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Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable

Seize nouvelles contre le monde tel qu’il va, brossées parfois avec, d’autres fois en pastiche du pesant.

La première nouvelle donne le ton et le titre du recueil. Le narrateur se bat avec son portable – un ordinateur – qui fait au fond ce qu’il veut : se recycle tout seul en mises à jour, réclame à manger (de l’énergie), se met en sommeil quand il en a besoin, use subrepticement de « l’infrarouge » pour se recharger (jamais entendu parler !), fait évader sur le cloud tous les fichiers en cas de panne imminente… Il s’agit d’informatique à l’ancienne car le mien, de portable, ne fait pas tout ça si je ne l’ai pas formaté à le faire : mon Wifi est déconnectable, Firefox ne piste pas les recherches si on le paramètre, le moteur Qwant ne recueille aucune information, le cloud n’est absolument pas accessible malgré soi, et ainsi de suite. Mais le message est clair, les machines ont leur volonté obstinée et l’humain doit rester vigilant… sous peine de se transformer en cyborg (dans une autre nouvelle, ce que certains prendront pour une bonne nouvelle – moi pas).

Quant aux modes et lubies du siècle commençant, la course à pied, l’énergie « verte » des éoliennes, l’agriculture réglementée à Bruxelles tout comme la prostitution, les lobbies à la manœuvre (même pour le sexe !), la « domination » subtile des cercles raisonnables du nord européen, le besoin intello de « s’exprimer » par la littérature, le ressentiment victimaire des racisés du « woke » (j’y entends une inversion du chaudron où l’on faisait cuire les missionnaires dans certaines tribus – wok/woke) – ce sont bien des inepties de la comédie humaine. Des girouettes du temps, qui tourneront quand le vent tournera où quand les gens intelligents cesseront de leur prêter une quelconque attention. De quoi en attendant se réfugier dans la solitude sociale et le virtuel absolu, tels ces « hikikomoris » japonais, ou de prendre pour écrire des pseudonymes ou des hétéronymes. La tentation du désert… ou devenir ghostwriter – auteur fantôme, personnage créé, image de soi à distance, écrivant qui n’écrit pas vain.

Les racisés investissent les campus américains de leur vertu toute neuve, comme si le monde était né avec eux. Ils font resurgir le racisme, qui s’était éloigné durant des décennies avec « la croissance ». Car, de deux choses l’une :

  • ou le racisme est un fléau de l’humanité qui engendre la haine des autres et de soi, et il doit être combattu par l’éducation, la promotion sociale, la tolérance civique et la bienveillance envers les différences (c’est la voie que j’ai retenue durant ma courte vie) – et pas par l’invective, la honte et le retrait choqué ;
  • ou le racisme n’existe pas et il renait par les négro-américains, et il est alors inutile de s’en sentir coupable. Si le ressentiment de descendant d’esclaves s’intronise au présent, au lieu de chercher à briser les esclavages modernes – réseaux sociaux, smartphone addiction, travail minuté Amazon ou MacDo, règles juridiques absconses, novlangue sans aucun sens – alors il est inutile de polémiquer ni même d’y prêter attention. Chacun chez soi et basta !

Aucune honte à être mâle, blanc, de plus de 50 ans car c’est comme ça – efforcez-vous plutôt (comme les Chinois) d’être fiers de ce que vous réalisez. Mais ne venez pas me chercher noise, vous serez reçu. La nouvelle Equité et inclusion est d’une rare satire à cet égard, bien réjouissante.

Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable, 2021, PhB éditions, 144 pages, €12.00

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Praxitèle

Athénien célèbre du siècle d’or, le IVème, Praxitèle est réputé incarner dans la pierre la parfaite beauté humaine. Il ne glorifia pas seulement les hommes par le marbre, ni même les éphèbes, mais aussi les femmes. On dit qu’il fut le premier grec classique à sculpter une femme nue. Il est vrai qu’incarner une déesse en une courtisane montrait que ce sacré grec n’avait pas le pesant sérieux du nôtre. L’érotisme humain – trop humain – s’élevait au sacré. Ce dernier n’écrasait pas l’homme de son infinitude comme le firent plus tard les religions du Livre.

Le paradoxe de Praxitèle est qu’il n’existe plus. Comme Homère, il est un nom, une réputation, mais ses « œuvres » ne sont que des échos. À l’exception possible d’une tête, rien n’a subsisté des statues originales qu’il a créées. L’humain de marbre a été volé, emporté, caché, détruit. Trop beau pour rester pur.

phryne copie romaine

Les Romains, ces Japonais d’hier, ont copié et recopié les Grecs faute de savoir inventer une telle perfection. Mais avec la lourdeur qui les caractérise, cet esprit juridique et systématique qui préfère l’inventaire à l’harmonie et le solide à l’envol. Que reste-t-il du style grec dans ces pastiches classiques ? De cette esthétique grecque qui était un accord profond de l’homme avec sa nature en devenir (d’où sa prédilection pour la représentation d’éphèbe) ? A-t-on envie de faire l’amour à la statue, comme le fit ce jeune grec à la statue de Phryné, amante du sculpteur et sublimée en Aphrodite, dans le temple où il se fit enfermer ?

praxitele apollon sauroctone marbre

Peut-être, mais il y faut le goût actuel pour le spectacle et le célèbre. Si la star passe à la télé, il est légitime d’en tomber amoureux. Pas pour elle-même mais pour son aura, pas pour son corps ou son esprit mais pour le parfum de célébrité qu’il ou elle traîne. L’observation des adolescents dans les expositions en donne quelque idée. Deux filles dans les 15 ans, devant l’Éros de Centocello :

« – T’as vu, il a le torse de Jérémie.

– Tu rigoles ? Il est pas si musclé !

– Eeehhh, tu l’as pas vu enlever sa chemise, Jérémie !

– Et pis il est pas bouclé avec les cheveux longs.

– Oui mais il est beau.

– Toi, tu es amoureuse !

– Moi !?

– Hé ! Hé !

