Après Covid, l’après Macron ?

Si la brutale pandémie de Covid-19 a révélé quelque chose en France, c’est bien l’impéritie de l’organisation administrative et de ceux qui nous gouvernent depuis des années. Le millefeuille des « compétences » aboutit à une incompétence caractérisée ; personne ne sait vraiment qui fait quoi, donc qui est « responsable » (mot exclu du dictionnaire administratif). La « gouvernance » apparaît comme une politique de laisser-faire, laisser-aller, que personne ne contrôle et dont le seul fusible reste le président ; ce qui est politiquement fort malsain.

Après l’épisode Covid aura lieu le rendu des comptes et le bilan est accablant : impréparation, inefficacité, mensonges. Les « gouvernants » ne sont pas des gouverneurs ; ils ne gouvernent en rien mais semblent se laisser gouverner – par les circonstances, le Budget, les Grands principes, « Bruxelles ». Au lieu de décider, ils « consultent » ; au lieu de trancher, ils tergiversent. Le premier tour des élections municipales a été la grande erreur fondatrice du sentiment de méfiance renforcé. Au lieu d’être président, à la De Gaulle, Macron s’est révélé un conciliant à la synthèse molle, à la Hollande. Lui qui prônait objectifs, modernité, efficacité, a montré qu’il ne réussissait pas à les réaliser. Ce jugement est probablement injuste (tout n’a pas été négatif dans la gestion de la crise) mais il est ce que les électeurs retiendront : le chantre de l’Efficace ne s’est pas montré à la hauteur. Rassurons-nous peut-être, sous Hollande cela aurait été pire.

Car qui a désarmé le « système » (l’usine à gaz) sanitaire français ? – les gouvernements de François Hollande. Après le 11-Septembre, l’explosion de l’usine AZF et le SRAS, le chikungunya et la grippe aviaire, les politiciens aux affaires des années 2001 à 2005 mettent en place des stocks de masques chirurgicaux et FFP2. Mais ils sont répartis de façon bordélique entre différents établissements, avec des statuts juridiques différents ! Image édifiante du château de cartes bureaucratique « à la française » qui vise à tout contrôler tout en n’en prenant pas les moyens, dans l’irresponsabilité des « services » qui se renvoient la balle. Excellente idée pour une fois, une véritable industrie française du masque de protection a été mise en place sous délégation de service publics par Xavier Bertrand en 2005.

En 2009, la France dispose donc d’un milliard de masques chirurgicaux et FFP2. Mais la doctrine évolue malheureusement entre 2011 et 2013 : par souci d’économie (et d’importations pas chères de Chine) les masques seront réservés aux hôpitaux et les stocks réduits ; la population sera laissée volontairement à elle-même. Il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas le gouvernement Philippe sous Macron qui a dit le premier que les masques ne servaient à rien pour le grand public, c’est avant tout le gouvernement socialiste Jean-Marc Ayrault (2012-2014).

Une instruction ministérielle du 2 novembre 2011 sur la préparation de la réponse aux situations exceptionnelles de santé (sous François Fillon, 2010-2012) distingue deux types de stocks : les « stratégiques » détenus et gérés par l’EPRUS créé en 2007 (Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) et les « tactiques » dans certains « établissements de santé » de première ligne. Mais c’est le Secrétariat général de la sûreté et de la défense nationale (SGDSN) qui édicte le 13 mai 2013 une doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire : aux entreprises de fournir les masques et d’en apprécier « l’opportunité » – autrement dit, « l’Etat c’est pas moi », les Ayrault ne seront pas les héros.

Puisque le port des masques FFP2 n’est plus conseillé par le Haut conseil de la santé publique depuis 2011, pourquoi entretenir un stock de masques professionnels ? Et puisque c’est aux employeurs de se démerder pour leurs salariés depuis 2013, pourquoi entretenir un stock de masques grand public ? Economies obligent, l’État ne va pas reconduire la convention signée avec le producteur de masques… et laisser casser une industrie qu’il avait lui-même créée ! Elle ferme ses portes en 2018. Telle est l’imbécilité à la française « que le monde nous envie » (disent les plus cons).

Lorsque survient le Covid-19 en 2020, les stocks sont minimes (100 millions de masques au lieu d’1 milliard dix ans plus tôt) et dilués entre les acteurs : Santé publique France, une centaine d’établissements de santé dont la gestion des masques dépend des Agences Régionales de Santé, enfin tous les employeurs de France, entreprises, régions, ministères, et le reste. Autrement dit, personne ne sait rien sur rien et commande dans son coin. De quoi être incapable de négocier les prix et ne recevoir que des commandes de seconde main, après toutes les commandes majeures des autres pays, plus avisés. L’économie, chez les fonctionnaires de la bureaucratie à la française, n’a jamais été étudiée de près : en 1974 à Science Po Paris, elle se réduisait à « la Banque de France et au Budget de l’Etat » !

