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Jules Vallès, L’Enfant

Premier tome de la trilogie romancée de son autobiographie, Jules Vallès se met en scène sous les traits de Jacques Vingtras (mêmes initiales), de sa naissance en juin 1832 à 16 ans en 1848. Bien qu’il écrive au présent pour qu’on s’y croie, le personnage n’est pas lui. Il est l’enfant vu par la distance critique de l’âge (la quarantaine avancée) et à la lumière de la Commune de 1871 puis de la IIIe République qui suit. Il s’est rendu unique bien qu’il soit le troisième enfant du couple ; les deux autres sont occultés pour l’acuité de l’épure.

Les derniers lecteurs à pouvoir comprendre ces mœurs et cette époque sont encore vivants aujourd’hui car il subsistait de ces Folcoche abusives jusqu’avant les années post 1968, où la société a radicalement changé de paradigme. Seuls ceux qui ont vécu leur enfance au début des années soixante encore ont pu avoir une mère telle que décrite et un père fonctionnaire humilié tel qu’il est présenté. La mère est obsédante, l’enfant la craint, voire la hait car elle le bat par principe (on dit qu’elle « le corrige ») et le lave tout nu à grands coups de bassine d’eau froide dans la cuisine ; l’adolescent puis l’adulte la comprennent et pardonnent. Cette Julie, sortie de la paysannerie par son mariage avec un petit intello fonctionnaire, aspire à la bourgeoisie. Elle méprise ouvertement artisans et commerçants de la « petite » classe pour viser à la « moyenne », celle qui pose en société, le milieu cultivé. Ne travaillant pas comme le font les paysannes, les ouvrières et les commerçantes, sa seule activité valorisante est de « dresser » son moutard et de « tenir » la maison (et les cordons de la bourse). « Qui remplace une mère ? Mon Dieu ! une trique remplacerait assez bien la mienne » p.212 Pléiade.

Méfiante, avare, elle veut le mieux pour faire réussir l’enfant et, pour cela, il faut le « contraindre » – pour son bien. Tout ce qui est nature est proscrit, tout ce qui est domptage social requis. Voudrait-il avoir la liberté du corps ? On l’enferme dans des cols et des redingotes, on lui interdit de sortir jouer avec les petits du peuple, on l’enferme en classe et étude. Aime-t-il les poireaux ? On lui refuse. Déteste-t-il les oignons ? On le force. Nourri au gigot la première semaine du mois, cuit, réchauffé, froid, en hachis, en boulettes, le gamin est vigoureux et « râblé » ; il « a du moignon » (du muscle) et aime s’en servir. Dès 11 ans, il en remontre à ses cousines paysannes en sautant à pieds joints une barrière ; à 14 ans il porte les bagages ; à 15 ans il séduit (sans le vouloir laisse-t-il entendre) Madame Devinol, une femme mariée qui l’emmène à la campagne pour lui faire son affaire avant que, cocasserie où l’ombre de la mère paraît, sa classe de collège en goguette reconnaisse à l’entrée son chapeau prétentieux imposé par maman et interrompe l’idylle.

Le jeune Jacques/Jules aime la liberté, la nature, l’espace. Il est contraint par les convenances, les vêtements, la maison et le collège. Il se trouve enfermé et angoisse, ne s’évadant que par les livres, Robinson Crusoé enfant, le récit des grands hommes adolescent, puis celui de la Révolution. A 8 ans il ôte sa cravate pour aller col ouvert embrasser sa tante qui sent si bon ; à 11 ans sa cousine un brin amoureuse de sa vigueur lui fourre un bouquet souvenir à même sa peau nue par le col de sa chemise ouverte. L’enfant est énergique, sensuel. « Cet air cru des montagnes fouette mon sang et me fait passer des frissons sur la peau. J’ouvre la bouche toute grande pour le boire, j’écarte ma chemise pour qu’il me batte la poitrine » p.232.

Quant à son père, il est distant, il est « pion » même à la maison. Faible devant sa femme, il a peu de moments complices avec son fils. Celui-ci, dans le même lycée où il enseigne, peut lui faire honte et entacher sa carrière besogneuse, peu reconnue. « Je m’étais rappelé tout d’un coup toute l’existence de mon père, les proviseurs bêtes, les élèves cruels, l’inspecteur lâche, et le professeur toujours humilié, toujours malheureux, menacé de disgrâce ! » p.345. Si le gamin n’est pas mauvais en thème grec et en version latine, s’il comprend la géométrie parce qu’un maçon italien réfugié lui a montré avec les mains, il n’accroche à aucune abstraction, ni mathématique, ni philosophique, ni religieuse. Qu’il faille énumérer « les preuves de l’existence de Dieu » ou « les sept facultés de l’âme » le laisse froid ; d’ailleurs il pourrait y en avoir huit – ce qui lui fera rater son bac la première fois. Il préférerait comme ses oncles la vie à la campagne, « se dépoitrailler aux chaleurs comme un petit vacher » ou manier les outils d’artisans. L’exemple de son père ne lui fait aucune envie : « bien » travailler et « dur » – pour ça !

La famille à trois suit la carrière de Monsieur le professeur, d’abord répétiteur puis agrégé, du Puy à Saint-Etienne, enfin à Nantes. Le fils est envoyé à Paris à 15 ans après l’histoire de femme revenue aux oreilles du proviseur qui a conseillé à son père d’éloigner le scandaleux. L’adolescent découvre Paris, la pension minable certes, où il n’est pris que pour gagner les concours comme un veau de comices, mais aussi les copains avec qui il sort au café et déambule sur les boulevards. Et puis le journalisme sous les traits d’un républicain farouche qui loge son ami de collège et avec qui il découvre le peuple révolutionnaire (qui ressemble aux siens) ainsi que les fracas et senteurs de l’imprimerie. Au bout d’un an, sa mère vient le chercher pour qu’il retourne à Nantes ; il a quelques duvets de moustache et a beaucoup grandi. Ses vêtements confectionnés à la maison dans des chutes de vieux tissus le rendent ridicule et il exige, cette fois contre sa génitrice, un costume sur mesure.

Il a trouvé à Paris comment briser les chaînes de servitude qui lient l’individu, la famille et la société, l’enfant dressé contre sa nature pour « arriver », l’éducation idéologique qui force l’adhésion sociale, les postes conquis par l’entregent et le piston. Tout cela est décrit en phrases simples, charnues, qui reviennent vite à la ligne. Une ironie féroce court dans les descriptions de maman, l’auteur affectant de prendre son parti tout en montrant ses ridicules prétentions en même temps que son illusion de bien faire son travail de mère en le taillant, le dressant et le corrigeant pour son bien.

Une grande œuvre sur un moment de l’éducation enfantine – mais aussi sur un moment de l’évolution sociale.

Jules Vallès, L’Enfant, 1876 revu 1884, Folio 2000, 416 pages, €7.50

Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00

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Meurtre par procuration de Freddie Francis

Psycho-thriller en noir et blanc de la Hammer sur une scénario de Jimmy Sangster, le film part d’une première moitié assez conventionnelle pour trouver son originalité dans la seconde. Janet (Jennie Linden) est une jeune orpheline en pensionnat pour ses études et qui fait d’horribles cauchemars presque toutes les nuits. Au point d’indisposer ses copines de dortoir. Sa surveillante Mary Lewis (Brenda Bruce) en rend compte à la direction qui contacte son tuteur, l’avocat Henry Baxter (David Knight). Celui-ci la fait revenir à la maison, un château aux nombreuses pièces dans un labyrinthe d’escaliers, héritage de la jeune fille.

Car son père a été poignardé par sa mère dans un instant de folie lorsque Janet a eu ses 11 ans ; c’était le jour de son anniversaire. Jusque-là fillette enjouée et facile, Janet s’est précipitée dans la chambre de sa mère au retour d’une promenade pour lui donner des fleurs qu’elle venait de cueillir avant de déguster le gâteau d’anniversaire pour le thé. Elle la voit le couteau à découper le gâteau à la main au-dessus de son père sanglant, la poitrine crevée. Elle hurle en continu, immobile, jusqu’à ce que la gouvernante Madame Gibbs (Irene Richmond) ne la prenne dans ses bras. Depuis, Janet a ces cauchemars récurrents dans lesquels sa mère l’attire dans une pièce pour la faire enfermer, la convaincant qu’elle aussi deviendra folle car « c’est dans les gènes ». Cette hantise va enfiévrer l’imagination de la jeune fille et la persuader que les abimes de la folie la guettent.

Son tuteur Henry, qui a bien envie de profiter de la fortune de Janet, sa mère étant enfermée à l’asile, engage une infirmière, Grace Maddox (Moira Redmond), comme dame de compagnie pour Janet. Mary, qui l’a accompagnée depuis l’école parce qu’elle s’est attachée à elle, est rassurée. Lorsque John (George A. Cooper), le chauffeur et homme à tout faire du château la remmène au train, elle croit que tout va bien se passer pour Janet, revenue à la maison avec des gens attentifs qui l’aiment.

Mais c’est faux, c’est là que tout se dérègle. Janet poursuit ses cauchemars, plus forts depuis que les innombrables pièces, les couloirs et les recoins d’ombre augmentent les occasions d’imaginer. Elle croit voir une femme vêtue de blanc qui la regarde, sa poignée de porte tourner ; elle se retrouve au réveil sans son pantin fétiche, sa porte déverrouillée (le coup de la clé est une performance) et un couteau à découper tourné vers elle. Le médecin de famille, convoqué, demande son internement pour qu’elle soit traité en psychiatrie mais Henry le tuteur refuse. Il a ses raisons pour cela. Mais il promet de faire venir un expert psychiatre de la faculté pour examiner Janet.

Le spectateur se rend compte de ces raisons manipulatrices lors de la fête d’anniversaire de Janet où tout le monde est convoqué, le médecin, l’expert, la dame de compagnie-infirmière, la gouvernante et le chauffeur – et bien entendu Henry et sa femme. Un couteau à découper est posé à côté du gâteau, le même que celui de ses 11 ans. Lorsque son tuteur appelle sa femme pour lui présenter, Janet se rend compte avec horreur que c’est la même personne que le fantôme qui hante ses cauchemars depuis son retour au château. Son esprit malade disjoncte, sa main s’empare du couteau à découper et elle poignarde la femme comme sa mère a poignardé son père. Fin du drame : elle est enfermée comme sa mère à l’asile.

Henry Baxter peut enfin jouir de la fortune de sa pupille et se marie avec la dame de compagnie-infirmière – dont on se rend compte très vite qu’elle l’a aidée dans son projet. Mais voilà que le complot rebondit. Une mystérieuse femme vient se mettre entre eux dans le couple à peine marié depuis quatre jours. Ce sont des coups de téléphone sibyllins d’une correspondante qui ne veut pas dire son nom, puis le barman de l’hôtel de leur lune de miel qui « reconnait » Baxter et veut servir un verre comme à « l’autre femme ». Même si Henry jure à Grace n’être jamais venu ici avant, cela fait désordre. Grace est jalouse mais elle est femme de tête, elle jure à son mari que « cette fois elle ne se laissera pas faire ». Elle réussit à se persuader en effet qu’il veut rejouer avec elle ce qu’il a joué avec Janet.

Dès lors, tout va se précipiter dans un huis-clos au retour au château qui se résoudra par un final en complet retournement où Mary ressurgit, le bien triomphe du mal, la réalité des apparences, Janet restant la victime de son histoire familiale mais, cette fois, traitée en hôpital par les psychiatres. Tout en ombres épaisses et en bruits suspects, ce film distille une atmosphère oppressante où les hallucinations prennent l’air de la réalité et inversement, saisissant le spectateur aux tripes.

DVD Meurtre par procuration (Nightmare), Freddie Francis, 1964, avec David Knight, Moira Redmond, Jennie Linden, Elephant Films 2017, 1h18, €16.99 blu-ray €19.99

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Adolescence au temps du Covid

Macron a recausé dans le poste le mardi 24 novembre à 20 h. Il est beaucoup trop long et trop verbeux, son message politique se brouille. Qu’il laisse donc les détails aux ministres ! Le citoyen a l’impression non d’un discours à la nation mais d’un rapport de présentation à une société comme j’en ai entendu de nombreux au cours de ma carrière : des chiffres qui ne prouvent pas grand-chose, des arguments de spécialistes, une kyrielle de remerciements démagos. Un quart d’heure aurait suffi pour faire le point, fixer les étapes et donner les grandes orientations politique – le reste n’est qu’accessoire. Au lieu de se répandre en bavardage, comme cet incongru « ouvrez les fenêtres toutes les heures ». Ce n’est pas son rôle de président. En tout cas, le message est clair : pas de déconfinement avant le 15 décembre « si les conditions sanitaires, etc. » et aucun retour à une certaine normalité avant le 20 janvier au moins, début février pour les universités !

