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L’avenir s’écrit aujourd’hui

Le SARS Cov 2 tue les gens déjà malades et éprouve ceux qui sont sains : il ne fait que révéler ce qui existe déjà et que l’on ne voit pas encore dans l’économie, la société, la politique, l’international.

C’est ainsi dans l’économie, où les sociétés hier fragiles seront demain en faillite, après la perfusion. Sans assistance respiratoire, leur coma artificiel prendra fin par un acte de décès. L’Etat soutient mais ne le fera pas éternellement ; la Banque centrale soutient et cela durera plus longtemps, mais pas sans inconvénients : soit elle réduit ses interventions d’ici un ou deux ans et les taux longs de marché remontent, rendant les dettes accumulées par les Etats et les entreprises plus coûteuses chaque année ; soit elle poursuit ses interventions et alimente les bulles d’actifs qui se forment déjà dans la finance et l’immobilier… Comme la langue d’Esope, l’intervention est la meilleure et la pire des choses. Un délicat équilibre à tenir dans le temps – à condition que la croissance reprenne, ce qui ne pourra se faire qu’avec de nouveaux concepts et de nouveaux secteurs – et par l’automatisation croissante de la production. D’où les reconversions, les formations, les réformes des retraites et du chômage – inévitables pour maintenir le système social viable. Notre vieux pays lourdingue est-il outillé mentalement pour cette réactivité ? Ce qui pose la question de l’efficacité de l’Etat administratif, du jacobinisme centralisé et des grandsécolâtres cooptés dans l’entre-soi. Car le succès de l’économie est la confiance.

C’est ainsi dans la société, où les gens se recentrent sur leur famille, leurs intérêts et leur chez eux au détriment du collectif et des « grandes causes » idéalistes : c’est un signe que les engouements des réseaux sociaux aillent vers le complotisme, qui est une vision personnelle fantasmée du monde, plutôt que vers les utopies sociales que l’on célébrait il y a 150 ans sous la Commune. Aujourd’hui ils réduisent leur intérêt pour l’extérieur et pour les autres, de confinement en « gestes barrière », d’achats en ligne en télétravail, d’errements politiciens en mensonges médicaux : ils se méfient. Ils migrent des grands centres vers les périphéries vertes ou la campagne (connectée), ils partent en vacances moins vers l’exotique à l’autre bout de la planète et plus vers la résidence secondaire sur mer ou en montagne, voire dans la maison de famille où sont les racines (s’il en reste). Les grands ensembles et les transports en commun, si chers aux socialistes depuis des décennies, sont dévalorisés au profit de la villa avec jardin et de la voiture autonome (électrique ou bi). Les gens se veulent plus indépendants, n’hésitant pas à devenir autoentrepreneurs plutôt qu’en CDI (de moins en moins accessible). L’agriculture extensive et l’élevage intensif, si chers à la FNSEA et aux technocrates du ministère, sont boudés au profit du bio, de sain et du local : en témoigne le succès de Carrefour, en avance sur les rayons bio par rapport aux autres hypermarchés ; en témoigne aussi la vogue des magasins bio de centre-ville au détriment des petits supermarchés tradi qui faisaient plutôt bazar.

C’est ainsi en politique, où le citoyen se porte vers le conservatisme plutôt que vers le progressisme : c’est un signe que les pays hier « communistes » et internationalistes soient désormais aujourd’hui des plus pétainistes et nationalistes, tels la Hongrie, la Russie, la Chine… L’Etat fort revient dans les aspirations des citoyens qui ont peur ; la surveillance généralisée, à prétexte sanitaire et sécuritaire, est mieux acceptée qu’avant. La liberté recule (car elle exige la responsabilité) au profit de la protection. C’est un autre signe que les partis « communistes » ou « socialistes » soient désormais en berne tandis que monte « la droite », depuis le centre jusqu’aux extrêmes. Marine, pourtant bien plus nulle, l’emporte sur Jean-Luc, plus brillant même si aussi autoritaire. Les citoyens ne veulent plus « changer le monde » mais continuer à vivre dans le relatif confort d’avant Covid. Ne vous leurrez pas sur l’écologie, le vote des citoyens, lorsqu’il n’est pas par défaut ou pour protester (ce fut le cas dans les grandes villes au municipales, ce fut le cas aux européennes), est moins sur les projets gauchistes que sur un « retour à » : la vie plus calme, plus saine, plus naturelle – un conservatisme mal pris en compte par les partis et sectes éclatés du mouvement écolo en France.

C’est ainsi en géopolitique, où les pays se recentrent sur leur Etat-nation et leur bloc d’appartenance, constatant que « la mondialisation » les a rendus trop dépendants et même soumis, constatant aussi que seul l’égoïsme bien compris des blocs pouvait leur permettre de s’en sortir. Le repli citoyen gagne les Etats eux-mêmes. L’OMS en sort humiliée, l’ONU affaiblie et l’Europe renforcée. Futuribles prévoit même « la fin de l’ONU » en 2040. Plus question de laisser les fleurons nationaux être rachetés par des étrangers ; plus question de dépendre des Chinois pour les masques, les batteries et les composants électroniques pour voitures ; plus question non plus (mais à terme) de dépendre autant du dollar et des lois extraterritoriales américaines soumises aux foucades d’un Trump. Ce clown a fait plus de mal aux Etats-Unis dans le monde que toute la guerre du Vietnam. Plus de local, plus de national, plus d’Europe. Car le reste du monde est hostile.

L’avenir s’écrit aujourd’hui : il ne se réinvente pas mais accentue et prolonge les tendances déjà à l’œuvre.

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Sauce verte

L’écologie est à la mode et le catastrophisme sur le climat, les espèces, les ressources, est bon à prendre pour tous les politiciens en mal d’idéologie. De l’extrême-droite à l’extrême-gauche, tous écolos ! Pourquoi pas, si cela fait avancer la conscience que l’être humain est un animal comme un autre, un prédateur invasif (mais apte à la conscience) qui doit s’adapter à son environnement sans le détruire. Mais ce n’est guère le cas.

Les dégâts de l’être humain comportent leur antidote, mais à condition de le vouloir. Pour cela, il faut sortir par l’esprit en premier. Or l’esprit est colonisé par le leader militaire, économique et culturel américain. Son idéologie est claire : Moi d’abord, puisque je suis le plus fort. Libre-échange, laisser-faire, déréglementation, abolition des frontières et de la morale : si tout cela m’est favorable, je les impose au monde entier. Et chacun d’intégrer tout cela dans sa tête depuis la fin des années 1960 pour le sexe et la morale, et le milieu des années 1980 pour l’économie. Avec désormais « l’émotion » en prime, l’idéologie adaptée par le cœur pour les sans-papiers, sans ressources, sans frontières.

Mais l’Amérique s’est aperçue que la liberté globale lui devenait néfaste. Trop de concurrence chinoise ou européenne, trop d’interventions militaires sans succès dans les pays à risque, trop de contraintes des traités collectifs signés auparavant, trop de laxisme moral aboutissant à la drogue, à l’avortement et aux crimes. « Make America great again » du bouffon vaniteux, élu par la moitié des électeurs aux États-Unis, apparaît comme un cri écologique en faveur de la biodiversité. Non, le monde ne doit pas devenir uniforme, ni même porter l’uniforme américain, car cela attirerait trop d’immigrants aux États-Unis ! Les Yankees doivent demeurer les Blancs plus beaux, les plus grands et les plus forts pour leur orgueil de pays neuf voué à établir la cité de Dieu sur la terre. C’est leur mission et les autres doivent se soumettre. C’est ainsi que cela se passe dans la jungle, c’est naturel, telle est la nature brute.

Dès lors, chaque État se dit qu’il doit imiter le roi des animaux et faire comme lui, avec l’inertie de la génération vieillissante au pouvoir qui répugne à changer d’habitudes et surtout de façon de voir.

  • Le local doit primer le global, donc protectionnisme.
  • La nation doit l’emporter sur le monde, donc frontières.
  • L’anti-gaspillage doit régner contre la société marchande, donc austérité.
  • La santé d’abord, donc bio et boycott de la malbouffe industrielle aux perturbateurs endocriniens et aux pesticides.
  • La culture doit être enracinée et non hors-sol, donc repli sur soi, ses traditions et ses petites valeurs. Car la biodiversité concerne les sociétés humaines tout comme les espèces animales et végétales. Pourquoi faire une différence, sinon par orgueil religieux que l’homme a été désigné par Dieu comme maître et possesseur de la nature ?

