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Tombes étrusques Monterozzi de Tarquinia 2

Nous ne pouvons voir toutes les tombes car certaines sont fermées, notamment la tombe du Fouet, datée de 490 avant, qui montre une scène de punition d’une femme par deux hommes, l’un qui la sodomise avec une verge tandis qu’elle fait une fellation à l’autre qui la frappe. Sur le mur de droite, une scène érotique a lieu entre deux hommes nus. Ces mœurs paraissent indécentes à la croyance chrétienne d’aujourd’hui et sont donc « interdites aux enfants » (jusqu’à 14 ans révolus) dont les groupes scolaires commencent à envahir le site.

La plus belle tombe, la plus amusante, est celle des Demoni azzuri ou démons bleus, de 420 avant. Sur le mur de gauche, le défunt se dirige vers l’au-delà sur un char tiré par une paire de chevaux. Sur le mur du fond, le banquet funéraire. Sur le mur de droite, Charon emmène les âmes sur sa barque rouge tandis que suivent une femme et un jeune homme, tous deux défunts ainsi qu’un démon brun ailé qui agrippe une autre femme. Près de l’entrée, un démon bleu au visage grotesque avec une barbe en forme de serpent et un démon noir à la bouche sanglante, menacent les arrivants. Découverte en 1985, il s’agit de la plus ancienne représentation du monde des morts dans les peintures de Tarquinia. Les historiens interprètent cette œuvre comme le passage entre les représentations traditionnelles de banquet et les angoisses démoniaques suscitées par la crise politique précédant la conquête romaine. À chaque époque son angoisse, à chaque angoisse sa croyance.

Nous avons encore la tombe de la Pucelle, la tombe de la Chasse et de la pêche (sans parler de la nature et de la tradition) avec deux pièces, deux cavaliers à cheval et quatre pêcheurs sur une barque tandis qu’un homme avec une fronde, les bras levés, chasse les oiseaux.

La tombe Bettini, du nom d’un étruscologue historien d’art (1940-1997), est datée du cinquième siècle avant. Le couloir d’accès a été coupé par l’aqueduc creusé au XVIIe siècle ce qui est encore visible. Le mur du fond montre un banquet avec deux couples étendus sur des banquettes, entourés de serviteurs nus.

La tombe de la chasse au cerf, 450 avant, montre chasse et banquet.

La plus grande tombe du site est la tombe Bartoccini qui fut responsable du site dans les années 1950. Elle est datée de 530 avant et comprend plusieurs pièces dans le principe de la maison-tombe qui consiste à reproduire dans l’au-delà ce qui se fait ici-bas. Le plafond est à damier, ce qui la rend reconnaissable. La scène de banquet sur le mur en face est la peinture étrusque la plus ancienne connue, datant du sixième siècle avant notre ère. Des inscriptions érotiques à graffitis datées du XIIIe siècle après ont été retrouvées, probablement due aux templiers de Corneto, l’ancien nom de Tarquinia, qui venaient subir leurs rites de passage, souvent sexuels.

La tombe des léopards, 470 avant, présente des couleurs très vives dont le bleu. Deux léopards en fronton sur le mur du fond tandis qu’en dessous la traditionnelle scène de banquet avec trois couples et des esclaves nus qui rappellent les plaisirs de la vie. À droite, un joueur de flûte et de lyre ainsi que des danseurs ; à gauche sur le mur, un cortège de six jeunes qui avancent vers le banquet avec des offrandes. C’est la vie qui est célébrée là, la vie plus forte que la mort, la vitalité plus forte que la corruption de la chair. Une scène éternelle qui nous émeut encore si l’on est sensible à tout ce qui est humain.

La tombe des bacchantes, de 510 avant, montre une scène de liesse orgiaque liée à Dionysos. 80 % des 180 tombes peintes étrusques se situent ici à Tarquinia. Nous avons vu les plus belles.

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Once upon a time in Hollywood de Quentin Tarantino

Une histoire d’amour d’un cinéaste pour le cinéma yankee qui ne chavirera que les fans. Car l’histoire est inexistante, un vague fil sur la fin menant à une distopie – une bifurcation de la réalité historique. C’est long (2h35 !) et ennuyeux jusqu’au premier tiers, amusant par le jeu d’acteur de Brad Pitt (bien meilleur à 52 ans que Leonardo di Caprio, déjà décati à 44 ans). Le film ne mobilise l’attention que lorsqu’il y a de l’action, c’est-à-dire seulement vers son milieu. Il n’y a auparavant qu’une célébration du vieux cinéma des bons contre les méchants, une dérision de Bruce Lee (Mike Moo) et de Sharon Tate (Margot Robbie), le premier couinant avant de faire des mouvements d’art martiaux pas très efficaces, la seconde souriant niaisement à se voir sur écran, les pieds (sales) sur le dos du fauteuil. Heureusement, la bande son pop et rock des sixties évite l’ennui.

Rick Dalton (Leonardo di Caprio) est un acteur de séries western des années cinquante, Le Chasseur de primes et Lancer, puis FBI des années soixante, Sur la piste du crime. Il fonctionne en duo depuis neuf ans avec son cascadeur attitré, dont on dit qu’il lui ressemble assez, Cliff Booth (Brad Pitt). Ce dernier fait la part la plus rude du boulot et le premier en retire la gloire et le fric. Mais cela convient au tempérament un brin rentre dedans de Cliff qui, dit-on, aurait tué sa femme, une pétasse agaçante entrevue en une scène sur la mer. Cliff vit sur la bête Rick, conduit la Cadillac DeVille 1966, répare la villa de Cielo Drive sur les hauteurs de Los Angeles, voisine de celle du couple Roman Polanski et Sharon Tate. Ces derniers deviennent peu à peu célèbres tandis que Rick décline.