Les autorisations autorédigées infantiles subsistent. La stupidité technocratique en plus comme ces « 30 personnes » dans les lieux de culte, quelle que soit la taille du lieu ! Le retoquage du Conseil d’Etat est une réaction de bon sens que l’on aurait aimé voir aux ministres, à commencer par le premier… Il y a encore ces stations de ski « ouvertes » mais privées de remonte-pentes, situation aussi stupide qu’une valise sans poignée ou qu’une messe sans Elévation. Les fonctionnaires prennent vraiment les citoyens pour des cons, Castex est le premier chef de cette armada de parasites qui se gaussent de la paille du calibrage des bananes « à Bruxelles » alors qu’ils ne se rendent même pas compte de la poutre de leurs prescriptions absurdes depuis Paris. Comme si les pistes de ski étaient plus contaminantes que les trottoirs des métropoles !

Il s’agit en fait de lâcheté politique : surtout ne pas frustrer les lobbies des stations et des sacro-saintes « vacances scolaires » des bobos tout en maintenant un semblant d’isolement sanitaire global juridiquement inattaquable. Une demi-mesure fait deux fois plus de mécontents, c’est la rançon de la lâcheté. D’autant que s’entasser en bas des pistes sans bar, ni restaurant, ni discothèque, ni sport en salle, ça sert à quoi ? A augmenter la proximité entre les personnes ? Et, depuis plus de six mois, nul fonctionnaire « de la santé » n’a mesuré la contamination du Covid à 2000 m, ce serait trop rationnel sans doute. Il s’agit d’exercer son pouvoir mesquin, pas de gérer le pays. De toutes façons, ils seront payés pareils alors pourquoi prendre une quelconque responsabilité ? J’enrage de cette bêtise qui n’a jamais failli depuis les théoriciens en chambre de « la Révolution » et fustigée par Courteline. A quand le retour aux département carrés et au décadi pour (télé)travailler ?

Quant au « quoi qu’il en coûte », plus ça dure, plus ça coûte cher – et les impôts futurs se profilent. Seul le travail produit la richesse, pas « l’argent ». Payer les gens à rester chez eux est contreproductif. La dette explose, les industries licencient, les commercent ferment, les petits boulots se multiplient, précaires, peu payés, incertains. Contrairement à l’idéologie flemmarde des « 35 heures » et des « écologistes » de théorie, ce n’est pas vivre mieux que de travailler moins : c’est obtenir un niveau de vie plus bas. Ce doit donc être un choix et ne pas être imposé à tous comme un oukase venu d’en haut. Que l’on fasse des études (qui créent de l’emploi) pour savoir si un commerce de dix mètres carrés avec quota de clients en même temps et gestes barrière est plus nocif qu’un trottoir encombré de fumeurs, joggeurs, bouffeurs et téteurs de gourde qui ne portent pas le masque ou seulement sous le nez. Ils n’en n’ont rien fait : interdire est plus simple.

En voyant un très jeune voisin de ma banlieue qui sort de chez lui en courant pour attraper le RER qui le mènera au collège, la gorge découverte de s’être trop pressé de s’habiller, le masque enfilé sur la tronche comme un slip, les cheveux trop longs faute de coiffeur autorisé, les yeux trop bleu égarés par l’angoisse d’être en retard, je songe que le Covid va retirer aux collégiens, aux lycéens et aux universitaires deux ans de leur vie normale. Cet état de fait touche moins les primaires, heureux en enfance, mais beaucoup plus ceux entre 11 et 25 ans, âge où l’identité se construit, où l’on se mesure avec les pairs, où se compose l’estime de soi. Que vaut un bac 2019 sur notes de contrôle en deux trimestres ? Va-t-on s’en gausser durant dix ans comme après le bac 1968 ? Que vaut une année scolaire 2020-2021 enserrée entre gel, masque, distance, demi-groupes, Internet obligatoire après l’école ? Pour ce gamin de 11 ans que j’ai vu grandir, deux années représentent un cinquième de sa vie jusqu’à présent. C’est beaucoup.

Quant à son frère aîné, qui vient de franchir en quelques mois deux étapes du passage à l’âge adulte, le bac et le permis, il est frustré depuis un mois de sa copine connue (bibliquement mais contre l’Eglise) lorsqu’il n’avait pas même 15 ans. Il a entamé une première année d’université croupion sans préparation, laissé à lui-même par les cours sans prof, mépris à distance, et les bibliographies à consulter sans bibliothèques. Il n’aura que six mois de février à juillet pour valider son année on ne sait d’ailleurs trop comment en apprenant tout seul, en s’organisant dans son coin, avec un réseau Internet peu vaillant et saturé. Les fameux MOOC (massive open online course – cours ouverts à tous en ligne) dont on faisait grand cas il y a dix ans sont des monuments rébarbatifs où il faut suivre dans la durée sans être aidé. De qui se MOOC-t-on ?

Je les regarde pousser et je me dis qu’il n’est pas facile d’être adolescent aujourd’hui. L’avenir est incertain, les études ardues, l’emploi compromis, la solitude assurée. Heureusement que la famille, réunie par la force du confinement, forme nid. Dans le meilleur des cas (qui est le leur). Mais les autres ?…

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Vladimir Nabokov, Autres rivages

L’auteur, né un an avant son siècle, a vécu la première moitié bouleversée par les révolutions et les autoritarismes doctrinaires. Il écrit son roman autobiographique d’une plume à la fois nostalgique et magique. Il soigne son expression, précise les mots d’une prose gracieuse, allusive, lyrique, précise.

Il avait publié quelques textes de souvenirs qu’il a rabouté au fil des années pour les publier en 1951 aux Etats-Unis avant de les traduire en russe en 1954 en les améliorant du fait des particularités de la langue et de son public, puis de les compléter en 1967 lors d’un retour en Europe où il a pu rapprocher des souvenirs de famille.

Ces « autres rivages » sont ceux, perdus, de l’enfance et de l’adolescence, de cette Russie du tsar où la vie était certes rude mais où la liberté de penser et de s’exprimer était incomparablement plus grande qu’elle ne fut ensuite, sous le fanatique Lénine comme sous le brutal Staline. Nabokov ressuscite un monde dans sa mémoire, son monde de fils de nobles éduqué en trois langues (il a su écrire l’anglais avant le russe), aîné préféré de ses parents cultivés, aimants et attentifs, au père libéral, constitutionnel démocrate (KD ou cadet) et à la mère férue de poésie. Parmi ses ancêtres figurent, côté maternel, la baronne allemande qui prêta sa berline au roi Louis XVI lors de sa fuite à Varennes et, côté paternel, un amiral de la flotte ruse d’Extrême-Orient.

Sans rester linéaire mais par cycles thématiques, Vladimir décrit ce qui subsiste en sa mémoire des moments intenses de son enfance et de son adolescence à la datcha de campagne, dans la ville de Saint-Pétersbourg, sur les plages de Biarritz ou de la Méditerranée, à Berlin ou à Cambridge où il étudia trois ans avec son frère Serguei après la révolution bolchevique. L’œuvre va de l’éveil de l’auteur à l’éveil de son fils unique et adoré, Dmitri, 6 ans en mai 1940 lorsque le couple quitte Saint-Nazaire par un paquebot transatlantique, juste avant le déferlement des chars nazis et la fin de cette autobiographie.

Gouvernantes et précepteurs, frère et cousins, condisciples d’école, amours d’enfance et de jeunesse défilent, ses lectures, de Mayne Reid à Madame Bovary, tandis que sont développées les sports comme le vélo, la nage, le foot et le tennis, mais surtout la chasse aux papillons, une passion avant celle d’écrire des poèmes, consumé par le lyrisme des hormones entre 14 et 17 ans. L’enfant a de la mémoire, l’adolescent est capable de composer dans sa tête puis de réciter d’une traite son œuvre achevée devant sa mère, attendrie et émerveillée, qui en pleure. Il se tourmente à 13 ans pour son père, qui a provoqué en duel un directeur de journal dont un gratte-papier a insulté ses idées ; quand Vladimir apprend que le duel n’aura pas lieu et que les excuses, présentées, sont acceptées, il implose d’angoisse évanouie et la grande main fraîche de papa, qui comprend, lui est une preuve d’amour infinie.

La mémoire est comme un cheval qui paresse ou s’emballe et que l’on doit maîtriser. L’expression se fait alors d’une précision d’entomologiste, ne lâchant les rênes de l’émotion qu’à demi, en des phrases ciselées qui demandent au lecteur sa complicité. Ainsi, à 11 ans à Berlin, dans une salle de patins à roulettes, une jeune Américaine le trouve « mignon » et, la nuit suivante, Vladimir en songeant « à sa taille flexible et à sa gorge blanche » s’inquiète « à propos d’un malaise bizarre que je n’avais alors jusque-là associé qu’avec le frottement irritant d’un caleçon ». Il parle avec ses parents de « ce malaise déconcertant » et son père répond en anglais « (… façon de parler qu’il adoptait souvent quand il ne savait pas s’en sortir autrement) : ‘C’est là, mon petit, tout simplement un exemple de plus de ces combinaisons absurdes de la nature, comme la honte et la rougeur, ou le chagrin et les yeux rouges’ » X3 p.1318 Pléiade. N’est-ce pas délicieux ? La façon d’aborder l’éveil de la sexualité chez un garçon de 11 ans, son ingénuité à en parler à ses parents, la réponse toute délicate et ouvrant à des réflexions apaisantes de son père ?

Plus tard, il évoquera d’une même façon la réalisation de son premier accomplissement sexuel à 16 ans, dans les bois de la propriété de campagne au sud de Saint-Pétersbourg, avec celle qu’il appelle Tamara : « Dans une certaine pinède, tout se passa de façon idéale, j’écartais l’étoffe des fantasmes, je goûtai à la réalité » XII1 p.1337. Comme quoi des parents aimants transmettent par mimétisme leurs façon d’être, de dire et de faire à leurs rejetons.

Ce qui ne va pas parfois sans un humour féroce. Comme sur Hitler lorsqu’il laisse son fils évoluer dans une Benz à pédales sur les trottoirs du Kurfürstendamm « tandis que, de fenêtres ouvertes sortait le rugissement amplifié d’un dictateur toujours en train de se marteler la poitrine dans la vallée de Neander que nous avions laissée loin derrière nous » XV2 p.1396. (Rappelons aux peu lettrés que l’homme de Neandertal, homo sapiens neandertalensis, dont les premiers restes ont été trouvé dans la vallée de Neander, était un membre du genre homo plus fruste et moins évolué du cerveau que nous, homo sapiens sapiens).

Nabokov avait pour modèle Chateaubriand lorsqu’il sculpta ces mémoires sur un autre rivage que celui de la vieille Europe embrasée par le feu et le sang. Mais il n’écrivait pas d’outre-tombe, il était bien vivant ; il écrivait pour témoigner d’une vie ancienne, sur l’autre côté du rivage, et combien ce monde pouvait avoir été bon, enrichi par sa culture multiple européenne.

Une grande œuvre.

Vladimir Nabokov, Autres rivages, 1951-1967, Folio 1991, 416 pages, €9.90

Vladimir Nabokov, Œuvres romanesques complètes tome 2, Gallimard Pléiade 2010, édition de Maurice couturier, 1755 pages, €76.50

Vladimir Nabokov chroniqué sur ce blog

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Guy Chaussinand-Nogaret, Casanova

Giacomo Casanova n’est pas Dom Juan défiant Dieu, encore moins ce sex machine qu’un certain cinéma des années post-68 a voulu voir. Enfant de Venise, orphelin frustré d’amour, il n’a cessé de chercher la femme idéale dans toutes celles qu’il rencontrait – notamment les jeunes et jolies. Guy Chaussinand-Nogaret, historien spécialiste des Lumières et Directeur d’études honoraire de l’EHESS, a le mérite de replacer l’existence et la façon de vivre de Casanova dans son époque.