Le nationalisme doit-il remplacer le libéralisme ? Il semble que oui pour tout le monde, à en croire la campagne en France pour les élections européennes. C’est la conséquence du repli américain que de délaisser l’universel et de réhabiliter l’État protecteur dans ses frontières nationales. Même si chacun voit midi à sa porte, du nationalisme intégral de droite à l’économie « permacirculaire » selon le jargon Batho de gauche.

L’écologie veut conserver plutôt que s’adapter. Ainsi le veut l’époque, régressive, apocalypse en bandoulière. Le prophétisme est toujours électoralement plus payant que réfléchir et proposer. Hier les lendemains devaient chanter, aujourd’hui ils doivent hurler. La peur engendre le recul de l’esprit et quoi de mieux que la tradition ou, mieux, la religion comme refuge ? Cela donne un sentiment d’éternel et permet de puiser dans les idées traditionnelles sans en inventer de nouvelles. L’écologie mériterait pourtant une vision plus dynamique que la seule conservation de l’existant. Mais il faudrait pour cela être concret et les Français préfèrent grimper aux rideaux des grandes idées abstraites plutôt que d’user leurs mains blanches dans le cambouis de la réalité concrète.

Comme toujours, le balancier exagère dans l’autre sens. Après les excès collectivistes d’après-guerre, après les excès individualistes de l’après mai 68, retour à l’ordre collectif contre l’anarchie des individus. Le prétexte en est « l’urgence » puisque la fameuse crise ne cesse de durer depuis une génération, précipitée depuis deux ans par l’égoïsme clientéliste du grand paon yankee.

« Quand on ne sait pas, les Verts c’est bien » disait, naïve, une employée d’administration au déjeuner à propos des élections européennes. Voter Vert c’est voter pour tout le monde, pour l’époque. Non pas pour des personnes ou un programme mais pour un concept. Ce n’est pas cela qui fera avancer l’écologie positive…

Que les politiciens verts ne se fassent pas des idées : ce n’est pas pour leur gauchisme bobo parisien que la majorité de leurs électeurs votera, mais simplement pour avoir moins de poison dans l’assiette et de pollution dans l’air. C’est pourquoi la sauce verte arrose désormais tous les plats un peu faisandés des partis politiques : ils n’ont pas su renouveler la recette et croient, selon la tradition, que c’est la sauce qui fait manger le poisson et pas l’inverse. Ils se trompent et montrent en cela que le poisson pourrit toujours par la tête.

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Risques boursiers donc politiques

Le 24 octobre, c’est bientôt. Le 24 octobre 1929… krach ! Le jeudi noir, premier jour d’une série.

Le risque n’est jamais univoque : tout risque fait tache d’huile telle l’aile de papillon censée provoquer un cyclone à l’autre bout de la terre. La bourse est un baromètre de beaucoup de choses : de la façon qu’ont les entreprises de produire, des contraintes qui pèsent sur elles du fait du prix des matières premières, des taxes et impôts, des règles à n’en plus finir, des revendications salariales, de la satisfaction de leurs employés, de la confiance de leurs clients, de leurs innovations, des concurrents – et de l’ambiance générale de la société qui est à l’optimisme ou à l’avenir sombre.

C’est ainsi que Trump le paon ricain massacre la croissance. En déclarant « la guerre » à ses alliés comme à ses adversaires, il force chacun à se replier sur lui-même et à contre-attaquer – donc à devenir plus fort, bien que plus maigre. En jouant au poker le très court-terme pour « gagner » (son mot-fétiche) les élections à mi-mandat et être réélu deux ans plus tard, il fait s’envoler le déficit du budget par ses baisses d’impôts et ses dépenses, coupant toute marge de manœuvre lorsque des vents mauvais se lèveront inévitablement. Après lui le Déluge : c’est ainsi que résonnent les infantiles – on ne peut pas dire « raisonnent », ce serait dévaluer la raison. Je n’achète plus rien qui vienne des États-Unis : puisqu’ils le désirent en majorité en élisant un clown, qu’ils restent donc entre eux.

La situation économique globale devrait rester stable l’an prochain en raison des déficits américains et chinois qui soutiennent – à bout de bras – la consommation donc le commerce, donc la production. Mais la bourse anticipe toujours… Comme l’équilibre n’est pas tenable, c’est le prochain coup qui compte : anticiper est tout l’art de l’investisseur.

Or les intérêts politiques américains et chinois sont pour le moment en phase et poussent les déficits afin de maintenir artificiellement une croissance – à visée électorale aux États-Unis et sociale en Chine. Il y a donc surchauffe, des capacités à plein qui engendrent des hausses de prix. Dans le même temps le pouvoir d’achat n’augmente pas, il régresse. Car, si la richesse globale peut augmenter, elle ne va pas dans toutes les poches et reste donc théorique : à quoi servent les millions de dollars d’une œuvre de Jeff Koons (par exemple) puisque qu’elle ne « vaut » que le prix du snobisme des rares richissimes ? Elle n’est pas en or ni en farine, elle n’est pas fongible, elle ne passera peut-être même pas les décennies tant « l’art » change avec le temps et que le kitsch néo-pop apparaît un brin superficiel.

La croissance au-delà du potentiel économique engendre des excès que les banques centrales ont le statut de contrer : d’où les hausses de taux d’intérêt qui restreignent le crédit en le rendant plus cher. La Fed américaine a commencé, la Banque centrale européenne devrait suivre. La croissance, déjà anémique en Europe en raison des lourdeurs réglementaires et de la concurrence entre membres de la même zone, devrait retomber sans vraiment décoller. Et les Ricains sont en embuscade pour tendre des pièges aux champions européens : les banques avec les condamnations records, l’automobile avec le dieselgate et les sanctions contre l’Iran, les avions bientôt, peut-être la pharmacie… Tout est bon pour intenter procès au nom de la loi américaine, décrétée « universelle » par droit du plus fort, et pour « négocier » de monstrueuses amendes, tandis que des Européens sont très frileux face aux géants américains, on le voit avec les GAFAM et la lâcheté allemande sur le sujet. Tandis que Steve Bannon, le Daphnis du grand paon ricain, vient encourager dans tous les pays européens la dissidence national-égoïste : l’Union européenne fait peur au grand ricain, elle est une vraie puissance quand elle est unie : la désunir est donc stratégique pour le grand paon qui se croit expert dealer.

Le prix du pétrole monte et fait monter le dollar, l’Arabie Saoudite est au maximum de ses capacités et ne peut augmenter sa production. Les taxes douanières Trump font baisser la croissance globale et augmentent les prix. Nous sommes proches de la situation de « stagflation » connue dans les années 1970 : finie la croissance mais prix en hausse. Cette fois, c’est la « décroissance » qui menace, ce qui réjouit les Cassandre et les écolos : moins d’emplois, moins de recettes fiscales, trop de déficit et de dette publique, moins d’aides sociales et de retraites – cela veut dire moins de dépenses et une austérité qui s’ancre dans les mœurs. Les technocrates de l’Administration, cette nouvelle Église, savent évidemment mieux que vous ce qui est bon pour vous : ils ont encouragé en France le diesel depuis des décennies ; depuis qu’ils ont été « convaincus » par le Ciel de la Science que c’est mauvais pour la planète et la santé, ils interdisent le diesel en ville et restreignent la vitesse partout. Ce qui veut dire que les gens n’ont plus confiance : jeunes, ils répugnent à passer leur permis de conduire ; adultes, à « acheter » une voiture, préférant la location longue durée ou la location-vente. Ils peuvent ainsi zapper à tout moment la bagnole au profit d’Uber, du train (quand il n’est pas en grève) et d’autres moyens en ligne. Ils ont moins confiance dans la monnaie et créent leurs propres monnaies locales ou le troc de proximité. Ils consomment de plus en plus voisin et délaissent les marques mondiales telles que les ricaines emplies de saloperies chimiques.

