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Flaubert raille les bourgeois

Ils se donnent en spectacle : « En fait de spectacle, j’en vois un presque tous les soirs qui me divertit parfois extrêmement, je veux dire les noces qui se passent chez Bonvalet [le café en face de chez lui à Paris, 42 bd du Temple]. Dans la grande salle vitrée faisant face à ma fenêtre, j’aperçois des bourgeois et des bourgeoises gambadant comme des singes. Tous les messieurs sont en habit noir, toutes les demoiselles en robe blanche. L’ensemble de tous ces gens qui se remuent (sans que j’entende rien de la musique), me paraît étrange et fou. Tout à l’heure la lune brillait dans le ciel, un peu à droite, à côté de la maison. – Et cette grandeur et cette petitesse faisait un contraste qui avait du cachet. » (Lettre à sa nièce Caroline, 13 mars 1867, III 614)

Ils ont peur de tout ce qui change : « ‘L’horizon politique se rembrunit’. Personne ne pourrait dire pourquoi ? Mais il se rembrunit, il se noircit, même. Les bourgeois ont peur de tout ! peur de la guerre, peur des grèves d’ouvriers, peur de la mort (probable) du Prince Impérial. C’est une panique universelle. Pour trouver un tel degré de stupidité, il faut remonter jusqu’en 1848 ! (…) Il y a eu des époques où la France a été prise de la danse de Saint-Guy. Je la crois, maintenant, un peu paralysée du cerveau. Tout cela, chère Madame, ‘n’est pas rassurant pour les Affaires !’. » (Lettre à sa nièce Caroline, 8 avril 1867, III 629).

Ils sont donc pour l’Ordre et pensent par convention : « On ne parle plus de la guerre, on ne parle plus de rien. L’Exposition seule « occupe tous les esprits » et les cochers de fiacre exaspèrent tous les bourgeois. Ils ont été bien beaux (les bourgeois) pendant la grève des tailleurs. On aurait dit que la Société allait crouler. Axiome : la haine du Bourgeois est le commencement de la vertu. Moi, je comprends dans ce mot de ‘bourgeois’ les bourgeois en blouse comme les bourgeois en redingote. C’est nous, et nous seuls, c’est-à-dire les lettrés, qui sommes le Peuple, ou pour parler mieux, la tradition de l’Humanité. » (Lettre à George Sand, 17 mai 1867, III 642).

Ils sont alors pour la Religion, mise en ordre des esprits… « Rugissons contre M. Thiers ! Peut-on voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus étroniforme bourgeois ! Non ! rien ne peut donner l’idée du vomissement que m’inspire ce vieux melon diplomatique, arrondissant sa bêtise sur le fumier de la Bourgeoisie ! Est-il possible de traiter avec un sans-façon plus inepte la Philosophie, la religion, les peuples, la liberté, le passé et l’avenir, l’histoire, et l’histoire naturelle, tout, et le reste ! Il me semble éternel comme la Médiocrité ! Il m’écrase. Mais le beau, ce sont les braves gardes nationaux qu’il a fourré dedans en 48 et qui recommencent à l’applaudir ! » (Lettre à George Sand, 18 décembre 1867, III 711). Flaubert tonne contre le discours de Thiers au Corps Législatif du 4 décembre 1867 contre l’unité italienne, qui impliquait la conquête de Rome. Que faut-il faire pour être juste ? « Il me semble que le mieux est de les peindre, tout bonnement (…) Disséquer est une vengeance. » (id)

Ne rions pas trop de ces travers du siècle antépénultième. Remplacez café Bonvalet par Assemblée Nationale, paralysée du cerveau après toute l’ère Chirac par le 49-3 socialiste et les ordonnances Macron. On ne parle plus de rien d’important, tout est noyé par les polémiques partisanes, pour ou contre, l’incantation rituelle au social. Tout ou rien, pas de mesure. La Religion qui revient, par islam, socialisme ou écologie, le sort du monde mis en jeu à chaque ‘prise de position’ – bien médiatique – la pose théâtrale avec effets de manche… Remplacez le M. Thiers de Flaubert par qui vous voudrez – et vous retrouverez le socle inaltérable de la « bêtise » à la française, des petites querelles de petit ego dans chacun leur petit bac à sable. Ce que dénonçait de Gaulle sous la défunte IVe. Des télénarcisses de la société du spectacle : l’essence du ‘bourgeois’ selon Flaubert.

Gustave Flaubert, Correspondance janvier 1859-décembre 1868, tome 3, édition Jean Bruneau, Pléiade, Gallimard 1991, 1727 pages, €63.50

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Faits, opinions et intérêts…

Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Est-ce que ça dépend ? Et pourquoi ?

