Articles tagués : polytechnicien

Philippe d’Iribarne, L’étrangeté française

philippe d iribarne l etrangete francaise
Philippe d’Iribarne est ingénieur général du corps des mines, Polytechnicien et Science Po, directeur de recherche au CNRS. Il dirige depuis 1972 le centre de recherche sur le bien-être devenu Gestion et société. Ses travaux, dans la suite de La logique de l’honneur (1989) ont donné en 2006 ce second livre. L’auteur identifie en premier lieu « l’univers mythique » propre aux Français avant d’examiner le « modèle social en crise », puis de traiter de diverses « questions de société » (l’école, les immigrés, « notre » modernité).

La liberté se décline en France différemment des autres pays. Le monde anglo-saxon la voit dans la figure du propriétaire dans les bornes de la loi. La liberté allemande est d’avoir voix au chapitre dans une communauté. La liberté française est obnubilée par l’univers d’Ancien régime, liant la liberté à la noblesse et à l’honneur. « Cette vision (…) est porteuse d’une sensibilité exacerbée à ce qui est facteur d’humiliation ou au contraire source de grandeur » p.40. Ne sommes-nous pas bizarres ?

« On trouve en France la conception de la grandeur propre à une caste attachée à son rang, qui ressent comme une atteinte insupportable toute demande d’effectuer des actions indignes de celui-ci » p.49. Citons pêle-mêle les cheminots qui se sentent investis d’une mission de « protéger » le rail et les trains de quiconque (de « la direction » comme « des usagers »), les conservateurs de musées qui se sentent quasi « propriétaires » des œuvres confiées à leur garde, l’artisan qui « sait » mieux que le client ce qu’il lui faut, l’élite jalouse de « l’information » qui est son privilège de pouvoir…

Cette façon de voir apparaît ridicule aux yeux des Allemands pour qui les Français sont ainsi soumis au regard social, au conformisme de caste, et ridicule aux yeux des Anglais pour qui les règles de la liberté comptent plus que la « noblesse de métier ».

D’où cette curieuse façon de la société française qui s’organise en ghettos d’habitat, en écoles privées, en Grandes écoles fermées, et à qui s’opposent les réactions des humiliés qui dégradent leurs HLM, brûlent les écoles et caillassent les pompiers. « C’est que, quand il est question de ce qui est déclaré ‘bas’, ‘vil’, ‘dégradant’, on n’est pas seulement dans le registre des intérêts ou du pouvoir. On pénètre dans celui de l’impureté, du rejet qu’elle suscite, de l’indignité qui lui est associée » p.57.

Proust notait ce snobisme social : l’art sacralisé sort des contingences de ce bas monde, la gloire des œuvres durables et des lignées (ou des ancêtres) est vénérée. Tout comme Bourdieu dans La Distinction oppose ‘distingué’ et ‘vulgaire’ : « l’ouvrage laisse voir, animant les diverses stratégies de ‘distinction’, la recherche d’une manière d’être ‘pur’ qu’il est difficile de réduire à une utilisation stratégique des diverses formes de capital, économique, social ou culturel, que chacun possède » p.71. A l’inverse, « aux États-Unis l’attachement à ce qui est noble, sous ses diverses facettes, non seulement ne constitue pas un repère partagé mais est considéré comme incompatible avec les idéaux démocratiques » p.78. Pan sur notre arrogance ‘progressiste’ !

La caste ‘à la française’ ne recouvre pas seulement la hiérarchie du pouvoir et de l’argent mais tout ce qui est considéré comme ‘grand’ opposé à tout ce qui est considéré comme ‘bas’. « Non seulement la Révolution française n’a pas balayé la conception aristocratique de ce qui est noble, mais celle-ci a prospéré dans la France républicaine » p.86. Et surtout socialiste !

