Articles tagués : démographie

La Russie se complaît en forteresse assiégée

Dans une thèse parue il y a trente ans, l’auteur qui analysait l’image de l’URSS dans la presse française concluait que le pays (réduit depuis à la seule Fédération de Russie), aimait à se sentir persécuté. Il faisait nid pour mieux construire son utopie. A-t-il changé ? Il semble que les constantes longues de l’histoire et de la mentalité russe conduisent à répondre aujourd’hui : non.

Le résumé de sa troisième partie est éclairant aujourd’hui, à propos des Quêtes de la Russie :

« L’opinion française, dont la presse se fait échos et qu’elle traduit dans son discours, a une vision triple de l’URSS au début des années 1980 :

1 dialectique, « l’URSS encerclée » (sacrilège), recherchant sa protection pour construire la cité idéale ;

2 d’exclusion, « la Russie arriérée » (lâcheté), cultivant leur héroïsme inutile dans une Babel ingouvernable ;

3 analogique, « l’empire éclaté » (laisser-aller), désirant l’ordre pour arriver à l’âge d’or. »

1. Le sacrilège de lèse Russie

Le livre récent de Pierre Gonneau, La guerre russe ou le prix de l’empire, d’Ivan le Terrible à Poutine, montre la continuité de l’angoisse russe de se sentir une forteresse assiégée. L’histoire est sans cesse reconstruite et instrumentalisée par les différents régimes pour justifier la guerre au nom de la défense d’une terre sacrée depuis le XVIe siècle. La Troisième Rome ne saurait mourir, ni être envahie, ni être inféodée. L’idée impériale exige la guerre au nom de la mission civilisatrice de la Russie, qui se veut empire pour mille ans.

Cette quête synthétique dialectique qualifie la jeunesse au nom de l’élan vital (analogue à celui que Hitler prônait pour les Aryens) pour conquérir la Cité idéale contre les dissidents et le Mal occidental, pour une civilisation russe affirmée.

2. Le rocher de Sisyphe de la Babel ingouvernable

La Russie est un territoire immense et « multiethnique » comme le dit Poutine (terme que ni Le Pen , ni Zemmour ne reprennent curieusement dans leur admiration sans faille pour l’homme fort du Kremlin). La Russie est donc difficilement gouvernable, sauf par autocratie et despotisme asiatique. Il faut centraliser, surveiller et punir. État fort, dictateur populiste (faute d’être populaire), élections truquées, répression des opposants, services de force. La Russie s’exclut naturellement des démocraties éclairées et choisit la voie d’Ivan le Terrible plutôt que celle de Catherine II ou de Pierre le Grand. Cet héroïsme d’obstiné à rester solitaire est, au fond, une lâcheté. Persévérer dans ses erreurs au lieu d’apprendre des autres – de l’Occident ou de la Chine – est une faute. La Chine, communiste comme l’URSS, a su assurer avec succès son virage vers la puissance grâce à l’économie de marché, toujours contrôlée par le Parti unique. Pas la Russie, enfoncée en mafias et oligarques soumis au régime.

Cette quête héroïque exclut (on aime le martyre en Russie orthodoxe) en qualifiant le peuple barbare (contre ses élites occidentalisées) pour consolider le colosse aux pieds fragiles qu’est la Babel russe, contre le capitalisme impérialiste américain et les valeurs du vieil homme démocratique inverti (dixit Poutine selon ses fantasmes – étonnant que le nombre d’enfants par femme soit supérieur en France LGBTQIA+ à celui de la Russie « tradi »). Tout cela pour un pays nouveau régénéré.

3. L’ordre doit régner pour que l’empire n’éclate pas

Or il a éclaté en 1991 avec les républiques-sœurs qui se sont empressées de déclarer leur indépendance pour ne plus être soumise au colonialisme de Moscou (oui, colonialisme, c’est le sentiment des républiques ex-soviétiques). Ce laisser-aller est le principal reproche de Poutine à son mentor Eltsine et à Gorbatchev qui a affaibli le système immobiliste de Brejnev. Retour à Staline et aux tsars ! Guerre meurtrière en Tchétchénie, mise au pas de la Géorgie, récupération de la Crimée, tentative de soumission de l’Ukraine, alimentation récurrente des dissidences en Moldavie, en Lettonie – et menaces sur les autres états baltes et la Pologne. Poutine fait les gros yeux avec de petits moyens pour assurer ce qu’il croit être l’âge d’or de la promesse historique : devenir la Troisième Rome, le maître de l’Europe, faisant jeu égal avec la Chine en Asie et les États-Unis en Amérique.

Cette quête mystique s’oppose à l’éclatement de l’empire pour restaurer le Léviathan tsariste et stalinien en rétablissant l’ordre nécessaire, au risque de l’Apocalypse (nucléaire), contre le poison (décadent) occidental et les vampires (spéculateurs) des oligarques non inféodés (contrairement aux spéculateurs oligarques « patriotes » qui versent leur obole à la mafia). Cela pour assurer l’Arche salvatrice, l’île au milieu de la tempête du monde, le nouvel Age d’or russe protégé des miasmes (tentateurs) de l’Occident.

Or ces tropismes russes sont de fausses quêtes.

« Pour Alexandre Soljenitsyne [Comment réaménager notre Russie], le communisme est une parenthèse qu’il faut laisser se refermer. Les Russes doivent retrouver les valeurs qui sont les leurs : la morale, la religion, la solidarité. Il ne s’agit pas de transformer le régime, mais de l’abandonner. Les Russes sont les nationaux de l’URSS qui ont le plus souffert de l’empire, ils doivent le laisser éclater pour se retrouver eux-mêmes. »

« Pour Hélène Carrère d’Encausse [L’empire éclaté], l’empire n’était pas viable et la question des nationalités n’a jamais été résolue, contrairement au discours officiel. L’évolution différente des démographies nationales créait à elle seule un problème, les Russes dominants étant de moins en moins nombreux dans l’appareil et dans l’armée, l’éducation croissante des autres nationalités ne leur permettant pas de rester éternellement en tutelle. S’il devait « éclater », l’empire engendrerait un retour sur elles-mêmes des populations russe et slave, et sans doute une modification de régime. »

La quête de Poutine reste un mythe, pas très efficace de nos jours, dans un pays en déclin démographique, économique et politique. « La Nature bucolique de Virgile, poète lyrique qui chante l’accord nécessaire de l’homme avec la terre et les bois pour vivre un âge d’or (les Bucoliques), la rédemption par le labeur fécondant (les Géorgiques), pour réunir l’humanité dans une cité modèle universelle : Rome (l’Enéide). »

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Poutine sur ce blog

Russie sur ce blog

Catégories : Géopolitique, Russie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Poster un commentaire

Hélène Carrère d’Encausse que j’ai connue

Hélène Zourabichvili, épouse Carrère, dit d’Encausse, était une grande dame. Une immigrée géorgienne dont les parents avaient fui la révolution bolchévique. Apatride jusqu’à 21 ans, elle a donné à la France trois enfants devenus célèbres, Emmanuel l’écrivain, Nathalie l’avocate et Marina médecin médiatique ainsi qu’une œuvre de soviétologue. Elle est entrée à la Sorbonne, à Science Po et à l’Académie.

Elle est décédée paisiblement à 94 ans le 5 août 2023.

J’ai eu l’honneur et le bonheur de l’avoir comme professeur à la Sorbonne deux ans après le livre qui l’a rendue célèbre, L’empire éclaté, et d’effectuer sous sa direction mon mémoire de DEA de Science politique (diplôme d’études approfondies, l’ancêtre du master 2) en relations internationales. Le thème : l’URSS bien-sûr.

Sa thèse d’État portait déjà en 1976 sur Bolchevisme et Nations. On sait que ce sont les secondes qui l’ont emporté sur le premier, malgré l’idéalisme abstrait des intellos occidentaux. Grâce à elle, à son réalisme, à sa raison, à son goût d’aller voir et de lire le russe, j’ai pu prendre conscience que le communisme était une religion qui enfumait les esprits en France et notamment les étudiants shooté à l’opium du peuple. Presque tout le monde se disait marxiste, c’était la mode, le conformisme, tout comme la clope et la baise.

Il faut s’en souvenir, Sartre tonnait contre tous ceux qui ne pensaient pas comme Staline, osant affirmer que « tout anticommuniste est un chien ». Pauvre Sartre, pauvre génération intolérante et sectaire. Hélène le professeur, Hélène la chercheuse, a ouvert les yeux et donné la méthode pour se sortir des illusions : il suffit d’observer et d’analyser avec esprit critique, en recoupant les sources et les témoignages, pour se faire sa propre opinion.

L’empire éclaté analysait les fractures de l’URSS, union factice de républiques qui n’en avaient que le nom, socialistes à la manière de Lénine (on discute mais c’est moi qui décide), faussement soviétiques puisque les soviets n’avaient aucun pouvoir. La thèse était démographique : la population d’origine musulmane faisait plus d’enfants que la population chrétienne ; elle était appelée à devenir majoritaire en Union soviétique alors que la classe dirigeante du Parti, de l’armée et de l’industrie était d’origine russe de culture européenne. La légitimité du pouvoir politique pouvait donc être remise en cause dans le futur.

Si ce n’est pas ce qui a fait chuter l’URSS, minée par ses contradictions et notamment son économie bureaucratique et gaspilleuse, il reste que c’est bien cette crainte du « grand remplacement » qui anime Poutine et ses sbires aujourd’hui (tout comme les petits Blancs de Trump et les zemmouriens en France). Les musulmans et autres minorités sont envoyés en première ligne par l’armée de Poutine pour décimer leur population, tandis que les « blancs » sont mis en réserve. L’idéologie nationaliste poutinienne est clairement xénophobe. Quant à l’État, il est aux mains de mafias que le Kremlin arbitre, le but ultime étant de défendre la chose nôtre (Cosa nostra).

Hélène Carrère d’Encausse fut un grand professeur, même si elle fut une mère peu attentive et à éclipses, alternant de grands moments de fusion avec des plages de délaissements dues à ses nombreuses activités. Personne ne peut être parfait, surtout pas un parent.

L’empire éclaté format e-book Kindle, €8,49

Catégories : Géopolitique, Livres, Russie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Krause et Trappe, Le voyage de nos gènes

Un voyage passionnant dans l’archéogénétique, science récente due à l’accélération des possibilités de calcul numérique ces vingt dernières années. Le séquençage de l’ADN humain, décodé à grand peine en 2003 (il a fallu dix ans), est aujourd’hui beaucoup plus facile, rapide et moins cher : « La capacité de traitement de nos machines a été multiplié par 100 millions au cours des 12 dernières années, si bien qu’un seul séquenceur est capable de décoder le nombre vertigineux de 300 génomes humains par jour » p.19. D’où la multiplication des squelettes anciens décodés.

Ce qui amène l’institut d’Iéna sous la direction de Svante Pääbo à l’étude des migrations, depuis le dernier ancêtre commun aux Sapiens, Néandertaliens et Denisoviens. Les premiers hommes modernes ont quitté l’Afrique environ 600 000 ans avant aujourd’hui. Certains sont partis vers l’est à travers le Caucase, les Denisoviens ; les autres sont partis vers l’ouest au travers des Balkans, ce sont les Néandertaliens. Vers 50 000 ans avant aujourd’hui, une seconde diffusion des hommes modernes depuis l’Afrique a lieu, les Sapiens dont nous portons encore la trace génétique. Certains bifurquent vers l’Europe centrale, d’autres vers l’Europe de l’Ouest en contournant les Alpes couvertes de glaciers. Vers 38 000 ans avant le présent, les Néandertaliens sont repoussés par les Sapiens et disparaissent, parfois en se fondant par copulation avec eux (2 à 5 % de gènes néandertaliens subsistent dans les populations actuelles). On soupçonne le climat qui s’est refroidi de 4°C à cause d’une explosion du volcan napolitain des champs Phlégréens il y a environ 39 000 ans, permettant une meilleure adaptation du Sapiens grâce à ses qualités d’action collective.

C’est le règne des chasseurs-cueilleurs artistes de l’Aurignacien, du Gravettien et du Magdalénien, dont les grottes ornées enchantent les préhistoriens, les artistes et les touristes à Lascaux, Chauvet, Cosquer, Altamira, etc. A la fin de cette période glaciaire, il y a environ 18 000 ans, les Européens ont rencontré les humains des Balkans venus d’Anatolie et se sont mélangés ; ils avaient les yeux bleus et la peau sombre. Le recul des glaciers a favorisé les échanges techniques, commerciaux et génétiques.

Avec l’arrivée de l’holocène il y a 11 700 ans, le climat se réchauffe et les migrations reprennent, encouragées par l’émergence du pastoralisme et de l’agriculture. Ce deux modes de vie sont nés dans le Croissant fertile du Proche-Orient, où le climat est le plus favorable. Vers 14000 avant aujourd’hui, ce sont les Natoufiens au nord de l’Egypte ; vers 11 000 les populations vont migrer depuis le Croissant fertile du Liban-Syrie-Irak vers le Taurus, atteint 9000 ans avant puis vers le Caucase. Ils atteindront l’Europe centrale 8500 avant et l’Europe de l’Ouest environ 7500 avant, jusqu’à la Scandinavie 6200 ans avant. En deux cultures, celle de la céramique cardiale au sud en longeant la Méditerranée, et celle de la céramique rubanée au nord. Au mésolithique, on avait beaucoup d’enfants, allaités jusque vers l’âge de 6 ans faute de lait animal et de céréales ; ce néolithique importé va tout changer et submerger par la démographie les anciennes populations qui s’y sont mélangées.