– Vas pas le répéter, hein. – … (silence éloquent) »

praxitele eros

Un ado tout en noir, cheveux noirs, yeux noirs, blouson et jean noirs, tee-shirt noir et bijou barbare en argent noirci au cou, contemple la Vénus d’Arles en tordant la bouche. Il ne dit rien, sa mère l’accompagne. Difficile de savoir ce que pense ce front buté, peut-être (dans le langage approximatif actuel) quelque chose comme « mais pourquoi les filles de ma classe elles sont pas comme ça ? ».

venus d arles

Les copies les meilleures voisinent avec les pires, sans ordre apparent ; à chacun de faire le sien. Les expositions se veulent « scientifiques », axées sur la comparaison et sur les styles, pas sur les œuvres elles-mêmes. Depuis la fatwa de Bourdieu, « le goût » est forcément de classe et les fonctionnaires conservateurs de Musée se gardent bien de proposer leur jugement ! Laissons donc le goût de chacun se manifester, pour le meilleur et pour le pire. En ce qui me concerne, je trouve encore le goût des cardinaux romains de la Renaissance comme le meilleur. Ils préfèrent le naturel, l’harmonieux, cet élan qui passe dans le regard enveloppant la sculpture comme une grâce. Rien à voir évidemment avec les « beautés » de nos modes contemporaines, anorexiques de haute couture ou minets invertis de parfums italiens – une esthétique est aussi une éthique.

praxitele ephebe de marathon

L’Éphèbe de Marathon, bronze d’athlète au déhanchement délicat, est l’ombre de ces ombres de Praxitèle. Sa souplesse un peu gracile et son air rêveur éclaire ce garde à vous du trop classique. Hermès portant Dionysos enfant, un minuscule bébé à peine sorti du ventre, est un ensemble tellement ressassé qu’on ne le voit qu’à peine. Et pourtant ces deux œuvres, trouvées sur le sol grec, sont probablement plus près des originaux de Praxitèle que les autres. Le bébé Dionysos tend les bras vers la virilité puissante d’Hermès, messager des dieux, son modèle ; cet élan suscite une troublante émotion qui n’a rien de sexuel ; un remuement de paternité, peut-être, la vie qui prend son envol, encore.

praxitele hermes et dionysos enfant olympie

Les Aphrodites sont toutes des copies romaines. Celle d’Arles (dite Vénus) a ma préférence. La tête portant à gauche avec ce regard des dieux qui traverse tout ce qu’ils voient, une coiffure rangée vers l’arrière qui dégage l’ovale serein du visage, les lèvres pleines sous le nez droit qui conduit le regard tout droit vers la nudité de la poitrine, les seins jumeaux fermes et le sillon juvénile qui descend au nombril, les hanches rondes n’ayant jamais porté d’enfant. En revanche, quelles sont lourdes ces copies de copies alentour, celle du Belvédère ou celle dite Colonna ! Seul le torse sans bras, ni tête, ni mollets de l’Aphrodite de Cnide reste remarquable. Ce marbre de Paros a été longtemps exposé au jardin du Luxembourg sans que les éléments ne fassent autre chose que le patiner. D’où peut-être cette douceur du modelé qui va bien avec les seins de jeunesse et les muscles souples de l’abdomen.

praxitele venus

Parmi les hommes, l’Apollon Sauroctone a pris son nom de tueur de lézard d’après la petite bête qui monte sur le tronc auquel il appuie la main. L’éphèbe attentif se prépare à saisir le lézard au filet, d’un mouvement vif, comme le prouve la tension de tout le corps qui donne son dynamisme à la statue. Dommage que la copie de copie Borghèse soit si abîmée qu’il ait fallu probablement la raboter un peu, gommant le dessin du corps. La copie du Vatican apparaît plus précise, le torse réduit au tronc de la collection Choiseul-Gouffier, datant du début 1er siècle, révèle une tension musculaire plus proche du réel. L’original de Praxitèle devait être si vivant…

Apollon sauroctone Louvre

Ce genre d’exposition montre encore d’innombrables « satyres » dont le nom ne signifie rien, sinon la convention classique pour tout homme figuré nu sans attribut d’un dieu. Rien de « satyrique » dans cet enfant verseur de vin ou cet athlète éphèbe verseur d’huile. Rien d’autre que le sexe apparent, minuscule. Mais le puritanisme cul-bénit qui a sévit dès le 17ème siècle n’a vu dans le corps que la boue terrestre – et dans le sexe masculin un viol déjà, par le regard. Cet autre « satyre » de Mazara del Vallo n’a plus de pénis ni de testicules, attributs rongés par la mer, ce pourquoi il plaît tant à nos bourgeois d’aujourd’hui.

Ce bronze de danseur découvert dans le canal de Sicile en 1997 a le corps dynamique, arqué comme en extase. Il s’agit cette fois d’un vrai « satyre » avec oreilles pointues et trou au bas du dos pour une queue disparue. Il se perd dans la danse de Pan et son mouvement est délicieusement vrai, vivant. Il ressemblerait à un satyre de Praxitèle mais est attribué par les spécialistes à l’époque romaine hellénistique.

satyre de mazara del vallo

J’ai relevé aussi un torse d’Aphrodite du IIème siècle après, du type Vénus de l’Esquilin au corps de nageuse jeune et robuste, de délicieux Éros du Ier siècle après, le Farnèse-Steinhäuser et le Centocello aux proportions délicates, à la musculature en formation, à l’épiderme doux de l’extrême jeunesse. Les deux sont des répliques d’Éros de Praxitèle, selon les experts. Rien de l’androgynie dont on dit qu’elle serait délicieuse à l’œil, mais de jeunes garçons parfaitement garçons, dans le modelé inachevé de leur devenir.

Ce devenir deviné plus que le flou sexué crée en sculpture le délice de la tension. L’harmonie, chérie des grecs, est fille d’Arès (Mars), le dieu guerrier. L’agencement en vue d’une même fin est figuré par ce contrapposto des attitudes, le corps livrant son énergie dans cet accord des contrastes.

eros centocello musee capitolin

Mais c’est Phryné qui remporte la palme, célébrée au 19ème siècle comme « petite femme de Paris ». Elle a été peinte à l’Aéropage par Gérôme. Elle se trouve dénudée brusquement par son avocat, ultime argument face aux vingt satyres déguisés en juges. Ce tableau n’a pas plu à Zola, il y note « un geste de petite maitresse surprise en changeant de chemise. » Maxime du Camp ne voyait en elle « qu’une lorette égrillarde qui a les hanches trop hautes, les genoux en dedans, les mains trop grosses et la face boudeuse. » Ne s’agit-il point là de ce travers psychologique de la « dénégation » qui fait critiquer ce qu’on désire ? Travers très bourgeois, très français, qui fait dénier par exemple que notre système éducatif soit médiocre et que notre système de retraite soit loin d’être financé.

gerome phryne devant les juges

Un tel « retour du refoulé » n’est pas absent de notre siècle. Les salles du Louvre sont souvent tendues de noir et à peine éclairées. Esthétiquement, cela fait ressortir les nuances du marbre et focalise le regard sur les œuvres. Moralement, les conservateurs se défendent ainsi des ligues de vertus et autres professionnels du choqué, mettant cet étalage d’humanité nue, de pédérastie, de zoophilie, d’égrillardise et d’exhibitionnisme, sous l’apparence ecclésiastique de rigueur. L’art n’est noble que sacralisé : « l’Hart », disait Flaubert pour se moquer de l’enflure.