Car les Lumières, si elles sont celles de la raison, sont aussi le réveil des forces obscures de l’occultisme et des superstitions qui allaient donner le romantisme au siècle suivant. L’époque sentait obscurément sa fin venir et l’aristocratie mettait l’honneur non plus à défendre la vertu, comme au XVIIe siècle, mais à se poser au-dessus des lois et des mœurs pour affirmer ses privilèges d’exception. Casanova le libertin n’a fait que se couler, avec délices et talent, dans ce courant. Tout comme les soixantuitards se sont coulés dans l’idée sexe pour tous, y compris pour les enfants impubères. Giacomo n’hésite pas offrir ses appâts à la bouche gourmande d’une novice de 12 ans initiée au saphisme par une nonnette qui a couché avec lui (p.328). « Il ne peut être dissocié du siècle qui l’a produit, il est daté », précise l’historien p.91.

Ces frasques candides de l’amoralisme ambiant ne sont pas de la perversité. Casanova aime l’amour ; il a besoin de sentiment pour accomplir l’acte. L’objet de son désir n’est jamais réduit au rang de poupée gonflable qu’on jette une fois utilisée. Guy Chaussinand-Nogaret, en historien scrupuleux de vérifier l’Histoire de ma vie, le réaffirme à maintes reprises. « Il ne conçoit pas le plaisir sans le désir et l’émotion, sans l’effusion partagée de deux cœurs aimants » p.42. Casanova propose plusieurs fois le mariage mais, repris par son besoin de liberté, rompt non sans avoir doté la fille ou trouvé un mari. Il laissera plusieurs bâtards qu’il sera amusé de retrouver grandis, comme ce fils de 15 ans qui lui tombe du ciel, ou cette fille de 18 qu’il a failli épouser… avant de rencontrer sa mère et de s’apercevoir de l’impossibilité. Ce qui ne l’empêchera pas de tenter de lui faire un enfant, des années plus tard, alors que, mariée à un vieillard, la belle Léonilde se languit de ne pas être mère. Il est malice adolescente gouverné par l’insouciance et le bon appétit, en toute innocence, pas un démon du mal.

C’est que « la morale » est celle d’une religion confite dans le dogme et ignorante du texte réel des écritures saintes comme des besoins qui évoluent dans la société. Les inquisiteurs du Conseil des Dix à Venise comme la police des mœurs en Espagne catholique sont l’équivalent hier des inquisiteurs islamiques sunnites de Daech ou chiites en Iran aujourd’hui. A force d’être immobile et d’interdire, le volcan gronde ; il explosera brutalement à la fin du XVIIIe siècle avec les révolutions qui balaieront l’ancien monde et la religion avec. A trop vouloir contrôler, on finit par tout perdre.

A l’inverse, la croyance fondamentale du siècle des Lumières, résolument optimiste, est selon l’historien que « le bonheur de l’humanité n’est pas une utopie, il est à portée de main, il est dans le rejet des préjugés, dans l’abandon des métaphysiques brumeuses, dans l’homme débarrassé de ses superstitions et dans l’affirmation sans complexe de ses désirs de puissance, de domination et de fraternité. Progrès de la science et progrès de l’amour (…) Céder au désir, de savoir, de jouir, c’est réaliser la plénitude de l’homme, c’est accomplir son destin qui ne peut être ni misérable, ni honteux, mais une apothéose heureuse, triomphe de la santé, de la connaissance et du bonheur » p.68.

Né le 27 février 1725 à Venise, l’enfant Giacomo reste « idiot » en apparence jusque vers 9 ans, aux prémices de la puberté. A 11 ans, il connait ses premiers émois sexuels avec Bettina, une fille de 14 ans qui le lave comme une poupée. Dès lors, il ne cessera d’aimer la sensualité des peaux et des bouches, la possession orgasmique ne venant que couronner ces travaux d’approche qui avivent le désir. Ce qui ne l’empêche nullement de s’élever l’esprit par la culture. Il entre en faculté de droit à Padoue à 12 ans et sort docteur à 16 ans. Il sera même prédicateur catholique à 15 ans, mais pour trois mois seulement, brutalement paralysé de panique un jour devant l’auditoire. Il préfère les parties à trois avec des sœurs de 15 et 16 ans. Fils d’acteurs, il escroquera les joueurs pour gagner sa vie, illusionnera les crédules avec la Kabbale et les simagrées des Rose-Croix, créera la loterie (qui deviendra nationale) en France, spéculera sur les effets. Il sera franc-maçon parce que cela ouvre toutes les portes, initié probablement à Lyon à 25 ans en 1750. Il se parera du titre imaginaire de chevalier de Seingalt car cela pose en société et tout le monde le fait (aujourd’hui, l’épidémie est celle des faux diplômes). Ce qui compte est l’apparence et, en fils d’acteurs élevé à la Commedia dell’arte, Casanova l’a bien compris.

L’aventure est chez lui un art de vivre, une philosophie active du bonheur. Dans cette société aristocratique, l’hédonisme est signe de supériorité et d’indépendance. Il ira en Europe du nord au sud, de l’ouest à l’est : à Lyon, Paris, Londres, Amsterdam, Saint-Pétersbourg, Dresde, Bâle, Grenoble, Vienne, Madrid, Turin, Trieste, Florence, Naples… Il arrive socialement par les femmes, mises par le siècle des Lumières au centre de la société aristocratique – avant, selon l’auteur, « l’exécrable ostracisme dont la perversité jacobine les frappa, et que la société bourgeoise devait confirmer avec la complicité d’une Eglise cultivant dans ses sacristies la méfiance, sinon la haine, à l’égard des filles d’Eve, ces suppôts de Satan auxquels on avait longtemps contesté une âme » p.55. Insouciant, étourdi, charmant, Casanova séduit de lui-même. Il rencontre Voltaire chez lui en 1760, il fournira une jeune vierge à Louis XV. Et cela durera jusque vers 44 ans où il aura une panne puis, lassé, s’apercevra qu’il ne séduit plus.

Il s’assagira dès lors, brûlé de réputation dans toutes les capitales d’Europe et même dans sa patrie. Gracié de s’être évadé des Plombs, la prison de Venise dans la touffeur de juillet 1755 – à 30 ans -, il ne rentre dans la ville qu’en 1774. Il n’y restera que huit ans, obligé d’être servile aux inquisiteurs du doge pour demeurer. Un malheureux pamphlet dont il est l’auteur le fera fuir à nouveau et il terminera sa vie à Dux, en Bohême, conservateur de la bibliothèque du comte Weldstein. Il y écrira ses mémoires en français – la langue de l’élite.

Histoire de ma vie est un chef d’œuvre du siècle, publié… en 1789 alors que le monde qu’il décrit avec un rare talent de mémorialiste, s’écroule. Le prince de Ligne aura ces mots : « Un tiers m’a fait rire, un tiers m’a fait bander, un tiers m’a fait penser. Les deux premiers vous font aimer à la folie, et le dernier vous fait admirer. Vous l’emportez sur Montaigne : c’est le plus grand éloge selon moi » cité p.474.

Ce « grand monument de la littérature universelle » (p.478) mérite d’être lu et médité, ayant illustré tous les genres et bravé les interdits pour revendiquer la liberté des Lumières sur toutes les entraves à la raison naturelle.

Guy Chaussinand-Nogaret, Casanova – Les dessus et les dessous de l’Europe des Lumières, 2006, Fayard, 499 pages, €26.40, e-book format Kindle €17.99

Giacomo Casanova, Histoire de ma vie (édition complète non censurée conseillée par Guy Chaussinand-Nogaret), tome 1, tome 2, tome 3, collection Bouquins Robert Laffont, €32.00 chaque, e-book format Kindle €23.99 chaque

DVD Casanova un adolescent à Venise de Luigi Comencini, M6 Vidéo, €9.77

DVD Casanova de Fellini, Carlotta Films, €7.44

DVD Le jeune Casanova de Giacomo Battiato, Elephant films, €16.53

DVD Casanova histoire de ma vie par Hopi Lebel, Les films du paradoxe, €26.97

DVD Giacomo Casanova par Lasse Hallström, Touchstone Home video, €14.90

DVD Le retour de Casanova d’Edouard Niermans, Fox Pathé Europe, €6.99

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William Faulkner, Les larrons

Un grand-père raconte à son petit-fils les quatre jours où il est devenu un homme, lorsqu’il avait 11 ans. C’est drôle, plein de rebondissements, d’expériences de la vie. Faulkner a écrit là son dernier roman, une histoire d’initiation universelle en langue parlée. Il paraît, en 1962, dans un monde qui change à toute vitesse, manière peut-être de retenir ce qui vaut pour tous les jeunes garçons à toutes les époques. Un mois plus tard, son auteur mourait d’un œdème pulmonaire aigu.

L’histoire se passe en 1905 et met en scène Lucius, petit-fils du propriétaire d’une des rares automobiles du temps, une Winton Flyer, le chauffeur Boon Hogganbeck et le nègre palefrenier Ned McCaslin, descendant de la même famille que le grand-père blanc, mais par une branche annexe. D’une maison enclose à une maison close via la maison sur roue automobile, de la ferme provinciale au bordel de la ville, le jeune garçon découvre le monde et les humains comme Huck Finn sur son radeau.

Boon profite de l’absence durant quatre jours du patron (le grand-père de Lucius) pour aller à la ville (Memphis) avec cette automobile qu’il aime conduire. Rien que cela est un périple, la poussière de la piste, les bourbiers à passer, ôtant chaussures et pantalons, le nègre caché sous la bâche qui se révèle passager clandestin en plein voyage et sera cause de tous les ennuis, le paysan qui laboure exprès la piste près du fleuve pour enliser les voitures et venir les en tirer avec ses mulets attelés pour quelques dollars… Une vraie leçon du capitalisme de rente.

Une fois à Memphis, la « pension de famille » promise par Boon s’avère être une maison close où des filles fort jeunes et très jolies reçoivent de vieux messieurs compassés. Mais comme nous sommes dimanche, tout est calme. Ned part à ses affaires, Boon gare l’auto devant la maison et tous deux entrent faire connaissance. Boon est raide dingue d’une pute dont il fera ultérieurement sa femme ; Lucius est invité à faire la connaissance d’Otis, fils de pute, qui a l’air d’avoir 10 ans mais en a en réalité 15, ce qui lui donne des obsessions autres que celles du gamin de 11 ans. Car cet âge, en cette époque, est celui où l’on accède aux fonctions d’homme : 10 ans pour cesser l’école et travailler, 15 ans pour aller au bordel, boire de la bière et baiser.

Lucius découvre, effaré, que le monde protégé qu’il a toujours connu est bien plus inquiétant qu’il ne l’imaginait. « Il y a des choses, des circonstances, des conditions dans ce monde qui ne devraient pas y être mais qui y sont, et tu ne peux pas leur échapper et en fait tu ne chercherais pas à leur échapper même si tu avais le choix, puisqu’elles aussi font partie du Mouvement, du fait d’avoir la vie en partage, d’être en vie » (chap. VII p.922 Pléiade). Il apprend peu à peu à gérer ses élans et ses émotions, à distinguer entre la vertu et la non-vertu, pour devenir un vrai gentleman du sud – qualité que lui reconnaitra son grand-père à la fin, cessant de le traiter en enfant. Il découvre aussi que, dans le sud des Etats-Unis, un Blanc ne pourra jamais voir le monde par les yeux d’un Noir.

Ned en effet, dès le premier soir, troque l’automobile (qui n’est pas à lui) contre un cheval de course (qui perd toutes celles qu’il entreprend). C’est alors la comédie pour reprendre possession de l’auto avant les quatre jours fatidiques… Ned est à la fois le grain de sable dans la machine, le démon qui fait avancer l’histoire et le rusé qui fait s’en sortir. Matois, il a reconnu dans ce cheval la même façon qu’un mulet qu’il eut jadis ; il veut le faire courir car il a une botte secrète. Toute l’affaire est alors de transporter le cheval à Parsham pour l’affronter à l’écurie d’un riche éleveur qui adore les paris. Gagner deux des trois courses permettra de racheter l’automobile et de se faire une galette. D’où l’entremetteuse du bordel qui connait un aiguilleur chef qui usera de ses relations pour, en pleine nuit, accoler un wagon supplémentaire et y faire entrer le cheval.