En théorie, les faits disent le vrai, ce qui s’est réellement produit. Mais chacun sait que l’observation des uns n’est pas celle des autres et que le « témoignage » varie largement ! C’est donc l’observation « neutre » des faits qui permettent d’établir le vrai. Mais chacun sait que le neutre n’est qu’une convention de procédures et d’analyses, qu’il standardise l’observation pour éviter la subjectivité et qu’il ne prend pas en compte la totalité du réel. Le fait est donc un regard normalisé mais pas complet. La méthode scientifique a justement pour but d’affiner ce regard par de nouvelles techniques plus précises d’observation et des procédures plus complètes d’examen. Mais il s’agit d’un idéal, d’une tendance dont on ne verra jamais la fin. Le fait restera donc approximatif.

La vérité est alors affaire d’opinion. Comme l’a dit Nietzsche, il s’agit d’une métaphore, donc d’un résumé qui fait illusion. Prendre l’illusion pour la réalité est une faute. En revanche, avoir la « volonté de vérité » est un mouvement pour approcher sous plusieurs angles et en creusant plus profond le fait.

  1. Il y a l’opinion paresseuse, qui s’appuie sur les préjugés (ce qu’on croit avant même de savoir), et plus encore sur le grand nombre (si beaucoup sont d’accord, alors ce doit être vrai). Le fait, alors, est établi comme une croyance partagée, pas comme une réalité objective. Et cela donne la croyance aveugle en religion, le plébiscite en politique, le lynchage en justice et l’insurrection braillarde en démocratie.
  2. Il y a l’opinion éclairée, qui s’appuie sur le raisonnement (cet instrument de jugement qui s’élève au-delà des apparences pour se hausser au contexte et à la synthèse). Le fait, alors, n’est établi qu’avec de multiples précautions, techniques diverses d’observation, mesures à différents moments, regards croisés, recoupements. C’est plus long, plus incertain, mais plus efficace à la fin. Et cela donne l’agnosticisme en religion (le peut-être de Jean d’Ormesson, le pari de Pascal), le régime représentatif en politique, les différents étages de juridiction en justice avec avocat, droits de la défense et procédures d’appel, le débat avec vote libre et non faussé en démocratie.

La seconde option est plus longue et plus ardue, elle demande plus d’effort à l’être humain (mâle, femelle ou neutre) ; elle répugne donc au grand nombre, plus porté à se soumettre à un dieu dont on croit qu’il dit tout et sait tout, à accuser d’abord et à réfléchir ensuite, à se créer des boucs émissaires faciles et à actionner le yaka expéditif plutôt que de se demander concrètement comment changer les choses. En gros, la traduction politique en est Trump, Erdogan, Poutine ou Mélenchon (voire Le Pen si elle n’était pas quasiment éliminée par sa médiocrité).

Les modernes sont relativistes, car ils savent que « la vérité » n’est jamais qu’approchée, qu’elle ne règne pas immuable dans le ciel des Idées ni est écrite dans un Ciel mais qu’elle se construit pas à pas. Les antimodernes, qui se font appeler « conservateurs » ici ou là sont absolutistes, car ils croient que « la vérité » est donnée une fois pour toute, qu’elle règne par la voix d’un Dieu machiste et tonnant qui a seul raison, et qui a élu un seul peuple (le Blanc pour les Trumpistes, Israël pour les Juifs, la communauté des croyants pour l’Islam) pour faire advenir son Règne unique.

Les faits, pour les conservateurs, « ne se discutent pas » : ils sont vrais parce que c’est dit comme ça. Cette « post-vérité » peut être contraire à la vérité, qu’importe ? C’est la vérité du moment et de la communauté qui y croit. Cette façon de voir les faits est « politique » car le mensonge y est permis s’il s’agit de servir une cause plus haute, celle de « Dieu », du Parti ou d’un Chef ; il ne s’agit pas d’un péché contre l’Esprit mais d’une tactique de guerre utile.

Or le modernisme s’est imposé contre le conservatisme depuis les révolutions du XVIIIe siècle, tout comme l’Occident sur les autres peuples du monde par la colonisation, puis par la technologie et le dollar.

  1. Certains en réaction à cette domination mâle, blanche et fondée sur l’expertise scientifique prônent donc son radical inverse : valorisation du féminisme, des peuples de couleur et de l’antisystème. Leur « politiquement correct » combat la morale sexuelle traditionnelle pour l’hédonisme libertaire, la prétention occidentale à être seule interprète de « l’universalisme » et exercent une « déconstruction » critique de la « domination » (qu’ils voient partout à l’œuvre).
  2. D’autres, tout aussi en réaction mais réactionnaires au sens politique, réaffirment cette supériorité supposée du mâle, blanc, fondé sur la science (mais soumise dans ses recherches aux dogmes du Livre). Ils combattent le politiquement correct des libertaires sur le sexe avec n’importe qui, la repentance occidentale pour tout et la critique dissolvante, afin de rétablir les traditions et les dominations « légitimes » selon Dieu ou l’histoire.

