Ce roman de 1950 est contre l’engagement. Les intellos étaient sommés, après la Seconde guerre mondiale, de choisir leur camp : ou celui du Bien, de l’Avenir radieux et du communisme soviétique, ou celui du Mal, du passé exploiteur et du conservatisme. C’était le temps des « idiots utiles », expression cynique de Lénine pour ces non-communistes poussés par humanisme à signer des pétitions contre la peine de mort, la bombe atomique et pour « la paix ». La seule paix est celle des cadavres pour un Staline en plein pouvoir, mais le hochet fait rêver. Ainsi les grands noms sont poussés par leur conscience et par l’Humanité tout entière à « signer », à s’engager.
Georges Duhamel qui est médecin et a connu la Grande guerre, socialiste et humanitaire né en 1884, regarde avec ironie ces manipulateurs de gauche qui enrôlent les grands sentiments et les beaux principes pour leur seule cause égoïste et fanatique. A 66 ans, on en a vu des choses… et la bêtise humaine qui reste la même quelles que soient les circonstances. Notre nouveau siècle est désormais adolescent mais il n’est pas meilleur : ce sont les écolos qui somment de s’engager, les féministes, les humanitaires. Pour toujours la même chose : le Bien – comme si en tout bien ne résidait pas un mal et en tout mal un bien. Nous sommes sur la terre indifférente où la nature égoïste ne connait que le droit du plus apte à la vie, des bactéries à l’humain. Le Bien n’existe que dans les esprits enfiévrés, les ravis de la crèche, alors que la réalité du monde et de l’humanité est irrémédiablement mêlée.
Patrice Périot est un biologiste reconnu, membre de l’Institut. Il a publié des travaux qui lui ont donné un prix américain (à cette époque des plus valorisants) et il s’est fait embrigader par la gauche communiste dès qu’il a eu le malheur un jour de déclarer qu’il serait toujours aux côtés de l’humanité souffrante, lui qui a connu la guerre. Depuis, il n’a plus un instant de répit. Ce sont sans cesses des solliciteurs qui viennent quémander une signature, une préface, une présidence. Au détriment de sa réflexion et de ses recherches.
Le savant a quatre enfants de plus de 20 ans, l’aînée Edwige a 30 ans et trois enfants, mariée à un polytechnicien monarchiste ; la seconde, Christine hait son prénom car « le monstre-docteur » (en droit) est devenue ardente communiste au tempérament glacé et exige de se faire appeler Véra par déchristianisation ; le suivant, Hervé, a 22 ans et de mauvaise fréquentations parmi les invertis et les joueurs ; seul le dernier, Thierry, est à 20 ans heureux de vivre, il a trouvé la foi comme souvent les petits derniers élevés dans le cocon familial. Ils sont tous différents comme tout parent le sait. Leur mère est morte et le père, dépassé et ayant d’autres soucis, les laisse en liberté. En 1950, à 20 ans, on n’est pas encore majeur.
Mais, entre solliciteurs et conférences, un drame va surgir : le suicide d’Hervé. Il laisse une lettre à son père qui explique son geste mais les deux bords politiques se déchaînent. Ils ont un prétexte pour politiser et « faire le buzz » comme on dit aujourd’hui et ils ne s’en privent pas. Complot d’une officine d’extrême-droite protégée du pouvoir pour les communistes, complot communiste contre le professeur Périot qui a commencé à regimber lorsque sa signature a été apposée à des pétitions sans lui demander son avis pour la droite. Tout va mal, rien ne va plus.
Patrice ne trouve de refuge qu’en son dernier fils, « l’enfant Thierry » comme il l’appelle – 20 ans tout de même – dont la foi de charbonnier le sauve de la dépression. Il veut, comme son père, explorer la science mais pour conforter sa foi. Ce qui est reposant pour Pétrice qui a l’idée d’en finir, œuvre faite. Il signera toujours des pétitions pour la grâce d’un condamné à mort mais ne se laissera plus embrigader contre son gré dans des causes qui le dépassent. Il reste humaniste mais pas communiste. Seule la vérité importe, qu’elle soit d’un camp ou de l’autre ! Et ses propres enfants importent avant toute l’humanité, qu’elle soit souffrante ou condamnée. Patrice Périot ne sait pas s’occuper de ses petits, comment saurait-il s’occuper des hommes ?
Comment diriger ou seulement conseiller une « génération qui avait vécu dans l’anxiété, puis dans l’humiliation, dans la disette, dans le ressentiment » p.200 ? Comment obéir à des politiciens cyniques : « la plupart des gaillards qui se posent comme la conscience du monde sont des monstres d’orgueil » p.204 ? Seul compte l’humanisme et la vérité. « Je signerais par pitié pour les malheureux qui se laissent conduire les yeux bandés, comme le bétail que l’on mène à l’abattoir, et par pitié aussi, certainement, pour les forcenés, pour les ambitieux qui attachent de tels bandeaux, qui parlent de libérer les multitudes, et qui ne songent qu’à leurs passions… » p.248.