Nous sommes en 1969 et le cinéma s’industrialise tandis que l’âge d’or de la télé est passé. Le mouvement hippie, né contre la guerre au Vietnam, bat son plein. Les filles du Flower Power sont jeunes, fraîches, habillées au minimum mais sales. Elles affectionnent de marcher pieds nus ou en sandales, manière gourou de sentir la terre par leur corps ; elles baisent dès le plus jeune âge avec la bite qui leur plaît et vivent en bandes matriarcales, usant des mecs comme de gardiens et de sex-toys. Elles préfigurent le féminisme, nonobstant leur ignorance crasse et leur anarchie où seuls leurs désirs sont des ordres.

Dans le film de Tarentino, un certain Charles Manson a vu tout le parti qu’il pouvait tirer de ce genre de harem et il squatte un ancien ranch qui a servi à tourner les feuilletons western des années cinquante. Cliff, qui prend en stop dans la Cadillac crème Pussycat (Margaret Qualley, 24 ans au tournage), une fille de moins de 16 ans à demi nue et aux pieds sales. Le jeune animal lui propose une fellation que, contrairement à Polanski adepte des jeunes filles de 13 ans, il refusera. Il va jusqu’au ranch Spahn pour et elle le présente aux femmes. Il veut revoir George (Bruce Dern), avec qui il a tourné huit ans auparavant mais celui-ci est vieux, aveugle et jalousement gardé sous clé par la horde femelle qui l’exploite en squattant les lieux et le paye en chevauchées sexuelles torrides qui le laissent à plat. Ce qui est amusant est que tout ce petit monde de tarés camés de la Manson family est accro au petit écran bleu de la télé noir et blanc. Il se gave de meurtres, de crapules et de justiciers de l’Ouest, ce qui ne va pas sans endommager les cervelles amoindries à l’acide. Une clope trempée dans le LSD ne vaut que 50 cts, un demi dollar de 1969, autrement dit quasiment rien.

C’est l’arrivée de Cliff dans le squat, son insistance à voir George, sa conviction que tout ne tourne pas rond et son altercation avec un torse nu idiot (James Landry Hébert) qui lui crève un pneu qui va déclencher la machine. Cliff rosse le bête et méchant et l’oblige à changer la roue devant les yeux de la horde femelle qui caquette peace and love. Mais il s’attire la haine de ces paranoïaques abrutis par la drogue et qui se montent la tête entre eux. Charles Manson le gourou a décrété qu’Hollywood devait payer. Les studios n’ont pas reconnu sa musique, ne l’ont pas embauché, il veut se venger. Il jette alors trois de la horde, Tex, Patricia et Susan, sur la villa de celui qui l’a évincé, Terry Meicher, occupée désormais par Polanski et Tate. Mais la présence de Cliff dans la villa d’à côté, qui vient d’enterrer la vie de garçon de Rick avec force cocktails et LSD, les détourne de leur projet initial…

Au fond, seul le cascadeur est réel dans le métier du cinéma, car il doit se colleter avec la réalité des scènes. Les acteurs ne sont que jeux de rôle, répétés à satiété, se gonflant devant le miroir pour se faire méchant ou glamour. Les actrices ne sont que des icônes dont le cul masque le godiche des scènes. Jeu de miroir, images démultipliées sur écran, affiche, télé, bus, le métier d’acteur rend schizophrène – sauf le cascadeur. Rien d’étonnant à ce que la famille Manson se soit reconnue en négatif dans ce virtuel hollywoodien.

DVD Once upon a time in Hollywood, Quentin Tarantino, 2019, avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt,  Margot Robbie,  Emile Hirsch, Margaret Qualley, Timothy Olyphant,  Julia Butters,  Austin Butler,  Dakota Fanning, Bruce Dern, Sony Pictures 2019, 2h35, standard €19.99 blu-ray €27.09

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Elisabeth George, La punition qu’elle mérite

« Elle », c’est tout un tas de personnages féminins dans le roman : Havers, gros sergent bulldog qui n’en fait jamais qu’à sa tête et que l’on voudrait bien virer aux confins de la province, Ardery, commissaire alcoolique de plus en plus dépendante et qui déraille trop souvent pour rester à son poste, plus une pléthore de mères abusives de filles et de garçons…

Mais le titre n’explique rien, il est seulement la trame psychologique de l’intrigue vainement compliquée qui se déploie sur plus de 650 pages découpées au petit bonheur la chance par des lieux et des dates. C’est captivant mais pas retord et le lecteur devine le coupable bien avant la fin, ne gardant un doute sur un comparse qu’assez avant dans l’histoire.

Tout commence par une biture express d’étudiants anglais dans la petite ville de Ludlow dans le Shropshire. Ils fêtent la fin du trimestre et se saoulent au cidre ou à la Guiness (il faut en boire des litres !). Les filles sont bourrées et ne savent plus ce qu’elles font, les garçons sont bourrés et n’ont qu’une idée en tête – s’ils peuvent. Tous ont 18 ans à peine, juste sortis du lycée et pour la première fois en colocation, indépendants de maman. La liberté devient la licence et les scènes de baise crue ne manquent pas : attouchements, fellation, sodomie, pénétrations. L’auteur jouit de mettre en scène des adolescents à peine mûrs dans ce pays de sauvages qu’est le Royaume-Uni déstructuré d’aujourd’hui. La bite anglaise remplace le flingue américain mais c’est bien la même absence de tout scrupule dans l’assouvissement du désir qui est décrit par une Susan Elizabeth George de 70 ans, née en 1949 : son fantasme.