Lucius, pas vraiment conscient, consent. Il se dira plus tard qu’il a choisi de suivre et qu’il pouvait arrêter à tout moment. Mais il n’a pas repris sa raison, préférant l’aventure et l’imagination. C’est ainsi que l’on grandit. Lucius devenu grand-père raconte donc son éducation à son petit-fils pour faire son éducation. Mensonge (de Boon, de Ned), boisson, jeux d’argent, honneur des femmes (contre Otis, contre le sheriff violeur) – tout y passe de ce qui distingue un homme d’une brute. « On n’oublie jamais rien. Rien n’est jamais perdu. Ça a trop de prix » – tel est l’apprentissage de la responsabilité personnelle. Savoir dire non n’est pas toujours facile, mais évite de se laisser entraîner là où l’on ne veut pas aller. Si l’on dit oui, il faut savoir vivre avec ce qui suit. « Un gentleman accepte la responsabilité de ses actes et en supporte les conséquences, dit le grand-père de Lucius – même s’il n’en était pas lui-même l’instigateur mais qu’il les a simplement acceptés, qu’il n’a pas dit Non tout en sachant qu’il devait le faire » (chap. XIII p.1053).

Un grand roman, édifiant, cocasse, humain. Il en a été tiré un film en 1969, The Reivers, avec Steven McQueen.

William Faulkner, Les larrons (The Reivers), 1962, Gallimard L’imaginaire 2014, 420 pages, €9.90

DVD The Reivers (langues : anglais et français), 1969, avec Steve McQueen, Sharon Farrell, Ruth White, Michael Constantine, Clifton James, Mitch Vogel (Lucius), CBS 2005, € 11.99

Œuvres romanesques V : La ville-La demeure-Les larrons, Gallimard Pléiade 2016 édition François Pitavy et Jacques Pothier, 1197 pages, €62.00

Les œuvres de William Faulkner déjà chroniquées sur ce blog

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Erskine Caldwell, Le bâtard

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Sans concession morale, rédigé au degré zéro de l’écriture, au ras des gens, le bâtard dont l’auteur retrace la vie est une créature du Sud américain, du machisme ambiant, du racisme ordinaire. Nous sommes à la fin des années 1920 qui verront la Grande dépression économique de 1933 suivre la crise boursière de 1929 puis la crise financière de 1930. Après la parution du livre, le capitalisme s’affolera dans la spéculation, préparé par le mépris des possédants pour les pauvres, qualifiés de perdants.

Le Sud, où l’auteur est né en 1903, recèle la quintessence du peuple perdant. Il a perdu la guerre de Sécession, perdu ses valeurs aristocratiques, perdu l’estime de soi sous les critiques de la presse du nord. Le « petit Blanc » est aussi pauvre que le Noir, mais ne peut se raccrocher à rien. Son sentiment de dégradation est peint ici de façon complète.

Gene Morgan est en effet « fils de pute » au sens littéral, haï par sa mère dès sa naissance parce qu’il l’empêche de se faire les dizaines de mecs dans la soirée qui la font vivre. Elle a failli le tuer et il est sauvé par une négresse qu’il lâchera à 11 ans pour se faire tout seul, en jeune macho sans scrupules. Pas étonnant qu’il soit phallocrate, usant des filles comme de « trous à boucher » (selon la métaphysique de Sartre). Pas étonnant qu’il soit raciste, les Noirs restant à cette époque illettrés et trop peureux pour s’affirmer. Pas étonnant qu’il soit violent, on ne peut se faire soi-même sans en vouloir et en rajouter sur sa virilité. Gonflé de désirs divers, s’abrutissant au travail physique torse nu dans un moulin à coton ou dans une scierie, s’assouvissant sur les femmes qui passent ou dans l’alcool malgré la Prohibition, n’hésitant pas à tuer (même à la scie industrielle), Gene est un jeune : brut, direct, sans pitié. Ce genre d’animal a-t-il une âme ?

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La peinture au vitriol de cette société qui – une grande crise plus tard – votera Trump sans plus d’état d’âme, est si réaliste qu’elle garde des échos aujourd’hui. C’est bien cette société-là qui revient, celle des déclassés, des oubliés, des loosers. Celle qui veut sa revanche sur les autres, sur la société et sur le monde entier. Celle qui marmonne Dieu en piétinant ses créatures, qui impose sa force tant qu’elle existe – puis disparaît par « sélection naturelle » dès qu’elle décline un peu. Une société à la Poutine, dure aux faibles, serviles aux forts.

Le sexe est soumis à cette revanche, pratiqué comme une prédation. Jusqu’au bouleversement de l’amour, qui peut arriver comme une grâce. Gene, en effet, après avoir pris, baisé, violé sans vergogne sa vie durant, tombe en amour d’une « enfant » de 15 ans, peut-être sa demi-sœur. Elle est fragile, vierge et l’émeut. Ce n’est pas une chose à jeter, comme les autres, mais un ange à protéger. Il la ravit, l’emmène loin de sa ville où elle pourrit, ils font un petit.

Mais nul ne vit en diable sans conséquences : le bébé est anormal, trop faible, épileptique et velu. Un vrai dégénéré. Le fils de pute sans âme peut-il engendrer autre chose qu’un monstre ?

Nous sommes en plein dans la psyché américaine, névrosée d’Ancien testament et de Morale biblique rigoriste (Caldwell est né presbytérien). Il y est dit que chacun a un destin et ne peut y échapper ; que les tares sont héréditaires ; que le rachat n’est qu’éphémère. Ce Blanc a une existence noire, telle est la malédiction du Sud. L’animal humain ne peut connaître la rédemption sans un effort continu – qu’il n’est pas prêt à faire le plus souvent, ou n’en a pas la capacité. Et cela, c’est le père qui la donne, lui qui élève le garçon au moins par son exemple, comme le Shériff a élevé son John.

Ici, l’homme ne fait pas l’histoire, pas même la sienne. Il est le jouet de forces qui le dépassent, l’hérédité, l’éducation, la société. La force de ce premier roman vient de l’écriture. Son détachement clinique suggère un cynisme qui fera interdire le livre à sa parution, mais c’est ainsi que les choses arrivent : par hasard, par accident, les circonstances. C’est ainsi que John, le copain de Gene, a couché dès ses 11 ans avec des filles de joie mais, avec Rose, « ils avaient commencé ensemble leur vie d’adulte » quelque part avant 14 ans, dit l’auteur avec naturel (chap. VI). Les choses arrivent, tout simplement, comme chez les bêtes, le meilleur (l’amour) comme le pire (l’avilissement, la mort).

L’auteur, connu plus tard pour La route au tabac, est un écrivain naturaliste. Il est mort en 1987, avant le premier des krachs qui ont jalonné la période récente.

Erskine Caldwell, Le bâtard (The Bastard), 1929, Livre de poche Biblio 2014, 168 pages, €5.90

e-Book format Kindle, €6.99

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Théo Kosma, En attendant d’être grande 5 – Rêves de paille

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Suite et fin (provisoire) des aventures sensuelles de Chloé la gamine. Ce n’est pas pornographique mais joliment libre – et libertin. Il fut une époque, pas si lointaine, qui regardait cela comme naturel ; aujourd’hui est à la restriction en tout : moins de travail, moins de salaires, moins de libertés, moins de permissivité. Et vous trouvez ça bien ? Marx expliquerait que l’infrastructure commande à la superstructure, donc que la paupérisation économique engendre l’austérité morale et religieuse, comme par compensation. Il est donc urgent de respirer à nouveau – et ces gentilles histoires d’exploration amoureuse nous y aident.

Chloé allant cependant plus loin, l’auteur semble hésiter à publier… Les ligues de vertu ou les islamo-catho-intégristes lui feraient-ils de gros yeux ? Eux qui « épousent » des fillettes de 9 ans ou sodomisent impunément de jeunes garçons ? La paille et la poutre, ce pourrait être un volume d’essais de Mitterrand – c’est plutôt une parabole de l’évangéliste Luc (6.41) : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil à toi ! » Souhaitons donc la publication rapide de la suite de ces aventures naturelles qui réconcilient avec les sens ici-bas.

Après une soirée torride passée avec ses amis du même âge Charlie et Clarisse, tout nu d’amour pénétrant, Chloé – 11 ans – prend conscience de la beauté et du corps humain dans toute sa splendeur. Même les homos perdent les pédales devant le charme féminin.

Elle a dit charme ; ce fut le cas avec Charlie qui a caressé les deux copines avec un pinceau, longuement, avant de se joindre à elles. Ce ne fut pas le cas de Tom, matée par une Chloé attirée par le bruit, qui se défonce à l’alcool torse nu avant de se faire faire une pipe en même temps que son copain par la même fille, puis de la coïter en bourrin délirant tandis que son copain bourrine (un peu plus longtemps) la sienne. Entre douze ans… On se pince : auraient-ils vu ça sur Canal+ ? Ou pris une tisane de proto-viagra écolo ? C’est osé mais ce n’est pas pédophile, les enfants explorent entre eux.

La chaîne cryptée diffusant du porno tard le soir n’existe pourtant que depuis 1984 et, si Tom a 12 ans, il est né en 1970, un an plus tard que Chloé. La scène se passe donc en 1981 (p.13) et l’auteur (ou la narratrice Chloé) se mélange les impressions. Mais la leçon est claire : d’un côté l’attention à l’autre, la tendresse d’honorer sa partenaire ; de l’autre la domination, la brutalité égoïste. Ah, Tom à 12 ans possède un corps harmonieux de culturiste, mais Charlie a une âme, une personnalité, une bouille. « Lui restera notre premier amour pour l’éternité » p.19.

Après ces pages haletantes, plus de suspense : « Nous n’allions pas refaire l’amour cet été, ni avec Charlie ni avec qui que ce soit d’autre » p.20. Chloé n’a après tout que 11 ans et si elle rêve de devenir « une salope », « depuis que papa les avait évoquées comme étant des princesses », elle reste panthéiste comme les enfants, aimant jouir par tous ses sens sans se focaliser sur le vagin (ce fantasme d’adulte conditionné). Enlacements, baisers, rien de plus, les autres actes auraient brisé la tendresse du groupe. « Salope » a pour elle le sens de jouisseuse, pas de sale, de répugnante ni de perverse. Faut-il que les religions de la Faute et du Péché aient perverti les mœurs pour que le besoin d’affection soit qualifié de saloperie ! La chair, cette vile matière réelle ici-bas, est dévalorisée au profit du Dieu hypothétique au-delà – et du Paradis peut-être – idéologie de pouvoir qui enfume et asservit. Chloé aime aimer, naturellement, et les caresses sont les préliminaires de cette attention qui est preuve d’amour – mais Chloé ne recherche pas l’acte mécanique qui prostitue le sentiment pour assouvir l’instinct.

Pour changer, Chloé invite Clarisse et une autre copine, Nathalie, à s’étendre au soleil dans un endroit écarté, puis à décrire à voix haute leurs fantasmes tout en se caressant. C’est le facteur au torse de gladiateur, puis les copains qui délivrent d’un enlèvement, puis un ogre animal qui coince la fille dans sa tanière avant de baver sur sa peau nue et de l’avaler toute crue. « Les filles sont curieuses de nature, et aiment les propositions. Parfois, cela va plus loin que la poésie » p.39.

Réminiscence biblique ou préjugé ancré ? L’auteur n’hésite pas à écrire : « une insatiable curiosité faisant de nous, parfois ou souvent, de véritables petites salopes » p.40. Est-ce si vrai ? Plus que les garçons envers les filles ? Cela justifie-t-il par exemple le voile et le harem pour éviter ces débordements hystériques ? ou la « chasteté » si néfaste aux prêtres catholiques ?

Les jeux se poursuivent avec l’enquête sur les comportements ados – qui fascinent les prépubères. Filatures, observations, décryptage des mines, jeu de piste… La grange délabrée où mène un chemin de ronces est le rendez-vous des pubertaires. Voir « le visage d’une fille qui fait l’amour est inoubliable » déclare Chloé p.53. Mais ce sont les petits détails qui font tout le sel du jeu amoureux dont se délecte la précoce gamine.

Plus grande, nantie de ces expériences, Chloé ne peut s’empêcher de philosopher sur l’époque (la nôtre) : « La société devrait comprendre qu’elle a besoin de fantasmes, d’interdits, de stéréotypes. Ainsi, certains peuvent les franchir et d’autres pas. Si on brise toutes les frontières, plus rien n’a de sens. Aujourd’hui, c’est aux prostituées que les jeunes filles font concurrence. On leur a déjà piqué leurs sacs. Puis leurs fringues, leur démarche, leur maquillage. Les putes n’ont plus que pour seul avantage d’être accessibles sans la moindre approche de séduction. Si cette ultime frontière est franchie et que la gent féminine ne cherche même plus à se faire séduire, tout sera alors inversé » p.72. Interdit d’interdire, disaient les soixantuitards ; tout est haram-interdit ! hurlent les barbus mal baisés.