Macron était réputé être mieux au fait de l’économie et de l’organisation publique : las ! il n’a pas voulu mécontenter « les syndicats » et a plutôt contenté l’économie privée avec ses réformes, probablement utiles mais pas régaliennes. Les « régions » ne sont que des découpages technocratiques sans âme ni répartition claire des compétences (la preuve, tout revient dans la gestion du déconfinement aux départements). Les administrations centrales ne sont pas réorganisées ni contrôlées, chacun tirant la couverture à lui dans son petit coin, sans vue d’ensemble. La santé est la dernière roue du carrosse, coûtant « toujours plus » sans réorganisation des missions (les « urgences » qui accueillent n’importe quoi de pas urgent du tout) ni des budgets (rabot général sur tout sans discrimination).

Les hauts fonctionnaires ont clairement montré dans l’action réelle et immédiate réclamée par le Covid leur niveau d’incompétence. Le président qui avait promis l’efficacité moderne se débat dans le bordel traditionnel d’une Administration aussi tentaculaire que procédurière et incontrôlée. Le mensonge, le storytelling si bête de la porte-parole du gouvernement sur les masques qui ne servent à rien pour les gens, ont desservi l’image. Comment faire encore confiance à ces gens pour redresser la barre et tenir les rênes du pays ?

D’où l’intuition qu’après le Covid pourrait bien avoir lieu l’après Macron.

Mais qui mettre à la place ? Certainement pas les inconséquents, incompétents, manipulateurs de « belle histoire « des extrêmes populistes. Probablement pas les écolos, toujours dans l’incantation, la grande peur millénariste du climat et la promotion de la décroissance. Les gens ont mesuré durant deux mois ce que signifie « la décroissance » : une vraie chute du niveau de vie et un chômage massif qui va durer. Quant aux émissions de particules fines, après deux mois sans avions ni voitures, ni usines… seulement 5% en moins ! Autrement dit, avions et bagnoles ne sont pas les causes principales de la dégradation du climat : voudrait-on éviter de parler d’autre chose ? Des épandages agricoles par exemple ? Resterait le « parti socialiste » mais, après la gestion calamiteuse Ayrault et Macron du stock « stratégique » de masques et de leur production française tout aussi « stratégique », autant garder le Macron du « en même temps », nettement moins doctrinaire que les ex du PS. Alors qui ? L’opposition de droite ? Son insistance malvenue pour que se tienne le premier tour des municipales, juste avant le confinement, montre qu’ils sont plus dans la posture des petits jeux de pouvoirs que dans celle de la gestion du pays.

Il nous faut des gens neufs. Mais qui ?


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6 réflexions sur “Après Covid, l’après Macron ?

  1. Pingback: "Un bon roman d’entreprise qui sonne comme une vérité vécue" selon Argoul - Guilaine Depis, attachée de presse

  2. Pingback: Paula Marchioni, N’en fais pas une affaire personnelle | argoul

  3. Je te rejoins sur bien des points et veux croire au changement de mentalités. Quant à Macron, il sera réélu; faute de grives, on mange des merles, même moqueurs. À moins que la France profonde et moins profonde donne sa « chance » à Marine LP. Ici aussi, je veux croire à la lucidité des Français, qui entre deux maux…