On se croirait parfois, au musée du Louvre, comme dans une église. La pédanterie scolaire qui aligne pour étude le meilleur avec le pire en rajoute probablement une couche. Il faut – hélas ! – payer son tribut à l’époque : et la nôtre n’a plus rien de cette « libération » vantée hier par la génération soixantenaire.

Jackie Pigeaud, Praxitèle, 2007, éditions Dilecta, 58 pages, €8.00

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Guillermo de La Roca, Connaître et apprécier

guillermo de la roca connaitre et apprecier
Seize nouvelles d’un auteur inconnu, voilà qui pourrait rebuter. Il n’en est rien : contradictions et oxymores suscitent un univers magique où la réalité est bien là, ondoyante et jamais telle qu’on l’attend. Le rationnel en prend un coup, mais telle est la vraie vie, jamais logique comme une épure. Nous sommes ici-bas et non au-delà, comme Satan et autres mythes aiment de temps à autre à nous le rappeler.

Il faut connaître et apprécier cette existence qui nous est offerte. Certes, il est utile de se méfier des modes et de la langue de bois. Ainsi de la première nouvelle, déconcertante, qui se moque du tourisme bobo : « L’organisation Connaître et apprécier nous avait fourni des places de figurants payants dans la coproduction interaméricaine El Macho-Le Mâle. Cette formule réservée à quelques cadres de l’industrie permettait de passer des vacances originales et utiles en Amérique latine » p.9. En effet… il s’agit d’assister les guérilleros marxistes à lutter contre le gouvernement. La seconde nouvelle conte le voyage de Mathurin le lapin : sorti de sa cage parce que sa maitresse avait oublié de la refermer, le lapin domestique est effrayé de la liberté. Tout lui fait peur et se prendre en pattes pour exercer sa responsabilité l’ennuie. Il n’aura de cesse de retrouver sa cage et ses repas de fonctionnaire à heures fixes… jusqu’au bouquet final où sera le héros de la table de mariage – mais pas comme il le prévoyait.

Le gamin normal d’une autre nouvelle est jugé anormal par tout ce que la société compte de décideurs autorisés : ses parents, le prêtre, le psychiatre, le gourou. C’est qu’il ne veut pas entrer dans les cadres étriqués et abstraits de ses ingénieur et prof de maths parentaux, ni dans les religions fixées des clercs et spécialistes de la psyché. Autoportrait de l’auteur ? On nous dit qu’il a « débuté comme ouvrier dans la banlieue de Buenos Aires », ce Français né en 1929 devenu « musicien réputé et nouvelliste ». Tout comme le cheval Quiproquo, fils de personne, qui s’est ingénié à retrouver la liberté loin des contraintes du haras et des courses, pour choisir le maquis révolutionnaire et emporter la victoire par une charge qui ne lui était pas demandée.

Il y a de la sagesse dans ces contes sur le mode de Voltaire ; de la légèreté aussi dans la moquerie des grands mots et du jargon à la mode ; de l’humour souvent dans les petits détails, comme ces « trois garçons d’écurie [qui] durent quitter le haras sur le champ » après qu’une jument fut trouvée enceinte (p.133). De l’absurde aussi, comme ces rôles convenus que la société nous fait jouer, rôle de patriote (Le Rhin), rôle de pouvoir (Davel le Yasa), rôle de savant-gourou (Le congrès d’Ankashttica, Le chaman et le professeur), rôle du rationaliste (La chapelle du vallon), rôle de gagnant (L’oiseau-mouche), rôle de bon garçon (Un gamin normal).

La chute, qui fait le sel de toute nouvelle, n’est pas toujours à la hauteur, parfois bâclée comme pour le chat dans Arthur et son maître, mais le style est vivant et l’imagination emporte. Entre l’Amérique du sud où règne la pensée magique chère à Lévi-Strauss et les paysages français adeptes de la raison cartésienne, l’écartèlement de l’auteur produit de belles histoires.

Un autre regard sur le monde.

Guillermo de La Roca, Connaître et apprécier, 2013, éditions Chroniques du ça et là, 159 pages, €12.00

Attachée de presse Guilaine Depis http://www.guilaine-depis.com/

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Nouvelles de Paris

L’hiver s’installe et les poubelles changent. Le nouveau style Delanoë tentaculaire laisse passer le vent des bombes sans (trop ?) violenter les passants. Toutes les rues n’en sont pas encore pourvues, mais ici le lycée Fénelon cher aux amours matznéviennes. C’est mieux que le sac plastique vert éventré par les corneilles.

poubelles delanoe paris 2013

Mais le style Delanoë, c’était aussi ce lego en bois établi en face de Notre-Dame pour l’anniversaire des 850 ans. La chose était d’une laideur UIFM, ce genre de constructions bricolées pour instruire le primaire. Le « projet pédagogique » municipal face à la cathédrale était d’avoir une « meilleure vue » sur la façade nettoyée… La structure est en train d’être démontée mais Notre-Dame paraît en cage tant les détritus se sont accumulés. Et, cette année, le sapin de Noël est « minable », mot qu’on affectionne dans les hautes sphères de l’État socialiste, paraît-il.

notre dame en cage

Les Gaulois survivent, mais à l’hôtel de la Monnaie, où Astérix délivre sa potion magique du « tout va bien » en monnaies d’or et d’argent !

asterix sur hotel de la monnaie

C’est sous la préfecture de police que les archéologues de l’INRAP ont découvert des sépultures médiévales sous le cloître Saint-Eloi et des constructions sur poteaux datant de la conquête romaine.

fouilles archeologiques prefecture de police paris

L’Hôtel Dieu est en crève, c’est de saison, les longs séjours étant décentralisés ailleurs. La peur du changement, toujours. Même s’il est dit que Dieu est éternel, son hôtel ne l’est pas, bien vétuste pour l’excellence qu’on réclame à la médecine.

hotel dieu en creve paris

Quant à la Samaritaine, paquebot du luxe au cœur de Paris, sa destruction a enfin commencé.