Finalement, l’enfant n’est-il pas le père de l’homme ? Ces adultes tout épris de politique et enfumés de marxisme en ces années 1970-1990 n’ont-ils pas dû réapprendre l’humanité auprès des plus naturels d’entre eux, les enfants ? C’est ce que dit Tata à Chloé : « Votre simplicité. Votre joie de vivre, votre sincérité. Vous êtes touchants, authentiques. Vous ne trichez pas, sauf si on vous l’apprend. Vous embrassez ceux qui vous plaisent, jouez et rigolez avec n’importe qui sans vous poser de questions, aimez sans vous donner de raisons » p.95. Mieux que celle de Rousseau, cette éducation nature !

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« La liberté n’est une ennemie que si elle est associée à un manque de repères et d’éducation » p.89. Vivre en commun libère parce que cela pose des règles tacites pour l’harmonie du groupe. « On devient obsédé par le sexe quand on nous l’interdit. L’interdit est alors sublimé, et là où il y a sublimation, il y a substitution d’idéal. On remplace alors le désir d’une vie riche en accomplissements par le fantasme d’une existence truffée d’expériences sexuelles toutes plus extravagantes les unes des autres » p.89. Alors que l’affection simple peut évoluer en acrobaties du plaisir sans dégénérer en mécanique. « Seule compte la complicité » p.100.

Bon, mais ce n’est pas tout, les vacances finissent toujours par finir, il faut quitter le cocon douillet des Trois chèvres. Avec des souvenirs plus forts qu’en colo : « Nos câlins enfantins avaient été un ravissement, d’une pureté de cristal. Cependant, nos corps peu formés limitaient bien des désirs. Tout ça ne durerait pas… le meilleur était à venir » p.105. Bientôt 12 ans !

Le lecteur parvenu jusqu’au tome 5 attend ardemment la suite ; il sent que cela peut devenir plus chaud mais espère que demeurera la fraîcheur naturelle des réflexions enfantines…

Théo Kosma, En attendant d’être grande 5 – Rêves de paille, 2016, publication indiquée « à venir » sur le site de l’auteur : www.plume-interdite.com 

Son dernier opus : Théo Kosma, Quick change, 2016, autoédition format Kindle, €0.99

Les quatre premiers tomes chroniqués sur ce blog

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Théo Kosma, En attendant d’être grande 4 – Instants coupables

theo-kosma-4Ce tome 4 est la suite des trois précédents (évidemment), déjà chroniqués sur ce blog, et il vient de paraître. La fin de cet opus est plutôt chaude pour les ligues de vertu, bien que très morale au fond.

Au centre naturiste des Trois chèvres, le naturisme n’existe pas – du moins pas le concept bobo urbain qui exige tout le monde à poil. Là, tout le monde fait plutôt comme il veut, écoute son corps. Être « nu » n’est pas une décision sociale mais un plaisir partagé selon les circonstances et la température. Au contraire, « Là où il y a obligation de vêtements, le culte de l’apparence revient. » Chloé et sa copine Clarisse ont 11 ans et sont tiraillées entre l’enfance sensuelle et l’adolescence présexuelle. Elles jouent à la poupée (vivante) et matent les garçons (timides).

Chloé adulte raconte sa préadolescence et cela dure un peu trop ; Tom, son amoureux du même âge tarde à apparaître. Il ne surgit que page 37 sur 107. Comme si l’auteur avait quelques réticences à sauter le pas des relations adolescentes. D’où les considérations générales, parfois de quelque intérêt, mais qui trainent en longueur.

La cinquantaine d’adultes et la cinquantaine d’enfants « du maternel au lycéen » dans le centre vivent au naturel. « Tu me diras, la sensualité est plus ou moins présente dans tous les rapports enfantins, quels qu’ils soient et où qu’ils soient. Certes, seulement ici la note était bien plus particulière. Le cocon dans lequel nous vivions rendait tout cela très spécial. En fait, nous étions tous très tactiles les uns envers les autres, bien plus qu’au premier jour. » Toutes les activités sont prétextes à se frotter, se bichonner, se câliner. Ce qui crée un champ magnétique d’affectivité, voire d’amour collectif. La pudeur ne vient qu’avec la société, et certaines vont jusqu’au puritanisme et à la phobie – ce qui rend vraiment con : « Je le dis, si de nos jours tant de filles sont si superficielles c’est que les garçons sont trop facilement séduits. Ils pètent les plombs dès qu’apparaît l’ombre d’une jambe fine ou d’un cul moulé. Pour l’avoir, ils sont prêts à tout. »

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Enfin, Tom vint ! Aux jeux d’eau, il est « une vraie statue grecque. Abdominaux dessinés, cheveux d’un blond de paille, jambes et bras fermes. Et son derrière mes aïeux, quel derrière ! ». Mais l’évitement continue, Chloé mate, dessine, mais ne fait rien, sauf rêvasser au grand saut, compulsive. « Et pourquoi ceux qui ont envie d’aller dans les bras les uns des autres, de se serrer, s’embrasser, être peau contre peau, pourquoi ne le feraient-ils pas en toute franchise, sans devoir passer par des ateliers massages ou de faux combats de catch ? » Oui, on se demande au fil de ces pages : pourquoi ?

Car ce tome avec Tom apparaît longtemps « plus un océan d’impulsivité et d’hystérie » que sensualité émoustillante des précédents. C’est que la perversité n’est jamais loin, même si Chloé, née en 1969, ne l’a pas subie : « C’est en ces années d’enfance que les lieux alternatifs se sont aperçus peu à peu que bien des oiseaux de mauvais augure étaient attirés par leurs concepts. Des marginaux, des gens croyant à une invasion extraterrestre ou à une fin du monde eschatologique, des extrémistes de tout poil, des agressifs, des manipulateurs… Ainsi que tout un lot de vieux tournant autour de très jeunes, mineures ou non. Personne ne le voyait encore, mais tout cela faisait en sorte que le milieu baba était en implosion programmée » p.61.

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L’instant « coupable » survient enfin page 69, mais pas dans la posture 69, dans une banale cabine de couche pour une personne. « Il suffit d’être attentive, intuitive et de prendre le temps », dit la Chloé adulte à propos des gestes spontanés qu’elle fit alors pour « tenir un garçon par le bout des doigts » – et pas seulement le bout que vous croyez.

Mais après l’extase, la redescente : Tom n’était qu’un fantasme, l’opposé du Charlie tendre et presque androgyne avec qui l’on est copain. « Si j’avais été impressionnée par ses savoirs et sa débrouillardise, nous n’avions jamais eu énormément à partager, autre qu’une attirance l’un envers l’autre. Ce genre de rapports, c’est bon pour les garçons d’un soir ». Le plus beau corps ne recèle pas forcément la plus belle âme et l’amour n’est pas le sexe, ou du moins pas seulement. « Moins de passion et d’attirance physique pour plus d’amitié, de tendresse et d’amour » ? Mais c’est ainsi qu’on apprend.

L’auteur ne connait toujours pas l’orthographe, écrivant les « maternels » pour les « maternelles » et « ballade » avec 2 L pour une promenade en forêt. Mais il embrase son héroïne sur la fin, en trio avec Charlie et Clarisse. La puberté du garçon n’est pas aussi mûre que celle de Tom, mais tout va très loin quand même, l’amour évoqué est très pénétrant. Le fruit de l’arbre de la connaissance est sans conteste cueilli : Chloé « sait » – et c’est plutôt mignon. L’amour non tel qu’il est (hélas! avec la génération Youporn), mais tel qu’il devrait être (libre).

Théo Kosma, En attendant d’être grande 4 : Instants coupables, 2016 e-book format Kindle, 113 pages, €2.99

Le site de l’auteur : www.plume-interdite.com

Son dernier opus, Chloé adolescente : Théo Kosma, Quick change, 2016, autoédition format Kindle, €0.99

Les trois premiers tomes chroniqués sur ce blog

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Luigi Comencini, L’incompris

l incompris comencini dvd
Ce film, sorti en 1966, conte l’histoire d’une incompréhension : celle d’un père et de son fils, celle de la mort d’une mère pour un enfant, celle du grand et du petit frère. Le consul britannique à Florence avait tout pour être heureux : reconnu par la Reine avec un titre de Sir, une femme belle et sensuelle, deux fils séparés par six années, un poste honorable dans la plus belle ville d’Italie… Sauf que le destin s’en mêle, surtout celui que l’on se forge soi-même.

Son épouse décède de maladie, il en est bouleversé. Maladroit avec des enfants dont il ne s’est jamais occupé, comme tout père avant 1968, il croit le petit Milo (5 ans) – Matthew en version française… – plus fragile que le grand Andrea (11 ans) – Jonathan en VF. Mais comme il n’observe pas les enfants, il ne sait pas que les manifestations dépendent de l’âge et que, si l’on trépigne et hurle à 5 ans, on reste pudique même dans les plus grandes douleurs à 11 ans – par honte. Duncombe (Anthony Quayle), avec sa face de lune et ses lèvres minces, fait un piètre père. Il ne prête pas d’attention à ses fils ; ils sont pour lui des objets à protéger de la casse mais il a du mal à les aimer. C’est sa femme qui faisait tout et lui se contentait des activités extérieures.

l incompris comencini pere et fils

Nous sommes dans le drame d’une époque révolue, très difficile à comprendre pour les générations élevées après 68. L’époque d’avant était hiérarchique, autoritaire, machiste. L’homme apportait l’argent à la maison et la femme ne s’occupait que de l’intérieur (enfants, cuisine, église, dit le dicton allemand). Les relations entre époux étaient sous le signe de la soumission complémentaire, chacun s’en remettant à l’autre pour ce qui est de son domaine ; les relations entre mère et enfants étaient empreintes de tendresse et d’une certaine mollesse, maman craignant par-dessus tout cet extérieur dont elle n’a aucune maîtrise. Le pire étaient les relations entre père et fils : avant sept ans, aucun intérêt ; de 7 à 12 ans, un faire-valoir qui doit rester à sa place et rapporter des succès scolaires et sportifs ; après 12 ans un rival à dompter, mais une certaine complicité parfois après 16 ans dans les affaires sexuelles.

l incompris comencini pere et andrea

Le jeune Andrea (Stefano Colagrande) a le même âge que moi. Quand j’ai vu le film lorsqu’il est ressorti, à la fin des années 70, j’ai réagi comme un fils, en empathie avec le gamin. Quand je revois le film aujourd’hui, c’est après quelques expériences et je réagis comme un père, en critique acerbe de l’adulte. Non seulement Duncombe est content de lui, mais il est égoïste (réservant pour lui tout seul la voix enregistrée de sa femme) ; non seulement le père est absent pour ses fils (« va dormir » est son leitmotiv favori), mais il refuse de passer un moment avec chacun et de parler un peu. Il reste extérieur, ayant peur de ses émotions peut-être, peur de mal faire sans doute, peur des relations avec ses fils certainement. C’est un spécimen sociologique de lâche que les années 50 et 60 ont produit à la chaine.

