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Exbrayat, Elle avait trop de mémoire

Voici le tout premier roman de l’auteur prolifique qui fut successivement élève médecin, auteur dramatique et journaliste avant de se vautrer – avec humour et délices – dans la fange du crime. Exbrayat invente le personnage haut en couleur (1m70) et large de vues (230 livres) de l’Inspecteur Chef du Yard George-Herbert Morgan, surnommé évidemment Fatty. C’est que l’Anglais fringuant est tombé amoureux de la France, de sa cuisine et de ses vins. Il visite auberges et restaurants durant ses congés et entretient une correspondance culinaire avec tous les toqués du continent. Comme tous les Inspecteurs chef, il est flanqué d’un jeune sergent, le beau Clarence Bredford, qui découvre à chaque fille qu’il lève la femme de sa vie. C’est dire combien ces personnages typés vont agrémenter l’histoire.

Car il y a crime, et même crimes successifs. Qu’à chaque fois la nouvelle fiancée du Clarence éperdu de fonder un nid découvre avec lui, car elle ne veut pas le lâcher, et rompt après s’être évanouie. Dans ces années cinquante, on ne badinait pas avec l’amour. Il n’y avait de sexe admis que dans le mariage, rien avant sauf chez les putes, et les jeunes hommes fringuant devaient de réfréner, assoiffés de désir. Les choses ont bien changé, même s’il faut aujourd’hui signer un contrat de consentement devant témoin avant de pénétrer la fille.

Mais le crime se fait attendre. Il reste ignoré jusqu’à ce que – par hasard – un compagnon de jeu (de bridge) au pub, Moriss, ne rentre pas chez lui. Les compères informent Fatty Morgan que sa femme se désespère, qu’elle demande que lui, l’inspecteur, le fasse chercher. De fil en aiguille, Morgan va découvrir qu’il y a une femme sous l’affaire, l’ex-bonne du couple Phyllis devenue la maîtresse du mari ; que son épouse le savait bien ; qu’elle connaît même son adresse…

A laquelle adresse la beau Clarence, flanqué de sa dernière fiancée d’un soir (la femme de sa vie), découvre le cadavre égorgé de Phyllis dans une mare de sang. Gloups ! Moriss introuvable, qui avait rendez-vous, est le vraisemblable coupable. Mais ce serait trop simple. Il faut donc retrouver Moriss pour écouter ce qu’il a à dire, mais aussi chercher auprès des amies de la victime.

Justement Dora se souvient. Elle a vu brièvement son amie Phyllis chez elle, qui attendait un rendez-vous. Elle n’est donc pas restée mais a croisé dans l’escalier un homme qui montait et sifflotait une chanson qui lui dit quelque chose, mais dont elle ne parvient pas à retrouver quoi. Le meurtrier est probablement le siffloteur et tout le cabaret de La pomme de pin, tenu par le couple Longhins, est en haleine.

C’est justement entouré de ses compères et en présence du cabaretier et de sa femme, que Fatty Morgan apprend d’un clochard que Dora s’est souvenue de la chanson, qu’elle est allée du Yard où Morgan ne se trouvait pas, qu’on lui a ri au nez et qu’elle attend que l’inspecteur vienne la trouver pour lui dire. Lorsqu’il parvient à joindre Clarence, qui est le seul à avoir noté l’adresse de Dora sur son calepin et qui convole en juste fiançailles avec une autre femme de sa vie, il est trop tard. Le jeune sergent et sa belle découvrent le cadavre égorgé de Dora dans une mare de sang. Gloups ! Le meurtrier savait – et ce n’est pas Moriss, retrouvé et gardé à vue depuis des heures. Reste le clochard qui n’a pas dit tout ce qu’il savait peut-être. Mais trop tard, il est égorgé lui aussi. Gloups !

Déduction des petites cellules grises, bon sang mais c’est bien sûr ! Le coupable est l’un des quatre présents lorsque l’inspecteur a été informé par le clochard de la chanson de Dora. Reste à prouver lequel. Un piège est tendu, le suspense à son comble. Pas mal pour un premier roman !

Charles Exbrayat, Elle avait trop de mémoire, 1957, Le Masque 1976, 192 pages, occasion €1,16

Charles Exbrayat déjà chroniqué sur ce blog

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Michael Connelly, En attendant le jour

L’inspecteur Harry Bosch a pris sa retraite et son auteur de père s’est renouvelé avec une femme, hawaïenne de surcroit : Renée Ballard. Elle encore peu consistante et ceux qui la comparent avec Bosch seront déçus. Pourtant, cette inspectrice au commissariat d’Hollywood a des attraits. Elle a été reléguée au quart de nuit par son chef, le lieutenant Olivas, qui a tenté de la violer. Elle a porté plainte mais son binôme Chastaing l’a laissée tomber et, faute de preuve, sa plainte a été classée sans suite. A l’ère du Me Too à la mode aux Etats-Unis, elle apparaît très solitaire et n’use du sexe que comme un médicament – les juments américaines s’y reconnaitront sans problème ; c’est peut-être un peu moins vrai en Europe, d’où cette impression d’inconsistance. Mais elle ne baisse pas les bras ; orpheline très tôt et issue d’une minorité ethnique (autre thème fort à la mode chez les intellos américains qui lisent), elle a appris à réagir aux obstacles et à agir seule – dans la plus pure tradition yankee.

Le quart de nuit ramasse toutes les affaires sordides, notamment celles liées aux prostitués des deux sexes qui arpentent les avenues. Le lecteur apprend d’ailleurs à cette occasion que Los Angeles PD met sur le trottoir ses plus jeunes agents (surtout des hommes) afin de ferrer en flagrant délit les clients qui veulent se payer une bonne pipe ou une relation sexuelle déviante. On vit de tout dans la police.

Ce soir-là, un trans a été sévèrement tabassé au coup de poing américain et laissé pour mort dans un parking. Renée est conviée aux urgences par le dispatcheur de la police tandis que son collègue Jenkins, qui veut partir à l’heure pour voir ses enfants le jour, fait de la paperasserie. Le trans n’a prononcé que quelques mots : « Ramone », puis « la maison à l’envers », avant de sombrer dans le coma. Tout prendra sens dans la suite.

Normalement, Renée ne mène aucune enquête, elle ne fait que prendre les dépositions et recueillir les éléments de preuves matérielles immédiats avant de confier l’enquête à la brigade de jour. Mais cette nuit-là, une fusillade a eu lieu dans un night-club branché et cinq personnes ont été assassinées par arme à feu. La brigade est sur les dents et le week-end tout proche permet à l’inspectrice Ballard d’enquêter comme elle aime le faire : de A à Z. Elle se voit confier par Olivas, qui a besoin de tout le monde, même les pires à ses yeux, la tâche de réunir les premiers éléments sur le dégât collatéral d’une jeune serveuse prise dans le feu du night-club.

Acura RDX

Malgré sa hiérarchie et son coéquipier qui ne veut pas la suivre (Jenkins signifie branleur en argot ricain), elle va mener ces deux enquêtes de front le jour et dans les temps libres de son quart de nuit. Manœuvrière et perspicace, elle va démontrer que c’est un flic le coupable des assassinats du night-club, et que le tabasseur du prostitué aux seins siliconés a déjà fait d’autres victimes.

Il y aura de l’action, un enlèvement, une bagarre à poil avec un tueur, un plan subtil avec un avocat pour piéger la hiérarchie hostile, et des séances de paddle dans la baie tandis que la chienne Lola garde ses affaires sur la plage. Mais le plus passionnant est la somme de petits détails qui font vrais dans le récit de l’enquête. Connelly décortique minutieusement chacun des actes de l’enquêtrice, permettant au lecteur qui n’y connait rien de suivre pas à pas les procédures et les façons. Du grand art.

Le sous-titre uniquement français, « la mort ne dort jamais » reste énigmatique. Il n’est ni la traduction littérale du titre anglais, ni le titre d’un film qui aurait été tiré du roman. Un remord du traducteur ?

Michael Connelly, En attendant le jour – La mort ne dort jamais (The Late Show), 2017, Livre de poche policier 2020, 478 pages, €8.70, e-book Kindle €8.99

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John Burdett, Bangkok 8

Les auteurs contemporains anglo-saxons sont plus cosmopolites que les auteurs français. Que l’on évoque Paul Theroux et l’Inde, Peter Robinson et l’Angleterre ou John Burdett et la Thaïlande. Avocat, Burdett s’est créé un fils métis en la personne de l’inspecteur Sonchaï de la police royale, attaché au district 8 de l’hyperville Bangkok et ses 16 millions d’habitants. Sonchaï est flic et moine, non corrompu pour progresser dans ses réincarnations. Il est aussi un fils de pute, fruit des étreintes d’un GI américain en pause du Vietnam et d’une fille de bar. Ces contrastes détonants confrontent la culture occidentale (que nous croyons à tort « universelle ») à l’orient compliqué et profond.