samaritaine en destruction

En revanche, la passerelle des Arts face au Louvre et le pont de l’Archevêché derrière Notre-Dame se chargent de cadenas tous plus lourds les uns que les autres. La place manque, on surcharge. Tout ce cirque pour « se dire son amour indéfectible » en jetant la clé dans la Seine – sans préjudice de la séparation dans quelques mois ou du divorce dans quelques années. Les modes mondialisées paraissent encore plus bêtes que les modes locales : elles sont plus lentes à monter et plus bébêtes encore car chaque peuple y met ce qu’il croit, dans un grand n’importe quoi naïf et sentimental à pleurer.

cadenas paris passerelle des arts et pont de l archeveche

Les touristes – comme les Français – peuvent voir enfin Voltaire dévoilé depuis quelques mois dans la cour du Louvre ! Il était resté sous filet de camouflage depuis 2006. Curieusement, cela correspondait à la suit des émeutes de banlieue en 2005, où l’islam s’était fait agressif. Comme le bonhomme Voltaire s’était fendu d’un Fanatisme ou Mahomet vengeur pour ridiculiser le cléricalisme (alors catholique et royal), tout bon Parisien ne pouvait que soupçonner la peur panique de l’État et de la Ville à « provoquer » le musulman. Selon les cinq rapports sur l’intégration récemment publiés, ne devrait-on pas mettre à bas Voltaire pour ériger à sa place Tamerlan ou Ahmad ibn Hanbal ?

voltaire enfin devoile au louvre

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Peter Robinson, L’été qui ne s’achève jamais

2003 Peter Robinson L ete qui ne s acheve jamais

Cette enquête de l’inspecteur principal Banks est la troisième qui fut traduite en français, début 2004. C’est par elle que je me suis introduit dans l’univers de Peter Robinson et que j’ai eu envie de lire les autres. L’été qui ne s’achève jamais est un plus beau titre en français que le titre anglais, banal (Close to home, près de chez soi). Il fait référence à un vers d’une chanson pop d’un auteur tourmenté, inventé par l’auteur, ‘The Summer that Never Was’, que l’on pourrait traduire aussi par ‘la maturité qui jamais n’est venue’. Dans ce roman policier, en effet, meurent deux adolescents de 14 et 15 ans, juste entre l’enfance et la maturité. C’est le ressort de l’intrigue, le mouvement qui permet de saisir une société qui change et qui demeure, l’avidité adolescente à devenir grand et l’égoïsme adulte, identique au travers des diverses modes et idéologies…

Un squelette de jeune homme est découvert au bord d’une route où se bâtit un centre commercial. Un jeune homme au même moment ne reparaît pas chez lui. Le premier était un ami d’adolescence de Banks, le second fils d’un chanteur pop suicidé et d’un top model remariée à un footeux agressif. Le rapport entre eux ? Peut-être aucun, peut-être quelqu’un, « deux enfants perdus dans un monde d’adultes où les désirs et les sentiments étaient plus grands que les leurs, plus forts et plus complexes qu’ils ne pouvaient l’imaginer » p.430.

L’adolescence est fragile, période où la personnalité se construit et se mesure. La société permissive des années 60 engouffrait par camions entiers les magazines porno, le cannabis et les disques vinyles dans les bacs. Années sexe, drogue et rock’n roll que Banks a vécues fasciné, gardant encore en lui les airs de ce temps là. Son fils Bryan vient de quitter ses études pour monter un groupe, avec un succès naissant ; son ami tué, Graham, était coiffé à la Beatles, ce qui était rare pour l’année 1965 restée autoritaire ; l’éphèbe en noir, disparu de chez lui, avait pour père un sosie de Jeff Buckley, drogué et suicidé après avoir abandonné son fils bébé.

guitare ado nb

Malgré les grands mots sur l’État-providence, la fraternité, la protection de l’enfance et autres billevesées, la société n’est pas tendre avec les ados. Trop lâche pour les discipliner, trop bureaucratique pour les guider, trop névrotique pour accepter les liens adultes-enfants autres que ceux consacrés par l’Eglise, la tradition et la loi. Les parents se trompent toujours sur leurs enfants, les adultes ont toujours tendance à les exploiter et leurs pairs ne voient jamais rien, toujours englués dans leurs propres questions. Chacun vit en aveugle et les « amitiés » adolescentes ne résistent que rarement au temps qui passe. Banks en fait l’expérience.

Les deux enquêtes progressent, entrelacées, avec Banks pour seul lien. Ses relations affectives se compliquent, les relations hiérarchiques dans la police en prennent un coup, mais il réussit à prouver à ses propres parents que tout policier n’est pas un valet des dominants.

L’univers tout entier de Peter Robinson est dans ces quelques images. Son flic l’inspecteur Banks est père de famille, époux divorcé, amant occasionnel de collègues. Il aime les gens, la musique et les livres, outre le whisky Laphroaig et les cigarettes, dont il fait une consommation agacée. Il est de sa génération, qui est aussi la nôtre ; il se débat entre les modes et les vices, le système éducatif et les hormones, la vocation policière et les intérêts des uns et des autres. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger.

Outre l’intrigue, un beau roman sur la génération ado dans les années 60.

Peter Robinson, L’été qui ne s’achève jamais (Close to home) 2003, Livre de Poche, 540 pages, €7.22

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Mondialisation induit nationalisme

Depuis l’ouverture du communisme chinois au capitalisme (1978) et l’effondrement du Mur de Berlin (1989), le monde est un. Les échanges se développent sans frontières, ils sont économiques, migratoires, culturels – mais aussi transfert des ressources, exportation des pollutions, crises financières systémiques et changement climatique. D’où l’ambigüité de la mondialisation : comme la langue d’Ésope, elle apparaît comme la meilleure ou la pire des choses. Ce pourquoi renaissent les nationalismes et les communautarismes, cet autre nom du nationalisme quand il est sans territoire.

Nous assistons en Europe à une multiplication des revendications nationalistes régionales, dues aux égoïsmes économiques mais aussi à la question de « l’identité ». La Ligue du nord en Italie ne veut pas payer pour le sud, les Flamands pour les Wallons, les Catalans riches pour les autres régions plus pauvres, les Basques pour l’Espagne, l’Écosse pour l’Angleterre depuis la découverte de pétrole en mer du Nord. Jusqu’à la Corse qui ne veut pas payer comme tous les Français des droits de succession sur l’immobilier. Il s’agit parfois d’autonomie qui permettrait une meilleure intégration européenne, préfiguration d’un « empire » aux cents nationalités plutôt qu’un joug des actuels États-nation (Monténégro, Kosovo). Le jeu des Girondins contre des Jacobins une fois de plus rejoué ? L’empire austro-hongrois contre la Prusse nationaliste et l’unité italienne de Garibaldi ?