Pourquoi ne prend-t-il pas son aîné dans ses bras lorsqu’il lui annonce, avec silences, suspense et précautions, la mort de sa mère (que le gamin savait déjà) ? Il le croit insensible alors que la surprise n’en est pas une, son fils lui apprenant une conversation à voix basse surprise chez les voisins. S’il l’avait étreint, nul doute que l’émotion du petit aurait éclatée et que lui, sir Duncombe, consul du Royaume-Uni à Florence, aurait eu à répondre et à prendre ses responsabilités – comme on dit en langue de bois sociale.

l incompris comencini regard andrea

Pourquoi ne veut-il jamais rester près du lit le soir pour échanger quelques mots, comme Andrea lui demande ? Ou écouter les versions des événements lorsque le petit frère (Simone Giannozzi) s’est retrouvé dans des circonstances dangereuses ? « C’est comme ça ! Tu n’as pas la parole ! Obéis ! » tels étaient les slogans faciles avec lesquels les adultes se défaussaient volontiers lorsqu’ils risquaient d’être déstabilisés à l’époque. Duncombe a réagi en réflexes conditionnés, pas en père ayant mis au monde des enfants.

l incompris comencini maman morte

Il n’est pas besoin d’être constamment présent, ni d’être en empathie tout le temps, les gamins – surtout garçons – ne demandent pas ce genre de comportement. Mais ils demandent que l’on s’intéresse à eux, à défaut même de les « aimer », qu’on les écoute lorsqu’ils veulent dire une chose importante pour eux, qu’on les associe à la vie de la maison. L’oncle Will (John Sharp) est le seul qui comprenne d’un regard ce que ressent son neveu. Lui « n’aime pas les enfants » – peut-être parce qu’il les aime trop et souffrirait de les voir malheureux. Il est là quand il faut, il donne de bons conseils à son frère de père : « il a besoin d’un maître » (non pas de la trique mais d’un guide). Mais il ne reste pas…

l incompris comencini stefano colagrande

Andrea se sent rejeté par un père absent, mal aimé par celui qui prend toujours la défense de Milo l’infernal petit frère, mauvais parce qu’il échoue à se valoriser. Il efface par inadvertance la voix de sa mère enregistré sur magnétophone parce que son père n’a pas voulu en partager le fonctionnement ; il est vaincu au judo parce qu’une seconde déstabilisé lorsque le consul, qui ne pouvait pas venir, est entré tout de même en retard dans la salle ; il est réprimandé pour avoir été à la ville en vélo avec son petit frère, alors qu’il voulait simplement acheter un cadeau d’anniversaire pour papa ; il est laissé de côté au bureau alors que son père lui avait promis de lui faire ouvrir son courrier ; il ne part pas pour Rome avec papa, parce que Milo s’est volontairement douché au jet dehors pour être malade et garder son grand frère près de lui ; il voit ses bleuets offerts en secret sur la tombe de sa mère jeté par le père qui les remplace par ses propres roses… Le père reste muré dans ses certitudes superficielles ; le fils est seul, à la merci du jugement adulte et des frasques du petit frère à la « méchanceté naturelle » (Comencini). Il est sans copain, sans confident, muré dans le monde clos de la villa bourgeoise isolée de la cité. Même au collège, il est « l’angliche », et son adversaire vainqueur au judo est italien. Dans la vie, il n’est pas à sa place.

l incompris comencini judo

Alors, que faire ? Prendre des risques personnels pour se prouver quelque chose ? Rejoindre maman au ciel puisqu’elle seule l’a aimé ? En poussant au-delà du quatrième crac l’audaciomètre d’une branche morte au-dessus de l’étang, Andrea joue avec la mort ; son infernal petit frère Milo l’y précipite sans vraiment le vouloir, poussé par quelque pulsion dont le sempiternel « moi aussi ! » du petit qui veut tout faire comme le grand, l’empêchant généralement de vivre… ici précipitant son destin.

l incompris comencini les deux freres

Ce film d’avant-garde en 1966 (il fut hué par les bien-pensants qui faisaient le cinéma français à Cannes en 1967) a été reconnu majeur dix ans plus tard… Les bobos étaient nés et avaient retourné la veste critique : désormais l’enfant comptait plus que l’adulte et le « mélo » qu’on avait reproché était devenu une suite de « signes » que l’adulte, désormais honni, refusait de voir.

Ni mélo, ni psycho – ces travers de jugement des intellos immatures – le film est de la plus pure tradition Comencini : il s’est toujours intéressé à l’enfance (Casanova, Eugenio…), à l’imagination spontanée, à la confrontation avec les réalités de l’existence, aux frivolités et lâchetés des adultes face à leur progéniture, au passage délicat à l’adolescence. Andrea, encore enfant, est poussé à la responsabilité adulte trop tôt, par un père irresponsable – c’est ce qui fait le drame, traité avec délicatesse.

DVD Luigi Comencini, L’incompris (Incompreso), 1966, Carlotta films 2011, €10.79

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Théo Kosma, En attendant d’être grande 3 – Apprentissage pas sage

theo kosma en attendant d etre grande 3

La troisième partie de cet opus érotique sort aujourd’hui même. Le lecteur a quitté Chloé, onze ans, au moment où elle donne à laver ses vêtements au copain adulte de sa mère. C’est le moment où l’on aborde l’adolescence. Entièrement nue, elle cherche sous le lit, derrière les meubles, et c’est moins par provocation que pour elle : « L’essentiel était mes ressentis, et la chaleur grimpait en mes entrailles d’une façon comme je ne l’avais jamais vécue ». L’adulte parti sans s’émouvoir, elle jouit violemment, toute seule. Est-ce le cas général pour les petites filles ?

Chloé est surtout tactile, vivante et sensuelle. « Il faut prendre le temps de vivre ce dont on a besoin et envie, au moment où on le sent ». Ce n’est pas « un truc sexuel », puisque pas avec un garçon (hum !).

Ne croyez cependant pas que Chloé soit une jeune dévergondée. Certes, elle va de nuit tâter du garçon de 13 ans (fils du copain de sa mère) dans son lit, sans le réveiller. Mais elle se fait de la sensation une expérience trop haute pour tâter de n’importe qui. « Il faut bien être un con d’adulte soixante-huitard pour s’imaginer qu’un enfant a besoin de tout savoir du sexe dès son plus jeune âge. Le sexe se découvre par soi-même. Ou bien très tôt pour des cas comme le mien, ou à un âge plus raisonnable, ou encore sur le tard, pourquoi pas. Ça se découvre l’air de rien, en secret, sans trop le dire. C’est le seul moyen pour que le sexe puisse rester beau, pur, entier : qu’il ait un côté caché, mystérieux » p.18.

L’œuvre va donc dévoiler, feuille à feuille, la beauté du geste et le plaisir du sexe. Chloé va passer des vacances avec sa copine Clarisse auprès de sa tata écolo Marthe dans son vieux van hippie, accompagnée d’Estelle, sa fille, une cheftaine scoute de 15 ans qui a connu plein de garçons. Après une semaine de plage, direction la montagne et « l’espace des Trois chèvres ». Et là… dans les hauteurs des Alpes-Maritimes…

Dans la maison foutraque des amis écolos de la tante, lors d’une étape avant les chèvres, un garçon. « Tom avait des cheveux courts en brosse, un t-shirt et un jean parés pour aller au champ et qui sentait bon la terre, qu’il portait bien. Plutôt grand, bronzé, costaud, les manches courtes faisaient ressortir ses muscles. Ses beaux yeux bleus et perçants s’ajustaient à une bouche un peu goguenarde… » p.59. Tom a 12 ans, un vrai rêve de préado. Les parois de briques de verre des nombreuses pièces accentuent l’érotisme des silhouettes entrevues, floutées ; Chloé en émoi voit maintes fois « passer Tom, demi-nu ou même nu lorsqu’il sortait de sa chambre ou d’une des salles de bain » p.72.

Le garçon doit rejoindre les filles aux Trois Chèvres prochainement mais une semaine passe – et encore rien. Le lecteur frustré est tenu en haleine, tout comme la petite Chloé qui devient extatique par tous les sens, ne rêvant que de « [se] tortiller en [se] caressant partout » p.125. Nous n’en saurons pas plus avant le tome suivant ! C’est que l’amour se mérite, s’il doit être aussi beau et préparé qu’il doit l’être. Nous ne sommes pas dans le porno ni le voyeurisme, mais dans la littérature. Version Zizi dans un trou écolo plutôt que Zazie dans le métro.

fille et garcon en hamac photo izabela urbaniak

La description de la « communauté » très années 70 des Trois chèvres occupe plusieurs pages et reste savoureuse. Elle rappellera quelques souvenirs à ceux qui ont vécu ado dans les années post-68. Chacun fait ce qui lui plaît ou presque, les « enfants » (jusque vers 18 ans) se baladent à poil s’ils le désirent, se vautrent à plusieurs dans la boue et jouent à cache-cache ensemble, ou participent à des ateliers d’artisanat ou de création selon leur humeur. « Tout enfant pouvait être comme le grand frère ou la grande sœur d’un plus petit, le petit frère ou la petite sœur d’un plus grand. Et presque même le fils ou la fille de tout adulte » p.107. Le sexe est partout… et nulle part, car il ne vient qu’avec la puberté et avec tout ce que la société met autour. « Les petits étaient sexués, du fait qu’ils prenaient un plaisir sensuel constant à vivre leurs cinq sens sans aucune entrave. Et asexués d’un autre côté, du fait que la sexualité n’avait encore aucune signification pour eux » p.123. la libido est panthéiste, pas encore génitale, c’est ce qui fait le charme de cette attente d’être grande.

Mon principal désaccord avec Chloé, le personnage principal de l’auteur, porte sur l’érotisme des minijupes (p.56). Surtout dans les années 70, elles mettaient en valeur non seulement la longueur et la finesse des jambes mais attiraient vers le point central, celui que tout garçon désire – bien plus alors qu’une jupe-culotte, qu’une jupe longue ou – pire – qu’un jean. La seule vertu du jean était de mettre en valeur le haut en dévalorisant le bas ; une fille en jean et seins nus était le summum de l’érotisme en ces années-là. Mais la corolle inversée de la minijupe, flottante sur des cuisses agiles, était la friandise des petites Anglaises que tous les collégiens en stage de langue connaissaient bien.

Dommage aussi que l’auteur confonde aussi tâche avec tache (notamment p.17), ce que l’on fait et sa conséquence. Miracle des accents : en français ils donnent un sens différent… Même si certains démagogues voudraient les supprimer pour se la jouer multiculti.

Théo Kosma, En attendant d’être grande 3 – Apprentissage pas sage, 2016, 128 pages, autoédition Format Kindle, €2.99

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Les deux premiers tomes de Théo Kosma, En attendant d’être grande, de l’enfance à 11 ans

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Théo Kosma, En attendant d’être grande 2

Woman doing gymnastics on beach

Woman doing gymnastics on beach

Chloé passe ses dix ans, enrichie d’expériences, de cajoleries et de sensations sur la peau. L’année de ses onze ans est la révélation. Clou du tome, elle ne sera distillée qu’après de longues approches, les préliminaires étant tout dans l’érotisme, même enfantin. Car Chloé n’est encore qu’une enfant et le lecteur ne doit pas s’attendre à des turpitudes telles qu’Anal+ a su déformer les esprits. Nous ne sommes pas dans la pornographie, mais dans la sensualité. Tout reste bien innocent, à onze ans. « J’adore poser tout mon corps nu partout. Herbe, terre… c’est tout le plaisir » p.82.

Elle s’effeuille doucement couche par couche devant sa fenêtre le soir, sachant que son copain voisin Julius la regarde en secret. Mais ce cadeau ingénu cessera brusquement, le jour où il invitera des copains. Avec ses amies, elle participe à des soirées pyjama où l’on se met à l’aise, voire toutes nues, pour cancaner sur ses semblables et pouffer à des mots interdits. Rien de tel que les potins pour jauger ce qui se fait ou non. Par exemple : « Sur la plage hier, j’ai vu des cruches de vingt à vingt-cinq ans qu’on avait trop regardées, trop admirées au cours de leur vie. Elles ont fini par croire qu’elles étaient des filles géniales et du coup ne font plus bosser leur tête, se contentant de prendre soin de leurs corps. Chacun de leurs gestes, chacune de leurs paroles trahissent cela. Elles en sont réduites à glousser et à avoir des réflexions pas plus évoluées que celles des filles de ma classe. Voilà ce qui arrive lorsqu’on séduit trop facilement autrui. Une fois sur cette pente glissante, on n’en finit plus de sombrer. Rapidement le corps et la superficialité deviennent tout. Le physique devient un passeport pour l’ascension sociale, le logement et le travail, que ce soit en couchant ou en faisant des pirouettes » p.30.

Mais ce n’est pas pour cela que les limites sont franchies. Chloé, du haut de ses onze ans délurés, répugne au pornographique anatomique des magazines, dont elle découvre quelques exemplaires dans la table de nuit de son père, lassé de sa mère et qui va divorcer. Elle n’est pas narcissique mais conviviale, elle ne s’emplit de jouissance que lorsqu’un autre a du plaisir. Sous la douche collective d’après sport, elle mate les autres filles et se fait mater, pour comparer. Vivre entièrement nu éviterait bien des perversions, pense-t-elle. Et une copine de plage naturiste de lui conter comment elle a soigné ses deux cousins tout juste ado qui la mataient sous la douche : en vivant à poil devant eux toute la journée, jusqu’à ce que leurs regards en soient rassasiés.