Des exemples ? « Ainsi, au sein de l’école, la référence à ‘l’élitisme républicain’ est toujours vivante. Dans le monde du travail chacun, professeur, conducteur du métro, membre du Conseil d’État ou autre, se conçoit comme membre d’un corps dont il partage les privilèges et est prêt à assumer les devoirs. L’attachement à un statut garanti par la loi, loin d’être l’apanage des plus favorisés, a pénétré le corps social dans ses profondeurs » p.87. Alors que la Suède, loin d’être « libérale » pourtant, a supprimé le statut garanti à vie de la fonction publique…

enfeignant

Le discours égalitaire bute sur ce fait tout simple qu’il existe des sans-travail, des précaires, des sans-statuts. Dans la conception française, ils sont « naturellement » méprisés, comme entachés d’une tare ‘diabolique’ ou ‘héréditaire’, puisque dans l’ordre du non-noble – donc de l’ignoble. D’où l’excès du militant généreux qui en rajoute pour se faire pardonner sa ‘distinction’. « Dans une sorte de symbiose conflictuelle entre le désir de grandeur et l’idéal d’égalité, la France d’aujourd’hui vit dans une contradiction permanente. D’un côté, dans un registre juridique et politique, elle a proclamé solennellement que la notion de noblesse n’a plus cours et que tout citoyen est l’égal de tout autre. Mais, simultanément, dans un registre social pour lequel il existe un abîme entre ce qui est noble et ce qui est bas, cette égalité est quotidiennement bafouée » p.91.

D’où la crise du modèle français. Clients et supérieurs « sont rejetés sans ménagement » p.96, « les responsabilités dont (le travailleur) s’estime investi ont leur source dans son métier, dans le fait qu’il est ‘technicien’ », p.97 « avoir un métier c’est appartenir à un corps, s’inscrire dans la grandeur d’une tradition porteuse d’une forme d’honorabilité que l’on a le devoir de maintenir, à la fois en en étant digne, et en s’opposant à ce qu’on manque de respect à son égard » p.98.

  • Toujours cette idée d’exception et de privilège, qui était le propre de l’Ancien Régime…
  • Toujours ce mépris à peine voilé pour « le client » (qui n’a qu’à prendre ce qu’on lui donne) et pour « la direction » (qui se croit maître alors qu’elle ne « sait » rien de ce qu’il faut).
  • Toujours cette « humiliation » passionnelle dès que l’un ou l’autre, ou l’étranger, remet en cause ce qui est perçu chez nous comme « noblesse » mais qui est perçu à l’étranger comme une arrogance au regard du monde qui bouge et de la technique qui va.

En Suisse, en Allemagne, on cause beaucoup mais on recherche un accord entre pairs, dans le rationnel ; en Angleterre, aux États-Unis, chacun agit selon les règles et l’employé se voit fixer des objectifs qu’il négocie. Pas en France où « mettre son point de vue dans sa poche sans le défendre jusqu’au bout, ne serait-ce que dans une sorte de ‘baroud d’honneur’ si on est sûr que son avis ne sera pas suivi, est facilement perçu (…) comme le signe d’un manque singulier de conviction » p.108. Aux États-Unis, pour le client c’est le résultat qui compte, en France la beauté du raisonnement – un vrai choc culturel ! D’où « l’échec de Paris face à Londres dans sa candidature à l’organisation des jeux Olympiques » p.118. Savoir vendre ses avantages sans faire confiance a priori à la qualité de son produit est quelque chose que les Français ont du mal à apprendre.

A l’inverse, « ne pas avoir à obéir à un patron, n’avoir pas besoin de se vendre à un client, n’être au service que de l’intérêt général, c’est-à-dire en quelque sorte avoir une mission reçue d’en haut, pouvoir faire bénéficier de sa bienveillance ceux en faveur de qui on agit, sans avoir à tendre la main pour qu’ils vous rétribuent, autant d’éléments d’un service éminemment noble » – celui du service public p.122. Surtout pour ceux qui n’ont ni « vrai métier » reconnu, ni « noblesse scolaire » significative, les définitivement ‘moyens’, le service public donne une « noblesse » de rang qui valorise, tout en assurant divers « privilèges » qui donnent le sentiment d’être « quelqu’un ». Cela, certes, est respectable, mais combien conservateur, immature !