Plus le global se fait présent, plus le local est revendiqué. Et dans le monde existent deux modèles : le chinois et l’indien. Les deux idéogrammes qui forment le mot Chine veulent dire à la fois le milieu, le pays, la nation et l’État, tout confondu. Nous avons là l’identité faite peuple, l’Un solide comme une famille. Ce n’est qu’aux marges (Tibet, Xinjiang) que l’unité est contestée, surtout parce que l’Un éradique toute particularité locale comme la religion, la langue ou la coutume. L’Inde connaît à l’inverse la culture du multiple, l’État étant une fédération d’États plus petits où les langues sont nombreuses, comme les religions. La structure clanique familiale tient lieu de lien social. En Europe, la France tendrait au modèle chinois et le Royaume-Uni au modèle indien. Quant à l’Allemagne, elle serait tentée par la synthèse japonaise : digérer tous les apports extérieurs – mais ne retenir que ce qui est japonisable.

hip hop colonnes de burenQu’est-ce donc que « l’identité » des peuples ? Une dynamique imaginaire, un mythe créé pour faire société. L’anthropologue Maurice Godelier, dans Au fondement des sociétés humaines, montre l’importance de l’imaginaire pour toute société. La pratique symbolique joue un rôle dans le consentement ou les résistances, l’imaginaire des rapports politiques et religieux fabrique le lien social. Le modèle individualiste issu des Lumières est un leurre pour qui n’est pas déjà inscrit dans une culture. L’homme doué de raison du libéralisme politique n’est pas forcément cet agent rationnel qu’y voit le libéralisme économique. Au contraire, la valeur n’est pas le prix et l’humanité ne se réduit pas au statut de consommateur : l’habit ne fait pas le moine, la Rolex ne fait pas la réussite. Ni le mariage l’amour…

Car se déploie aussi l’identité des êtres. Je suis indifférent au mariage gay, je crois qu’un enfant peut parfaitement s’épanouir s’il est aimé, même par deux femmes ou deux hommes, que l’attention portée à un enfant désiré est meilleure que le délaissement ou le dédain de maints couples hétéros dits « normaux », qu’en termes catholiques chacun a déjà deux papa puisqu’aussi « fils de Dieu » et que l’exemple même de Joseph et Marie, parents d’un enfant dû à la procréation assistée (par Gabriel messager), ne pose aucun problème. Je suis cependant dubitatif sur les « raisons » qui font que les marginaux fiers de l’être en 1968 veuillent aujourd’hui (à 50 ans et plus) se vautrer dans le confort bourgeois qu’ils haïssaient jadis. Il n’y a là aucune « raison ». La société populaire n’aimera pas plus « les pédés » ou « les gouines » parce qu’ils/elles seront passé(e)s devant le maire; et les gosses à deux papas et deux mamans se feront moquer plus qu’avant par leurs copains, toujours plus normalisateurs que la loi. Le mariage gay n’est pour moi que cette autre expression du nationalisme, du communautarisme, du repli sur les origines, le couple, le petit entre-soi. Je ne suis pas « contre », je n’en voit pas l’intérêt. Il y aura autant de divorces, de déchirements et de procès en succession que pour les hétéros : belle avancée ! François Hollande montre qu’il n’est pas indispensable de « se marier » pour avoir des enfants, les aimer et les élever. Bel exemple, au fond.

L’identité se forme à la fois dans le temps et dans l’espace. Elle se déploie verticalement par la filiation et la transmission, et horizontalement par l’appartenance à une famille, un clan, une société, une nation, une culture. L’inquiétude identitaire naît du bouleversement des espaces : le tout horizontal déracine et désoriente ; le tout vertical produit l’intégrisme et le refus du présent au profit d’un âge d’or. Quand les liens familiaux et les liens sociaux se relâchent trop, les individus perdent leur personnalité pour se laisser balloter entre communautarismes ou modes. La violence naît moins du refus d’appartenir que de l’impuissance à y parvenir. On affecte de mépriser ce qu’on ne peut avoir (la fille du voisin) et l’on valorise ce qui est loin et accessible à tous (le gangsta rap, le mode de vie américain). L’identité fait problème chez une partie des jeunes issus de l’immigration, mais plus chez certaines communautés que d’autres. La culture maghrébine ou noire verse trop souvent dans la victimisation d’ancien « esclave » ou « colonisé », encouragée perfidement par les « belles âmes » qui agitent le ressentiment pour motifs politiques. La culture familiale asiatique, restée forte, permet d’intégrer facilement la langue, les mœurs et les pratiques sociales françaises. Ce qui montre que chacun ne peut exprimer son humanité universelle qu’au travers de son humanité particulière – si elle est positive. On ne nait pas homme, on le devient.

Il n’y a pas d’identité figée, par essence. Il n’y a que des identités historiques et pratiques. Si l’on vient bien de quelqu’un, on habite aussi quelque part. La synthèse de ces deux espaces (vertical et horizontal) s’opère par la langue, les mœurs et les modes.

  • La langue est une capacité d’échanges ; bien parler permet de ne pas s’exprimer qu’avec ses poings. Encore faut-il aller régulièrement à l’école et ne pas fréquenter exclusivement sa bande ou son ghetto. La langue fait aussi sens commun, donnant aux mots les mêmes connotations.
  • Les mœurs sont les pratiques culturelles et symboliques de l’espace public. Faire comme tout le monde, même avec ses originalités, c’est avant tout respecter les règles du jeu social. Ce n’est pas être bien conforme, mais rester dans des normes acceptables. Basculer dans la violence, les délits, le terrorisme, c’est se rejeter volontairement de la société. Les bobos toujours prêts à excuser les « victimes » devraient regarder la réalité en face, pour mieux la prendre en compte.
  • La conformité, c’est la mode. L’éphémère marchand comme substitut d’identité. Suivre la mode, c’est remplacer les mots par les choses, les gens par des objets. Le trio Smartphone, Facebook, Twitter remplace les relations humaines par des médiations techniques et virtuelles. Il faut de la culture pour les utiliser et ne pas être utilisé par eux ; il faut une personnalité pour les prendre comme des outils, et pas comme le lien social même. Seule la personnalité empêche le fétichisme. Rappelons que le fétiche est un objet qu’on croit doué de pouvoir, alors que c’est le pouvoir sur l’objet qui fait son bon l’usage.

