possible qu’en démocratie – et pas chez les croyants du Livre qui – eux – doivent obéir au Texte d’en haut. Critiquez Poutine en Russie et vous aurez cinq ans de camp. Comme le modèle de Marine Le Pen est celui de Mussolini actualisé en Vladimir Poutine, les votants français devraient savoir ce qui les attend…

La neutralité de la raison n’est

  • ni le relativisme généralisé (tout vaut tout – donc enseignons au même niveau que la terre est plate puisque c’est ce que disent les religions du Livre – et qu’elle est ronde puisque c’est bien ainsi qu’on la voit de l’espace)
  • ni le rationalisme qui est une dérive réductrice de la faculté de raison (les trois ordres de Pascal ou de Nietzsche).

L’esprit critique n’est pas le scientisme – mais la méthode scientifique (partielle, incomplète, évolutive) est la seule méthode efficace que nous ayons pour l’instant trouvée pour approcher le vrai. Reste que si l’esprit critique est utile en société (pour innover, avancer, proposer), ce n’est pas lui qui FAIT société, mais un ensemble de mythes et de rites arbitraires – symboliques.

  • Déconstruire les stéréotypes sociaux du genre : oui.
  • Nier de ce fait qu’il n’existe plus ni homme ni femme mais une gradation sexuée où transgenres, gais, lesbiens et bi sont fondés en biologie : non.

L’acceptation des différences est sociale, mais la vérité biologique est scientifique.

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Radicalisation de crise

L’Amérique reste qu’on le veuille ou non le phare du monde et ce qui lui arrive nous arrivera probablement aussi, avec une décennie de décalage. Ce pourquoi les réflexions suscitées par les dernières élections présidentielles aux États-Unis, rassemblées dans le numéro de janvier-février de la revue Le Débat (n°173, éditions Gallimard, €18.50) font penser à la France. Nos élections présidentielles de l’an dernier ont marqué une pente dont la campagne anti-Obama fut la caricature. Ce qui s’est produit là-bas risque de se produire ici, en 2017. Qu’est-ce à dire ?

Les États-Unis se sont montrés de plus en plus opposés à l’État et de moins en moins unis.

Les divisions raciales, culturelles, d’origines et de résidence géographique sont devenues criantes. En France, nous avons encore connu en 2012 le choc idéologique entre droite et gauche ; aux États-Unis, le choc est désormais entre communautés : Noirs contre Blancs, petites villes contre mégapoles (Washington, New York, Chicago, San Francisco), états du centre contre états des côtes, cols bleus contre cols blancs, industriels et commerçants contre intellos universitaires…

Cela nous menace-t-il ?

Sans aucun doute. Catholiques et Juifs se retrouvent contre un islam médiatique (différent de l’islam pratiqué) qui valorise l’image de l’intolérant, du macho et du terroriste. Il faut dire que les musulmans « normaux » restent frileux face aux surenchères salafistes et autres « Frères »; on ne les entend guère dans les médias… Les laïques sont partagés, anticléricaux mais « respectueux » (jusqu’à la lâcheté trop souvent) des cultures du monde, dont les opprimés et leur religion font partie. Les habitants des campagnes et des petites villes françaises ne se reconnaissent plus dans les grandes villes telles Paris, Lyon, Marseille, Toulouse. Ces mégapoles cosmopolites ne sont plus « la France » (voir la série Plus belle la vie dont les acteurs n’ont même pas l’accent de Marseille) ; leurs élites ne représentent plus la nation mais le nomadisme mondialisé ; leur culture, subventionnée d’État, ne dit plus rien aux éducations classiques. Pire : les partis de gouvernement sont mis dans le même sac de « l’UMPS » tant par Marine Le Pen que par Jean-Luc Mélenchon. Tous sont accusés d’être dans le vent, ploutocrates (que les intellos-économistes méprisants appellent « ultralibéraux »), dévoués au marché (« grand méchant ») et – pourquoi pas ? – aux maîtres du monde qui comploteraient (rumeur) la fin des peuples.

