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Braquage à l’italienne de Felix Gary Gray

Pour plusieurs tonnes d’or possédées par des trafiquants, que ne ferait-on ? Il s’agit, en 2003, de 35 millions de dollars. A se partager en cinq, ce qui fait quatre de trop… Voler Venise en faisant sauter un plancher de palais à l’explosif, voilà qui est très audacieux, c’est-à-dire américain. Le scénario est donné, assez convenu ; reste à le réaliser – et là, c’est une réussite.

John Bridger (Donald Sutherland), cambrioleur de la vieille école « à l’écoute » du coffre-fort et Charlie Crocker (Mark Wahlberg), fils spirituel et audacieux se complètent. Ils rassemblent autour d’eux une équipe de quatre avec Handsome Rob, spécialisé en bagnoles et drague (Jason Statham), Lyle (Seth Green) qui se fait appeler Naspter parce qu’il dit qu’il a inventé le concept que son copain de chambre lui aurait volé quand il dormait, le rappeur Mos Def qui joue Dur d’oreille pour avoir fait sauter la porte des chiottes de son école à 9 ans, et Steve (Edward Norton) sans aucune imagination.

Le plan est rusé et réussit au-delà de toute espérance : tout est calculé, minuté, exécuté avec brio. Le canot automobile s’engage sous le palais après avoir dézingué la serrure de la grille, l’informaticien mesure en 3D d’après plans les emplacements les meilleurs pour faire sauter les planchers, les deux autres placent les charges et… boum ! Le lourd coffre quitte son salon stable pour s’effondrer deux étages plus bas dans la lagune. Le canot quitte alors le soubassement du palais avec le coffre bien en évidence sur le pont. Sauf que c’est un faux coffre, que les trafiquants vont poursuivre comme la police, sans succès. La maîtrise du volant de Rob fait merveille, négociant des virages serrés dans les canaux, slalomant entre les embarcations et les gondoles, se faisant aider d’éboueurs de la Ville – bien payés – pour laisser le poursuivant sur le sable d’une barge cachée entre deux péniches de travail. C’est du grand art et le spectateur est ravi de l’action trépidante et de l’audace des braqueurs.

L’équipe en camionnette fuit vers la frontière de l’Autriche avec l’or (il s’agit de barres de 10 kg et pas de « lingots » d’1 kg comme le laisse croire la bande son). Un véhicule venant en sens inverse leur barre la route sur un barrage : les braqueurs sont braqués ! Mais pas par ceux à qui ils ont piqué l’or : par l’un des leurs. Steve a décidé de la jouer solo et sort son flingue pour descendre tous ses copains. Face à l’or, la fièvre monte et la camaraderie ne pèse pas lourd, sans même évoquer une quelconque amitié, dont il n’a jamais été question. On se demande d’ailleurs quel a été le rôle de Steve dans la préparation et quelle pouvait bien être sa spécialité. En tout cas, il descend le vieux Bridger comme s’il avait une revanche à prendre sur le Père. Rob, pas fou, écrase l’accélérateur et, en bousculant le 4×4 d’obstruction, pousse la camionnette dans l’eau glacée de la retenue. Tous sont gelés mais en vie, malgré un Steve qui tire à la mitraillette sur la surface tant qu’il peut, en gros connard d’Américain qui préfère arroser que penser. Je n’aime pas cet acteur au visage mou (comme pété d’héroïne) et à la petite moustache d’impubère. Ado schizo de Peur primale à 27 ans, il est devenu gros naze d’American History X à 29 ans avant de jouer le traître de l’équipe à 34 ans.

Mais le coffre a été ouvert sous l’eau par un Bridger en scaphandre autonome, assisté de Crocker. La camionnette recèle donc des bouteilles d’oxygène, ce qui peut être utile lorsqu’on est coincé sous la glace en attendant que la grêle (de balles) se tasse. Comme Bridger est mort et bien mort, d’un premier tir surprise, les autres rejettent son cadavre en surface pour faire croire qu’ils sont tous trépassés. Ils sont en fait tous vivants et ne jurent que de se venger.

Il faut attendre, la vengeance est un plat qui se mange froid et non quand on est glacé. Une fois localisé en Californie (évidemment) dans une grande baraque sécurisée avec câble haut débit et écran géant, voitures de sport et coffre dernier cri, Steve n’a plus que du mouron à se faire. Il ne s’en doute pas car un an est passé et il a déjà dépensé 8 des 35 millions d’or, fourguant à un cave en cheville avec la mafia ukrainienne (accent savoureux) les barres ornées d’une danseuse balinaise.