Survient alors « l’heure des jeunes hommes célibataires », selon le titre du chapitre. La culture Yamna au nord du Caucase essaime vers 5200 avant aujourd’hui vers l’ouest, créant la culture de la céramique cordée, puis la culture campaniforme, selon les formes des poteries découvertes par les archéologues (décors en corde appliquée ou tournure des pots en cloche). Vers 4200 avant, c’est le début de l’âge du bronze en Europe de l’ouest, amené par ces cavaliers de la culture Yamna armés de haches de guerre qui ont occupé des lieux quasi déserts (peut-être décimés par la première épidémie de peste à l’âge de pierre). Ce pourquoi les nouveaux immigrés mâles des steppes s’imposent génétiquement : « 80 à 90 % des chromosomes Y que l’on recense à l’âge du bronze étaient jusqu’alors absents en Europe, en revanche il en allait autrement dans la steppe » p.122.

Ces immigrants du nord Caucase apportent avec eux une langue, qui donnera toutes les langues européennes. Cet « indo-européen », reconstitué avec les mêmes procédés que la génétique, serait parti de la région d’Irak vers 8000 avant pour créer vers l’est les langues de l’Iran et du nord de l’Inde, vers l’ouest les langues anatolienne et hittite, le grec ancien Linéaire B et l’Albanais, et vers le nord depuis la culture Yamna les langues balto-slaves, germaniques, celtiques et romanes. Seuls ont résisté quelques îlots non indo-européens comme le Linéaire A minoen (disparu avec l’explosion du volcan à Santorin), le proto-sarde et l’étrusque, le basque, le hongrois, l’estonien et le finnois. A noter que le turc comme les langues sémites ne sont pas d’origine indo-européenne. Mais l’interconnexion génétique s’est faite comme partout ailleurs et les langues ne permettent pas d’ancrer une « population » spécifique sur le territoire qu’elles occupent.

Deux chapitres finaux évoquent les pandémies qui ont accompagné les humains depuis leur sédentarisation néolithique et leur promiscuité sans hygiène avec les animaux. Ce sont la peste véhiculée par le rat noir, la lèpre par l’écureuil roux, la tuberculose par les bovins et par les phoques, la syphilis par le singe, les parathyphoïdes, puis les maladies épidémiques plus récentes comme la grippe, la variole, le sida et les Sars Cov. Le premier bacille de la peste simple est attesté dans la culture Yamna au nord Caucase vers 4900 avant aujourd’hui, le premier bacille de la peste bubonique (beaucoup plus contagieuse car se diffusant par lla respiration) vers 3800 avant. La peste de Justinien (540 à 750) a probablement aidé à chuter l’empire romain ; la peste noire (1346 à 1351) a éradiqué environ une personne sur deux dans toute l’Europe, concourant à la chute de l’empire byzantin et de la dynastie Yuan en Chine.

L’histoire de l’Europe est donc faite de migrations successives venues du Proche-Orient il y a 40 000 ans, 8000 ans et 5000 ans, de fluctuations sévères du climat dues aux glaciations et aux volcans, aux épidémies sporadiques dues aux bactéries et aux virus, aux nouvelles techniques de l’agriculture, de la domestication du cheval et de la fonte d’armes et d’outils en bronze, de constants et nombreux échanges commerciaux et des femmes entre les groupes humains encore peu nombreux.

Ces études sont littéralement passionnantes car nouvelles et fondées scientifiquement plus que les spéculations portant jusqu’ici sur les seuls restes techniques retrouvés dans les fouilles.

En revanche, le parti-pris idéologique mondialiste et dans le courant à la mode de l’un des auteurs agace. Si Johannes Krause est chercheur et directeur du département d’archéogénétique de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig, Thomas Krappe est simple journaliste spécialisé dans les questions sanitaires. Son discours veut à tout pris se démarquer des théories racistes du nazisme, encore sensibles en Allemagne. Mais à trop vouloir prouver, on se ridiculise. Pas besoin d’user d’un vocabulaire démagogique comme « l’avenir, c’est les immigrés », « la chute de la forteresse Europe », « la langue comme instrument de domination », « l’invention du patriarcat » et ainsi de suite pour raconter l’histoire des gènes ! Ce défaut du livre est regrettable car la science doit rester neutre et ne pas être prise pour prétexte à des idées toutes faites.

Pour sa partie scientifique, en pleine essor, je ne peux cependant que vous recommander de lire ce livre qui renouvelle nos connaissances sur le peuplement du monde – et de l’Europe en particulier.

Johannes Krause et Thomas Trappe, Le voyage de nos gènes – Comment les migrations ont fait de nous ce que nous sommes, 2021, Odile Jacob 2022, 283 pages, €23,90

Catégories : Archéologie, Livres, Science | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Vladimir Poutine

Dans cet essai de biographie intellectuelle du dirigeant russe, paru en 2015 et révisé début 2022, l’auteur dresse le portrait d’un apparatchik soviétique devenu président de la Fédération de Russie après dix années de chaos Eltsine. Il prend ses marques par petites touches avant de devenir « souverain démocratique » avant – péché d’orgueil – d’agresser ses « frères » d’Ukraine au prétexte de « nazisme ». Parabole de la paille et de la poutre : comment en est-il arrivé à cette extrémité qui le déconsidère définitivement ?

Poutine n’est pas philosophe ; il préfère l’histoire et le sport. « Il n’est pas un intellectuel. Il adore raconter sa jeunesse de voyou et d’espion plutôt que d’évoquer ses études à la faculté de droit de Saint-Pétersbourg » p.7. C’est un pragmatique qui veut rester au pouvoir pour imposer sa conception du bien à sa population et a gardé une façon typiquement soviétique de voir le monde. Pour lui, seules les puissances nucléaires mènent le jeu et les organismes internationaux ne sont que des Machins (comme disait de Gaulle). « Il ne souhaite pas imposer une idéologie d’État sur le mode soviétique » p.7. Mais il est aussi un réaliste, conscient – jusqu’à il y a peu – des rapports de force. « Il ne dit pas les mêmes choses aux uns et aux autres. A ses amis européens, il cite Kant et proteste de l’européanité profonde de la Russie. Mais lorsqu’il se rend en Asie (…) c’est différent (…) il charge l’Occident et sa politique humanitaire » p.40.

Poutine est influencé par des penseurs russes. Il n’est pas marxiste-léniniste et préfère largement Staline (le nationaliste) à Lénine (l’internationaliste). Il a évolué, non qu’il ait changé de convictions « mais il a de plus en plus osé les exprimer » p.10. Il est revanchard de la chute de l’URSS et croit en la mission de la « civilisation russe », unique en Europe, et inégalée face à une Union européenne décadente et pourrie (selon lui) par l’argent et l’immoralité, « la propagande pédophile » p.69. Il veut un développement séparé et se pose en sauveur conservateur de la chrétienté européenne. « Vladimir Poutine, étrangement, semble surtout obsédé par une question, celle de l’homosexualité » p.77. Comme Hitler les Juifs, l’homosexualité pour Poutine paraît névrotique, comme une réaction effrayée et hystérique face à ses propres démons, génétiques pour l’un, pulsions pour l’autre.

Le conservatisme de Soljenitsyne lui sied, même s’il n’en garde que ce qui l’arrange ; c’est l’URSS militaire qui a fait reculer Hitler à Stalingrad, en plein hiver et a enchanté l’imagination du jeune Vladimir. « La culture de la guerre permanente est aussi celle de la victoire. Et celle-ci, aux yeux des dirigeants russes et soviétiques, donne des droits » p.19. Il s’agit d’une « supériorité morale dans les relations internationales » à défendre les positions russes fondamentales – d’où la revendication sur l’Ukraine pour « réparer le mal » p.25 dû à la chute de l’empire soviétique. L’humiliation de l’intervention Otan en Serbie et au Kosovo doit être vengée. D’où l’Ossétie du sud, la Crimée, les républiques séparatistes du Donbass. Laissez-le faire et il fera comme Hitler avec les territoires irrédentistes peuplés d’Allemands avant la Seconde guerre mondiale : il les annexera sans procès, avec l’habillage juridique adéquat (demande du pays frère, référendum en urgence, vote de la Douma) – ou par la guerre ouverte.

Ivan Ilyine est son penseur de référence, dont l’acteur et cinéaste Nikita Mikhalkov lui a parlé. Spécialiste de Hegel opposé à la révolution de 1917 et expulsé d’URSS en 1922, il « veut démontrer qu’on ne viole pas l’éthique chrétienne – à laquelle il se rattache – lorsque l’on s’oppose au mal, au besoin par la force » p.47. Poutine l’appliquera aux Tchétchènes, aux oligarques antagonistes (14 morts par « suicide » de plusieurs balles depuis quelques mois), à l’Otan, à l’opposition démocratique. Selon Berdaiev, Ilyine « a été contaminé par le poison du bolchevisme » p.48 : au nom du bien absolu il s’oppose par la force au mal. D’ailleurs Ilyine encensera les nazis en 1933, la fusion autour de l’idée nationale, l’éducation patriotique de la jeunesse, la défense de la famille traditionnelle, minimisant la persécution des Juifs. A la fin de sa vie, Ilyine penchera plutôt pour Franco et Salazar. Poutine, en effet, se montre de plus en plus conservateur chrétien autoritaire, comme ces deux-là – et comme Pétain. D’où le panégyrique de réhabilitation de Zemmour, très tenté par la vision Poutine, sur le maréchal.

La verticale du pouvoir – la dictature démocratique- et la démocratie souveraine – le nationalisme missionnaire – sont contenus dans Ilyine et repris avec délectation par Poutine. L’hégélianisme se retrouve dans une conception de la Russie comme acteur accomplissant l’Histoire, un « organisme historiquement formé et culturellement justifié » p.56. Un être original d’Eurasie selon Lev Goumilev, troisième continent, monde à part, voire troisième Rome. Que Poutine construit comme une Union européenne avec l’Union eurasiatique. Sauf qu’avec 145 millions d’habitants entre 500 millions d’habitants ouest-européens et les 1,4 milliards de Chinois, c’est plutôt mal parti ! D’où la hantise de l’homosexualité, de la « pédophilie » et du transgenre chez Poutine, qui restreint l’adoption d’un enfant russe par un étranger, la propagande homosexuelle dans les médias, les droits des LGBT, l’avortement. A noter que lui-même n’a eu que deux enfants, deux filles.

Leontiev est un autre penseur fétiche de Poutine. Aristocrate aventurier et mystique, il « hait l’Europe moderne » de la liberté, de l’égalité et de la laïcité et « exalte au contraire les formes sévères et hiérarchiques de l’Église byzantine » p.73. Il prophétise qu’une Europe fédérale finira par engloutir la Russie, cet « Etat-civilisation » où la diversité devient unité. La Révolution conservatrice allemande, si chère aux yeux d’unhttps://argoul.com/2015/05/25/alain-de-benoist-memoire-vive/ Alain de Benoist, est proche de Leontiev ; elle a préparé le nazisme. Elle prépare « la voie russe » pour Poutine, influencé aussi par Nicolas Danilevski qui proposait, en 1871, « une union de tous les Slaves sous la direction de la Russie » p.95. Pour eux – Danilevski et Poutine – « la lutte avec l’Occident est le seul moyen salutaire pour la guérison de notre culture russe, comme pour la progression de la sympathie panslave » p.96. Ses arguments – comme ceux des nazis – sont issus, écrit Eltchaninoff, des sciences naturelles « par la doctrine des races et des types d’évolution » p.98. Rien de moins.

Le chapitre X de cette édition augmentée fait le point depuis 2015 : il s’agit d’une « montée aux extrêmes ». D’où la Crimée, la Syrie, l’Ukraine – demain qui ? Les pays baltes ? La Géorgie ? La Moldavie ? Dans Les démons de Dostoïevski, un livre favori de Poutine, le nihiliste révolutionnaire donne la clé du succès en politique : « l’essentiel, c’est la légende. Pour obtenir le pouvoir et le garder, il faut remplacer les nuances de la réalité par la flamboyance du récit sacré, puis appliquer ce mythe à ce qui existe, au prix de la violence » p.196. Tout le programme du dictateur Poutine, comme celui des prétendants dictateurs que sont Zemmour, Le Pen, Mélenchon – ou Rousseau. L’archéo-conservateur antimoderniste « Poutine rend à la Russie sa vocation idéologique internationale. Le conservatisme identitaire doit devenir un phare pour tous les peuples du monde » p.171.

Nous avons au contraire, en Europe occidentale, le mythe de la vérité et de la liberté, des nuances de la réalité et du débat contradictoire. Nous comprenons Poutine, nous le combattons.

Un grand livre bien écrit et de lecture passionnante, en plein cœur de l’actualité.

Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Vladimir Poutine – édition augmentée, 2022, 198 pages, €7,50 e-book Kindle €7,49

Catégories : Géopolitique, Livres, Russie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Philippe Zaouati, Discours sur l’état de l’Union

2034, dans trente ans au premier janvier, le président des États-Unis doit prononcer son rituel discours sur l’état de l’Union, immuable depuis 1913. Mais l’heure est grave, le monde va s’effondrer. La crise climatique atteint son paroxysme avec inondations, canicules, feux de forêt, ouragans et, malgré les efforts, tout continue comme avant. Inertie sociale, habitudes de comportement, effet système du capitalisme, c’est toujours la même chose : encore plus de croissance, encore plus de technologie, encore plus de progrès.

Malgré les efforts vertueux dont la Suède est l’exemple parfait, sous la houlette de la Thunberg, devenu Première ministre : « Son pays est un exemple de sobriété célébré par toutes les bonnes consciences écologistes, un pays tout proche d’atteindre la neutralité carbone, en avance de dix ans sur les prévisions, un pays où la vente de véhicules à essence est interdite depuis trois ans, où toutes les centrales thermiques ont été fermées, un pays dans lequel le recyclage est devenu une filière industrielle majeure. Quel bénéfice les Suédois en tirent-ils, au-delà du respect de la communauté internationale ? Pratiquement aucun » p.27.