Comme on le voit, rien n’est simple et tout se complique ! Il n’y a pas le « progrès » d’un côté et « l’obscurantisme » de l’autre, la raison contre l’émotion, la démocratie contre la tyrannie, la liberté contre le dogmatisme, ni même la gauche contre la droite ou la laïcité contre les religions…

  1. Il y a les passions croissantes qui submergent la raison et exige des politiciens du symbole plus que des mesures, l’affirmation de la souveraineté du pays plus que des accords internationaux, la protection des retardataires plus que la promotion des leaders.
  2. Il y a l’individualisme croissant induit par le mouvement de la société et par les technologies ; il produit du débat mais aussi des invectives et tend de plus en plus à coaguler des communautés virtuelles qui se ferment pour rester entre-soi en excluant tous les autres qui dérangent.
  3. Il y a la complexité croissante des savoirs qui ne permet plus au grand nombre de comprendre ce qui se passe, comment on peut aller dans la lune ou si c’est du cinéma, pourquoi les datas sont collectées aussi massivement et l’obscurité de leur tri pour leur « faire dire » quelque chose. La paresse est de voir des complots là où on ne comprend pas.

Dans ce magma, les faits deviennent vite opinions, lesquelles ne sont le plus souvent que le paravent d’intérêts communautaires ou particuliers.

Croyez-vous que Trump gouverne pour l’Amérique ou pour son clan ? Qu’Erdogan soit le président des Turcs ou seulement des musulmans conservateurs turcomans qui adulent son parti ? De même, croyez-vous que ceux qui votent extrémiste en Europe soient de purs fascistes ou gauchistes tentés par le césarisme – ou des déboussolés qui voudraient bien calmer le jeu de la finance, de l’immigration et de la dérégulation ? Les Somewhere combattent les Anywhere : ceux qui sont de quelque part ceux qui sont de nulle part.

Sans être un militant engagé ni souscrire à tout ce qu’il fait, il est possible de penser qu’un Emmanuel Macron tente le soi-disant impossible (selon Chirac, Sarkozy et Hollande) de concilier ces contraires : promouvoir les leaders en même temps qu’il protège les retardataires. C’est du moins ce qu’il dit, probablement ce qu’il veut, peut-être ce qu’il va réussir.

 

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Hermann Hesse, Le loup des steppes

hermann hesse le loup des steppes

Narcisse est peut-être, avec Prométhée, le mythe essentiel de la culture occidentale. L’homme est toujours au centre du débat et, lorsqu’il n’a plus rien à conquérir par son corps, à créer avec son cœur et son âme, il ressent le mal de vivre. Il semble que nous, Occidentaux, ne puissions nous trouver bien dans notre peau que dans les périodes agitées et féroces où l’action et la lutte nous extirpent de nous-mêmes.

Lorsque règnent le calme et la paix, le guerrier qui dort au fond de tout être un peu noble s’ennuie, il s’étiole comme un fauve en cage. C’est alors qu’il se tourne vers l’intérieur, avec angoisse, dans l’impossibilité qu’il est de se fuir dans le combat ou l’action. Les ères de prospérité bourgeoise mettent en fureur les meilleurs. Ils savent trouver les mots qui cinglent sans pitié ces valeurs médiocres de bêtes à l’étable. Ils recréent les conflits pour se sentir vivre, ferraillant de leur plume ou s’engageant dans des causes sans espoir, ou bien fuyant la réalité grise dans les paradis artificiels.

Lorsqu’ils sont lucides et qu’ils voient la faillite qui les guette, ils écrivent un livre. Parce qu’ils sont les plus conscients et les plus détachés, ils saisissent mieux le tragique de la condition humaine. Ces livres-là sont souvent des chefs-d’œuvre car ils blessent directement nos fibres sensibles. Tel est ‘Le loup des steppes’.

Durant ces années que l’on a appelées « folles », après la plus absurde et la plus meurtrière des guerres fratricides, un homme se cherche. Il s’appelle Harry Haller. C’est un intellectuel, tenté par la pureté glacée de la raison, un solitaire, un loup parmi les hommes. Il rencontre un soir son opposé féminin, Hermine, solitaire elle aussi, mais tentée par la futilité des plaisirs. Du choc de ces deux êtres l’un sur l’autre naît l’étincelle. Ce sont des pages frisant le fantastique et le surréel. En leitmotiv tout au long de l’ouvrage revient la nostalgie de l’unité, de l’équilibre, de l’harmonie des êtres et de leur mille facettes, cette question fondamentale de l’humain.