La mondialisation offre la technique à la mode à tous les êtres humains. Mais la technique ne remplace pas la culture, d’où la désorientation personnelle, le décrochage scolaire, la déprise sociale. Communautarismes et nationalismes naissent de ce manque. Ils ne sont pas à condamner en soi : un peu assure l’identité, trop enferme dans un ghetto.

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Tom Neale, Robinson des mers du sud

Néo-zélandais né en 1903, Tom Neale a été coureur des mers puis chef de comptoir dans les îles polynésiennes avant de finir sa vie, la cinquantaine venue, en robinson volontaire. Il a passé 15 années tout seul sur une île déserte du Pacifique, Souvarov, à 200 milles de la première habitation de Rarotonga dans les îles Cook.

Oh, ce ne fut pas par misanthropie ! Il a été marié et a eu deux enfants avec une îlienne. Il a travaillé et s’est fait des amis. Mais il aspire à vivre seul, loin de la civilisation qui, durant son existence, a déjà donné deux guerres mondiales. Libre et nu, il s’immerge dans la nature pour recréer son monde. Accompagné de deux chats et de quelques poules, plus un canard sauvage qu’il réussit à apprivoiser. Il fera des rencontres, marins passés par là, militaires en opération et même naufragés. Mais il ne sera bien que seul, face à lui-même.

Il s’organise, discipline la nature alentour et aménage son petit univers. « J’avais reconstruit la cuisine et même fabriqué mon fourneau, réparé la cabane et le chemin qui y conduisait, construit un poulailler où je récoltais autant d’œufs que je voulais, j’avais fait naître un jardin de la jungle et les légumes que j’y récoltais complétaient mon alimentation.. » p.192. Il cueille, il pêche, il cultive. Pas de chasse, sauf au début pour éradiquer les cochons sauvages qui détruisent toute pousse nouvelle. Mais il manque de viande, poulet et poisson ne suffisent pas à qui travaille de force. Or, six mois passés à réparer une jetée que la prochaine tempête va définitivement détruire, vont montrer à Tom sa faiblesse.

Écolo de terrain, il prouve combien les écolos de bureau disent n’importe quoi d’un ton docte et raisonnable : sans viande, pas de force. Il va découvrir aussi une autre évidence : sans insecte, pas de pollinisation. Ses plants de tomates et de courges restent stériles. Il lui reste à ensemencer les fleurs femelles avec le pistil des fleurs mâles, une à une, à l’aide d’une plume, pour obtenir enfin des légumes. Heureusement qu’il l’a lu dans un livre qui traînait : rien moins que ‘L’origine des espèces’ du grand Charles Darwin !

A ce propos, il réalise une expérience in situ de la fameuse fable socialiste. Ceux-ci se gaussent des libéraux en affirmant (en chambre) que le libéralisme est un renard libre dans un poulailler libre. Cette métaphore qui frappe les imaginations est un sophisme : un faux raisonnement. Car les bases de l’affirmation ne sont pas exactes, tout simplement. Libres, les poules se gardent bien de s’enfermer en poulailler ! Elles se nichent dans les souches d’arbres, se cachent individuellement au profond des buissons. Bien malin le renard qui parviendra à les attraper d’un coup. La preuve : quand Neale est arrivé sur l’île, les poules apportées par les occupants précédents (des militaires durant la Seconde guerre mondiale), sont retournée à la nature. Elles ont repris leurs habitudes instinctives de bons oiseaux non collectivistes. Tom Neale a réussi, en les nourrissant régulièrement après avoir frappé un gong, à les réhabituer à un endroit clos (le HLM des cités socialistes). Mais quand il a dû partir plusieurs années, pour cause de maladie, les poules ont « naturellement » retrouvé leur instinct naturel (qui est antisocialiste) : elles se sont dispersées. Pas de « poulailler libre », donc !

Un jour, mi-1954, il se trouve paralysé du dos brutalement, loin de chez lui. Comment faire, tout seul, pour s’en sortir ? Les muscles tétanisés, mais surmontant les fulgurances de la douleur à force de volonté, il réussit à rentrer et à se traîner dans sa cabane. Il n’y passe heureusement que quatre jours avant que des visiteurs de hasard le découvrent et l’aident. Il se fait vieux ; la mort dans l’âme, il embarque ses quelques effets et ses deux chats et rentre avec eux à Rarotonga. Il reprend six ans durant sa direction de comptoir, pointant tous les matins, respirant la pollution de la circulation et le bruit des gens entassés dans la ville. Ses douleurs n’étaient que de l’arthrite dans la colonne vertébrale.

Il retourne donc sur son île déserte de mi-1960 à fin 1963, quittant son paradis parce que des plongeurs des îles viennent y passer de bruyantes semaines et envisagent d’y revenir ; ils vont même encourager d’autres à le faire ! C’est à cette époque qu’il écrit ce livre, un beau récit simple et modeste d’une expérience intime qui confine au mythe. Celui du bon sauvage dans le paradis retrouvé des îles des mers du sud. Bernard Moitessier, qui a relâché sur l’île et a rencontré Tom Neale, déclare qu’il participait « à la création du monde ».

Tom Neale ne pourra s’empêcher de revenir sur son « île du désir » de 1969 à 1977, année de sa mort. Mais elle n’aura pas lieu sur l’île Souvarov. Il décèdera à Rarotonga, des suites d’un cancer de l’estomac. Il est dit sur le net qu’à l’année 2001, le fils de Tom, Arthur Frederick Neale, vivait sur l’atoll de Manihiki où il dirigeait une ferme perlière. Divorcé, il a trois enfants, Meleilani 24 ans, Thomas 17 ans, et Joshua 12 ans. Que sa fille Stella Neale-Kenyon vivait à Auckland en Nouvelle-Zélande, avec elle aussi trois enfants, Sarah-Elyss 8 ans, Milton 6 ans, et Marlow 3 ans. L’ex-femme de Tom, Sarah Haua, habitait encore en 2001 sur l’île Palmerston, à 76 ans.

Une bien belle aventure, surtout parce qu’elle est restée à l’écart de toutes les modes, de tous les « extrêmes », de toute cette écologie de salon qui encombre la littérature comme la politique. A lire pour découvrir ce que veut vraiment dire « vivre au rythme de la nature ».