Le plan de bon sens d’adapter le modèle de production à une énergie décarbonée, de pousser la recherche de solutions technologiques, de promouvoir la coopération internationale – tous ces poncifs des années 2010 ont échoué. Pourquoi ? Par ces vices vieux comme le monde et les hommes : le nationalisme, l’égoïsme, le chacun pour soi – sans aucun Dieu pour tous.

Aujourd’hui, 2034, la démographie est la principale cause : « Quelques pays seulement sont responsables de la moitié de cette hausse : en Asie, ce sont l’Inde et le Pakistan, en Afrique, ce sont le Nigeria, le Congo, l’Éthiopie, la Tanzanie et l’Égypte. Dans ces pays, la fécondité reste à un niveau élevé et rien ne laisse entrevoir une évolution suffisamment rapide de cette situation » p.58. Le nombre pollue comme les sauterelles ; le réguler est une exigence. Ces pays commencent à faire du chantage à la déforestation, l’huile de palme, les espèces à protéger, les métaux rares : payez ou nous détruisons. Dès lors, l’intérêt national des Américains est atteint, sans parler de l’intérêt de l’humanité sur la planète.

Une seule solution : « Nous devons passer à l’action et lancer la plus grande opération militaire de tous les temps, utiliser notre puissance pour imposer les changements indispensables à l’échelle mondiale. Nous en avons les moyens » p.71. Un néo-colonialisme pour imposer aux barbares et aux sauvages climatiques la morale planétaire. « Nos armées interviendront en priorité dans deux zones, l’Afrique de l’Ouest et subsaharienne, afin de reprendre le contrôle démographique, et l’Amérique centrale, pour tarir immédiatement le flux migratoire en direction des États-Unis. Par ailleurs, nous renforcerons notre présence au Moyen-Orient. La production de pétrole doit être maîtrisée » p.75. En accord avec Pékin, Moscou et Londres – la France voulant comme toujours faire cavalier seul et rester « morale ».

Voilà en quelques mots le constat, voilà la solution – radicale, mais efficace. Philippe Zaouati, qui travaille dans la finance verte, baigne dans la dégradation climatique. L’exaspération qu’elle suscite entraîne des réactions extrêmes, voire populistes. De là à imaginer une dictature mondiale au nom du Bien, il n’y a qu’un pas. Il le franchit. Il sera vraisemblablement approuvé par un certain nombre.

Mais il recule au dernier moment. Dans ce texte de fiction, l’action ne va pas jusqu’au bout. Une frêle jeune fille va se lever, comme Antigone plus que comme Jeanne d’Arc. Elle est la voix qui dit « non ». Mais pour proposer quoi, en alternative ? Il manque son manifeste, si tant est qu’elle en ait un. Ce pourquoi ce petit opuscule de combat est efficace mais me paraît tronqué. Dire non n’est pas toujours facile, mais récuse toute autre solution. Alors quoi ? Attendons 2034, ce n’est pas si loin.

Un libelle à offrir à vos amis pour les faire penser (c’est si rare) et à vos meilleurs ennemis pour les faire enrager (c’est si bon).

Philippe Zaouati, Discours sur l’état de l’Union, 2022, Le métier des mots, 90 pages, €12,00 e-book Kindle €9,99

Catégories : Géopolitique, Livres, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , ,

Tout change

Tout passe, tout lasse, tout casse, tout se recycle – éternellement. C’est la seule éternité – qui n’est pas celle de la Bible ou du Coran. Les religions du Livre, en effet, décident que tout est figé par un seul Dieu, une fois pour toutes, qui a créé « le » monde, donc avec un commencement et une fin. Alors qu’il n’y a aucun début ni aucune fin mais un éternel retour du même, un univers en expansion jusqu’à s’évanouir en trous noirs de plus en plus denses qui vont à leur tour exploser en de futurs univers en expansion qui…

Hors le Livre, qui a contaminé la mentalité de nombreuses générations en Occident par son fixisme hors de toute réalité, les sagesses et philosophies autres depuis l’antiquité sont en résonance. Marguerite Yourcenar traduit la pensée romaine païenne lorsqu’elle dit : « Mais tout change sans cesse en nous comme hors de nous ; même les paroles que je prononce en ce moment me changent. » Swami Prajñanpada traduit la pensée orientale lorsqu’il profère : « Tout change continuellement. Vous devez l’accepter et agir en conséquence. » Le politicien bien oublié aujourd’hui, Alain Juppé, traduit la pensée libérale lorsqu’il énonce : « Tout change. Tout va continuer à changer. De plus en plus vite. Sans sommations. »

Nous sommes dans le changement incessant. Tout évolue et se transforme, à commencer par nous, notre corps, nos passions, nos idées – et le monde qui nous entoure. Pourquoi, dès lors, vouloir revenir au passé ? Pourquoi vouloir « fixer » une fois pour toutes un Âge d’or qui n’est qu’un mythe, une reconstruction idéale volontaire qui n’a jamais existé et n’existera jamais ? Pourquoi penser un seul instant que « c’était mieux avant » ?

Peut-être parce ce que le monde va trop vite à mesure qu’on vieillit, et qu’on regrette tout simplement le temps où il allait comme nous, disons entre 30 et 60 ans. Avant, il ne va pas assez vite, trop de normes insupportables, trop de « vieux cons » qui empêchent, trop d’obstacles naturels. Après, il va trop vite, plus de règles ni de respect, trop d’égoïsmes individualistes, trop de nouvelles technologies qui vous larguent.

Je suis pour ma part héritier des Antiques, pour le milieu juste. Si l’histoire n’a pas de sens, elle a du sens – ce qui n’est pas la même chose. Chacun peut reconstituer les causes et les conséquences, les interactions passées devenues logiques – après coup. Quant à spéculer sur les causes d’aujourd’hui qui produiront les conséquences nécessaires de demain – c’est illusoire. Il y a tant de changement partout en même temps que les interactions ne cessent de modifier à chaque instant les paramètres et qu’il n’y a guère que les lois (grossières) de la physique qui paraissent à peu près stables (dans notre seul espace-temps).

Le milieu juste consiste à analyser ce qui est, sans rêver à ce qui aurait dû être ; à proposer ce qui se peut, sans ambitionner l’impossible ; à accompagner les changements de fond – contre lesquels on ne peut rien – sans regretter un autre temps où tout était autrement.

La France va mal ? Qu’est-ce précisément qui va mal ? L’islam sans les garde-fous des lois inappliquées de la République ? L’économie bradée sans contrôles aux Américains et aux Chinois ? L’Europe représentée par le Conseil (composé des chefs de chaque Etat) qui décide sans que le Parlement – trop peu démocratique et proche des citoyens européens – n’ait grand-chose à dire ? La démocratie représentative – en France trop centralisée à l’Elysée ?

Proposons donc de réformer ce qui est possible de ces problèmes concrets – et déjà d’appliquer la loi qui existe, souvent bien suffisante mais prolifique et mal connue, parfois déviée par des juristes idéologues.

Sur les changements de long terme, le climat, la démographie, les ressources, la géopolitique, il va nous falloir faire avec, user des instruments que l’on se donne qui ne peuvent qu’influer sans modifier vraiment, tant les forces d’inertie sont lourdes et inéluctables.

  • Le climat se réchauffe et, en attendant la prochaine glaciation naturelle, tentons de remédier à nos émissions de gaz à effet de serre : intelligence et économie, sans les fanfreluches de la mode et les futilités des paillettes qui continuent de sévir trop souvent.
  • La démographie des cinquante ans à venir est déjà dans les naissances de ces dernières années et le déséquilibre entre ceux qui font des bébés et ceux qui n’en font pas va s’accentuer ; tenter de contrôler les naissances là où elles nuisent au développement et aux ressources, tenter d’encourager les naissances là où elles manquent (je dis aux pénistes et autre zemmouriens : faites donc des gosses au lieu de reprocher aux autres de nous en envoyer !). Et dénoncez donc ce Pape qui refuse pilule et avortement et encourage l’immigration dans le grand métissage indistinct de tous les fils de Jéhovah – en position du missionnaire exclusivement.
  • Pour économiser les ressources, rien de tel que l’économie capitaliste – qui produit le plus avec le moins – mais régulée par les Etats ; et la recherche scientifique – qui rationalise et découvre de nouvelles voies – mais contrôlée par les pairs pour écarter les charlatans à la Raoult.
  • En ce qui concerne la géopolitique, le poids territorial et démographique de la Chine et de l’Inde va permettre que ces Etats prennent leur place « naturelle » dans le monde, tandis que l’Afrique est divisée, comme l’Europe, que la Russie décline et vieillit comme le Japon, et que les Etats-Unis se colorent et s’exacerbent dans des conflits internes qui vont probablement les miner comme jadis l’empire romain.

Tout change et il ne sert à rien de regretter le « bon vieux temps ». Il n’est que la reconstruction des souvenirs, pas la réalité vécue.

Catégories : Géopolitique, Philosophie, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Uxmal

« Emergeant soudain des bois nous débouchâmes, pour ma plus totale stupéfaction, sur une vaste étendue dégagée parsemée de monticules, de ruines, de structures pyramidales et de vastes édifices bâtis sur des terrasses. Ces vestiges grandioses étaient bien conservés et richement ornés ». John Lloyd Stephens décrit ainsi sa visite à Uxmal en 1840 (p.249) Aujourd’hui inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, Uxmal signifie « trois fois édifié » selon notre guide du site qui parle un bon français.

Il vient nous prendre à l’hôtel et nous dit bonjour en maya – je n’ai pas retenu l’onomatopée fort longue, ni n’ai pu la transcrire. Ce guide a appris la psychologie des Français : paradoxes pour attirer l’attention, anecdotes culturelles pour soutenir le discours, ironie en transition – il en use à loisir. Il évoque la « tache mongole » des Mayas qui disparaît à l’âge de deux ans et la particularité génétique de ne pas supporter le lait qui rapproche les Mayas des Asiatiques. « Si vous rencontrez quelqu’un avec un sourire : c’est un Maya ; s’il a l’air sérieux : c’est un Toltèque, un Olmèque ou autre Pastèque… S’il a des pesos dans les yeux, il est espagnol. »

Les Mayas d’Uxmal savaient gérer l’eau, ce pourquoi ils ont pu édifier une cité dans cette vallée sans puits naturel. L’approvisionnement en eau était assuré par les pluies, recueillies dans deux types de réservoirs : le bassin à ciel ouvert rendu étanche par de l’argile et la citerne souterraine surmontée d’une surface de captage en forme d’entonnoir. La gestion centralisée de l’eau a exigé sans aucun doute l’instauration de pouvoirs centralisés autoritaires. Le système, conçu pour s’adapter à la nature saisonnière des pluies, aux rios étiques et à l’absence de sources permanentes, était le seul moyen efficace de garantir des réserves en eau suffisantes pour assurer les besoins de la population et l’irrigation des champs. Planifier, construire, entretenir le système nécessitait une autorité pour contraindre les masses humaines à bâtir un système collectif.

L’eau reste d’ailleurs un problème au Mexique, surtout dans la capitale dont la pluviosité et les nappes souterraines ne couvrent que 2% des besoins. 67% de la consommation est puisée dans les nappes phréatiques, ce qui rend instable le sol et fait s’effondrer notamment le centre historique de Mexico de 30 cm par an ! Le solde provient d’aqueducs depuis les vallées voisines. Mais la mobilité du sol engendre des ruptures du réseau de distribution, donc des gaspillages, qui rendent le système peu efficace. Les grandes compagnies des eaux internationales, et surtout les premières mondiales que sont les françaises, sont sur les rangs pour créer un réseau efficace à Mexico.

Des datations au carbone 14 du bois ont permis de situer au 6ème siècle la fondation d’Uxmal dont l’apogée aurait été vers 900. Les linteaux de bois au-dessus des portes sont d’origine ; ils ont 1500 ans. « S’ils ont résistés, c’est parce qu’ils ont été cueillis à la pleine lune : pas de liquide, pas de termites », assène le guide. Il ajoute : « site religieux, il est difficile de le comprendre vraiment sans croire. » Le site est abandonné vers 1200 comme Chichen Itza, à l’époque où est fondée la nouvelle cité de Mayapan dans le nord du Yucatan. Les princes sont contraints de vivre dans cette nouvelle capitale où ils servent d’otages et de courtisans aux princes Cocoms. Stephens et Catherwood décrivent les premiers le site au grand public américain. Les premières fouilles sont entreprises en 1929 par Franz Bloom et les travaux de conservations ont commencé en 1943 ; ils sont toujours en cours.

Plus on s’éloigne des Aztèques, plus les civilisations méso-américaines paraissent traditionnelles. Aux petits groupes agricoles et artisans, aux relations égalitaires, succèdent des sociétés plus complexes, hiérarchisées, rassemblées autour de centres administratifs et religieux, pratiquant l’agriculture organisée, la gestion de l’eau et les échanges commerciaux. Mais la prédation humaine connaît ses limites quand le terrain n’est plus favorable. Une démographie trop forte engendre une intense utilisation des sols, ce qui les appauvrit en l’absence d’engrais apportés et les érode sous ce climat. Des disettes apparaissent qui engendrent des conflits entre les villes, les archéologues en ont la preuve. Ce climat de pénurie et de violence aboutit à une rupture entre le peuple paysan et son élite dirigeante et religieuse. Le commerce s’effondre, l’égoïsme croît. Chacun reprend ses billes et émigre vers des terres nouvelles. Les cités sont désertées. Le déclin rapide des Mayas s’explique probablement ainsi. Parfois, une conquête de peuples venus d’ailleurs achève le désastre. Ce fut le cas dans le nord des basses terres du Yucatan.