Ne pas dépendre signifie le plus souvent avoir de fortes difficultés à nouer des relations avec les autres ; ne pas se vendre signifie le plus souvent ne pas communiquer ses atouts et ses qualités en attendant que Sirius les reconnaisse tout seul ; ne pas s’adapter à la demande, aux exigences du monde, signifie le plus souvent ne rien créer, se contenter de la routine, s’enfermer dans ses procédures et règlements. Pas très efficace dans le monde ouvert qui devient le nôtre…

Au contraire, « c’est en libérant l’économique de mille entraves que fait peser sur lui une vision archaïque du social que l’on réunira les conditions nécessaires pour mener des politiques sociales dignes de ce nom, tournées vers la construction de l’avenir et non vers la conservation du passé » p.173. Mais point de fatalisme ! « La lucidité est un obstacle au rêve, elle ne l’est pas à l’action. » p.188

Échapper au cercle vicieux français suppose de renoncer à sacraliser le statut, mais aussi le marché. Chaque pays est libre de trouver sa propre cohérence entre la gestion efficace de l’économie et sa politique sociale volontaire. Il faut pour cela que le Politique reprenne sa prérogative qui est l’intérêt général : l’économie est le levier de la puissance, le nerf de la guerre ; avec ce levier, on applique la politique que l’on veut aux catégories qui en ont le plus besoin.

Sans l’économie, au contraire, on ne peut rien – que discourir à l’infini en n’émettant que du vent !

Philippe d’Iribarne, L’étrangeté française, 2006, Points essais 2008, 289 pages, €9.10

Catégories : Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014

La Banque de Suède vient d’attribuer son prix en l’honneur d’Alfred Nobel au Français Jean Tirole, 61 ans. Il avait déjà obtenu la médaille d’or du CNRS en 2007.

Jean Tirole est un économiste polytechnicien, donc intelligent ; il a travaillé aux États-Unis et en France, donc ouvert ; il s’intéresse aux sciences annexes à sa discipline, donc créatif. Dans un entretien accordé en 2007 à la revue ‘La Recherche’ (n°414, décembre), il décrit l’économie comme un réseau de relations humaines. Contrairement aux naïfs ou aux sectaires qui considèrent le commerce entre les hommes comme « vil », avec un reste de mépris Ancien Régime pour ceux qui doivent gagner leur vie, Jean Tirole utilise la théorie des jeux et la théorie de l’information – qui modélisent les relations – pour faire avancer l’étude.

JEAN TIROLE

Le point commun entre les industries de réseau, le marché du travail, le système bancaire, les bulles spéculatives, la prise en compte de l’environnement – tous sujets pour lui d’examen – est dans la méthode. Certes, la mathématisation du monde ne vaut pas décision ; certes, le modèle du choix « rationnel » des acteurs n’est qu’approximation ; mais l’abstraction mathématique est un outil utile pour poser logiquement des problèmes concrets et tenter de relier chaque dérive individuelle à une situation-type. La modélisation fait appel au droit, à la science politique, à la sociologie, à la psychologie : « on connaît par exemple la manière dont une personne arbitre entre un plaisir pour aujourd’hui et un coût pour demain. Manger gras ou sucré, fumer, rouler trop vite, dépenser plutôt qu’épargner (…) sont marqués par l’absence de cohérence temporelle (…) que les psychologues décrivent précisément. » Et les neurosciences pourront peut-être permettre des avancées, l’imagerie cérébrale observant les régions du cerveau activées lors d’un choix.

