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Merida

Nous avons deux heures de route jusqu’à Mérida. Nous dépassons des haciendas (« hacer » = faire en espagnol) de cordes de sisal ou de viande sur pieds. Mérida se fait connaître tout d’abord par sa zone industrielle, bien qu’elle soit célèbre surtout pour son université, son archevêché et son rôle de capitale administrative de l’état du Yucatan. Proche du niveau de la mer, elle compte près de 700 000 habitants et possède l’un des douze aéroports internationaux du Mexique.

Fondée en janvier 1542 sur la cité maya de Tiho, elle porte le même nom qu’une ville d’Estrémadure car les monuments mayas que les conquistadores ont découverts leur rappelaient leur ville natale. La prospérité de la corde de sisal, exportée aux Etats-Unis pour alimenter les moissonneuses-lieuses, ont rendu nombre d’habitants milliardaires au début du 20ème siècle et leur ont permis de construire de luxueuses résidences le long du Paseo de Montejo.

Le bus nous dépose dans la vieille ville, sur la place centrale appelée comme ailleurs Zocalo ou ici, plus spécifiquement, « Plaza Mayor » (la grande place). Le palais du Gouverneur, bâti en 1892, a les murs de sa cour, de l’escalier et du premier étage couverts de fresques terminées en 1978 par le peintre Ferdinand Castro Pacheco. Ce muraliste célèbre au Mexique conte en images l’histoire du pays, l’homme surgissant du maïs, le dieu jaguar, l’aigle tenant en ses serres un serpent.

Dans la cathédrale, achevée en 1598, une messe bat son plein avec la lecture de l’évangile selon saint Matthieu. La façade de style Renaissance se voit flanquée de deux tours que l’absence de recul empêche d’apprécier à leur juste mesure. Il s’agirait de la plus ancienne cathédrale du continent américain. Les voûtes sont à caissons et la chapelle du Christ des Ampoules permet de vénérer une statue de bois du 16ème siècle.

Sur un coin de la place, en poursuivant le tour dans le sens des aiguilles d’une montre, nous visitons l’ex-palais Montejo transformé en banque Banamex, elle-même rachetée il y a quelques années par la Citygroup des Etats-Unis. La façade 1549 est de style plateresque toute sculptée de conquistadores au regard menaçant, les pieds écrasant des Indiens grimaçants. L’intérieur visitable est une suite de vieux salons sombres dans le chic bourgeois alourdi du siècle dernier.

Au sortir du palais, éblouis par la lumière, nous pouvons admirer parmi les jardins de lauriers de la place toute une troupe de petits écoliers en shorts bordeaux et chemise blanche que la touffeur fait bayer. Ils sont bruns, frais et pleins de vigueur. En rang et en uniforme, garçonnets et fillettes mêlés font se sentir joyeux de l’humanité. C’était l’un des secrets des ordres totalitaires. Sur un ordre de leur maître, les écoliers retournent sur leurs pas pour se diriger vers le palais du Gouverneur. Nous ne les verrons pas de près.

Mais la place nous réserve encore le sourire des jeunes devant les photos que nous prenons ; ils sont heureux de vivre, d’être là en ce jour, d’être pris pour cibles par les photographes étrangers. Ils ont l’impression de participer à la modernité et cela enthousiasme plus que l’air revêche de nombre de Français du même âge à Paris.

Nous déjeunons sur un coin de la place, à l’étage, d’une salade César et d’une bière dans un vieux café à l’espagnole. Du balcon, nous dominons l’esplanade de l’église et un coin du parc, nous permettant quelques vues sur les gens qui passent et sur le flic à l’ancienne qui s’efforce de régler une circulation qui n’a pas besoin de lui. Je pourrais me croire revenu dans une ville de province française du début des années 1960, formelle, rituelle et assoupie.

Nous quittons Mérida en traversant la voie de chemin de fer, prospère dans les années 1930 mais à l’abandon depuis la fin des années 1970 faute du désir des gens d’ici d’aller voir ailleurs, donc de rentabilité.

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Le Clézio, Diego et Frida

Jean Marie Gustave s’intéresse au brut et au sauvage, à l’enraciné et à la vie forçant son chemin. Vivant au Mexique, dont les anciens peuples le fascinent, il ne pouvait que poser sa pierre sur l’art qui a tout juste précédé sa venue. Diego Rivera et Frida Kahlo sont deux peintres nés avec le siècle XXème et morts avant que l’URSS ne décline. Le Clézio entreprend leur biographie à grands traits, de cette manière si personnelle qu’il a d’aller droit au but.

Publié à 53 ans, il crée son livre d’andropause. Il se montre fasciné par la puissance d’ogre de Diego, cette grenouille sur pattes avide de femmes et d’œuvres héneaurmes*, comme par la vitalité de Frida, handicapée par accident et incapable de donner la vie à un bébé. Certes, on peut trouver dans ce livre tout ce qui plaît tant aux bobos : la Révolutiônn et Trotski, l’ascendance juive partagée, l’Haart* et André Breton, l’Hamour* et l’espagnolisme sud-américain macho-catholique mâtiné d’indien, enfin le sentiment anti-yankee (p.31) qui est celui de l’auteur. [Les * sont des mots de Flaubert sur la bêtise des termes].