Il se dit que Georges Duhamel a pris modèle de sa famille et de sa vie pour écrire ce roman. En effet, il est membre de plusieurs académies et se disperse dans les chroniques, présidences et conférences. Le voyage de Patrice Périot est un voyage intérieur, vers la vérité de l’être et celle de l’homme. Contre « l’engagement » qui n’a de social et d’humanitaire que l’étiquette. Non sans effets littéraires, comme cette évocation d‘un couloir parisien 1950 au début du chapitre III, phobique des aérations et courants d’air.
Georges Duhamel, Le voyage de Patrice Périot, 1950, Livre de poche 1969, 255 pages, €6.06
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France-Culture s’est couvert de pipi
En virant Jean-Louis Bourlanges de l’antenne, pour avoir déclaré dans l’mission de Philippe Meyer L’esprit public, après un argumentaire étayé, son choix raisonnable d’Emmanuel Macron de préférence à François Fillon – compte-tenu des « affaires » que vous savez – la chaîne montre soin mépris des auditeurs autant que sa sensibilité pour le moins très variable des « règlementations ».
Cela ne gêne personne, sur cette chaîne de service public, dont on aimerait qu’elle soit plus au service du public, de militer en faveur de Mélenchon ou de soutenir Hollande ou Valls – mais cela gêne que quelqu’un vende la mèche. Le « mainstream » de nombreuses émissions de gauche, sinon dans le gauchisme d’ambiance, sont tout aussi orientées (les chroniqueurs « de droite » – bien qu’intelligents, dirait-on à gauche – Alain-Gérard Slama puis Brice Couturier ont été par exemple « écartés » des Matins) – mais dire que le roi est nu est un scandale chez les vieilles barbes cultureuses.
La « neutralité » du service public est tellement vantée en ce qui concerne le port du voile ou le prêche des religions que l’on croyait naïvement qu’elle devait s’appliquer autant à ces religions laïques que sont les idéologies. Mais vous n’y pensez pas ! « Les mêmes usages seront appliqués partout », déclare la directrice de la chaîne Sandrine Treiner (je souligne le futur qui est employé…). Or, soit on définit les limites avant, indiquant clairement ce qu’il ne faut pas déclarer – et on l’applique à tous – soit la souplesse est de mise, par exemple avec un rappel à l’ordre et un droit de réponse. Mais pensez-vous ! Un « journaliste » a une éthique : s’il défend tel ou tel courant, croyez bien que ce n’est que pur professionnalisme, un avatar de sa « mission » d’éclairer le bon peuple des ignorants. Quant aux chroniqueurs invités – comme Jean-Louis Bourlanges – c’est en tant qu’acteurs et non en tant que « journalistes » qu’ils interviennent sur France-Culture. Or un acteur a des convictions – pas les journalistes – on peut virer un acteur, jamais un journaliste… CQFD.
Cette chaîne de radio ne doit pas beaucoup être écoutée dans la « France périphérique », ni par le peuple tout court si l’on en croit les sondages (1.8% d’audience cumulée après la grève XXL de l’an dernier). Le public qui l’écoute est donc éclairé et censé intelligent. Comment pourrait-il accepter cette forme de censure hypocrite de la part d’ignorants ou de velléitaires ? Argumenter, puis conclure, est de bonne logique humaniste. Faire appliquer le règlement est juste… quand il s’applique également à tous. Ce qui est loin d’être le cas dans chacune des émissions, sans que « la direction » s’en émeuve !
A-t-elles subi des « pressions » ? On dit que le cucul clan Fillon s’est lamenté. Mais « les affaires » sont les affaires : peuvent-elles changer la réalité ? Se disent-elles plutôt, ces vieilles barbes cultureuses, qu’après cinq ans de gauche, une droite revancharde risque de revenir au pouvoir, allumant déjà le brasier où griller leurs petites fesses ?
L’esprit public s’était déjà dégradé avec l’arrêt d’antenne « pour doublon avec une autre émission » de Jean-Claude Casanova, puis l’éviction d’Yves Michaud en 2009 pour propos virulents contre Roman Polanski, enfin le départ pour raisons de santé de Max Gallo. La sortie de Jean-Louis Bourlanges ôte un peu plus à l’émission ce rôle original de club de professionnels qui conversent au profit du rôle convenu du clan des « journalistes » qui monologuent. Ils sont bien pâles en comparaison, ânonnant d’une voix morne leurs observations de l’extérieur, sans cette veine du vécu qui valait tant.
Si L’esprit public devient un club de journalistes, comme il en existe un peu partout sur les chaînes, son intérêt est perdu. Jean-Louis Bourlanges avait été conseiller maître à la Cour des comptes, conseiller régional, député européen, sénateur, professeur à Science Po ; Max Gallo avait été la plume de François Mitterrand avant de devenir l’écrivain d’histoire qui l’a rendu célèbre. Combien reste-t-il de personnes ayant exercé une fonction réelle, dans cette émission ? Un ancien ambassadeur, un ex-PDG d’entreprise culturelle – et voilà tout. Le reste est composé de « journalistes »… des commentateurs, pas des acteurs.