Nous commençons par la pyramide du Devin de 35 m de haut, appelée ainsi selon une légende de la superstition locale : un nain magicien l’aurait élevée en une seule nuit… Nombre d’oiseaux sont représentés, des colibris, des quetzals. Les oiseaux étaient vénérés par les Mayas qui croyaient qu’ils communiquaient avec les dieux. Les masques de Tchac sculptés sur la pyramide sont 52 comme les siècles mayas et les semaines d’une année. Les monstres sont les puissances cosmiques dont la gueule ouverte donne accès au monde surnaturel. Il suffit d’y entrer. Suit le quadrilatère des Nonnes, une cour de 65 m sur 45 m entourée de bâtiments allongés qui évoquaient les cellules d’un couvent pour les premiers voyageurs. Il fait bon, côté ombre, car le soleil commence à chauffer dur dès avant 10 h ce matin. Un gros lézard préhistorique se prélasse sur la pierre. C’est un varan qui ne craint pas les hommes. Le dessus des portes est décoré d’une frise où pointe le long nez de Tlaloc. Des statues de captifs, de singes et d’oiseaux sur fond géométrique sont d’un bel effet. Un dieu a face de hibou est figuré sur l’édifice est. « Sur l’esplanade vaste comme le soleil, le soleil de pierre danse et repose, nu, face au soleil nu », dit joliment le poète (Octavio Paz, « Liberté sur parole », p.40).

Catégories : Mexique, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Demain l’identité

En politique, rien n’est jamais simple. Les sujets profonds surgissent lentement mais avec de plus en plus de force alors que les sujets d’actualité accaparent l’attention des médias et des politiciens. L’un de ces sujets profonds est celui de « l’identité ». Longtemps nié à gauche à cause des relents de rejet de l’Autre que le concept véhicule « par principe » (et la gauche est en adoration devant « les Principes »), trop pris en compte par la droite extrême qui en fait son sujet de prédilection mais le contamine par ses références au « nazisme » (ce point oméga de toute grimpée aux rideaux politique), l’identité n’en demeure pas moins le sujet profond qui va faire de plus en plus notre actualité.

Il semble que l’immigration en notre siècle ait remplacé la lutte des classes du siècle dernier : l’avenir radieux se lit sur les moteurs de recherche et plus dans les prophéties marxistes. Pour la gauche naïve, l’immigré est « la » victime par excellence, le lumpen-prolo qui fait désormais l’Histoire après l’ouvrier (embourgeoisé), le symbole d’une « égalité » sans cesse repoussée et toujours à conquérir. La fondation socialiste Terra Nova, dans une célèbre étude retirée soigneusement depuis de ses archives numériques (Projet 2012, Gauche, quelle majorité électorale pour 2012 ? citée dans l’une de mes notes), prônait à la gauche de s’appuyer sur les immigrés pour garder le pouvoir, au détriment des « classes populaires » de plus en plus tentées par l’extrême-droite. Quand le vote du peuple ne vous convient pas, changez de peuple.

Or ledit peuple se sent de plus en plus menacé dans son emploi, dans sa fiscalité, dans ses pratiques culturelles, dans sa démographie. En témoignent les Gilles et Jeannes des ronds points, mais aussi les Wotan au Capitole et la « Génération » identitaire sur le point d’être niée – interdite.

La mondialisation et la loi anglo-saxonne du fric ont tué des pans entiers de l’industrie européenne tandis que la technologie automatisait la production, forçait à la rationalisation, aux gains de productivité, et faisait grimper le niveau de formation requis pour tout emploi décent. Seules restent disponibles les métiers non-délocalisables, souvent de services, donc mal payés, et les métiers de haute volée dans l’ingénierie, la finance et la recherche. A moins d’être fonctionnaire – donc rester petit ou moyen.

Les exigences du « toujours plus » dans la protection sociale et les aides de toutes sortes votées par démagogie pour répondre aux « revendications » de la société et « des associations » creusent le déficit budgétaire, engageant à augmenter inexorablement les impôts bien avant le « quoi qu’il en coûte » à prétexte Covid. Hollande en a fait l’expérience, ce n’est pas la solution : faire « payer les riches » est peanuts en termes de rendement et faire payer les classes « moyennes » (pour Hollande, est riche qui gagne plus de 3500 € par mois) aigrit le plus grand nombre sans que jamais l’administration d’Etat n’apparaisse comme plus efficace… Les palinodies sur les masques, le gel, les blouses, les vaccins, en sont le dernier exemple en date, sans parler de « la justice » trop lente faute de moyens, de l’école qui forme de parfaits chômeurs, de l’université qui dérive vers la théologie et incite les meilleurs à tenter une « grande » école, de l’armée qui ne sait plus sur quel sein se dévouer (comme disait un ineffable directeur de banque à l’ancienne en 1981) au Mali et ailleurs faute d’objectif clair et de suivi politique – et ainsi de suite.

Quant à la culture, elle apparaît comme la dernière roue du carrosse technocratique au pouvoir sous Macron, pourtant le meilleur président que la France ait connu depuis des décennies. La culture est « pour les bobos », un vernis de musée et d’art contemporain, bien loin de son enracinement populaire fait de mythes et de littérature, de spectacle vivant et de concerts, de gastronomie au restaurant et de conversations de café, d’habitus et de vivre-ensemble.

La démographie, elle, menace. Le taux de fécondité « des Françaises » ne remplace pas la population puisqu’en-dessous du deux enfants par femme en âge de procréer fatidique (1.87 alors qu’il faudrait 2.1 ou 2.2 dans les faits pour compenser les décès par accidents et maladie). Quant au concept de « la Française », il comprend de plus en plus de femmes immigrées de la seconde ou de la troisième génération qui colorent un peu plus l’ensemble de la population par leur fécondité supérieure (à la troisième génération, leur fécondité statistique tend à s’assimiler). La protection sociale si généreuse des Etats européens depuis Bismarck ne pourra subsister avec moins d’enfants et plus de retraités, avec plus de chômeurs non-cotisants entre les deux. L’immigration apparaît comme la solution la plus facile mais l’Allemagne sera au tiers non-allemande d’ici 2040 et l’Afrique, qui explose démographiquement, risque d’exporter environ 200 millions de Noirs en Europe blanche avant la prochaine génération. La hantise du Grand remplacement à l’extrême-droite fait encore un brin rire car elle est plus imaginaire que réelle (7.4% de la population française est immigrée selon l’INSEE, les descendants nés français se cumulent cependant pour former près d’un quart de la population). Mais elle l’est de moins en moins car l’imaginaire est un puissant ressort réel de l’action politique. Trump l’a montré : agiter la peur de devenir minorité en son propre pays est très payant électoralement (malgré les inepties économiques, écologiques et diplomatiques par ailleurs).

Si les politiciens de tous bords en Europe ne prennent pas en compte de façon raisonnable et concrète la question de l’identité, ils se préparent une vague de radicalité et de populisme sans précédent. Il n’y a pas que l’économie, imbécile ! pourrait-on dire en paraphrasant à l’envers la phrase de Carville, si efficace dans la première campagne de Bill, Clinton. Il y a la hantise : celle de devenir marginal chez soi, déclassé économique, défié culturel, soumis au moralisme religieux venu d’ailleurs – en bref exclu du pouvoir de conduire son propre avenir.

C’est en Europe la différence entre les démocraties libérales et les illibérales. Les premières sont à l’ouest, les secondes à l’est. Les premières sont sûres d’elles-mêmes mais de moins en moins, les secondes n’en sont plus sûres du tout à cause de l’émigration de leur population jeune tentée par l’Eldorado économique allemand ou anglais. Les libérales accueillent l’immigration en tentant leur « assimilation » (de moins en moins bien acceptée par les « victimes » racisées ex-colonisée et soumises à Allah avant la loi), les secondes refusent toute multiculture au nom des traditions et de l’histoire. Mais est-il justifié de refuser aux démocraties d’Europe de l’est ces droits accordés trop volontiers en Europe de l’ouest aux allogènes ? Notamment le principal : le droit à leur identité ? Faudrait-il prôner des « accommodements raisonnables » envers Maghrébins et Turcs musulmans au nom du vivre-ensemble et les refuser aux Hongrois et Polonais catholiques dans l’Union européenne ?

La gauche a pour tendance de mépriser le bourgeois blanc, considéré comme privilégié dans l’Histoire, et de ne considérer que les « droits » revendiqués des minorités venues d’ailleurs, vues en victimes ; mais une réaction se fait jour au vu des attentats islamistes et du travail de sape contre la laïcité : l’immigration (surtout musulmane mais peut-être aussi un jour chinoise) pourrait bien miner la culture démocratique en introduisant des pratiques culturelles et sociales contraires à la laïcité, au droit des femmes, aux coutumes alimentaires et vestimentaires, au vote pour élire des représentants. Si les Algériens réclament en Algérie des droits à la française, les Chinois préfèrent peut-être pour leur santé et pour l’économie l’efficacité collectiviste de Pékin aux hésitations et contestations de Paris.

La droite conservatrice a pour tendance de regretter le bon vieux temps de l’entre-soi et de la domination blanche sur le reste du monde ; mais un activisme positif se fait jour au vu du succès de Trump, de Xi Jinping, d’Erdogan et de Poutine en faveur de l’affirmation d’une culture historique occidentale (après tout pas pire qu’une autre) et de la religion chrétienne (après tout moins nocive depuis deux siècles que d’autres).

Entre les deux le centre, qui préfère s’adapter avec le temps et expérimenter l’équilibre.

Et « les écologistes » qui sont une nébuleuse de sectes et de sous-sectes en France, pas un parti homogène. Leurs succès électoraux s’accomplissent plus « contre » que « pour » tant leur programme apparaît autoritariste, de fatwas en fatwas : contre la viande dans les cantines, le sapin de Noël arbre mort, le tour de France macho et pollueur (tiens, rien sur le foot, pourtant bien plus macho ? – il est vrai que les équipes y sont plus « colorées »…). Mais leur aspiration à « un retour à » la vie paysanne, austère sans voyages, la consommation locale, la méfiance pour l’industrie et la surveillance Internet, le moralisme de clocher et la démocratie directe est peut-être l’antidote futur à l’immigration sauvage ? Décourager les migrants de venir vivre en communautés fermées à forte identité culturelle et sociale subsistant chichement à la sueur de leur front pourrait bien être la meilleure solution. Y a-t-il beaucoup de Latinos ou d’Afro-Américains chez les Mormons ? Chacun chez soi et la planète pour tous, les échanges réduits au minimum et l’exploitation à presque rien.

Il reste à régler la question des frontières, des institutions et du droit de vote, des droits de chacun. Mais surtout du nouveau modèle économique sans lequel rien ne sera socialement possible.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Dominique Paladilhe, Le roi lépreux

Mort à 25 ans de la hideuse maladie de la lèpre, ce roi franc de la Ville sainte a régné quinze ans. C’est en effet à 9 ans qu’il a été oint, après la mort de son père Baudouin III. « Ce qui est exceptionnel et le plus digne d’admiration c’est d’avoir su affronter toutes les calamités qui l’ont accablé avec une constance et une sérénité qui touche au sublime » p.239. L’adolescent éduqué par Guillaume de Tyr, qui écrira chronique des croisades, a mené maintes guerres contre les raids et les attaques des armées de Saladin, bien plus fortes en nombre mais moins fermes au combat que les Francs caparaçonnés de fer et chargeant en rang serré.

Les flèches musulmanes ont fait du dégât dans leurs rangs mais la cavalerie franque, lances en avant, était irrésistible et balayait tout sur son passage. Sauf qu’ils étaient peu nombreux. La démographie est toujours ce qui fait la différence sur le long terme. A court terme, ce sont les divisions, les egos vaniteux, l’orgueil insensé. Le roi en était conscient, ce pourquoi il a toujours tenu à être présent sur les champs de bataille, sa première à 16 ans. Sa volonté ralliait les fidélités ; les chevaliers comme les sergents auraient eu honte de fléchir alors que lui, malade, bientôt incapable de se tenir à cheval, tenait. « Lui, le faible, l’infirme, avait réussi à barrer la route du plus grand, du plus puissant, du plus résolu des ennemis que la Terre Sainte ait jamais connu » p.239. Là est le triomphe de la volonté, que l’époque appelait l’onction de Dieu.

Après lui, la faiblesse, les lâchetés ; la division, les trahisons. Guy de Lusignan, que son intrigante de mère Sybille avait imposé à son fils mourant comme successeur en le mariant à une héritière du royaume, a tout laissé couler. Toute la Terre Sainte sera perdue en quelques années face à un Saladin qui non seulement voulait se venger des Francs qui l’avaient plusieurs fois défait, mais aussi réunir ses territoires de l’Egypte à la Syrie et éradiquer toute présence chrétienne au Proche-Orient au nom d’Allah le dieu jaloux. La fitna des Arabes, la division dans la communauté, a défait les Francs plus que les flèches sarrasines ou les dysenteries ; les « idiots utiles », dans tous les camps (aujourd’hui les islamo-« gauchistes », seront toujours des traîtres que leur naïveté et leurs bonnes intentions n’excuse en rien. Saladin ne s’y trompait pas, qui les faisait décapiter.

Le bel enfant blond Baudouin de 9 ans au corps délié et au zézaiement touchant, comme son père, a consumé sa jeunesse à maintenir l’héritage féodal et chrétien reçu de sa lignée. Il a vécu pour l’honneur, pas pour l’amour ; il reste l’exemple même de l’adolescent plus valeureux que maints adultes. Surtout en son époque, le XIIe siècle sans assistance sociale ni « droits » d’aucune sorte, sauf à se faire sa place et à tenir son rang.

Dominique Paladilhe, décédé en 2015 en sa 94ème année, fut élève de l’École pratique des hautes études avant de devenir historien des croisades et du Grand siècle, en même temps que chroniqueur musical à la radio. En exergue du Roi lépreux, il rend un hommage très appuyé au Grand maître de l’ordre de Malte, successeur des Hospitaliers. Son livre d’historien sur le roi de Jérusalem Baudouin IV se lit avec plaisir, l’érudition étant cantonnée à la préface et à la bibliographie. En complément à Régine Pernoud, Les hommes de la croisade, déjà chroniqué.

