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Ces garçons qui venaient du Brésil de Franklin Schaeffner

Le film, sorti en 1978, surfait sur la mode qui remettait les nazis au goût du jour. Il est adapté du roman d’Ira Levin sorti en 1976 et qui a connu un grand succès. Décédé en 2007, l’auteur était un juif new-yorkais connu surtout pour Rosemary’s Baby (une femme violée en rêve par le diable) dont Polanski a fait un film. Cette mode en croisait une autre mode surgie dans les années 70 : la génétique.

Depuis la Seconde guerre mondiale, en effet, la génétique a opéré des pas de géant. Dès 1944 il est démontré que l’ADN est le support biochimique des caractères héréditairement transmis ; en 1953 Watson et Crick prouvent la structure de l’ADN en double hélice ; en 1958 Jérôme Lejeune décrit la trisomie 21 ; dans les années 60 François Jacob, Jacques Monod et François Gros distinguent l’ADN mémoire de l’ARN messager. Au début des années 70, les méthodes et outils permettent le génie génétique et la manipulation des gènes en les recombinant. Et c’est en 1977, à la veille de la sortie du film, que débute le clonage des gènes humains.

Hitler et les nazis faisant de la « race » le socle de leur société et de leur projet politique, la rencontre des survivants du IIIe Reich et du clonage ne pouvait que s’opérer dans un thriller à succès. De quoi bien faire peur sur l’avenir avec les démons du passé.

Les garçons qui viennent du Brésil sont des bébés soumis à l’adoption dans des familles choisies à travers le monde. Il s’agit d’un complot mondial financé par d’anciens nazis, regroupés dans l’association des Kameraden (camarades), et dont la partie scientifique est opérée par le célèbre et démoniaque docteur Mengele (Gregory Peck, époustouflant dans le rôle). Celui-là même qui fit des expérimentations à vif sur les détenus des camps, juifs et non-juifs, femmes et enfants compris. Il s’est intéressé notamment aux jumeaux et à la génétique, comment l’environnement pouvait actualiser différemment les gènes. Après guerre, réfugié en Amérique du sud comme tant d’autres nazis, il est censé avoir poursuivi ses expériences sur les populations amérindiennes, considérées comme des sous-hommes même par les gouvernements latinos locaux.

Le vieil Ezra Lieberman (Laurence Olivier, remarquable avec son accent yiddish et sa bonhommie d’Europe centrale) est un célèbre chasseur de nazis sur le modèle de Simon Wiesenthal. Il vit à Vienne en Autriche avec sa sœur Esther (Lili Palmer) dans un appartement qui a des fuites et dont il peine à payer le loyer. Il reçoit un appel du Paraguay de la part d’un jeune juif activiste, Barry Kohler (Steve Guttenberg). Le jeune homme croit avoir un scoop : il a retrouvé des officiers nazis et même le docteur Mengele. Ce n’est pas neuf pour Lieberman, il le sait, comme tout le monde et conseille à Kohler de quitter le pays immédiatement s’il veut conserver la vie. Les nazis ne rigolent pas avec ceux qui les observent.

Évidemment l’aventurier excité par sa découverte n’en fait rien et va même jusqu’à soudoyer un gamin qui sert de portier à l’imposante demeure de Mengele. Il le convainc de poser un dispositif d’écoute dans le salon en échange d’une radio toute neuve. Ce qui lui permet d’entendre et d’enregistrer une conversation entre tout un groupe de nazis chargés d’assassiner 94 fonctionnaires de 65 ans dans différents pays, à des dates précises. Naturellement, le jeune juif inconscient est repéré et poignardé à mort, sa cassette confisquée. Il a eu juste le temps de téléphoner à Lieberman pour lui passer les premiers moments de l’enregistrement avant que l’autre entende sa mort en direct.

Le vieux chasseur de nazis se dit qu’il y a peut-être quelque-chose à creuser et surtout des meurtres à empêcher. Il joint un journaliste de Reuters à Vienne qui lui doit un service pour qu’il lui communique toutes les coupures de presse sur les morts d’hommes de 65 ans dans les prochaines semaines. Il cherche le point commun. Tous sont pères de famille, du même âge et avec une épouse de 23 ans plus jeune ; tous ont un garçon de 14 ans. Et pourquoi 94 ? Parce le chiffre est proche de 100, ce qui permet une bonne probabilité de réussite. Il va voir une famille à Londres dont le père vient de décéder d’un accident et la porte est ouverte par un garçon pas très aimable au teint pâle, aux cheveux très noirs avec une mèche sur le front, et des yeux très bleus (Jeremy Black, né en 1962 d’un père juif ashkénaze, presque 15 ans au tournage). Lors d’une seconde visite aux États-Unis, il a la surprise de rencontrer le même garçon, comme s’ils étaient jumeaux. Un activiste juif de la bande à Kohler, qui veut l’aider, va visiter une troisième famille et décrit un garçon semblable.

Lieberman sollicite alors un entretien avec Frieda Maloney (Uta Hagen), rattrapée par son passé de gardienne du camp d’Auschwitz et emprisonnée. Elle l’informe qu’elle a travaillé pour les Kameraden en livrant des bébés adoptables depuis le Brésil à des familles qui ne pouvaient avoir d’enfants. Elle n’en sait pas plus mais Lieberman se rend auprès du Dr Bruckner, biologiste qui lui explique les principes du clonage, tout juste découverts. En inscrivant au tableau noir les caractéristiques des enfants, Lieberman et Bruckner comprennent qu’il s’agit de cloner Adolf Hitler et de reconstituer son environnement familial le plus précisément possible : son beau-père Aloïs autoritaire et abusif décédé lorsque Adolf avait 14 ans ans, sa mère Klara de 23 ans plus jeune effacée et fusionnelle avec son fils – afin d’en faire des activistes politiques aptes, une fois adultes et dans chacun de leur pays, à soulever la race pour un IVe Reich.

Cette curiosité inquisitrice et surtout la célébrité médiatique d’Ezra Lieberman effraient les commanditaires nazis, qui veulent garder profil bas. Mengele dérape de plus dans la mégalomanie, se prenant pour le donneur d’ordre suprême de la SS et allant jusqu’à frapper un capitaine pour n’avoir pas obéi très exactement à ses ordres précis. De quoi attirer l’attention sur eux. Ils stoppent donc le projet contre l’avis du docteur et brûlent sa maison pour effacer les traces. Mais il est parti pour le lieu de la prochaine visite probable de Lieberman à une famille dont le chef doit mourir à ses 65 ans. Dans une ferme isolée, il tue le père adoptif après l’avoir isolé de ses dobermans de garde et attend Lieberman qu’il veut zigouiller aussi afin de poursuivre tout seul sa mission. Mais il tire comme un pied, ratant le Juif assis à deux mètres de lui – il est du genre à rater un éléphant dans un couloir, ce nazi haineux, ce qui est plutôt grotesque et une faiblesse du montage !

Lieberman parvient à ouvrir la porte aux dobermans qui sautent sur Mengele et le tiennent en respect parce que c’est lui qui tient l’arme ; ils sont dressés. Le gamin revient de l’école, ce clone-ci se prénomme Bobby, il ressemble évidemment aux autres et a du sens artistique en prenant des photos comme son ancêtre biologique qui peignait des aquarelles. Lieberman lui fait chercher son père adoptif et, lorsqu’il le trouve mort, il revient au salon et ordonne aux chiens d’attaquer ; ils égorgent Mengele. Bobby se délecte à prendre des photos bien gore. Lieberman ne dira rien à la police et il est emporté en ambulance pour être soigné de ses blessures superficielles par balle.