Charlie va reconstituer l’équipe pour braquer le braqueur de braqueurs, ce qui est fort réjouissant. Manque Bridger, il sera remplacé par sa fille, la blonde et canon Stella (Charlize Theron), 28 ans et experte en coffre-fort pour la police. Elle hésite mais le souvenir de son père l’emporte : elle sera de l’aventure et mettra sa Mini rouge et son professionnalisme au service du sport. Car il s’agit moins d’argent (encore qu’il ne reste jamais loin dans l’esprit yankee) que d’honneur (laver l’affront fait à l’équipe solidaire et le meurtre de l’un des leurs). Stella se fait passer pour une technicienne du téléphone de la compagnie qui dessert Steve, après que Dur de la feuille ait « débranché » (comme José Bové son MacDo) le câble reliant la propriété. Avec une caméra miniature planquée sur le sein gauche (ouille, ça pique ! Lyle gaffe une fois de plus avec une nana en lui pénétrant le globe) elle va filmer l’intérieur de la maison pour trouver le coffre.

Mais elle est trop sexy et Steve l’invite à dîner. Elle refuse puis finit par accepter, entorse primaire à toutes les règles de sécurité, au prétexte de l’éloigner de la forteresse tandis que les braqueurs de braqueurs vont agir. Même si elle boit du Perrier (en bouteille bleue), elle parle trop et cite malencontreusement son père sur « le diable en chacun », expression que l’intelligent Steve capte aussitôt. La couverture de Stella s’effondre et l’équipe de faux morts surgit dans le restau comme des zombies. Steve est estomaqué.

Commence alors un « jeu » entre Charlie et lui pour savoir moins qui a la plus grosse que qui a le cerveau le plus affûté et l’imagination la plus osée (ce qui change des habituels navets hollywoodiens pour trumpistes bornés). Le spectateur s’attend à ce que Monsieur « Manque d’imagination » perde, et c’est ce qui va se produire, mais pas sans un baroud d’honneur fort bien mené. Le train est mené par un trio de Mini Cooper (le film a-t-il été sponsorisé par la marque tout juste reprise par BMW ?), renforcées et allégées (exit, déjà, le système antipollution) pour supporter le poids des barres d’or dont il reste pour 27 millions. Prévues pour se faufiler dans le vaste couloir de la maison de Steve, ces autos vont hanter à fond les couloirs du métro où Charlie le téméraire a prévu de faire tomber – par explosifs comme le coffre – le fourgon blindé qui transporte le magot de Californie vers le Mexique, opportunément stoppé par un feu rouge.

Malgré Steve qui loue trois camions blindés et les envoie dans trois directions différentes, malgré l’escorte de gardes en motos et son suivi par hélicoptère, les Mini se faufilent, ronflent du moteur et dérapent en tous sens pour arriver à temps au train qui les emportera, camouflées, loin de la Californie. Ce qui est amusant est que, les couloirs du métro interdisant tout véhicule à combustible, les moteurs des Mini aient été électriques ! En 2003, la technologie était parfaitement au point et il a fallu attendre 20 ans pour que le constructeur daigne enfin les offrir au public et contrer la pollution.

C’est Lyle, naturellement, qui découvre quel est le bon fourgon grâce aux caméras de surveillance de la ville et un algorithme du poids de chaque véhicule d’après l’image des pneus ; c’est Lyle également qui pirate du clavier la gestion des feux rouges de Los Angeles, puis fait stopper le métro pour que les Mini puissent s’y enfiler alors que la rame à l’arrêt vient juste après elles boucher le tunnel. Quelques explosions et une course poursuite en voitures et motos, clous du spectacle hollywoodien, offrent aux spectateurs la tension suffisante pour parvenir non sans peine jusqu’à la gare où les Mini sont enfermées tranquillement en wagon. Steve alors se pointe, ayant suivi par hélico puis en 4×4 volé lorsque son pilote a crashé le rotor arrière dans un entrepôt. Il soudoie pour 5000 $ (ça ne se refuse jamais) le préposé aux wagons qui lui ouvre… mais trouve Charlie devant lui.

Steve sort son flingue, comme sur le barrage, mais cette fois la mafia ukrainienne est dans son dos car il a descendu son fourgue qui commençait à en savoir trop, séduit par la danseuse balinaise gravée sur l’or. C’était le cousin du mafieux – dommage pour lui. Il ne sera pas descendu en vengeance primaire devant les spectateurs comme dans un film de base mais lui sera réservé un traitement « en usine » où sa mort sera lente et raffinée, on peut le supposer, en juste rétribution de ses méfaits. 