on est autiste

Le vieux fond humaniste résiste encore en France aux séductions de la manipulation ethnique et des théories du Complot, mais pour combien de temps ? Aux États-Unis, le parti Républicain devient récalcitrant, dédaigneux de tout compromis. Il s’agit presque d’une guerre de religion entre Républicains et Libéraux, les premiers étant à la fois conservateurs (moins d’impôts et moins d’État) et libertariens (moi-je, pionnier tout seul contre le monde pour refonder ici-bas la cité céleste) ; les « libéraux », là-bas, sont gens de gauche, en souvenir des Lumières – ce qu’ont bien oublié les archéo-marxistes français passés sous Staline et dont l’esprit ne s’est jamais remis. En France, la propension au refus de tout compromis est moins marquée mais contradictoire, la droite conservatrice (moins d’impôts mais plus d’État), la gauche plus individualiste que libertarienne (moi-je, narcissique – mais qui exige les autres pour faire son théâtre médiatique ou frimer sur les réseaux sociaux). Les Libéraux américains (parti Démocrate) sont keynésiens et partisans du New Deal, en France l’UMP et le PS aussi… sauf à réduire les déficits. De cette confusion multiculturelle surgissent de nouvelles radicalités aux marges. La rue du ‘printemps’ de droite en témoigne.

Il s’agit de crispation des petits Blancs : WASP aux États-Unis et petits commerçants, artisans, fonctionnaires en France contre « les étrangers » qui viennent saisir les opportunités d’emplois et bénéficient des prestations sociales parce qu’ils sont juste en-dessous en termes de revenus. Plus encore : ce lumpen proletariat bénéficie de la bienveillance des intellectuels, des politiciens et des faiseurs de lois, puisqu’ils sont considérés (à cause d’une vague culpabilité impérialiste ou coloniale) comme « victimes », forcément victimes. L’administration crée des quotas pour favoriser les Noirs aux États-Unis, Obama compte régulariser 11 millions de sans-papiers latinos (4% de la population, l’équivalent de 2.5 millions d’illégaux en France). Susan Sontag, gauchiste féministe new-yorkaise, n’est-elle pas allée jusqu’à déclarer que « la race blanche est le cancer de l’humanité » ? La psychologie de la domination remplace l’analyse de la société, c’est sans doute plus confortable intellectuellement et donne l’éternelle bonne conscience d’être avec les opprimés, mais sans travailler en rien ni à la production, ni à la redistribution sociale, ni à l’éducation des gens. Il y a trahison, aux États-Unis comme en France : le peuple (autochtone) pense que les élites (censées les représenter) les trahissent en favorisant les allogènes (qui ne veulent pas s’assimiler ou n’ont aucune incitation à le faire). Quel intérêt d’être conforme, s’il est plus avantageux de rester victime ?

Les élites de gauche préfèrent semble-t-il, aux États-Unis comme en France, les minorités biologiques aux classes sociales, l’état de nature à la construction historique et politique de la société. Limousine Liberals et bourgeois-bohêmes n’ont que faire du peuple, qu’ils méprisent. La dernière mode en politique est d’oublier ouvriers et employés (Blancs) pour favoriser toutes les minorités ethniques ou de « genre » (qui voteront « bien »). Une fois au pouvoir, la loi remplace l’éducation. Les gais-lesbiens-bi-trans sont plus chouchoutés pour convoler, adopter et procréer que les hétéros qui maltraitent leurs enfants et ne savent pas les élever. Je l’ai écrit, je ne suis pas contre le gai mariage, mais je constate le sentiment naissant qu’il vaut mieux « être » que se créer, « naître » que s’éduquer. Mieux vaut être Noir homosexuel illettré sans papier que Blanc hétéro cultivé intégré… Ce serait ça la gauche ?

De plus en plus nombreux sont ceux qui s’interrogent plus ou moins confusément : à quoi cela sert-il donc de bien travailler à l’école, de vouloir faire carrière, de payer des impôts ? Dans la France de Hollande plus particulièrement, où « les riches » sont désignés comme boucs émissaires de tout ce qui ne vas pas (au-dessus de 3000 € par mois – soit le salaire moyen d’un fonctionnaire en fin de carrière – selon la fiscalité présidentielle), où les « entrepreneurs » sont méprisés a priori et considérés comme vaches à lait fiscales, où une caste restreinte aidée de communicants et d’avocats (Brafman, Veil, Fouks, Hommel) se protège de la loi commune, où « la recherche » est vue comme l’avenir en paroles mais dernière roue du carrosse en réalité (les étudiants brillants partent à l’étranger, comme les innovateurs en Californie : « trop de lourdeur, trop de casse-têtes administratifs et juridiques ») – où 38% des Français déclarent dans un sondage récent qu’ils quitteraient la France s’ils pouvaient… Quel merveilleux projet politico-social ont nos gouvernements depuis le début du nouveau siècle pour que plus d’un tiers des adultes actifs veuillent fuir !

fesses et bobos

Quoi d’étonnant à ce que le populisme monte ?