Bangkok 8 est un roman policier à vocation exotique. Le premier chapitre voit la mort par serpents d’un gigantesque sergent noir des Marines américains. Une mystérieuse femme a quitté la voiture peu avant, sur la moto d’un Khmer rouge shooté, Uzi en bandoulière. La scène a eu pour seuls témoins des trafiquants d’alcool frelaté et un vieil ivrogne. Tout cela est bien énigmatique, d’autant que son colonel avait demandé à Sonchaï de filer le Noir depuis l’aéroport, sans lui dire pourquoi.

Le pire est que – les voies du karma sont impénétrables – le meilleur ami de Sonchaï, le flic moine Pichaï avec qui il a fait les quatre cents coups depuis l’enfance, a été piqué à l’œil par un cobra en faisant les premières constatations sur le cadavre de la victime. Il en est mort très vite, noyant l’inspecteur dans le chagrin. Celui-ci a juré de le venger. Bien que bouddhiste et pour cela respectueux de toute chose vivante, il a décidé de tuer tout le monde, tous les responsables de cette mort. Sauf que nous sommes an Asie… et que l’apparence n’est jamais le réel. Rien n’a la simplicité logique que nous imaginons dans ce qui survient, comme nous le croyons en Occident ; tout s’imbrique et se relativise et chacun se retrouve un peu responsable de la situation.

Nous pénétrons ainsi avec Sonchaï dans l’absence de logique thaï. Pour sa collègue du FBI venue enquêter sur le Marine et sur un trafiquant de jade associé, c’est un choc des cultures. Ce qui nous donne de savoureuses remarques sur le simplisme occidental plaqué sur les comportements asiatiques.

Le sexe ? Il n’a pas cette connotation morale du puritanisme chrétien : le corps est joyeux et ne demande qu’à jouir, les enfants qu’à naître. Ils sont élevés par l’ensemble de la famille et de la société, pas par d’étroits parents qui se déchirent dans le même couple.

L’argent ? Qu’y a-t-il de mal à l’investir pour l’accumuler ? En Asie, l’argent n’est pas synonyme de pouvoir mais de vie bonne, faire des affaires demande un peu d’imagination et beaucoup d’organisation. Que vient faire la morale du Dieu unique là-dedans ? Ouvrir un café internet plutôt qu’un bordel ? « Imagine, dit sa mère à Sonchaï, d’un côté tu as un local plein de farangs qui peuvent te louer les filles à mille baths de l’heure ; de l’autre, ils tapent sur des claviers à quarante baths pour la même durée. Ça ne se compare pas » p.153. Il faut être pragmatique quand cela ne nuit pas aux gens, notamment aux enfants.

Les filles aiment le sexe, l’argent et la chasse aux mâles ; les Occidentaux coincés ne savent pas jouir simplement et sont rejetés par leurs compagnes comme par la société dès 50 ans. Mettre les deux en relations pour un temps, en assurant aux filles hygiène et pécule pour s’installer, n’est-ce pas faire le bien qui permettra de progresser dans l’Octuple Sentier ?

Cet Occident tellement imbu de lui-même au point de vouloir imposer ses normes de pieuse moraline à toute la planète, ne voit-il pas qu’il a l’esprit étroit, une spiritualité quasi nulle et qu’il est mené surtout par ses bas instincts ? « J’ai eu beau étudier l’esprit occidental pendant des décennies, j’ai du mal à le comprendre, vu de près. L’idée que l’on doive satisfaire tous ses caprices, toutes ses envies (de crème glacée, de bite, ou autre), est choquante pour le fils de pute que je suis. Comme la plupart des primitifs, je crois que la moralité provient d’un état d’innocence primordiale à laquelle nous devons rester fidèles si nous ne voulons pas nous perdre complètement » p.158 L’humour n’est jamais absent chez John Burdett.

La culture non plus, qu’il distille à petites touches durant l’action. « Comme Jones [Miss FBI] n’est pas bouddhiste, je ne lui explique pas en quoi consiste le cycle sans fin des vies successives, chacune étant une réaction contre un déséquilibre dans la précédente, cette réaction engendrant un autre déséquilibre, et ainsi de suite. Nous sommes les flippers de l’éternité » p.202. « Je suis un peu triste qu’elle pense que l’existence humaine a quoi que ce soit de logique. Je suppose que c’est l’illusion des Occidentaux, une souillure culturelle provenant de toutes ces machines qu’ils ne cessent d’inventer » p.207. « La culture occidentale est en fait une culture de l’urgence : tornades au Texas, tremblements de terre en Californie, vague de froid à Chicago, sécheresses, inondations, épidémies, famines, drogues, guerres contre tout. Attention à ce météore ! Combien de temps le soleil va-t-il encore briller ? Il va de soi que si les Occidentaux n’étaient pas persuadés de pouvoir tout maîtriser, cette culture de l’urgence n’existerait pas » p.211. Le pire est encore la finance, ce révélateur de turpitudes…

En parallèle, l’action policière se déploie, entre influences et corruption, coups de main et tentations de baiser, rôle des gangs et des mafias chinoises, immoralisme américain et relations politiques, Internet et circuits logistiques. Bangkok est une ville où tout arrive et John Burdett nous aide à mieux la pénétrer – avec massage et lubrifiant, en douceur câline, comme il se doit. Mais ne croyez pas que le stupre soit ici plus répandu qu’ailleurs ! « L’industrie du sexe en Thaïlande est moins importante, par habitant, qu’à Taiwan, aux Philippines ou aux Etats-Unis. Si elle est plus célèbre, c’est sans doute parce que les Thaïs sont moins saintes-nitouches que beaucoup d’autres peuples » p.421.

Car « chacun a sa conception du politiquement correct. Est-ce le signe d’une nouvelle élévation de caractère de l’humanité ou le produit d’une société de censeurs, de bigots autosatisfaits, à l’esprit étroit, qui tentent d’anticiper les tendances ? » p.260. Une excellente remarque pour voir nos propres comportements occidentaux avec d’autres yeux que les nôtres. Donc pour progresser, dit-on, dans la voie de la vertu…

John Burdett, Bangkok 8, 2003, 10-18 2009, 421 pages, €5.14, e-book Kindle €10.99

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Lee Jackson, Le cadavre du métropolitain

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Voici un nouvel auteur anglais qui a choisi la période du Londres victorien pour décor de ses intrigues policières. Le whodunit (qui l’a fait ?) tient le lecteur en haleine, tandis que l’auteur se complaît à décrire le monde bourgeois d’alors, exceptionnellement inégalitaire et travaillé de pulsions sexuelles aussi perverses que cachées. De Lee Jackson, l’éditeur ne sait rien, sinon qu’il est « fasciné par l’histoire sociale de l’Angleterre victorienne » et qu’il « vit à Londres ». On s’en serait douté…

L’auteur n’est ni Conan Doyle ni Anne Perry, mais son court roman se lit bien, aéré en chapitres de quelques pages. Je trouve cependant le personnage de l’inspecteur Webb un peu faible, malgré sa réflexion de lézard et son étrange vélocipède tout droit venu de Paris.

Le vrai héros n’est-il pas plutôt Henri Cotton, fils de famille qui veut connaître les bas-fonds, sinon s’encanailler, pour écrire des articles ? Chacun peut y reconnaître la tentation de gauche caviar d’aller au peuple comme la vache va au taureau, fascinée par la vitalité, l’absence de tout scrupule et la sexualité débridée de ces ‘barbares’ qui nous ressemblent fort (ô Mr Hyde !) – sans les convenances, ma chère (shocking my dear Dr Jekyll) !

Dans le roman, un bon docteur qui œuvre dans le ‘social’ est du même type. La vertueuse qui tient une ‘maison’ pour filles repenties joue au caporal, mais il faut de la discipline pour sauver son âme en préservant son corps que diable ! Quant aux fillettes, livrées à 7 ans à des délurés de 15 pour apprendre le vol à la tire – et plus si affinités – elles ne mangent que si elles se livrent et obéissent.

Mais c’est le tout nouveau métro en souterrain qui est le fort du livre. On y découvre un crime – le premier – et l’enquête doit tout imaginer : les horaires, les voies de garage, les façons des nouveaux passagers. Les wagons sont éclairés au gaz, dont une poche au-dessus de chaque wagon alimente les lampes. Tandis qu’ils sont tirés par une locomotive à vapeur dans la poussière de suie, la fumée, le bruit infernal et les étincelles. Le ‘principe de précaution’, si cher à nos fonctionnaires fatigués au pouvoir, n’existait pas alors : le Progrès faisait bon ménage avec la technique pour prendre les risques qu’il fallait.

Le crime sera élucidé, avec un autre en prime, mais tout ne finira pas si bien. Nous ne sommes pas non plus dans l’univers d’Oliver Twist.

Lee Jackson, Le cadavre du métropolitain (A metropolitan murder), 2004, 10-18 2007, 283 pages, occasion €0.27 

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Camilla Läckberg, Le prédicateur

camilla lackberg le predicateur
L’intérêt des longs voyages en train à l’autre bout de la France est qu’ils laissent (même à 300 km/h) le temps de l’évasion. Malgré le bruit ambiant, les cris parfois de petits enfants ou les verres entrechoqués des jeunes à bougeotte idTgv qui vont se bronzer dans le sud ou s’assommer à Paris, l’ampleur du roman permet de pénétrer un autre monde, de s’isoler ailleurs et dans un temps suspendu, celui de la fiction. Camilla Läckberg n’a pas besoin d’offrir ses seins en présentoir sur sa photo de promo pour attirer le lecteur, elle y réussit très bien avec son seul clavier, malgré le français trop souvent approximatif de ses traductrices.