Finalement, l’or ne comptait pas mais chacun comptait sur l’or. Rob s’est payé la bagnole de ses rêves, une Aston Martin, et doit user de ses talents de dragueur (avec une blonde, pas un gros moustachu) pour éviter la contredanse pour excès de vitesse ; Dur de la feuille s’est offert une grosse baraque en Andalousie où farnienter au soleil ; Lyle a investi dans la chaîne stéréo de ses rêves et a réussi à faire la couverture de Wired, le magazine de la technologie, pour affirmer être le vrai créateur de Napster, le service de partages de fichiers ; Charlie a investi la gironde Stella en souvenir de son père et de son conseil : finir sa vie avec quelqu’un qu’on aime.

Il y a du spectacle, de l’invention dans un scénario banal mais resserré – c’est en bref un excellent thriller sans autre prétention que le divertissement bien mené que l’on voit et revoit quelques années plus tard avec plaisir.

DVD Braquage à l’italienne (The Italian Job), Felix Gary Gray, 2003, avec Mark Wahlberg, Charlize Theron, Edward Norton, Jason Statham, Mos Def, Seth Green, Donald Sutherland, Paramount Pictures 2004, 1h36, €5.25 blu-ray €16.02, édition collector €12.90

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Le coup de l’escalier de Robert Wise

Ce film Noir démontre combien le racisme est destructeur : il fait tout foirer. Dave Burke (Ed Begley) est un ancien flic révoqué injustement à ses yeux pour malversation ; il aurait payé pour tout le monde. Il rêve donc de se venger de la société et d’assurer ses vieux jours tout proches par un « coup » unique, braquer la banque de Melton, petite ville (imaginaire) au sud d’Albany.

Le coup est facile, la banque est approvisionnée en liquide tous les vendredis soir par les commerces et Begley a remarqué qu’un livreur du snack voisin venait après la fermeture apporter des cafés et des sandwiches aux comptables qui bouclent la recette. Il passe par une petite porte latérale d’une rue peu fréquentée et se fait ouvrir par le gardien. Il suffit de profiter du moment pour s’introduire, braquer les employés et rafler les dollars.

Mais pour cela il faut être trois. L’ancien flic propose le coup à un ancien soldat, Earle Slater (Robert Ryan), qui n’a jamais su se réadapter à la vie civile et fuit toujours les boulots comme les liaisons féminines, et à un chanteur noir, Johnny Ingram (Harry Belafonte), sans arrêt endetté parce qu’il joue aux courses pour reconquérir sa femme qui s’est séparée de lui avec leur petite fille. Chacun refuse car trop risqué, mais chacun finit par accepter poussé par la vie. Ils ont besoin de fric et ne savent pas en gagner ou le garder – le drame américain par excellence. Car arriver en société exige un effort et de la constance que ni le flic, ni le soldat, ni le chanteur n’ont assumé.

Slater détruit tout ce qu’il touche depuis l’enfance, même le métier de soldat, pourtant destructeur par excellence. Sa compagne du moment, qui l’aime et le lui dit, en est désespérée. Il faudrait probablement chercher dans l’enfance du jeune Earle cette disposition à n’être jamais sûr de soi, à toujours craindre les autres, à en être jaloux : ce qui fait l’essence du racisme. Earle a été chassé par les tempêtes de poussière de son Oklahoma natal et n’a jamais eu de chez soi ; il en est amer et rejette ce rejet sur « les Noirs ». Le beau Johnny, pas très foncé, a des idées, ce qui hérisse Earle. Il ne lui fait pas confiance.

C’est ce grain de sable qui va faire échouer le coup : il ne lui confie pas la clé de la voiture qui doit les emmener dans leur fuite. Le destin s’en mêlera avec l’industrie chimique de la ville. Le duel western au sommet de silos fait tout sauter, le Noir comme le Blanc et quelques flics avec. Tel est le destin : la haine détruit tout.

Le film est en trois parties : la présentation des personnages et leurs états d’âme (un peu long mais qui prend tout son sens ensuite), la préparation du coup et l’attente (captivant), enfin l’échec et la fuite qui se termine dans le grandiose. La femme de Johnny a raison : Noirs et Blancs, il faut cohabiter donc tenter de se fondre dans une société unique. L’idée était dans l’air du temps depuis la Seconde guerre mondiale mais l’apartheid aux Etats-Unis ne sera levé qu’entre 1964 et 1967, plusieurs années après la sortie du film. Le bruit du vent dans l’ascenseur rappelle la fraternité du bombardier mais Earle la refuse au liftier qui lui fait la remarque, bien qu’il ait embrassé « une petite négrillonne » mignonne juste avant d’entrer dans l’immeuble où Ed l’a convoqué.