Les populistes de gauche en ont marre de l’austérité pour l’immense majorité et de la goinfrerie de l’infime minorité – on peut les comprendre. Ils ne rêvent que de tout bazarder, de faire « l’inverse » des économies et des réformes sociales qui s’appliquent depuis une décennie ou deux avec des résultats mitigés. Ils veulent arrêter de réformer (toujours en pire) et distribuer gratuitement du pouvoir d’achat avec de la dette publique, « garantissant » par exemple un revenu universel sans travailler. A condition d’arrêter toute immigration – car un État social se réserve à ses propres citoyens. Et tant pis pour les générations futures qui devront rembourser la dette et se heurter aux immigrants au détriment de leur bonne conscience de gauche. Tant pis pour les niais qui achèteront des emprunts d’État en croyant se faire rembourser un jour… Soit l’inflation grignotera leur capital, soit un oukase voté par un Parlement aux ordres annulera leur créance ou la rendra « perpétuelle » dans l’avenir.

Rien de cela ne sera tenable et le lecteur a désormais compris que « le système » est en permanence instable et qu’il faut naviguer sans cesse sur le mouvant. Les beaux jours ne durent donc jamais et la tempête menace, surtout lorsque la bourse américaine a dépassé son record de durée en hausse et que l’évaluation des cours est à 50 % au-dessus de sa moyenne historique. Quand et où se lèvera la tempête sont les bonnes questions, auxquelles nul ne peut répondre car – jamais – une crise n’a été prévue (elle ne serait pas un choc). Tout retournement est brutal parce que tout le monde inverse ses positions comme sa façon de voir les choses au même moment, tels les moutons du sieur Panurge que nous conte Rabelais.

C’est ainsi : c’est lorsque tout va bien qu’il est temps de se poser la question du pire.

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Alain, Journal inédit 1937-1950

Il y a 150 ans naissait Émile-Auguste Chartier dit Alain. Né en 1868 et mort en 1951, cinq générations nous séparent intellectuellement : lui était adulte à la Belle époque. Après 14 il y eut les années folles, après 45 la reconstruction et le marxisme, après 68 le gauchisme et le tiers-mondisme, après 1995 Internet et la mondialisation yankee. Nous sommes entrés aujourd’hui dans une nouvelle génération qui se rétracte devant l’essor du global et de la démesure (finance mondiale, algorithmes automatiques, pillage des données personnelles, des droits d’auteur et des technologies, migrations sans commune mesure avec les précédentes, The Fat Peacock à la Maison-Blanche, etc.). La génération présente, frileuse et écolo – qui n’a pas de place dans la société avant 30 ans pour inexpérience et qui se trouve jetée dès 45 ans pour obsolescence – pourrait bien en revenir à Alain.

Ce philosophe n’est pas toujours de lecture facile, malgré les apparences. Sa concision est parfois à peine pénétrable, surtout dans un « journal » où il écrit pour lui, au fil de la plume, sans toujours avoir le temps ou l’aise physique de développer (il garde les séquelles au pied d’une blessure de guerre, est perclus de rhumatismes et marche à peine dès 70 ans). L’almanach de sa compagne et admiratrice très catholique Marie-Monique Morre-Lambelin, publié dans les interstices du Journal, remet les choses dans leur contexte et présente un Alain moins froid qu’on ne le croit. Son écriture même représente la quintessence de la démarche d’Alain : la pensée en acte. Nulle pensée humaine n’est pour lui abstraite mais près du corps et des humeurs. Car penser est un effort à l’animal humain : douter du naturel et dire non, c’est aller contre soi. Ce pourquoi le format des « Propos », qu’il invente, est propre à sa façon d’écrire ; une phrase commande la suivante, dans un processus de pensée en marchant.

Le philosophe Alain (1868-1951) faisant son cours au lycée Henri-IV, en 1932. © André Buffard / Roger-Viollet

C’est pour lui la même chose en société, où il milite comme républicain radical. Tout part, selon lui, de la « Structure paysanne » : le monde rural du village où chacun vaque à une tâche précise et complète les autres, « réduire toute propriété à un carré de terre qu’un homme peut cultiver. On voit alors par la nature des choses comment l’accumulation est limitée » 29 mai 1938 p.109. La politique se fait alors naturellement, les « meilleurs » étant ceux qui font bien leur métier. Tout l’inverse des villes, où l’abstraction prend le pas sur le tangible, où le commerce sort de la marchandise pour échanger des titres sans limite pour accumuler et où le banquier manie l’unité monétaire plutôt que des choses et les hommes qui les fabriquent. Cette démarche est celle de la mouvance écolo aujourd’hui, et ses partisans devraient (re)lire Alain. Cyril Dion, du mouvement Colibris, imagine que le « grand récit » pourrait naître comme les petits ruisseaux font les grandes rivières : à partir de petits récits du terrain qui viendraient s’agglutiner pour former une grande fresque.

Alain reste constamment partagé entre le sentiment océanique qui le fait participer à l’harmonie du monde, nuages, vent, vagues, prairies, vaches, hirondelles – et l’avancée de l’Esprit, qu’il emprunte à Hegel, et dont il fait du socialisme non marxiste la pointe avancée issue du christianisme (lui-même dépassement dialectique du judaïsme). Être homme, c’est obéir en résistant : « Ce qui détruit l’obéissance est anarchie ; ce qui détruit la résistance est tyrannie ». Ce pourquoi, il est pacifiste (la guerre, c’est l’esclavage), mais s’engage en 1914 comme artilleur pour ne pas rester « planqué » quand ses élèves se font tuer ; ce pourquoi il est émotionnellement anéanti lorsque la France s’écrase en juin 1940 devant une Allemagne dont les signes belliqueux n’ont pas manqué. Il faut croire au doute comme on croit en Dieu, aime-t-il à dire à ses élèves devenus disciples dont il cherche à « fouetter le courage » pour qu’ils accouchent d’eux-mêmes : Julien Gracq, Raymond Aron, Georges Canguilhem, Simone Weil, André Maurois, Jean Prévost…

Les lecteurs soi-disant érudits qui « font » l’opinion d’aujourd’hui n’ont vu dans ses propos QUE « l’antisémitisme ». Alain, né au XIXe et mort à la moitié du XXe, a connu trois guerres (1870, 1914, 1940) ; il était de son temps et son temps était fortement antisémite pour des raisons catholiques, de capitalisme financier et d’affaire Dreyfus. Ce préjugé était ancré depuis son enfance provinciale et il luttait contre, tout en avouant ne pas pouvoir s’en débarrasser (penser, c’est penser contre soi). Il était au moins honnête. Il faisait de la figure du « Juif », par-delà les individus (il était ami d’Elie Halévy, de Léon Blum, Mme Salomon, etc.), l’essence du cosmopolitisme hors sol, l’abstraction de la ville et des banques, la propension à la guerre pour des territoires, des colonies ou des matières premières, qui aliènent l’humain à des entités comme l’argent ou le profit, sans souci des hommes. Il disait aussi : « Tout ce qui est juif prend l’humanité très sérieusement, et donc doit réussir en tout ». « Le sublime de la Bible est fatiguant » ; « cet Orient est majestueux à nous faire honte (…) l’antisémitisme serait donc une envie parfaitement justifiée à l’égard de ces gens qui se passent du complet veston mais non pas du mur des lamentations » 28 janvier 1938 p.63.

Faire la morale au passé est inconséquent et « la Shoah » survenue depuis ne justifie en rien la leçon. Car les génocides ont existé avant celui des Juifs (Arménie), ils ont existé après (Cambodge, Serbie, Rwanda). Que Finkielkraut dans Répliques, Winock dans L’Histoire (n°446 d’avril 2018), Birnbaum pour Le Monde dans Les Matins de France-Culture, passent les neuf dixièmes de leur discours sur ce seul sujet qui ne représente « qu’une dizaine d’occurrences sur 800 pages » (Winock) – ce n’est pas penser. Je n’évoque même pas le brûlot de Michel Onfray, du parti d’extrême mode, toujours avide de se faire mousser. Cette façon d’agir est au miroir de l’antisémitisme, un même rejet a priori, en s’opposant en bloc (on n’ose ajouter un h, par humour, mais les sectaires détestent l’humour). Ce ne sont pas les individus qui parlent, mais un « on » de clan, une doxa moralement correcte. L’antisémitisme d’AUJOURD’HUI remonte d’une lecture de l’islam par des ignorants, pas des préjugés de la haute société d’il y a un siècle. Les soi-disant « penseurs » de notre temps, face à l’antisémitisme d’Alain ne le pensent en rien, ne le décortiquent pas ; ils récitent leur leçon de moraline convenue inspirée de ce que Raphaël Enthoven nomme fort justement « le parti unanime », « le parti de toutes les opinions qui ont le tort de se prendre pour des vérités, parti de « zombies (…) qui veulent vous nuire pour la seule raison que vos opinions lui déplaisent (…) à discréditer son point de vue pour en éviter l’examen ». Si ces arrogants maîtres de morale voulaient recréer une réaction « antisémite » comme au temps de Dreyfus, ils ne s’y prendraient pas autrement : accuser les autres, c’est poser un EUX et NOUS antagoniste – et les « eux » pourraient bien les prendre au mot. Adèle Van Reeth, dans Les chemins de la philosophie, ne passe que la moitié de son émission à évoquer « le problème » ; elle commence surtout par le reste, ce qui est bien plus honnête. Pour qui voudrait approfondir, je ne peux que conseiller d’écouter son podcast.

