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Colette, L’Ingénue libertine

C’est un nouveau feuilleton porno chic fin de siècle du couple Colette et Willy. Sauf qu’il est paru en deux parties, Minne et Les égarements de Minne et que, lorsque Colette a récupéré ses droits après la séparation d’avec son mari Willy, elle en a fait un roman unique, sabrant sans pitié une partie des ajouts de Willy. Reste l’histoire d’une fille, toujours un double de Colette, de Claudine et d’Annie, rêvant au grand amour romantique et sadique à l’adolescence, mariée selon les normes à son cousin plus âgé connu depuis l’enfance, et qui s’ennuie. Elle prend des amants, cherche à jouir, n’y parvient pas. Elle désespère…

Et voilà un vieux beau, le fameux Maugis, journaliste critique de théâtre, la quarantaine, chauve, gros, alcoolique, qui la désire sans la toucher, s’intéresse vraiment à elle. Ses yeux se dessillent : l’amour n’est pas à sens unique, il faut donner pour avoir. C’est alors que la crise survient avec son mari, elle se rebelle, lui la voit telle qu’en elle-même et non plus comme la copine complaisante de toujours. Elle existe, il l’aime, il veut son plaisir. Lorsqu’il la baise, dans un grand hôtel de Monte-Carlo où il est envoyé pour affaires, elle jouit enfin. L’orgasme !

Voilà le canevas, à grands traits. L’intéressant est moins dans la personnalité de Minne, adolescente fantasque à l’imagination enfiévrée de sensualité, que dans le processus qui va conduire des premiers émois romantiques à un statut de quasi prostituée, la rédemption finale de la chair étant plaquée au final comme incongrue. Minne a 14 ans, vit seule avec Maman qui a peur de tout changement et ne voit pas sa « petite » fille autrement que sage et rangée. Or Minne lit en cachette le Journal, ramassis de faits divers à sensation qui décrit notamment les crimes d’une bande d’Apaches des Fortifs. Elle fantasme sur le beau Frisé, jeune homme souple à la démarche de chat au jersey moulant son torse de jeune faune, casquette à carreau sur le front et chaussures de tennis aux pieds. Elle rêve de devenir sa « reine », celle qui ordonne et régule la bande, qui compte le butin et baise ardemment sous la lune. Pour s’accomplir, elle doit fuir sa famille, son milieu.

Elle croise en allant à l’école un marlou qui ressemble à son fantasme mais ne peut lui parler. Un soir, alors qu’elle songe à sa fenêtre ouverte, elle croit le voir dans la rue, elle l’appelle, descend, mais le temps qu’elle se peigne et s’habille pour plaire au mauvais garçon, il s’est éloigné. Elle court dans les rues de la zone, se perd, aborde des personnages tous plus louches les uns que les autres, dont un vieux monsieur à canne qui aime les « petites filles ». Elle fuit, se retrouve miraculeusement au matin en bas de chez elle mais s’écroule une fois rentrée, couverte de boue et épuisée. Chacun croit qu’elle a été violée. Il n’en est rien mais sa mère en meurt quelque temps après et l’oncle Paul, qui a vu comme médecin qu’elle est intacte physiquement, n’en déclare pas moins qu’elle a une fièvre de mauvaise vie. Son fils Antoine, de trois ans plus âgé qu’elle, la désire depuis sa puberté et est heureux de la marier. Avec la réputation qu’elle a, elle n’aurait pas trouvé ailleurs. Comme quoi l’amour est un leurre, surtout l’Hâmour, comme disait Flaubert, cet égarement gonflé du sentiment attisé par les hormones. Rien de naturel dans l’Hâmour, que du fantasme, du grandiloquent, de l’inaccessible.