Pour nous aujourd’hui, le spectacle de New York et des petites villes américaines a quelque chose de nostalgique : peu de voitures sur les échangeurs, d’immenses péniches automobiles aux chromes étincelants et aux amortisseurs qui balancent, les impers et chapeaux de rigueur pour les hommes, l’émancipation féminine qui progresse : les femmes gagnent l’argent du ménage.

DVD Le coup de l’escalier (Odds Against Tomorrow), Robert Wise, 1959, avec Harry Belafonte, Robert Ryan, Ed Begley, Shelley Winters, Wild Side Video 2009, 1h32, €15.23

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Piège fatal de John Frankenheimer

Voici un film américain habilement tissé mais moralement répugnant.

La trame est bien faite. Un jeune et beau détenu pour vol de voiture libéré de prison, Rudy (Ben Affleck) se fait passer pour son copain de cellule Nick (James Frain), poignardé justement la veille de sa sortie. Il emballe à sa place la copine de ce dernier Ashley (Charlize Theron), connue par correspondance, en se faisant passer pour lui. Mal lui en prend ! Celle-ci se révèle un appât pour une bande de routiers dirigée par le frère psychopathe (Gary Sinise) qui projette le casse d’un casino préparé par Nick avant d’être emprisonné et cherche en Rudy l’expérience d’un spécialiste. La fin verra un retournement de situation subtil et magistralement amené.

Mais le style n’est pas tout. Le film se vautre avec complaisance dans la peinture brute des plus bas instincts. Dans la prison, ne règnent que les rapports de force et le seul rayon d’amitié se révèle d’une machination intéressée. L’amour entre homme et femme est réduit à des galipettes bestiales sans préliminaires ni reconnaissance, la suite étant consacrée à emmancher la trahison. La seule fille plutôt jolie est une pute qui se sert de ces seins pour affoler les mecs et leur faire faire ce qu’elle veut. Elle en prend trois et en trahit autant, sans plus de sensibilité que s’ils étaient des Kleenex à jeter une fois usés. Les hommes, quant à eux, sont représentés en primates ignares et abrutis, fascinés par les armes, le fric et le cul. Ils tabassent et ils tuent comme ils baisent, tout en rigolant, sans que cela ait une quelconque importance.

Le spectateur est transporté bien loin de la virilité des westerns où la lutte impitoyable pour la survie peut justifier la violence. Ici, au contraire, ne règne aucune morale en dehors du seul assouvissement des pulsions les plus immédiates. Chacun baise comme une bête, bâfre comme un cochon, se saoule à même la bouteille, tabasse sans remords à grands coups de crosse, massacre sans distinction au fusil-mitrailleur, embrasse avec d’ignobles chuintements mouillés. Quant au fric, typique de l’avidité primaire américaine, tout le monde en ramasse à plein sac. C’est répugnant, vous dis-je.

Et c’est cette Amérique-là, une année avant les attentats du 11 septembre, qui invoque Dieu et veut faire la morale au monde entier ? Piège fatal est le spectacle de l’abjection la plus basse, fièrement exhibée comme pour s’en vanter, comme si elle était le parfait exemple de la vitalité profonde des États-Unis.

Malgré l’intrigue et les coups de théâtre, un réflexe de pudeur éthique suscite en moi une vive aversion pour le film. Il est clairement immoral malgré son héros naïf qui passe dans le récit comme un innocent éternel toujours indemne, toujours sauvé, terminant l’histoire par un geste de conte de fées. Mais ce personnage ne rattrape pas le reste, cet étalage complaisant et empressé des pulsions brutes considérées comme désirables et sans frein. Le spectateur sort du film avec une piètre idée de l’humanité américaine – et que ce qui va lui arriver avec les attentats était au fond mérité. Ce n’est pas la première fois, en ce début des années 2000. Ce sera pire avec Trump et ses Trumpistes.

DVD Piège fatal, John Frankenheimer, 2000, avec Ben Affleck, Gary Sinise, Charlize Theron, Dennis Farina, James Frain, TF1 video 2001, 1h44, €3.00 blu-ray €14.72

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Erwann Créac’h, La montée des marches

L’univers du cinéma (français) vous intéresse ? Un jeune auteur, mais déjà aguerri, vous fait pénétrer les arcanes de ce monde de paillettes qui masque des misères. C’est que l’on n’arrive pas sans efforts constants et obstinés, là comme ailleurs ! Le personnage a mis près d’une décennie à émerger, commençant tout en bas de l’échelle comme « renfort régie », éminemment précaire, avant de trouver de petits boulots çà et là, sans compétence aucune parfois. Il a fini par écrire et réaliser son propre film, mais non sans stress.