Il y a bien autre chose dans ce Journal, une lecture de Dickens, de Balzac, de Stendhal ; mais notamment des éléments pour aujourd’hui. Le local écolo prend la place du paysan chez Alain, le troc et les coopérations tenant lieu de « structure paysanne », la commune et la participation régionale de démocratie épanouie – méfiante envers l’Etat, l’Europe et les grandes organisations mondiales qui poussent à « l’esclavage » et à la guerre. L’antisémitisme (inadmissible comme tous les rejets de l’Autre a priori) est à ignorer, mais après l’avoir replacé dans son contexte et son époque ; le reste est à examiner sans œillères moralistes ou claniques.

Alain, Journal inédit 1937-1950, éditions des Equateurs 2018, 830 pages, €32.00

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Survivre dans la mutation mondiale

J’ai eu le plaisir intellectuel de rencontrer Henri de Castries, ancien PDG d’Axa aujourd’hui volontairement retiré des affaires à 63 ans (mais devenu président Europe pour le fonds américain General Atlantic). Cet ancien scout catholique élevé à Passy, issu d’une famille de vieille noblesse et marié à une famille de vieille noblesse, a suivi les étapes de la méritocratie républicaine : HEC, ENA, colonel de réserve parachutiste, Inspecteur des Finances durant quatre ans avant d’intégrer l’entreprise privée d’assurances Axa, dont il a prolongé la stratégie de Claude Bébéar par une adaptation mondiale et numérique.

Dans un brillant exposé sans notes il a donné sa vision de l’avenir de la France, compte-tenu de la dynamique historique. C’est un message puissant, à la Fernand Braudel, pour déterminer les courants de long terme qui s’imposent malgré qu’on en ait, les tendances à moyen terme sur lesquelles on peut encore peser, et les actions à court terme prises dans le jeu pervers des ego et de la petite politique.

Ce qui détermine le monde global aujourd’hui, et qui s’impose à tous, c’est le climat, la démographie et le combiné éducation et technologies numériques.

Sur le climat, le réchauffement est inévitable. Ce qui veut dire montée des eaux marines, ouragans, modification de la flore et de la faune. Comme près de la moitié de la production mondiale se trouve à moins de 50 km de la mer, chacun peut imaginer les bouleversements induits – que l’on peut et que l’on doit prévoir.

La démographie est inscrite dans les naissances passées, dans les pratiques culturelles d’enfanter aujourd’hui, dans les progrès fulgurants de la médecine… et dans les pandémies inévitables en monde global. Le risque est majeur pour l’Europe, Russie comprise. Car, sur les douze pays à démographie déclinante, neuf se trouvent en Europe, notamment la Russie et l’Allemagne. En même temps, aux portes mêmes de l’Europe se trouvent une Chine démographiquement puissante et avide des matières premières des étendues dépeuplées de Sibérie, et une Afrique qu’une courte distance méditerranéenne sépare de l’eldorado économique fantasmé. D’ici 25 ans, 4 à 5 millions d’Africains ne trouveront pas de boulot chez eux chaque année. Où vont-ils aller ? Nous avons donc l’impératif devoir de développer l’Afrique (qui commence à bouger) et à encourager l’entreprise locale, parce que l’intégration de millions d’allogènes à cultures différentes menace le destin de la civilisation européenne. C’est moins la menace d’un islam radical que la menace du nombre et la rapidité de l’appel d’air qui doivent être gérés. Envers la Russie, confrontée aux mêmes problèmes que nous, il nous faut négocier et s’entendre. En restant ferme sur nos intérêts mais en reconnaissant des questions communes (sur le Moyen-Orient, l’énergie).

Le numérique chamboule toute l’éducation. Les gens de sa génération (et de la mienne) ont été formés à l’écriture à la plume et à la lecture de gros livres érudits. De « lire, écrire, compter » ne reste plus guère que compter… Les écrits se dictent ou se tapotent, la lecture se réduit à sa plus simple expression, l’image remplaçant très vite le texte et l’orthographe (voire la grammaire) étant ignorées comme inutiles. Ce qui est indispensable aujourd’hui est moins la faculté de lire que de rechercher et de juger des informations pertinentes. Notre école publique est-elle préparée à ce monde déjà là ? La formation professionnelle tout au long de la vie, puisque chacun va changer dix fois de métier et plusieurs fois de statut (salarié, autoentrepreneur, libéral, peut-être un temps fonctionnaire), devient impérative ; faut-il la laisser entre les mains de partenaires sociaux moins soucieux d’avenir que de cette manne ?

Les tendances à moyen terme se trouvent pour nous surtout en Europe. L’Amérique s’éloigne avec Trump et la mentalité de ses électeurs qui préfèrent ériger un mur entre eux et le Mexique, ériger une barrière mentale contre l’idée de réchauffement climatique, et une solide barrière monétaire sur leurs intérêts immédiats. Sans l’Europe, la France n’est rien, peut-être bientôt plus « une nation » tant les politiciens nationaux sont déconsidérés, leurs partis en miettes, et que le local (commune, intercommunalité, région) est nettement plus populaire. Sans parler du communautarisme qui vient, pas seulement religieux mais aussi idéologique, sectaire – dans les médias et le politiquement correct.

Partout en Europe est menacée la classe moyenne et, avec elle, la démocratie et les libertés. Car le libéralisme est associé aux classes montantes, avec pour fond mental le christianisme qui a assuré deux choses : chacun est considéré comme individuellement responsable pour discerner le bien et le mal, et on ne peut faire société sans considérer le sort des autres. Ce qui veut dire que la raison prévaut et que la modération doit être. Le « juste » n’est pas seulement la justice mais aussi la modération. C’est ainsi qu’il y a une « religion » de la laïcité qui va au-delà de ce qui est raisonnable, alors que nous devons associer les croyants d’autres religions que chrétienne dans la même nation.

Dans le court terme politicien, tout cela doit se traduire par une adaptation à l’Europe sur la fiscalité, le droit du travail, le fonctionnement commun des traités. Mais aussi par un effort crucial français sur l’éducation et la formation professionnelle, pour assurer un niveau de chômage moins indécent comparé aux pays voisins que nos 10% de la population active. Car on ne fait pas société sans travail, c’est le chômage qui a conduit historiquement aux extrémismes, avec la crispation religieuse en sus comme dans toutes les périodes de grand bouleversement du monde (Renaissance, Révolution, guerre de 14).

En ce sens, le gouvernement Macron va dans la bonne direction, même s’il ne va pas assez loin.

Que sera la France en 2025 ? Peut-être une nation qui continue de compter (avec le seul siège permanent de l’Europe au Conseil de sécurité de l’ONU depuis le Brexit) – mais à condition d’être soi-même un exemple. Ce qui ne va pas sans redéfinition de la dépense publique, qui dépasse aujourd’hui 56% du PIB pour des avantages d’Etat-providence qui se réduisent. Ce qui ne va pas non plus sans sélection des meilleurs, dans la bonne tradition républicaine (et sur l’exemple chinois actuel), pour assurer des élites de l’administration et des entreprises à la hauteur des défis permanents. Quand des gens de 30 ans créent en dix ans plusieurs entreprises qui valent des milliards, la génération des installés doit se poser la question du comment. La hiérarchie traditionnelle et la production classique sont-elles adaptées aux nouveaux besoins et aux nouvelles façons de vivre ?