En revanche Minne devine bien, une fois mariée, « que l’Aventure c’est l’Amour, et qu’il n’y en a pas d’autre » p.743 Pléiade. Existe-t-il un roman sans aventure amoureuse ? Mais amant, ami et allié ne cohabitent pas toujours dans le même mari, aussi « faut-il » (selon Colette) multiplier les expériences pour trouver le bon équilibre. Antoine le mari est protecteur mais pas vraiment allié ; le jeune baron Couderc de 22 ans est bien joli comme amant mais prend son plaisir sans se soucier de celui de sa partenaire ; Maugis, le libidineux sarcastique, est un véritable ami mais serait un mauvais amant… « J’ai couché avec lui [Couderc] et trois autres, en comptant Antoine, déclare sans aucune vergogne Minne à Maugis. Et pas un, pas un, vous entendez bien, ne m’a donné un peu de ce plaisir qui les jetait à moitié morts à côté de moi ; pas un ne m’a assez aimée pour lire dans mes yeux ma déception, la faim et la soif de ce dont, moi, je les rassasiais ! » p.797. La quête de soi est la satisfaction de la volupté : si le mari faillit, la femme est en droit de revendiquer sa liberté. C’est que tous deux sont libres depuis 1789.

C’était très « fin de siècle », cette audace à parler de sexe et à vanter les frasques sexuelles d’une jeune fille rangée. Minne est une ingénue qui ne sait pas que donner son corps avilit quand l’amour n’est pas là et que baiser à gogo prostitue sans pour autant trouver sa bonne pointure. Colette transgressera le genre pour goûter d’autres plaisirs sans que sa quête en soit plus fructueuse. A toujours aspirer au Graal, on ne vit pas assez les vrais moments du présent. Don Juan n’a jamais été heureux.

Colette, L’Ingénue libertine, 1909, Albin Michel poche 1991, occasion ; e-book Kindle €5,49

Colette, Œuvres tome 1, Gallimard Pléiade 1984, 1686 pages, €71,50

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Creepshow 2 de Michael Gornik

Creep, qui signifie ramper, s’aplatir (creep – crêpe ?) veut aussi dire le frisson qui nait des choses viles et diaboliques tel le serpent. Le show du creep est une revue de BD pour enfant d’après celles qui faisaient le délice du jeune Stephen King dans les années cinquante. Tiré de trois de ses nouvelles, le second opus du film met en scène Billy, en préado blond au col jamais boutonné (Domenick John), tirant sur son vélo pour atteindre le premier le camion qui livre le libraire. Un être immonde au nez en bec et aux doigts crochus – le Creep (Tom Savini) – le conforte de son rire sadique en son choix hideux. Remuer les bas-fonds de l’âme humaine et les terreurs des choses inouïes est une attirance du diable, fascinante mais contre laquelle il faut mettre en garde.

La première histoire passe des cases dessinées à la réalité d’une ville morte où subsiste un General Store où pas un seul client n’est venu acheter quelque chose en quatre jours. Le patron est un « bon garçon » à l’américaine (George Kennedy), mais niais de sa soixantaine, devenu lâche et trop indulgent. Il fait crédit, n’est jamais payé, s’achemine tout doucement vers la ruine. Son épouse (Dorothy Lamour) essaie de le mettre en garde mais il la calme avec sa fausse générosité qui est de paresse plus que de cœur. Un grand chef indien trône en façade, qui fait l’enseigne de bois (Dan Kamin). Le vieux lui repeint ses traits de guerre sur les pommettes lorsqu’un chef indien d’aujourd’hui arrive (Frank Salsedo), en Pontiac décatie mais conduite par un chauffeur. Tout comme le pionnier, l’Indien a bien baissé depuis qu’il a vieilli… Mais lui a du cœur et il ne veut pas laisser les dettes de son peuple sans garantie. Ce serait mendier alors que, s’il offre en caution les bijoux en turquoise donnés par chaque famille, c’est encore un prêt. Le vieux ne veut pas accepter mais ce n’est pas négociable. Tout serait donc moral si, en retournant dans sa boutique, le couple ne se retrouvait devant quatre jeunes, un fils de riche (Don Harvey), un gros lard glouton (David Holbrook) et le neveu du chef Indien qui tient un fusil, torse nu sous sa veste en jean (Holt McCallany). Ils se servent dans la boutique sans vergogne, ils pillent la caisse, piquent le sac de la vieille. Ce sont des « mauvais garçons » que la société ne peut tolérer. L’Indien est narcissique avec ses longs cheveux qu’il laisse pousser depuis l’âge de 13 ans et veut percer à Hollywood. Ils doivent partir le soir même. Mais, dans l’euphorie de l’arme excitée par la lâcheté des vieux, le coup part, la vieille meurt ; le vieux, égaré, s’avance, il s’en prend un autre dans le bide. Tout est consommé et le Mal triomphe. Sauf que… le grand chef indien de bois ne reste pas de bois. Il va rétablir l’équilibre du cosmos comme ses ancêtres l’ont toujours fait. Les trois délinquants seront punis, fléchés comme des Sébastien pour avoir cru à la mauvaise foi et le vaniteux Samson sera scalpé.