Tea Parties aux États-Unis et extrémistes en France se radicalisent contre les élites qui les ignorent et font une politique qui va contre leurs valeurs et leurs intérêts. La volatilité des électorats, déboussolés par le changement non accompagné, par la promotion de minorités sans autre explication que « l’égalité » par principe (seraient-ils « plus égaux » que les autres ?), va s’accentuer – aux États-Unis comme en France. Pire : le grand inquisiteur fiscal est pris la main jusqu’au coude dans le pot à confiture des paradis fiscaux; le grand argentier présidentiel a des intérêts aux îles Caymans ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais : voilà le discours politique de la gauche « morale ». Après le stupre, le lucre, les Strauss-Kahn et Cahuzac (sans parler des seconds couteaux Guérini, Lamblin, Andrieux, Teulade, Kucheida… et autres hollandais volant) font du président « normal » une image qui pousse au cynisme. Après la fracture sociale, la fracture morale ? Après le « président des riches » des affaires et de l’industrie, le « président des nouveaux riches »  de la fonction publique et du carnet d’adresses ?

Ce qui veut dire que tout dirigeant élu, Obama comme Hollande, n’a plus de « mandat » des électeurs, seulement des « opportunités » de circonstance. D’où l’espèce de fuite en avant de François Hollande sur les questions libertaires (mariage gai, récidive, vote des étrangers, voler au secours du « pauvre » Mali, « moralisation » des moeurs des copains) pour masquer les vraies questions – qui sont de classe et de mondialisation : chômage, déficit public, fiscalité, encouragement à l’entreprise, politique européenne, émergence de la Chine.

Nous ne sommes pas encore au point atteint par les Américains, mais nous y venons.

Sarkozy caresse l’idée d’un retour radical en politique ; Mélenchon fourbit sa faconde, coupeuse de têtes ; Le Pen père, fille et nièce poussent leurs pions. Obama n’a gagné que parce qu’il a su mobiliser à la base, dans les comtés, en exploitant les données personnelles innombrables, glanées sur les réseaux sociaux et auprès des donateurs particuliers. Hollande en reste aux meetings de sous-préfecture et aux appareils obsolètes.

En France la droite ou la gauche extrêmes sont encore loin de mobiliser vraiment la base et les réseaux sociaux. Pour le moment… mais  d’ici 2017 ? Le radicalisme, c’est dans 4 ans.

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Le Printemps français dans la constellation politique française

Où se situe le Printemps français dans la nébuleuse politique d’aujourd’hui ? Je me suis amusé à regrouper les trois droites de René Rémond et les quatre gauches de Jacques Julliard. J’ai ensuite comblé les vides en fonction de deux axes :

  • L’axe vertical historique qui va d’avant 1789 à l’après 2000
  • L’axe horizontal classique qui va du plus d’État au moins d’État

L’axe historique permet de replacer les idéologies politiques dans l’âge d’or de chacun des mouvements. L’axe étatiste situe le désir de centralisation ou de décentralisation, de faire nation commune ou de revivifier les régions contrastées (le terroir), de garder des valeurs collectives ou de préférer les valeurs individualistes.

constelletion politique francaise argoul 2013

Les conservateurs les plus extrêmes, intégristes catholiques et monarchistes, voudraient annuler la Révolution et revenir aux institutions et valeurs d’avant 1789. On a appelé ce mouvement la Contre-révolution, représenté par Edmund Burke, Louis de Bonald et Joseph de Maistre. Il est à noter que la Révolution nationale du maréchal Pétain était de ce type : la France parlementaire et radicale avait failli en 1940, donc retour aux traditions prérévolutionnaires. Rien de fasciste en Pétain, pas plus qu’en Franco – aucun des deux n’a été agitateur révolutionnaire comme Mussolini ou Hitler, aucun des deux ne désirait un homme « nouveau » mais simplement revenir à l’homme de toujours, créé par Dieu une fois pour toutes « à son image ». Les écolos ruraux (chasse, nature, pêche et traditions) et les anars de droite (pour qui l’humain est par essence bête et méchant), sont dans cette conception, mais avec le moins d’État possible, le moins d’emmerdeurs fonctionnaires, le moins d’interventionnisme politique.

Les libertariens, à ce titre, poussent encore plus loin, revenant à Hobbes : l’homme est un loup pour l’homme, seul l’État empêche l’épanouissement personnel et l’entreprise prédatrice. Ce courant n’existe pas en tant qu’expression politique organisée en France, mais il existe fortement aux États-Unis. Une variante féodale se constitue dans les pays de clans et de mafias où l’individualisme clanique exacerbé fait allégeance à un individu représentatif d’un clan plus fort que les autres, qui leur offre protection en échange du service (Sicile, Calabre, Russie, certains pays d’Afrique).