Penser loin et analyser global est rare parmi nos dirigeants – notamment sous les socialistes et avec François Hollande. Henri de Castries a couché dans la même chambrée, comme Jean-Pierre Jouyet, lors de leur service militaire commun en 1977 à Coëtquidan. Il sait de qui il parle. « Ne pas jouer les hamsters qui tournent sur place dans leur roue » est le mantra qu’il récite… mais que trop peu appliquent parmi ceux qui ont à diriger aujourd’hui.

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La Dépêche de Tahiti

L’observation d’un journal papier instruit souvent sur le pays qui le publie et sur les lecteurs qui le lisent. En ce sens, La Dépêche de Tahiti, seul grand quotidien payant de la Polynésie française (Tahiti infos est un gratuit), nous en apprend un peu sur Tahiti et son public. Le journal n’est ni Le Monde, ni Le Figaro, ni Libération, ni même Le Parisien, dont il se rapproche un peu mais sans en avoir ni la richesse ni les enquêtes. La Dépêche, possédée depuis 2014 par l’homme d’affaires Dominique Auroy, reste très factuelle, très locale, et l’on se demande si elle pourrait conserver des lecteurs si les deux chaînes de TV polynésiennes faisaient vraiment leur travail d’information…

la depeche de tahiti couv

Les 48 pages du journal se présentent en séquences de 8 pages successives. La page de titre ne comprend que les surtitres et des photos couleur. Il n’y a aucun éditorial, l’événement étant le gros titre, par exemple le 11 août la Rentrée des collèges (qui venait d’avoir lieu).

Suivent aussitôt les « Annonces efficaces de La Dépêche », qui ne sont que la recension (payante) des offres d’emploi, d’immobilier, de véhicules, de « bonnes affaires », d’appels d’offre et du carnet. On sent là le cœur de la rentabilité du journal avec les encarts de pub, l’information étant un ornement coûteux en plus, délaissé manifestement par la direction. Le lecteur soupçonne que la population lit peu, s’intéresse peu à l’écrit en manière générale, et que ce qui semble lui plaire est le côté pratique. La Dépêche revendique environ 15 000 lecteurs sur 285 000 habitants (soit 5.3%) contre 7.8 millions sur 65 millions en Métropole (soit 12%).

Huit pages sur le fenua (le Pays) mettent en scène les promesses de la page de titres (un baleineau secouru par la population, ce qu’il faut savoir avant d’acheter un deux-roues à son ado). Nous avons ensuite huit pages sur Tahiti (l’île), la rentrée à Mahina, la rentrée à Faa’a et Papara, les uniformes scolaires dans la presqu’île, des loges pour les artistes à To’ata, le projet de référendum rejeté à Taiarapu-est. Deux pages seulement sur les (autres) îles – qui doivent lire encore moins et n’avoir le journal qu’avec des jours de retard… Enfin huit pages de sports, dont les projets du directeur de l’Union du sport scolaire polynésien, montrent l’horizon ultime qui semble intéresser les lecteurs au café ou ailleurs.

la depeche de tahiti voyageurs

Seules trois pages sont consacrées au reste du monde… C’est montrer combien Tahiti se voit isolé et combien « la presse » reste centrée sur l’île principale. Le monde se décline en une page sur le Pacifique (levier de croissance en Nouvelle-Calédonie, abus d’enfants migrants en Australie, suspension d’un projet nucléaire franco-chinois en Chine), une autre sur la Métropole (affaire Morandini sur la corruption de mineurs, les incendies de Vitrolles, le père Hamel égorgé par un islamiste), une dernière sur le reste (pourtant 90% des actualités !) – et seulement via les anecdotes : arrestation d’un escaladeur de la tour Trump, arrestation d’un suspect terroriste au Canada, épidémie de choléra en Centrafrique… Toutes ces « nouvelles » sont en miroir de ce qui se passe à Tahiti : l’économie maritime, les viols d’enfants, le nucléaire français, le terrorisme. Ce qui se passe en Syrie, la campagne électorale américaine, les gros yeux de Poutine, les prétentions de la Chine, hop ! aux oubliettes.

Les huit dernières pages sont une fois encore pratiques, véritable almanach du Tahitien de l’île : l’agenda des sorties, les arrivées et départ (en photos de famille), les horaires des avions et bateaux, les inévitables horoscopes (occidental et chinois), les mots croisés, fléchés, sudoku, le programme télé du jour, la météo.

Avec l’essor de l’Internet sur téléphone mobile, on se demande si un tel format journalistique a encore de l’avenir. Probablement très peu, surtout si la télévision devient plus professionnelle et réalise de véritables enquêtes plutôt que l’hagiographie des puissants qui semble être de mise sur les deux chaînes.

La mise en scène de l’information sur La Dépêche de Tahiti montre combien le pratico-pratique (comme disent les psy) l’emporte sur tout le reste, combien le payant rafle la mise, laissant de côté toute préoccupation d’informer, d’éduquer et de montrer. Personne ne parle, aucun point de vue n’émerge : nous sommes dans le « on » anonyme du chien écrasé et de la citation des édiles. Aucune enquête, aucune investigation, aucune histoire : nous sommes dans l’éternel présent dont chaque jour chasse l’autre, sans perspectives ni projet.

L’ensemble expose une relative pauvreté de pensée, une inertie politique, une léthargie de la curiosité – tous traits qui me paraissent dommageables à un journal dont le devoir serait (en théorie) d’informer et de faire réfléchir.

Le site officiel de La Dépêche de Tahiti

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Mondialisation induit nationalisme

Depuis l’ouverture du communisme chinois au capitalisme (1978) et l’effondrement du Mur de Berlin (1989), le monde est un. Les échanges se développent sans frontières, ils sont économiques, migratoires, culturels – mais aussi transfert des ressources, exportation des pollutions, crises financières systémiques et changement climatique. D’où l’ambigüité de la mondialisation : comme la langue d’Ésope, elle apparaît comme la meilleure ou la pire des choses. Ce pourquoi renaissent les nationalismes et les communautarismes, cet autre nom du nationalisme quand il est sans territoire.

Nous assistons en Europe à une multiplication des revendications nationalistes régionales, dues aux égoïsmes économiques mais aussi à la question de « l’identité ». La Ligue du nord en Italie ne veut pas payer pour le sud, les Flamands pour les Wallons, les Catalans riches pour les autres régions plus pauvres, les Basques pour l’Espagne, l’Écosse pour l’Angleterre depuis la découverte de pétrole en mer du Nord. Jusqu’à la Corse qui ne veut pas payer comme tous les Français des droits de succession sur l’immobilier. Il s’agit parfois d’autonomie qui permettrait une meilleure intégration européenne, préfiguration d’un « empire » aux cents nationalités plutôt qu’un joug des actuels États-nation (Monténégro, Kosovo). Le jeu des Girondins contre des Jacobins une fois de plus rejoué ? L’empire austro-hongrois contre la Prusse nationaliste et l’unité italienne de Garibaldi ?

Plus le global se fait présent, plus le local est revendiqué. Et dans le monde existent deux modèles : le chinois et l’indien. Les deux idéogrammes qui forment le mot Chine veulent dire à la fois le milieu, le pays, la nation et l’État, tout confondu. Nous avons là l’identité faite peuple, l’Un solide comme une famille. Ce n’est qu’aux marges (Tibet, Xinjiang) que l’unité est contestée, surtout parce que l’Un éradique toute particularité locale comme la religion, la langue ou la coutume. L’Inde connaît à l’inverse la culture du multiple, l’État étant une fédération d’États plus petits où les langues sont nombreuses, comme les religions. La structure clanique familiale tient lieu de lien social. En Europe, la France tendrait au modèle chinois et le Royaume-Uni au modèle indien. Quant à l’Allemagne, elle serait tentée par la synthèse japonaise : digérer tous les apports extérieurs – mais ne retenir que ce qui est japonisable.

hip hop colonnes de burenQu’est-ce donc que « l’identité » des peuples ? Une dynamique imaginaire, un mythe créé pour faire société. L’anthropologue Maurice Godelier, dans Au fondement des sociétés humaines, montre l’importance de l’imaginaire pour toute société. La pratique symbolique joue un rôle dans le consentement ou les résistances, l’imaginaire des rapports politiques et religieux fabrique le lien social. Le modèle individualiste issu des Lumières est un leurre pour qui n’est pas déjà inscrit dans une culture. L’homme doué de raison du libéralisme politique n’est pas forcément cet agent rationnel qu’y voit le libéralisme économique. Au contraire, la valeur n’est pas le prix et l’humanité ne se réduit pas au statut de consommateur : l’habit ne fait pas le moine, la Rolex ne fait pas la réussite. Ni le mariage l’amour…