Dans sa chambre, l’activiste juif reconnaissable à sa coiffure quasi afro de cheveux bouclés serrés – signe racial comme Kohler ? – exige de Lieberman qu’il lui remette la liste des 94 clones afin de les éradiquer. Lieberman refuse : ce n’est pas parce qu’on est juif et que l’on a souffert de la barbarie nazie qu’il faut agir en nazi. Ces enfants n’ont rien demandés, ils sont innocents des crimes de leur père génétique et de leur médecin manipulateur ; ils ont le droit de vivre leur vie. Et il brûle la liste sous les yeux du jeune.

La caméra opère une transition où l’on retrouve Bobby dans une salle à lumière inactinique, où il développe ses photos. Il semble regarder les plaies de Mengele et les morsures des dobermans avec un certain plaisir, tout en manipulant le bracelet de dents de jaguars de Mengele. Cette scène a été coupée à la télévision allemande et n’a été rétablie que dans la version DVD. Ils préféraient le Juif qui pardonne à celui qui se pose des questions sur le Bien et le Mal, sur l’inné et l’acquis, sur les gènes et l’éducation. Ce sont pourtant les bonnes questions – toujours les nôtres.

Elles posent en effet le dilemme de faire société sur la biologie ou sur la culture.

Dans le premier cas, on est juif en société juive que parce que l’on est né d’un mère juive – c’est le cas d’Israël ; en conséquence symétriquement, pour l’activiste juif face à Lieberman, être né d’un père nazi (comme les 94 clones) fait de vous automatiquement un nazi.

Dans le second cas, être éduqué selon certaines valeurs d’une certaine culture font de vous un citoyen de tel pays ; il s’agit d’une forme de choix social, familial, personnel, culturel – pas d’une assignation génétique.

C’est toute la différence entre les sociétés anti-modernes d’Ancien régime, fondées sur le « sang » et le « sol », et les sociétés issues des Lumières fondées sur l’éducation et le contrat social, la « volonté » affirmée d’être par exemple français. A ce titre, toute personne humaine peut devenir « française » – à condition d’accepter les valeurs, la culture, le mode de vie français, et de s’y sentir bien : c’est ce que l’on appel l’universalisme.

Mais ces positions extrêmes sont chacune idéologiques. La position la plus juste est probablement de considérer que la biologie comme le territoire sont naturellement les bases de l’individu et de la société, mais que la culture et l’éducation – qui évoluent – les forment et les déforment tout au long de la vie.

C’est alors à chacun de choisir ce qu’il prend ou ce qu’il change, en fonction de sa propre histoire incluse dans la grande histoire. Chaque société choisit les individus qui veulent en faire partie, qu’ils soient dissidents de l’intérieur ou demandeur d’asile venus de l’extérieur. Les exemples de la Chine « communiste » de Mao devenue nationaliste, tout comme la Russie « révolutionnaire » anticapitaliste de Lénine, devenue réactionnaire et xénophobe, montrent combien ethnie et culture se combinent in fine.

Un film fait pour faire réfléchir.

DVD Ces garçons qui venaient du Brésil (The Boys from Brazil), Franklin Schaeffner, 1978, avec Gregory Peck, Laurence Olivier, James Mason, Lilli Palmer, Uta Hagen, Jeremy Black, Elephant films 2019, 2h02, nouveau master restauré HD €16,90

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Pour le pire et pour le meilleur de James Brooks

Huis-clos entre trois personnages, chacun enfermé dans sa paranoïa, et tous enfermés dans la grosse pomme, la New York polluée de la foule solitaire. Nous sommes à la fin des années 1990 et les Yankees réfléchissent avant de sombrer dans le chaos mental de l’après 11-Septembre. La solitude de chacun est construite, pas une destinée manifeste. En sortir est possible, sans l’aide des psys et autres monnayeurs de soins personnels. Pour en sortir, il faut agir par soi-même, procéder par petits pas, arriver à « l’aussi bon que possible » (as good as it gets) – qui est le titre américain du film.

Melvin Udall (Jack Nicholson) est un auteur sentimental à succès qui vit seul, affligé de névrose obsessionnelle compulsive. Elevé par un père sévère qui lui tapait sur les doigts lorsqu’il fautait au piano, il est devenu maniaque. Tout doit être dans le même ordre, rangé, chacun à l’heure, se défiant de la saleté. Il ferme sa porte à double tour, répétant trois fois la fermeture ; il n’utilise qu’un savon neuf à chaque fois qu’il se lave les mains, puis le jette aussitôt ; il évite soigneusement de marcher sur tous les joints des dalles au sol et un carrelage en damier trop petit le met en transes ; il porte des gants pour toucher toutes choses et apporte ses propres couverts en plastique au restaurant pour manger… Lorsqu’on l’interroge pour savoir comment il comprend si bien les femmes, il a cette réplique culte : « j’écris au masculin, puis j’enlève toute logique et toute responsabilité ». Il ne supporte pas que le chien d’en face vienne pisser le long du mur au lieu de prendre l’ascenseur. Il le fourre donc dans le vide-ordure.

Lorsque Simon Bishop (Greg Kinnear), le pédé d’en face, cherche son petit amour frisé de griffon bruxellois nommé Verdell, Melvin le rembarre : il n’en a rien à foutre du pisseux, rien à foutre de la pédale dépoitraillée qui s’offre à son regard, rien à foutre des autres. Il travaille et ne veut pas être dérangé. C’est le concierge qui rapporte le chienchien à son maîmaître en pleine partouse artistique entre mâles avec whisky, champagne et petits fours. Car Simon est peintre ; il a fait ses premiers essais durant sa prime adolescence, lorsque sa mère posait nue pour lui en toute innocence (c’était après 68…). Son père qui l’a découvert s’est mis en fureur et l’a interdit, finissant par frapper son fils pour que cela marque sa psychologie. Déjà tendancieux, Simon a viré pédale, incorporant l’interdit des femmes. A l’âge de l’université, papa l’a mis dehors et il vit de ses toiles pour lesquelles il demande des modèles dans la rue à son agent Franck Sachs (Cuba Gooding Jr).

Un jour, le jeune modèle dans la dèche Vincent (Skeet Ulrich), qui croyait devoir coucher et s’est mis aussitôt à poil, encourage ses copains à voler le pédé pendant qu’il se pavane devant lui pour qu’il le dessine. Un coup classique de la drague homo. Simon lui révèle la beauté qu’il voit dans chacun lorsqu’il le regarde assez longtemps pour percevoir ce qui est sous la surface sociale : une vieille dame, un enfant, n’importe qui dans la rue ou au café. Vincent est touché mais ses copains font du ramdam et le chien aboie. Simon va voir alors qu’il n’aurait pas dû. Il est tabassé sévèrement malgré Vincent qui s’interpose. Il finit à l’hôpital où sa beauté est ravagée pour plusieurs semaines, ce qui le met en dépression. C’est pire lorsqu’il sort : il est ruiné par les frais indécents de la médecine privée américaine, 61 000 $ pour les trois semaines.

Pendant ce temps, Melvin a gardé le chien. A contre cœur au début, forcé par l’agent de Simon qui lui fait les gros yeux et en rajoute sur l’attitude autoritaire pour lui renvoyer la sienne en miroir. Verdell le clebs se fait tout humble devant la grosse voix puis s’apprivoise. Il ne mange plus ni croquettes ni pâtée pour chien mais du bon : du rôti, de bacon. Il est pris par le ventre et n’a plus trop envie de retrouver son vrai maître, qui accuse un peu plus le coup lorsqu’il s’en rend compte. Personne ne l’aime, personne ne le comprend, l’art est une occasion de le flouer, et ainsi de suite. Franck l’agent va solder ses comptes, relouer son appartement en meublé, prêter sa voiture, une Saab décapotable bleu ciel pour que Simon aille demander personnellement de l’aide à ses parents… et c’est Melvin l’asocial qui va le conduire ! Il faut toujours forcer la main à ceux qui n’osent pas sortir de leur cocon mental.