Dès que 1789 survient, naissent la gauche jacobine puis la droite bonapartiste en faveur de l’État centralisé et du despotisme éclairé d’une élite technocrate. Les communistes se couleront aisément dans ce moule en 1921, lors de la scission d’avec les socialistes au Congrès de Tour. Une grande part des socialistes et radicaux capituleront devant Pétain en 1940, votant les pleins pouvoirs. Mais 1789 reste une date-mémoire, avec sa variante 1793 de la nation en armes pour certains courants de gauche jacobine (Mélenchon). La droite bonapartiste englobe 1789 et le sacre de Reims dans une vision de la France plus longue, mais les acquis de la Révolution, consolidés par Bonaparte, sont parmi ses ressorts via le culte de la nation et du citoyen – revivifié en 1848 avec le printemps des peuples.

1917 voit l’avènement de la révolution communiste en Russie, donc l’espoir d’un « autre monde » possible. Mais le mouvement est éclaté entre les marxistes révolutionnaires qui veulent jusqu’à l’État sans classe, et les marxistes centralisateurs du coup d’État partisan qui veulent tenir la société par le parti et le parti par la terreur. Les staliniens sont pour l’État jacobin, les trotskistes pour l’anarchie relative. La gauche syndicaliste est oubliée, Proudhon traité de social-traître, et la social-démocratie variante Bismarck ou variante Beveridge ne prend pas en France. Les syndicats sont sommés de choisir sans troisième voie.

1945 est une autre date-clé marquée par le Programme de la Résistance et l’instauration de l’État-providence en France. Le gaullisme apparaît comme un bonapartisme fédérateur de la droite républicaine et de la gauche jusqu’aux communistes (avant que Moscou ne reprenne la main). Les socialistes redeviennent jacobins, soutenant les guerres coloniales et favorisant la bombe atomique. La Deuxième gauche avec Mendès-France perce déjà mais n’a pas d’échos dans la société politique avant 1968.

Mai 1968 est l’autre date-clé de la politique française. Nombre de partis se positionnent pour ou contre les acquis du mouvement. Si le gaullisme bonapartiste fait avec, il rassemble cependant des diversités peu compatibles : les centristes qui suivent le mouvement long de la société, les libéraux qui voient s’ouvrir de nouvelles libertés pour le capitalisme, mais aussi les conservateurs républicains qui gardent des réticences et seront constamment dans les combats d’arrière-garde (sur l’avortement, le PACS, l’euthanasie, la PMA, etc.)

Le socialisme jacobin traditionnel, rassemblé par François Mitterrand, voit naître une aile libérale appelée Deuxième gauche avec Michel Rocard et le syndicalisme CFDT, tandis que le mendésisme est revivifiée par Jacques Delors, et qu’une part de l’aile jacobine se radicalise contre l’Europe avec Jean-Pierre Chevènement et Laurent Fabius. Droite comme gauche, les partis « attrape-tout » se fissurent à la moindre crise et il faut des personnalités fortes pour les faire tenir ensemble. Jacques Chirac n’y a réussi qu’in extremis grâce à la cohabitation (après avoir flingué Giscard, Balladur, Pasqua et Juppé) ; Nicolas Sarkozy a réussi assez bien jusqu’à la campagne présidentielle 2012 où le courant Buisson a éloigné le courant Fillon-Juppé. A gauche, Lionel Jospin a cru un temps prendre la suite de Mitterrand, mais Dominique Strauss-Kahn était plus charismatique avant de s’effondrer pour mœurs ultralibertaires. Ségolène Royal était trop clivante et c’est François Hollande qui a remporté la synthèse (anti-Sarkozy plus que pro-gauche).

2000 est une autre année-clé de la politique où tous les partis se repositionnent à cause de la crise. La dérégulation des années 1980 et les liquidités abondantes des Banques centrales ont amené le krach des technologiques 2000, le krach des normes de régulation 2002, le krach de la finance 2007, le krach des endettements d’État 2010 qui a failli emporter l’euro. Le libéralisme est jeté avec l’eau du bain version texane « ultra », tandis que les jacobins, bonapartistes et autres souverainistes relèvent la tête. « Contre » la finance, contre l’Europe, contre la mondialisation ultralibérale – ils veulent revenir « avant » 2000.