La seconde histoire – nettement la meilleure des trois – se passe dans les montagnes de l’Utah où quatre étudiants roulent en voiture vers un radeau ancré sur un lac, repéré par l’un d’entre eux. Ils rigolent, fument un joint, sont tout euphorie entre garçons et filles. Sitôt arrivé, le chauffeur qui est aussi le chef (Paul Satterfield, 27 ans), se dépouille de ses vêtements et se jette à l’eau. Elle est glacée, « pas plus de 10° », mais elle l’apaise de sa tension juvénile un brin sexuelle augmentée par la fumette. Son copain un peu plus jeune le suit (Daniel Beer) et les filles avec retard, tout habillées, nageant plus lentement. Sur le radeau, le moins pris par l’hubris de l’ébriété hormonale observe une nappe gluante qui se déplace sur le lac et avale un canard en l’engluant. Il presse les filles de rejoindre le radeau. Peu à peu, le froid aidant à la lucidité, les quatre jeunes s’aperçoivent que le lac tranquille et l’eau amicale sont un réel danger. La nappe mystérieuse semble douée d’une vie propre et la stupidité de l’une des filles (Page Hannah, 23 ans), qui trempe sa main dans l’eau comme par défi, tourne au drame : elle est engluée, attirée vers le fond, digérée par la « chose ». Terreur des autres qui ne savent plus quoi faire, la dernière fille hystérique comme il se doit dans les films d’Hollywood jusqu’aux années 2000. Le leader disparait, avalé par la nappe qui s’est coulée sous le radeau et infiltré entre les planches ; il en reste deux, frigorifiés, lui en slip toute une nuit (l’acteur a failli y passer). Ils sont beaux, blonds, athlétiques, emplis d’énergie ; ils sont l’avenir de l’Amérique – mais encore immatures, conduits par leurs instincts et non par leur raison. Tout l’hédonisme d’une génération est ainsi pointé, jusqu’à la caresse sur les seins dénudés par sa main du dernier garçon sur la dernière fille endormie (Jeremy Green). Ils périront. Non sans avoir lutté, mais avec l’implacable du destin, la dernière image étant la plus vive. Sur la pancarte était marqué : « baignade interdite ».