La macroéconomie peut être considéré globalement comme une résultante de comportements microéconomiques (même si le tout est toujours plus que la somme des parties – ce que semble laisser de côté un peu trop volontiers l’auteur). Pour lui, l’accès d’une entreprise au crédit s’analyse par la théorie de l’information : celle-ci est asymétrique entre le chef d’entreprise et la banque. De même, le taux d’épargne ou la politique publique du crédit ne serait que la résultante des milliers de choix individuels. La maximisation du profit n’est également qu’un ‘idéal’ que le « phénomène d’agence » permet de relativiser. Quand la direction délègue à un agent, celui-ci va acquérir une autonomie relative et ses décisions ne seront pas entièrement celles qu’auraient désirées la direction ou l’actionnaire. Cette perte d’information est appelée « coût d’agence ».

Mais la maximisation de son intérêt par un individu ne se limite en rien au profit. Une étude réalisée par l’auteur et Roland Bénabou montre trois motivations à la générosité : une conviction, une récompense, l’image de soi. « Nous avons modélisé ces trois composantes et conçu une théorie qui nous a permis de formuler des prédictions et de les tester expérimentalement. » Par exemple, on est plus généreux quand on se sait observé, en particulier par ceux à qui l’on souhaite plaire. Les incitations monétaires à la générosité sont donc plus efficaces pour des actes privés (qui ne sont pas observés par autrui) que pour des actes publics puisque l’intérêt qu’on en retire reste caché.

C’est par cette méthode d’expérimentation que l’économie se rapproche de la science (sans égaler la physique !) : partir d’un problème concret, en modéliser les mécanismes observés, déduire des hypothèses, les tester… « Les économistes s’intéressent aujourd’hui à tous les aspects de la vie de l’homme en société. » Ils sont tournés vers la prise de décision publique, en calculant les coûts et avantages d’une proposition. Par exemple, l’une des idées agitées par Jean Tirole est de moduler les cotisations chômage d’une entreprise en fonction de la durée réelle du chômage de la personne licenciée. Aux décideurs politiques de faire avancer la conception, voire de proposer de la tester. Intéressante approche qui évite les postures médiatiques.

CV de Jean Tirole
Jean Tirole prix Nobel
CNRS communiqué de presse
Dossier de presse
Notice Wikipedia
Méthode
Bibliographie
Les Echos
La finance d’entreprise
Le principe licencieur-payeur dans L’Express

Catégories : Economie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Claude Charbonnel, 1940 Passeport numéro 1

claude charbonnel 1940 passeport numero 1

Claude Charbonnel avait 17 ans lorsque la guerre-éclair a vaincu la France en quelques semaines, en juin 1940. Lycéen d’Auxerre de la sixième à la terminale, il a passé l’écrit du bac à Orléans, sur la route de l’exode, mais n’a jamais pu passer l’oral. Réfugié à Bordeaux, il est parti pour Londres. C’est là que, quelques mois plus tard, le consul de France lui a délivré le passeport numéro 1 afin qu’il puisse rallier les États-Unis où il avait obtenu une bourse de college via le Costa Rica.

Le jeune Claude a tenté de s’engager dans l’armée anglaise, vu le bordel ambiant grenouillant autour et contre De Gaulle à Londres en cette fin 1940. Trop jeune pour qu’on lui accorde de décider lui-même, et trop gênant en termes politiques pour un Churchill qui voulait se ménager une liaison entre la France occupée et la France en exil, il n’a été accepté nulle part. L’auteur, qui l’a vécu, témoigne que De Gaulle à l’époque n’était pas très attrayant pour un jeune Français refusant la défaite et soucieux de libérer la France. Officier renégat, général à titre seulement provisoire, condamné à mort pour trahison par le gouvernement français légal, De Gaulle avait peu de légitimité. Et pourquoi donc depuis Londres « le général Bethouard et ses 15 000 hommes échappés de Narvik et les 100 000 de Dunkerque étaient repartis en France » ? (p.13)

Refusé par les Anglais et mal pris par les gaullistes, il a fait agir un oncle au Costa Rica où il a fait quelques mois de pharmacie tout en montant une affaire d’import-export pour subsister. Lorsque les États-Unis après Pearl Harbor sont entrés en guerre,  « avec mes camarades fidèles à la Légation [de France au Costa Rica] nous nous engageâmes dans l’Armée d’Afrique, dont le Corps expéditionnaire était sous les ordres du général Juin, en Italie, et incorporé à la 5e Armée américaine du général Clark » p.73. C’était en juin 1943 et le jeune Claude avait 20 ans. Il suit l’instruction au camp de Fort Benning aux États-Unis avant d’être envoyé en Afrique du nord.