La tentative de réponse qui est faite à cette interrogation à la fin du livre rappelle Nietzsche, qui a fortement influencé l’auteur : la joie, l’amour et le rire vont pouvoir opérer la synthèse des mille images diffractées de l’être. Le rire permet de distinguer l’essentiel de l’accessoire, l’or pur dans le minerai brut. A chacun de définir cet « essentiel » d’après le passé qui l’a formé et le devenir qu’il désire au fond de lui. Mais cela doit conduire à l’harmonie de l’être, pas à l’hypertrophie d’une partie. L’intellect est indispensable, mais l’intellectualité pure est une impasse ; les plaisirs sont indispensables, mais le culte du sexe et des sens est futile. L’essentiel est l’extase d’une belle musique ou d’une haute pensée, mais aussi la fraternité vivante et l’exaltation de la danse, la méditation solitaire et aussi la communion dans la foule. Avec, comme juge des valeurs, la moquerie de soi-même. Zarathoustra disait : « J’ai canonisé le rire. »

Voici le fond du roman. Mais sa lecture est un constant délice par les remarques aiguës sur l’intellectuel, le nihilisme, sur notre époque et sur la bourgeoisie qui la domine, sur les « mille facettes » de l’homme et sur l’équilibre indispensable.

Harry, le loup des steppes, est un intellectuel, mais il s’aperçoit que l’intelligence pure conduit au nihilisme. Il se trouve écartelé entre les aspirations et les interdits qui lui viennent tous deux de son éducation stricte et manichéenne, empoisonnée de christianisme. A la charnière de deux époques, il est incapable de se fondre dans l’univers bourgeois dont il sait la pesante médiocrité, il est prisonnier de la fiction du moi qu’il schématise en deux tendances qui se contredisent : le loup et l’homme. Son chemin initiatique lui fait découvrir la sagesse, qui est l’équilibre par le rire. Il apprend que l’homme n’est pas unité divisée, mais chaos aux milliers d’images qu’il appartient à sa volonté d’ordonner.

Harry est un homme qui pense : « Plus réfléchi que le reste des hommes il avait, en touchant les choses de l’esprit, cette souveraineté presque glacée de ceux qui n’ont plus besoin que des faits, qui ont pensé, qui savent ; seuls peuvent se montrer ainsi les vrais intellectuels qui ont chassé toute espèce d’ambition, qui n’ont jamais envie de briller, qui, ne songent même pas à persuader, à avoir raison, à avoir le dernier mot » (p.11). L’instruction a germé en culture. Les connaissances ne sont plus acquises pour l’érudition vaniteuse de nouveau riche qu’elles permettent, mais elles se sont organisées, hiérarchisées dans un système du monde. Le savoir n’est plus but en soi mais simple moyen, un outil de compréhension du monde.

Mais l’intelligence pure détruit tout plaisir ; son analyse est impitoyable et dissolvante. Comme une machine sans contrôle, elle fonctionne à vide, elle dissèque tout ce qui passe à sa portée avec l’absurdité d’un outil qui s’emballe. A ne vouloir agir qu’à l’aide de la froide raison, on perd tout élan, tout désir, toute volonté. Tout vaut tout, tout est relatif, tout se discute et se teste. L’intellectuel pur se mure dans une solitude suicidaire, détaché de toute réalité matérielle et de toute vie charnelle, comme le savant de Paul Bourget.

Pour Nietzsche, le nihilisme résulte de l’interprétation « technique » du monde. Le sujet se trouve séparé de son corps, celui-ci rejeté dans les ténèbres extérieures. Arraché de tout le matériel qui l’enracine dans le monde ici-bas et la vie, le sujet ne se trouve plus défini que par une intériorité postiche, vide et sans détermination – arbitraire. L’intériorité de la conscience, notion métaphysique, est un premier pas vers les idées pures de Raison, de Dieu, considérées comme guides des actes. Quand cette falsification s’écroule par l’analyse impitoyablement logique de la raison, quand Dieu est mort ou que survient la faillite de l’interprétation exclusivement historique des valeurs, l’homme n’est plus qu’extériorité. Il n’est plus qu’un point où viennent converger diverses lignes de détermination : naissance, milieu social, culturel, historique, etc. Déraciné, gratuit, privé de raison d’être, il se demande pourquoi vivre. Il est alors mentalement un « suicidé ».

Les suicidés ne sont pas ceux qui se suicident, ni même ceux qui en auraient le désir. Les suicidés mentaux au sens de Hermann Hesse vont rarement jusqu’à cette dernière extrémité. Au contraire, ils sont e« des êtres qui se sentent coupables du péché d’individualisation, comme des âmes qui ne croient plus avoir pour but de leur vie leur développement et leur achèvement, mais leur absorption, leur retour à la Mère, à Dieu, au Tout. » Comme des enfants sevrés de leur nourrice et frustrés du contact affectueux de leur mère, les « suicidés » sont des déracinés, des réprouvés, des désespérés. Privés de cette animalité que leur éducation rejette, ils errent dans le désert de la raison pure. Violemment déséquilibrés, ils quêtent leur moitié perdue, avec la nostalgie profonde de l’unité d’être.