L’ilotier du coin surnommé Gaz remplace les flics disparus pour cause de compression de personnel due aux économies budgétaires. Il se préoccupe d’enfourner la viande saoule dans sa voiture les soirs de beuverie et de ramener au bercail les ados déglingués avant qu’ils ne se battent et cassent tout. Il est peu payé, vit seul faute de moyens et ne pense qu’à monter dans la hiérarchie en faisant de la lèche à son grand chef femme, qui l’a remarqué lors du stage. Elle lui a demandé comme une faveur de surveiller tout particulièrement son fils unique chéri Finn, en pleine rébellion adolescente, qui vit pour la première fois hors du domicile familial. « Il avait des dreadlocks d’un côté de la tête et le crâne rasé de l’autre. Et, sur son cuir chevelu à découvert, un tatouage représentant une femme sauvage hurlante, la bouche grande ouverte sur sa luette et des canines démesurées, dont une dégouttait de sang » p.169. Un portrait de sa mère, sans doute.

Ludlow, Shropshire

Un diacre de la commune très empathique et frénétiquement actif dans les associations pour les enfants a été retrouvé suicidé par pendaison à l’aide de son étole dans le local de l’ilotier ; il avait été arrêté sur ordre du central et devait être transféré pour interrogatoire après une accusation anonyme de pédophilie. Son père, homme influent qui ne peut le croire, mandate son député pour faire une enquête approfondie sur ce suicide. Pour une fois que la queue remue le chien, la Met est donc conviée immédiatement à aller voir sur place si « la procédure » a bien été respectée. Pas plus. La commissaire Ardery se voit confier la tâche, flanquée du sergent Havers pour tester sa capacité à obéir aux ordres. Une mutation lui pend au nez et elle file doux.

Ardery ne voit rien, pressée de retourner à Londres retrouver ses jumeaux de 9 ans dont son mari a la garde parce qu’elle est alcoolique et qui vont bientôt partir en Nouvelle-Zélande où il est muté. Havers s’acharne, ne lâchant aucune piste, souvent à tort mais parfois à raison. C’est elle qui met en avant les fâcheux 19 jours de latence entre l’accusation et l’arrestation – sans qu’aucune enquête n’ait été entreprise entre temps pour vérifier les faits. Le suicide aurait donc eu lieu à tort ? Ne s’agirait-il pas d’un suicide ? Auquel cas qui aurait intérêt à faire taire le diacre ? Qui a été pédophile dans l’histoire ? La pédophilie n’aurait-elle été qu’un prétexte à la mode pour masquer autre chose ?

A cause de cette faille qu’elle n’a pas remarquée, Ardery, plus dépendante de la vodka que jamais, est dessaisie au profit de Lynley (qui avait refusé d’être commissaire à sa place) et l’enquête reprend avec Havers sur de nouvelles bases. C’est le prétexte, comme à chaque fois chez Elisabeth George, de se plonger dans la sociologie des petites villes du Shropshire : Ludlow, Worcester, Burway, Hindlip, Wandsworth… L’auteur est allé voir sur place, faire les repérages nécessaires des lieux et se documenter sur des personnages plausibles du coin, ce qui donne à son roman un air de vérité. C’est toujours passionnant.

Il y a Ding (Dena), fuyant sa famille où son père s’est pendu tout nu et sa mère remariée, ce pourquoi sa fille s’est jetée dans le sexe à 12 ans pour n’en plus jamais sortir, baisant, pipant, picolant tant et plus – mais pas mauvaise fille, au fond, amoureuse de Bruce son colocataire beau gosse qui a faim de chairs nouvelles mais en pince pour elle quand même. Il y a Missa, semi-indienne intégrée, brillante étudiante en maths qui brutalement chute de niveau passé Noël après une soirée trop arrosée, et qui veut se marier sans le consentement de sa mère à un artisan un peu simplet qui anime la forge de la ville pour touristes. Il y a Finnegan le rebelle que sa mère flic haut gradé couve et surveille et qui en a assez. Il y a Gary l’ilotier, appelé Gaz, élevé dans une secte en Irlande d’où il s’est enfui à 15 ans, initié au sexe dès qu’il a pu bander, dans la promiscuité encouragée du groupe. Il y a Peace, le serveur polyvalent de l’hôtel, prénommé par une mère gauchiste Peace-on-Earth comme sa sœur End-of-Hunger. Et bien sûr Ian Druitt, le suicidé accusé d’être pédocriminel même si personne ne s’est jamais plaint de lui, au contraire, mais qui vivait seul dans une chambre donnant au-dessus d’une école maternelle…

Depuis plusieurs romans, le chemin compte plus que l’objectif chez Elisabeth George. Il faut aimer les gens pour apprécier le déroulement sinueux de l’histoire à prétexte policier. Peu d’action et beaucoup de psychologie et de sociologie, telle est la recette de cette prof formée à la psychopédagogie. Avec plus ou moins de bonheur – ce roman-ci se situant dans la moyenne. Le lecteur amateur passe un bon moment, captivé par les portraits de ces drôles de British. La fin est téléphonée et prévisible, mais la vie des enquêteurs se poursuit, Havers reste et présente un spectacle de claquettes, Ardery part (provisoirement) et Lynley procrastine à nouveau dans ses amours.