A gauche, comme François Hollande gouverne peu, les dissensions s’affichent au grand jour dans son camp. Sa tactique politique est de frapper un coup libéral et un coup libertaire, faisant passer par exemple la pilule flexisécurité négociée avec le patronat avec le verre d’eau mariage gai. Le courant jacobin a trouvé un tribun qui tente de rassembler les groupuscules de gauche communistes ou dissidents autour d’un Front, mais ses promesses comme ses solutions laissent sceptique le grand nombre. Certains se réfugient dans l’écologie bobo, internationaliste, ouverte à l’immigration et aux technologies d’avenir, très urbaine, bavarde, jouant Marie-Antoinette dans sa bergerie. D’autres se réfugient dans les mœurs de l’ultra-individualisme et réclament toujours plus de « droits ». D’autres encore s’organisent en communautés ou en coopératives, vivant leur petite vie tranquille loin de la capitale, de la nation et des idéologies du monde. Les altermondialistes n’ont plus grand-chose à dire.

Le centre s’est effondré avec la pauvreté stratégique de François Bayrou (qui se croit appelé du Ciel pour régner et n’entreprend aucune alliance politique pour y parvenir). Les autres centristes, plutôt libéraux et européens, ne sont plus en phase avec la période de crise.

A droite Sarkozy n’est plus dans la course et ses successeurs se déchirent pour de sombres magouilles dans le parti. Le courant bonapartiste souverainiste a été capté par Marine Le Pen et recueille les votes protestataires des déclassés et inquiets qui récusent non seulement les années 2000 mais remontent à la pensée-68 et à ses dérives en matière de mœurs comme d’immigration.

Si l’on résume :

  1. Ceux qui récusent 1789 sont les intégristes religieux, les libertariens, les monarchistes et les pétainistes. Ils voient le monde créé en 7 jours et l’homme immuable, sans histoire, figé dans ses déterminations divines. Il faut obéir à la loi de Dieu ou de la Nature sans tenter de la changer.
  2. Ceux qui récusent 1917 poursuivent le courant jacobin ou girondin républicain ; ce sont les socialistes et radicaux, les orléanistes aujourd’hui centristes, auxquels viennent se greffer les pro-européens de la Deuxième gauche.
  3. Les ultralibéraux récusent 1945, tout comme la gauche libertaire. Ceux qui se refondent sur 1945 sont les bonapartistes et les socialistes souverainistes, y compris du Front de gauche, qui y voient un âge d’or national et socialiste.
  4. La droite bleu marine récuse 1968, comme les conservateurs intégristes qui refusent déjà 1789, pour en revenir à un bonapartisme souverainiste. La gauche libertaire, les écolos bobos et les régionalistes voient au contraire en mai-68 leur fondation.
  5. Sauf les libéraux (de droite, du centre et de gauche), tout le monde récuse 2000, ses crises financières et économiques en chaîne et les liens forcés de l’Union européenne et de la mondialisation.

Le Printemps français se situerait donc plutôt dans la mouvance anti-68, voire anti-1789. Il rassemble les exclus des partis de gouvernement, les intégristes religieux comme les anarchistes de droite. L’UMP aurait bien voulu récupérer la dynamique du mouvement, mais a reculé devant les dérives violentes – pourtant inhérentes aux mouvements anarchistes.

On dira que je me répète – mais pas besoin d’être grand clerc pour pronostiquer qu’un refus des partis de gouvernement en échec, plus le refus de la remise en cause des mœurs et traditions, ne vont pas profiter au Front de Mélenchon ni au parti de Coppé – mais bel et bien à la protestation aujourd’hui « attrape-tout » : la droite bleu marine. Encore une fois ce n’est pas un souhait, c’est un constat.

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Droite, gauche et guerres de religion

Article repris par Medium4You.

A chaque élection présidentielle française, la nation se déchire avec haine. Il y a ceux qui veulent tout bouleverser, batteurs d’estrades, histrions de télé ou agitateurs des mouvements sociaux. Il y a ceux qui veulent tout centraliser, technocrates avides de surveiller, politiques soucieux de contrôler, petits chefs affamés de punir. En bref les révolutionnaires et les conservateurs.

En général les révolutionnaires sont émancipateurs des individus : ils désirent libérer les hommes de leurs déterminismes sexuel, de naissance, de milieu, d’éducation, de pays – au nom de l’universel et de l’humanité.

Un peu partout les conservateurs sont ceux qui figent les individus dans des catégories, des groupes sociaux, des provinces traditionnelles – au nom du sang et du sol, de la continuité organique des générations sur une terre.