Merci à Jean-Luc Coatalem, écrivain-voyageur, d’avoir convaincu la Table ronde de rééditer ce livre, devenu introuvable en français. Bien que dans la collection ‘Petite Vermillon’, il est blanc comme Folio, illustré comme Folio, imprimé comme Folio – mais n’est pas un Folio. Qu’on ne s’y trompe pas !

Tom Neale, Robinson des mers du sud (An Island to Oneself), 1966, La Table ronde collection Petite vermillon, mars 2012, 349 pages, €8.26

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John Burdett, Bangkok psycho

Attention, roman littéraire ! Les indignés habitués aux trente pages, les ennuyés du pavé qui préfère le numérique ou la barricade au livre, se détourneront sans regret. Place aux autres : ceux qui aiment la psychologie et la littérature. Car le monde de la nuit thaïlandais est ici rendu avec acuité et brillant. Le lecteur, éventuel touriste qui a survolé la Thaïlande quelques jours, ne comprend rien aux apparences. Il ne peut pas, faute de détenir les codes. Toute société a sa propre culture ; elle reste irréductible à la soupe multiculturelle montée par l’industrie du divertissement et transformée en idéologie pour bobos.

Ignorez-vous que la Thaïlande est un pays d’Asie qui n’a jamais été envahi, jamais été colonisé ? Dommage pour vous… La Thaïlande n’est ni la Chine revancharde, ni le Vietnam écolier, mais un royaume (encore aujourd’hui) où la religion est bouddhiste mais sur un fond chamaniste (comme au Japon). Où la culture est fière mais millénaire, bien assise, juste effleurée par les modes américaines mondialisées. Où le sexe est une hygiène, mais l’amour exclusif ; où les enfants se débrouillent et où les hommes dominent… mais où l’argent est détenu par les femmes.

L’auteur n’est pas américain mais avocat anglais de Hongkong avant de venir vivre à Bangkok pour écrire. Il est un excellent passeur de cultures. Ainsi pour la « prostitution » : il n’a pas l’œil moral des religions du Livre pour juger au nom de Dieu ; il se contente d’analyser les comportements et les fait expliquer par son héros : « Le moteur de tout cela est un besoin humain primordial et sain de chaleur animale et de réconfort. Durant toutes les années que j’ai passées dans le métier, je n’ai rencontré qu’une demi-douzaine de cas graves d’abus et, selon moi, la raison en est que tout cela fonctionne parfaitement en tant que manifestation d’une moralité naturelle et d’un capitalisme de base. Notre fonction d’intermédiaire est semblable à celle des agents immobiliers, sauf que la nôtre porte sur la chair et non sur la pierre. En revanche, monter tout ça artificiellement afin que les gras du bide du Sussex ou de Bavière, du Minnesota ou de Normandie, puissent se branler sans avoir à se fatiguer l’imagination, cela me paraît carrément immoral, presque une crime contre la vie » p.152. Choc des cultures, renversement des valeurs. L’Occident croit en la marchandise, l’Orient en la relation humaine… Baiser réellement est moins immoral que regarder des acteurs le faire.

L’auteur crée ici l’exception, l’abus, un portrait psychologique puissant d’une Thaï d’origine khmère, Damrong. Une fille qui a dû lutter seule depuis son enfance pour survivre, assumer les viols, protéger son petit frère, se garder de ses parents. Son père l’a prise lorsqu’elle était fillette et l’a vendue à 14 ans à un bordel malais où elle devait par contrat contenter vingt clients par jour. De quoi se forger une âme d’acier et expérimenter un talent physique utile. Drogué, alcoolique, le père un peu bandit voulait se taper le petit frère mais la fille a dit stop. Elle l’a dénoncé aux flics pour un flagrant délit. Le père violeur, brutal et indigne est mort dans ce « jeu de l’éléphant » que je laisse le lecteur découvrir… Coutume locale impressionnante s’il en est.

Mais Damrong atteint la trentaine et son frère est adulte, devenu moine après avoir étudié à l’université. L’inspecteur fétiche de l’auteur, Sonchaï Jitpleecheep, est un fils de pute thaï et d’un soldat américain en repos du Vietnam. Entre deux cultures, il a le recul nécessaire pour juger en thaï la superficialité occidentale et, en occidental, les superstitions thaïes. Pourtant, chaque nuit, le fantôme de Damrong vient le hanter, aussi fort que si la présence physique était avec lui. Il en rêve, il la baise, se réveillant torse trempé et couilles vidées, ayant gémi dans son sommeil. Car le bouddhisme admet la réincarnation et, avant elle, un purgatoire où les fantômes rôdent, leurs passions subsistant quelque temps lorsqu’elles ont été trop fortes. Or Damrong a travaillé dans le bordel familial de l’inspecteur ; Damrong l’a asservi de son corps, le rendant amoureux comme jamais ; Damrong est morte assassinée, comme en témoigne un snuffmovie dont le DVD est envoyé au commissariat.

Sonchaï va enquêter parce que cette affaire le touche de près, parce que l’amour transcende le devoir. Son chef, le corrompu colonel Vikorn, veut utiliser l’idée du snuffmovie pour trafiquer plus vite et plus universel que l’héroïne. Il est reconnaissant à Sonchaï de lui donner ce concept d’affaires juteuses et le laisse donc s’amuser à jouer au policier. Car en Thaïlande la police royale ne fait son travail que lorsque le système féodal le lui permet. On ne touche pas aux puissants, mieux vaut les faire chanter, actionner ce renvoi d’ascenseur du don réciproque qui est la « face » de l’honneur asiatique. Que peut comprendre un ‘farang’ (étranger) à ce système social complexe ? A cette culture où la virginité n’est pas déifiée ? A ce peuple pour la mort n’est qu’un passage vers une ‘autre’ vie ?

Les détails ne manquent pas sur l’industrie pornographique asiatique, sur l’affairisme des pontes, sur l’avidité naïve des occidentaux mal aimés chez eux et trop infantiles pour s’en sortir tout seul.

Il y a les comparses : le colonel Vikorn, affreux mais fidèle ; Lek l’adjoint de l’inspecteur, katoey efféminé qui veut devenir femme ; Kimberly l’américaine appelée miss FBI, jument esseulée car égoïste, qui se tue au travail car elle n’a que ça ; Phra Titanaka, moine expert en méditation, qui a du mal à se libérer des liens charnels avec sa sœur. Mais le personnage principal est fouillé, digne d’un romancier : Damrong a conduit sa vie comme elle voulait, après en avoir pris très tôt les rênes ; bien que morte, elle continue à actionner les vivants pour se venger. Le titre anglais (Bangkok Haunts) joue sur l’ambiguïté du mot haunts : à la fois fantômes et action de hanter. L’image de Damrong vous restera à l’esprit une fois le livre refermé !