Un petit garçon se lève tôt pour braver l’interdit parental d’aller jouer dans un creux de falaise, dans cette station balnéaire de Fjällbacka lors d’un paisible été. Il est prêt à affronter les dragons imaginaires de l’antre lorsqu’il aperçoit du coin de l’œil la brutale réalité : une femme couchée qui le regarde. Il en est saisi d’autant plus qu’elle ne bouge pas – et qu’elle est toute nue.

Émoi au commissariat et chez les édiles soucieux de ne pas voir fuir les touristes ! Surtout que la nouvelle commence à se répandre : la fille a été assassinée et elle n’est pas seule, deux squelettes de jeunes filles qui ont subi le même sort 24 ans auparavant se trouvent en-dessous. Et c’est lorsqu’une une autre jeune fille disparaît du camping en faisant du stop, vêtue de très peu et la tête aussi légère, que l’angoisse est à son comble. La description du mini-bikini des jeunes filles de 16 ans est malgré tout bien réjouissante.

Voilà du pain béni pour nos héros, les jeunes inspecteurs Patrick et Martin aidés d’Annika, Mellberg le chef et son équipe de vieux flics Gösta et Ernst. Mellberg n’en fout pas une sauf louer une fille de l’est en vue de mariage, et tenir les politiciens à distance des enquêteurs pour leur permettre de travailler ; Ernst au bord de la retraite multiplie les bourdes en omettant de signaler un signalement ou d’indiquer un indice. Patrick va être papa et il est vacances, mais il ne peut s’empêcher de revenir puisque l’enquête lui est confiée faute de compétents.

Erica, son épouse, est enceinte jusqu’aux yeux de leur premier enfant et souffle comme une baleine en cet été 2003 où la canicule s’étend même au nord de l’Europe. Sœur, cousins et autres anciennes relations en profitent pour tenter de s’incruster dans la chambre d’amis en se faisant servir, ce qui donne l’occasion de scène cocasses. Ces éléments étrangers à l’enquête sont des moments de détente qui humanisent les policiers et intègrent les meurtres dans une vie quotidienne bien forcée de se poursuivre.

camilla lackberg photo

Il était une fois l’histoire d’un grand-père bigot nommé Ephraïm comme dans la Bible, qui se servait de ses deux petits garçons pour guérir les malades. Le prédicateur a cessé de prêcher lorsqu’une bigote en folie lui a légué une grande propriété à Fjällbacka. Il n’avait plus besoin de charlatanisme pour vivre décemment. Sauf que son fils aîné a toujours cru que « le don » allait réapparaître, et que le grand-père a légué aussi à son petit-fils le goût d’y croire.

Cela ne pouvait que mal finir… mais comment ? Les empreintes génétiques d’un mort peuvent-elles imprégner le sexe d’une victime récente ? La rigidité bigote léguée au petit-fils peut-elle inciter un mulâtre accueilli à tuer pour son maître ? Les deux cousins casse-cou et volontiers malfrats sont-ils coupables de plus grave ? Qui a couché avec qui et en a eu un fils ? Pourquoi l’adolescente d’une lignée voit-elle brutalement la violence dans les yeux de son cousin Johan avec qui elle baise trop volontiers ? Les secrets de famille sont redoutables et les enquêteurs perdent leurs temps à tout vérifier alors que le temps presse pour la jeune fille enlevée. Vont-ils parvenir à temps à l’arracher aux griffes de son prédateur ?

Dans son deuxième roman, Camilla Läckberg a déjà du talent. Ses recherches pour composer l’intrigue sont originales et réservent bien des surprises.

Camilla Läckberg, Le prédicateur, 2004, Actes sud poche Babel noir 2013, 503 pages, €9.70
e-book format Kindle, €9.99
CD mp3 Audiolib 2009, €22.30
Les romans de Camilla Läckberg chroniqués sur ce blog

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Michael Connelly, Echo Park

Michael Connelly Echo Park

Nous sommes à Los Angeles et l’inspecteur Hiéronymus Bosch, dit Harry enquête. Sévissent comme d’habitude les maniaques sexuels, les arrogants du fric, les corrompus de la politique et du service d’Etat. Le sigle FBI ouvre toutes les portes avec une autorité tranquille, légale ou pas. Le travail d’enquête est semé d’obstacles juridiques, politiciens, bureaucratiques. Bref, nous sommes en Amérique, au 21ème siècle.

Echo Park est un quartier de Los Angeles. C’est autour de lui que tout tourne. Une disparition féminine 13 ans plus tôt, les affaires de la fille retrouvées soigneusement pliées dans sa voiture avec ses clés, ses papiers, ses derniers achats au supermarché, le tout dans un garage laissé vide par un locataire ayant déménagé. Un ANE (Affaire Non Élucidée). Comme nous sommes en Amérique, il y a tout un service pour ça. Et l’inspecteur Bosch s’y colle, lui qui en avait assez de la retraite. Ce dossier le turlupine ; son suspect de prédilection va d’échappatoire en échappatoire, sans qu’aucune preuve ne puisse être retenue contre lui. Il n’y a que l’intuition. Pas même un cadavre à confier aux investigations de la police scientifique.

Pour une fois, la politique va donner un grand coup de pied pour propulser le dossier. Un suspect, arrêté par hasard pour « comportement suspect » (on est en Amérique où tout le monde doit faire comme tout le monde), avoue une bonne dizaine de meurtres. Tous de filles. Qu’il dépèce et ensache pour les faire disparaître. Justement, ce soir-là, il évoluait dans le quartier d’Echo Park (où il n’avait rien à y faire) avec le van d’une entreprise de nettoyage (à 2 h du matin !). Comportement éminemment suspect pour que deux policiers zélés l’arrêtent, lui demandent ses papiers, et avisent deux sacs plastiques desquelles coulait quelque chose qui n’avait rien à voir avec les produits industriels.

On ressort le dossier ; Bosch est associé ; l’avocat propose un marché. Nous sommes en Amérique où l’on peut échapper à l’aiguille mortelle si l’on plaide coupable avec négociation. On avoue, on élucide ainsi quelques affaires pendantes, le procureur vous colle au trou pour la vie, et tout le monde est content. Sauf que… Rien n’est simple, surtout à Los Angeles, surtout avec Bosch qui prend à cœur toutes ses affaires par empathie avec les victimes – voire avec leur bourreau.

L’intrigue est compliquée, bien menée, documentée. Ce ne sont que progressions logiques et coups de théâtre, soupçons qui s’avèrent et dévient. La fin est sur trois coups comme dans le finale d’une symphonie romantique. Le premier est haletant et le dernier étonnant !

Un bon cru Connelly pour les vacances. D’autant que le chef Pratt, à quelques semaines de la retraite, compulse des catalogues sur les Caraïbes, les Antilles, tous endroits où il rêve de se retirer malgré son divorce, sa pension alimentaire et sa maîtresse. On peut rêver, non ?

Michael Connelly, Echo Park (Echo Park), 2006, Points poche policier 2014, 428 pages, €7.90

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Le socialisme des imbéciles

Gérard Filoche a insulté un mort. La common decency chère à Orwell autant qu’à Michéa se révolte contre cette atteinte à l’humanité même de l’homme. Il n’est plus, quoi qu’il ait fait, il ne peut plus se défendre ou se justifier.

Insulté par qui ? Par une outre gonflée de vent, ex-communiste totalitaire, volontiers révolutionnaire permanent et syndicaliste destructeur, dont les idées se sont figées dans les années 60 sans plus jamais bouger. Style Coluche en plus stupide, bête à corne qui se contente de répéter les gros mots démagos de l’idéologie d’avant-hier. S’est-il jamais rendu compte que le monde avait changé ? S’est-il jamais battu pour la France, cet internationaliste rejeté de presque tous les partis ?

gerard filoche

Combien d’emplois a-t-il créé, ce parasite de la République ? Certifié en maîtrise de philo… en 1968 (par complaisance idéologique ?), « inspecteur du travail » (par piston politique ?), il préfère les travaux finis aux travaux à entreprendre. Comme beaucoup de son espèce, il fait son fromage du « surveiller et punir », plus facile que créer. Se croit-il donc ordonnateur de la Morale à lui tout seul ?

Christophe de Margerie est mort par la faute d’un stagiaire de tour de contrôle à Moscou et d’un chauffeur de chasse-neige bourré. On meurt beaucoup dans la Russie de Poutine, bon kaguébiste peu soucieux de la vie humaine. Mais de cela, Filoche ne dit mot : la Russie, n’est-ce pas, est la mère des révolutions qu’il adore. Christophe Rodocanachi était un enfant adopté. Il portait le nom de son parâtre, Jacquin de Margerie. Je l’ai connu dans les réunions d’analystes qui – quoi qu’on pense – ne sont jamais tendres avec les grands patrons du CAC 40. Mais Christophe de Margerie avait de l’humour et un côté humain, bon vivant, sous sa grosse moustache frétillante. À entendre les salariés sur les radios mardi, il était un patron aimé parce que (lui) savait diriger. Lui, bâtard de capitaine corse et d’une fille de la bourgeoisie : est-ce par jalousie que Filoche a tant de haine revancharde ?

