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Alexander Kent, Flamme au vent

alexander kent flamme au vent
Douglas Reeman (le vrai nom de l’auteur) aime la mer ; il y est tombé tout petit avant de s’engager adolescent (à 16 ans) dans la Royal Navy contre les Allemands. Il connait bien l’univers des bateaux et le monde hiérarchique mâle, des mousses aux amiraux, en passant par les aspirants. Son héros, Richard Bolitho, a été anobli par le roi et les autres l’appellent désormais « sir » Richard. Lui s’en moque un peu, préférant les gens aux titres et oripeaux dont ils s’affublent.

Nous sommes fin 1803 et la paix d’Amiens, conclue entre Napoléon et l’Angleterre, vient de voler en éclat. A la tête d’une escadre de sept navires, dont quatre soixante-quatorze (canons), l’amiral Bolitho est chargé de protéger les convois anglais de Méditerranée. Surtout trois vaisseaux qui apportent de l’or turc, tribut du sultan au Royaume-Uni. L’amiral français Jobert, vaincu une première fois par Bolitho qui lui a ravi son navire, cet Argonaute qu’il occupe actuellement, n’aura de cesse de ruser pour s’emparer du trésor.

Voilà pour la bataille et l’univers des hommes. Le neveu aimé, Adam Bolitho, lieutenant de vaisseau à 23 ans sur une frégate, y fera bonne figure, tandis que le majordome attitré de l’amiral, Allday, découvrira un fils pas tout à fait comme il l’aurait souhaité. Les rapports filiaux restent très présents dans les romans d’Alexander Kent, et cette empathie des hommes entre eux est ce qui fait le sel de ses romans maritimes. L’amiral se préoccupe des tout jeunes aspirants, rarement reconnus, « ni hommes, ni officiers encore », comme des canonniers et des pilotes, du chirurgien et des matelots.

Mais l’univers serait mutilé s’il n’existait aussi les femmes. Elles n’ont pas leur place à bord des navires militaires mais restent présentes dans les cœurs et les fantasmes. L’amiral écrit à son épouse Belinda, restée à Falmouth avec leur petite fille ; Allday recueille un fils inconnu d’une fille d’auberge avec qui il a connu de bons moments vingt ans auparavant, entre deux missions à la mer. Mais c’est Valentine Keen, le capitaine de pavillon et ami de Bolitho, qui va découvrir l’amour.

Un capitaine de pavillon est celui qui commande le bateau sur lequel se trouve un amiral, lequel commande, lui, toute l’escadre. En secourant un bateau de commerce désemparé, convoyant des condamnés vers l’Australie, Val Keen est révolté de voir une jeune femme fouettée comme un vulgaire gibier de potence. Il interrompt le supplice, ramène à bord la victime pour la faire soigner, supputant de la débarquer à Gibraltar. Mais une épidémie de fièvre empêche tout échange, le Rocher est en quarantaine ; il lui faut donc garder la belle sur le vaisseau. Reconnaissante, et expliquant pourquoi elle a été injustement condamnée, Zénobia suscite l’amour du capitaine. Scandale en haut lieu ! Rapt, désobéissance au code, assouvissement de besoins personnels – on en a dégradé pour moins que ça ! Un conseil de guerre est réuni pour juger les impétrants à Malte… mais la guerre n’attend pas : les Français sont signalés au nord. L’amiral et son capitaine rejoignent leur bord sans être jugés, en attendant les suites ; la belle est mise en partance pour l’Angleterre sur un paquebot civil.

marine femme a voile

Sous cette histoire montée en épingle se tapit la vile vengeance d’un autre amiral, jaloux du succès de Richard Bolitho et vindicatif contre son traître de frère pourtant décédé. Le fils de cet amiral haineux est d’ailleurs aspirant sur le navire de Bolitho. Mais la victoire contre Jobert balaiera toutes les intrigues, l’honneur vaut mieux que le sexe.