Elisabeth George, La punition qu’elle mérite (The Punishment She Deserves), 2018, Presses de la Cité mars 2019, 670 pages, €23.50 e-book Kindle €15.99

Les romans policiers d’Elisabeth George chroniqués sur ce blog

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William Golding, La trilogie maritime

La trilogie maritime est un grand œuvre de prix Nobel de Littérature de la part de William Golding (il lui fut attribué en 1983). Elle fut écrite en 1988 et 1989, quelques années avant de passer de l’autre côté, là où les hochets n’importent pas et les hoquets non plus. Rites de passage, Coup de semonce et La cuirasse de feu ne sont pas des titres d’Harry Potter mais les épisodes d’une initiation. Le jeune homme en question est plus âgé que le collégien sorcier, au début de sa vingtaine ; son nom est Edmund Talbot. William Golding a toujours aimé analyser les humains en situation. Les plus lettrés des lecteurs se souviennent de Lord of the flies, publié en 1954 et traduit en français sous le titre Sa majesté des mouches. Ce livre-culte, devenu en 1963 un film de Peter Brook, observait des garçons autour de la puberté livrés à eux-mêmes dans une île après un crash d’avion…

William Golding Trilogie maritime

Edmund, jeune esquire, part servir le Royaume comme quatrième secrétaire du Gouverneur aux antipodes, dans cette Australie colonisée par les convicts (appelés – par la langue de bois déjà – des « hommes du gouvernement »). Nous sommes au début du 19ème siècle, Napoléon vient d’être exilé en l’île d’Elbe. La traversée, sur un bateau pourri de la Navy mené par un capitaine psychotique et peuplé d’immigrants, va durer presque un an ! De quoi alimenter les étapes du passage à l’âge adulte.

Épris de grec et bourré de latin (ce dernier considéré comme langue vulgaire « faite pour les sergents »), assez content de lui-même, protégé par un parrain illustre auquel il a promis le récit de la navigation, Edmund ne tarde pas à se voir coller une image de « lord », phraseur et soucieux de sa condition. Mais dans une traversée aussi longue sur un navire aussi précaire, il faut bien se frotter aux autres – physiquement et mentalement. Et c’est là que le sens théâtral de l’auteur met en scène l’humanité en sa tragi-comédie. Un révérend coincé et un beau jeune marin musclé demi nu de 20 ans ; un Premier lieutenant monté du rang dont toute ambition se cantonne au principe de précaution et un Troisième lieutenant, ex-noble français empli d’idées, de savoir technique et de bagout ; un aspirant de 15 ans timoré et sans espoir (mais qui survit) et son cadet de 14 ans vif et déluré (qui disparaît brutalement) ; une ex-pute folâtre et une ex-gouvernante collet-monté ; un époux qui ne porte pas la culotte et un athée missionnaire qui offre sa main… Tous ces personnages détonants, allant par paires, vont faire des étincelles !

torse nu blond muscle travis fimmel australien

C’est sans conteste le premier tome qui est le plus enlevé. Unité d’action, de lieu, de caractères : le bateau est un microcosme des désirs humains et des conventions sociales, un « village global ». On peut mourir de honte et c’est ce qui arrive au révérend Colley, exalté par le matelot Billy Rogers, beau comme un Travis Fimmel posant pour Calvin Klein. Saoulé lors de la cérémonie du passage de la Ligne, Colley se voit offrir une fellation qu’il ne refuse point, dans l’entrepont, par l’éphèbe populaire. Après son décès, au tribunal de la dunette devant lequel le trop beau matelot doit s’expliquer sur « les mœurs » de la Royal Navy en usage durant cette journée de folie, il a cette réponse digne du rusé Ulysse : « dois-je commencer par les officiers, Monsieur ? » La réplique clôt aussitôt le débat parmi ces Anglais collet-monté de l’ère prévictorienne. Pas de jugement donc, le livre de bord affirmera « mort de maladie », ce qui fera tiquer notre Edmund encore idéaliste, et réfléchir à point nommé, lorsqu’on se veut politique, sur l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité.

Le tome second manque de souffle dans ses débuts, il peine à trouver un nouveau sujet dans cette traversée qui se prolonge. Heureusement qu’un bateau frère se rapproche, contenant de belles femmes, et que notre Edmund tombe raide dingue d’une jeunette d’à peine 17 ans. Un bal donné dans les grands calmes, un message puis la séparation brutale avec le vent qui lève et désunit les esquifs. Le souvenir de la belle alimentera le journal de bord de notre ingénu.

voiles d un bateau

D’autant qu’il lui reste le pire à affronter au tome trois : un aspirant inapte, un bateau qui craque de toutes parts, les quarantièmes rugissants. De quoi se poser d’utiles questions sur cette arche qui pourrait couler bel et bien avant de toucher terre. La tragédie rôde : sans mât de misaine, point assez de vitesse ; sans vitesse, point assez de nourriture ; réparer le mât exige des fers portés au rouge, au risque de faire brûler tout le bateau… Tragique dilemme qui fait se souvenir des deux éthiques : faut-il rester frileux et agir en Chirac/Hollande ? Ou bien se payer d’audace et tenter le tout pour le tout à la De Gaulle/Sarkozy ? Ce n’est pas dit comme cela mais c’est l’idée : principe de précaution et mort lente d’inanition, ou courage d’oser avec perspective de s’en sortir ? Pour de bons Anglais, hommes d’action, c’est le courage qui prévaut et non l’immobilisme. Malgré la tempête, malgré le mur de glace d’un gigantesque iceberg, malgré la disparition de l’intendant et du vif aspirant, le bateau parviendra à bon port, « le Hollande » et « le Sarkozy » ayant calculé, par la méthode précaution-tradition ou par la méthode innovation-calculs, le même point.