On reste confondu que le débat politique (s’il s’agit d’un « débat », et à prétention démocratique encore !) tombe dans ce caniveau. Martine Aubry, dont Filoche est un soutien, gagnerait à se démarquer de ce genre de lourdaud, que le système Twitter révèle dans son débraillé. Le socialisme est cela aussi : la bêtise de politiciens avides de coups médiatiques au prix de la plus sommaire décence. De quoi vous dégoûter de voter pour ce genre de parti. Car on admet qu’un salaud soit un salaud, au sens de Sartre; il est comme cela, on ne le changera pas. Ce que l’on ne peut admettre est qu’un salaud joue au professeur de vertu. Qui est-il, Filoche, pour proférer ce racisme primaire que les patrons sont tous voleurs ? Un pilier de comptoir ? Un bouffon du roy ? Un batteur d’estrade ? Ni un démocrate ni un citoyen respectueux des êtres, en tout cas.

Qu’a-t-il « volé », Margerie ? Filoche, parasite de la République depuis des décennies malgré son tropisme « antisystème » tellement à la mode dans les années post-68, n’est-il pas un voleur bien plus grand au regard de l’intérêt général, lui qui n’a quasiment rien créé, ni emploi ni entreprise, ni participé au renom de la France ? Vu ses derniers propos, au contraire…

Je suis honteux de la gauche en général, cet état d’esprit qui devrait être humaniste et solidaire, et du socialisme en particulier, variante française qui s’évertue à être encore « plus de gauche » par l’insulte et la bassesse flatteuse du populo.

Que les belles âmes ingénues ne s’étonnent pas de la montée du Front national dans les mentalités et les urnes : ce sont des Filoche qui en font le lit.

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Elisabeth George, La ronde des mensonges

elisabeth george la ronde des mensonges

Ce pavé de plus de 800 pages pourra faire bailler ou ronronner, c’est selon ; pour ma part, je suis plutôt chat. Les premiers regretteront l’action qui se perd dans les méandres de la région des lacs en Cumbria et dans les replis des psychologies modernes ; les seconds goûteront les personnages, leur vie, leurs œuvres, et cette curieuse morale anti-mensonge si chère aux Yankees. Rappelons que Mrs McCabe, alias Elisabeth George, écrit depuis l’État de Washington, bien loin de cette Angleterre dont elle se délecte à décrire les turpitudes fantasmées.

S’il n’y a pas meurtre dans cette histoire, il y a bien deux morts. Le neveu d’un industriel anobli se noie dans un lac au début, la femme du fils à la fin. L’enquête est officieuse et loin de Londres, mais sur les instances de l’aristocratie qui fait jouer ses relations entre gens du même monde. Un comte peut bien rendre service à un baron, même si l’anoblissement est de fraîche date. Un journaliste de tabloïd enquête aussi et le scandale menace. Le mensonge, le non-dit social, les apparences, et même le scoop de caniveau sont la cible de l’auteur tout au long du livre. Mais dire toujours la vérité a-t-il servi à faire du Nouveau monde un paradis terrestre ? Cela se saurait… Elisabeth George a cette arrogance typiquement américaine de considérer le vieux pays comme une contrée sauvage aux mœurs surannées, ni au fait de la psychologie positive ni du volontarisme : un nid de névrosés. Une inversion qui en vaut une autre.

Car la seconde cible de l’auteur est l’ensemble de « ces situations bizarres qui devenaient de plus en plus courantes dans la société actuelle… », comme il est dit p.814. L’Angleterre est présentée comme une société de copulation, obsédée de sexe (tandis que l’Amérique ne serait sans doute rien de plus qu’une bonne vieille société de consommation). Chacun pour soi et Dieu ma bite, s’il ne sauve pas la Reine. Elisabeth George opère donc l’inventaire de toutes les combinaisons sexuelles possibles hors du couple traditionnel : homo, pédo, trans, virtuel, double, séparé, recomposé. Des gamins de 14 ans tournent des vidéos pornos entre mecs quand d’autres s’essayent « dès leur maturité sexuelle » (quoi, à 9 ans ?) avec leurs petites amies jusqu’à se marier. Elle fait baiser les personnages par tous les trous, entre eux, avec d’autres, dans le temps… Tout en sauvegardant les apparences, n’est-ce pas ? C’est cocasse et un tantinet systématique, comme si elle-même avait un compte à régler avec cette « société actuelle » qu’elle dépayse loin de son Washington décent.

Mais elle est redoutable pour fouiller les ventres et les cœurs, l’esprit lui étant plus réticent. Simon et Deborah, Lyndey et Ardery, Havers et Azhar, les parents Fairclough, le couple Manelle et Freddie, le couple Ian et Niamh (au prénom de croqueuse d’hommes), Ian et Kaveh (« Iranien pédé » dit le fils de 14 ans qui n’est pas infecté du politiquement correct yankee), Bernard et Vivelle (25 ans d’écart d’âge), Mignon et l’Internet, Zed et Yaffa, Nicholas et Alatea, etc. Le lecteur assidu aux œuvres de George retrouvera aussi tous ses personnages chéris, habitués à leurs travers et à leur dignité, poursuivant leur existence en se débrouillant comme ils peuvent des aléas qui surgissent du choc des ego et des circonstances.

L’auteur nous mène vers le noir – très noir ! Mais, sous forme de repentance, elle ne peut finir le livre sans une lueur d’espoir et parsème le final de quelques happy ends. Les plus honnêtes et les plus droits traversent les gouttes, tous les menteurs souffrent et pâtissent. Il y a du biblique là-dessous, bien dans le ton moraliste yankee, bien loin du caractère anglais.

Mais l’œuvre se lit à longs traits, découpée efficacement en courts chapitres filmiques qui prennent un à un les personnages et les font avancer simultanément comme au jeu des petits chevaux. Le paysage, mêlé de terre et d’eau, à la brume qui menace, aux traditions architecturales pluricentenaires, est lui-même un personnage de mensonge : ni terre ferme, ni eau navigable, il peut engloutir traitreusement dans les sables mouvants ou submerger d’un mascaret grondant à la vitesse d’un cheval au galop. Rien de clair dans cette région de brouillard, à croire que les cœurs en sont contaminés. Il s’agit plus d’un roman psychologique que d’un roman policier, même si le personnage principal est inspecteur de Scotland Yard. Mais ceux qui aiment la psychologie plus que le sang répandu aimeront. Je suis de ceux-là.

Elisabeth George, La ronde des mensonges (Believing The Lie), 2012, Pocket 2013, 829 pages, €8.65

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Henning Mankell, Les morts de la Saint-Jean

Henning Mankell Les morts de la saint jean

Toujours ‘un pas derrière’ (titre suédois) est le rythme de cette 4ème enquête de l’inspecteur suédois Kurt Wallander. Un collègue a été abattu chez lui ; trois jeunes ont disparu ; la police est impuissante, elle ne sait rien, ne trouve rien. Il faut dire que le flic est par principe toujours en retard. Il a besoin de « réfléchir », de questionner et d’analyser des données, ce qui est archaïque dans la société des mobiles et d’Internet à ses débuts. Wallander oublie son téléphone, oublie son arme, oublie ses notes. Il est vieux, plus guère apte au travail dans une société qui a changé, comme le soupçonne le nouveau procureur…

L’inspecteur Wallander aborde la cinquantaine stressé, en mauvaise santé, fatigué ayant toujours soif, en surpoids et diabétique. Comme lui-même, c’est toute la société suédoise qui s’use dans les années 1990. « Tout avait empiré autour de lui. La violence avait augmenté, durci. La Suède était devenue un pays où les portes fermées devenaient de plus en plus nombreuses. (…) De plus en plus de serrures, de plus en plus de codes d’accès. Et au milieu de toutes ces clés, une nouvelle société émergeait, à laquelle il se sentait de plus en plus étranger » p.185. Bien loin du père qui vient de mourir, de son existence paisible à la campagne et dont il met la ferme en vente.

Quelle société ? Le thème revient plusieurs fois dans le livre. Une société égoïste, de compétition effrénée, qui distingue les utiles des autres : « Une société où de plus en plus de gens se sentent inutiles, voire rejetés. Dans ces conditions, nous pouvons nous attendre à une violence entièrement dénuée de logique. La violence comme aspect naturel du quotidien » p.508. C’est donc un tueur issu de cette société-là que met en scène l’auteur. Un psychopathe évidemment, enfance malheureuse, écrasé par des parents autoritaires et violents. Le gamin devenu homme est toujours prêt à « être d’accord » avec le dernier qui a parlé, pour avoir la paix (tiens, c’est comme sur les blogs !). Il est surtout extrêmement solitaire, paranoïaque d’être observé, suivi, tracé.