Ils sont des aliénés, des martyrs. Ainsi est le loup des steppes : « Sa maladie n’était pas due à des défaillances de sa nature mais, au contraire, uniquement à sa surabondance de dons et de forces. Mais il n’avait pas su les accorder et sa violence n’avait pas atteint à l’harmonie. Je reconnus que Haller était un génie de la souffrance, qu’il avait en lui, au sens de Nietzsche, une aptitude à souffrir infinie, terrible, géniale. C’est pour cela aussi que son pessimisme n’était pas fondé sur le mépris du monde, mais sur le mépris de lui-même ; quelques impitoyables et mortels que furent ses persifflages de telles personnes, de telles institutions, jamais il ne s’en exemptait. » Ce divorce pathétique entre sa raison et son corps résulte de son éducation, toute imprégnée de christianisme. Ses parents l’aimaient, mais ils étaient stricts et dévots ; ils fondaient l’éducation – à l’allemande – sur la nécessité de briser la volonté.

Harry, trop fort, trop dur, trop fier, trop intelligent, est arrivé à l’âge adulte avec sa volonté intacte, mais irrémédiablement blessé et déchiré : au lieu de la briser, son éducation n’est parvenue qu’à lui faire haïr sa volonté. Obsédé d’« amour du prochain » inculqué depuis sa tendre enfance, Harry, malgré les efforts héroïques qu’il déploie, ne parvient pas à aimer les autres. Sa lucidité est trop aiguë, sa puissance trop forte. Écartelé entre ses principes et sa nature, il se hait lui-même et ne se considère que comme une bête dissimulée sous un vernis d’éducation : un loup à peine humanisé.

Harry Haller, double de Hermann Hesse, vit dans sa chair la maladie de son temps : le loup des steppes ne peut aimer « ce contentement, cette absence de douleur, ces jours supportables et assoupis, où ni la souffrance ni le plaisir n’osent crier, où tout chuchote et glisse sur la pointe des pieds. » Univers d’équilibre, certes, mais d’équilibre médiocre, anémié, mortel : l’univers du couci-couça. Si la bourgeoisie subsiste, c’est grâce à tous les loups des steppes, « natures puissantes et farouches », mais « détenus du bourgeoisisme ». Tels sont, par exemple, la plupart des artistes, qui méprisent l’esprit bourgeois mais ne font rien pour le combattre, le renforcent et le glorifient parce qu’incapables de s’en sortir. « Seuls les plus forts d’entre eux pourfendent l’atmosphère du monde bourgeois et atteignent au cosmique. » Ce sont les tragiques, dont le rire absolu brise toutes les barrières et ne laisse aucun préjugé intact. Les loups des steppes manient seulement « l’humour », qui « reste en quelque sorte bourgeois, bien que le bourgeois véritable soit incapable de le comprendre. L’idéal disparate et enchevêtré de tous les loups des steppes, se réalise dans la sphère imaginaire.

Il n’est pas anodin que les termes d’humour et de sport, pour qualifier le comportement gentleman, soit né en Angleterre, pays du bourgeois par excellence. Il n’est pas anodin non plus que cette critique du bourgeois soit surtout allemande, sa démographie galopante au XIXe siècle a renforcé dans la société les idées de la jeunesse. Cet âge de la vie aime l’action et la passion, il est bien loin du monde tranquille et bourgeois ; il aime les certitudes et l’enthousiasme, il est bien loin du relativisme et de la prudence. Au contraire de l’humour, qui réconcilie les contraires, le tragique est radical. Il est un rire d’enfant un rire « innocent » et, par là, révolutionnaire. L’enfant est le seul à dire que le roi est nu. Il est l’expression de la Grande santé nietzschéenne qui se moque de tout, car la surabondance de forces rend joyeux et léger. La joie est la manifestation immédiate de la vitalité. La joie est moquerie, détachement, et en même temps affirmation, amour, volonté. Cette dualité intrinsèque lui donne son caractère tragique : rien ne mérite d’être fait, aucune cause d’être défendue, et cependant toute action est nécessaire, désirable, toute cause défendable.

C’est ainsi qu’à la fin de sa quête, le loup des steppes découvre la fiction du moi : « Quand Harry se sent homme-loup et se croit composé de deux éléments opposés, ce n’est qu’un mythe simplificateur. » La dialectique de Hegel, en tant que simplification grossière de la réalité, se trouve ici critiquée. « Harry ne procède pas de deux êtres, mais de cent, de mille. Sa vie oscille (comme celle de chacun) non pas entre eux pôles, comme par exemple l’instinct et l’esprit, ou le débauché et le saint, mais entre des milliers de contrastes, entre d’innombrables oppositions. » La fiction du moi a été inventée par les idéalistes de l’antiquité qui ont pris pour point de départ l’unité visible du corps. « En réalité, aucun moi, même le plus naïf, n’est une unité, mais un monde extrêmement divers, un ciel constellé d’astres, un chaos de formes, d’états, de degrés, d’hérédités et de possibilités. » Les poètes de l’Inde ancienne, dont Hermann Hesse est imprégné, ignoraient cette notion du moi : leurs héros ne sont pas des personnes mais des « faisceaux de personnes, des séries d’incarnations. »

« Ce que les hommes entendent par la notion d’humain est toujours une convention bourgeoise ; comme telle, elle est périssable. Certains instincts des plus brutaux sont méprisés et honnis par cette convention, une parcelle de conscience civique, de moralité et de « débestialisation » est obligatoire, un brin d’esprit est non seulement permis, mais exigé. L’homme de cette convention est, comme tout idéal bourgeois, un compromis. Il est un essai timide et ingénument malin de berner la méchante aïeule Nature, de même que l’ennuyeux ancêtre Esprit, et de garder entre eux deux la moyenne confortable » (Traité XXV).