Edmund arrive en Australie en ayant surmonté la Mort, l’Amour et les Épreuves. Sa Quête initiatique se verra récompensée par une élection au Parlement de Londres, un héritage précipité lui donnera l’aisance et la main de celle qu’il aime pour rassasier ses désirs. La tête, le cœur et le ventre sont désormais comblés. Happy end.

Mais c’est moins cette fin qui compte que le déroulement de l’aventure. Dieu, référence lointaine, n’intervient pas, les sentiments humains sont passagers comme les hommes dans un bateau, les conventions sociales encadrent et fournissent une bonne excuse à la méchanceté foncière de l’être humain. En bref, on fait son destin par soi-même : en étant capitaine inflexible, lieutenant convaincant, époux inspiré. Edmund revit un périple d’Ulysse en découvrant le monde, les éléments et l’humanité réelle. Ce n’est déjà pas si mal.

William Golding, Rites de passage I, €6.46, Coup de semonce II, €6.46, La cuirasse de feu III, €6.46 sont édités en Folio, entre 300 et 400 pages chacun.

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Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines

maurice godelier au fondement des societes humaines

Né en 1934, Maurice Godelier est probablement le meilleur anthropologue français contemporain. Il est beaucoup plus connu à l’étranger que chez lui en raison de la coterie des grandécolâtres et du snobisme médiatique. Agrégé de philosophie, licencié en psychologie et licencié en lettres modernes, il a travaillé auprès de Fernand Braudel puis de Claude Lévi-Strauss. Proche de Chevènement, il obtiendra la médaille d’or du CNRS en 2001 pour l’ensemble de son œuvre. Un temps marxiste, praticien de terrain en Papouasie, il s’est détaché de tous ses maîtres pour se forger une opinion personnelle. Il nous la livre à 73 ans dans ce petit opus qui se lit facilement. Ni jargon ni galimatias, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – c’est le meilleur de Godelier.

« Déconstruire les discours et les résultats des sciences sociales, oui. Leur dénier tout caractère scientifique, non. » Il se pose directement contre le relativisme à la mode aux États-Unis et avidement repris par les bobos multiculturels parisiens pour faire bien, « les dissoudre dans des discours narcissiques, se délectant dans le refus de théoriser, dans l’ironie, dans l’incohérence et l’inachevé volontairement recherchés » p.35.

Ce petit livre présente 5 idées reçues de l’anthropologie, contrées par la recherche de terrain (p.39) :

  1. Les sociétés sont fondées sur l’échange (marchandises et dons) : « A côté de choses que l’on vend et de celles qu’on donne, il en existe qu’il (…) faut garder pour les transmettre, et ces choses sont les supports d’identité qui survivent plus que d’autres au fil du temps. » Tout ne s’échange pas.
  2. La famille est au fondement de la société : « Il n’existe pas, et il n’a jamais existé, de sociétés fondées sur la parenté. (… Ni parenté, ni famille) ne sauraient constituer le lien qui unit différents groupes humains de manière à faire société. » C’est la symbolique politico-religieuse qui fonde une société, pas la biologie.
  3. Les enfants sont le produit d’un homme et d’une femme unis sexuellement : « Nulle part, dans aucune société, un homme et une femme n’ont jamais été pensés comme suffisants pour faire un enfant. Ce qu’ils fabriquent ensemble, ce sont des fœtus que des agents plus puissants que les humains, des ancêtres, des dieux, Dieu, transforment en enfant en les dotant d’un souffle et d’une ou plusieurs âmes. » L’enfant s’appartient à lui-même, il n’est pas l’objet des parents; la société l’accueille et l’élève au même titre que la famille par des rituels et des institutions appropriés.
  4. Les rapports économiques constituent la base des sociétés (Marx) : « La sexualité humaine est fondamentalement ‘a-sociale’. Le corps sexué des hommes et des femmes fonctionne dans toute société comme une sorte de machine ventriloque qui exprime et légitime les rapports de force et d’intérêt qui caractérisent la société, non seulement dans les rapports entre les sexes, mais dans les rapports entre les groupes sociaux qui la composent – clans, castes ou classes. »Les rapports économiques sont l’un des rapports sociaux, pas le seul.
  5. Le symbolique l’emporte toujours sur l’imaginaire et le réel : « Tous les rapports sociaux, y compris les plus matériels, contiennent des ‘noyaux imaginaires’ qui en sont des composantes internes, constitutives, et non des reflets idéologiques. (…Ils) sont mis en œuvre par des ‘pratiques symboliques’. » Les humains ne font société que par le symbole.

Dit autrement, nulle société n’existe sans une identité, un imaginaire politico-religieux vécu selon des pratiques symboliques renouvelées, qui s’exerce sur un territoire. Sans territoire, ce n’est qu’une communauté (de parenté, de langue et de principes). Font société par exemple les Baruyas, population de Nouvelle-Guinée étudiée par l’auteur ; l’Arabie Saoudite issue de la rencontre entre le rigoriste musulman Al-Wahhab et le chef de tribu Ibn Saoud en 1742 ; la France refondée en 1789 ; les États-Unis nouvelle terre promise émancipée du colonisateur en 1776 ; l’URSS fondée par Lénine ; Israël fondée en 1947… Sur le territoire, la souveraineté s’exerce par des institutions distinctes de la parenté, telles l’école en Occident, les mouvements de jeunesse en URSS et en Israël ou l’initiation des jeunes garçons et des jeunes filles chez les Baruyas.