L’auteur varie un peu les épisodes convenus, les ordres, les exercices et les ruses, il ajoute un soupçon de féminité dans les esprits des marins, mais le lecteur reconnaît avec confort l’univers empathique de la marine à voile vue par Alexander Kent. Une image de marque qui fait le succès de ses nombreux livres, pas moins de 25 tomes pour les aventures de Richard Bolitho, commencées comme tout jeune aspirant de 15 ans avant de finir amiral, et dont Flamme au vent est le 17ème opus !

Alexander Kent, Flamme au vent (Colours Aloft), 1986, Phébus Libretto 2012, 389 pages, €10.80
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William Golding, La trilogie maritime

La trilogie maritime est un grand œuvre de prix Nobel de Littérature de la part de William Golding (il lui fut attribué en 1983). Elle fut écrite en 1988 et 1989, quelques années avant de passer de l’autre côté, là où les hochets n’importent pas et les hoquets non plus. Rites de passage, Coup de semonce et La cuirasse de feu ne sont pas des titres d’Harry Potter mais les épisodes d’une initiation. Le jeune homme en question est plus âgé que le collégien sorcier, au début de sa vingtaine ; son nom est Edmund Talbot. William Golding a toujours aimé analyser les humains en situation. Les plus lettrés des lecteurs se souviennent de Lord of the flies, publié en 1954 et traduit en français sous le titre Sa majesté des mouches. Ce livre-culte, devenu en 1963 un film de Peter Brook, observait des garçons autour de la puberté livrés à eux-mêmes dans une île après un crash d’avion…

William Golding Trilogie maritime

Edmund, jeune esquire, part servir le Royaume comme quatrième secrétaire du Gouverneur aux antipodes, dans cette Australie colonisée par les convicts (appelés – par la langue de bois déjà – des « hommes du gouvernement »). Nous sommes au début du 19ème siècle, Napoléon vient d’être exilé en l’île d’Elbe. La traversée, sur un bateau pourri de la Navy mené par un capitaine psychotique et peuplé d’immigrants, va durer presque un an ! De quoi alimenter les étapes du passage à l’âge adulte.

Épris de grec et bourré de latin (ce dernier considéré comme langue vulgaire « faite pour les sergents »), assez content de lui-même, protégé par un parrain illustre auquel il a promis le récit de la navigation, Edmund ne tarde pas à se voir coller une image de « lord », phraseur et soucieux de sa condition. Mais dans une traversée aussi longue sur un navire aussi précaire, il faut bien se frotter aux autres – physiquement et mentalement. Et c’est là que le sens théâtral de l’auteur met en scène l’humanité en sa tragi-comédie. Un révérend coincé et un beau jeune marin musclé demi nu de 20 ans ; un Premier lieutenant monté du rang dont toute ambition se cantonne au principe de précaution et un Troisième lieutenant, ex-noble français empli d’idées, de savoir technique et de bagout ; un aspirant de 15 ans timoré et sans espoir (mais qui survit) et son cadet de 14 ans vif et déluré (qui disparaît brutalement) ; une ex-pute folâtre et une ex-gouvernante collet-monté ; un époux qui ne porte pas la culotte et un athée missionnaire qui offre sa main… Tous ces personnages détonants, allant par paires, vont faire des étincelles !

torse nu blond muscle travis fimmel australien

C’est sans conteste le premier tome qui est le plus enlevé. Unité d’action, de lieu, de caractères : le bateau est un microcosme des désirs humains et des conventions sociales, un « village global ». On peut mourir de honte et c’est ce qui arrive au révérend Colley, exalté par le matelot Billy Rogers, beau comme un Travis Fimmel posant pour Calvin Klein. Saoulé lors de la cérémonie du passage de la Ligne, Colley se voit offrir une fellation qu’il ne refuse point, dans l’entrepont, par l’éphèbe populaire. Après son décès, au tribunal de la dunette devant lequel le trop beau matelot doit s’expliquer sur « les mœurs » de la Royal Navy en usage durant cette journée de folie, il a cette réponse digne du rusé Ulysse : « dois-je commencer par les officiers, Monsieur ? » La réplique clôt aussitôt le débat parmi ces Anglais collet-monté de l’ère prévictorienne. Pas de jugement donc, le livre de bord affirmera « mort de maladie », ce qui fera tiquer notre Edmund encore idéaliste, et réfléchir à point nommé, lorsqu’on se veut politique, sur l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité.