Monter les marches se fait en deux étapes : la première est d’être reconnu du métier pour accéder aux forums et au « statut » d’intermittent ; la seconde est d’être consacré par un prix pour un film ou un rôle. A chaque fois, de moins en moins d’élus. Ils se connaissent tous, se recommandent leurs protégés (souvent des filles), se défendent des importuns (évidemment trop nombreux). La couverture dessinée du livre montre un jeune homme à la coiffure nette, mâchoire carrée, regard volontaire porté vers le haut, nœud papillon mais torse nu, devant les marches rouges du tapis du festival à Cannes. Il en veut, vigoureux, amoureux. Tel l’auteur qui accouche de son roman au forceps.

L’ironie est que la promotion canapé joue pour le personnage comme le veut la tradition. Être homme ne dispense pas de coucher. Surtout avec des filles. C’est Anh qui lui met le pied à l’étrier, puis Nadia, Judith, Nathalie, Leila, Mina qui aurait bien voulu… Le multiethnique apparaît comme un parti pris trop systématique, sauf si l’auteur ne vise comme lecteurs que les bobos du 19ème arrondissement de Paris. Sacrifier à la mode n’est pas une façon de bien écrire car toute mode passe – très vite – avec le public versatile qui la soutient (qui se souvient encore du « réalisme socialiste » des années 50 ? ou du Nouveau roman des années 60 ?). Ecrire vrai sur une réalité authentique est bien préférable.

Un film « d’auteur » (dont la visée commerciale n’est pas la priorité) se tourne dans « l’urgence » et avec des « bouts de ficelle ». Il n’y a jamais assez d’argent, ni de temps. Notre époque aime l’urgence avec ce sentiment d’être à la pointe du présent et de donner tout ce qu’on a, comme si le travail dans la durée n’avait aucune importance. Quant à « l’artiste », il veut tout, tout de suite, ego narcissique surdimensionné : « Il faut faire un film comme on fait un braquage : la bonne volonté, le temps et même l’émotion des comédiens, il faut tout prendre. Et voler ce qu’on refuse de vous donner » p.268.

Né en 1973, Erwann a exercé plusieurs métiers tels que vétérinaire, acteur de théâtre, figurant puis auteur de cinéma, metteur en scène et producteur de films. Les 30 millions d’amis des bêtes lui ont déjà décerné leur prix littéraire en 2011 pour Carnivores domestiques. A 46 ans, il cherche encore sa voie dans l’écriture après le reste. N’a-t-il pas publié un CD de chansons d’une voix chaude sous le titre évocateur de Je nage en juin de cette année ? Ce second roman fait partie d’une œuvre encore en chantier.

Louons la précision des métiers, fort bien décrits, avec le vocabulaire technique adéquat ; tout comme le cheminement de l’idée de scénario jusqu’au film bradé en streaming trois ans après sa sortie, en passant par les préfinancements et les financements définitifs. Le lecteur a plaisir à s’instruire tout en étant captivé par une histoire à rebondissements. Car les scènes et les éclats ne manquent pas. L’humour masque les émotions de temps à autre, comme p.243 : « Mais… tu bandes ! s’exclame-t-elle comme si elle venait de découvrir une aubergine dans son lit ». C’est incongru, hilarant. L’histoire est plutôt bien contée, même si un style moins prosaïque l’aurait améliorée. Le lecteur a besoin de s’intéresser aux personnages et, si le narrateur est incarné, d’autres le sont moins : Judith est à peine effleurée malgré son abîme intérieur, Anh n’est que croquée bien que toujours présente, Nadia évacuée en une ou deux phrases. Restent Solange et Nathalie, que l’on a l’impression de connaître, ou Leïla, bimbo fragile qui court après son potentiel d’actrice sans encore le rattraper.

« Chaque enfant devrait avoir un certain droit d’écoute, d’attention. Ceux qui en ont été privés n’en finissent pas de réclamer leur dû. Plus tard, tous ces enfants qu’on a pas assez écoutés rêvent d’une scène ou d’un plateau de cinéma » p.302. Et l’écrivain qu’est Erwann Créac’h de rêver scénariser et réaliser, à l’image de ce vrai film cité en épilogue, Samson et Delilah, caméra d’or à Cannes en 2009, un film australien. L’imaginaire du désir est plutôt une réussite.