Melvin va déjeuner chaque jour dans le même restaurant de son quartier de Manhattan ; il prend la même table et exige la même serveuse, Carol (Helen Hunt). Celle-ci l’a trouvé séduisant la première fois, puis insupportable par la suite, et elle le rembarre lorsqu’il va trop loin. Mais l’accoutumance est trop forte et elle est comme une drogue pour Melvin : elle le rend meilleur, plus efficace que le psy qu’il voit et qui ne jure que par les pilules à vendre. Mais Carol a un talon d’Achille, son fils Spencer (Jesse James à 8 ans) coiffé en blond cocker et asthmatique au dernier degré. L’hôpital public ne fait que des analyses superficielles et le gamin est obligé d’être conduit aux urgences six fois le mois. Un jour donc, elle s’est fait remplacer au restaurant, au grand dam de Melvin qui ne le supporte pas et est chassé par le patron sous les applaudissements des clients réguliers, outrés du malotru qui a traité la nouvelle de grosse vache. Carol se cache derrière son petit malade pour éviter de vivre, malgré les encouragements de sa mère Beverly (Shirley Knight). Pour son confort, Melvin engage à ses frais le mari docteur de son éditrice à succès pour soigner Spencer et que Carol revienne. Cette générosité égoïste n’en reste pas moins une générosité, tout comme la garde du chien et la conduite à Baltimore.

Car Melvin convainc Carol de se joindre à Simon et lui pour les deux jours d’aller et retour chez les parents de Simon. Son idée est de draguer Carol tout en faisant une bonne action pour Simon, sur la demande de Franck. Les relations sont compliquées mais chacun doit y trouver son intérêt. Les présentations sont vite faites, à la brute, version Nicholson de la grossièreté habituelle aux Américains : « je vous présente : la serveuse, la pédale ». Chacun est étiqueté et fait avec. Le voyage voit se concilier Simon et Carol tandis que Melvin est relégué à l’arrière de la voiture. Simon raconte son histoire, ce qui touche Carol. Melvin tente de se rattraper au restaurant de tourteaux où il emmène Carol seule, Simon préférant rester au lit. Il lui raconte son âme à lui mais la blesse par des propos trop directs, comme ce « tablier » qui lui sert de robe. Carol le quitte et rentre ; Simon, couché mais pas endormi, la voit se couler un bain dénudée et est pris d’une envie folle de la dessiner, tout comme il dessinait maman jadis. Il reprend goût à la vie et décide de seulement téléphoner à sa mère, sans rien demander aux parents ni les voir s’ils ne le souhaitent pas.

Ils rentrent donc tous ensemble à New York, ce qui ne fait pas les affaires de Melvin. Franck a installé le lit de Simon chez Melvin « provisoirement », en attendant de trouver un logement plus raisonnable à son poulain désargenté. Melvin accepte Simon après le chien mais pas question de coucher ensemble, il en pince pour Carol. Pourquoi ne pas aller le lui dire directement et dès maintenant, dit Simon requinqué ? Qu’à cela ne tienne, aussitôt dit, aussitôt fait et Melvin se rend chez Carol à deux heures du matin. Ils sortent se balader et s’embrassent, enfin conciliés.

Melvin, Simon, Carol, Spencer, Verdell, tout est aussi bon que possible. Les relations ne seront peut-être pas idéales ni sans orages à l’avenir, mais chacun a rentré ses piquants pour faire de la place aux autres sans se blesser mutuellement. Les compromis dans la vie permettent de faire société. Melvin en perd ses manies et en devient humain, Simon se reprend à dessiner, Carol à espérer autre chose que sa vie de serveuse et de garde-malade. Le petit Spencer vient de marquer un but au foot, pouvant enfin courir sans cracher ses poumons, enfant enfin normal vis-à-vis de ses copains.

La suite de ce couple à trois semble cependant incertaine ; ils vont rester amis et unis, mais sans peut-être aller plus loin. Les relations de Simon et de Spencer, soigneusement évitées dans le film, ne sauraient être que scabreuses au vu des mœurs affichées de Simon. Quant à un mariage entre Melvin et Carol, il reste très improbable. « Aussi bon que possible », mais il ne faut pas trop demander.

Jack Nicholson et Helen Hunt ont reçu l’Oscar du meilleur acteur.

DVD Pour le pire et pour le meilleur (As Good as It Gets), James L. Brooks, 1997, avec Jack Nicholson, Helen Hunt, Greg Kinnear, Cuba Gooding Jr, Shirley Knight, Skeet Ulrich, Jesse James, Sony Pictures 1998, 2h13, €10.00 blu-ray €12.67

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Le tour de Notre-Dame

La cathédrale Notre-Dame est plus qu’un lieu de culte catholique, elle est un symbole, l’incarnation d’un imaginaire dans l’histoire longue, ce qui fait toute société selon l’anthropologue Maurice Godelier.  Le tweet raciste de l’inculte nomade diversitaire de l’UNEF nommée Hafsa montre que « faire société » n’est pas l’objectif de tous dans notre pays. Or Notre-Dame est le cœur de la France. Pour le comprendre, il faut en faire le tour.

Depuis son parvis sont calculées les distances de tous les lieux du pays. Le point zéro des routes est ici, sur l’île où vogue Notre-Dame comme une nef renversée. Car cette église est un vaisseau échoué, ses deux tours comme un château arrière, sa flèche (aujourd’hui détruite) comme un beaupré haubané d’arches fines, tendant les mâts de sa toiture. Elle vogue à la rencontre du soleil et de Jérusalem, lieu de la naissance du Christ. Ce vaisseau de ligne est la foi qui passe et qui protège.

Elle recèle un trésor : celui ramené par Saint-Louis des croisades, « la » Couronne d’épines qui a martyrisé Jésus, attestée par les récits des pèlerins au 4ème siècle et négociée par le roi Louis en 1239. Chaque premier vendredi du mois et le Vendredi Saint, elle est présentée à la vénération des fidèles. L’accompagnent un clou de la Passion et un fragment du bois de la « vraie » Croix, découverte par Hélène, impératrice devenue Sainte, à Jérusalem en 326. L’authenticité de ces reliques est rien moins que prouvée mais cela n’importe pas aux croyants.

La cathédrale par le quai Saint-Michel surgit au-dessus des éventaires des bouquinistes comme une élévation de la culture, une sorte de temple qui justifie le savoir et la philosophie. Sa façade ouest fait face au soleil de l’après-midi. Elle est carrée, claire, apollinienne. Elle est force sereine, même la nuit. Sa façade est un visage : ses deux yeux sont les tours de 69 m de haut, son nez la rosace de la Vierge, son sourire les trois portails en demi-lune comme des dents. Elle présente sa puissance aux vents venus du large comme aux Vikings et autres ennemis venus par la Seine. Sur son île, elle trône comme la Foi, le Savoir et la Sagesse. Elle est la France éternelle dont l’esprit survit sous d’autres aspects.

