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Amour et science

Ah, l’Hâmour ! comme disait Flaubert pour se moquer de l’exaltation enfiévrée romantique sur ce sentiment somme toute banal, éminemment courant, et qui s’applique au chocolat, à la femme aimée, au fils chéri et à la Vierge Marie. La langue française mélange tout sur l’amour ; elle n’a presqu’un mot pour ça. La science creuse la question depuis qu’existe l’imagerie cérébrale, bien plus efficace que la psychanalyse pour analyser la libido, des pulsions à l’amour en passant par le désir. Virginie Moulier, « docteur » en neurosciences comme elle se présente elle-même (et non pas doctoresse ou docteureue), signe un article sur L’imagerie cérébrale met le désir à nu dans le numéro 34 des Essentiels de la revue La Recherche de juin-août 2020 consacré au cerveau.

Le désir passé au scanner par résonance magnétique fonctionnelle et en tomographie par émission de positrons montre que tout un réseau de régions corticales et sous-corticales est activé de façon organisée lors d’une excitation sexuelle visuelle, olfactive ou scénarisée. Hélas pour les simplistes : il n’existe pas de zone unique du désir, pas de bosse du sexe comme une bosse des maths. Le modèle théorique induit comporte quatre composantes : cognitive, émotionnelle, motivationnelle et physiologique : de l’intelligence à l’instinct en passant par l’affect, ou de l’âme au corps via le cœur pour parler chrétien.

Le cerveau évalue tout d’abord le stimulus comme sexuel ou non et augmente son attention sur le sujet : nous sommes dans le cognitif. Si c’est le cas, intervient une phase d’imagerie motrice où il se projette dans un acte sexuel via les fantasmes. L’émotion nait du plaisir qui vient alors et correspond à la montée de l’excitation, une dialectique entre le corps qui change (bande ou mouille, les tétons qui s’érigent, la peau plus sensible, les lèvres chaudes…). La motivation dirige le comportement vers l’objet du désir. Enfin la composante physiologique prépare le corps à l’acte sexuel par l’accélération du cœur, la respiration plus courte et le déclenchement d’hormones. La boucle est bouclée, du cortex orbitofrontal latéral droit aux cortex temporaux inférieurs, les lobules pariétaux supérieurs, les régions motrices, l’insula et l’amygdale, les aires somato-sensorielles gauches, le gyrus cingulaire antérieur gauche, le claustrum, la substance noire et le striatum ventral, jusqu’au putamen et l’hypothalamus. En bref tout un réseau neural !

« L’amour serait ainsi une représentation plus abstraite des expériences sensori-motrices agréables qui caractérisent le désir », résume l’auteur. Il n’y a donc aucune automaticité au désir ni aucun tropisme « naturel » envers son objet. Tout est question de culture, d’habitus social, de formation émotionnelle de l’enfance à l’adolescence. Et c’est le cerveau qui déclenche le tout, pas le sexe.

L’absence de désir sexuel – chez les hypoactifs – active de façon anormale le cortex orbitofrontal médial entre les deux sourcils. Comme s’ils étaient inhibés (les sujets actifs le désactivent) et qu’il fallait « un certain lâcher-prise » pour que le désir sexuel s’épanouisse. Les expériences de la vie auraient rompu le lien entre désir sexuel et plaisir, dévalorisant les stimuli sexuels, ce que Freud appelait grossièrement le Surmoi. Les religions (notamment celles, autoritaires, du Livre) et la pression sociale patriarcale du surveiller et punir réprimeraient ainsi le désir sexuel, rendant hypoactifs par leurs interdits nombre de sujets.

De même, ceux qui sont attirés sexuellement par les enfants (les prépubères), auraient moins d’émotion dans l’excitation, comme le montre une diminution du volume de l’amygdale, ce qui les empêcheraient de voir une personne dans l’objet de leur désir. Avec pour conséquences pour les victimes d’abus dans une société où la réprobation morale est plus intense qu’ailleurs ou en d’autres temps : vers 18 ans, des troubles dépressifs majeurs , une anxiété d’identité de genre, une toxicomanie compensatoire et des comportements suicidaires dus à la dévalorisation de soi. Ainsi Belle de jour fait la pute et la science explique le romancier psychologue.

En bref, l’amour est autre chose que le coït des caniches, et bien plus compliqué en l’être humain que la simple « nature ». Quant aux interdits, qu’ils soient cléricaux ou bourgeois, ils n’aident en rien à grandir et à s’épanouir sexuellement.