Erwann Créac’h, La montée des marches, 2019, éditions Encre rouge, 309 pages, €21.50

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh

Ce premier opus est le plus réussi d’une quadrilogie qui comprend Ocean’s Eleven (2001) Ocean’s Twelve (2004) Ocean’s Thirteen (2007) et Ocean’s 8 (2018). Le film est devenu un classique avec des acteurs classiques, une brochette jamais vue de stars, et un scénario classique, le braquage de casinos à Las Vegas. Mais il s’agit de trois casinos en même temps et l’argent n’est pas le motif principal du casse. Car l’instigateur (George Clooney le magnifique), veut aussi récupérer sa femme (Julia Roberts la belle), qui s’est mise avec le milliardaire patron des casinos (Andy Garcia le maniaque du fric) parce que son mari est parti un jour et a disparu cinq ans – en prison.

Clooney qui porte dans le film le nom de Danny Ocean va s’associer à Brad Pitt, un as du bluff au poker et ils vont embaucher toute une équipe de spécialités : informatique, électricité, croupier, chauffeurs, acrobate, riche client – onze en tout, les Onze d’Ocean. Ils vont se faire financer par un concurrent du patron de casino qui a ruiné le sien, un richissime juif velu qui arbore au cou une suite de grosses en chaines en or d’où pendouille une étoile à six branches – une caricature.

Tout est méticuleusement préparé, filmé comme si cela avait déjà eu lieu au moment de présenter le plan. Le coffre recelant 150 millions de dollars le soir d’un match de boxe populaire est enfoui sous terre, gardé par de multiples enceintes à codes, surveillé en permanence par la vidéo, la porte ultime gardée par deux vigiles à Uzi, des cellules photoélectriques au ras du sol détectant tous les mouvements. Il va falloir détourner l’attention, subtiliser une carte d’accès, pirater le système vidéo, s’introduire au fond du puits où se trouve le coffre, endormir les sentinelles, faire sauter la porte blindée des deux côtés, d’où introduire un homme au préalable dans la salle blindée. Pas simple et rien ne se passe évidemment comme prévu.

Matt Damon joue les jeunes écervelés et manque de tout faire capoter lors du vol d’une « spirale » destinée à couper trente secondes le courant dans toute la ville. L’acrobate se prend une main dans la porte. Le service des égouts s’aperçoit de la faille de sécurité électrique et la répare. Quant à George Clooney, il ne peut s’empêcher d’aller narguer Andy Garcia en allant s’asseoir en face de sa femme qui attend son amant au restaurant du casino. Il est repéré, interdit, surveillé. Mais cela ne ferait-il pas partie du plan ?

L’extraction de la fortune du coffre est inattendue et un grand moment de scénario. Le reproche que l’on pourrait faire à l’ensemble du film est que tout est trop lisse, convenu, et que chacun joue sa partie sans grande épaisseur humaine mais plutôt comme des personnages types. Sauf George Clooney et Julia Roberts, peut-être. Mais le divertissement est sans conteste au rendez-vous, digne du professionnalisme requis d’Hollywood.

Pour une fois la loi est bafouée mais pour une bonne cause supérieure : l’argent du jeu est de l’argent mal gagné et le voler n’est pas vraiment du vol, surtout lorsqu’on le pique à un voleur qui a ruiné le casino voisin ; la femme d’un autre ne s’achète pas comme une propriété et la récupérer n’est pas du vol, surtout si l’on avoue face caméra préférer récupérer le fric à la fille. Tout va donc réussir comme souhaité.

Sauf que… la vengeance est un plat qui se mange froid et la haine obstinée d’Andy Garcia prépare des suites

DVD Ocean’s Eleven, Steven Soderbergh, 2001, avec George Clooney, Matt Damon, Andy Garcia, Brad Pitt, Julia Roberts, Warner Bros 2002, 1h57, €9.15

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Le carrefour de la mort

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Ce vieux film en noir et blanc de 1948 parle du bien et du mal, de l’envie sociale, de la rédemption, de la paternité et de ce qu’elle engage – en bref d’une époque de responsabilité virile bien loin de la nôtre…

Nick Bianco (Victor Mature), a été élevé dans la délinquance, son père tué en outre par la police. Il a déjà fait de la prison et ne peut trouver aucun travail. La société d’après-guerre est impitoyable à ceux qui ont un jour failli. Marié et père de deux petites filles, il veut fêter Noël et n’a aucun argent, depuis un an au chômage. Il se résout, sur commande, à braquer une bijouterie, située au 24ème étage d’un building. Mais lui et ses deux complices se contentent d’attacher les employés, sans vérifier qu’ils ne peuvent bouger pour appuyer sur l’alarme. Et c’est dans l’ascenseur qui descend interminablement, tant les clients sont nombreux pour Christmas, que la sirène se déclenche, faisant intervenir immédiatement les policiers du coin. Nick, pas très doué bien que costaud et dur, tente de s’enfuir ; il frappe un flic, qui tire et le blesse à la jambe.