Elle a été bâtie en ce beau treizième siècle de réchauffement climatique, d’essor démographique et de formidable optimisme des hommes. Un lieu de culte gaulois, puis romain, existait sur cette partie de l’île – des vestiges datant de Tibère (+14 et +37) ont été découverts. Une basilique mérovingienne les avait remplacés vers le 5ème siècle. Mais c’est le mouvement gothique qui a incité l’évêque Maurice de Sully à lancer ce projet en 1160. La première pierre a été posée en 1163 il y a presque mille ans. La consécration du maître-autel a eu lieu en 1182 et la cathédrale a été déclarée achevée en 1345 – jusqu’aux restaurations du 19ème siècle après les déprédations révolutionnaires.

Louis VII a fait un don en 1180, mais la cathédrale n’a pas été un « chantier royal » ; elle a été financée par les bourgeois de la ville et par le peuple. Comme aujourd’hui où les dons, même défiscalisés à 60 ou 75%, seront les principaux financements du chantier, « l’Etat » n’apportant que peu au pot, hors les impôts qu’il ne prélèvera pas (il est donc faux de dire que la défiscalisation appartient au budget de l’Etat : il ne donne rien, il ne ponctionne pas).

Le vaisseau doit être contourné pour l’examiner sous tous ses angles. Son portail sud, bâti en 1257 au-dessus du petit jardin du presbytère, est lumineux, au centre exact de ses 127,5 m de longueur. Au centre du portail Saint-Etienne trône de part et d’autre des portes la rosace des Vierges sages et des Vierges folles, thème issu de l’évangéliste Matthieu: « Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d’huile avec elles; mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases » (25:3-4). Celles qui sont prêtes dans l’Au-delà entrent dans la salle des noces avec l’Epoux ; les autres sont laissées à la porte. La leçon de morale est que fou est celui ou folle est celle qui méprise la sagesse, qui ne craint pas le Seigneur, qui ne respecte pas sa volonté ni les commandements de Dieu.

Sur le pont de l’Archevêché, des peintres du dimanche composaient jusqu’à l’incendie des Notre-Dame d’amateurs. Ils tentaient ainsi de s’approprier cet élan et cette beauté qui, partout, font vivre.

Côté est, la flèche gracile prévue à l’origine mais installée en bois au 19ème siècle par Viollet-le-Duc a brûlé et s’est effondrée ce lundi soir 2019. Elle pointait comme une aiguille aimantée vers la lointaine Ville sainte qui sert de méridien zéro. Elle pesait quand même 750 tonnes : faut-il la reconstruire en bois à l’identique ? Ou en matériaux contemporains ? Ce qui compte est le symbole, pas la lettre, et « conserver » la restauration 19ème ne me semble pas forcément le meilleur. Ce chevet respire par la verdure du square Jean XXIII, espace dégagé par les travaux du baron Haussmann sous Napoléon III. Un ange de l’ère romantique frissonne au coin de la fontaine.

La façade nord est sombre et froide, coincée par l’étroite rue du Cloître Notre-Dame. Elle est toute hérissée de contreforts qui dardent leurs gargouilles monstrueuses. L’ennemi est bien l’obscurité, le gel, l’obscurantisme. La barbarie vient de ces endroits sombres d’où ressurgissent toutes les terreurs, les non-dits, l’informulé. Le retour vers le parvis est un soulagement. Toute religion, en nos pays tempérés, semble liée d’une façon ou d’une autre au soleil : à sa chaleur qui apaise, à ses facultés germinatives, à sa lumière qui chasse les fantômes.

Il y a la queue à la tour nord. 387 marches à monter et une vue sur tout Paris. Le tout Paris médiéval car depuis, la ville s’est trop étendue pour la saisir d’un regard. Même la tour Eiffel n’y suffit plus. Mais il faut se remettre dans les conditions du 13ème siècle pour mesurer le tranquille orgueil de qui pouvait contempler toute la ville capitale du royaume d’Occident d’un seul coup d’œil. La Foi, le Savoir et la Sagesse dominaient le monde alentour comme l’esprit humain dominait le corps. Ce temps d’optimisme, nous l’avons perdu.

Est-ce pour cela que 11 millions de visiteurs viennent ici chaque année ? Sont-ils en pèlerinage pour implorer cette source de vitalité ? Est-ce pour cela que courent encore ces petits Scouts de France dont la chemise bleu de ciel est un rappel du manteau bleu de la Vierge ?

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Culture, inculture, multiculture

Le débat existe dans l’élite française entre les bobos postmodernes, nomades sans attaches, qui se croient de gauche alors qu’ils adoptent sans réfléchir l’idéologie américaine de l’homme sans qualités – et les autres, attachés aux Lumières mais ancrés dans une culture ouverte : celle de l’Europe.

• Les cultures existent, elles sont diverses – c’est un fait anthropologique.
• Elles ne sont ni isolées, ni figées, mais en interactions entre elles et en devenir – c’est un fait historique.
• Elles fondent les appartenances et font société par la transmission des façons de voir et de sentir, de parler et de se comporter, de cuisiner et de croire – c’est un fait sociologique.

Mais les bobos de gauche ne croient pas aux faits ; ils préfèrent leurs illusions confortables de Bisounours roses pour lesquelles tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, et si le monde entier se donnait la main… La niaiserie du christianisme de vieilles filles laïcisé sous forme « d’idéal » humanitaire.

Je crois pour ma part que les croyances ne doivent pas tenir contre l’analyse des faits. Ce pourquoi je ne peux « être » de gauche, puisque les bobos de gauche, qui refusent tout naturalisme et toute essence, font de cette croyance en l’utopie que tout le monde il est beau une « essence » qui prouverait la gauche. Je ne peux que « suivre » la gauche en quelques actions, mais pas en croyance.

Contrairement aux communautaires, pour qui la culture enferme dans le clan et assigne aux traditions et à la religion, les sociétaires croient en l’Homme abstrait platonicien, d’essence universelle. Or si j’ai croisé nombre d’humains, je n’ai jamais rencontré l’Homme en soi : il faut faire avec. Je ne crois donc ni l’une ni l’autre des positions tranchées entre communauté ou société. Chaque être humain est dans une dépendance, mais relative, à son milieu ; il dispose d’une autonomie – qui croit avec son niveau d’éducation, son intelligence et ses moyens d’existence. Encore faut-il vouloir acquérir tout cela, au lieu de récriminer être discriminé. La multiculture serait-elle une façon de nier la culture par inculture ?

torse plastique

Il suffit de quitter la France pour se sentir français, l’Europe pour se constater européen et – nous ont dit les astronautes d’Apollo 13 – de quitter la planète pour se sentir vraiment terriens. Il y a donc bien un universel humain, mais dans lequel les appartenances emboitées ont chacune leur place sans qu’aucune n’exclue l’autre. Dans les faits, nous parlons des langues différentes, vivons sous des climats différents, avec des cultures (agricoles) et des habitudes culinaires différentes, un rapport à l’État et à la société différent. Il faut tout le narcissisme des bobos égoïstes dans leurs « créations » artistes (et jalousement gardiens des « droits » d’auteur sur leurs œuvres), pour ne pas vouloir même le savoir. Il faut toute la bêtise de masse de la classe aisée politiquement correcte, qui s’auto-congratule entre soi dans les médias connivents, pour ignorer qu’on peut être de tel village et disons Normand et Français, Français et Européen, et se sentir appartenir à la planète pour prendre soin d’elle. Ignorer : est-ce faire preuve de culture ?