C’est ainsi que cela se passe dans le monde, y compris en Europe. Mais la France est compliquée :

  • souvent les conservateurs libèrent des attaches par libéralisme, trop souvent les révolutionnaires figent les individus dans leurs origines sociales ;
  • souvent les conservateurs sont fédéralistes, décentralisateurs, provinciaux, trop souvent les révolutionnaires sont jacobins, normalisateurs, parisiens.

Les communistes se retrouvent aux côtés des catholiques pour un régime autoritaire centralisé, où la morale est assénée et surveillée par des clercs jusqu’à l’intérieur des familles. La confession comme l’autocritique traque les déviances des consciences jusque sous les draps.

Certains socialistes, proudhoniens ou trotskistes, se retrouvent aux côtés de certains écologistes nostalgiques du local et des petites patries, et des sociaux-démocrates centristes de l’ex-UDF.

C’est que droite et gauche sont des notions historiques, qui ne sont pas dues au seul hasard de la répartition en 1789 des députés de part et d’autre du président d’Assemblée. Le schisme entre droite et gauche en France vient de plus loin. De la naissance de la modernité au XVIe siècle, plus précisément. Emmanuel Leroy Ladurie, né catholique social en province avant de devenir communiste à Normale Sup, puis socialiste sous Mitterrand, date la distinction sociologique entre droite et gauche en France du protestantisme.

Calvin, Picard émigré à Genève, bouleverse radicalement le culte chrétien en faisant de chaque individu l’interlocuteur direct de Dieu. Plus d’évêque ni de messe, encore moins de Pape infaillible, plus d’interprétation cléricale de la Bible, mais sa lecture par chacun et un culte communautaire à égalité entre les participants. Voilà qui conteste le dogme catholique romain et l’unanimisme fusionnel entre une foi, un roi, une loi !

C’est d’ailleurs Louis XIV, chantre de l’étacémoi, qui révoque l’édit de Nantes qui accordait la tolérance au culte protestant. Louis XIV, c’est la droite conservatrice, c’est aussi le régime communiste : chaque communauté est surveillée et les déviances traquées par des commissaires politiques zélés ou des jésuites inquisiteurs, une armée de trois cent mille dragons occupe les pays d’hérésie pour extirper la déviance sociale au cœur. Interdit de penser autrement qu’on vous dit. Le roi Louis sait la Vérité comme le tsar Staline, il l’impose à tous sans contestation. Les « malades » – ceux qui ne croient pas à cette Pravda (vérité en russe…) – émigrent comme jadis les dissidents ; certains sont emprisonnés pour être rééduqués ; d’autres sont fusillés brûlés.

C’est contre cet absolutisme clérical et politique que se soulève la Révolution. Contre les bastilles, qu’elles soient de pierres ou d’idées. La gauche est héritière de ce mouvement d’émancipation :

  • Il est né de la Renaissance avec la connaissance des Grecs et de leur liberté,
  • né des Lumières qui préfèrent la raison aux dogmes bibliques et le parlement à l’absolutisme royal,
  • né de la Révolution qui accordera, après un siècle de tergiversations, le suffrage universel à tous les citoyens majeurs,
  • prolongé par la Résistance aux nazis, après la faillite des élites bourgeoises avec droit de vote aux femmes et couverture sociale en 1945.

Le centre est héritier aussi de ce libéralisme politique, de l’autonomie des provinces, du fédéralisme européen exalté par Victor Hugo.

Mais ni le communisme, ni le socialisme jacobin, ni le bonapartisme gaullien ne sont de cette gauche là. Ils sont centralisateurs, technocrates, parisiens. Ils sont la droite. Le Mélenchon tribun qui veut tout changer est-il de gauche ? En apparence, dans le discours, quand il en appelle à la démocratie. Sauf que, si l’on creuse, sa démocratie est loin d’être « participative », elle est plutôt jacobine, mobilisation générale par le référendum, les citoyens en armes, l’éradication des déviances : comme au Tibet sous la république « populaire », comme en Bretagne pour les écoles Diwan. C’est lui qui l’a dit.

Guizot, Couve de Murville, Rocard, Jospin sont protestants. Henri IV aussi jusqu’à ce qu’il accepte le royaume pour une messe. Montaigne comprenait le protestantisme, proche du stoïcisme romain. Pascal était janséniste, un protestantisme catholique, comme lui augustinien. Au fond, les Français aiment bien ces modérés : des gens qui libèrent par le savoir, par l’exemple et par les libertés. Bien loin des hommes providentiels, des gourous de rue d’Ulm ou des tribuns de télé qui imposent leurs vues sans contrepartie, leur force sans contrepouvoir, leur politique unique comme Castro ou Chavez.