Dominique Paladilhe, Le roi lépreux – Baudouin IV de Jérusalem 1160-1185, 1984, Librairie académique Perrin 1984, 283 pages, €28.58

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Pierre Ménat, Dix questions sur l’Europe post-covidienne

Ancien ambassadeur de France en Roumanie, Pologne, Tunisie et Pays-Bas, Pierre Ménat actualise son livre France cherche Europe désespérément après la pandémie de Covid-19. Face au duel global de la Chine et des États-Unis, l’Europe reste coincée entre défiance et puissance. En 10 questions, il rappelle l’origine des interrogations des citoyens et propose quelques solutions.

Tout d’abord, l’anxiété. L’Europe vieillit, sa population ne représentera que 6 % de la population mondiale en 2050. Les ressources naturelles sont limitées, la mondialisation fait concurrence, les idées sont en crise. Les Européens cherchent donc des refuges dans la famille, la religion, la nation. L’expression publique de cette frustration du peuple contre ses élites se radicalise – à l’américaine – ce qui ne risque pas de faire avancer les choses. Il faudrait donc à l’Europe une politique industrielle, des négociations réciproques pour les échanges, une politique monétaire de l’euro pour le rendre égal au dollar. Quant aux défis écologiques, l’Europe prend sa part et ne doit pas se culpabiliser, renvoyant plutôt les excités aux plus grands pollueurs de la planète que sont les Américains les Chinois. En revanche les intellectuels, bien absents, sont appelés à la rescousse pour penser le nouveau monde.

Si les Anglais s’en vont, par souci de commercer librement et surtout de s’aligner sur les États-Unis, l’essentiel de leur commerce reste tourné vers les pays européens, tandis que les États-Unis regardent vers le Pacifique. Le plus sage pour les Anglais du Brexit serait de conserver une relation forte dans la défense et les affaires étrangères avec l’Europe.

Le sentiment d’impuissance des citoyens en Europe vient de ce que la souveraineté des états a été déléguée en catimini depuis les années 50. Dans les faits, seulement cinq compétences exclusives ont été déléguées par les Etats : l’union douanière, les règles de concurrence, la politique monétaire pour l’euro, la conservation des ressources de la mer commerciale commune. Tout le reste est partagé ou en appui, notamment la santé : « l’Union n’a pas de compétence en la matière » p.9. Mais il existe un déficit d’information aux citoyens. Un rapport de 2005 en France remis à Dominique de Villepin est resté lettre morte. Or il existe une citoyenneté européenne selon l’article 9 du traité : elle permet de voter aux élections locales et un droit d’initiative populaire au niveau européen. Qui le sait ? Qui l’utilise ?

L’ultralibéralisme est une idéologie française qui distord la revendication historique libérale qui a conduit à l’indépendance américaine et à la révolution française. La défense de la dépense sociale française, qui représente plus que les dépenses de l’État, est un intérêt particulier dans toute l’Europe. Le retour de l’Etat dû au Covid ne devrait pas durer au-delà de la pandémie. Le droit et les institutions l’emportent même si l’Europe à 27 est partagée entre le Nord plus ouvert au large et le Sud plus étatiste parce que plus clientéliste. La France se situe en pays intermédiaire : ses citoyens manifestent surtout un conservatisme anti-industriel et radicalisent l’écologie pour « répondre à la rage ambiante ».

Reste une ambiguïté entre l’Europe à 27 et la zone euro à 19. La politique monétaire devrait faire partie de l’Europe, ou du moins les pays réunis autour de l’euro devraient avoir une représentation qui ne soit pas confondue avec celle des 27. Avec le Covid, les critères de Maastricht sont suspendus et la Commission pourra directement recourir à l’emprunt pour 900 milliards d’euros, deux fois le budget communautaire, même si l’interdiction de financer directement les Etats demeure. Manque cependant une gouvernance politique des crises, criante durant la débâcle financière de 2008, la crise grecque, et la pandémie Covid.

Un point sensible, laissé de côté par la pandémie, reste l’immigration. Elle représente 500 000 à 1 million de personnes par an dans toute l’Europe. C’est une compétence partagée de l’Union où Schengen fonctionne mais pas Dublin. Les solutions existent et ne sont pas mises en œuvre, par exemple le demandeur d’asile n’a pas à choisir son pays d’accueil. Il faudrait augmenter les moyens de Frontex et négocier des accords supplémentaires avec les pays limitrophes. On ne peut laisser non plus la charge de premier accueil aux Etats du sud tel que la Grèce ou l’Italie.

Au total, que signifie la souveraineté européenne ? Après le Covid, nous nous apercevons que la Chine est devenue une puissance mondiale d’influence, tandis que les États-Unis imposent leurs lois nationales et leurs GAFAM aspirateurs de données tout en se dégageant de l’OTAN. La souveraineté européenne est donc toute relative puisque nous dépendons des autres pour beaucoup de nos industries, de nos matières premières et de notre santé. À quelle fin récupérer cette souveraineté ? Dans le domaine monétaire, économique et politique : il nous faut encourager la recherche, développer le numérique, élaborer une véritable autonomie stratégique dont la pandémie a montré la carence, une politique industrielle, une sur les flux migratoires et développer une force d’intervention autonome. « Je propose que soit élaboré un traité d’union politique sur le modèle du plan Fouchet » p.95. Ce serait un projet collectif pour une diplomatie européenne.

Au total, ce petit livre fait le point sur l’Europe aujourd’hui du point de vue politique, un sujet important pour les Français et que la pandémie met en lumière de façon très crue.

Pierre Ménat, Dix questions sur l’Europe post-covidienne – Entre défiance et puissance, septembre 2020, L’Harmattan/éditions Pepper, 99 pages, €12.00

Pierre Ménat, France cherche Europe désespérément, février 2019, L’Harmattan/éditions Pepper, collection Témoignages dirigée par Sonny Perseil, 319 pages, 29€

Pierre Ménat est aussi l’auteur d’un roman chroniqué sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

L’Europe vue par ce blog

Catégories : Géopolitique, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Il y a 20 ans la Chine…

Il y a 20 ans, je lisais ce livre majeur de Jacques Gravereau. Tout ce qui est écrit s’est réalisé. La Chine a pris son essor silencieusement, ne relevant la crête qu’avec l’éléphant yankee qui barrit de la trompe pour faire le clown devant ses partisans, petits blancs frustrés et chrétiens mystiques.

Dans ma jeunesse, le monde intellectuel voyait l’avenir à l’est, dans la Russie immense et rouge. Il s’agissait de s’adapter, au moins dans sa tête, à l’inéluctable prééminence de l’Etat-Léviathan, à son discours manipulateur à destination des masses et aux réseaux soigneusement entretenus de sa nomenklatura bureaucratique. Et l’on voit aujourd’hui les « révolutionnaires » hier les plus affichés s’être installés avec cynisme dans la société française des privilèges, en fonctionnariat confortable, en mandarinat professoral et dans les lieux de pouvoir médiatique. Certains, plus en retard ou plus provocateurs, avaient poussé l’avenir jusque dans la profondeur des masses chinoises, alors guidées à coup de pensée unique par un instituteur primaire. La simple démographie a donné raison à ces derniers, mais ce phénomène n’a rien d’idéologique. Il est resté « physique » : c’est le nombre qui impose ses idées et non les idées qui mènent le monde. L’URSS en déclin de population s’est effondrée, la Chine en plein essor démographique s’est imposée.

C’est ce que montre Jacques Gravereau, professeur à HEC, dans ce livre de 2001 où il dissèque cette révolution asiatique, non plus tonitruante sous les drapeaux rouges mais silencieuse par l’entreprise et l’intérêt des hommes – jusqu’au dernier empereur rouge qui, désormais, relève la crête. Mais, pas plus que l’idéologie marxiste, ce n’est l’idéologie libérale à l’américaine via la mondialisation qui l’a emporté. « La standardisation des normes techniques n’entraîne pas l’uniformisation des valeurs par la grâce des médias et du consumérisme (…) L’économie de marché n’entraîne pas un alignement sur des principes occidentaux d’égalité, d’individualisme et autres valeurs absolues » p.18. Il suffit d’observer le Japon depuis 1945 ou la Corée depuis 1950 : ils n’ont rien renié de leur civilisation tout en surfant à la pointe de la modernité.

Si la pensée occidentale est logique, causale, analytique, abstraite, la pensée chinoise enregistre des alternances d’aspects appariés tels l’endroit et l’envers, le yin et le yang. A la raison seule, elle préfère les sensations, les émotions, l’empathie pour les choses. L’Occidental se croit le maître d’une nature qu’il vise à expliquer par une science objective et neutre. Le Chinois suspend son jugement et laisse venir les choses pour se couler dans leur mouvement. Si la pensée logique aboutit à l’idéal d’objectivité scientifique, elle exige la liberté de recherche et de critique, donc des droits individuels au scepticisme et, in fine, une propension à un régime politique démocratique. La pensée chinoise, englobante et toute de mouvement, s’accommode de la hiérarchie collective, du respect aux anciens et des devoirs envers la tradition (fût-elle celle du parti), comme de la structure sociale. Les individus sont enserrés dans des familles, des quartiers, des clans, des groupes d’intérêt. Le rite social prime la critique et la honte est la punition. La valeur n’est pas à une « vérité » abstraite mais à la confiance, qui nait d’un dialogue évolutif avec le pouvoir. Ce qui est visé n’est pas la connaissance mais l’harmonie. Ce qui s’écrit en chinois « avoir des céréales plein la bouche », et qui rapproche cette conception de notre épicurisme.

Le « vide » n’est pas le silence à emplir de discours mais une « possibilité totale ». Les choses naissent du mouvement et des transformations, et non pas toutes armées de la cuisse d’un penseur. L’ordre est en perpétuelle altération et le pouvoir n’est que l’action d’accompagner le mouvement avec la même souplesse et obstination que l’eau qui coule et s’infiltre partout où elle peut. Il s’agit de se fondre dans les apparences pour vaincre sans bataille.

Cette conception du monde donne à la Chine une bonne capacité à gérer le long terme. L’ordre y est confortable car les situations y sont prévisibles. La tactique de la non-confrontation permet de s’adapter au mouvement constant tout en restant au pouvoir. L’horreur absolue est l’impatience – et Xi Jinping, dirigeant la Chine depuis 2013, devrait se rendre compte de cet écart à l’harmonie. Le langage n’a pas à être précis ou sincère mais « joli » et « acceptable ». C’est à cela que sert la langue de bois, une sorte de politiquement correct issu des choses mêmes.

Il ne s’agit pas de respecter un contrat politique ou juridique mais de maintenir la relation humaine entre le dirigeant et le peuple. « C’est particulièrement vrai au Japon où l’adhésion est fondée sur une émotion partagée en commun, presque d’ordre esthétique » p.114. Le chef n’est pas celui qui décide mais celui qui, par sa seule présence, permet au groupe hiérarchique de fonctionner et de s’épanouir. Les ralliements y sont féodaux et cette société apparaît peu capable de créativité. En revanche, l’imitation minutieuse et le perfectionnement technique y sont poussés à l’extrême. Le conformisme y est grand, bâti sur la relation personnelle, la parole donnée et un faisceau d’obligations réciproques construit au fil du temps.

« 1960 : L’Asie du sud-est est à parité exacte avec l’Afrique en termes de revenus par habitant » p.142. On voit ce qu’il en est aujourd’hui. « La volonté de s’en sortir puise aux mêmes sources que les Chinois de la diaspora. (…) Trois facteurs communs : le traumatisme de sociétés déplacées par l’exil (…), la guerre d’abord, les valeurs confucéennes de travail, de discipline, de respect de l’autorité et de passion pour l’éducation ensuite, enfin le pragmatisme et la vitalité des entrepreneurs » p.153. Nul « péché » ne s’attache à l’argent, l’éducation est un investissement, le réalisme d’expérience règne à tous niveaux, y compris au sommet de l’Etat. « En Asie, les relations humaines sont un enchaînement de compréhensions réciproques et non le résultat automatique de l’application de principes démocratiquement admis. Le pragmatisme importe plus que les grands concepts abstraits. La discipline est importante et la liberté individuelle est sévèrement limitée au bénéfice des intérêts de la communauté » p.250.

Le matérialisme qui règne changera peut-être cet état d’esprit ; il s’adaptera, mais cela demandera deux ou trois générations. Les Asiatiques ne deviendront pas Occidentaux pour cela ! Même après deux siècles de révolution industrielle, nous Européens restons régis par des conceptions qui remontent au christianisme de l’an mille, au droit romain et à l’éthique grecque. Ne rêvons donc pas de transformer les Chinois et autres Japonais en Américains bien tranquilles : observons-les, apprenons de leurs initiatives te de leurs erreurs, gardons-nous de leurs capitaux et de leurs promesses de coprospérité.

Jacques Gravereau, L’Asie majeure : l’incroyable révolution de l’Asie pacifique, 2001, Grasset, 280 pages, €22.40 e-book Kindle €5.99

Catégories : Chine, Economie, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Ecologie comme idéologie

Les écologistes sont bien gentils, ils poursuivent une utopie de la vie future sur le modèle (américain) de Disneyland : fleurs et petits oiseaux, climat doux de Floride, gentils animaux et aventures sans prédation. Les écologistes sont passés de la science à la religion, du savoir sur la planète à la croyance au Paradis. Et c’est là que je décroche. Nous n’avons pas remis à leur place les curés, banni les communistes ni regardé s’embourgeoiser lamentablement les gauchistes et dénoncé les islamistes pour accepter une autre religion !