Car se déploie aussi l’identité des êtres. Je suis indifférent au mariage gay, je crois qu’un enfant peut parfaitement s’épanouir s’il est aimé, même par deux femmes ou deux hommes, que l’attention portée à un enfant désiré est meilleure que le délaissement ou le dédain de maints couples hétéros dits « normaux », qu’en termes catholiques chacun a déjà deux papa puisqu’aussi « fils de Dieu » et que l’exemple même de Joseph et Marie, parents d’un enfant dû à la procréation assistée (par Gabriel messager), ne pose aucun problème. Je suis cependant dubitatif sur les « raisons » qui font que les marginaux fiers de l’être en 1968 veuillent aujourd’hui (à 50 ans et plus) se vautrer dans le confort bourgeois qu’ils haïssaient jadis. Il n’y a là aucune « raison ». La société populaire n’aimera pas plus « les pédés » ou « les gouines » parce qu’ils/elles seront passé(e)s devant le maire; et les gosses à deux papas et deux mamans se feront moquer plus qu’avant par leurs copains, toujours plus normalisateurs que la loi. Le mariage gay n’est pour moi que cette autre expression du nationalisme, du communautarisme, du repli sur les origines, le couple, le petit entre-soi. Je ne suis pas « contre », je n’en voit pas l’intérêt. Il y aura autant de divorces, de déchirements et de procès en succession que pour les hétéros : belle avancée ! François Hollande montre qu’il n’est pas indispensable de « se marier » pour avoir des enfants, les aimer et les élever. Bel exemple, au fond.

L’identité se forme à la fois dans le temps et dans l’espace. Elle se déploie verticalement par la filiation et la transmission, et horizontalement par l’appartenance à une famille, un clan, une société, une nation, une culture. L’inquiétude identitaire naît du bouleversement des espaces : le tout horizontal déracine et désoriente ; le tout vertical produit l’intégrisme et le refus du présent au profit d’un âge d’or. Quand les liens familiaux et les liens sociaux se relâchent trop, les individus perdent leur personnalité pour se laisser balloter entre communautarismes ou modes. La violence naît moins du refus d’appartenir que de l’impuissance à y parvenir. On affecte de mépriser ce qu’on ne peut avoir (la fille du voisin) et l’on valorise ce qui est loin et accessible à tous (le gangsta rap, le mode de vie américain). L’identité fait problème chez une partie des jeunes issus de l’immigration, mais plus chez certaines communautés que d’autres. La culture maghrébine ou noire verse trop souvent dans la victimisation d’ancien « esclave » ou « colonisé », encouragée perfidement par les « belles âmes » qui agitent le ressentiment pour motifs politiques. La culture familiale asiatique, restée forte, permet d’intégrer facilement la langue, les mœurs et les pratiques sociales françaises. Ce qui montre que chacun ne peut exprimer son humanité universelle qu’au travers de son humanité particulière – si elle est positive. On ne nait pas homme, on le devient.

Il n’y a pas d’identité figée, par essence. Il n’y a que des identités historiques et pratiques. Si l’on vient bien de quelqu’un, on habite aussi quelque part. La synthèse de ces deux espaces (vertical et horizontal) s’opère par la langue, les mœurs et les modes.

  • La langue est une capacité d’échanges ; bien parler permet de ne pas s’exprimer qu’avec ses poings. Encore faut-il aller régulièrement à l’école et ne pas fréquenter exclusivement sa bande ou son ghetto. La langue fait aussi sens commun, donnant aux mots les mêmes connotations.
  • Les mœurs sont les pratiques culturelles et symboliques de l’espace public. Faire comme tout le monde, même avec ses originalités, c’est avant tout respecter les règles du jeu social. Ce n’est pas être bien conforme, mais rester dans des normes acceptables. Basculer dans la violence, les délits, le terrorisme, c’est se rejeter volontairement de la société. Les bobos toujours prêts à excuser les « victimes » devraient regarder la réalité en face, pour mieux la prendre en compte.
  • La conformité, c’est la mode. L’éphémère marchand comme substitut d’identité. Suivre la mode, c’est remplacer les mots par les choses, les gens par des objets. Le trio Smartphone, Facebook, Twitter remplace les relations humaines par des médiations techniques et virtuelles. Il faut de la culture pour les utiliser et ne pas être utilisé par eux ; il faut une personnalité pour les prendre comme des outils, et pas comme le lien social même. Seule la personnalité empêche le fétichisme. Rappelons que le fétiche est un objet qu’on croit doué de pouvoir, alors que c’est le pouvoir sur l’objet qui fait son bon l’usage.

La mondialisation offre la technique à la mode à tous les êtres humains. Mais la technique ne remplace pas la culture, d’où la désorientation personnelle, le décrochage scolaire, la déprise sociale. Communautarismes et nationalismes naissent de ce manque. Ils ne sont pas à condamner en soi : un peu assure l’identité, trop enferme dans un ghetto.

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Réactionnaires

Article repris par Medium4You.

Qu’est-ce qu’être « réactionnaire » ? C’est celui qui réagit à une action ; en politique, celui qui est contre ce qui arrive et veut soit le rétablissement de ce qui était avant (conservatisme) soit l’établissement d’un idéal imaginé (gauchisme) ou d’un équilibre éternel (écologistes). La réaction est une action qui tend à provoquer l’effet contraire à celui qui l’occasionne. Sont donc réactionnaires tous ceux qui refusent le présent au nom d’un âge d’or, d’un ailleurs ou d’une « autre » politique.

Contrairement aux idées reçues, le terme de « réactionnaire » en politique n’est pas réservé aux conservateurs qui veulent retrouver un âge d’or (droite) ou protéger les zacquis (gauche) ; il est aussi applicable à ceux qui prônent le durable, autre nom de l’éternel. Cet âge de stabilité à (re)trouver peut être soit très ancien, soit plus récent.

  1. Ainsi, les contre-révolutionnaires n’ont jamais accepté la révolution libérale des Lumières en 1789 ; ils rêvent au retour du roi de droit divin, de la tradition établie, des féodaux.
  2. Certains écologistes remontent même plus loin, à l’époque néolithique où l’homme a cessé d’être chasseur-cueilleur respectueux de mère nature pour tenter de la maîtriser par l’élevage et la culture, bâtissant des villes pour y entasser les récoltes, créant l’État pour lever l’impôt et entreprendre de grands travaux pour dompter les fleuves, le vent, la matière.
  3. Les nostalgiques des Trente glorieuses rêvent de retrouver l’élan démographique, économique et moral des années de Gaulle, où le parti Communiste et la CGT allaient dans le même sens productiviste et progressiste.

Il y a donc des réactionnaires de droite, des réactionnaires écolos et des réactionnaires de gauche. Mais tous ont un point commun. Ils se ressemblent par leur itinéraire mental, toujours le même, obéissant à un schéma de causalité identique. La séquence commune est : refus du présent, sentiment de déclin, recherche d’un coupable, ressentiment anti-élites, désignation d’un bouc émissaire, rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur.

Extrême droite, extrême gauche et gauche écolo agissent de cette même façon. Toujours au nom du « peuple », bien sûr, à qui l’on inculque que célafôta et yaka. Selon cet archétype politique, peu importe le prétexte, le résultat sera le même. Inutile de prétexter qu’il y a « gauche » dans le titre, il s’agit là de pure idéologie, dont Marx, Nietzsche et Freud ont montré qu’elle n’est que le voile de bonne conscience sur les instincts refoulés.

Il suffit d’examiner point par point l’itinéraire de cet archétype.

1-      Refus du présent : il s’agit de montrer qu’aujourd’hui est pire qu’hier ou que l’équilibre abstrait (Dieu, l’Histoire ou Gaïa même combat). Pas difficile car rien ne va jamais comme on veut. C’est le sens du temps que de changer sans cesse. Le mouvement a deux sens, revenir à l’avant ou anticiper l’après – mais il s’agit, à droite comme à gauche, de quitter ce mouvement pour établir une éternité. De quitter l’histoire qui se fait pour fonder un équilibre perpétuel indépendant des hommes.