De gauche les Français ? En majorité probablement, mais pas de la gauche qu’on croit…

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Démagogie sur l’Europe

Article repris par Medium4You.

Le cas grec est symptomatique de la cacophonie européenne. Il n’y a pas de pilote dans l’avion, pas d’avenir rêvé ni d’édifice solide. Il est loin le temps de Jacques Delors… Certains disent qu’à 27 l’Europe est ingérable, qu’à 16 (bientôt 17) la zone euro est mosaïque. Oui mais elle est une construction qui avance, pas à pas, poussée par les crises. Nous sommes en plein dedans : l’Europe va-t-elle avancer une fois encore ou éclater ? Chacun selon son tempérament verra le verre à moitié plein ou à moitié vide. Je me situe parmi les optimistes… ou plutôt parmi les réalistes : que serait le petit pays France dans le monde globalisé ? Nous ne pouvons exister qu’au travers de l’Europe, peser sur le destin du monde par le droit, la diplomatie, l’économie et la monnaie que par l’Europe. A condition que celle-ci parle d’une voix homogène, pas chacun dans son coin.

Or, sur le cas grec, chacun y va de sa tirade. Les politiciens à courte vue ne parlent qu’à leurs électeurs locaux, sans souci des nouveaux moyens de communication mondialisés. Les politiciens imbus d’eux-mêmes croient disposer de tous pouvoirs pour étrangler qui ils veulent, dont ces « marchés » dont ils font le bouc émissaire commode sans savoir qui ils sont. Les politiciens agissent comme des pantins d’un théâtre qui les dépasse, archaïque et histrion. Pendant ce temps, nul ne veut plus prêter d’argent à la Grèce, ses politiciens ayant menti pour entrer dans l’Europe, menti sur les réformes, menti à leur peuple en garantissant leurs zacquis. Ces zacquis, il faut bien reconnaître qu’ils ont été volés, fondés sur la fraude fiscale, les passe-droits, les prébendes d’État endetté. Tout cela en bénéficiant d’un euro fort à l’extérieur et d’un crédit à faible taux sous le parapluie de la Banque centrale européenne. Le reste du monde dit maintenant : « Rendez l’argent », au moins faites ce qu’il faut pour rembourser.

Le peuple grec dit « cépanou » mais les politiciens qui ont favorisé les riches. Ce à quoi on peut leur rétorquer : conservateurs et socialistes confondus, qui les a élus ? Qui les a contrôlés ? Qui a profité de l’euro fort et de la liberté de circulation des hommes et des capitaux dans l’espace européen pour travailler ailleurs, planquer ses capitaux ailleurs, investir ailleurs qu’en Grèce même ?

Les politiciens grecs disent « cépanou » mais les précédents au pouvoir, le système, les traditions, les électeurs, l’absence de contrôle européen fiable. Dommage pour eux, le système ne veut plus leur prêter à moins de 18% l’an, les traditions explosent parce qu’Internet permet de comparer avec les autres pays, les électeurs ne sont pas d’accord pour voir leur niveau de vie baisser d’un tiers brutalement et l’Europe se préoccupe enfin d’organisation et de surveillance.

Les technocrates européens disent « cépanou » mais les politiciens qui ont voulu que la Grèce entre dans l’Union européenne, Giscard en tête, et même dans l’euro, Kohl-Mitterrand en tête. Cela pour que les Français et les Allemands puissent passer leurs vacances en euro sur les plages du club Med. L’effet monnaie unique a conforté la Grèce dans sa gabegie, la technocratie de Bruxelles étant censée surveiller les finances pour la convergence. Il n’en a rien été évidemment et c’est lorsque le feu prend à la maison qu’on distingue une maison de paille d’une maison de pierre.

Les politiciens européens ne disent rien, eux qui sont élus pour cela. Ils préfèrent leur théâtre pour Gaza ou contre le nucléaire. C’est loin Gaza, c’est lointain le nucléaire. Se poser en moraliste sur le lointain est moins risqué politiquement que sur le proche grec, n’est-ce pas ? Quel courage !

