Chronique d’un divorce en 1965 ; il dure dix ans. Le temps pour la délaissée de bien s’enfoncer dans son aigreur, le temps pour l’envolé de refaire une vie ailleurs. Malgré – et avec – les quatre enfants dont la garde partagée fait l’objet d’une bataille de chiffonnier. Non que la mère les « aime » pour eux-mêmes, mais ils sont sa chose, issus de son ventre. Quant au père, n’en déplaise aux femmes, il aime ses enfants, les voir grandir, les embrasser : Léon 17 ans, Agathe 15 ans, Rose 13 ans et Guy 9 ans.
S’il quitte le foyer, c’est qu’il étouffe avec une épouse agressive, maladroite, qui ne travaille pas. Une « pintade ». Vingt ans avec elle, ça suffit. Louis a rencontré Odile, de vingt ans plus jeune mais nettement plus dynamique, plus moderne. L’autre, Aline, est « butée, tatillonne, exigeante, ombrageuse, toujours insatisfaite (…) décourageante au possible ». Avec des comportements de commère, de provinciale, de très petite-bourgeoise. « Bêtifiante avec ça, branchée sur le cancan, le timbre-prime, la blancheur Machin, les soucis de cabas ». Irréprochable du sexe, mais harpie. Louis est mou, évite les conflits, parfois volage. Il est artiste, il peint, tout en vendant du papier peint comme commercial d’entreprise. Il est seul à entretenir la maison, la payer, la meubler, la nourrir. Divorce-t-on par tempérament ? Ouï, sans doute, incompatibilité d’humeur est la qualification. « On ne guérit pas d’un tempérament », note l’auteur.
Aline, vexée d’être laissée, engage une guérilla sur tout : la garde des enfants, les horaires de visite, la pension, les vacances. Elle perd toujours car elle est dans son tort, mais Louis veut la paix et lui accorde trop ; elle en profite, en rajoute, rameute la famille, les voisins. Les enfants se partagent entre Papiens et Mamiens, inféodés à l’une ou à l’autre, endoctrinés surtout par elle. Car Louis, le père, a une autre vie à vivre et veut tirer un trait. Pas Aline, névrosée obsessionnelle qui n’a que son combat pour exister. Elle n’est plus Madame Davernelle mais Madame Ex.
Croyez-vous qu’elle chercherait un travail ? Pas le moins du monde. Elle se veut mère entretenue et pinaille sur les sous. Referait-elle sa vie comme certaines ? Pas le moins du monde. Elle se veut Mater dolorosa, victime, oh, surtout Victime à majuscule aux yeux de tous. A plaindre, à geindre, à feindre. Nul n’est dupe et tous se lassent, mais elle persiste. Hervé Bazin n’est pas tendre pour la mère délaissée, même s’il n’encense pas le mari. Rien de plus normal : sa propre mère était sans amour, névrosée autoritaire, une vraie Folcoche, déformée et amplifiée dans Vipère au poing.
Il décrit le divorce de ces années soixante, incongru socialement, réprouvé par l’Église, empêché de multiples façons par les loi et les procédures. Il faut sans cesse plaider, justifier, quémander – et payer : l’avocat, l’huissier, l’avoué. On ne cesse de payer pour avoir justice dans ce pays de bourgeois de robe qui ont fait la Révolution pour en profiter.
Curieusement, le couple traverse mai 68 et ses crises existentielles comme s’ils n’existaient pas. Pourtant parisien, aucun échos des « événements » ne vient troubler le face à face psychotique des deux ex. Pas même le féminisme des enragées seins nus qui revendiquent de ne plus faire la vaisselle ni de laver les chaussettes des militants mâles sur les barricades. Aucun échos non plus chez les enfants, resté bien sages en politique.
L’histoire est publiée en 1975, année où Giscard réforme le divorce par la loi n°75-617 du 11 juillet. Un roman pour le dire, pour appuyer la réforme, pour soutenir les époux qui veulent se séparer sans drame ni procédures compliquées. Dès lors, ne resteront que le consentement mutuel, la rupture de vie commune ou la faute due à une « peine infamante ». C’est plus simple, plus net, plus réaliste. C’est encore plus simple depuis la réforme du 26 mai 2004 où le consentement mutuel prime et la faute s’estompe. Jusqu’en 1975, le consentement mutuel n’était pas admis et il fallait monter sur ses ergots, envoyer des lettres d’insultes, accumuler les preuves d’agressivité. C’est toute cette absurdité que met en scène Bazin. Il montre combien ces façons de faire archaïques minent les personnalités, les enferment dans le déni, la paranoïa victimaire.
Rien que pour cela, son roman se lit aujourd’hui très bien, mordant, précis, se plaçant successivement du point de vue de chacun, enfants compris. Il faut dire qu’Hervé Bazin a divorcé trois fois et a eu sept enfants ! Il est décédé en 1996 à 84 ans ; son dernier fils avait 10 ans.
Hervé Bazin, Madame Ex, 1975, Livre de poche 1977, 351 pages, €7,99
Hervé Bazin déjà chroniqué sur ce blog
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