Il faut relire ‘Le Loup des steppes’. Il est l’un de ces rares livres qui touchent le fond de l’homme.

Hermann Hesse, Le loup des steppes, 1927, Livre de poche 1991, 224 pages, €6.10

e-book format Kindle, €4.99

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Mendicité institutionnelle tahitienne

C’est fait l’État va refinancer le RSPF, mais – car il y a un mais ! – cela se fera sur 3 ans et sera conditionné. Il s’agira d’une convention entre l’Etat et le Pays ; l’Etat a baissé de moitié sa dotation (3 milliards en 2008, 1,4 aujourd’hui) mais compensé par des aménagements. Il faudra d’abord que cette convention soit validée par l’Assemblée du pays, elle ne sera valable que jusqu’en 2017, et demeure soumise à un fort travail du Pays pour réformer son système de protection sociale. « Avant, Gastounet téléphonait à Jacquot, j’ai besoin de moni (fric), il m’en faut tant – et hop ! le moni (le fric) arrivait. L’Etat ne demandait pas de comptes… et le moni servait à tout autre chose !). Le robinet désormais fermé, il semble qu’il manque des outils dans la boîte du plombier pour l’ouvrir en grand. Même que maintenant les communes devront vérifier la solidité des dossiers. Aïe ! La demande d’admission au Régime de Solidarité Territoriale devra être déposée en mairie et l’autorité municipale devra s’assurer de la véracité des renseignements fournis par les postulants. Et la loi de Pays instaure aussi des sanctions financières et pénales à l’encontre des personnes physiques ou morales qui auraient amené le régime de solidarité à prendre indûment en charge des prestations, allocations et aides au titre du RSTP. Bonne initiative mais pourra-t-on tenir ces promesses ?

franc pacifique

C’est toujours le régime de solidarité de la Polynésie française… et cela ne va pas sans mal. C’est nouveau, mais depuis quelque temps voilà que le payeur demande des comptes au récipiendaire ! Aïe, aïe ! Un autre machin, le CESC, s’est penché sur la question. L’État a promis 1,4 milliards de francs pacifiques mais avec des conditions, entre autre une réforme de la fiscalité. On veut bien des 1,4 milliards – à défaut de plus – mais on ne veut pas des conditions, na ! et on veut « renégocier » avec l’État ! C’est que l’État nous doit 15 milliards pour la contribution au service public de l’électricité car on n’est pas différent des métropolitains, na ! on est Français à part entière, na ! Cette contribution sociale pour l’électricité permettrait de faire baisser la facture électrique des habitants de Polynésie française. La taxe payée par les usagers de métropole, permet une péréquation des tarifs avec les départements d’outre-mer. Et nous, territoire, alors ? Le CESC verrait la Polynésie bénéficier de ce système, même si la réglementation du tarif de l’électricité est une compétence du pays ?

franc pacifique billets

Quant à la dette de l’État concernant les maladies radio-induites, le Pays réclame 50 milliards, rien que cela. Tous les malades du cancer de Polynésie doivent être pris en charge par l’État, (c’est-à-dire les contribuables métropolitains ?). Je me demande si j’ai bien compris ou si le cumul des ans m’a laminé le cerveau ?

Et si on buvait une eau de qualité ? Ici à Tahiti… cela va être difficile car il faudrait habiter les communes de Papeete, Arue, Mahina, Faa’a et Bora Bora – les seules qui ont obtenu 100% de résultats conformes. Hein ? pour les autres ? passez au magasin pour acheter de l’eau en bouteille ! Il est à noter que les prélèvements et analyses ont relevé une baisse de la qualité des eaux distribuées entre 2013 et 2014. Il a beaucoup plu et les nappes phréatiques devraient se réjouir de fournir (après traitement) une eau abondante et gouteuse !