maurice godelier chez les baruyas de nouvelle guinee

A ce titre, aucune institution n’est « naturelle », tout est construit socialement pour légitimer la souveraineté, donc le faire société. Le passage de l’enfance à l’âge adulte chez les Baruyas n’est pas le fait des parents ni des majeurs spécialisés de la société ; il est le fait des aînés non encore mariés. Dès 9 ans, le garçon est arraché aux femmes pour être initié dans la Maison des hommes en quatre stades. Vers 15 ans, chaque adolescent prend un enfant sous son aile, à 18 ans il a le droit de faire la guerre, à 20 ans de se marier. Les aînés des 3ème et 4ème stades donnent leur sperme à ingérer aux petits des 1er et 2ème stades. Le sperme vise à faire renaître l’enfant par le lait mâle, à le masculiniser. Ni masturbation, ni sodomie, ni inceste entre adolescents, ni fellation d’hommes mariés ne sont permis par la société – tout est codifié. L’aîné choisit le cadet et – ajoute l’ethnologue – « entre eux on peut observer beaucoup de tendresse, nombre de gestes délicats, réservés, pudiques. Là, il y a place pour le désir, l’érotisme et l’affection, mais aussi pour la soumission (…) diverses corvées » p.178. L’usage des sexes fabrique de la vie et de l’ordre social, voire cosmique. La « loi » d’une société suborne la sexualité des individus à l’imaginaire qui fait société. Chez les Baruyas comme chez nous, différemment.

Car « qu’est-ce qu’un rapport social ? C’est un ensemble de relations à multiples dimensions (matérielles, émotionnelles, sociales, idéelles), produites par les interactions des individus et, souvent, à travers eux, des groupes auxquels ils appartiennent » p.194. Ces rapports sont entre les individus et en eux, car la société les façonne et ils veulent s’y intégrer. Le désir n’a pas de « sens social », seule la reproduction en a un, d’où l’encadrement de la sexualité par la religion et la morale (ou la loi) dans toute société humaine. La société n’est donc pas née par le ‘meurtre du père’ selon Freud, mais par le refoulement du désir asocial (anarchique).

En bref, « ce sont des rapports politico-religieux qui ont intégré en un Tout des groupes humains d’origine diverse, et au départ hostiles, et qui ont assuré la reproduction de ce Tout » p.228.

D’où l’intérêt pour la connaissance de soi de « mettre au jour ce qui n’est pas dit, faire apparaître les raisons d’agir ou de ne pas agir laissées dans l’ombre, réunir et analyser ensuite tous ces faits pour en découvrir les raisons, c’est-à-dire les enjeux pour les acteurs eux-mêmes dans la production de leur existence sociale » p.250. Ce sont l’œuvre « des penseurs du siècle dit des Lumières. Ils ont osé avancer l’idée que tous les régimes de pouvoir exercés ou subis par les hommes au cours de l’histoire n’avaient eu ni les dieux ni la nature pour origine, mais étaient le fruit des pensées, des actions et les intérêts des hommes eux-mêmes » p.275. Oui, les sciences sociales et la démocratie sont liées…

Un excellent petit livre qui remet à leur place bien des fantasmes et des préjugés.

Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, 2007, Flammarion Champs essais 2010, 331 pages, €9.69

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Rencontrer un troisième type à Tahiti : mahu et raerae

Chaque arii (noble tahitien) possédait son mahu (prononcer mahou). Ceux-ci ne sont pas assimilés à des « hommes » par les Polynésiens. Le Tahiti des temps anciens possédait peu d’interdits sexuels. Il copulait dès qu’il le pouvait, les filles dès douze ans, selon les documents de marins français du 19ème siècle. L’inceste, le motoro (façon directe d’exprimer son empressement à la fille de son choix) ainsi que la relation sexuelle avec les mahu étaient des pratiques courantes, naturelles.

A l’adolescence, dès leur comportement efféminé perçu, les futurs mahu recevaient une éducation différente des autres mâles : pas d’épreuves physiques, pas de guerre ni de chasse. A l’inverse, les femmes leur inculquaient la féminité ; les anciens mahu leur inculquaient la pratique des hommes. L’intégration des garçons pubères se traduisait par des rites d’initiation, le préambule étant la circoncision – ou plutôt la subincision. Ce rite se pratiquait sur le marse. Le prépuce était fendu en sa partie supérieure par une dent de requin et, après application de cendre pour arrêter le sang, la plaie était laissée à l’air libre pour cicatriser. Aucune obligation à subir cette pratique – sinon celle de se faire interpeller publiquement et d’être la risée des autres en cas de refus ! Cette subincision formait un bourrelet à la base du gland qui expliquerait le goût des tahitiennes pour les hommes de leur race !

La tradition veut qu’on naisse mahu comme on naît homme ou femme. Contrairement aux raerae, les mahu n’ont pas honte de leur état, puisqu’il est « naturel » (pas comme chez nous). Ils utilisent leur prénom de garçon et ne songent nullement à en changer. Observez la démarche du mahu, elle est caractéristique. Le mahu se déplace torse en avant, serrant les fesses et ondulant des hanches. Il porte souvent les cheveux longs, noués en catogan sur la nuque, et un ou plusieurs ongles longs. Leur voix est toujours douce et leur comportement plutôt passif mais – pour la plupart des mahu – la sodomie reste un acte indigne. Dans les années 1960, les mahu les plus efféminés ont mis en évidence leur aspect féminin et ont fini par vivre en femmes : les raerae sont nés (prononcez réré).