Un grand roman, encore plus abouti que les précédents. A lire pour mieux comprendre la Thaïlande si vous envisager d’aller y faire un tour.

John Burdett, Bangkok psycho (Bangkok Haunts), 2007, 10-18 2011, 439 pages, €8.36

J’ai chroniqué les volumes précédents sur un blog précédent, aujourd’hui fermé. Je les republierai ultérieurement ici.

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Le Clézio, Diego et Frida

Jean Marie Gustave s’intéresse au brut et au sauvage, à l’enraciné et à la vie forçant son chemin. Vivant au Mexique, dont les anciens peuples le fascinent, il ne pouvait que poser sa pierre sur l’art qui a tout juste précédé sa venue. Diego Rivera et Frida Kahlo sont deux peintres nés avec le siècle XXème et morts avant que l’URSS ne décline. Le Clézio entreprend leur biographie à grands traits, de cette manière si personnelle qu’il a d’aller droit au but.

Publié à 53 ans, il crée son livre d’andropause. Il se montre fasciné par la puissance d’ogre de Diego, cette grenouille sur pattes avide de femmes et d’œuvres héneaurmes*, comme par la vitalité de Frida, handicapée par accident et incapable de donner la vie à un bébé. Certes, on peut trouver dans ce livre tout ce qui plaît tant aux bobos : la Révolutiônn et Trotski, l’ascendance juive partagée, l’Haart* et André Breton, l’Hamour* et l’espagnolisme sud-américain macho-catholique mâtiné d’indien, enfin le sentiment anti-yankee (p.31) qui est celui de l’auteur. [Les * sont des mots de Flaubert sur la bêtise des termes].

Mais Jean Marie Gustave est né sensible, nomade et libertaire. Adulte, il cherche auprès des anciens Mayas, au Mexique, cette part de rêve irréductible sur les mystères du monde. Il récuse la quête occidentale de se vouloir frénétiquement « maître et possesseur de la nature », hanté d’argent, perclus de convenances puritaines et avide de position sociale. Lui – contre son père qui était Anglais – choisit l’harmonie immémoriale et l’amour fou – du côté de sa mère Niçoise d’ascendance bretonne. Dans ‘L’inconnu sur la terre’, il disait déjà combien il était sensible aux regards bruts et directs, sans les afféteries mensongères de la civilisation ni les calculs du statut social.

Avant de devenir le peintre muraliste du nationalisme mexicain d’entre deux guerres, Diego est dépucelé à 9 ans. Quant à Frida, elle veut le posséder à 14 ans. C’est dire le pantagruélique appétit de vivre, de créer et de baiser qui saisit les deux artistes dans un tourbillon dès la prime puberté ! C’est cela qui plaît à Jean-Marie Gustave Le Clézio, passé la cinquantaine. Le mariage de la colombe et de l’éléphant, comme on disait, a été passionné. Diego ne cessait d’aller décharger son énergie ailleurs mais toujours revenait. Frida ne cessait de tenter de donner naissance mais toujours échouait. De ces blessures sont nées quelques œuvres d’une grande puissance. Diego, « il lui faut cette identification joyeuse avec la femme, cette permanente proximité physique. La beauté du corps féminin, les beautés des modèles, est le symbole de la violence créatrice de la vie, de la réalité de la vie face à toutes les idées et impuissances de l’intellect » p.196. Frida oppose « la distance, la rêverie, le goût pour la solitude (…) son obsession de la souffrance. Sa peur de souffrir, qui veut dire aussi : peur de la jouissance » p.210.

Du brut mexicain qui exalte le peuple et l’ancestral, curieux mélange d’internationalisme révolutionnaire et de localisme indien qui fait la particularité sud-américaine. Contradiction en apparence : la révolution n’est pas celle de Marx ni de Lénine, mais la posture anticoloniale et antiyankee.  Une fois libéré des liens politiques, économiques et moraux, ce qui reste est la mexicanité, la force populaire venue des temps préhispaniques. Il y a donc plus de nationalisme que d’internationalisme dans le socialisme sud-américain. Peut-être est-ce le côté terroir de ce socialisme agraire qui séduit la gauche française ? Il rejoint dans les années 1990 l’engouement bobo pour le patrimoine. Le Clézio a toujours surfé sur les modes profondes sans le vouloir vraiment, captant l’air du temps de ses antennes sensibles aux gens.

Il garde cependant hauteur de vue et liberté de ton. Frida Kahlo fait un séjour à Paris à l’invitation d’André Breton, écrivain communiste, et des peintres surréalistes. Elle « déteste Paris et le milieu artiste, « este pinche Paris » – ce foutu Paris, écrit-elle à ses amis – et revient au Mexique convaincue de l’abîme qui la sépare de l’Europe et des conventionnels de la révolte intellectuelle » p.43. Elle traitera même les surréalistes, révolutionnaires en chambre, de « bande de fils de putes lunatiques » p.222. Les discutailleries sans fin dans les cafés à l’atmosphère enfumée, ce n’est pas la vie. C’est plutôt ce « pourquoi l’Europe est en train de pourrir » en 1939. Et c’est pourquoi aussi Le Clézio a tant préféré vivre ailleurs que dans la vieille Europe jusqu’à son âge mûr.

Le lecteur comprend mieux pourquoi l’écrivain a délaissé ses thèmes de prédilection pour se lancer dans une biographie. Au travers des personnages hauts en couleur et à convictions primaires, il parle de lui-même, de cette force qui fait vivre. Son écriture s’en ressent, nerveuse, directe, enlevée. Le livre se lit très bien. Il en a été tiré un film mais qui se focalise plus sur les personnages que sur la façon dont Le Clézio les annexe à son univers.

Les branchés préféreront évidemment le film – que tout le monde a vu – au livre – que seul les happy few ont pris le temps de lire. Car il s’agit de savoir en parler dans les salons, n’est-ce pas, pas de comprendre ce qu’il peut apporter. Ainsi sont les intellos parisiens, vaniteux et futiles. Ceux qui veulent comprendre un peu mieux les racines vitales de Jean Marie Gustave feront évidemment l’inverse : lire sûrement le livre et (peut-être) regarder le film.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, Diego et Frida, 1993, Folio

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