La culture est naturelle, mais elle n’est pas de nature. Les multiculturalistes confondent allègrement, avec cette courte vue qui est de leur génération, la multiplicité des cultures (qui est une bonne chose en termes d’environnement) et la multiculture (qui est un magma sans queue ni tête). Mais le bobo cultureux adore faire ce qu’il veut, quand il veut, sans se soucier des autres et encore moins de la cité. « J’ai l’droit » est son slogan, sans cesse réaffirmé sur la route en voiture, en contresens en vélo à Paris, en skate sur les trottoirs (à 30 ans passés). Il adore papillonner, le bobo sans passé, goûter un peu de ci, et puis un peu de ça, guidé par les « j’aime » ou « j’aime pas » dont il assaisonne ses « commentaires » emplis de vide sur les réseaux sociaux. Sans voir que ce papillonnage participe de l’abrutissement commercial du système économique (que pour autant il pourfend… en paroles seulement). Le marketing fait son miel des micro-tribus qui cherchent à se « distinguer » pour se hausser du col, montrer combien ils sont « plus » beaux et gentils que les autres, voire combien ils sont « trop ».

Ils sont contre les cultures car « la » culture demande un passé, qu’ils récusent (bien qu’ils se repentent sans cesse et commémorent à longueur d’année), et que « la » culture demande un effort dont ils sont incapables, bien trop accros aux derniers gadgets de la technique (dont ils vilipendent l’intrusion et l’esclavage à longueur d’éditoriaux indignés). Nier toute différence permet leur liberté négative, celle de faire ce qu’ils veulent quand ils veulent et comme ils veulent, degré dernier de l’individualisme narcissique qui est la licence – cette perversion démocratique analysée par Tocqueville.

Rien de plus intolérants que ceux qui ont répudié la Raison au nom de la Tolérance. Car ce qu’ils affichent n’est jamais pratiqué, mais imposé comme mantra et slogan. Le « respect » pour tout et tous n’est qu’ignorance de tout et tous. Une vaste flemme qui répugne à aller vers l’Autre, l’Étrange ou l’Ailleurs parce qu’on préfère cocooner dans son nid douillet, entre soi. De cette paresse on fait vertu, « stigmatisant » ceux qui évoquent les particularités des gens autres que les nôtres, grimpant immédiatement aux rideaux du « racisme » et de la « Shoah » – mot magique, tu-dois impérieux qui arrête toute discussion. Là où il n’y a rien à débattre, il n’y a pas d’attention à l’autre (qui pense différemment de vous), ni de démocratie possible. Il y a seulement l’égoïsme borné de qui croit détenir la Vérité tout entière, troupeau qui voudrait imposer par la force du politiquement correct le silence à tous ceux qui osent être (eux aussi, quel scandale !) des individus pensants.

Nier les autres, leurs particularités, leur culture propre, c’est faire du monde un endroit « neutre » et des gens un genre : l’« homo » standard réduit aux actes, sans attache – ni humanité. Acte de consommer : homo oeconomicus ; acte de produire : homo faber ; acte de gloser : homo delirans. Il est bien beau, le bobo, dans son inculture de bande, de mépriser l’homo oeconomicus (évidemment « libéral », alors qu’il ne sait même pas ce que le mot « libéral » veut dire). Il est qui, lui, l’homme sans qualités ?

poubelles de l histoire

La gauche postmoderne avec sa multiculture négociée, métissée, fluctuante, est un toxique dangereux.

  • L’État islamique ne se fait pas faute de lui enfoncer dans la gorge à coup de coutelas ou de balles de 9 mm que « sa » culture n’est pas la leur.
  • Le Juif orthodoxe qui brûle des bébés et poignarde allègrement les pédés en Gay pride piétine les héros de la grande cause victimaire bobo.
  • Le Catho intégriste qui brûle des cinémas, pisse sur les œuvres narcissiques ou profane des tombes de victimes, nie les « œuvres » pour lui de non-culture.

Tous disent leur haine de la multiculture, du mélange à la carte et du métissage. Faudrait-il, au nom du tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil – au nom du multiculturel – accepter ces manifestations tellement « originales » ?

Au contraire, il faut « stigmatiser » les haineux, les meurtriers, les intolérants. Et, pour cela, assigner les multicultureux à leur inanité. « Les » cultures existent ; elles ne se font pas la guerre – sauf si on les nie. Ce sont les bobos réfutant les différences qui suscitent la haine et la guerre, pas la loi républicaine qui reste neutre et laïque pour tous. On ne peut faire société en climat de guerre civile, or les bobos clament qu’il « faut » faire société. Ils étalent en cela leur inculture pétrie de contradictions dont ils ne veulent même pas débattre : ils sont bien trop contents d’eux.

Seul le déni de ce qui existe alimente le fantasme et fait monter la peur – jamais la réalité toute crue.

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Genre rétro

Un « grand débat de société » amuse la galerie ces temps-ci en France. Comme les politiciens sont impuissants à conforter l’économie et que leurs outils sont obsolètes, comme l’éducation dite « nationale » et la formation dite « permanente » ne préparent en rien à faire confiance, à travailler avec les autres, à entreprendre ou créer, comme la seule issue d’un gouvernement aux abois est de taxer encore et toujours sans jamais réduire la dépense – une diversion existe : l’idéologie.

Elle fait appel aux croyances et surtout pas aux faits ; elle agite les mythes rassembleurs et clive les appartenances ; elle ne met pas la raison en tête mais le cul en premier. Car qu’est-ce que cette rationalité tant vantée chez les socialistes de gouvernement comme chez les chrétiens activistes de Civitas – puisqu’ils s’assoient dessus ? Leur discours cul par-dessus tête affirme « la » théorie du genre. Or elle n’existe pas : seules « des » études de genre existent dans les universités américaines (Gender studies). Même si des députés socialistes affirment le contraire, dans leur inculture crasse formatée éducation nationale ; même si la porte-parole d’un gouvernement de Bisounours le répète, dans son féminisme hargneux de minorité visible.

baigneur garcon

Écoutons Sylviane Agacinski, philosophe rationnelle accessoirement épouse de Lionel Jospin : « Dans la mesure où le genre désigne le statut et le rôle des hommes et des femmes dans une société, c’est en effet une construction historique et culturelle. Ce qu’il faut défaire, c’est la vieille hiérarchie entre hommes et femmes : c’est ce qu’ont voulu les féministes. En revanche, cette déconstruction n’abolit pas la différence sexuelle… » Voilà qui est dit, et bien dit. Que je sache, ce ne sont pas les hommes qui portent à ce jour les enfants dans leur ventre. En revanche, les hommes comme les femmes sont capables au même titre d’élever les enfants. Françoise Héritier, anthropologue, ne dit pas autre chose : la différence biologique existe, mais l’être humain n’est pas que biologique, il n’est pas conditionné par ses programmations instinctives, comme les fourmis. Il est un être social qui, sitôt né tout armé de gènes, est plongé dans le milieu physique, familial, social, national et culturel pour se développer et construire sa personnalité.

La vieille querelle de l’inné et de l’acquis ne concerne que les croyants des religions du Livre. Ils ont cette foi que Jéhovah/Dieu/Allah a tout créé en sept jours, tout dit lors de la Chute du paradis terrestre en vouant les humains à travailler et enfanter dans la douleur pour avoir osé être curieux de connaissance. Les dérivés laïcs de ces croyances (rousseauisme, socialisme, positivisme, gauchismes et écologismes divers) gardent la foi qu’un Dessein intelligent existe (la Nature, l’Histoire, le Progrès) et que découvrir ses lois permettra la naissance d’un Homme nouveau – beau, intelligent, épanoui, en bonne santé…

Dès lors, surgissent comme partout les activistes et les conservateurs.

Ceux qui veulent conserver souhaitent que rien ne bouge, car tout est bien. Créé une fois pour toutes, dans la perfection de l’Esprit omniscient et tout-puissant, il « suffit » de découvrir le Sens pour être enfin apaisé, fondu dans le grand Tout divin.