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  4. Je faisais référence à l’entretien avec Nicolas Hulot dans la Matinale du 6 mai sur France-Inter (France-tout le matin car j’étais censé écouter France-Culture). https://www.franceinter.fr/emissions/le-7-9/le-7-9-06-mai-2020
    Mais si les effets bénéfiques sont de 30 à 50%, on ne peut que se demander d’où vient le reste ! Accuser sempiternellement la bagnole et les avions est donc partial – et bien boucs émissaires de nantis retraités ou fonctionnaires. Les Gilets jaunes l’ont amplement manifesté, même si leur « mouvement » n’aboutit politiquement à rien (un sac de pommes de terre aurait dit Marx – Karl, pas Thierry le cuisinier).
    Pour le global, je suis en accord avec ce que tu formules en écrivant : « la conviction d’un changement nécessaire de l’économie, trop axée sur l’obsolescence programmée, la délocalisation et le profit éhonté au détriment d’une exploitation raisonnée des ressources naturelles. J’aimerais aussi un contrôle public de l’investissement et du crédit ».
    L’Etat doit être régulateur et imposer la politique au-dessus de l’économie. Sauf que nous vivons dans une société d’humains, et pas dans la théorie. Les « hauts » fonctionnaires sortis des « grandes « écoles sont quasi tous issus des milieux « favorisés » et prennent l’idéologie de leur vase clos. En France particulièrement, la culture des prépas et des écoles de l’élite pousse au conformisme du « bon élève ». J’en ai vu dans les banques : s’ils ne connaissent rien à la finance et peu à l’économie, ils copient les « modèles ». Les écoles américaines en premier : ils sont plus ultralibéraux que les ultralibéraux yankees. Sans voir ou en refusant de voir (par allégeance et souci de se faire bien voir des banques internationales des Etats-Unis) que l’Etat fédéral américain est éminemment politique : America first, mes intérêts d’abord, vous suivez ou vous êtes mort.
    Les penseurs politiques européens ont toujours mis la politique avant l’économie (même Marx) : le « capitalisme » n’existe pas sans Etat qui assure le cadre légal et le bon fonctionnement en cas de dérapage (spéculation, arnaque, monopole…) J’ai écrit de multiples notes sur le blog. Une sur le capitalisme comme système https://argoul.com/2017/01/16/quest-ce-que-le-capitalisme/, une autre sur Joseph Schumpeter pour sa variante européenne https://argoul.com/2016/06/16/le-capitalisme-de-joseph-schumpeter/
    Je mentionne dans une note très récente https://argoul.com/2020/05/05/grande-peur-ravivee-par-le-covid/ que « quelque chose aura changé (peut-être) dans les mentalités. Un recentrage sur les vrais métiers (alimentaire, santé, artisanat, communications numériques ?) au détriment des futilités (foot surévalué et surpayé, « spectacles » sans intérêt, spéculation financière vide ?), retour aux vrais amis et aux proches (bien oubliés jusqu’ici dans le « virtuel » et les EHPAD ?), bifurcation politique (plus de souverainisme, plus d’achat français et local, cesser de jargonner globish, aspiration à plus de participation, de décentralisation, de parler franc ? de « solidarité » réelle peut-être ?), désurbanisation possible (pour les nantis qui peuvent financer deux résidences ou travailler à distance ?), voire retour à la terre, sinon à « la nature » (concept flou) ? »

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  5. Je suis habitué à la mauvaise foi d’Argoul, de bon aloi dans la polémique, au sujet de thèmes écologiques. Mieux vaut la contradiction que le préjugé. Mais réduire l’impact du confinement à la seule statistique des particules fines confine à l’intoxication. À cette donnée solitaire, je juxtapose deux informations.
    La première, onze mille décès attribués à la pollution atmosphérique ont été évités en Belgique depuis le début du confinement. La seconde émane du climatologue Jean Jouzel ; il situe la mortalité annuelle relevant de la pollution de l’air dans une fourchette allant de cinq à neuf millions de personnes dans le monde. J’ajoute le bulletin d’Air Parif du 21 avril 2020 sur l’effet du confinement sur un mois:

    « une amélioration conséquente de la qualité de l’air pour le dioxyde d’azote (polluant local principalement émis par le trafic) de -20% à -35% selon les semaines et jusqu’à -50% le long du trafic. Ce que confirme l’évaluation nationale diffusée ce jour par Atmo France, fédération des associations indépendantes en charge de la surveillance et de l’information sur la qualité de l’air comme Airparif, à partir des mesures de stations représentatives de l’exposition de la population à la pollution due au trafic dans les grandes agglomérations françaises. Sur les oxydes d’azote, ces baisses sont encore plus conséquentes : de -30 à -75% selon les villes françaises (https://atmo-france.org/covid-19/) ;
    un co-bénéfice de -30% sur les émissions CO2, gaz à effet de serre ;
    mais un impact moindre pour les particules (PM10 et PM2,5), dont les sources sont à la fois plus nombreuses et pas seulement locales. »
    Mais plutôt que de nous livrer à une bataille statistique, ne pourrions-nous pas converger vers la conviction d’un changement nécessaire de l’économie, trop axée sur l’obsolescence programmée, la délocalisation et le profit éhonté au détriment d’une exploitation raisonnée des ressources naturelles.
    J’aimerais aussi un contrôle public de l’investissement et du crédit, surtout des fonds publics déversés à tort à et à travers. J’ai en tête, l’achat récent par la Banque centrale européenne de la dette d’entreprises telles Shell et Total, cette dernière ayant versé 1.8 milliard d’euros de dividende trimestriel à ses actionnaires en ce début d’année. Une chiffre encore, mais marquant.

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  6. alainrivier

    Il va falloir en effet se débraser très vite de cet incapable malfaisant et de sa clique d’amateurs et frappée d’une incompétence notoire.

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