Il passera en Italie, sera blessé comme sous-lieutenant du côté de Naples, servira ensuite d’officier de liaison grâce à sa bonne connaissance de l’anglais, avant de débarquer en France en Provence, puis d’aller jusqu’en Allemagne. Débrouillard, il se confectionne un sac de couchage standard qu’il fourre de castor canadien dont il revendra la peau dix fois ce qu’il a payé à la fin de la guerre. Existence précaire et vie facile se succèdent, les relations et l’entregent ouvrant toutes les portes dans ce grand foutoir qu’est toute guerre, avec toutes ses armées, toutes ses susceptibilités et tous ses archaïsmes.

Non sans ironie l’auteur, qui en a beaucoup vu, pointe le retard mental français, ce mélange exaspérant de vanité et d’habitudes, ces trahisons par intérêt ou par orgueil, ce rationalisme « polytechnicien » qui se croit d’essence supérieure, ces Politiques qui se transforment vite en politiciens, puis en politicards, avant de finir en politocards pour certains. Il en veut à De Gaulle, dont il n’hésite pas à dire : « Personnellement, je me demande s’il fut bon que De Gaulle existât. (…) Churchill est grand, De Gaulle ne peut échapper à l’étroitesse, la mesquinerie, voire le grotesque de sa personnalité » p.68. C’est un peu sévère vu la suite de l’Histoire, mais ce ressenti à 20 ans, au ras du terrain, est un témoignage qui doit tempérer la belle légende dorée, politiquement reconstruite.

claude charbonnel photo 17 ans et 90 ans

L’autre bête noire du « génie français » dont l’auteur, pour les avoir beaucoup fréquentés, se moque, est le polytechnicien. Lui qui s’est fait tout seul, à l’anglo-saxonne, ne peut comprendre l’élitisme abstrait des crânes d’œuf qui, s’ils font parfois des administrateurs efficaces, ne sont ni des savants, ni des découvreurs. « Si l’on n’a pas eu le génie de pratiquer les mathématiques supérieures pendant trois ans, ou l’occasion de le faire, il faut accepter que le polytechnicien est, par définition, un être supérieur, et admettre qu’il vous regarde avec condescendance, souvent avec ironie (ou mépris si vous ne partagez pas son opinion. Une affaire qui nécessite l’assentiment d’un polytechnicien doit être présentée dans une structure familière. Préalable, premièrement, deuxièmement, et ainsi de suite. Pour aboutir, il faut lui faire croire que l’idée est la sienne. On lui propose donc en variantes quelques idées inacceptables et il choisit comme sienne celle que vous voulez lui imposer » p.245. Sous prétexte de logique cartésienne, nombre de décisions sont aberrantes. En témoigne le polytechnicien énarque – l’auteur le cite en exemple – Jean-Marie Messier (« moi-même maître du monde » avait coutume de dire le sujet, signant son site J6M).

Premier tome d’une vie bien remplie, Passeport numéro 1 a le mérite de nous replonger avec réalisme dans une période trouble de l’histoire de France, et surtout de la comparer avec ce qui se pensait ailleurs au même moment dans le monde allié. Depuis 1789, le pays s’est enfermé sur soi, se trouvant si beau en ce miroir qu’il ne veut rien savoir des évolutions des autres ni du monde. D’où les défaites successives : 1870, 1914, 1940, 1956, 1962. L’élite bourgeoise, catholique ou franc-maçonne, le plus souvent radicale ou socialiste, a clairement failli. C’est la leçon d’un jeune homme qui se penche avec verve, à 90 ans, sur ce qu’il a appris de la vie.