  • Découvrir le sens littéral du Texte tonné sur la montagne ou susurré tel quel par l’ange messager Gabriel/Djibril dans l’oreille du prophète.
  • Découvrir le sens du progrès historique par les lois marxistes « scientifiques » de l’économie, donc de la sociologie, donc de la politique, donc du mouvement historique.
  • Découvrir les équilibres non-prédateurs de l’humain dans son milieu planétaire, donc renoncer au néolithique, cette appropriation de la terre pour la cultiver, engendrant la propriété privée et la thésaurisation des récoltes, donc les États et la guerre, donc le machisme, l’esclavage, le colonialisme, l’exploitation de l’homme par l’homme jusque dans les usines et les bureaux.

Pour les conservateurs croyants, il suffit d’attendre que la Vérité émerge, que la Voie se dégage – et l’avenir sera radieux, forcément radieux.

Pour les activistes de ces mêmes croyances, la destinée écrite de tous temps a besoin d’un coup de pouce, d’un coup de main ou d’un coup de force – selon leur radicalité. La société nouvelle doit accoucher dans la douleur. D’où cette fascination pour les révolutions, qu’elles soient françaises passées (on ne parle jamais de l’anglaise, pourtant plus ancienne et bien plus efficace !), marxiste-léniniste, maoïste, castriste, arabes, ukrainienne, vénézuélienne, notre-dame-des-landaise…

Les conservateurs mettent en avant le temps, qui fera naître inéluctablement le progrès ; les activistes mettent en avant la volonté politique, qui fera accoucher au forceps ce même progrès. D’un côté Civitas (et tous les religieux intégristes), de l’autre le parti Socialiste (et tous ses avatars plus ou moins radicaux). C’est ainsi qu’il faut commencer à la racine : dès l’enfance, dès l’école.

Le gène serait une contrainte qui conduit à la famille, donc à l’inertie conservatrice. Nier le gène au profit de la construction revient à changer l’homme dont on a déjà écrit les Droits sur une table de la Loi. « On ne naît pas femme, on le devient », disait Simone de Beauvoir, masculinisée en Castor (Le deuxième sexe). Son compagnon Jean-Paul Sartre lui-même, disait la même chose des Juifs, on ne l’est que par le regard des autres : « C’est l’antisémite qui fait le Juif » (Réflexions sur la question juive). Demandez aux Juifs (ou aux Corses, Arméniens, Bretons et autres) s’ils sont d’accord…

collegiens torse nu au vestiaire

Le biologique est donné, le social est construit. Ce qui fonctionne sur l’appartenance ethnique et culturelle fonctionne pour le sexe. La propension majoritaire hétérosexuelle est autant le résultat de la société et de l’éducation que la propension minoritaire homosexuelle. Il n’y a aucune « raison » à penser que la répression de l’homosexualité suffit à l’éradiquer – ni que l’encourager suffit à éviter l’attirance pour l’autre sexe. Les Grecs antiques comme les Anglais victoriens aimaient pour partie les beaux éphèbes et pour partie les femmes : ces deux sociétés n’ont en rien disparues faute de descendance ! Leur sensualité était surtout indifférente à la distinction des genres…

C’est la symbolique politico-religieuse qui fonde une société, pas la biologie, montre Maurice Godelier. Or les humains ne font société que par le symbole : « déconstruire » est scientifique, mais construire est une exigence si l’on veut faire société. Une société ne fonctionne pas sur le seul rationalisme scientifique, trop réducteur pour embrasser l’humain. Le désir n’a pas de « sens social », seule la reproduction en a un, d’où l’encadrement de la sexualité par la religion, la morale et la loi dans tout groupe humain partout dans le monde et dans l’histoire des primates (eh oui, les singes aussi sont « sociaux »). Les sociétés humaines ne se sont donc pas fondées sur le ‘meurtre du père’ selon Freud, mais sur un refoulement sublimé, ou canalisé par les rites, du désir forcément asocial (anarchique).

Brice Couturier dans un Matin récent de France Culture, a fort justement insisté sur la différence entre égalité entre les sexes – objectif légitime et consensuel – et déconstruction des stéréotypes de genre qui relève d’une tout autre logique. Les stéréotypes sont partout : l’esprit critique et la raison consistent à les déconstruire – non pour les abandonner totalement avec horreur, mais pour comprendre comment ils fonctionnent – et accepter ceux qui sont nécessaires. Par exemple, Poutine comme nouveau Mussolini est un stéréotype actuel répandu : il est partiellement vrai ou, du moins, il trahit peu la vérité (qui est plus nuancée, dans son contexte et l’histoire d’aujourd’hui). Poutine vu comme nouveau Mussolini permet de comprendre comment il fonctionne, le stéréotype peut être ainsi un schéma pour l’action.

Mais les stéréotypes ne sont pas des modèles de comportement. Les enfants qui construisent leur personnalité ont besoin de modèles sociaux, ils n’ont besoin ni de foi (affaire personnelle) ni de préjugés (le nom vulgaire des stéréotypes). Les « mythes » en société existent, Roland Barthes a écrit un beau livre là-dessus ; on peut en jouer, aimer les belles histoires – sans pour cela les croire ni sacrifier à leurs incitations. Caroline Eliacheff : « stéréotypes. Ceux-ci ne sont pas immuables : on peut proscrire ceux qui introduisent une hiérarchie ou des comparaisons dévalorisantes; on peut ne porter aucun jugement sur les enfants qui ne s’y conforment pas : libre à eux de se dégager des stéréotypes mais pas de les ignorer. Ce n’est pas la même chose de « faire comme les garçons » et « d’être un garçon » ». Le film Tomboy est à cet égard éclairant !

Ce pourquoi il faut faire confiance à l’esprit critique et au libre examen – attitude intellectuelle qui n’est possible qu’en démocratie – et pas chez les croyants du Livre qui – eux – doivent obéir au Texte d’en haut. Critiquez Poutine en Russie et vous aurez cinq ans de camp. Comme le modèle de Marine Le Pen est celui de Mussolini actualisé en Vladimir Poutine, les votants français devraient savoir ce qui les attend…

La neutralité de la raison n’est

  • ni le relativisme généralisé (tout vaut tout – donc enseignons au même niveau que la terre est plate puisque c’est ce que disent les religions du Livre – et qu’elle est ronde puisque c’est bien ainsi qu’on la voit de l’espace)
  • ni le rationalisme qui est une dérive réductrice de la faculté de raison (les trois ordres de Pascal ou de Nietzsche).

L’esprit critique n’est pas le scientisme – mais la méthode scientifique (partielle, incomplète, évolutive) est la seule méthode efficace que nous ayons pour l’instant trouvée pour approcher le vrai. Reste que si l’esprit critique est utile en société (pour innover, avancer, proposer), ce n’est pas lui qui FAIT société, mais un ensemble de mythes et de rites arbitraires – symboliques.

  • Déconstruire les stéréotypes sociaux du genre : oui.
  • Nier de ce fait qu’il n’existe plus ni homme ni femme mais une gradation sexuée où transgenres, gais, lesbiens et bi sont fondés en biologie : non.

L’acceptation des différences est sociale, mais la vérité biologique est scientifique.

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Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines

maurice godelier au fondement des societes humaines

Né en 1934, Maurice Godelier est probablement le meilleur anthropologue français contemporain. Il est beaucoup plus connu à l’étranger que chez lui en raison de la coterie des grandécolâtres et du snobisme médiatique. Agrégé de philosophie, licencié en psychologie et licencié en lettres modernes, il a travaillé auprès de Fernand Braudel puis de Claude Lévi-Strauss. Proche de Chevènement, il obtiendra la médaille d’or du CNRS en 2001 pour l’ensemble de son œuvre. Un temps marxiste, praticien de terrain en Papouasie, il s’est détaché de tous ses maîtres pour se forger une opinion personnelle. Il nous la livre à 73 ans dans ce petit opus qui se lit facilement. Ni jargon ni galimatias, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – c’est le meilleur de Godelier.