La troisième histoire est plus macabre. Elle met en scène une femme mûre, riche, adultère, égoïste (Lois Chiles), la génération entre deux des précédentes histoires. « Tu es conne, Madame Lansing » – le spectateur ne peut que souscrire devant ce constat réaliste, comme devant les imbécilités de la bourgeoise. Si elle a obtenu « six orgasmes » dans la même journée de son amant étalon (David Beecroft) – qu’elle paie 150 $ pour la performance – elle doit rentrer à l’heure chez elle, à des centaines de milles de la baise, où son mari concessionnaire Mercedes l’attend. Elle conduit donc sa luxueuse et puissante voiture, de nuit et assez vite. Ayant la bêtise d’allumer une cigarette, celle-ci lui échappe des doigts et va brûler le siège, ce qui lui vaut de déraper et de heurter un auto-stoppeur qui reste étendu, ensanglanté, sur le sol (Tom Wright). Ni vu ni connu, elle s’enfuit tous feux éteints tandis qu’un particulier puis un chauffeur de camion (Stephen King lui-même !) s’arrêtent, balisent et préviennent la police. Mais la chauffarde a l’autre bêtise de s’arrêter pour on ne sait quoi et, lorsqu’elle voit dans son rétroviseur l’auto-stoppeur mort la poursuivre clopin-clopant, elle ne repart pas tout de suite. L’individu la rattrape, c’est un Noir – une vengeance venue du fond des âges et des rancœurs accumulées. Il cherche à l’agripper par le toit ouvrant qu’elle a eu la bêtise encore de laisser entrouvert. Malgré ses manœuvres, il s’agrippe et ne lâche pas. Elle s’enfonce dans la forêt pour que les branches le chassent mais rien n’y fait, il est encore sous la calandre. Elle vide un chargeur entier de revolver mais, comme le chat allemand de la chanson, il est toujours vivant. Elle fonce alors dans un arbre pour l’écrabouiller, recule, recommence, encore une fois, et une autre (le film est « interdit » aux moins de 12 ans). Sa robuste Mercedes est en ruines, un œil pendant à terre, mais fonctionne encore : bonne mécanique. La femme atteint son domicile, où son mari n’est pas encore rentré. Dans le garage, elle pousse un ouf de soulagement. Sauf que… L’auto-stoppeur est à sa portière, puis tout contre elle. « Merci Madame de m’avoir renversé, vous serez avec moi maintenant ».

Le film s’achève à nouveau sur Billy mais cette fois dessiné, en butte à trois ados plus âgés qui veulent le cogner. Mais il a commandé par la poste des plantes carnivores à la revue Creepshow et en a planté un terrain « privé ». C’est là que, par sa fuite sur son vélo, il emmène ses ennemis – qui se font dévorer. Juste revanche du faible contre les forts, fantasme puissant des jeunes garçons en butte aux plus grands. Tout le film est ainsi moraliste, rétablissant une sorte d’équilibre immanent. Tourné au temps de l’Amérique au sommet de sa puissance et sûre de ses valeurs, à quatre ans le la chute ignominieuse de l’URSS, il se regarde avec plaisir et se revoit avec bonheur. Après tout, l’horreur est humaine.

DVD Creepshow 2, Michael Gornik, 1987, avec George Kennedy, Dorothy Lamour, Paul Satterfield, Daniel Beer, Lois Chiles, Tom Wright, 1h26, €16.22 blu-ray €18.05

Film à ne pas confondre avec la série du même nom sortie en 2021

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Peter Robinson, Bad boy

Peter Robinson Bad boyJaff, Jaffar de son prénom réel, est un métis Paki né d’une top-modèle bangladeshi et d’un bookmaker anglais de la haute. C’est un beau gosse aux longs cils, au teint velouté et à la silhouette souple. Intelligent et ambitieux, il est aussi très égoïste, flambeur et d’une sensibilité maladive sur ses origines. C’est ce genre de mauvais garçon dont s’éprennent les filles quand elles sont à l’âge rebelle – qui vient bien plus tard que pour les gars. Erin s’est fait prendre ; c’est au tour de Tracy, qui se fait appeler Francesca, de succomber au charme du ténébreux voyou.

Cervelles d’oiseaux toutes au présent hormonal, sans aucun souci des conséquences ni des accidents collatéraux… Mais c’est ainsi que ça se passe dans l’Angleterre contemporaine. Les jeunes sont déboussolés, croyant que les études apportent encore un boulot intéressant bien payé, alors qu’il faut se débrouiller. Les parents sont aux abonnés absents, se rigidifiant dès qu’ils apprennent un écart de conduite, comme si eux-mêmes dans les années post-68 n’avaient pas fait les quatre cents coups pour moins que ça. La police se barde de procédures, paperasses et autres spécialistes d’intervention contre l’opinion médiatique. Donc tout dérape.

Il suffit d’un pistolet trouvé par une mère de famille sur le haut d’une armoire de la chambre d’enfant de sa fille de 24 ans, revenue passer quelques jours. Le roman est un peu poussif au début, mais prend vite son rythme de croisière. Dès que l’inspecteur principal Alan Banks est rentré de ses vacances en Californie. Il y a éclusé quelques mois mouvementés de sa vie, les pertes et fracas d’une enquête précédente. Mais quand il revient, sa paisible petite ville du Yorkshire est un chaos total. Un homme est mort, une flic dans le coma, sa fille prise en otage.