Il faut certes être conscient de l’épuisement des ressources, des effets sur le climat de nos émissions de gaz à effet de serre, des conséquences sur la santé des microparticules, des produits phytosanitaires et des additifs de l’alimentation transformée. Il faut être conscient que l’être humain reste un prédateur et que son existence même, sa prolifération sans limites, consomme des matières, des végétaux et des animaux, de l’énergie. Cela est la part de la science. On y répond par la science : c’est en effet plus de savoir (y compris en sciences sociales) qui nous permettra de limiter la prolifération incontrôlée de l’espèce humaine, de faire mieux avec moins, d’économiser et de substituer.

Toute autre est la croyance. Elle est un fantasme vers l’immobilité, vers la régression, vers un Âge d’or mythique qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais, une sorte d’équilibre divin tel que décrit dans le Paradis biblique. Les humains n’y mangeaient alors que des herbes et des fruits – sauf un, interdit, tentateur : le fruit de l’arbre de la connaissance. Le manger était vouloir savoir comme le Père, égaler Dieu, orgueil punissable dans l’univers patriarcal juif d’il y a 4000 ans. Eve a péché, Adam s’est laissé faire, ils ont vu qu’ils étaient « nus » et en ont ressenti (nul ne sait pourquoi) de la « honte » : Dieu ne les avait-il pas pourtant « créés à Son image » ? Chassés du paradis paternel où ils se laissaient vivre en infantiles béats, ils ont été soumis au travail forcé, obligés d’accoucher dans le sang et la douleur et de manger de la viande. Ainsi Caïn, auquel Dieu préfère son frère Abel selon son bon plaisir inique de père tout-puissant qui condamne l’autre fils à désespérer en se détournant de lui (nul ne sait pourquoi), donc à tuer par jalousie. Après le Déluge, Dieu autorise Noé à manger de la viande parce que les végétaux ont « tous » été engloutis et qu’il faut bien survivre. Le pire sera d’exiger d’Abraham qu’il égorge en holocauste son fils adolescent Isaac en l’honneur de Dieu pour « prouver » son obéissance ! Mais la viande n’est qu’un pis-aller entouré d’un tas de précautions symboliques contre certaines chairs et le sang chez les Juifs, les Chrétiens et même les Musulmans, derniers arrivés.

C’est que la chair est haïssable, elle rappelle que nous sommes faits de matière et pas de pur esprit, une boue insufflée par Dieu pour lui donner vie. Donc tuer est condamnable, manger de la viande une horreur et consommer le sang est capter la vie même – réservée à Dieu qui la donne et la reprend. D’autant que l’on dit chez les hommes que la viande fait le muscle et attise la sensualité. Et c’est là tout le « mal » ! Pas de viande pour les femmes, conseillait-on au XIXe siècle bourgeois, au risque d’hystérie à la Bovary – mais de la viande rouge pour les garçons pour qu’ils soient forts au travail, à l’armée et au lit. Avoir du plaisir, caresser, contempler, baiser, jouir, ne sont qu’horreurs pour les clercs chétifs et ayant juré chasteté qui ne rêvent qu’à la Vie éternelle et vilipendent celle d’ici-bas. Seul « un autre monde » est possible pour ces épris d’absolu, trop souvent incapables de bien vivre dans leur société. D’où les tabous sur la nudité, le plaisir, le sexe, la viande.

Tabous que les écologistes reprennent curieusement comme un credo. Plus austère que moi, tu meurs ! Car « il faut » faire pénitence pour être pardonné. Il faut se restreindre pour que la terre nous tolère. Thomas d’Aquin, docteur de l’Eglise cité par la revue L’Histoire n°466 de décembre 2019, déclare que « le jeûne a été institué par l’Eglise pour réprimer la convoitise des plaisirs du toucher qui ont pour objet la nourriture et la volupté. » Et pourquoi ? Parce que la luxure est un excès de sexualité, comme l’égoïsme un excès de liberté ?  Du tabou de la chair au péché de chair il n’y a qu’un pas. Or ce n’est pas le corps ou la sensualité qui compte, mais l’excès, la démesure. C’est valable en tout, en démographie comme en finance, dans l’alimentation comme dans le sexe, dans la guerre comme dans le sport. Pourquoi les écolos reprennent-ils l’austérité ascétique des errants du désert comme modèle plutôt que la tempérance stoïcienne qui fut celle de Montaigne ?

Aujourd’hui, l’on nous dit que les vaches pètent, que les moutons rotent et que les porcs puent – autant de gaz immondes qui font serre. Qu’il faut donc ne plus manger de viande pour éviter « en urgence » de les accumuler et ainsi « sauver » la planète comme jadis le Sauveur s’est crucifié pour l’Humanité. Mais ces prétextes d’équilibre dynamique en apparence rationnels masquent surtout l’idéologie. Rien n’est reproché à la Chine par les Thunberg et autres braillards prophétiques, mais tout à la France. Les Etats-Unis sont précautionneusement évités mais la vieille Europe est sommée de réagir – toute seule semble-t-il. Pointer Bolsonaro sur les feux de forêt amazonienne serait du colonialisme, mettre en cause les grévistes du rail qui engendrent 500 km de bouchon chaque jour en Île-de-France un déni de « domination », dénoncer le natalisme de l’islam et de l’Afrique une « stigmatisation », accuser Poutine une mort certaine.

C’est que la croyance compte plus que les faits dans l’idéologie. Et celle des écologistes ne fait que reprendre la vieille – très vieille ! – antienne biblique qui s’est déclinée en Cité de Dieu et en Missions catholiques, en Nouveau monde puritain aux Amériques, en Avenir radieux léniniste en Russie, en Cuba libre castriste, en Juste solution des contradictions au sein du Peuple maoïste, en Révolution permanente gauchiste… Comme rien de tout cela n’a fonctionné, l’idéologie se recycle en écologisme.

Une nouvelle croyance bien loin des constats et remèdes scientifiques qui réclament recherche, capitalisme et progrès. Car seule la recherche permettra de vivre mieux en consommant moins ; seul le capitalisme (je ne parle pas de la finance mais de la technique de comptabilisation des emplois et ressources) permettra de produire plus efficacement avec le moins de travail, d’énergie et de matière possible ; seul le progrès permettra de faire accepter la nouvelle donne aux peuples sans qu’ils aient l’impression de régresser spirituellement et matériellement au Moyen âge ou de retrouver les disettes et le bon plaisir royal d’Ancien régime.

Ce n’est certes pas en braillant « contre » les dirigeants (curieusement tous mâles, blancs et européens avec peu d’enfants) ni en « marchant » dans les rues que le respect de l’environnement sera mieux assuré. Pas plus que de danser pour faire venir la pluie.

Catégories : Religions | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Zemmour désamour

La « polémique » a attiré mon attention sur un discours qui serait autrement resté pour moi invisible. La vertu de « la polémique » est son imbécilité : les bonnes âmes des ligues de vertu morale et politique (pour eux c’est pareil) savent mieux que vous ce que vous devez penser et mettent en valeur ce qui devrait à leurs yeux rester caché. Et qui devient donc diablement intéressant.

Eric Zemmour, « écrivain polémiste », est intervenu à la Convention de la droite, version Maréchal. Malgré les « problèmes techniques » qui n’ont cessé d’émailler de bout en bout l’intervention, le discours retransmis en direct par LCI dans un souci démocratique (mais ôté de YouTube par la bien-pensance puritaine yankee) est audible. Est-il bizarre que la droite réactionnaire soit plus nulle de la gauche ultra-progressiste dans l’usage des outils techniques de la modernité ?

Malgré les jérémiades à l’infini des « plaignants » qui ne supportent pas physiquement d’entendre des propos qu’ils ne partagent pas, le régime démocratique exige le débat, donc les libres propos. Eric Zemmour n’a pas dépassé les bornes de la polémique politique même si, depuis l’effondrement de l’idéologie communiste, les citoyens comme les « intellectuels » n’ont plus l’habitude des mots qui fâchent. Ils en appellent aussitôt à la loi, voire révisent la Constitution, pour surtout cacher ce sein qu’ils ne sauraient voir. Depuis Molière, les Tartuffes restent les mêmes.

Que dit donc de si diaboliquement sulfureux l’écrivain polémiste Zemmour ? Que l’ensemble du « progrès » (la science, l’industrialisation, la mondialisation, la société et la morale qui va avec) est à honnir. Il n’a apporté que désillusions et déboires : la boucherie de Verdun avec l’industrie, Hiroshima avec la science, la pauvreté ouvrière avec la mondialisation – il aurait pu ajouter l’effondrement du droit du travail et le sous-paiement systématique avec les GAFAM, mais il n’est pas toujours à la page.

Selon lui, il y a pire : mondialisation rime avec colonisation. Si la première mondialisation d’hier a vu les Occidentaux coloniser les pays enfants, la seconde mondialisation d’aujourd’hui (que Trump achève) voit les enfants du tiers-monde coloniser l’Occident. Son angoisse, c’est l’Afrique : deux milliards et demi d’habitants en 2050, contre un demi-milliard seulement en Europe. C’était l’inverse en 1900, selon lui : cent millions contre quatre cents millions. Les flux vont donc s’inverser et le « grand remplacement » dénoncé par Renaud Camus commencer. D’où la question qu’il pose : « Les jeunes Français seront-ils majoritaires sur la terre de leurs ancêtres ? » L’auditeur est supposé savoir que « les Français » sont tous ceux qui sont présents depuis des siècles, pas les récents autorisés administratifs, sinon les musulmans qu’il dénonce seraient tout aussi Français que les catholiques de souche…

Ce qui manque au polémiste, qui définit soigneusement progrès et progressisme, est une définition du Français. Est-on français par droit du sol ou droit du sang ? Il n’en dit rien, lui-même juif berbère immigré d’Algérie, décrété Français par Crémieux. Le progressisme est pour Zemmour « un matérialisme divinisé » ; on ne sait trop ce qu’il entend par cet oxymore qui fait chic : peut-on faire un dieu de la matière qui justement n’a rien de divin ? Ce jeu de concepts masque l’absence de pensée sur le sujet, sinon de plaire aux milieux catholiques. Que l’être humain se construise durant sa vie, et que la société s’organise sans intervention d’un dieu quelconque (fut-il une Morale laïque), n’est pas dans le logiciel du polémiste. Or c’est pourtant ce qu’il prône ! Car il s’agit pour lui que les individus se sentent solidaires du collectif social, lequel doit « résister » et « restaurer » un ordre ancien préférable. Une morale construite remplace l’autre tout aussi construite – et cette progression n’est qu’une bifurcation d’un sens qui reste toujours construit…

Le propos qui choque les pacifistes volontiers collaborateurs des fanatismes totalitaires (aujourd’hui sous Macron comme hier sous Pétain) est le suivant : « Les idiots utiles d’une guerre d’extermination des mâles blancs hétérosexuels catholiques ». Et le polémiste diplômé de Science Po élevé par des femmes (et qui a raté deux fois l’ENA) de dénoncer le féminisme des porcs, le racisme des noires et des rappeurs qui appellent au meurtre et au viol des Blancs, la théorie du genre qui fait que la ministre Agnès Buzyn peut déclarer sans rire « qu’une femme peut être père », enfin l’islam (radical – je précise, ce que Zemmour omet) qui veut imposer la loi coranique et massacrer les mécréants. Pour Eric Zemmour, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « guerre des races et des religions » avec pour but « occupation et colonisation » par l’islam et par le nombre. Évoquer cette « guerre » signifie-t-il appeler à la faire ? Le polémiste y invite mais ne dit pas comment : par la kalachnikov ou par les arguments ? La guerre civile ou le droit républicain ?

Ce n’est pas la courbe de croissance économique qui importe pour lui mais la courbe de croissance démographique. Or, pour Zemmour, « à chaque vague démographique correspond une vague idéologique ». L’universalisme a été porté par la population française, exubérante à la Révolution et durant la colonisation ; aujourd’hui, cette idéologie est obsolète, se réduisant à « un individualisme borné » dans un contexte de taux d’enfant par femme réduit, tandis que l’islam se répand par sa démographie (même si les musulmans intégrés ont tendance à aligner leur taux de fécondité sur celui de la société dans laquelle ils se trouvent). « La question identitaire n’est pas la seule, mais elle précède toutes les autres questions » (sociales, économiques, politiciennes). Elle est la seule question « rassembleuse » de « toutes les droites », sauf « la mondialiste ».

Car deux totalitarismes actuels ont conclu désormais l’équivalent du « pacte germano-soviétique » des totalitarismes d’hier : 1/ « le libéralisme droitdel’hommiste » des citoyens du monde qui vivent en métropoles – et 2/ « l’islamisme des banlieues ». Tous les deux foulent aux pieds la nation, aucun ne se sent Français : les premiers parce qu’ils se voudraient Américains, les seconds parce qu’ils appartiennent avant tout à l’Oumma musulmane. Les Français catholiques, où peuvent-ils se retrouver ? Il oublie curieusement la France périphérique, ni métropole ni banlieue, que les gilets jaunes ont révélée – sa pensée est-elle en retard d’une analyse sociologique ou répugnerait-elle à s’adapter ?

Obsédé jusqu’à la névrose, Eric Zemmour attribue tous les problèmes actuels de la France à l’islam dans un syllogisme peu convaincant : « tous nos problèmes sont aggravés par l’immigration ; et l’immigration est aggravée par l’islam ». L’auditeur comprend quelle est sa bête « noire », mais peut-il être convaincu par le seul alignement des mots ?

Il ne faut pas oublier à quel public il s’adresse : aux catholiques réactionnaires de la droite Maréchal. En général des bourgeois n’ayant pas de problèmes de fin de mois et qui, s’ils vivent majoritairement en province ou dans l’ouest vert de la banlieue parisienne, restent attachés aux traditions. C’est leur milieu et leur droit d’être et de penser, mais ils ne forment pas la majorité des citoyens français. Le discours est donc orienté sur leurs phobies présentes et leurs angoisses de l’avenir, orné de citations littéraires de Lamartine, Condorcet, Drieu la Rochelle, Bernanos, lu avec quelques éclats et passages fleuris. Rien de bien grave dans le grand débat national mais une expression qui mérite d’être rappelée pour mieux en débattre.