« Déconstruire les discours et les résultats des sciences sociales, oui. Leur dénier tout caractère scientifique, non. » Il se pose directement contre le relativisme à la mode aux États-Unis et avidement repris par les bobos multiculturels parisiens pour faire bien, « les dissoudre dans des discours narcissiques, se délectant dans le refus de théoriser, dans l’ironie, dans l’incohérence et l’inachevé volontairement recherchés » p.35.

Ce petit livre présente 5 idées reçues de l’anthropologie, contrées par la recherche de terrain (p.39) :

  1. Les sociétés sont fondées sur l’échange (marchandises et dons) : « A côté de choses que l’on vend et de celles qu’on donne, il en existe qu’il (…) faut garder pour les transmettre, et ces choses sont les supports d’identité qui survivent plus que d’autres au fil du temps. » Tout ne s’échange pas.
  2. La famille est au fondement de la société : « Il n’existe pas, et il n’a jamais existé, de sociétés fondées sur la parenté. (… Ni parenté, ni famille) ne sauraient constituer le lien qui unit différents groupes humains de manière à faire société. » C’est la symbolique politico-religieuse qui fonde une société, pas la biologie.
  3. Les enfants sont le produit d’un homme et d’une femme unis sexuellement : « Nulle part, dans aucune société, un homme et une femme n’ont jamais été pensés comme suffisants pour faire un enfant. Ce qu’ils fabriquent ensemble, ce sont des fœtus que des agents plus puissants que les humains, des ancêtres, des dieux, Dieu, transforment en enfant en les dotant d’un souffle et d’une ou plusieurs âmes. » L’enfant s’appartient à lui-même, il n’est pas l’objet des parents; la société l’accueille et l’élève au même titre que la famille par des rituels et des institutions appropriés.
  4. Les rapports économiques constituent la base des sociétés (Marx) : « La sexualité humaine est fondamentalement ‘a-sociale’. Le corps sexué des hommes et des femmes fonctionne dans toute société comme une sorte de machine ventriloque qui exprime et légitime les rapports de force et d’intérêt qui caractérisent la société, non seulement dans les rapports entre les sexes, mais dans les rapports entre les groupes sociaux qui la composent – clans, castes ou classes. »Les rapports économiques sont l’un des rapports sociaux, pas le seul.
  5. Le symbolique l’emporte toujours sur l’imaginaire et le réel : « Tous les rapports sociaux, y compris les plus matériels, contiennent des ‘noyaux imaginaires’ qui en sont des composantes internes, constitutives, et non des reflets idéologiques. (…Ils) sont mis en œuvre par des ‘pratiques symboliques’. » Les humains ne font société que par le symbole.

Dit autrement, nulle société n’existe sans une identité, un imaginaire politico-religieux vécu selon des pratiques symboliques renouvelées, qui s’exerce sur un territoire. Sans territoire, ce n’est qu’une communauté (de parenté, de langue et de principes). Font société par exemple les Baruyas, population de Nouvelle-Guinée étudiée par l’auteur ; l’Arabie Saoudite issue de la rencontre entre le rigoriste musulman Al-Wahhab et le chef de tribu Ibn Saoud en 1742 ; la France refondée en 1789 ; les États-Unis nouvelle terre promise émancipée du colonisateur en 1776 ; l’URSS fondée par Lénine ; Israël fondée en 1947… Sur le territoire, la souveraineté s’exerce par des institutions distinctes de la parenté, telles l’école en Occident, les mouvements de jeunesse en URSS et en Israël ou l’initiation des jeunes garçons et des jeunes filles chez les Baruyas.

maurice godelier chez les baruyas de nouvelle guinee

A ce titre, aucune institution n’est « naturelle », tout est construit socialement pour légitimer la souveraineté, donc le faire société. Le passage de l’enfance à l’âge adulte chez les Baruyas n’est pas le fait des parents ni des majeurs spécialisés de la société ; il est le fait des aînés non encore mariés. Dès 9 ans, le garçon est arraché aux femmes pour être initié dans la Maison des hommes en quatre stades. Vers 15 ans, chaque adolescent prend un enfant sous son aile, à 18 ans il a le droit de faire la guerre, à 20 ans de se marier. Les aînés des 3ème et 4ème stades donnent leur sperme à ingérer aux petits des 1er et 2ème stades. Le sperme vise à faire renaître l’enfant par le lait mâle, à le masculiniser. Ni masturbation, ni sodomie, ni inceste entre adolescents, ni fellation d’hommes mariés ne sont permis par la société – tout est codifié. L’aîné choisit le cadet et – ajoute l’ethnologue – « entre eux on peut observer beaucoup de tendresse, nombre de gestes délicats, réservés, pudiques. Là, il y a place pour le désir, l’érotisme et l’affection, mais aussi pour la soumission (…) diverses corvées » p.178. L’usage des sexes fabrique de la vie et de l’ordre social, voire cosmique. La « loi » d’une société suborne la sexualité des individus à l’imaginaire qui fait société. Chez les Baruyas comme chez nous, différemment.

Car « qu’est-ce qu’un rapport social ? C’est un ensemble de relations à multiples dimensions (matérielles, émotionnelles, sociales, idéelles), produites par les interactions des individus et, souvent, à travers eux, des groupes auxquels ils appartiennent » p.194. Ces rapports sont entre les individus et en eux, car la société les façonne et ils veulent s’y intégrer. Le désir n’a pas de « sens social », seule la reproduction en a un, d’où l’encadrement de la sexualité par la religion et la morale (ou la loi) dans toute société humaine. La société n’est donc pas née par le ‘meurtre du père’ selon Freud, mais par le refoulement du désir asocial (anarchique).

En bref, « ce sont des rapports politico-religieux qui ont intégré en un Tout des groupes humains d’origine diverse, et au départ hostiles, et qui ont assuré la reproduction de ce Tout » p.228.

D’où l’intérêt pour la connaissance de soi de « mettre au jour ce qui n’est pas dit, faire apparaître les raisons d’agir ou de ne pas agir laissées dans l’ombre, réunir et analyser ensuite tous ces faits pour en découvrir les raisons, c’est-à-dire les enjeux pour les acteurs eux-mêmes dans la production de leur existence sociale » p.250. Ce sont l’œuvre « des penseurs du siècle dit des Lumières. Ils ont osé avancer l’idée que tous les régimes de pouvoir exercés ou subis par les hommes au cours de l’histoire n’avaient eu ni les dieux ni la nature pour origine, mais étaient le fruit des pensées, des actions et les intérêts des hommes eux-mêmes » p.275. Oui, les sciences sociales et la démocratie sont liées…

Un excellent petit livre qui remet à leur place bien des fantasmes et des préjugés.

Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, 2007, Flammarion Champs essais 2010, 331 pages, €9.69

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Mondialisation induit nationalisme

Depuis l’ouverture du communisme chinois au capitalisme (1978) et l’effondrement du Mur de Berlin (1989), le monde est un. Les échanges se développent sans frontières, ils sont économiques, migratoires, culturels – mais aussi transfert des ressources, exportation des pollutions, crises financières systémiques et changement climatique. D’où l’ambigüité de la mondialisation : comme la langue d’Ésope, elle apparaît comme la meilleure ou la pire des choses. Ce pourquoi renaissent les nationalismes et les communautarismes, cet autre nom du nationalisme quand il est sans territoire.