Claude Charbonnel, 1940 Passeport numéro 1, 2011, éditions Baudelaire, 277 pages, €19.27

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Brice Pelman, Attention les fauves

Article repris dans Medium4You.

Pierre Ponsard a toujours eu peur des enfants. C’est pourquoi peut-être il a pris le pseudonyme de Brice Pelman pour dire du mal d’eux dans des romans policiers populaires. Courts, secs, aux caractères tranchés, ses romans se lisent d’un trait, entre deux trains. Ce sont des romans de gare. Il en a écrit au moins 63 en quelques quarante ans. Ce Niçois né à Casablanca est considéré comme une star du polar des années 1970.

Il met en scène des personnages de caricature, ancrés dans leur statut « éternel » de la France d’alors. Un pays qui n’a pas bougé depuis l’origine de la République, peut-être. Il y a le gendarme qui roule les rrr et aspire à son pastis bien frais du soir ; la grenouille de bénitier au doux nom de Josepha qui surveille tous ses voisins et les racole pour l’église ; l’instituteur en blouse grise et aux mains de craie qui aime les enfants qui lui sont confiés tout en étant sévère sur l’accord des participes ; le riche entrepreneur qui s’est fait tout seul, sanguin et brute ; l’épouse frigide qui a toujours « la migraine » quand il s’agit de faire la chose ; la mère veuve, qui traduit des romans pour Paris, et que le petit monde de province juge « indigne » et aux « idées avancées ». Et puis il y a les enfants.

Ce sont deux onze ans, garçon et fille, faux jumeaux. Ils sont dans leur monde et ce qu’ils ne veulent surtout pas, c’est aller en pension. La nostalgie des ‘Choristes’ ne tient pas face à la réalité des collèges fermés gardés par de vieilles filles confites en religion – les « vrais » collèges de la réalité des années 1970. Les enfants sont capables de tout, croit l’auteur, surtout après 1968 où ils se sont « émancipés », dit-on. Face d’ange et âme de démon. Ou plutôt d’indifférence, comme la société d’alors figée en statuts et en représentations, qui ne voit que l’apparence.

Tout le roman est donc fondé sur l’apparence. Du voisin venu parler de la départementale au faux amour qui devient viol meurtrier, de la découverte par les enfants du corps étranglé jusqu’à leur décision de ne rien dire à personne, de l’angine inventée de la mère à son départ en voyage, des adultes menés en bateau ou dans un puits. La respectabilité craque, chacun se révèle tel qu’il est : des mains d’étrangleur, une obstination de vieille bique, la haine de tante qui croit avoir des droits, l’homme pressé polytechnicien qui se débarrasse des enfants en les appelant ses « anges ».

Les caractères sont sommaires, l’écriture basique, la construction au fil de la plume. Ces enfants sont-ils de vrais enfants ? Leur absence de sentiments et leur jeu de rôle apparaît bien fabriqué, mais qui sait… Son public d’auteur est primaire et il le sait, son succès d’époque vient de là. Il est oublié aujourd’hui. Fallait-il le rééditer ? La collection ‘Noir rétro’ est faite pour ça, qui reprend les succès de ‘Fleuve noir’. Mais Brice Pelman écrit en série comme sortent les autos des chaînes ou les appartements de béton de ces années là. Nous replongeons dans une France archaïque, celle des fameuses Trente glorieuses tant regrettées, dit-on. Et nous ne sommes finalement pas mécontents d’avoir évolué…

Reste que l’on ne s’ennuie pas à lire cette courte série qui ne dépasse guère les 180 pages imprimées gros. L’impression de lire un roman d’adolescent : de l’action, presqu’aucune description, pas de psychologie sauf à la serpe et une intrigue intrigante. Pour les nostalgiques qui voudraient savoir ce qu’étaient la France et les Français il y a trente ans seulement.

Brice Pelman, Attention les fauves, 1981, Noir rétro Fleuve noir Plon, 2010, 180 pages, €8.55

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,