  1. L’extrême droite veut retrouver un âge d’or où la culture ne remettait pas en cause la nature, où tout était « naturel » : l’identité, l’état social, la hiérarchie du pouvoir, la croyance, les mœurs.
  2. L’extrême gauche veut retrouver une époque révolue en rétablissant ce qui était alors : État jacobin, politique industrielle, crédit largement nationalisé, franc géré par le gouvernement via la Banque de France, frontières, diplomatie armée indépendante dotée de la bombe nucléaire (en bref un capitalisme monopoliste d’État).
  3. La gauche écologiste veut un avenir sur le thème de l’équilibre, toujours hors de l’histoire, par un nouveau pacte écologique pour effacer l’humain des rythmes naturels et des ressources de la nature, en devenant « renouvelable » ou « durable ». Effacer l’homme des êtres prédateurs au nom d’un « équilibre » du vivant mythique.

2-      Sentiment de déclin : non seulement ça ne va pas, mais ça va de mal en pis. Vite, jetons le bébé avec l’eau du bain ! Pour les réactionnaires, de droite, de gauche ou écolos, il n’y a rien de bon à garder du présent. La nature se dégrade comme le climat, les ressources se raréfient et sont l’objet de compétition mondiale, la population nationale est envahie d’immigrés, l’économie s’effondre à cause des émergents et de la rentabilité marchande, la devise est laissée à un lobby de technocrates apatrides asservi au capital étranger, l’emploi se délite à cause des patrons avides qui vont produire ailleurs et déclarer des bénéfices où il y a le moins d’impôts, la diplomatie et l’éducation n’ont plus « les moyens », le français recule comme langue parlée dans le monde comme le bon français dans nos banlieues. Nous sommes en décadence, rien ne va plus, c’était mieux avant ; il n’y a plus de bons produits, plus de sécurité, plus de jeunesse, plus de morale…

3-      Recherche d’un coupable : il s’agit de démontrer la causalité diabolique, souvent assimilée au libéralisme économique, laisser faire et laisser passer. La différence entre les extrêmes, droite et gauche (avec les écolos), est que la première refuse tout laisser passer au nom de l’autorité réhabilitée contre le laxisme, alors que la seconde distingue soigneusement le laisser faire économique (c’est mal) et le laisser faire des mœurs (c’est bien). Il faut y voir un écart de clientèle, les bobos sont des bourgeois acquis à la gauche qu’il s’agit de garder alors que leur pente naturelle, fonction de leur position sociale et de leur statut de richesse, les mènerait volontiers au conservatisme (si je suis heureux dans la société telle qu’elle est, pourquoi vouloir qu’elle change ?). Or le mouvement historique montre l’affinité des libertés : de la liberté d’expression à celle de voter, de la liberté de faire à celle d’être. La liberté réclame la liberté, voyez l’Iran, la Chine, l’Égypte de Moubarak… Le coupable une fois désigné, pourquoi ne se passe-t-il rien ? Parce qu’il y a Complot, évidemment ! Complot planétaire, fomenté par tous ceux qui ont intérêt à préserver leur pouvoir financier, social et moral et qui empêchent « le peuple » de réaliser ce qu’il veut.

4-      Ressentiment anti élite : qui a donc intérêt à préserver ce qui est ? Ceux qui ont actuellement le pouvoir, les élites sociales, politiques, énarques et grandes écoles, des affaires. Elles sont mondialisées, libérales, riches, urbaines, bourgeoises, parlementaires, attirées par les États-Unis et à l’aise en anglais. Vous avez là tous les ingrédients de ce « qu’il faut » haïr : la société du contrat au profit du retour à la société patriarcale, la culture de la négociation au profit de celle de l’autorité imposée, la société ouverte au profit du protectionnisme et du corporatisme, la population multiculturelle au profit de la xénophobie, le bon français et la loi française contre la presse poubelle et l’instruction à l’américaine (déferlement de franchouillardise sur l’affaire DSK), la campagne contre la ville, le terroir contre l’Europe technocrate, le jacobinisme contre les organisations internationales, le nationalisme contre le cosmopolitisme, la pureté ethnique contre le mélange métèque…

5-      Bouc émissaire : il est tout trouvé, il s’agit du capitalisme libéral anglo-saxon mené par l’Amérique selon l’éternel Complot financier qui dépossède chacun de sa terre, de ses origines, de ses pratiques ancestrales ppour tout rendre négociable et marchand. Un classique qui touche l’extrême droite comme l’extrême gauche et les écologistes, malgré les euphémismes et les dénis. Il s’agit de remettre en cause tout le mouvement de libération de l’individu depuis les démocrates Grecs jusqu’à la révolution des mœurs de mai 1968, en passant par la Renaissance (lire les classiques païens au-delà de la Bible) et les Lumières (esprit critique, égalité en droit et dignité, sortie par l’éducation des obscurantismes et contraintes). Cela au profit du collectif qui commande et exige le fusionnel. Tous les droits au collectif, aucun droit à l’individu : telle est la vulgate de ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. Evidemment, le collectif, c’est eux : le parti, l’avant-garde, les spécialistes autoproclamés, la technocratie d’Etat…

L’intérêt de désigner un bouc émissaire est que le ressentiment individuel peut prendre une forme physique collective manipulée et canalisée : la violence de « la rue » est orientée vers des ennemis clairement désignés. Tous ceux qui ne sont pas avec vous sont contre vous : c’est simple à comprendre ! Tu discutes ? Tu es donc l’ennemi, le Diable, le sous-humain, le malade. J’ai le droit moral de te haïr, le droit juridique de t’accuser de n’importe quoi, le droit médical de te faire soigner malgré toi dans des camps spécialisés de rééducation, le droit physique de te taper dessus (et plus si crise politique comme sous Hitler, Staline, Castro, Pol Pot ou Milosevic).

6-      Rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur : à cette anarchie apparente des intérêts particuliers qui semble faire de la société une jungle, le remède refuge est l’État national et social. Il s’agit de la nostalgie de la monarchie, état « organique » où tout le monde est à sa place selon l’ordre divin ou « naturel », ou de l’Etat « intrument de la lutte des classes » pour retrouver l’équilibre de la société d’avant les classes, l’état définitif de la fin de l’Histoire, ou encore de l’empeinte humaine minimum dans l’état de Nature. C’est une constante des programmes de gauche comme de droite extrêmes que ce social nationalisme (ou national socialisme) dans un seul pays. Repli sur soi, sur ses origines, ses traditions, son « modèle social », ses frontières. Contre l’étranger, les traités négociés, les classes privilégiées, les lobbies, vive le peuple sain, rural et premier ! Local contre global : la terre seule ne ment pas, bon sang ne saurait mentir, vox populi vox dei.

  1. Pourquoi l’État ? Parce qu’il est réputé au-dessus des classes et des partis, des intérêts personnels – même s’il est manipulé par une caste étroite au nom du « peuple ». Parce que seules les frontières définissent le domaine d’intervention d’un État.
  2. Pourquoi un sauveur ? Parce que nul groupe ne peut seul être le maître en démocratie, enclin plutôt à négocier, à faire de la petite « politique ». « Yaka imposer car célafôta l’élite établie », est le slogan populiste.
  3. Pourquoi populiste ? Parce que le populaire est toujours en retard d’une génération sur les mœurs – depuis tous temps. Resté autoritaire malgré 1968, patriarcal machiste malgré le droit de vote de 1945 et l’égalité dans le mariage 1975, partisan des solutions de force malgré l’éducation (nationale).

Toute époque de crise engendre ressentiment social et repli sur soi, crispation et intolérance. Malgré l’écart affiché des idéologies, le schéma de réponse politique est le même : il s’agit d’arrêter le temps, de trouver l’équilibre qui rendra immobile le système. Il s’agit là d’un rituel archétypal où peu importent les prétextes – de gauche, de droite ou écolo : l’avenir espéré est résolument réactionnaire.

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Éolien, le psychodrame à la française

Article repris par Medium4You.