Le tome second manque de souffle dans ses débuts, il peine à trouver un nouveau sujet dans cette traversée qui se prolonge. Heureusement qu’un bateau frère se rapproche, contenant de belles femmes, et que notre Edmund tombe raide dingue d’une jeunette d’à peine 17 ans. Un bal donné dans les grands calmes, un message puis la séparation brutale avec le vent qui lève et désunit les esquifs. Le souvenir de la belle alimentera le journal de bord de notre ingénu.

voiles d un bateau

D’autant qu’il lui reste le pire à affronter au tome trois : un aspirant inapte, un bateau qui craque de toutes parts, les quarantièmes rugissants. De quoi se poser d’utiles questions sur cette arche qui pourrait couler bel et bien avant de toucher terre. La tragédie rôde : sans mât de misaine, point assez de vitesse ; sans vitesse, point assez de nourriture ; réparer le mât exige des fers portés au rouge, au risque de faire brûler tout le bateau… Tragique dilemme qui fait se souvenir des deux éthiques : faut-il rester frileux et agir en Chirac/Hollande ? Ou bien se payer d’audace et tenter le tout pour le tout à la De Gaulle/Sarkozy ? Ce n’est pas dit comme cela mais c’est l’idée : principe de précaution et mort lente d’inanition, ou courage d’oser avec perspective de s’en sortir ? Pour de bons Anglais, hommes d’action, c’est le courage qui prévaut et non l’immobilisme. Malgré la tempête, malgré le mur de glace d’un gigantesque iceberg, malgré la disparition de l’intendant et du vif aspirant, le bateau parviendra à bon port, « le Hollande » et « le Sarkozy » ayant calculé, par la méthode précaution-tradition ou par la méthode innovation-calculs, le même point.

Edmund arrive en Australie en ayant surmonté la Mort, l’Amour et les Épreuves. Sa Quête initiatique se verra récompensée par une élection au Parlement de Londres, un héritage précipité lui donnera l’aisance et la main de celle qu’il aime pour rassasier ses désirs. La tête, le cœur et le ventre sont désormais comblés. Happy end.

Mais c’est moins cette fin qui compte que le déroulement de l’aventure. Dieu, référence lointaine, n’intervient pas, les sentiments humains sont passagers comme les hommes dans un bateau, les conventions sociales encadrent et fournissent une bonne excuse à la méchanceté foncière de l’être humain. En bref, on fait son destin par soi-même : en étant capitaine inflexible, lieutenant convaincant, époux inspiré. Edmund revit un périple d’Ulysse en découvrant le monde, les éléments et l’humanité réelle. Ce n’est déjà pas si mal.

William Golding, Rites de passage I, €6.46, Coup de semonce II, €6.46, La cuirasse de feu III, €6.46 sont édités en Folio, entre 300 et 400 pages chacun.

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Alexander Kent, Honneur aux braves

alexander kent honneur aux braves
Le capitaine Bolitho, en 1802, est désormais vice-amiral, il terminera le roman anobli. Il faut dire qu’il a conservé une île à la couronne, coulé deux navires ennemis et pris à l’abordage un troisième – un plus gros. Cette aventure de mer ne dépare pas les précédentes, la 15ème du lot. Nous sommes entre hommes et les relations humaines comptent par-dessus tout.

La mer, les hasards et les dangers, l’équipage, les anciens et les proches, ledit Alexander Kent (qui se nomme dans le réel Douglas Reeman) les connaît bien pour s’être engagé lui-même à 16 ans dans la Royal Navy. Il n’a pas son pareil pour décrire les affres et le courage des aspirants de 13 ans, des enseignes de 19 ans et des lieutenants de 20 ans, tout comme la responsabilité assumée des capitaines de 30 et des amiraux de 50 ans. Il le sait, ce qui compte est le chef, celui qui sait surveiller, aimer et rendre justice au travail de chacun : « Ces marins ne se battaient ni pour le pavillon ni pour le roi, comme le croyaient ces imbéciles de terriens. (…) ils se battaient pour leurs compagnons, pour leur bâtiment, pour leur commandant » p.231.