Malgré le décalage horaire, quelques lampées d’un bon whisky Islay et quelques morceaux de ses musiques préférées le remettront d’aplomb. Nous passons d’un personnage à l’autre, de fragments d’action à d’autres fragments, découpés comme dans les séries télé. C’est puissant, bien bâti, et renouvelle les intrigues. La psychologie des personnages, habituellement le délice du lecteur, est cette fois un peu plus sommaire, l’auteur se fatigue peut-être de ce coin d’Angleterre qu’il regarde du Canada où il vit. Mais nous avons les jeunes drogués, les flics en guerre de pouvoirs, les malfrats en pleines affaires de sexe, drogue et immigration clandestine, les gros bras tirés vers la psychopathie.

Nous sommes en 2010 et la description de notre monde européen en crise vaut le détour.

Peter Robinson, Bad boy, 2010, Livre de poche octobre 2012, 517 pages, €7.22

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Claire Lescure, Johnny Hallyday

Le rockeur national, 70 ans l’an prochain, est un mythe français, le pendant masculin de Brigitte Bardot, paru juste avant dans la même collection. Les éditions Exclusif se sont spécialisées dans la biographie légère des people avec des titres tels que Liz Taylor, Annie Girardot, Jean-Paul Belmondo, Claude François, Brigitte Bardot et Steve Jobs. Johnny Hallyday, pseudo de Jean-Philippe Smet, ne dépare pas la brochette.

Le plan éditorial est simple et constant : la moitié en biographie écrite au galop, style Wikipedia augmenté, un cahier central de photos, un tiers en interviews reproduites pour donner la parole au personnage, puis des annexes composée d’une revue de presse, d’un florilège de ‘citations d’auteur’, chronologie, discographie, filmographie, bibliographie. L’ensemble se lit bien, écrit simple et enlevé. Qui aime Johnny en sortira comblé ; qui ne l’aime guère découvrira avec curiosité les dessous du mythe.

Qui savait que le petit Jean-Philippe n’a jamais eu de père ? qu’il n’a jamais fréquenté l’école ? Ce sont ses fêlures intimes qui le rendront incapable d’assurer une paternité sereine avant la soixantaine… Il a été élevé par sa tante, la sœur de son père, un clown belge qui a fui dès qu’il est né. Sa mère était mannequin de haute couture sans cesse absente et envolée. La tante, elle, avait les pieds sur terre et déjà deux filles, à demi-éthiopiennes, ce qui a donné un foyer au petit garçon. Mais la famille recomposée est tombée dans le spectacle tout petit et le gamin est embarqué avec ses cousines dans la danse. Car la mère et ses filles sont danseuses, ce qui leur permet d’être six mois à Paris, six mois à Londres, un mois à Naples, un autre à Rome…

Joli dès l’enfance avec ses boucles blondes, le petit Jean-Philippe tourne des publicités pour Jean Mineur, puis obtient son premier rôle au cinéma à 11 ans dans Les Diaboliques de Clouzot : il joue un élève. Sa seule réplique est coupée au montage, mais le cinéphile attentif peut l’apercevoir dans les vues de groupe. C’est à 14 ans, en 1957, qu’il commence à chanter Elvis, ayant appris la musique par le violon, puis à la guitare avec l’un de ses modèles masculins : Lee Ketchum dit Halliday (avec un ‘i’).