Ce pourquoi il s’amuse comme un gamin avec des soldats de plomb, sauf que lui utilise la chair vivante, des jeunes heureux qui se déguisent. Il ne supporte pas les gens qui rient, il joue avec eux comme avec des choses, les observe, les suit, les trace… Puis les tue d’une balle dans la tête avec une efficacité glacée avant de les mettre en scène, macabres, dans une parodie de théâtre personnel. Il les fige, les chosifie, les rend immobile au sommet de leur joie – pour qu’elle ne soit plus jamais. Un gamin qui cloue en boite au bout d’une épingle les papillons insouciants et colorés qu’il voit voler.

Pas facile de trouver un tel personnage ! Il a tout prévu, ne laisse aucune empreinte, aucun portrait-robot utilisable. Il se fond dans le décor – seule façon d’avoir l’entière liberté de faire ce qu’il veut. Il ne « refuse » pas la société, il l’ignore. Il l’utilise comme un kleenex. Il est lui et un autre, il prend toutes les formes puisque la société elle-même l’a déshumanisé. Est-ce lui ce jogueur intercepté dans le parc aux cadavres ? Lui le facteur qui livre le courrier des îles ? Lui le petit copain du flic assassiné ? On ne sait pas, Wallander explore toutes les pistes. Une Louise surgit de nulle part, une Isa fait une tentative de suicide, un ex-banquier se lève très tôt le matin. Quels sont les liens ? Y en a-t-il ? Jamais sans doute Wallander ne s’est senti aussi impuissant, aussi incapable, aussi usé.

C’est un bon roman policier qui tient en haleine, rebondissant de chapitre en chapitre. Avec une réflexion sur la société d’il y a 15 ans déjà – qui devient de plus en plus la nôtre. Parents égocentrés, enfants malheureux, exigences sociales… Une société de psychopathes en puissance – pour le plus grand avantage des romanciers !

Henning Mankell, Les morts de la Saint-Jean (Steget Efter), 1997, Points policier 2002, 565 pages, €7.79

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Elisabeth George, Le visage de l’ennemi

Elisabeth George Le visage de l ennemi

Voici un superbe roman policier sur l’hypocrisie qui n’a pas pris une ride. Élisabeth George est américaine, et elle n’a pas son pareil pour disséquer au scalpel la société britannique. L’intrigue est bien menée, les personnages crédibles et leur psychologie fouillée. Comme dans la comédie de mœurs, le ressort est une passion, ici l’hypocrisie.

Hypocrisie des politiciens qui vantent la vertu, la main sur le cœur, et fricotent en coulisse comme tout un chacun ; hypocrisie des femmes qui doivent plus que les hommes accentuer leur comportement si elles veulent émerger ; hypocrisie de la presse à scandale, ébouillantée des frasques qu’elle se fait un malin plaisir à dénoncer quand il s’agit des autres ; hypocrisie des public schools dans lesquelles des adolescents frustrés assouvissent leur sexualité jaillissante comme ils peuvent, sur des élèves de sixième terrorisés, sur des moutons ou sur des filles de village vénales ; hypocrisie des filles-mères qui ne veulent pas s’avouer qu’elles ne savent pas de qui est leur enfant tant sont nombreux les garçons à leur être passés dessus pour 2£ chacun ; hypocrisie des pères dont les rêves deviennent les cauchemars des fils ; hypocrisie sociale du paraître, à tous les étages…

« L’hypocrisie, le seul vice qui passe invisible » dit un vers de Milton, cité en exergue. Parce qu’une fille a fauté à 14 ou 15 ans avec tous les pensionnaires d’une école, parce qu’elle a menti au fils qui est né de ces étreintes, une petite fille va mourir et un petit garçon, encore plus jeune, va subir le même sort.

Ève Bowen est sous-secrétaire d’État et député, elle est arrivée à force de travail au poste qu’elle occupe. « Elle travaillait, elle intriguait, elle planifiait, elle réalisait, elle manipulait, elle luttait, elle défendait des causes, elle condamnait » p.384. Mais sa fille a été pour elle un faire-valoir, un marchepied de son ambition ; elle ne la connaît pas, ne l’écoute pas, la veut comme il se doit, sage image présentable à l’opinion. Elle refuse de prévenir la police quand elle est enlevée, par paranoïa et certitude que tout est complot contre sa réussite.

Dennis Luxford est rédacteur-en-chef d’un torchon de la presse à scandale dont le fond de commerce est la traque aux turpitudes sexuelles des politiciens conservateurs. Justement, on en a retrouvé un au bord d’un parc, la queue dans la bouche d’un prostitué de seize ans. Dennis adore son travail et s’est blindé depuis longtemps contre les sentiments. Sauf que son fils Leo, blond fluet de huit ans, ne répond pas au petit mâle idéal qu’il voudrait avoir : costaud, sportif, battant. Ne serait-ce pas parce que lui-même a eu tout jeune des doutes sur sa virilité ?

Tous vont se voir remis en cause car « les circonstances faisaient voler en éclats leur enveloppe extérieure qui se brisait comme seuls se brisent les rêves d’enfant qu’on porte dans son cœur » p.552. Finalement on se demande si l’auteur, allant au bout de sa logique, ne valorise pas les rebelles sociaux, ceux qui refusent les conventions a priori hypocrites de la vie en commun : « Il freina pour éviter un ado coiffé comme un Mohican avec un anneau dans le téton gauche qui poussait une voiture d’enfant bizarrement recouverte d’un tissu noir ajouré » p.571… Car pour tous les protagonistes, ce sont « autant d’événements à expliquer à la presse. Tu vis dans un monde où seules comptent les apparences, pas la réalité. Je suis idiot de ne pas m’en être rendu compte plus tôt » p.666. Le Chiffre de la Bête a parlé.

L’inspecteur aristocrate Lynley, qui doit épouser Helen qui hésite, et le sergent Havers, grosse laide informe sortie du populo, tout comme le constable Nkata, Jamaïcain post-délinquant, auront fort à faire pour démêler les fils de cette mise en scène compliquées, fondée sur des mensonges sociaux. Pour toute la gamme de nos émotions, et notre bonheur de lecture. Quel père ne fondra pas en lisant la dernière page ?

Élisabeth George, Le visage de l’ennemi (In the Presence of the Enemy), 1996, Pocket juin 2012, 762 pages, €7.98

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Michael Connelly, Les neuf dragons

Les neufs dragons signifient Kowloon en chinois, le quartier populaire de Hongkong. Harry Bosch, éternel inspecteur à la brigade des homicides de Los Angeles, se voit confier une affaire de meurtre parce que les mecs du South Bureau n’ont pas les effectifs pour la résoudre. A priori une enquête simple : un vendeur chinois de boissons alcoolisées a été tué de trois balles dans sa boutique. Un jeune Noir qu’il avait vu voler l’avait menacé. Sauf que rien ne colle, un enregistrement de surveillance montre un asiatique membre d’une Triade venu racketter le commerçant le même jour à la même heure une semaine avant. Celui-ci aurait-il cette fois refusé de payer ?

L’épouse est désespérée, le fils assommé, la fille soumise. Tout se passe en famille et le second magasin, dans un quartier plus chic, serait-il menacé ? Bosch arrête le racketteur au moment où il s’apprête à fuir par un vol vers Hongkong. Mais dispose-t-il des preuves pour le faire inculper ?

Jusque là, nous sommes dans une enquête classique, menée avec lenteur et psychologie. Harry Bosch fatigué mais qui en veut, son adjoint Ferras nanti de jumeaux à la tétée en plus d’un premier bébé, son lieutenant à 18 mois de la retraite, sont bien campés. Les victimes, Chinois nés aux États-Unis, permettent un choc culturel salutaire. Il exige tout simplement de savoir avant d’agir, de comprendre avant de décider. Dur pour un Ricain obsédé de faire avant de connaître.

C’est à ce moment que l’auteur impatient donne un coup de pouce au destin dans son livre. Choc ! une vidéo envoyée sur son portable par sa fille de 13 ans, la montre enlevée à Hongkong où elle vit avec sa mère. Harry Bosch va comme d’habitude au plus vite : ce sont les Triades qui le menacent puisqu’il a arrêté l’un des leurs à Los Angeles. Ils sont au courant probablement parce qu’il y a une fuite dans la police. Rien que ça…

Déjà que l’on n’y croit guère, suit un voyage éclair à Hongkong, puis une poursuite échevelée pour retrouver la gamine d’après l’analyse des images d’une vidéo de 30 secondes. En quelques pages, tout est bouclé, l’immeuble repéré, l’appartement investi, des indices trouvés. Quelques meurtres plus tard pour faire vite, d’autres indices permettent de trouver qui et quoi. Et hop ! emballé. Le roman va très vite et la fille est sauvée. Retour à L.A. pour un happy end. C’est trop. Seul l’ultime chapitre reprend du bon sens et un peu de subtilité, montrant l’éternelle naïveté de « conne américaine » de la gamine ado. Le reste n’est que gros sabots pour illettrés yankees qui en veulent pour leurs dollars.