Nul ne connaît rien à la guerre, pas plus qu’à l’entreprise, s’il ne sait ces quelques mots. Ce n’est ni la gloire, ni l’argent, ni la femme, qui font se battre pour vaincre : mais l’attachement à ses camarades. Difficile à dire en ces temps de féminisme forcené et de chacun pour soi – mais c’est ainsi que cela fonctionne entre hommes.

‘Honneur aux braves’ est un bon roman d’aventures pour adultes – et l’on devient adulte dès 13 ans dans la marine à voile. Le lecteur se souviendra longtemps d’Adam le neveu, d’Evans le petit aspirant juste pubère, d’Allday le serviteur absolu, de Jethro l’ancien marin fidèle, de Keen le valeureux capitaine de pavillon. Les intrigues, les coups de main, les combats navals ne manquent pas. Il faut savoir nager, et pas que dans les vagues, dans la bêtise humaine des civils aussi qui ne pensent qu’au commerce et aux coups bas politiques. Si vous perdez, la faute vous en revient ; si vous gagnez, on se glorifie de vous avoir choisi et donné les bons ordres.

Mais pour Bolitho, ce qui compte sont les hommes. Il s’est marié, a eu une petite fille qu’il ne verra qu’un an plus tard, après sa mission. Celui qui est comme son fils est son neveu, qui lui doit tout. Que lui faut-il de plus ?

Malgré les traductions tardives et les parutions au compte-goutte, la série des 23 volumes de mer prenant Bolitho aspirant adolescent pour le quitter amiral en son âge mûr, est un délice de lecture. Oserai-je dire « pour les garçons » ? C’est mal vu par l’égalitarisme forcené des aigries qui n’ont pas trouvé pied à leur chaussure, mais je le dis. Il n’est ni interdit ni tabou aux filles d’aimer – enfin je crois – puisque la liberté est le premier des biens hérité des Lumières. Bienvenue sur la mer !

Alexander Kent, Honneur aux braves, 1983, traduit de l’anglais par Luc de Rancourt, Phébus Libretto 2011, 361 pages, €9.41

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Betty Dubourg-Chaléat, Les rivages de la mémoire

Betty Dubourg Chaléat Les rivages de la mémoire

J’aime à lire ces récits au ras des gens, qui racontent leur vie d’aventures. Le XXe siècle a été riche en possibilités, pour ceux qui voulaient explorer le monde et vivre autre chose qu’une petite vie recluse. Pierre Dubourg, père de l’auteur, est de ceux là. Élevé jusqu’à 15 ans en Indochine, avec de rares retours en France, engagé à 18 ans dans l’aéronavale à Rochefort, il est affecté en Afrique du nord lorsque la guerre éclate et que la France est vaincue en quelques semaines en juin 1940.

Il est jeune, patriote, ne comprend pas comment un sénile datant de 14 comme Pétain puisse « représenter la France ». « Ces Français de l’intérieur, étroits d’esprit, petits bourgeois, ont montré, face à l’adversité, leur manque total de combativité », dit-il p.111. Radio, il entend par hasard avec des copains depuis la Tunisie l’appel d’un certain général De Gaulle. Lui et plusieurs autres ne rêvent que de joindre Londres pour enfin se battre. Mais rien n’est simple, surtout dans une France coloniale confite en conservatisme et haineuse de tout ce qui est anglais ou américain. La non-réponse de son amiral a conduit à la destruction d’une partie de la flotte à Mers-el-Kébir, la non-décision de l’imbécile Darlan a conduit à saborder l’autre partie de la flotte à Toulon… C’est la France des ringards, des frileux, des jaloux. Même en 1945, la Marine restera pétainiste, ce qui écœurera l’auteur.

Deux tentatives de voler un bateau échouent, la seconde est dénoncée quatre mois après, valant à Pierre Dubourd 16 mois de forteresse. Il y rencontrera d’ailleurs au fort de Sidi Kassem en Tunisie, Habib Bourguiba, futur président de la Tunisie, « homme intelligent, ouvert, appréciant la culture française » p.153, enfermé comme eux pour conspiration contre l’État. Mais les Américains débarquent en Afrique du nord, le vent change. L’armée française se rallie… du bout des lèvres. Équipée de fusils datant de 1900 et d’uniformes rescapés de la guerre de 14, elle fait piètre figure. Les gaullistes sont mal vus et snobés.