Le Président de la République vint de lancer le programme d’éolien offshore ; France Inter vient de diffuser son magazine de la rédaction sur les éoliennes et les réactions qu’elles suscitent dans ‘Interception’ du 30 janvier, « Et pourtant elles tournent… ». Comme pour beaucoup de projets collectifs, l’éolien rejoue l’éternel psychodrame à la française : d’accord pour l’intérêt général mais pas de ça chez moi, on me consulte mais je n’écoute pas, de toutes façons c’est la faute du gouvernement. Il y a une « bêtise » à la française qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Dans ce reportage fort bien fait, les journalistes ont équilibré les citoyens passifs avec les militants actifs, les élus locaux et les industriels, les travailleurs touchés et les entreprises qui créent des emplois. Manquaient seulement les zécolos mais, ceux là, tout le monde a compris qu’aujourd’hui c’est le Mal et que le Bien est toujours ailleurs, jamais ici et maintenant, même un tout petit peu.

Quels sont donc les inconvénients de l’éolien ? Un paisible citoyen de la Drôme : ça fait un bruit constant, des ombres dans le soleil couchant, des flashes pour avions dans la nuit. Le maire de Grignan : voyez les crêtes (à plusieurs kilomètres), il y a ces machins comme des pics qui détruisent la poésie du paysage, les touristes vont fuir, ceux qui voulaient acheter aller voir ailleurs. Un pêcheur du Tréport : on va nous obliger à déserter des zones de bonne pêche, de quoi dépenser du gasoil en plus, déjà qu’il n’arrête pas d’augmenter.

Une critique plus rationnelle est de dire que l’éolien (comme le solaire) ne produit pas en continu – mais s’il y a du vent (ou du soleil). Qu’on doit donc entretenir tout un parc de centrales d’appoint, en général thermiques – ce qui annule tout le bénéfice écolo. Mais, vous l’aurez compris, ce n’est pas le rationnel qui compte dans la critique des éoliennes !

Les objections tournent surtout autour du « c’était mieux avant » et de « ça change mes habitudes » : autrement dit du vent. Le bruit (enregistré à 420 m puis à 50 m) est un vrombissement ténu, comme le vent dans les voiles. Beaucoup moins fort que le TGV « qui passe à 12 km » (mais pas en continu) ou que la départementale « à 500 m » (où il passe pas mal de circulation). Une sorte de manie obsessionnelle fait se focaliser exclusivement sur le bruit éolien, faute d’être occupé à autre chose : les gens qui sont si critiques travaillent-ils dans la journée ? Quant aux ombres qui battent dans le soleil couchant, il s’agit d’un cas TRÈS particulier auquel l’intérêt général ne devrait pas s’arrêter. Et la poésie du paysage, hein, pourquoi ne pas mettre à bas les réverbères et les lignes à haute tension, éradiquer les routes et le TGV tant qu’on y est ? Grignan et son château n’est plus depuis deux siècles et demi le paysage de la Sévigné, alors une dizaine d’éoliennes sur l’horizon, est-ce si grave pour l’équilibre de la vue ?

Probablement pas, mais c’est une occasion de « résister ». La résistance est un mot revenu à la mode grâce à la télé, mais c’est l’autre nom de « râler », manie bien française pour qui reste habituellement le cul sur sa chaise en attendant la pluie ou le soleil, c’est selon. On dit aujourd’hui « s’indigner », ça fait plus intello, surtout quand on a réussi à lire 30 pages écrites en gros à 3 euros. « Résister », c’est ne rien faire sinon appliquer son inertie à ce qui survient. Pas grand chose à voir avec ceux qui luttaient contre l’occupant dès 1943 (surtout pas avant de savoir où le vent allait tourner), ni même avec les petits Grecs en lutte contre la police, les Tunisiens contre leur gouvernement corrompu ou les Égyptiens contre leur pharaon momifié. Résister permet d’exister : c’est la faute aux autres, jamais à nous. « Le gouvernement », voire « Bruxelles » nous impose des normes standard, « les industriels » veulent faire de l’argent. Produire de l’énergie propre ? Ne plus dépendre du pétrole arabe ou de l’uranium musulman ? Créer des emplois non délocalisables pour alléger le chômage ? On s’en fout, hein… A ma porte ça me gêne, donc je « résiste ».

Pourtant, se dit le Français qui râle, « on m’a demandé mon avis. » Un promoteur d’éolien énumère les études techniques, les études d’impact et les enquêtes publiques longues et obligatoires qui précèdent toute installation d’un parc d’éoliennes en France… « Mais, dit le râleur, je n’ai pas donné mon avis parce que je m’en fous au fond, que ça ne changera rien aux pressions des lobbies et aux décisions des technocrates, et que je n’ai rien à dire faute de savoir penser.  » C’est qu’il faudrait se bouger, étudier les tendances du tourisme, les nuisances sanitaires, regarder ce qui se fait en Allemagne, en Scandinavie, ailleurs… Tout ça, bof, ça fatigue. Râler est plus facile, avec l’éminente bonne conscience d’être « résistant ». C’est bien français ça : ruminer en regardant les trains passer et, avec eux, le monde et la modernité. La mentalité de préretraité au travail (Bonjour paresse) et de fonctionnaire (Absolument dé-bor-dée !) prend la place traditionnelle du paysan. Les Français n’ont jamais accepté l’industrie, ni la technique. Ils n’ont jamais été modernes, sont restés champs et jardins, flemmards ancestraux qui attendent de la Nature, de Dieu ou de l’État que ça tombe tout cuit.

Nous voyons bien comment cet infantilisme est encouragé par l’histoire, la culture et les institutions en France. L’impuissance du citoyen est un mythe : il existe des élections, des partis et des associations, des réunions publiques et des médias, et tous savent se faire entendre quand c’est nécessaire.

Mais la culture française est celle de la raison pure : « tout le monde pareil c’est ça l’égalité, j’veux voir qu’une tête scrogneugneu, rien qui dépasse, l’État veille ! » Donc tout est centralisé à Paris, par une caste restreinte de hauts fonctionnaires passés par une seule Grande école, le cerveau sélectionné par le Mammouth sur la discipline des seules maths depuis le plus jeune âge. Tout ce qui ne se calcule pas n’existe pas. Tout ce qui a sélectionné a reconnu l’élite de la nation qui doit guider le peuple (seins nus dans la mythologie). Tout ce qui est fantaisie autour de la norme doit être impitoyablement ramené à la ligne droite. Ah mais ! Du boulevard Saint-Germain au fin fond de la Corrèze, les mêmes règles s’appliquent aux mêmes lois, surveillées et punies par les mêmes fonctionnaires formatés par le même logiciel dans le même moule après un concours cooptatoire.

Ce caporalisme napoléonien, issu de la Révolution française et de la préférence des Rousseau, Helvétius et autres Encyclopédistes pour Sparte et son égalité d’État plutôt que pour Athènes et son désordre social, les autres Européens n’en veulent pas. Ce pourquoi l’Europe-puissance (à la française) n’avance pas. Nous sommes le seul pays à avoir un Parlement aussi croupion. L’idéal européen est la fédération, la décentralisation, l’initiative locale chapeautée par des directives générales. Certainement pas la hiérarchie pyramidale autoritaire de ceux qui savent mieux que vous comment vous devez vivre. Ce pourquoi il y a des éoliennes.

La France, l’esprit français, les institutions françaises, sont aux antipodes de l’Europe. Le volontarisme d’État s’y heurte donc aux « résistances » locales. Ah, si « le courant était gratuit » pour les pêcheurs du Tréport empêchés de travailler ! Si les éoliennes partaient de besoins locaux qui susciteraient leur demande ! Si la région décidait pour elle-même, en pratiquant les taxes et les tarifs qui vont à son électorat et à ses besoins ! La politique en France reprendrait ses droits, chacun discuterait, s’opposerait, conviendrait de compromis, et tout se passerait comme il se doit entre adultes responsables. Comme partout ailleurs en Europe.

Mais ce serait remettre en cause le monopole d’EDF, le statut des ingénieurs électriciens, le pantouflage des hauts fonctionnaires à la tête du Machin, la filière nucléaire liée à l’armée, l’omnipotence d’un Président sans contrepouvoirs, et ainsi de suite. Autrement dit changer d’institutions, de sélection scolaire et de façon de voir le monde. Ce pourquoi on ne fait rien, on ne change rien, on laisse dire. Trop fatiguant pour un pays qui vieillit.

Et ça râle, au fond, parce que tous les Français sont contents des choses telles qu’elles sont !

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