Car le fanatisme islamique est un problème, révélé par les attentats de 1995, même s’il ne touche qu’une minorité agissante. Le développement démographique de l’Afrique en est un autre qu’il est bon de ne pas ignorer. La propension des intellos à rester toujours dans le sens du vent bien-pensant, aboutissant parfois à devenir de véritables « collabos » des plus forts, est largement documentée depuis deux siècles, l’analyse la plus fine ayant été fournie par Raymond Aron en 1955 avec L’opium des intellectuels. Le retour des « nationalismes » (ou du repli sur soi) des pays développés de plus en plus nombreux est un fait d’évidence. Mais à quoi cela sert-il d’agiter les peurs et les angoisses (sinon à des fins de manipulation politicienne) ? Il nous faut au contraire apprivoiser ces événements par la raison, les analyser lucidement, pour décider de la façon de nous y adapter en conservant notre identité de pays ayant mille ans d’histoire.

Le problème d’Eric Zemmour est probablement qu’il ne s’aime pas. Il avait écrit un livre éclairant portant ce titre à propos de Jacques Chirac, en 2002 : L’homme qui ne s’aimait pas. Parlait-il avant tout de lui-même ?

L’auteur du Suicide français pourrait-il faire sienne la maxime qu’il livre aux maréchalistes de droite à la fin de son discours : « La vraie espérance est le désespoir surmonté » ? L’homme qui ne s’aimait pas pourra-il un jour s’aimer ?

Le discours d’Eric Zemmour à la Convention de la droite (très mauvaise qualité d’image et son médiocre)

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Être ou se faire avoir

Les gilets jaunes veulent exister, se faire reconnaître comme l’œil du cyclone social. L’Europe centrale et orientale veut exister, se faire reconnaître comme un réservoir de la biodiversité blanche préservée. Le Royaume-Uni veut exister, se faire reconnaître comme Etat souverain, lié par rien ou en bilatéral volontaire et provisoire. Est-ce là l’identité que chacun cherche confusément ?

La France est dans l’histoire une mosaïque de régions et d’ethnies rassemblée autoritairement sous la houlette d’un roi parisien. Colonisée (un peu) par les Grecs un millénaire avant notre ère et ouvrant les Celtes au commerce méditerranéen, la France a été romanisée par le sud, puis entièrement sous César faute d’union des Gaules, avant que les « barbares » venus de Germanie ne l’aient franchement conquise. Les Ottomans ont isolé l’empire romain d’Orient, aujourd’hui la Turquie et une grande part des Balkans ; les Mongols ont isolé la Russie ; les Arabes ont isolé le Maghreb autrefois romain. Ces invasions forment les limites de l’Europe au sud, au sud-est et à l’est. La France se situe au carrefour des Germains et des Latins.

Pays catholique qui a choisi le pape alors que la périphérie choisissait de protester, roi absolu qui se prenait pour l’Etat et a révoqué un édit de tolérance pour chasser les forces vives proto-industrielles du pays, révolution qui a essaimé les Lumières mais accouché d’un esprit militaire et d’une bureaucratie jacobine centralisée pour laquelle l’impôt est l’alpha et l’omega plutôt que la prospérité – la France s’est trouvée fort dépourvue au siècle des nationalités. Elle était trop composite elle-même, parlant plusieurs langues en son sein appelées dérisoirement « patois », pour être une nation comme les pays autour d’elle. Ce pourquoi elle a choisi « l’universel », orgueil romain, héritage catholique, mission des Lumières, fantasme communiste. Le retour de l’identité la gêne, l’irrite, la déstabilise. C’est pourtant ce que réclament les gilets jaunes tout comme ceux qui votent Rassemblement national, soit une bonne moitié de la population qui s’exprime dans les urnes.

Déstabilisés dans un monde en mutation, envahis par des cultures étrangères où la religion se confond avec les mœurs et la politique, en prise à la délinquance comme au terrorisme des mêmes, déchu d’industries par la mondialisation et la prédation américaine qui « juge » extra-territorialement à coup de milliards que sa loi est la seule à s’appliquer au monde entier, colonisé mentalement par la loi des séries dites « populaires » (dans les faits commerciales), les Français issus du peuple un peu instruit et surtout de province isolée des grands centres, se crispent. Leur économie, leur culture, leurs mœurs foutent le camp et la régulation rampante de non-élus à Bruxelles les dépossèdent de leur destin.

La faiblesse du libéralisme à l’américaine, qui est la mentalité dominante jusque chez les élites européennes, est la lâcheté envers les frontières et la culture des « autres ». L’Amérique s’en foutait puisqu’elle est elle-même un ramassis de rejetés du vieux continent, issue de peuples divers, jusqu’aux esclaves importés d’Afrique. Depuis que la Chine lui taille de sévères croupières économiques et qu’elle défie sa technologie jusque dans sa pointe, l’Amérique se réveille, se crispe sur son statut et élit un populiste à grande gueule : Trump. Et les Anglais font de même avec un Boris (!) Johnson. Dès lors l’Europe, et la France, et les Français perdus, se disent qu’ils seraient bien bêtes de ne pas prendre le même train. L’Europe centrale et orientale trumpettant était inaudible ; elle le devient.

Ces ex-pays de l’Est connaissent un vieillissement de la population, un effondrement de la natalité et une émigration des forces jeunes qui cherchent un avenir meilleur à l’ouest. Leur panique identitaire est une panique démographique plus qu’économique. La nature ayant horreur du vide, et le filet juridique et réglementaire de Bruxelles enserrant ses membres dans un insidieux avenir multiculturel à l’américaine, ceux qui restent à l’Est ont peur d’une déferlante moyen-orientale ou africaine. Ils n’en veulent pas. Un peu ça va, trop, bonjour les dégâts. L’immigration ethnique est comme l’alcool, mieux vaut ne pas en abuser. Le foie distille sa dose, au-delà il cirrhose.

L’Est est encore homogène, l’Ouest déjà multi-ethnique. Ce sont moins les cultures différentes qui posent problème que l’individualisme exacerbé qui encourage l’universalisme du « tout égale tout » et du » tous pareils ». Les pays d’Europe centrale et orientale honnissent le Grand frère (ex-soviétique) mais lorgnent sur la politique à la Poutine : les immigrés, pas de ça chez nous ! L’identité bien assumée passe par le nationalisme et les frontières.

C’est bien ce à quoi aspirent confusément les gilets jaunes comme les extrémistes de droite et de gauche. Le « capitalisme » est l’autre nom, euphémisé, du colonialisme financier (plutôt connnoté « juif » et « anti-palestinien ») comme de l’impérialisme yankee de la marchandise. Dès lors, protectionnisme et nationalisme sont à essayer, croient-ils. Sur le modèle Poutine, Erdogan, Xi Jinping et Trump – entre autres.

Et la gauche inepte, qui devrait faire avancer l’écologie pratique de proximité et le social dans les territoires, entonne toujours la même incantation aux impôts et taxes pour aider les sans-frontières, sans-papiers, sans-abri, sans-ressources venus des pays « en guerre » (depuis Hollande, ne le sommes-nous pas nous aussi, « en guerre » ?). Les sans futur, qui va les aider ?

La tentation est grande de « l’homme » fort (qui peut être une femme au nom belliqueux comme Marine ou Maréchal). Un recours comme Sauveur – et comme d’habitude. Seuls peut-être, les deux Napoléon et De Gaulle ont réussi à changer les choses et à faire émerger un ordre du chaos. Leur image hante les déserts vides de la France périphérique et des acculturés à la violence. Mais les circonstances étaient à chaque fois exceptionnelles et la volonté du collectif alors très grande. C’est loin d’être le cas aujourd’hui où le chacun pour soi et le victimaire agressif sont la seule réaction des egos blessés.

Pour être, il faut d’abord ne pas se faire avoir. Mais encore ? « L’identité » suffit-elle à créer de la culture, de la recherche, des initiatives d’entreprises ? L’entre-soi est-il meilleur en nation qu’en caste sociale ? S’affirmer, certes, mais pour quoi faire ? et pour qui ?

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Montée du maréchalisme

La revue de réflexion Le Débat, dans son dernier numéro 205 de mai à août 2019, offre un panel d’articles sur la situation inconfortable d’aujourd’hui. Tout ce qui existait hier est remis en question… pour se réfugier dans l’avant-hier. La démocratie « représentative » est vilipendée comme confisquant le pouvoir au profit d’une élite qui « n’écoute pas »… mais le remède en serait la démocratie « plébiscitaire » adulant un homme fort tel que les fascismes et les socialismes l’ont promu à la génération d’avant. Ou, selon la classification des droites par René Rémond, la confluence de la droite légitimiste et de la droite bonapartiste.

Xi Jing-Ping déclare que la dictature d’un parti unique éclairé vaut mieux que les bavardages conflictuels des parlements démocratiques ; Poutine déclare le libéralisme « obsolète » et assume un nationalisme orthodoxe qui vante la grandeur de l’ex-URSS et la morale stricte inculquée à l’extrême jeunesse dans ce que la litote globish nomme des « Boot camps » – qui ne sont guère qu’une Putin-jugend sur le modèle de « l’Autre », l’ennemi de l’ouest. Aux Etats-Unis, mais aussi en France, un tiers de la jeunesse ne croit pas que la démocratie soit le meilleur système politique et préfèrerait une version plus musclée. En gros un Maréchal de 30 ans plutôt que de 90, la morale (voire la religion catholique) rigoureusement remise au goût du jour, les chantiers de jeunesse patriotique, la terre qui ne ment pas et le protectionnisme industriel. En témoigne la dernière élection européenne…

La souveraineté du peuple à la Rousseau comme fondement de la légitimité politique s’oppose à l’Etat de droit à la Montesquieu. Ni la représentation, ni la séparation des pouvoirs ne sont plus ressentis comme justifiés. D’où l’abstention, l’aversion ou la sécession. Toute parole officielle se trouve discréditée, et l’on assiste à l’essor des vérités « alternatives » comme au recours à la théorie du Complot. Dans le même temps le « libéralisme », dévoyé du politique à l’économique, engendre une prolifération de normes, règles et contraintes qui font douter de la « liberté » qu’il peut apporter. Les inégalités économiques croissent à mesure de la contrainte bureaucratique et la stagnation, voire le recul du niveau de vie, exacerbent les comparaisons entre statuts et positions.

Le « progrès » de gauche apparaît comme une régression sociale face aux inégalités et comme une régression culturelle face à l’immigration et aux musulmans français victimisés « plus égaux que les autres » ; le développement promis se dérègle à cause de la raréfaction des ressources, de l’énergie et de la destruction de l’environnement. Et aucun intellectuel n’est capable de proposer un nouveau modèle pour la société. L’université apparaît comme un parking où les diplômes sont dévalorisés par l’absence de sélection et par son refus de s’ouvrir au monde professionnel.

Dans l’ambiance générationnelle des nés-numériques, l’individualisme devient exacerbé. C’est chacun pour soi, du sport où la compétition fait rage au show-business où seul l’apparence compte, des profs qui prennent en otage les notes des bacheliers aux aide-soignantes qui simulent un suicide à l’insuline (tout en se faisant immédiatement soigner par les autres…), aux associations thématiques qui permettent d’émerger, aux entreprises créées à partir de rien sur des projets inédits. L’échelle locale apparaît comme la seule qui permette de valoriser le moi, et non plus ces « valeurs » abstraites d’un collectif incantatoire qui s’en fout dans les faits. Les syndicats sont dévalorisés et seul le happening (mais où l’art est dévoyé en politique) vaut titre d’existence (médiatique). Le basculement identitaire est en marche et c’est bien la faute de la gauche en France, au pouvoir par longues alternances depuis des décennies, d’avoir abandonné les individus au profit des utopies gentillettes sans racines.

Les 18-24 ans des enquêtes montrent qu’ils votent le plus pour des candidats radicaux, 25.7% pour Marine Le Pen au premier tour de la dernière présidentielle, 24.6% pour Jean-Luc Mélenchon (OpinionWay) contre 21% pour Emmanuel Macron. L’originalité de Mélenchon au premier tour a été d’avoir rompu avec la gauche culturelle européiste pour mener une campagne populiste et souverainiste ; l’erreur de Mélenchon au second tour a été d’abandonner cette posture identitaire pour rallier le reste de la gauche et en devenir son leader : son discours gauchisant sur l’immigration, l’éducation, la famille, l’Europe, a déçu. Même les gilets jaunes aujourd’hui lui tournent le dos – et les européennes ont montré que sa coalition n’était que de circonstance, fragilisée par ses coups d’éclat personnels.

L’identité malheureuse, la dépression économique, la régression nationale face aux géants américains, chinois, russes ou même allemands font que la génération jeune rejette la génération vieille qui a « joui sans entraves » en laissant un fardeau de dettes, de fils d’immigrés mal assimilés et d’immigrés récents de plus en plus inassimilables, sans parler du réchauffement climatique, des impôts au plafond et de la hausse exponentielle des taxes sur l’énergie. Le « vivre-ensemble » du discours lénifiant de la gauche bobo ne passe plus sur le terrain des inégalités économiques, des incivilités ethniques et de l’insécurité culturelle. Quand on n’a plus de repères aujourd’hui, on en revient volontiers aux repères d’hier.