Vous l’avez compris, ce n’est pas l’un des meilleurs Connelly. Nous l’avions lu nettement mieux inspiré, journaliste devenu auteur littéraire. Il retombe dans le scénario taillé pour les séries TV. Car il lui est apparemment difficile de se renouveler et surtout pas dans la voie psychologique. Ce côté humain que nous aimons, ici en Europe, semble lasser les Américains qui veulent toujours « agir ». Il n’y a donc que l’action, tout doit aller vite, surtout ne pas s’attarder. Les gens sont des choses qu’on manipule à l’envi. L’agitation fébrile est perçue comme une qualité alors qu’elle n’est que stupide obstination et croyance rituelle à « l’instinct ». Agir serait entraîner Dieu avec nous ? Ben voyons… Connelly est aussi néo-con que Bush et consorts qui croyaient créer la démocratie en Irak et délivrer les femmes d’Afghanistan par une bonne action de guerre. Les super héros n’existent que dans les films, pas dans les enquêtes qui se veulent réalistes.

Dès qu’ils quittent leur petit home, les habitants des États-Unis semblent perdre toute raison au profit de préjugés et cette « enquête de Harry Bosch » s’inscrit dans cette mauvaise lignée. Peut-on conseiller à l’auteur de s’en tenir à la ville qu’il connaît bien et aux personnages ricains pur sang ? Nous aurions moins de caricatures, moins de spectaculaire et un bien meilleur roman. A moins qu’il laisse tomber les livres, trop lents, et qu’il se fasse scénariste à Hollywood. Il décrit justement un tel personnage sur la fin…

Michael Connelly, Les neuf dragons (Nine Dragons), 2009, Points policier mai 2012, 473 pages, €7.60 

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Jo Nesbo, Le Léopard

Ce roman consistant parcourt une palette psychologique, des réalités sociales et la découverte de pays exotiques : Hongkong, Congo, Norvège de montagne. Le célèbre Harry Hole boit comme un trou (c’est héréditaire), mais son vieux père se meurt. Démissionné de la police, il est convaincu de réintégrer la brigade criminelle parce qu’un tueur en série semble sévir à nouveau. Cassé par ses précédentes enquêtes, notamment la dernière où son ex-femme et son toujours-fils ont failli y perdre la vie, Harry revient.

Une femme est retrouvée morte, le crâne curieusement transpercé de part en part, en étoile. Elle n’est que la première d’une longue liste dont le seul point commun est de s’être trouvée en un certain lieu de la montagne, au même moment. Il faut faire vite, d’autant que la brigade criminelle se voit contester sa capacité d’enquêter par la Kripos, que le ministère envisage de fusionner avec elle pour faire des économies. Rien de tel qu’une guerre des polices pour aider les tueurs. Celui qui nous préoccupe saura en jouer de main de maître.

Je n’ai pas lu les précédents romans policiers de ce Norvégien journaliste économique, mais ce dernier opus est d’une grande richesse tout en restant découpé selon les lois filmiques du genre. Nesbo (avec le o barré qui se prononce ‘eu’) adore les fausses pistes et la paranoïa, le lecteur est constamment bluffé. Je ne sais pas s’il s’agit d’un tic d’auteur, visible dans ses précédents livres, mais ça marche ! Personnages, réalités et pays s’entremêlent dans une intrigue compliquée qu’on ne débrouille qu’à la fin en dansant sur un volcan – c’est dire !…

En revanche, comme trop souvent, je me demande pourquoi l’éditeur français a cru bon de modifier le titre du livre. ‘Le léopard’ ne dit rien de l’intrigue, sinon une rivalité macho entre flics qui a peu à voir avec les meurtres. Le titre norvégien signifie ‘Cœurs blindés’, bien mieux en rapport avec ce qui se passe ! La Norvège est un pays froid, luthérien et pessimiste (chacun connaît ‘Le cri’ de Munch en peinture). Les personnages se blindent depuis tout petit, ayant peur de déplaire, d’être moqués et même d’aimer. Ils n’aiment pas les baffes qu’ils peuvent se prendre en retour. D’où cette réserve norvégienne des sentiments qui peut dégénérer en pathologie du blindage. Qui n’est pas aimé chosifie les êtres. C’est le ressort de l’histoire, où l’inspecteur Harry Hole connaît seul la rédemption.

L’état social, dans un monde cruel, produit des êtres qui n’ont plus guère d’humain. Certains choisissent le carriérisme et d’autres le retrait confortable (les deux chefs de l’inspecteur). Certains choisissent les apparences et d’autres leur réalité personnelle (les assassins). Certains clignotent entre les deux (l’inspecteur et sa collègue), mi figue mi raisin, mi ange mi bête, mi héros mi traître. Humains trop humains.

Jo Nesbo, Le Léopard (Panserhjerte), 2009, Folio policier 2012, 848 pages, €8.65 

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John Burdett, Bangkok Tattoo

Nous retrouvons l’inspecteur thaï Sonchaï, de la police de Bangkok, accessoirement partenaire d’un claque tenu par sa mère le soir. Ni le bien, ni le mal ne sont clairs en Asie où le binaire des religions du Livre n’a pas cours. Tout est nuances. Ainsi le sexe est-il joyeux, tout au rebours du puritanisme yankee. L’histoire commence rituellement par le meurtre d’un grand Américain – évidemment espion – dans une chambre d’hôtel avec une fille – évidemment prostituée.

Mais le schéma simpliste qu’on imagine ne saurait être selon nos habitudes. Il est bien sûr que le colonel de police, parrain de la prostituée, veut étouffer l’affaire. Il est clair que l’ennemi militaire de la police cherche à le faire tomber. Il est inévitable que la CIA soupçonne Al-Qaïda puisque la Thaïlande a des marges musulmanes. Mais tout est illusion, comme toujours, voile de Maya dit le bouddhisme dont la Thaïlande est imprégnée. Bangkok se déploie dans son chatoiement asiatique, tout en variations et porté par le karma, cette accumulation de bienfaits permettant d’accéder à la fin des réincarnations.

L’auteur joue avec ses personnages, il leur donne des caractères attachants bien dessinés. Chanya, paysanne futée, sait se faire aimer des hommes sans compromettre son esprit, tout en calculant combien financer un hôpital pour soigner des malheureux peut lui faire gagner de bienfaits pour contrer ses turpitudes sexuelles. Apparaît Lek, le doux adjoint de 18 ans tout frais sorti de l’école de police, qui se demande s’il est garçon ou fille et adore danser. Le colonel Vikorn joue tous les rôles, avec une subtilité politique inégalée. Un imam musulman et son fils, sont contrastés comme le noir et le blanc du Livre, mais transcendés par l’amour filial et la sagesse infinie d’Allah. Un otaku japonais, autiste informatique depuis tout petit, dessine divinement des tatouages sur la peau avec des aiguilles de bambou traditionnelles. Sonchaï, inspecteur né de GI et de pute, tombe amoureux et va peut-être enfin rencontrer son vrai père, avocat américain qui l’a conçu lors d’une permission du Vietnam. Et qui diable est Don Buri

L’intrigue et bien amenée, embrouillée à l’asiatique et contée d’un ton léger. L’humour entrelace la tragédie et offre de savoureux aperçus des contradictions thaïs comme des blocages yankee.

Les chapitres sont ainsi égrenés par des intermèdes édifiants où Pisit, la vedette de la radio Rod Tit FM, invite des personnalités à débattre des questions sociales de Thaïlande. Le journal de Chanya ouvre des abîmes de réflexion sur l’aspect chevalin des ‘executive women’ américaines qui – en oubliant d’être femmes – incitent les mâles à aller voir ailleurs ou à sombrer dans la psychose. Bouddha reste omniprésent, indulgent et sage, orientant la spiritualité de tous les actes, même ceux en apparence les plus sordides.

A savourer comme une soupe Tom Yam après une mise en appétit de sauterelles grillées !

John Burdett, Bangkok Tattoo, 2005, 10-18 juin 2009, 381 pages, 7.69€

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John Burdett, Bangkok 8

Les auteurs contemporains anglosaxons sont plus cosmopolites que les auteurs français. Que l’on évoque Paul Theroux et l’Inde, Peter Robinson et l’Angleterre ou John Burdett et la Thaïlande. Avocat, Burdett s’est créé un fils métis en la personne de l’inspecteur Sonchaï de la police royale, attaché au district 8 de l’hyperville Bangkok, avec ses 16 millions d’habitants.

Sonchaï est flic et moine, non corrompu pour progresser dans ses réincarnations. Il est aussi un réel fils de pute, fruit des étreintes d’un GI américain en pause du Vietnam et d’une fille de bar. Ces contrastes détonants confrontent la culture occidentale (que nous croyons à tort « universelle ») à l’orient compliqué et profond.

‘Bangkok 8’ est un roman policier à vocation exotique. Le premier chapitre voit la mort par serpents d’un gigantesque sergent noir américain des Marines. Une mystérieuse femme a quitté la voiture peu avant, sur la moto d’un Khmer rouge shooté, mitraillette Uzi en bandoulière. La scène a eu pour seuls témoins des trafiquants d’alcool frelaté et un vieil ivrogne. Tout cela est bien énigmatique, d’autant que son colonel avait demandé à Sonchaï de filer le Noir depuis l’aéroport, sans lui dire pourquoi.