De même ressent-elle le bonheur des autres par contagion. Ainsi de sa cousine Estelle, de quelques années plus grande, avec la religion. « Dieu nous a créé pour le plaisir » (p.35), dit l’adolescente qui connait plusieurs garçons, et Chloé, qui n’en connait pas encore, est séduite. Ce qui ne l’empêche pas de raisonner par elle-même : « En religion, quelque part, tout est un peu sexuel. Les gospels, le corps du Christ, les rapports troubles entre Dieu et Marie, entre le Christ et Marie-Madeleine, voire même entre le Christ et le Malin (le passage sur la tentation). Ceci dit dans la Bible, lorsque ça parle de baise, ça associe beaucoup cela au péché, au déluge, à la fin des temps. Sacré paradoxe » p.33. Ce qu’aime Estelle dans le catholicisme est l’harmonie, « ce ‘Aimez-vous les uns les autres’ si cher au Christ. Quand je couche c’est plus fort que moi, j’aime éperdument. Pas seulement le garçon à mes côtés, je m’aime aussi moi, les gens dans l’immeuble, ceux de la ville, de la région, du pays » p.35. Rien à voir avec « le tentateur ». Lui, « c’est autre chose. Lui il attrape en levrette et vous retourne dans tous les sens » p.38.

Intéressante approche baba cool du christianisme : « contrôler son corps et ses pulsions donne plus d’extase que se jeter dans le plumard de n’importe qui » p.86. Pas faux ! Sauf que ni les évêques ni le Pape n’enseignent cette simplicité biblique, et qu’il faut retrouver les écrits païens des Grecs pour cette philosophie de nature.

Enfin, « ce fut l’année de mes onze ans qui fut déterminante dans mon apprentissage à la sensualité » – nous sommes à la page 56. Divorce des parents, garde alternée, entrée en sixième, vacances en liberté. Chloé connait grâce à sa tante un peu hippie la sensualité d’une robe portée à même la peau, le vent s’infiltrant sous la jupe pour flatter le duvet, les tétons pointant déjà sous le fin tissu. Quand les garçons ouvrent leur chemise, les filles portent plus haut leur jupe.

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A la plage avec sa mère, alors que celle-ci la laisse seule pour draguer, elle s’installe sur le sable et se déshabille au maximum. « Tout ce qui compte c’est pouvoir profiter du soleil, du sable et de l’eau de toute ma peau ». Elle ne tarde pas à faire des adeptes et lie connaissance avec une fille de son âge. Sandrine est naturiste, et elle va faire avec elle un « apprentissage pas sage » dès la page 99. Rien de torride mais quand même ; une jupe sans culotte est bien pratique pour effleurer le bouton avant d’explorer la caverne. Mais pour cela il faut « ressentir », ce qui signifie cajoler autant la peau que le cœur.

« Qu’en conclure ? Qu’on avait le droit à des expériences entre filles tout en aimant les garçons. Qu’il est compliqué d’être concentré sur le plaisir de l’autre en s’occupant de soi-même. Qu’une expérience avec son prochain valait cent expériences avec soi-même » p.113.

Quant au reste, à propos de Carl, le copain de sa mère, « il me suffisait d’un rien… lui tenir la main dans la rue en jupe, un petit coup de vent passant entre mes jambes et j’en ressentais de ces frissons ! Ou encore un petit câlin du soir sur ses genoux, revêtue d’une simple nuisette et m’arrangeant pour que le doux tissu remonte innocemment le plus possible vers le haut de mes cuisses. Ou lui murmurer une phrase anodine au creux de l’oreille. Ou faire semblant de me bagarrer avec lui. Ou lui demander quelques chatouilles. Toute une tripotée de petites astuces qui me mettaient immanquablement dans tous mes états, mélange de candeur et de dépravation si cher à mon enfance » p.138.

L’enfance est innocente et sensuelle. Est-elle perverse comme le dit Freud ? Oui, mais polymorphe, ajoute-t-il, ce qui nuance. Rien de morbide ni de déviant, une sensualité à fleur de peau, une sensibilité au ras du cœur, une attention au bord de la raison. Car tout est au présent pour une petite fille qui grandit, tout est nature et sensations. A ne pas juger du haut de la sécheresse des gens mûrs, surtout ceux d’aujourd’hui, névrosés d’être passés à côté de la liberté, faute d’avoir su être responsables.

« Ceux qui s’imaginent les seventies et le début des eighties comme une partouze géante avec fumette à tous les étages se trompent » – dit l’auteur. « Oui, il est vrai que chez les adultes, en certains milieux on faisait facilement l’amour… mais à la bonne franquette, sans perversité. À la maison les enfants ne faisaient pas la loi, davantage de sport et d’air frais, et la nuit les rues étaient assez sûres. Bref, nos caboches fonctionnaient mieux, pas perturbées par les SMS, profils Facebook et jeux vidéo. C’est ainsi et c’est tant mieux, et c’est surtout tant pis pour aujourd’hui » p.89.

Un tome plus mûr que le premier, la fillette grandit et devient plus réelle. Contrairement au tome premier, où elle manquait, l’histoire compte moins que les expériences des sensations dans ce tome second. Cette suite d’anecdotes fondées sur le corps, les éléments, les autres, le plaisir qu’on donne et celui qu’on ressent, est en soi toute une histoire. La sagesse d’une très jeune fille pas « sage » au sens rassis des bourgeois culs bénis intéressera tous ceux qui aiment les êtres.

Théo Kosma, En attendant d’être grande 2 – Éducation libre, 141 pages, autoédition Format Kindle, €2.99

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Théo Kosma déjà chroniqué sur ce blog

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Corps et esprit à Tahiti

Une maison close à Tipaerui, aux portes de Papeete. La madame Claude locale employait six vahinés âgées de 18 à 22 ans qui étaient bien traitées, avaient le droit de jeter un œil discret à l’arrivée du client et de refuser la passe si l’homme n’était pas à leur goût ou était une connaissance. Les clients ? Des hommes âgés de 30 à 70 ans pour la plupart mariés. Les tarifs ? Entre 10 000 et 15 000 XPF la passe (84 à 126€) en fonction des prestations demandées. 4 000 appels téléphoniques en un an ! 18 mois de prison – avec sursis- pour la tenancière.

tahiti fesses nues

Violence, violence : Il met deux hommes KO et frappe son frère à la tête au coupe-coupe. Il violait sa nièce de 11 ans tous les soirs : 12 ans de réclusion. En 2013, la brigade de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie a eu à traiter 230 dossiers d’agressions sexuelles et viols sur mineurs. Il a 18 ans à peine, 13 condamnations, et s’en prend aux magistrats. Le juge lui demande « Vous faites quoi toute la journée ? » Le jeune homme « Je cambriole ».

Un papi de 67 ans tabasse son mo’tua de 8 ans et l’envoie à l’hôpital, 45 jours d’ITT un bras fracturé, parce que l’enfant s’en prenait à un chien qui l’avait mordu ! A Bora Bora, la perle du Pacifique, trois jeunes s’en prennent à un automobiliste, un le frappe à coups de poings, de pieds, l’homme est à terre inconscient. Il décédera peu de temps après. Pourquoi ? « J’ai pété les plombs ». Ses deux autres amis ne sont pas intervenus. Le frappeur avait beaucoup consommé d’alcool… Certaines communes, devant cette hausse de la violence, ont limité voire interdit la vente d’alcool le week-end. Elles sont allées voir les parents de ces jeunes violents, car beaucoup de parents n’éduquent plus leurs enfants ou se laissent aller. La solution ? « Il faudrait que tous se donnent la main » pour combattre cette violence.

La plantation de paka et son commerce se portent bien, merci. Le pakaculteur de Papara reconnaît avoir écoulé 1 200 pieds de cannabis en moins d’un an. Au prix de 60 000 et 125 000 XPF le pied de paka. La gendarmerie détruit régulièrement les pieds quand elle les découvre et l’on considère que Papara, Paea et la presqu’île de Taravao sont les greniers de ces cultures sur l’île de Tahiti. La gendarmerie estime qu’un pied de pakalolo d’1m50 pouvait produire de 20 à 25 boîtes (en général petites boîtes d’allumettes) telles que celles qui sont revendues à 5 000 XPF (42€) dans la rue et ainsi générer un bénéfice compris entre 60 000 et 125 000 XPF (1050€) le pied.

eglise adventiste tahiti

Comme antidote : trois semaines de conférences en soirée données par un pasteur évangélisateur de l’Église Adventiste venu spécialement de Nouvelle-Zélande… Beaucoup de monde, l’homme est un pro. Ses discours sont rôdés. Il est bilingue anglais-français, originaire des Seychelles. Le matin, dès 5 heures, il réunit ses paroissiens dans le temple afin d’écouter les enseignements de la Bible, remettre les points sur les i, re-booster leur foi, prier. Il semble qu’il y avait un relâchement dans l’église adventiste de Polynésie, certains croyants avaient besoin d’être secoués de leur torpeur. « Il faut prier à tout moment, être de bons enfants, de bons parents, pratiquer le jeûne, manger végétarien » – enfin une totale remise en pratique des consignes adventistes. « Jésus revient bientôt. – Il devait revenir en 1844 ? – Alors, il a du retard ». A mon humble avis, les croyants n’étaient pas encore prêts.

Les conférences de soirée (19 heures-21 heures environ) sont traduites en tahitien par un bénévole laïc, à destination des ma’ohis. La majorité des présents sont attentifs sauf quelques énergumènes, surtout des ados qui, casquette vissée sur la tête, i-phonent à tout rompre. Cette lecture expliquée de la Bible est fort précieuse et nécessaire pour un grand nombre d’individus. A la fin de ces trois semaines de séminaire, un nombre important de demande de baptêmes a été annoncée et ont eu lieu sous le grand chapiteau. Certains catholiques, riches, ayant demandé le baptême aux Adventistes ont été pris « en chasse » par les membres du clergé. Les catholiques pauvres ayant été nouvellement baptisés adventistes n’ont pas reçu ces visites. On peut sauver toutes les âmes ou certaines seulement en fonction de l’épaisseur du portefeuille ?

Le concubinage, si courant en Polynésie française, est interdit de cité dans l’Adventisme. Les personnes ayant demandé le baptême par immersion au pasteur ont été priés de régulariser leur situation matrimoniale. D’abord se marier, ensuite le baptême. En attendant le mariage il ne faut plus vivre sous le même toit. Certains en profitent pour faire payer le repas de mariage à l’Eglise (en fait les généreux donateurs) repas où ils inviteront toute leur famille et amis, au bas mot une centaine d’affamés et ils emmèneront en plus les doggy-bags à la maison. Pour être belle la future Madame réclame des sous pour s’acheter des habits, de beaux habits aux couleurs qu’elle exige : pour elle ce sera blanc et mauve, fleurs itou. Pourquoi ne pas en profiter ? Pas de bijoux, c’est interdit dans l’Adventisme – heureusement sinon elle aurait demandé un diamant ou autre pierre précieuse, ouf !

Il y a neuf enfants à placer. La fille d’une paroissienne a pris un tane api (un nouveau mec) plus jeune qu’elle. Il ne veut pas des enfants de l’autre ! La mamy cherche à placer ses neuf mootua (petits-enfants) auprès des familles adventistes du village. Ainsi, dit-elle, je pourrai les voir au Sabbat. L’assistante sociale a la charge de placer ces neuf frères et sœurs délaissés.

Hiata de Tahiti

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Le mythe de la vahiné

Bougainville qui découvre Tahiti associe la femme à la déesse Vénus. L’amour libre et innocent dans une nature paradisiaque enflamme l’imagination des Européens et, aujourd’hui encore, la vahiné compte beaucoup dans l’attrait touristique pour Tahiti. Vahiné : être humain de sexe féminin adulte. La vahiné, femme-fleur, est l’image de la sensualité, celle qui allume l’œil de toutes les personnes du sexe masculin. La parure : chevelure étalée et odorante, fleur à l’oreille ou bouquet odorant dans les cheveux, paréo drapé mettant en valeur la peau nacrée grâce au monoï, les seins nus au naturel. L’Européen tombe amoureux d’une image traditionnelle alors que la femme « exotique » regarde vers la modernité et adopte les manières européennes, parfum parisien de prix ou eau de Cologne bon marché.