Lui seul est pris. Il refuse par « honneur » du Milieu de donner les noms de ses complices, malgré l’insistance D’Angelo, substitut du procureur particulièrement humain  (Brian Donlevy) Il écope donc de 20 ans de tôle. Son avocat Earl Howser (Taylor Holmes) a une vraie tête d’affairiste cauteleux. Il « conseille » en effet le Milieu et n’hésite pas à désigner lui-même les braquages à faire et les receleurs à alimenter. Il promet à Nick que l’on va s’occuper de sa femme et de ses filles pendant sa détention. Evidemment, il n’en fait rien et Nick Brando apprend incidemment, par Nettie (Coleen Gray) la baby-sitter de ses filles, que son épouse a couché avec Rizzo, l’un de ses complices, pour avoir de l’argent, puis qu’elle s’est suicidée au gaz. Les deux fillettes sont placées dans un orphelinat de bonnes sœurs.

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C’en est trop. Puisque « l’honneur » affirmé n’existe pas plus dans la contre-société délinquante que dans la vraie, pourquoi s’en préoccuper ? Nick va donc prévenir le procureur qu’il est prêt à parler. Son jugement ne peut être remis en cause, mais il peut bénéficier d’une remise en liberté sous contrôle de la justice s’il consent à piéger la bande. Pour cela, le proc le met en cause dans une affaire ancienne, ce qui fait courir le bruit que Rizzo est un mouchard. Le Milieu, par la voix de l’avocat Howser, commandite le tueur Tommy Udo pour éliminer le mouchard présumé avant qu’il ne se mette à table.

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C’est Richard Widmark, alors 34 ans, qui incarne ce méchant sans scrupule avec un sourire désarmant et carnassier de gamin. Il est le diable incarné, blond fluet qui en rajoute dans la virilité auprès des femmes, qu’il traite comme des putes devant les grands bruns virils comme Nick. Il pousse mémère dans les escaliers (la mère de Rizzo, handicapée), n’hésitant pas à se venger sur la famille s’il n’accède pas directement à ses proies. Nick Bianco sera sa victime préférée, mais qui causera sa perte : la police le piège une arme à la main et son sort sera l’ombre pour des décennies.

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Si la société est inhumaine, globalement indifférente à la Faute, il existe des gens de bien. C’est le cas du substitut du procureur, lui-même père de quatre enfants, qui voit en Nick Brando une victime plutôt qu’un irrécupérable. Nous sommes en plein baby-boom et la société révère bien plus les enfants qu’aujourd’hui. L’affection qu’il a pour ses fillettes doit le sauver – belle parabole chrétienne de la rédemption par l’amour. Mais, comme nous sommes au pays des pionniers et de la lutte pour la vie, il lui faut se bouger. Nick devra faire acte positif pour se réhabiliter, changer de nom, se remarier avec Nettie pour les filles et trouver un emploi correspondant à ses capacités limitées (ouvrier dans une briqueterie). Mais il pourra alors recommencer à zéro et s’élever selon son initiative. D’où la complexité du personnage, servi par un acteur dont le rictus est la seule expression visible d’émotion, que ce soit pour aimer ou pour haïr.

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Film réaliste, dur, social et chrétien – un vrai film d’Amérique après-guerre. Noir pour la société, lumineux pour les bébés. Nous avons perdu cet avenir juvénile.

DVD Le carrefour de la mort (Kiss of Death), 1948, de Henry Hathaway avec Victor Mature, Brian Donlevy, Coleen Gray, Richard Widmark, Taylor Holmes, 20th Century Fox réédité par ESC Conseil 2016, blu-ray €19.00

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Alexandre Feraga, Je n’ai pas toujours été un vieux con

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« Il devient impensable que le papy amarré à son lit d’hôpital ait pu un jour envoyer une saloperie de balle de golf avec un balancement souple du tronc » p.1 Eh bien si ! A l’adolescence, se remémore-t-il, « arrondis, souples, liquides, électriques, nos corps donnaient à la musique une consistance heureuse » p.39. A 78 ans, après l’incendie de son appartement et être tombé du lit, cassé de partout et surtout des hanches, il lui reste l’œil et l’imagination. L’un pour le présent, l’autre pour le passé.