[Si les mahus sont efféminés, voire homosexuels, ils restent en accord avec leur sexe biologique et leur identité de genre. En revanche, les raerae se veulent transsexuels, en inadéquation avec leur être biologique et mental ; ils se considèrent comme de véritables femmes malgré leurs attributs physiques masculins. Si les mahus faisaient partie de la tradition polynésienne du « troisième sexe », les raerae ne sont nés qu’avec la modernité, le commerce, et le passage de nombreux militaires demandeurs par les îles. Les mahus sont « différents », les raerae « prostitués » – Argoul]

Rien d’étonnant à ce que les raerae évoluent aux frontières de la délinquance. Ils affabulent facilement et dénaturent les faits pour se mettre en valeur. Généralement issus d’un milieu modeste, désormais incompris et maltraités lors de leur enfance, les raerae fuient la maison familiale très jeune. Ils approchent les hommes de façon provocante et intéressée pour un verre, une robe. Toujours court vêtus et excessivement maquillés, ils exhibent fesses rondes et poitrine suggestive. Ils vivent du trottoir. Pur produit du fenua, la « pipe tahitienne » est l’invention des mahus travestis. Elle serait la nouvelle référence dans les chambrées militaires…

Pour la transsexuelle, il s’agit non seulement d’être belle, mais surtout de paraître vraie femme. Les raerae fréquentent les homos parce qu’ils rencontrent les mêmes problèmes d’exclusion et de marginalité qu’eux, mais leurs relations ne deviennent jamais sexuelles. Les prostituées, en revanche, se plaignent de la concurrence des raerae. Par dépit, elles traitent les ‘trans’ et leurs clients de « pédés ».

Pour la plupart, les raerae déclarent avoir ressenti un désir sexuel pour la première fois entre 9 et 12 ans. Ils s’initient au sexe plus tôt que les autres et l’âge moyen de leur première fellation est autour de 15 ans. La « débutante » se dirige naturellement rue des Écoles (!), passage obligatoire sur le front de mer à la sortie des boites de nuits, rue des marraines (!!), et elle est ‘prise’ en apprentissage par des raerae adultes. Il lui faut alors supprimer les poils rebelles – tous ! S’épiler le pubis en triangle pour simuler la vraie femme. Mais ce sont les seins qui incarnent le plus manifestement l’identité féminine, beauté, érotisme et fécondité. Le soutien-‘gorge factice’ est bourré de coton, mouchoirs, papier toilette – même de préservatifs remplis d’eau pour faire volume ! Le camouflage des testicules du raerae pose quand même problème. La méthode la plus courante consiste à les reloger dans l’abdomen, à tirer la verge entre les cuisses vers l’arrière et de coincer le tout avec un string. Il faut maintenir tout cela en place !

La débutante vole ; elle emprunte sans rendre ; elle dérobe de l’argent ou des objets à ses clients. La débutante « prête » ses affaires ; elle peut même donner avec légèreté les affaires qu’elle chérit le plus, quitte à le regretter plus tard. En général, lorsqu’un raerae a un amant régulier, il l’appelle son « mari ». Ils éprouvent une grande répugnance de mœurs pour le travail physique ; s’astreindre à des horaires est contraire à leur conception volage de l’existence ; de par leur mythomanie, ils perdent tout sens de la réalité et non seulement mentent, mais ils se mentent à eux-mêmes. Seul compte le fait d’être ‘la plus belle’ aux yeux des autres. En mars a lieu l’élection de miss Piano Bar, titre le plus convoité, qui porte le nom d’une boite de nuit célèbre de Papeete. En juillet, c’est au tour de miss Heiva. Ceux qui sont familiers de la rue de la Chapelle, à Paris, peuvent voir un raerae arpenter le trottoir : ils croisent sans le savoir une ex-miss Piano Bar !

A Papeete, la rue des Écoles est celle « où l’on rigole, où on picole, où on racole. » Il faut la visiter la nuit et entrer au « Mana Rock Café », ou au « 106 ». Je n’ai connaissance que des tarifs 2002, pour vous donner une idée : une fellation coûte 5000 francs pacifique, le « complet » 10 000 et « la partouze » (?) 20 000. Les raerae qui « besognent » disent qu’ils « vont au bureau » ; ils ne font pas la pute, ils sont « secrétaires de mairie » !

Hiata de Tahiti

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L’infinie catastrophe, texte de Jacqueline Merville

Article repris par Medium4You.

Jacqueline Merville nous a confié ce texte d’émotion et de réflexion issu de « l’affaire DSK » – merci à elle. Elle a déjà évoqué ce thème douloureux du mal fait à une femme par un homme, sans y penser, en toute bonne foi, conforme aux traditions dans ‘Presque Africaine‘. J’ai chroniqué son livre en son temps, je l’avais bien aimé pour tout ce qu’il « non-dit »…

Je m’étais réfugiée dans une maison. Je criais. Des villageois étaient venus dans le jardin de cette maison à cause des cris de femme dans la nuit. On me parlait de derrière la porte pour que je cesse de crier. On me rassurait. J’avais entrouvert la porte, l’homme était au milieu des villageois. Il tenait mes vêtements et mon sac sous le bras, il souriait.

Le roi du village houspillait l’homme et parce que j’avais des marques de brûlures et du sang qui coulait sur les jambes il avait appelé la police. Je suis partie dans le fourgon avec le violeur. Dans le bâtiment militaire il a dit qu’il n’avait rien fait, puis il a dit, à cause des blessures, qu’il avait fait ce que je demandais, qu’il était innocent.

C’était en Afrique de l’Ouest.