Mais Jean Marie Gustave est né sensible, nomade et libertaire. Adulte, il cherche auprès des anciens Mayas, au Mexique, cette part de rêve irréductible sur les mystères du monde. Il récuse la quête occidentale de se vouloir frénétiquement « maître et possesseur de la nature », hanté d’argent, perclus de convenances puritaines et avide de position sociale. Lui – contre son père qui était Anglais – choisit l’harmonie immémoriale et l’amour fou – du côté de sa mère Niçoise d’ascendance bretonne. Dans ‘L’inconnu sur la terre’, il disait déjà combien il était sensible aux regards bruts et directs, sans les afféteries mensongères de la civilisation ni les calculs du statut social.

Avant de devenir le peintre muraliste du nationalisme mexicain d’entre deux guerres, Diego est dépucelé à 9 ans. Quant à Frida, elle veut le posséder à 14 ans. C’est dire le pantagruélique appétit de vivre, de créer et de baiser qui saisit les deux artistes dans un tourbillon dès la prime puberté ! C’est cela qui plaît à Jean-Marie Gustave Le Clézio, passé la cinquantaine. Le mariage de la colombe et de l’éléphant, comme on disait, a été passionné. Diego ne cessait d’aller décharger son énergie ailleurs mais toujours revenait. Frida ne cessait de tenter de donner naissance mais toujours échouait. De ces blessures sont nées quelques œuvres d’une grande puissance. Diego, « il lui faut cette identification joyeuse avec la femme, cette permanente proximité physique. La beauté du corps féminin, les beautés des modèles, est le symbole de la violence créatrice de la vie, de la réalité de la vie face à toutes les idées et impuissances de l’intellect » p.196. Frida oppose « la distance, la rêverie, le goût pour la solitude (…) son obsession de la souffrance. Sa peur de souffrir, qui veut dire aussi : peur de la jouissance » p.210.

Du brut mexicain qui exalte le peuple et l’ancestral, curieux mélange d’internationalisme révolutionnaire et de localisme indien qui fait la particularité sud-américaine. Contradiction en apparence : la révolution n’est pas celle de Marx ni de Lénine, mais la posture anticoloniale et antiyankee.  Une fois libéré des liens politiques, économiques et moraux, ce qui reste est la mexicanité, la force populaire venue des temps préhispaniques. Il y a donc plus de nationalisme que d’internationalisme dans le socialisme sud-américain. Peut-être est-ce le côté terroir de ce socialisme agraire qui séduit la gauche française ? Il rejoint dans les années 1990 l’engouement bobo pour le patrimoine. Le Clézio a toujours surfé sur les modes profondes sans le vouloir vraiment, captant l’air du temps de ses antennes sensibles aux gens.

Il garde cependant hauteur de vue et liberté de ton. Frida Kahlo fait un séjour à Paris à l’invitation d’André Breton, écrivain communiste, et des peintres surréalistes. Elle « déteste Paris et le milieu artiste, « este pinche Paris » – ce foutu Paris, écrit-elle à ses amis – et revient au Mexique convaincue de l’abîme qui la sépare de l’Europe et des conventionnels de la révolte intellectuelle » p.43. Elle traitera même les surréalistes, révolutionnaires en chambre, de « bande de fils de putes lunatiques » p.222. Les discutailleries sans fin dans les cafés à l’atmosphère enfumée, ce n’est pas la vie. C’est plutôt ce « pourquoi l’Europe est en train de pourrir » en 1939. Et c’est pourquoi aussi Le Clézio a tant préféré vivre ailleurs que dans la vieille Europe jusqu’à son âge mûr.

Le lecteur comprend mieux pourquoi l’écrivain a délaissé ses thèmes de prédilection pour se lancer dans une biographie. Au travers des personnages hauts en couleur et à convictions primaires, il parle de lui-même, de cette force qui fait vivre. Son écriture s’en ressent, nerveuse, directe, enlevée. Le livre se lit très bien. Il en a été tiré un film mais qui se focalise plus sur les personnages que sur la façon dont Le Clézio les annexe à son univers.

Les branchés préféreront évidemment le film – que tout le monde a vu – au livre – que seul les happy few ont pris le temps de lire. Car il s’agit de savoir en parler dans les salons, n’est-ce pas, pas de comprendre ce qu’il peut apporter. Ainsi sont les intellos parisiens, vaniteux et futiles. Ceux qui veulent comprendre un peu mieux les racines vitales de Jean Marie Gustave feront évidemment l’inverse : lire sûrement le livre et (peut-être) regarder le film.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, Diego et Frida, 1993, Folio

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