« Pourquoi j’écris ? Parce que je ne veux pas crever avant d’être sûr que ce que j’ai vécu a réellement existé » p.98. Les 43 chapitres font deux ou peut-être quatre pages, alternés entre aujourd’hui et hier et pris dans une histoire quasi policière. Né pauvre, n’ayant jamais ouvert un livre de sa vie, il n’a pas moins folâtré qu’un autre. Malgré le fauteuil roulant de sa maison de retraite Les Primevères, chambre Amaryllis, il garde l’œil acide. Comme dans sa jeunesse : « Je ne comprenais pas non plus pourquoi personne n’avait l’idée de créer un illustré racontant les exploits des hommes dans la fonderie » p.32. Au présent, il observe les tarés qui l’entourent : « j’ai fait la connaissance d’un peintre qui ne peint pas et d’un non-muet qui ne veut pas parler » p.78.

Petit Breton monté à Paris après maintes fugues, dépucelé en deux minutes à 16 ans par une pute offerte par un truand qui l’emploie comme mulet, il note finement p.111 qu’« un beau cul est un bon coup ». Des décennies plus tard, revenu de la vie, il dira p.131 : « La volonté et le courage ne valent rien dans l’erreur. Ils accélèrent la chute, c’est tout. Je ne respecte pas l’absurde obstination. — Croire en l’amour, c’est absurde ? — Oui, si l’amour auquel on croit est une chimère. Je ne suis pas pour faire rimer amour et toujours, comme les poètes stériles ou les chansonniers du dimanche ».

Pris ado, en prison pour mineurs, il s’évade du service militaire avant l’Algérie, embarque comme matelot au Havre. Lors d’une escale à Boston, il apprend auprès d’une Jenny « un anglais soutenu alors que mon français était fait d’argot, de patois et d’insultes » p.151. Ensuite ? « J’ai voyagé. J’ai rencontré beaucoup de monde. J’ai fait beaucoup de conneries » p.156, malgré Margarita et les chutes d’Iguaçu. En fait, il tuait « à petit feu l’orphelin en intégrant la grande famille du crime organisé » : « fausse monnaie, faux papiers, entreprises bidon et diverses grosses escroqueries » p.163. Revenu à Paris à 44 ans, il tombe pour un braquage de banque qui a foiré. Et c’est alors que, 35 ans plus tard, dans la maison de retraite Les Primevères… Mais je ne vous dis rien de la suite, c’est trop beau, poignant, humain.

L’auteur de 34 ans en son premier roman n’a pas hésité cependant à donner de ses nouvelles. Son personnage a le cynisme humaniste et le style d’un Céline qui n’aurait pas été paranoïaque (je sais, c’est beaucoup demander). Mais que dire de cet humour réjouissant qui éclate ici ou là :

« À cette époque, Radio Paris dominait les ondes de la France occupée et dépendait du service de propagande allemand. Il y avait bien des décrochages régionaux, mais obtenus par des autonomistes bretons presque aussi fascistes que les occupants. Le poste TSF à accus de marque Telefunken était le seul luxe de la maison. Une marque allemande. Il n’y a pas de limites à la tragédie humaine » p.12.

« — Vous savez Léon, aujourd’hui je suis en pleine forme. — J’en suis ravi. — Et vous voulez savoir pourquoi ? Est-ce que j’ai envie de savoir pourquoi ? Non, je m’en fous comme de ma première dent. Si j’avais un jour voulu savoir pourquoi les gens vont bien ou mal, j’aurais acheté un divan » p.23.

Grave philosophie aussi, celle de la vie : « On ne peut pas vouloir jouir sans arrêt et refuser la merde qui tombe un jour ou l’autre sur notre tête » p.102. Reste quoi, d’ailleurs, de cette vie ? Les souvenirs vécus, qui se ravivent dans le regard des autres. « C’est parce que tu existes dans les yeux de celui qui t’écoute ici et maintenant que ton souvenir a du sens. Si demain la solitude te prend tout entier, tu viendras à douter de ce que tu as vécu. Tu existes avant tout dans le regard de l’autre » p.157. Pas mal pour un ancêtre, un croulant, un débris, un soixante-dix-huit tours mal éduqué et malfrat sur les bords, Léon Pannec alias Léo Faubert.

Ramassé, percutant, célinien, vous pouvez suive Alexandre Feraga en sa première aventure romanesque.

Alexandre Feraga, Je n’ai pas toujours été un vieux con, 2014, Flammarion Le texte vivant, 250 pages, €18.00
Format Kindle, €14.99

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