La « bêtise » gagne du terrain. Flaubert en aurait fait une notule de son Dictionnaire des idées reçues : « France-Culture ? Le mâchonnement des idées reçues par des contents d’eux dans l’entre-soi – tonner contre. »
« Lettre de Jean- Louis Bourlanges à Philippe Meyer et aux auditeurs de l’Esprit public lue dimanche et publiée sur le site de l’émission :
Je m’adresse à vous, cher Philippe, chers camarades, et chers auditeurs de l’Esprit public, pour vous dire au revoir. La direction de France Culture a décidé de m’interdire toute participation à l’Esprit public pendant la durée de la campagne pour l’élection présidentielle, sous prétexte que j’ai affiché publiquement ma préférence pour l’un des candidats en compétition, en l’occurrence pour Emmanuel Macron. Cette décision est doublement incohérente. Elle l’est d’abord parce que je ne participe pas à cette émission en qualité de journaliste tenu à un devoir de neutralité et d’impartialité, ce que je ne suis pas et que je n’ai jamais été, mais comme ce que Raymond Aron appelait » un spectateur engagé “, invité en raison et non en dépit de ses prises de position dans le débat public. Parlementaire européen du centre pendant près de vingt ans, longtemps vice-président de l’UDF, je n’ai jamais fait mystère de mon engagement » libéral, social et européen » et j’ai toujours eu à cœur au cours des quinze dernières années d’afficher mes couleurs à chaque élection présidentielle ou législative.
L’incohérence de la décision se lit aussi dans le calendrier choisi. Pourquoi limiter la mise en œuvre de la sanction à la seule campagne présidentielle et me promettre un retour à l’antenne sitôt ce grand rendez-vous passé, alors que la question se posera en des termes strictement identiques pour la campagne des élections législatives et devrait en bonne logique appeler la prolongation du « régime spécial » qui m’est réservé ? N’était-il pas déjà contraire à la logique dont on argumente que la direction de France Culture ne se soit pas émue de me voir il y a quelques semaines prendre position en faveur d’Alain Juppé dans le cadre de la primaire de la droite et du centre. Sans doute avait-elle alors conscience de cette évidence aujourd’hui oubliée : c’est la raison d’être de l »Esprit Public que d’organiser un dialogue, voire une confrontation, civilisés entre des personnalités engagées à des titres divers dans la vie de la Cité.
Ces incohérences comme les explications embarrassées de la directrice de l’antenne révèlent que la raison véritable de mon ostracisme est d’un autre ordre : il ne s’agit pas de veiller, très légitimement, à l’équilibre des temps de parole entre les partisans des différents candidats mais, l’allusion au courrier reçu par le médiateur est éclairante à cet égard, de me sanctionner pour les propos très durs que j’ai tenus sur l’un des candidats en le qualifiant de » sournois, arrogant et corrompu ». Bien que je ne sois pas seul à formuler une appréciation aussi sévère sur M. Fillon, je comprends que mes propos aient pu choquer certains auditeurs et je ne peux que le regretter. Je constate toutefois qu’ils n’ont pas donné lieu à une plainte pour diffamation, plainte que j’aurais d’ailleurs, en l’état présent du dossier Fillon, accueillie avec sérénité. On sait – et qui les en blâmerait ? – que les partis politiques excellent à susciter des réactions collectives organisées aux propos qui les dérangent. Céder à ces pressions, de la part d’un média comme France Culture revient à reconnaitre à certains groupes un droit à l’intimidation et à justifier du même coup l’institution d’un véritable délit d’opinion opposable à ceux qui interviennent sur son antenne.
Vous comprendrez que tout en moi m’interdit de cautionner de telles pratiques. Je veux bien être un intermittent du spectacle mais pas un intermittent de la censure. J’ai donc décidé de mettre un terme définitif à ma participation à Esprit public. Après plus de quinze ans de présence hebdomadaire au cœur de la Maison ronde, cette décision me coûte mais elle est inévitable. Je remercie tous ceux, réalisateurs, techniciens, assistants qui m’ont permis de m’adresser librement à vous chaque semaine. Ma gratitude va, bien entendu, d’abord à Philippe Meyer qui m’a donné cette magnifique tribune et qui, de plus, m’a supporté pendant de longues années avec un stoïcisme qui mérite hommage. Je l’adjure de continuer aussi longtemps qu’on lui en laissera le pouvoir à porter cette émission nécessaire. Pour ma part, je me contenterai en vous quittant de pousser deux vivats qui devraient n’en faire qu’un : vive France Culture, vive la liberté de l’esprit !
Jean- Louis Bourlanges »