Ce sont les Anglais qui vont sauver le patriotisme de Pierre. Il est invité à s’engager en 1943 dans la 1ère armée britannique, après un séjour lamentable d’un mois et demi dans les spahis à la frontière algéro-tunisienne. « L’organisation britannique est, je qualifierai, futuriste à côté de notre pauvre armée française qui n’a pas réalisé sa mutation par rapport à la guerre de 70 et de 14-18. Bandes molletières et Lebel ! » p.203. J’aime ce témoignage à niveau de soldat qui remet à sa place les enflures mythiques véhiculées par l’histoire. La France en 1940 n’avait pas envie de se battre, était dirigée par des pleutres, l’armée fonctionnaire vivant sur ses lauriers de la guerre de 14. Un jeune qui voulait libérer son pays était mieux accueilli par les Anglais que par sa propre armée – un comble ! « Je suis fier, fier de servir ce pays qui m’a accueilli et ouvert des possibilités de m’affirmer et de combattre pour la Liberté, ce que mon propre pays m’a refusé avec tant d’acharnement » p.258. Le mythe de « tous pour la liberté », véhiculé par les feuilletons télé complaisants ces temps-ci, est loin de la réalité vécue.

L’aéronavale française le réclame, pour sa spécialité de radio volant ; elle le réintègre, mais le bordel ambiant et l’inertie des chefs fait qu’il préfère rejoindre la Royal Navy dès février 1943. Ses résultats le font expatrier en Angleterre, où il est formé par la Royal Air Force. Il bombardera l’Allemagne en 28 missions comme radio, puis sera versé dans le Coastal Command, la défense côtière, protégeant des convois vers Mourmansk. Il sera descendu au-dessus de la Norvège, puis rapatrié à Londres… où il connaîtra un nouveau crash lors d’un exercice de navigation.

Réapprendre à vivre normalement n’est pas facile. En France ? « Bof, tu sais, rien n’a changé. Ils sont toujours aussi cons qu’avant. Ils n’ont rien compris » p.318. Il sera démobilisé après avoir refusé d’aller bombarder l’Indochine pour l’armée française, puis rayé des cadres en septembre 1945. Lui qui n’avait jamais passé aucun diplôme, sauf le brevet de maître nageur, pour cause de changements d’écoles entre l’Indochine et la France, poursuivra une carrière à l’INSEE à Poitiers jusqu’à sa retraite, 40 ans plus tard ; il y rencontre sa femme.

C’est un beau livre de témoignage, entretiens recueillis sur cassettes par sa fille et mis en forme. Dommage qu’il reste des fautes d’orthographe comme « faire le gué » pour faire le guet, « repaire » pour repère et autres fautes d’accords de verbes (participes passés en –er au lieu de –é ! : la page 270 en recèle à elle seule deux), faute aussi ce « shaps » pour chaps en anglais et cette curieuse date de « 1947 » p.283 pour le bombardement d’Héligoland par les Anglais… Dommage aussi que le lecteur soit dérouté par les premiers chapitres où le narrateur qui dit « je » est alternativement une fille ou un garçon, sans que soit expliqué en avant-propos le travail filial d’une fille pour son père. Le métier d’historien est exigeant, même pour l’histoire familiale. Il y a aussi les répétitions du chapitre 6 par rapport au 5.

Mais ces détails pèsent peu sur l’intérêt global du livre. Ce témoignage de terrain d’un jeune français des années 1940 qui a vécu la défaite de la pensée et du vouloir, qui a cherché à se battre, et n’a pu le faire que dans une armée étrangère, est à lire d’urgence – pour compenser tout ce que la célébration de 14-18 a de cocoricotant, « tous unis » dans la boucherie !

Betty Dubourg-Chaléat, Les rivages de la mémoire, 2013, éditions Baudelaire, 344 pages, €20.43

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