C’est une erreur de transcription du pseudo sur sa première pochette de disque qui fige Hallyday avec deux ‘y’. Car le garçon triomphe l’année de ses 16 ans avec ‘Laisse les filles’. L’un de ses parrains était Charles Aznavour, un autre Raymond Devos. Qui l’eût cru ? La star du jeu de mot bourgeois n’a pas hésité à croire en la jeunesse déjantée qui se roulait par terre en public avec sa guitare…

Quiconque ne l’a pas vécu ne peut plus comprendre la mentalité archaïque du temps. Dans les années 60 subsistaient quelque chose de villageois dans la presse parisienne, du commérage, de la jubilation de faire honte au non-conforme. Paris, ville lumière ? Bof… Entre les intellos des caves enfumées et les journalistes cul de plomb sur leur chaise dans les bureaux du ‘Monde’ ou de ‘La Croix’, l’ère était à l’intolérance, aux dénonciations, au rejet de l’âge tendre. Il faut lire la Revue de presse pour s’en faire une effarante idée :

Henri Rabine dans ‘La Croix’ : « Johnny Hallyday (…) afflige le public d’une exhibition baragouinante et hystérique, promise à brève échéance au cabanon »

Claude Sarraute dans ‘Le Monde’ : « J’avoue avoir pris aux soubresauts, aux convulsions, aux extases de ce grand flandrin rose et blond, le plaisir, fait d’intérêt et d’étonnement, que procure une visite aux chimpanzés du zoo de Vincennes ».

Même la Duras, Marguerite adulée des bobos de gauche (la rive, pas le portefeuille), écrit en 1964 : « Il ne peut pas le comprendre. La jeunesse, pour lui [Johnny] ne précède pas l’âge adulte. C’est un absolu, et il voudrait que les jeunes l’emploient comme lui l’a fait. » La féministe en Pléiade n’a évidemment rien compris à cette énergie brute de la génération 1960, ni intello, ni vaniteuse, ni fonctionnaire de l’idéologie…

Adolescent trop joli, Johnny se fait un look de mauvais garçon pour se viriliser, n’hésitant pas à se tailler les joues à coup de rasoir pour avoir l’air plus dur. Il aime les femmes, mais son métier d’idole ne lui permet pas de se poser. Il épousera Sylvie Vartan, Nathalie Baye, Babeth Etienne, Adeline Blondieau, Laetitia Boudou. Avec la première il a eu un fils à 22 ans : David ; avec la seconde une fille : Laura ; avec la dernière il a adopté deux petites vietnamiennes : Jade et Joy. Il a consommé les femmes comme la drogue et le spectacle : à cent à l’heure. Il a changé de style comme un caméléon, transformant la « chanson » en show d’acteur. Ce pourquoi il reste dans le vent avec un groupe de jeunes et moins jeunes régulièrement autour de 150 000 fans.

Mais Jean-Philippe Smet est moins tête de linotte que le mythe Johnny Hallyday ne le présente. « J’ai essayé toutes les drogues. Je sais de quoi je parle. A Londres, dans les années 70, ça circulait librement. Mais je n’ai jamais été accro. Je ne comprends pas cette notion. Si je dois arrêter quelque chose pour mon métier, ou parce que ça fait de la peine à ma famille, je le fais de suite. Je suis plus fort que ça. (…) La scène apporte du rêve, la drogue du désespoir. C’est de la merde ! » (interview au Matin à Gstaad par Didier Dana). Drogue, idéologie, convictions : Johnny chevauche tout cela avec une allégresse qui le fait préférer aux Duras et consorts, tous confits dans l’image pieuse de leur étroite religion, fût-elle « progressiste ». Il y a de la vie dans Johnny !

Une bio attachante sur un monstre de la société du spectacle.

Claire Lescure, Johnny Hallyday – Jusqu’au bout avec Johnny…, octobre 2012, éditions Exclusif collection Privée, 256 pages, €19.00

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Anne Perry, La fin justifie les moyens

Article repris par Medium4You.

L’actualité rejoint la fiction. Nous sommes à l’ère victorienne, dans ce Londres fin de siècle où l’apparence bourgeoise et la réputation comptent plus que tout, mais l’on se croirait dans la France politique 2011. Les passions demeurent. Saisis par l’ennui d’une sociale, morale et sexuelle trop « convenable », nombre de Messieurs de la haute cherchent des excitants. Quoi de mieux que le jeu avec le sexe et l’honneur ? Anne Perry, bientôt 74 ans, saisit bien la psychologie des personnages en société de cour. Retenons-en la leçon pour la nôtre.