J’avais porté plainte contre l’homme. Il ne fut pas puni. Le viol et la torture ne sont pas punis là-bas.

Et même cet homme pensait qu’il n’avait rien fait, c’est-à-dire que ce qu’il avait fait était légitime. Ce viol, ces coups, ces menaces de mort étaient une chose normale, rien de brutal, non c’était absolument normal. Et même il devait penser que j’aurais dû être contente qu’un homme s’intéresse tant que ça à moi. C’est ce qui peut rendre une femme violée un peu folle, ce déni si total.

Je pensais que là-bas c’était pire qu’ici.

Puis est arrivée cette affaire new yorkaise, comme un projecteur montrant l’ensemble et les détails. Ici c’est un peu pareil que là-bas.

Cet homme blanc, riche, puissant ne pouvait pas l’avoir fait.

L’homme dit d’ailleurs qu’il n’a rien fait.

C’était comme là-bas. Tous les violeurs se pensent innocents.

Mais là-bas personne n’avait dit que je fabulais ou que je mentais. Il ne fut pas puni, c’est tout.

Ici, certains disent que cette femme est au service des ennemis de l’homme blanc puissant. L’homme ne peut être que victime d’un complot politique ou d’un racket sophistiqué. En Afrique certains villageois me disaient que l’homme était victime de ses ancêtres, de magie noire, c’était un complot de l’invisible.

On ne peut pas condamner un homme tombé dans le piège de ses ennemis astraux ou politiques.

Il y a entre là-bas et ici une autre différence.

Là-bas toutes les villageoises me soutenaient.

Toutes, pas une seule ne s’était mise du côté de la bête. Elles m’avaient applaudie lorsque j’étais montée dans le fourgon pour porter plainte.

Ici c’est différent, il y a des femmes qui soutiennent inconditionnellement l’homme puissant. Leur ami, leur cheval de proue. Elles n’ont pas l’ombre d’un doute. La femme ne peut être qu’une comploteuse.

Certaines disent aussi qu’à elles ça n’arriverait pas. Qu’on les contraigne à une fellation, impossible, elles couperaient le sexe de l’homme avec leurs dents. Ces femmes violées n’ont pas de courage, elles se laissent faire, disent-elles. A elles ça ne pourrait pas arriver cette chose bestiale parce qu’elles se pensent l’égale de l’homme.

D’autres disent qu’elles, avec un homme aussi puissant, elles ne diraient pas non. Elles se demandent bien pourquoi celle-ci a porté plainte au lieu de se réjouir.

Et puis il y a beaucoup de gens, hommes et femmes, qui disent que porter plainte contre un homme remarquable, un homme qui promet, est indécent. Une sorte d’infidélité à l’idée de la grandeur, un saccage de l’image de la grandeur.

Alors je me dis qu’ici c’est comme là-bas, pas du tout mieux.

Je pense à ce qu’écrivait Virginia Woolf dans son livre Trois Guinées. Elle comparait le machisme et le nazisme. N’avait-elle pas raison ?

Les femmes battues, violées, assassinées, mutilées, des millions chaque année. Un crime contre l’humanité me dis-je. La moitié de l’humanité sous le joug de son autre moitié. Mais si on pense ça, on risque d’avoir à se suicider tellement personne ne veut l’entendre comme ça. C’est juste des dérapages, ici ou là. Et puis un viol ou un assassinat, c’est pas grave, pas mort d’homme.

Pourtant être violée c’est de la mort qui entre en vous, dans le corps, dans la tête. C’est une torture. Toujours ça restera comme une fosse sans mot, on ne peut pas mettre un couvercle, on ne peut pas ne pas se souvenir. Pas mortes mais mortes un peu tout de même. En Afrique du Sud, les hommes pratiquent ce qu’ils nomment le viol correctif sur les femmes lesbiennes, ça remplace la gégène.

Ici on dit c’est un coup de pas de chance, ou pire avec la libération sexuelle voulue par les femmes, de quoi elles se plaignent, après tout ce n’est que du hard sexe.

Et puis dans ce cas précis il s’agit d’un homme instruit, civilisé, blanc, riche, et d’une pauvre bonne femme. Comment un homme comme ça pourrait baisser les yeux sur ce genre de nana ? N’importe comment depuis la nuit des temps cet homme-là a un droit sur toutes les femmes. Dans les Colonies, dans les châteaux, dans les fermes, dans les forêts, dans les entreprises, dans les hôtels, au coin des rues, partout. Et dans les familles ça fait partie du devoir conjugal, comme faire la vaisselle ou soigner les gosses. Les épouses disent, passer à la casserole. Une histoire normale, ménagère. On initie aussi dans le secret des familles les toutes petites filles, il faut bien leur apprendre la chose. Des petites filles détruites.

Je me souviens d’un curé qui m’avait coincée entre la porte du placard et sa soutane pour me palper les seins, de tout petits seins sur un corps d’enfant.

Alors, ne venez pas me parler de grande et haute civilisation, d’un modèle enviable, d’un continent en avance sur les autres.

Dans très longtemps peut-être fera-t-on un Mémorial aux femmes victimes des hommes comme on en fait pour ne pas oublier d’autres barbaries de l’espèce humaine. Pas encore, dans très longtemps, à moins que comme se le demandait Virginia Woolf l’Humanité soit une erreur. L’erreur de qui ? Et comment faire cesser l’erreur, cette infinie catastrophe ?

Jacqueline Merville, mai 2011

Jacqueline Merville est l’auteure de ‘Presque africaine’, édition des Femmes, 2010, 74 pages, €9.40 – chroniqué il y a un an.

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