Hiata de Tahiti

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Histoire de la Révolution française de Jules Michelet

En plus de 2500 pages (plus les notes, biographies et index), voici décrites ces cinq années de bruit et de fureur qui ont fondé la France. Michelet écrit en romantique, avec les outils de l’historien. Il est très proche des sources disponibles à son époque (1868 pour son dernier volume). S’il s’étend beaucoup sur la première période, s’il brade au galop la dernière, s’il s’arrête à la chute de Robespierre sans même évoquer le Directoire (1795), c’est parce qu’il considère que les deux années entre 1789 et 1792 ont plus fait pour la France que la suite. Elles ont changé un millénaire de féodalité. La suite, malheureusement, a préfiguré le XXe siècle…

En 1789, le peuple enthousiaste renverse la Bastille… et la démolit jusqu’aux fondations. Les États généraux de l’Ancien régime se constituent en Assemblée nationale qui devient Constituante. Mais la fuite du roi et son veto exécutif rendent la Constitution inapplicable. Les sections populaires envahissent les Tuileries en 1792 contre le roi « traître » et la reine « vendue à l’étranger ». Se forme à Paris une Commune insurrectionnelle. Une nouvelle assemblée est élue qui prend le nom de Convention. Elle ouvre le procès de Louis XVI le 11 décembre et exécute le roi par la guillotine le 21 janvier 1793, puis la reine. La guerre extérieure et les insurrections en province mettent en lumière l’absence de décision de cette assemblée qui adore palabrer mais se méfie de tout décideur. La Constitution de 1793, dite « de l’an I » est votée mais ne sera jamais appliquée, contrairement aux fumées qu’agitent aujourd’hui certain démagogue.

Pire : Robespierre manipule les partis (qu’on appelait clubs) et joue en virtuose des oppositions pour s’imposer comme « dictateur moral » (Michelet, 2 p.836), allant jusqu’à la posture de « nauséeux moraliste » (2 p.860). Il fait écraser les Girondins par les Jacobins, intimider la Convention par la Commune, centralise la France au Comité de salut public contre les tentatives fédéralistes, fait massacrer les Indulgents (Danton, Desmoulins) par les Ultras (Hébert), avant de se retourner contre eux. Excédée par cette Terreur institutionnelle – 1200 exécutions en 2 mois à Paris, dit Michelet 2 p.923, plus de 5000 selon les registres de Paris sur la période – la majorité des députés arrête Robespierre, Saint-Just et Couthon. Ils sont guillotinés sans jugement au lendemain même du 9 Thermidor-27 juillet 1794, selon la procédure expéditive même de Robespierre…

Cette accélération de l’épuration idéologique, ce reniement de justice, ces exécutions sommaires, ce sont toutes choses que Robespierre et Saint-Just ont voulues, établies. Ils en ont été les victimes. Pour Michelet, Robespierre jacobin persévérant (qualité politique) est un prêtre au fond (défaut moral). Sa quête éperdue de « pureté » passait en-dedans de lui-même, aiguillonnée par Saint-Just l’adolescent funèbre tout entier tourné vers l’utopie. L’idéologue Saint-Just « détestait le commerce et le proscrivait spécialement », écrit Michelet (2 p.851). Il tonnait contre « l’homme d’argent, le spéculateur » (2 p.830), être pourtant nécessaire à l’achat des biens nationaux confisqués à l’Église et aux émigrés pour financer la Révolution… La radicalité d’aujourd’hui reprend cet idéalisme de type communiste pour condamner toute relation humaine autre que politique. Proudhon, dans une lettre d’avril 1851 à Michelet, citée en préface à l’édition de 1868, déclare de Robespierre : « Ce qui m’indispose le plus contre ce personnage, c’est la détestable queue qu’il nous a laissée et qui gâte tout en France depuis vingt ans. C’est toujours le même esprit policier, parleur, intrigant et incapable, à la place de la pensée libérale et agissante du pays » 2 p.1003. On peut en dire autant aujourd’hui : « intrigant et incapable » reste le lot du démagogue de gauche jamais à court de promesses.

« Il est sûr que tout élément du vrai Tartufe y était, souligne Michelet dans sa préface de 1869 intitulée ‘Le tyran’. Ses moralités banales, ses appels à la vertu, ses attendrissements calculés, de fréquents retours pleureurs sur lui-même, enfin les formes bâtardes d’un faux Rousseau, prêtaient fort, surtout lorsque, dans cette rhétorique, discordait de façon criante tel brusque élan de fureur » 2 p.1019. Ce portrait politique paraît dessiné pour notre contemporain.

La Terreur de Robespierre profite de la lassitude du peuple pour s’installer. Il en sera de même en Russie et en Chine au XXe siècle. Il en a vite marre du bruit et de la fureur, le peuple ; il aspire à retrouver sa famille, un climat apaisé, et à vaquer tranquillement à ses affaires. Michelet sur le 9 Thermidor : « Un phénomène singulier, qu’aucun des partis n’attendait, apparut dans cette nuit : la neutralité de Paris. Ce qui se mit en mouvement, ou dans un sens ou dans l’autre, était une partie imperceptible de cette grande population. On aurait pu le prévoir. Depuis cinq mois, la vie publique y était anéantie. Partout les élections avaient été supprimées. Les assemblées générales des sections étaient mortes, et tout le pouvoir avait passé à leurs comités révolutionnaires, qui eux-mêmes n’étant plus élus, mais de simples fonctionnaires nommés par l’autorité, n’avaient pas grande vie non plus » 2 p.970. Une vraie politique à gauche de la gauche, sans voix au peuple, ce qu’agite aujourd’hui certain tribun dans l’enthousiasme des foules et l’ébahissement ravi des fonctionnaires bobos. Curieuse conception de « la démocratie »…