Car la française, sous les présidents-monarques de la Ve République, n’a rien à envier à celle du règne Victoria. Un candidat putatif au fauteuil suprême trousse une employée pauvre et musulmane d’un bouge pour riches à New York. Un ex-ministre répand la rumeur qu’un autre ex-ministre (mais probablement pas de son camp) aurait partouzé avec des « petits garçons » dans l’East-End européen, aujourd’hui le Maroc.

Fin XIXè, le héros d’Anne Perry, l’inspecteur William Monk de la police fluviale, a démantelé un réseau de proxénétisme qui mettait en scène des gamins de 4 à 10 ans, soumis aux turpitudes de plus âgés. Des aristocrates et des bourgeois payaient le droit d’assister et de consommer. Cela se passait sur une péniche ancrée sur la Tamise, dans un quartier éloigné du regard social. Cette nouvelle enquête montre que le cancer a ramifié. Rien de tel que l’excitation pour séduire les riches. Cette fois le maître chanteur photographie les clients, ce qui est leur droit d’entrée dans ce club très fermé où ils vont en bande s’encanailler. Il ne s’agit plus seulement d’argent, bien que ce commerce illégal soit très lucratif. Il s’agit de chantage, qui peut toucher tous les aspects de la vie en société, y compris le vote des lois au profit d’intérêts divers.

Mais ce qui révulse l’inspecteur Monk, et sa femme Hester, ex-infirmière en Crimée, est le sort des enfants-objets, victimes hébétées de sodomies ou aspergés de sperme. Le meurtre d’un malfrat, retrouvé étranglé dans la Tamise, permet à Monk de découvrir la nouvelle péniche et de délivrer 14 enfants battus, à demi nus et terrorisés. Le foulard qui a servi à étrangler le proxénète est fort reconnaissable : il appartient à un mauvais garçon de la haute, à qui son père a toujours tout pardonné. Arrêté, interrogé, effaré d’avoir participé à ce commerce sexuel sans vraiment le vouloir, le jeune homme sera finalement libéré : une pute témoigne lui avoir volé le foulard la veille et l’avoir donné à quelqu’un d’autre. A qui ? Mystère… A-t-elle menti ? Pourquoi alors disparaît-elle, tuée elle aussi par étranglement alors que le filet se resserre sur le commanditaire de toute cette organisation ?

Monk ira jusqu’au bout. Parce qu’il est un limier obstiné, parce qu’il ne craint jamais de piétiner les platebandes du convenable social lorsque la souffrance de faibles est en jeu, mais aussi parce qu’il a recueilli avec sa femme Scuff, un enfant des rues de 9 ans qui lui fait confiance. On ne ment pas à un enfant, ses yeux sont le miroir de la conscience. Alors Monk va frapper haut, aidé malgré lui par l’avocat intègre Rathborne qui devra peut-être sacrifier son mariage… L’enquête est bien menée, tout chapitre apporte son lot de révélations, jusqu’au coup de théâtre final.

Pas facile de rendre la justice lorsqu’il y a conflit de loyautés. Anne Perry, en philosophe, place au-dessus de tout cela l’amour. Le véritable amour est le seul guide. Peut-on mentir par amour ? S’aveugler sur la vérité ? « Quand on aime quelqu’un, on ne lui demande pas de détruire le meilleur de lui-même. L’amour signifie aussi être libre de suivre sa conscience. Si on ne peut pas être fidèle à soi-même, il ne nous reste pas grand-chose à donner à l’autre » p.392. Du père trop indulgent à la fille trop fidèle, du mari qui veut préserver les apparences à la bonne société qui ne veut rien savoir – c’est une véritable leçon morale que nous donne Anne Perry dans ce roman très actuel. Aimer ne signifie jamais tout pardonner mais corriger à temps : avis aux parents, aux couples, aux politiques, aux profs et jusqu’aux journalistes… Ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui.

Anne Perry, La fin justifie les moyens (Acceptable Loss), 2010, 10-18 mai 2011, 413 pages, €7.79

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