Le pire est que – les voies du karma sont impénétrables – le meilleur ami de Sonchaï, le flic moine Pichaï avec qui il a fait les quatre cents coups depuis l’enfance, a été piqué à l’œil par un cobra en faisant les premières constatations sur le cadavre de la victime. Il en est mort très vite, noyant l’inspecteur dans le chagrin. Celui-ci a juré de le venger. Bien que bouddhiste et pour cela respectueux de toute chose vivante, il a décidé de tuer tous le monde, tous les responsables de cette mort. Sauf que nous sommes en Asie et que l’apparence n’est jamais le réel. Rien n’est clair ni logique dans ce qui survient, tout s’imbrique et se relativise.

Nous pénétrons avec Sonchaï dans l’absence de logique thaï. Pour sa collègue du FBI venue enquêter sur le Marine et sur un trafiquant de jade associé, c’est un choc de culture. Ce qui nous donne de savoureuses remarques sur le simplisme occidental plaqué sur les comportements asiatiques.

Le sexe ? Il n’a pas cette connotation morale du puritanisme chrétien : le corps est joyeux et ne demande qu’à jouir, les enfants qu’à naître, ils sont élevés par l’ensemble de la famille et de la société, pas par d’étroits couples de parents qui se déchirent.

L’argent ? Qu’y a-t-il de mal à investir pour l’accumuler ? En Asie, l’argent n’est pas synonyme de pouvoir mais de vie bonne, faire des affaires demande un peu d’imagination et beaucoup d’organisation. Que vient faire la morale du Dieu unique là-dedans ? Ouvrir un café internet plutôt qu’un bordel ? « Imagine, dit sa mère à Sonchaï, d’un côté tu as un local plein de farangs (Occidentaux) qui peuvent te louer les filles à mille baths de l’heure ; de l’autre, ils tapent sur des claviers à quarante baths pour la même durée. Ça ne se compare pas » p.153.

La morale ? Il faut être pragmatique quand cela ne nuit pas aux gens, notamment aux enfants. Les filles aiment le sexe, l’argent et la chasse aux mâles ; les Occidentaux coincés ne savent pas jouir simplement et sont rejetés par leurs compagnes comme par la société dès 50 ans. Mettre les deux en relations pour un temps, en assurant aux filles hygiène et pécule pour s’installer, n’est-ce pas faire le bien qui permettra de progresser dans l’Octuple Sentier ?

Cet Occident si imbu de lui-même, ne voit-il pas qu’il a l’esprit étroit, une spiritualité quasi nulle et qu’il est mené surtout par ses bas instincts ? « J’ai eu beau étudier l’esprit occidental pendant des décennies, j’ai du mal à le comprendre, vu de près. L’idée que l’on doive satisfaire tous ses caprices, toutes ses envies (de crème glacée, de bite, ou autre), est choquante pour le fils de pute que je suis. Comme la plupart des primitifs, je crois que la moralité provient d’un état d’innocence primordiale à laquelle nous devons rester fidèles si nous ne voulons pas nous perdre complètement » p.158 L’humour n’est jamais absent chez John Burdett.

La culture non plus, qu’il distille à petites doses durant l’action. « Comme Jones [Miss FBI] n’est pas bouddhiste, je ne lui explique pas en quoi consiste le cycle sans fin des vies successives, chacune étant une réaction contre un déséquilibre dans la précédente, cette réaction engendrant un autre déséquilibre, et ainsi de suite. Nous sommes les flippers de l’éternité » p.202.

« Je suis un peu triste qu’elle pense que l’existence humaine a quoi que ce soit de logique. Je suppose que c’est l’illusion des Occidentaux, une souillure culturelle provenant de toutes ces machines qu’ils ne cessent d’inventer » p.207.

« La culture occidentale est en fait une culture de l’urgence : tornades au Texas, tremblements de terre en Californie, vague de froid à Chicago, sécheresses, inondations, épidémies, famines, drogues, guerres contre tout. Attention à ce météore ! Combien de temps le soleil va-t-il encore briller ? Il va de soi que si les Occidentaux n’étaient pas persuadés de pouvoir tout maîtriser, cette culture de l’urgence n’existerait pas » p.211.

En parallèle, l’action policière se déploie, entre influences et corruption, coups de main et tentations de baiser, rôle des gangs et des mafias chinoises, immoralisme américain et relations politiques, internet et circuits logistiques. Bangkok est une ville où tout arrive, John Burdett nous aide à mieux la pénétrer. Mais ne croyez pas que le stupre soit ici plus répandu qu’ailleurs ! « L’industrie du sexe en Thaïlande est moins importante, par habitant, qu’à Taiwan, aux Philippines ou aux Etats-Unis. Si elle est plus célèbre, c’est sans doute parce que les Thaïs sont moins saintes-nitouches que beaucoup d’autres peuples » p.421.

Car « chacun a sa conception du politiquement correct. Est-ce le signe d’une nouvelle élévation de caractère de l’humanité ou le produit d’une société de censeurs, de bigots autosatisfaits, à l’esprit étroit, qui tentent d’anticiper les tendances ? » p.260. Une excellente remarque pour voir nos propres comportements occidentaux avec d’autres yeux que les nôtres. Et donc pour progresser dans la voie de la vertu…

John Burdett, Bangkok 8, 2003, 10-18 2009, 421 pages, €8.36 

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John Burdett, Bangkok psycho

Attention, roman littéraire ! Les indignés habitués aux trente pages, les ennuyés du pavé qui préfère le numérique ou la barricade au livre, se détourneront sans regret. Place aux autres : ceux qui aiment la psychologie et la littérature. Car le monde de la nuit thaïlandais est ici rendu avec acuité et brillant. Le lecteur, éventuel touriste qui a survolé la Thaïlande quelques jours, ne comprend rien aux apparences. Il ne peut pas, faute de détenir les codes. Toute société a sa propre culture ; elle reste irréductible à la soupe multiculturelle montée par l’industrie du divertissement et transformée en idéologie pour bobos.

Ignorez-vous que la Thaïlande est un pays d’Asie qui n’a jamais été envahi, jamais été colonisé ? Dommage pour vous… La Thaïlande n’est ni la Chine revancharde, ni le Vietnam écolier, mais un royaume (encore aujourd’hui) où la religion est bouddhiste mais sur un fond chamaniste (comme au Japon). Où la culture est fière mais millénaire, bien assise, juste effleurée par les modes américaines mondialisées. Où le sexe est une hygiène, mais l’amour exclusif ; où les enfants se débrouillent et où les hommes dominent… mais où l’argent est détenu par les femmes.

L’auteur n’est pas américain mais avocat anglais de Hongkong avant de venir vivre à Bangkok pour écrire. Il est un excellent passeur de cultures. Ainsi pour la « prostitution » : il n’a pas l’œil moral des religions du Livre pour juger au nom de Dieu ; il se contente d’analyser les comportements et les fait expliquer par son héros : « Le moteur de tout cela est un besoin humain primordial et sain de chaleur animale et de réconfort. Durant toutes les années que j’ai passées dans le métier, je n’ai rencontré qu’une demi-douzaine de cas graves d’abus et, selon moi, la raison en est que tout cela fonctionne parfaitement en tant que manifestation d’une moralité naturelle et d’un capitalisme de base. Notre fonction d’intermédiaire est semblable à celle des agents immobiliers, sauf que la nôtre porte sur la chair et non sur la pierre. En revanche, monter tout ça artificiellement afin que les gras du bide du Sussex ou de Bavière, du Minnesota ou de Normandie, puissent se branler sans avoir à se fatiguer l’imagination, cela me paraît carrément immoral, presque une crime contre la vie » p.152. Choc des cultures, renversement des valeurs. L’Occident croit en la marchandise, l’Orient en la relation humaine… Baiser réellement est moins immoral que regarder des acteurs le faire.

L’auteur crée ici l’exception, l’abus, un portrait psychologique puissant d’une Thaï d’origine khmère, Damrong. Une fille qui a dû lutter seule depuis son enfance pour survivre, assumer les viols, protéger son petit frère, se garder de ses parents. Son père l’a prise lorsqu’elle était fillette et l’a vendue à 14 ans à un bordel malais où elle devait par contrat contenter vingt clients par jour. De quoi se forger une âme d’acier et expérimenter un talent physique utile. Drogué, alcoolique, le père un peu bandit voulait se taper le petit frère mais la fille a dit stop. Elle l’a dénoncé aux flics pour un flagrant délit. Le père violeur, brutal et indigne est mort dans ce « jeu de l’éléphant » que je laisse le lecteur découvrir… Coutume locale impressionnante s’il en est.

Mais Damrong atteint la trentaine et son frère est adulte, devenu moine après avoir étudié à l’université. L’inspecteur fétiche de l’auteur, Sonchaï Jitpleecheep, est un fils de pute thaï et d’un soldat américain en repos du Vietnam. Entre deux cultures, il a le recul nécessaire pour juger en thaï la superficialité occidentale et, en occidental, les superstitions thaïes. Pourtant, chaque nuit, le fantôme de Damrong vient le hanter, aussi fort que si la présence physique était avec lui. Il en rêve, il la baise, se réveillant torse trempé et couilles vidées, ayant gémi dans son sommeil. Car le bouddhisme admet la réincarnation et, avant elle, un purgatoire où les fantômes rôdent, leurs passions subsistant quelque temps lorsqu’elles ont été trop fortes. Or Damrong a travaillé dans le bordel familial de l’inspecteur ; Damrong l’a asservi de son corps, le rendant amoureux comme jamais ; Damrong est morte assassinée, comme en témoigne un snuffmovie dont le DVD est envoyé au commissariat.