Nous assistons en Europe à une multiplication des revendications nationalistes régionales, dues aux égoïsmes économiques mais aussi à la question de « l’identité ». La Ligue du nord en Italie ne veut pas payer pour le sud, les Flamands pour les Wallons, les Catalans riches pour les autres régions plus pauvres, les Basques pour l’Espagne, l’Écosse pour l’Angleterre depuis la découverte de pétrole en mer du Nord. Jusqu’à la Corse qui ne veut pas payer comme tous les Français des droits de succession sur l’immobilier. Il s’agit parfois d’autonomie qui permettrait une meilleure intégration européenne, préfiguration d’un « empire » aux cents nationalités plutôt qu’un joug des actuels États-nation (Monténégro, Kosovo). Le jeu des Girondins contre des Jacobins une fois de plus rejoué ? L’empire austro-hongrois contre la Prusse nationaliste et l’unité italienne de Garibaldi ?

Plus le global se fait présent, plus le local est revendiqué. Et dans le monde existent deux modèles : le chinois et l’indien. Les deux idéogrammes qui forment le mot Chine veulent dire à la fois le milieu, le pays, la nation et l’État, tout confondu. Nous avons là l’identité faite peuple, l’Un solide comme une famille. Ce n’est qu’aux marges (Tibet, Xinjiang) que l’unité est contestée, surtout parce que l’Un éradique toute particularité locale comme la religion, la langue ou la coutume. L’Inde connaît à l’inverse la culture du multiple, l’État étant une fédération d’États plus petits où les langues sont nombreuses, comme les religions. La structure clanique familiale tient lieu de lien social. En Europe, la France tendrait au modèle chinois et le Royaume-Uni au modèle indien. Quant à l’Allemagne, elle serait tentée par la synthèse japonaise : digérer tous les apports extérieurs – mais ne retenir que ce qui est japonisable.

hip hop colonnes de burenQu’est-ce donc que « l’identité » des peuples ? Une dynamique imaginaire, un mythe créé pour faire société. L’anthropologue Maurice Godelier, dans Au fondement des sociétés humaines, montre l’importance de l’imaginaire pour toute société. La pratique symbolique joue un rôle dans le consentement ou les résistances, l’imaginaire des rapports politiques et religieux fabrique le lien social. Le modèle individualiste issu des Lumières est un leurre pour qui n’est pas déjà inscrit dans une culture. L’homme doué de raison du libéralisme politique n’est pas forcément cet agent rationnel qu’y voit le libéralisme économique. Au contraire, la valeur n’est pas le prix et l’humanité ne se réduit pas au statut de consommateur : l’habit ne fait pas le moine, la Rolex ne fait pas la réussite. Ni le mariage l’amour…

Car se déploie aussi l’identité des êtres. Je suis indifférent au mariage gay, je crois qu’un enfant peut parfaitement s’épanouir s’il est aimé, même par deux femmes ou deux hommes, que l’attention portée à un enfant désiré est meilleure que le délaissement ou le dédain de maints couples hétéros dits « normaux », qu’en termes catholiques chacun a déjà deux papa puisqu’aussi « fils de Dieu » et que l’exemple même de Joseph et Marie, parents d’un enfant dû à la procréation assistée (par Gabriel messager), ne pose aucun problème. Je suis cependant dubitatif sur les « raisons » qui font que les marginaux fiers de l’être en 1968 veuillent aujourd’hui (à 50 ans et plus) se vautrer dans le confort bourgeois qu’ils haïssaient jadis. Il n’y a là aucune « raison ». La société populaire n’aimera pas plus « les pédés » ou « les gouines » parce qu’ils/elles seront passé(e)s devant le maire; et les gosses à deux papas et deux mamans se feront moquer plus qu’avant par leurs copains, toujours plus normalisateurs que la loi. Le mariage gay n’est pour moi que cette autre expression du nationalisme, du communautarisme, du repli sur les origines, le couple, le petit entre-soi. Je ne suis pas « contre », je n’en voit pas l’intérêt. Il y aura autant de divorces, de déchirements et de procès en succession que pour les hétéros : belle avancée ! François Hollande montre qu’il n’est pas indispensable de « se marier » pour avoir des enfants, les aimer et les élever. Bel exemple, au fond.

L’identité se forme à la fois dans le temps et dans l’espace. Elle se déploie verticalement par la filiation et la transmission, et horizontalement par l’appartenance à une famille, un clan, une société, une nation, une culture. L’inquiétude identitaire naît du bouleversement des espaces : le tout horizontal déracine et désoriente ; le tout vertical produit l’intégrisme et le refus du présent au profit d’un âge d’or. Quand les liens familiaux et les liens sociaux se relâchent trop, les individus perdent leur personnalité pour se laisser balloter entre communautarismes ou modes. La violence naît moins du refus d’appartenir que de l’impuissance à y parvenir. On affecte de mépriser ce qu’on ne peut avoir (la fille du voisin) et l’on valorise ce qui est loin et accessible à tous (le gangsta rap, le mode de vie américain). L’identité fait problème chez une partie des jeunes issus de l’immigration, mais plus chez certaines communautés que d’autres. La culture maghrébine ou noire verse trop souvent dans la victimisation d’ancien « esclave » ou « colonisé », encouragée perfidement par les « belles âmes » qui agitent le ressentiment pour motifs politiques. La culture familiale asiatique, restée forte, permet d’intégrer facilement la langue, les mœurs et les pratiques sociales françaises. Ce qui montre que chacun ne peut exprimer son humanité universelle qu’au travers de son humanité particulière – si elle est positive. On ne nait pas homme, on le devient.

Il n’y a pas d’identité figée, par essence. Il n’y a que des identités historiques et pratiques. Si l’on vient bien de quelqu’un, on habite aussi quelque part. La synthèse de ces deux espaces (vertical et horizontal) s’opère par la langue, les mœurs et les modes.

  • La langue est une capacité d’échanges ; bien parler permet de ne pas s’exprimer qu’avec ses poings. Encore faut-il aller régulièrement à l’école et ne pas fréquenter exclusivement sa bande ou son ghetto. La langue fait aussi sens commun, donnant aux mots les mêmes connotations.
  • Les mœurs sont les pratiques culturelles et symboliques de l’espace public. Faire comme tout le monde, même avec ses originalités, c’est avant tout respecter les règles du jeu social. Ce n’est pas être bien conforme, mais rester dans des normes acceptables. Basculer dans la violence, les délits, le terrorisme, c’est se rejeter volontairement de la société. Les bobos toujours prêts à excuser les « victimes » devraient regarder la réalité en face, pour mieux la prendre en compte.
  • La conformité, c’est la mode. L’éphémère marchand comme substitut d’identité. Suivre la mode, c’est remplacer les mots par les choses, les gens par des objets. Le trio Smartphone, Facebook, Twitter remplace les relations humaines par des médiations techniques et virtuelles. Il faut de la culture pour les utiliser et ne pas être utilisé par eux ; il faut une personnalité pour les prendre comme des outils, et pas comme le lien social même. Seule la personnalité empêche le fétichisme. Rappelons que le fétiche est un objet qu’on croit doué de pouvoir, alors que c’est le pouvoir sur l’objet qui fait son bon l’usage.

La mondialisation offre la technique à la mode à tous les êtres humains. Mais la technique ne remplace pas la culture, d’où la désorientation personnelle, le décrochage scolaire, la déprise sociale. Communautarismes et nationalismes naissent de ce manque. Ils ne sont pas à condamner en soi : un peu assure l’identité, trop enferme dans un ghetto.

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