Les politiciens nationaux font alors leur petite danse du ventre électorale puisque des législatives approchent en 2012 pour beaucoup de pays de la zone. Il s’agit toujours de préserver les zacquis locaux et de faire payer les autres, rien de nouveau en politique. Tant pis pour l’Europe et pour l’avenir : seul compte le pouvoir ici et maintenant ! Ce pourquoi je reste persuadé que la politique médiatique (celle d’aujourd’hui, pas celle de toujours) est un travail de mensonge et de manipulation, un théâtre où la réalité a peu de chance de s’imposer… sauf par le global.

Car le global, pour le meilleur comme pour le pire, s’impose à nous au XXIe siècle.

Le climat exige, la limitation des ressources empêche, la communication instantanée oblige, les marchés financiers prêtent ou pas. Les politiciens dans leurs petits coins ne peuvent plus dire impunément n’importe quoi : ils sont surveillés par toute la planète. Qu’ils disent « l’Allemagne paiera » et les marchés dévissent, car personne de sensé ne peut croire que les Allemands travailleurs et précis vont payer pour les je-m’en-foutistes grecs, italiens ou (un jour ?) français. Car les Français sont en déficit public depuis 35 ans, tout le monde le sait. Les Allemands aussi subissent l’euro fort et la concurrence asiatique : leur industrie s’en sort-elle si mal ? Ils travaillent même moins que les Grecs, selon une étude de Patrick Artus. Pourquoi ce qui leur est possible ne se serait-il pas pas aux Grecs ou aux Français ?

Il est facile de dire « les marchés » pour les accuser de tous les maux. Mais qui sont « les marchés » ? Ce sont les fonds de pension des retraités californiens ou hollandais, les veuves écossaises et celle de Carpentras, les réserves des collectivités locales comme la ville de Saint-Denis ou le département des Charentes, l’assurance-vie de Monsieur pour ses vieux jours, ou de Madame en réversion, faute de retraite suffisante.

Ce sont aussi « les spéculateurs », mais il y a là encore du monde très différent : les entreprises pour couvrir leurs risques de change ou de prix des matières premières, les peutizépargnangnans qui « jouent » en bourse via les trackers ou les hedge funds, les gros capitaux qui vont au plus offrant, les escrocs comme… non justement pas comme Madof, qui n’a jamais rien investi, payant les intérêts des anciens avec les capitaux des nouveaux. Quand on critique « les marchés », il faut préciser les spéculateurs à la seconde – pas les autres. Mais la démagogie se mêle à l’ignorance pour accuser en bloc : ça fait toujours bien sur les estrades.

Donc quittons l’euro, instaurons le protectionnisme, fermons les frontières aux produits à bas coûts payés par l’exploitation du peuple et de l’environnement, faisons payer les riches. C’est ce que réclament les Le Pen, Dupont-Aignan et Mélenchon, jamais à court de populisme. Nous l’avons dit plus haut, c’est facile, la politique : promettre la lune, garantir à chacun ses zacquis et faire toujours payer les autres. Tout cela en appelant au peuple, bien sûr, tous les tyrans ont toujours agi au nom du peuple qui les acclamait…

Facile à dire, difficile à faire. Car il s’agit de changer de système complètement :

  • juridiquement, diplomatiquement et militairement se retrouver tout nu sans l’Europe,
  • dévaluer brutalement le pouvoir d’achat et faire exploser la dette extérieure,
  • voir chuter nos exportations par rétorsion des pays lésés par notre protectionnisme,
  • laisser piller notre technologie par espionnage plutôt que par contrats devenus impossibles,
  • encourager la fuite des cerveaux vers des cieux plus favorables à l’innovation récompensée…

Simple : yaka interdire les exportations de capitaux et la circulation des gens, yaka nationaliser les banques, yaka créer des emplois de fonctionnaires, yaka consommer local. Certes, c’était le monde avant 1945… Les Français étaient à plus de 70% ruraux, gagnaient leur survie dans leurs champs et avec leurs bêtes, mangeaient bio et beaucoup, mourraient gros et vingt ans avant l’espérance d’aujourd’hui, ne possédaient pour épargne qu’un livret A dès la naissance (et les terres des parents) et aucun des gadgets électroniques de la modernité. On a vu comment cela s’est terminé : par une bonne guerre où le plus fort industriellement et moralement l’a emporté. Des communistes sont devenus fascistes, des socialistes ont voté les pleins pouvoirs au vieux conservateur-maréchal, des bourgeois bien français ont collaboré, le peuple a fait le gros dos, toujours en faveur de qui gagne.

Mais oui, c’étaient les années trente. Cela vous dit-il quelque chose ?

L’Europe accouche toujours dans la douleur. Malgré les démagogues histrions, focalisés sur leur seul petit pouvoir local égoïste.

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