Comment tuer le vieil homme en Robespierre, cet Ancien régime dans lequel il a été élevé ? « La société doit s’épurer. Qui l’empêche de s’épurer veut la corrompre, qui veut la corrompre veut la détruire » 2 p.763. Après Saint-Just, c’est ce que dira plus tard Lénine ; Staline déclenchera la même Terreur que celle de Robespierre, aussi aigri, paranoïaque du Complot, voyant des ennemis partout, étrangers ou émigrés, « à la solde » des puissances extérieures, avec l’instrument fondé par Trotski, la police politique, cette Tcheka si proche du Tribunal révolutionnaire où le jugement est fait d’avance… Michelet 2 p.877 : « Cinquante jurés, robespierristes. Plus de défenseurs. ‘Défendre les traîtres, c’est conspirer. (…) Plus d’interrogatoire préalable. Plus de dépositions écrites. Plus de témoins, s’il n’est absolument nécessaire. La preuve morale suffit’ » 2 p.877. Les procès staliniens, fascistes et nazis, les autocritiques maoïstes, les déportations polpotistes sont de cette eau. Ceux que fait Mélenchon aux journalistes ou à quiconque le critique aussi. « La preuve morale » est analogue au bon vouloir royal. Le chef du parti au pouvoir décide souverainement du Bien et du Mal, comme s’il représentait Dieu sur la terre.

Un exemple de cette absence de « contrepouvoirs » dans les institutions, dont un soi-disant féru de politique s’étonne (provocation ou sainte ignorance ?) qu’on puisse encore l’évoquer : Michelet 2 p.836 : « Un Hébertiste qui menait la section des Quatre-Nations, ans laquelle demeurait Prudhomme, fit à lui seul toute l’affaire : 1° il dénonça Prudhomme à l’assemblée générale de la section (…) ; 2° président de cette assemblée, il prononça lui-même la prise en considération de la dénonciation, et fit décider que l’accusé irait au Comité révolutionnaire ; 3° il présida le Comité et fit décider l’arrestation ; 4° il la fit lui-même, à la tête de la force armée. » Sans contrepouvoirs, point de démocratie, mais la puissance unique et tyrannique de la minorité agissante, des chefs les plus violents, contre la majorité silencieuse, lasse d’être mobilisée en permanence. Telle est l’essence du bolchevisme, Lénine-Trotski-Staline confondus en manipulation politicienne. Tels étaient Robespierre et Saint-Just.

Croyez-vous que ce parallèle entre les terreurs du XXe siècle et celle de Robespierre soit polémique ? Lisez plutôt cette remarque inouïe de Michelet ! « Un architecte (…) imagina un monument pour la combustion des morts qui aurait tout simplifié. Son plan était vraiment propre à saisir l’imagination (…) Au centre, une grande pyramide, qui fume au sommet et aux quatre coins. Immense appareil chimique qui, sans dégoût, sans horreur, abrégeant le procédé de la nature, eût pris une nation entière… » 2 p.928. Que la Révolution accouche du crématoire grâce à Robespierre devrait en faire réfléchir plus d’un ! La Raison des Lumières a permis la libération de certaines contraintes de nature (la naissance, la famille, le clan, l’asservissement, la religion, les croyances). Mais l’excès de la Raison, son délire logique, aboutit à ce que l’on a vu : le jacobinisme botté de Napoléon, la mission coloniale, le paternalisme de parti, l’État totalitaire.

Il faut savoir raison garder.

Lorsque l’on constate que Robespierre et Saint-Just sont les héros historiques de Mélanchon, l’électeur se dit qu’il y a manipulation de l’histoire à des fins personnelles. Les fans sont soit naïfs et ignorants (c’est souvent la même chose), soit jouent les idiots utiles pour la venue d’un parti qui ne leur fera aucun cadeau. Donner une voix au ressentiment est une chose, construire le monde de l’avenir une autre : on ne le fait jamais seul, ni sur une table rase. « Ne pas voir ce que les temps exigent, se répandre en vaines paroles, se mettre toujours en avant sans s’inquiéter de ceux avec qui l’on est, cela s’appelle être un sot… » – c’est pourtant ce que déclara Saint-Just sur Robespierre ! (2 p.760) Une précision encore, de Michelet : « Robespierre, comme je l’ai dit, fut anti-socialiste. Même l’innocente idée des Banquets fraternels, où chacun, dans la disette, descendait, apportait son pain, cela même il le proscrivit » 2 p.1021… Nul trotskiste n’a jamais été socialiste – loin de là ! Pas plus Mélenchon qu’un autre.

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