Sonchaï va enquêter parce que cette affaire le touche de près, parce que l’amour transcende le devoir. Son chef, le corrompu colonel Vikorn, veut utiliser l’idée du snuffmovie pour trafiquer plus vite et plus universel que l’héroïne. Il est reconnaissant à Sonchaï de lui donner ce concept d’affaires juteuses et le laisse donc s’amuser à jouer au policier. Car en Thaïlande la police royale ne fait son travail que lorsque le système féodal le lui permet. On ne touche pas aux puissants, mieux vaut les faire chanter, actionner ce renvoi d’ascenseur du don réciproque qui est la « face » de l’honneur asiatique. Que peut comprendre un ‘farang’ (étranger) à ce système social complexe ? A cette culture où la virginité n’est pas déifiée ? A ce peuple pour la mort n’est qu’un passage vers une ‘autre’ vie ?

Les détails ne manquent pas sur l’industrie pornographique asiatique, sur l’affairisme des pontes, sur l’avidité naïve des occidentaux mal aimés chez eux et trop infantiles pour s’en sortir tout seul.

Il y a les comparses : le colonel Vikorn, affreux mais fidèle ; Lek l’adjoint de l’inspecteur, katoey efféminé qui veut devenir femme ; Kimberly l’américaine appelée miss FBI, jument esseulée car égoïste, qui se tue au travail car elle n’a que ça ; Phra Titanaka, moine expert en méditation, qui a du mal à se libérer des liens charnels avec sa sœur. Mais le personnage principal est fouillé, digne d’un romancier : Damrong a conduit sa vie comme elle voulait, après en avoir pris très tôt les rênes ; bien que morte, elle continue à actionner les vivants pour se venger. Le titre anglais (Bangkok Haunts) joue sur l’ambiguïté du mot haunts : à la fois fantômes et action de hanter. L’image de Damrong vous restera à l’esprit une fois le livre refermé !

Un grand roman, encore plus abouti que les précédents. A lire pour mieux comprendre la Thaïlande si vous envisager d’aller y faire un tour.

John Burdett, Bangkok psycho (Bangkok Haunts), 2007, 10-18 2011, 439 pages, €8.36

J’ai chroniqué les volumes précédents sur un blog précédent, aujourd’hui fermé. Je les republierai ultérieurement ici.

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Henning Mankell, L’homme inquiet

La dernière enquête… Vingt ans et dix enquêtes plus tard, l’inspecteur Kurt Wallander, suédois d’Ystad en Scanie, au sud de la Suède, clôt sa carrière. Diabète, tension, cholestérol, il commence à avoir de courtes absences alzheimériennes. Au même âge que l’auteur, né en 1948, il est aspiré dans la vieillesse. C’est ce qui fait de ce dernier roman policier une œuvre littéraire.

Il y a certes une intrigue avec meurtres et progression savamment distillée de l’action. Il y a aussi la confrontation d’un homme avec le néant qui approche, sa petite-fille qui naît, son ex-femme qui sombre, son amante qui se tue, le souvenir de son père. L’époque qui change, à laquelle il ne s’adapte plus : Internet, la diversité ethnique, la finance mondiale, le matérialisme égoïste.

La Suède a toujours été un État infantilisant, conformiste, cocon. Il s’agit de se faire plaisir après des siècles de guerres flamboyantes, alors que le pays est devenu trop petit pour ne pas faire allégeance. A l’Allemagne avant-hier, à l’URSS hier, aux États-Unis aujourd’hui. La « neutralité » suédoise est une façon de poser son joker, de sortir de l’histoire, pour que chacun jouisse en son intérieur social-démocrate sans se préoccuper du monde. Sauf que le monde s’en fout et que l’histoire se fait malgré soi. La guerre froide n’est pas finie, même si le socialisme s’est effondré. Ce pourquoi un commandant de sous-marin retraité, devenu beau-parent de Wallander, va lui faire part de son impression d’être suivi, espionné, menacé.

L’inspecteur blanchi sous le harnois est un lent. Il s’écoute, il écoute, il émerge péniblement de nuits agitées ou de beuveries stupides. Il est seul, s’entend avec sa fille uniquement parce qu’il ne la voit pas trop souvent. Il quitte la ville pour s’établir à la campagne, où la tempête fait rage trop souvent. Curieusement, on vient le visiter en son absence. Observateur, il voit des objets hors de leur place exacte. C’est lorsqu’il « oublie » son arme de service dans un bar, d’où il repart complètement bourré, qu’il se voit accorder de longues vacances. Il en profite pour suivre son enquête personnelle, familiale, sur ce qui vient d’arriver.

Car le propre père du compagnon de sa fille, grand-père de sa petite-fille Klara qui vient de naître, disparaît. Comme ça, subitement. Sans portefeuille ni téléphone portable (un comble en notre époque « branchée » !). Personne ne comprend rien, la police non plus que l’épouse ni le fils. Pourquoi ? Comment ? C’est ce que Wallander va s’efforcer de trouver. Ce ne sera pas sans péripéties qui laissent le lecteur haletant.

Le roman est bien construit, façonnant chapitre après chapitre une atmosphère. La pesanteur du socialisme suédois, du climat hostile, du repli des gens. Mais aussi l’emprise de la vieillesse, avec la grande histoire qui vous rattrape, l’idéalisme des années 60 et 70 qui vous empêche d’y voir clair. Car il s’agit de tout renverser, inverser… C’est intelligent, affectif, profond.

Le dernier Kurt Wallander d’un auteur qui vient de passer le cap de la soixantaine, comme son héros, et qui s’y reflète.

Henning Mankell, L’homme inquiet, 2009, Points Seuil janvier 2012, 594 pages, €7.79

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Arnaldur Indridason, La voix

On a assassiné le père Noël ! Même en Islande, pays de la glace et du feu, cet incident ne passe pas inaperçu. Mais point de cellule d’aide psychologique pour les enfants déçus, on n’est pas dans la France du care aubryste. La compassion est plus subtile au pays des sagas et des poèmes skaldiques. Elle consiste en une enquête à la Maigret, avec tâtonnements et fausses pistes, toujours dans la psychologie.

C’est que l’aujourd’hui dépend d’hier et qu’hier n’a pas été toujours innocent. Qui était donc ce père Noël, dans le civil portier d’hôtel effacé vivotant au fond d’un cagibi depuis vint ans ? Pour quelle raison l’a-t-on tué ? Le sexe ? L’argent ? La réputation ? Ces trois motifs récurrents de tous les meurtres sont examinés tour à tour.

Le grand hôtel de Reykjavik s’emplit de touristes venus apprécier la bonne neige et la tempête hivernale, tout en se gavant de mouton fumé, de bière hors de prix (la plus chère du monde, dit l’auteur en 2002) et en se déguisant des fameux pulls islandais qui ne sont guère portables autrement, sinon dans l’Himalaya. Le criminel est-il un touriste de passage ? Un collègue de l’hôtel ? Une pute attirée par la foule des michetons ? Quelqu’un d’autre entré ici comme dans un moulin ?

Le commissaire Erlendur est un taiseux. Il cache en ses profondeurs un drame qu’il a peine à sortir. Divorcé depuis vingt ans, il a délaissé ses enfants (dans ce roman, on apprend pourquoi) et sa fille, qui vient le voir quand même, s’est droguée et a perdu un bébé. Pas simple de se dépatouiller des vies des autres lorsque la sienne n’est déjà pas claire… C’est tout le sel de cette enquête, menée en lieu clos et en six jours – comme dans la Bible. Le septième jour est Noël, où chacun se retire en famille, comme il se doit.

Flanqué de ses adjoints l’inspecteur Sigurdur Öli, qui n’a jamais pu avoir d’enfant jusqu’ici, et de l’inspectrice Elinborg, qui suit le procès d’un enfant battu, le commissaire Erlendur patauge mais avec méthode. La lumière se fait peu à peu, d’indices en indices. L’enfant est ici le thème du livre : enfant désaimé, enfant prétexte, enfant modèle, enfant repoussoir, enfant poupée… Certains pères exigent de leur enfant qu’ils deviennent le modèle qu’eux-mêmes ont dans la tête, la réalisation qu’ils n’ont pu accomplir. D’autres se servent de leur enfant comme d’un punching ball dans les moments de stress, ou de faire-valoir social quand ça les arrange. A moins que ce soit la mère, effacée en apparence, en retrait ou décédée, qui soit finalement responsable de tout ce qui arrive.

La voix du titre français est celle d’un soliste de douze ans. Elle ouvre et clôt le livre. Un bien beau livre où la psychologie atteint des profondeurs qu’on ne trouve plus guère en France.

Arnaldur Indridason, La voix, 2002, Points policier, Seuil 2008, 401 pages, €7.12

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