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Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014

La Banque de Suède vient d’attribuer son prix en l’honneur d’Alfred Nobel au Français Jean Tirole, 61 ans. Il avait déjà obtenu la médaille d’or du CNRS en 2007.

Jean Tirole est un économiste polytechnicien, donc intelligent ; il a travaillé aux États-Unis et en France, donc ouvert ; il s’intéresse aux sciences annexes à sa discipline, donc créatif. Dans un entretien accordé en 2007 à la revue ‘La Recherche’ (n°414, décembre), il décrit l’économie comme un réseau de relations humaines. Contrairement aux naïfs ou aux sectaires qui considèrent le commerce entre les hommes comme « vil », avec un reste de mépris Ancien Régime pour ceux qui doivent gagner leur vie, Jean Tirole utilise la théorie des jeux et la théorie de l’information – qui modélisent les relations – pour faire avancer l’étude.

JEAN TIROLE

Le point commun entre les industries de réseau, le marché du travail, le système bancaire, les bulles spéculatives, la prise en compte de l’environnement – tous sujets pour lui d’examen – est dans la méthode. Certes, la mathématisation du monde ne vaut pas décision ; certes, le modèle du choix « rationnel » des acteurs n’est qu’approximation ; mais l’abstraction mathématique est un outil utile pour poser logiquement des problèmes concrets et tenter de relier chaque dérive individuelle à une situation-type. La modélisation fait appel au droit, à la science politique, à la sociologie, à la psychologie : « on connaît par exemple la manière dont une personne arbitre entre un plaisir pour aujourd’hui et un coût pour demain. Manger gras ou sucré, fumer, rouler trop vite, dépenser plutôt qu’épargner (…) sont marqués par l’absence de cohérence temporelle (…) que les psychologues décrivent précisément. » Et les neurosciences pourront peut-être permettre des avancées, l’imagerie cérébrale observant les régions du cerveau activées lors d’un choix.

La macroéconomie peut être considéré globalement comme une résultante de comportements microéconomiques (même si le tout est toujours plus que la somme des parties – ce que semble laisser de côté un peu trop volontiers l’auteur). Pour lui, l’accès d’une entreprise au crédit s’analyse par la théorie de l’information : celle-ci est asymétrique entre le chef d’entreprise et la banque. De même, le taux d’épargne ou la politique publique du crédit ne serait que la résultante des milliers de choix individuels. La maximisation du profit n’est également qu’un ‘idéal’ que le « phénomène d’agence » permet de relativiser. Quand la direction délègue à un agent, celui-ci va acquérir une autonomie relative et ses décisions ne seront pas entièrement celles qu’auraient désirées la direction ou l’actionnaire. Cette perte d’information est appelée « coût d’agence ».

Mais la maximisation de son intérêt par un individu ne se limite en rien au profit. Une étude réalisée par l’auteur et Roland Bénabou montre trois motivations à la générosité : une conviction, une récompense, l’image de soi. « Nous avons modélisé ces trois composantes et conçu une théorie qui nous a permis de formuler des prédictions et de les tester expérimentalement. » Par exemple, on est plus généreux quand on se sait observé, en particulier par ceux à qui l’on souhaite plaire. Les incitations monétaires à la générosité sont donc plus efficaces pour des actes privés (qui ne sont pas observés par autrui) que pour des actes publics puisque l’intérêt qu’on en retire reste caché.

C’est par cette méthode d’expérimentation que l’économie se rapproche de la science (sans égaler la physique !) : partir d’un problème concret, en modéliser les mécanismes observés, déduire des hypothèses, les tester… « Les économistes s’intéressent aujourd’hui à tous les aspects de la vie de l’homme en société. » Ils sont tournés vers la prise de décision publique, en calculant les coûts et avantages d’une proposition. Par exemple, l’une des idées agitées par Jean Tirole est de moduler les cotisations chômage d’une entreprise en fonction de la durée réelle du chômage de la personne licenciée. Aux décideurs politiques de faire avancer la conception, voire de proposer de la tester. Intéressante approche qui évite les postures médiatiques.

CV de Jean Tirole
Jean Tirole prix Nobel
CNRS communiqué de presse
Dossier de presse
Notice Wikipedia
Méthode
Bibliographie
Les Echos
La finance d’entreprise
Le principe licencieur-payeur dans L’Express

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