La société polynésienne est très attachée à l’idéal de beauté de la vahiné. Preuve en est le nombre de concours où s’affrontent chaque année la fine fleur des jeunes filles, de miss Tahiti à miss Motocross en passant par miss Université et miss Moorea… Il existe en tout plus de 50 compétitions pour 250 000 habitants ! Tout semble fait pour répondre aux fantasmes de l’homme. La femme polynésienne jouissait traditionnellement d’une certaine liberté, d’une certaine forme d’égalité avec les hommes.

Mais il faut vite s’éloigner du mythe, même s’il irrigue les esprits, même celui des vahinés elles-mêmes. Il faut évoquer le nombre d’affaires de viol et d’inceste, affaires qui ne sont que la partie émergée d’un immense problème social. Ouvrez le journal, vous y trouverez des affaires de mœurs devant le tribunal de Papeete : 50% des dossiers traitent de l’inceste. La souffrance et la maltraitance des filles est l’envers du mythe de la vahiné libre de son corps et vouée au plaisir.

Les jeunes femmes qui ont goûté à la vie plus libre de la ville vivent leur choix comme autant de déchirements entre les obligations traditionnelles dues à leur famille et leurs aspirations personnelles. Ce mal de vivre entraîne des suicides, des SOS de femmes qui ne savent pas où se situer. En Océanie, une étude récente montre que le taux de suicide a augmenté de 20 à 30% à partir de 1980. La femme polynésienne est l’objet d’une double représentation masculine : celle de la société traditionnelle et celle de la société européenne. D’où les drames relatés par la presse.

Version comique : Au Club Med de Bora Bora, en début 2006, l’ancien footballeur Maradona en vacances avec sa famille a jeté un verre à la tête d’une ancienne miss Bora Bora. Cela a fait les gros titres de la presse internationale et a suscité des reportages des télévisions du monde entier. Plainte, plainte en rétorsion à la gendarmerie, finalement un accord a été conclu entre le concubin de l’ex-miss et Maradona pour 8000$. Sur quoi l’ex-miss a filé acheter vêtements, CDs, téléphone portable, avant que le cours du dollar ne dégringole…

Version tragique : Une Polynésienne d’à peine 18 ans succombe à la suite d’un viol collectif de 13 personnes (dont 4 mineurs). Après avoir abusé d’elle, son corps dénudé a été jeté dans un caniveau ; le plus jeune violeur a 15 ans et le plus âgé 37. Tout le monde s’insurge, crie au scandale, même la ministre de la Condition féminine, mais toutes les associations dignes de ce nom avaient prévenu les pouvoirs publics que de tels agissements étaient susceptibles de se produire si rien n’était fait. Il s’agit d’un drame dans le quartier déshérité de Faaa, drame de la solitude, de l’ignorance, de l’alcool. La réflexion d’une avocate fait frémir : « dans de tels procès vécus au Palais de Justice, on s’aperçoit que ces violeurs n’ont eu qu’une vie sexuelle très pauvre. Il arrive souvent que ces hommes n’aient eu que 2 ou 3 expériences sexuelles dans leur vie. » Leur seul « enseignement » se limite trop souvent aux seuls films pornos. Certains jeunes violeurs ne vont plus à l’école depuis l’âge de 10 ou 12 ans et traînent dans les quartiers, fréquentent des adultes encore plus paumés qu’eux, goûtent à l’alcool. Les parents n’évoquent jamais la sexualité avec leurs enfants, c’est un sujet tabou en Polynésie – malgré le mythe !

Versions misérables en juin 2006 au tribunal de Papeete : Une fillette a été abusée par son grand-oncle faamu de 36 ans son aîné. A 9 ans les premiers attouchements, à 11 ans les rapports sexuels, à 13 ans le premier bébé. Trois enfants naîtront. Cette fille n’a porté plainte qu’une fois adulte, après avoir rencontré un autre homme. Certains faits sont prescrits. Le violeur : « elle était comme ma femme, elle ne se refusait pas ; c’est même elle qui me provoquait ! » La mère biologique : « je ne sais rien, j’avais d’autres enfants à charge. » La grand-mère : « j’ai honte de cette affaire. C’est ma petite-fille qui m’a amenée ici, au tribunal. Pourquoi elle me fait ça ? Elle a couché avec mon mari… » La famille est un huis clos : 14 ans de prison. Autre affaire : à 14 ans violée par l’ami de sa mère, elle la prévient mais celle-ci ne la croit pas. C’est sa grand-mère qui avertira les gendarmes. Le beau-père est arrêté. Au tribunal, il dira qu’elle était consentante car elle ne l’avait jamais repoussé. Au lieu des 20 ans de prison prévus par la loi, il est condamné à 14 ans et n’en fera que 6…

Hiata de Tahiti

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Brice Pelman, Attention les fauves

Article repris dans Medium4You.

Pierre Ponsard a toujours eu peur des enfants. C’est pourquoi peut-être il a pris le pseudonyme de Brice Pelman pour dire du mal d’eux dans des romans policiers populaires. Courts, secs, aux caractères tranchés, ses romans se lisent d’un trait, entre deux trains. Ce sont des romans de gare. Il en a écrit au moins 63 en quelques quarante ans. Ce Niçois né à Casablanca est considéré comme une star du polar des années 1970.

Il met en scène des personnages de caricature, ancrés dans leur statut « éternel » de la France d’alors. Un pays qui n’a pas bougé depuis l’origine de la République, peut-être. Il y a le gendarme qui roule les rrr et aspire à son pastis bien frais du soir ; la grenouille de bénitier au doux nom de Josepha qui surveille tous ses voisins et les racole pour l’église ; l’instituteur en blouse grise et aux mains de craie qui aime les enfants qui lui sont confiés tout en étant sévère sur l’accord des participes ; le riche entrepreneur qui s’est fait tout seul, sanguin et brute ; l’épouse frigide qui a toujours « la migraine » quand il s’agit de faire la chose ; la mère veuve, qui traduit des romans pour Paris, et que le petit monde de province juge « indigne » et aux « idées avancées ». Et puis il y a les enfants.

Ce sont deux onze ans, garçon et fille, faux jumeaux. Ils sont dans leur monde et ce qu’ils ne veulent surtout pas, c’est aller en pension. La nostalgie des ‘Choristes’ ne tient pas face à la réalité des collèges fermés gardés par de vieilles filles confites en religion – les « vrais » collèges de la réalité des années 1970. Les enfants sont capables de tout, croit l’auteur, surtout après 1968 où ils se sont « émancipés », dit-on. Face d’ange et âme de démon. Ou plutôt d’indifférence, comme la société d’alors figée en statuts et en représentations, qui ne voit que l’apparence.

Tout le roman est donc fondé sur l’apparence. Du voisin venu parler de la départementale au faux amour qui devient viol meurtrier, de la découverte par les enfants du corps étranglé jusqu’à leur décision de ne rien dire à personne, de l’angine inventée de la mère à son départ en voyage, des adultes menés en bateau ou dans un puits. La respectabilité craque, chacun se révèle tel qu’il est : des mains d’étrangleur, une obstination de vieille bique, la haine de tante qui croit avoir des droits, l’homme pressé polytechnicien qui se débarrasse des enfants en les appelant ses « anges ».

Les caractères sont sommaires, l’écriture basique, la construction au fil de la plume. Ces enfants sont-ils de vrais enfants ? Leur absence de sentiments et leur jeu de rôle apparaît bien fabriqué, mais qui sait… Son public d’auteur est primaire et il le sait, son succès d’époque vient de là. Il est oublié aujourd’hui. Fallait-il le rééditer ? La collection ‘Noir rétro’ est faite pour ça, qui reprend les succès de ‘Fleuve noir’. Mais Brice Pelman écrit en série comme sortent les autos des chaînes ou les appartements de béton de ces années là. Nous replongeons dans une France archaïque, celle des fameuses Trente glorieuses tant regrettées, dit-on. Et nous ne sommes finalement pas mécontents d’avoir évolué…

Reste que l’on ne s’ennuie pas à lire cette courte série qui ne dépasse guère les 180 pages imprimées gros. L’impression de lire un roman d’adolescent : de l’action, presqu’aucune description, pas de psychologie sauf à la serpe et une intrigue intrigante. Pour les nostalgiques qui voudraient savoir ce qu’étaient la France et les Français il y a trente ans seulement.

Brice Pelman, Attention les fauves, 1981, Noir rétro Fleuve noir Plon, 2010, 180 pages, €8.55

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Harry Potter

A ma surprise – et sur les conseils du gamin lorsqu’il avait 12 ans – j’ai commencé du bout des yeux le premier tome des Harry Potter (le plus court). Il trouvait ces livres « tellement bien »… Je me suis retrouvé cinq jours plus tard à avoir dévoré le 4ème !

Harry Potter, écrit par une chômeuse mère de famille dans les pubs (parce qu’ils étaient chauffés), c’est magique…

Il y a de la fantaisie, des qualités humaines, des caractères, de l’intrigue. C’est très bien fait, très anglais, ce qui veut dire exotique pour nous français. Dans la même veine que le « Seigneur des anneaux » en plus actuel.

Harry, onze ans dans le premier tome, un an de plus à chaque volume, est scolarisé dans un collège de sorciers, un peuple « parallèle » à notre réalité. Où l’on découvre de quoi se nourrissent les Scrolls à pétard et que « troll » est la pire insulte pour une fille. Le message est subversif contre notre société vue par une exclue. Le nom du héros, par exemple, est un concentré de déviance : Harry est le diminutif d’Henri, mais il n’est pas connoté comme notre bon Henri IV de la poule au pot – il signifie pour les Anglais le diable, en référence à Henri VIII (Old Harry) ! Potter lui-même, banal potier, veut dire quand il est verbe (to potter) bricoler ou flâner, en bref ne travailler qu’en dilettante.

Son ennemi est le blond pur ethnique Draco Malfoy (mauvaise foi en ancien français), un musclé couard égoïste entouré d’une cour de faire valoir.

Pied de nez à la société tout-finance des années 2000, les romans prônent le retour à la bonne vieille magie antique et aux vertus classiques. Collège anglais dans les fins fonds écossais avec château gothique, forêt profonde et neige à Noël, Poudlard forme le caractère plus que l’intellect :

  • Être bon dans une équipe compte plus que réussir tout seul face à sa copie.
  • Il est nécessaire de travailler avec les autres, pas tout seul, ni seulement sur la théorie.
  • Le courage est la vertu exigée des jeunes Anglais.
  • L’intelligence, réclamée aux jeunes Français, ne vient qu’en second, plus tournée vers la pratique (le bon sens et la ruse plus que la spéculation abstraite).
  • La fidélité en amitié est plus précieuse que l’apparence physique ou l’origine.
  • On ne récompense jamais le délateur, même pour « bons » motifs (comme chez nos profs qui encouragent le « j’vais l’dire à la maitresse »). Mais plutôt la camaraderie et l’honneur.

Chaque aventure est une épreuve que le héros doit surmonter pour réanimer le Bien contre les forces du Mal. Cela entre deux cours pragmatiques de Divination (soporifique), de Potions et Poisons (astucieux), de Résistance aux forces maléfiques (utile), d’Histoire des sorciers (indispensable) et d’élevage des bêtes magiques (hum).

Plusieurs films en ont été tirés avec le jeune Daniel Radcliffe, qui grandit avec les aventures. L’avant-dernier film vient de sortir, le suivant sortira avant l’été prochain. Le héros est désormais majeur et l’on dit qu’il va enfin se montrer torse nu et sauter sa copine – comme dans la vraie vie, quoi.

J’ai toujours préféré les livres aux films car ils ne brident pas l’imagination. Le Gamin aussi. Mais il faut avouer que les décors et les effets spéciaux des films rendent bien l’atmosphère un peu folle et féérique des histoires. Et que les acteurs sont diablement sympathiques.

Pour moi, ces films ont l’âge du gamin. Harry Potter a grandi avec lui, a changé avec lui, découvrant les amis, les adversités et les amours en même temps que lui. Revoir ces films, c’est me replonger dans son enfance et adolescence, le voir se métamorphoser, s’élancer, mûrir. Cela me touche profondément.

Harry Potter, les 10-12 ans en raffolent ; les adultes lettrés apprécient. J’en suis.

Joanne Rowling, Harry Potter (6 volumes), Gallimard Jeunesse :

tome 1 L’Ecole des sorciers

tome 2 La chambre des secrets

tome 3 Le prisonnier d’Azkaban

tome 4 La coupe de feu

tome 5 L’ordre du Phénix

tome 6 Le prince de sang mêlé

tome 7 Les reliques de la mort

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