Et le premier est la frontière : politique pour ne pas être inféodé, économique pour protéger ses industries, sociale pour préserver le système de santé, de chômage et de retraite, enfin culturelle face à la masse africaine (Maghreb et Afrique noire) dont l’explosion est déjà programmée : 150 millions dans les années 1930, 1.3 milliards aujourd’hui, 2.4 milliards en 2050 – seulement dans trente ans. Il faudrait être niais pour feindre de croire qu’une petite part des Africains jeunes ne désireront pas « rejoindre les cousins » dans l’eldorado européen, là justement où la démographie stagne et où la population vieillit, mettant en péril production, cotisations santé et retraites. Déjà, un immigré sur deux en France vient d’Afrique : réfugié, clandestin économique, étudiant qui reste ou regroupement familial.

Or l’islamisme progresse en Afrique et se fait plus intégriste. L’intégration des immigrés n’est pas une question sociale mais de plus en plus une question de mœurs, de religion et de culture. L’essor de l’individualisme engendre partout l’entre-soi, donc des tensions croissantes entre des « eux » et des « nous ». La religion est souvent le prétexte pour justifier des exactions violentes comme le dit Olivier Roy, mais les banlieues se radicalisent sous la férule des imams formés en Arabie saoudite comme le dit Gilles Kepel. Le fait religieux est autonome de la position sociale, ce sont surtout les classes moyennes qui partent en Syrie – même si la fratrie, la bande de petite délinquance et la mosquée servent de viviers. Selon Hakim El-Karoui, plus d’un quart des musulmans de France ont un système de valeurs qui s’oppose clairement à celles de la République. 68% des musulmans d’une cohorte de 11 000 collégiens des Bouches-du-Rhône interrogés mettent la loi de l’islam au-dessus de la loi française (contre 34% des catholiques). Une autre étude portant sur 7000 lycéens de seconde montre que 33% des musulmans ont une vision « absolutiste » de la religion, contre 11% pour les autres (enquêtes citées p.136).

Les « idiots utiles » (terme de Lénine à propos des intellos) dénient et minimisent, littéralement aveugles à la réalité identitaire qui monte en pression. Elle est pour eux « fasciste » et ils mettent dans ce mot le Diable incarné – qu’il ne faut dès lors qu’exorciser et non pas dialectiquement réfuter. Cette gauche morale en faillite, crispée sur ses positions de jeunesse alors que le monde n’est plus le même, a colonisé les médias et imposé son dogme, stigmatisant et rejetant dans les ténèbres extérieures tous ceux qui pensent autrement. La générosité est manipulée sur des cas individuels pour encourager l’immigration sans frontières ; la « domination » est mise en avant pour dévaloriser la culture traditionnelle, qualifiée de « bourgeoise » même quand il s’agit des sciences physiques ou statistiques ; la honte est agitée sur le rationalisme exacerbé en dérive des Lumières, sur la colonisation (à l’origine de gauche pour « éduquer » les peuples « enfants »…), sur la Shoah.

Un Mélenchon ne qualifie Merah, le froid tueur d’enfants, que de simple « fou » d’un banal fait divers ; un Peillon réduit à l’hitlérisme toute critique des islamistes en comparant le sort des Musulmans au sort des Juifs durant la Seconde guerre mondiale – on se demande d’où sort la politique de ce prof de philo… Si nombre de Juifs français fuient les banlieues où ils ne peuvent plus vivre ni étudier en sécurité, si de plus en plus quittent la France, ce n’est certainement pas le cas des Musulmans qui, eux, arrivent en masse et réclament toujours plus de visas ! S’ils étaient tellement menacés par « le racisme » en France, ne la quitteraient-ils pas pour un autre pays ou pour revenir chez eux ? Une telle niaiserie de la part de politiciens « progressistes » dans le déni, la complaisance ou le silence, laisse pantois. Ce pourquoi la gauche s’est effondrée et ses politiciens déconsidérés à vie.

Restent deux pôles : le raisonnable et réformiste démocratique – et le retour de l’archaïque sur le modèle Poutine d’un âge d’or mythifié autoritaire. Aujourd’hui Emmanuel Macron (malgré ses défauts) ou Marine Le Pen (avec ses défauts). Mais demain probablement Marion Maréchal, bien plus crédible que sa tante mais encore un peu jeune, prônant l’alliance de la bourgeoisie conservatrice et des classes populaires via le problème identitaire. Elle est évidemment pro-Trump tout comme elle était membre du groupe d’amitié France-Russie lorsqu’elle siégeait à l’Assemblée nationale…

Oui, le maréchalisme monte lentement en France.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Lester Del Rey, Le onzième Commandement

Del Rey a une œuvre à rallonge, comme son nom complet qui est Ramon Felipe San Juan Mario Silvio Enrico Smith-Heathcourt-Brace Sierre y Alvarez del Rey y de Los Uerdes. Rien que pour cela, il vaut le détour. Je me souviens qu’il était apprécié dans mon adolescence pour traiter des thèmes à la mode (centrales nucléaires, extraterrestres, Dieu…). Le Onzième Commandement se focalise sur l’Eglise elle-même, catholique éclectique – évidemment américaine – après la Bombe qui a ravagé le monde avant l’an 2000.

Car cet auteur, né en 1915 tout bêtement dans le Minnesota malgré son patronyme, est fermement américain. Le pays sera le sauveur de l’humanité, rien que ça. Et avec son pape catholique. L’anti-pape, disent les Européens dont les cardinaux survivants en ont élu un vrai à Rome et sont appelés les Romanoches, avec ce mépris arrogant des Yankees pour ceux la vieille Europe. Il est vrai que, comme en 14 et en 40, ces bâtards d’Européens se sont foutus sur la gueule par bombes nucléaires interposées. C’était « un accident », dit-on. Toujours est-il que la planète s’en trouve contaminée et que chacun désormais reste sur son continent : les Européens dans leur misère, les Asiatiques dans leur païennerie, les Africains minés par la famine, les maladies et l’islam, ce qui font trois bonnes raisons de les ignorer. Ne restent que les Amériques, évidemment dominées par celle du nord autour de New City, l’ex New York.

Nous sommes en 2190 et les humains dès avant la Bombe ont réduit la planète surexploitée à une suite de déserts car « le droit de l’affamé technologique à sa juste part d’énergie et de matières premières » (p.194) n’a pas résisté aux milliards d’êtres de la démographie sans limites. Les plus doués sont partis sur Mars et ont coupé les ponts avec la Terre ; ils poursuivent la civilisation sans s’encombrer des miséreux et des ratés génétiques. Ne reste, comme structure sociale, que l’Eglise…

Avec pour foi le fameux Onzième Commandement qui est de copuler comme des bêtes pour « croître et multiplier », ce que Dieu a dit à Adam et répète plus ou moins à Moïse après l’avoir susurré à Noé. Des « fêtes » sont organisées pour faire se rencontrer les couples, sous le saint patronage des chastes curés et lors de processions de la Vierge ! Vous ne voyez pas la contradictoire hypocrisie ?

Boyd le voit, jeune homme qui vient de Mars, largué par un vaisseau automatique qui l’a exilé définitivement pour gènes déficients. Le grand et blond Boyd Jensen a suivi des études de biologie jusqu’au master 1 (comme on dit aujourd’hui) et connait très bien la manipulation des cellules. Ce n’est pas le cas sur la terre, où les curés se réservent tout ce qui touche à la vie – sauf la copulation. « Des flopées de prêtres célibataires, des nuées de moines et de nonnes célibataires, qui font vertu de leur célibat et viennent ensuite vous prêcher leur Onzième Commandement en criant au péché si l’on ne se conduit pas tout le temps comme un animal en rut ! Bandez et baisez si vous ne voulez pas perdre votre âme ! La voilà la véritable devise de cette fameuse Eglise éclectique catholique américaine ! » p.119. Boyd verra à la fin de son aventure que ce Commandement quasi soixantuitard n’est pas si contradictoire que cela avec le Dessein de Dieu, mais vous le découvrirez bien assez tôt.

En attendant, c’est en enfer que se retrouve le jeune Martien élevé dans la culture et le savoir. New City n’est qu’une suite de taudis hors églises et bâtiments officiels protégés. Des bandes de gosses pieds nus en haillons poursuivent des rats pour les bouffer, des malfrats attaquent les passants isolés et les seuls transports sont en pousse-pousse, le train à vapeur qui roule sur route (l’acier est trop précieux pour faire des rails) est réservé aux aliments extraits de la mer dans des fermes souterraines. La levure, manipulée, fabrique l’alcool qui sert à s’éclairer car nulle goutte de pétrole ne peut plus être retirée. C’est justement sur une levure instable que Boyd est affecté comme préparateur. Comme il est moins con que la moyenne des dix milliards de Terriens, il réussit aisément à la stabiliser et son monseigneur d’accueil en fait part au Saint-Père, lui-même biologiste. Boyd va être promu et lutter notamment contre un virus invasif qui fait passer les algues alimentaires du statut de végétal à celui d’animal et qui croquent les végétales résistantes. Là encore il va réussir. Mais, lorsqu’il voudra aider Hélène, la fille pas très belle qui a perdu un bébé monstre pris par les curés et que son mari a quitté, il va se trouver en butte à tout le pouvoir contraignant de l’Eglise. Il lui faudra l’absolution du pape américain pour s’en sortir et partir, nouveau pionnier, vers l’Australie où un prophète aveugle prêche la croisade contre les Jaunes. Mais pour cela, il devra vaincre la peste.

La théocratie reste-t-il le seul régime viable en cas de crise majeure ? L’Eglise catholique peut-elle retrouver la place qui fut la sienne de l’an mille à l’an 1950 ? Le progrès est sur Mars et l’obscurantisme sur la Terre – mais est-ce bien le cas ? L’Evolution – sans parler de Dieu – ne trouve-t-elle pas toutes les failles pour son Projet obstiné de prolifération par essais et erreurs ? Ce sont toutes ces interrogations qui surgissent de ce roman d’action qui se lit bien, captivant et provoquant de salutaires réflexions, à l’heure où l’écologisme apparaît comme la nouvelle religion de notre siècle, bien au-delà de sa validité scientifique ou de bon sens.

Lester Del Rey, Le onzième Commandement (The Eleventh Comandment), 1970, Livre de poche/Opta 1977, 315 pages, occasion €2.46

Catégories : Livres, Religions, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Gens de Tahiti

L’INSEE compte 275 918 habitants en Polynésie française en 2017. Les Marquises ne comptent que 9350 personnes et les îles Australes 6970. Les retours dans les îles entre 2007 et 2012 en raison de la crise économique, avaient augmenté ; depuis 2012, ils diminuent.

La fécondité baisse et les départs de la Polynésie française restent plus importants que les arrivées, notamment pour les jeunes avant 25 ans dont un dixième quitte le territoire. 17 500 personnes sont parties de Polynésie depuis 2012, soit 6 % de la population – car seulement 44 % de la population au-dessus de 15 ans déclare occuper un emploi. C’est donc la recherche de travail et les études qui poussent à partir et à s’installer ailleurs.

Près de la moitié des Polynésiens vivent en noyaux familiaux d’environ six personnes. Les familles nombreuses ne représentent que 8 % des ménages et les familles monoparentales seulement 6 %. Les personnes âgées de plus de 60 ans comptent pour 12 % de la population et 36 % d’entre elles vivent avec leur famille plus ou moins élargie car seulement 21 % des plus de 60 ans travaillent. Les trois quarts des emplois sont dans le secteur tertiaire du commerce, des services, notamment l’hôtellerie et la restauration. Ce n’est qu’aux Tuamotu-Gambier qu’une personne sur deux travaille dans la pêche, la perliculture ou le coprah. L’industrie ne représente que 7 % de l’emploi total en Polynésie dont la moitié dans l’alimentaire et les boissons. Seulement 1200 personnes travaillent dans l’artisanat. La moitié des foyers est équipée d’un ordinateur avec connexion Internet, sauf aux Tuamotu-Gambier, moins bien desservis par l’éloignement.

L’espérance de vie moyenne est de 77 ans car le taux d’obésité a beaucoup augmenté depuis 30 ans dans les îles du Pacifique. La question s’est posée de savoir pourquoi plus dans les îles qu’ailleurs. Il est probable que les sociétés traditionnelles agricoles vivant de fruits, de légumes et de la pêche n’étaient pas préparées biologiquement par les millénaires à l’arrivée de produits venus de l’extérieur. L’arrivée des militaires américains pendant la seconde guerre mondiale puis l’essor des communications et du tourisme après introduit de nouvelles nourritures, parfois moins chères et plus séduisantes. Le mode de vie moderne des activités tertiaires est sédentaire. Il est mauvais pour la santé de ceux qui ne sont pas habitués depuis des générations. La nourriture importée, notamment le sucre, la farine, l’huile à friture, les sodas et la bière – même la viande en conserve – offre trop de calories par rapport au régime traditionnel.

Des chercheurs pensent que les corps des insulaires du Pacifique sont génétiquement programmés pour stocker le gras plus que les autres parce que vivre sur des îles loin de tout subissant des tempêtes et des cyclones, voulait dire connaître de longues périodes de restriction ou de famine. Pour le reste du temps, se nourrir demandait un travail physique important pour cultiver la terre et aller pêcher. Dans un nouvel univers de métier sédentaire et de fast-food, la prise de poids s’explique facilement.

Mais il n’y a pas que cela. La culture joue aussi un rôle car, dans l’imaginaire, un physique imposant est considéré comme un statut de richesse et de puissance. Les chefs traditionnels bénéficiaient de repas plus copieux que le reste de la population et présentait un corps dodu et un teint florissant. Ce n’est qu’avec la nouvelle norme véhiculée par le cinéma  américain que les jeunes femmes comme les jeunes hommes se doivent être au standard mince et aux attributs sexuels bien marqués : Barbie et Ken. Cette obésité engendre le diabète et réduit l’espérance de vie.

Ce n’est que par l’éducation à bien se nourrir, la revalorisation des cultures polynésiennes et par l’écologie encourageant la production locale que ce fléau pourra être enrayé.

Catégories : Polynésie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Sylvain Tesson, Géographie de l’instant

Géographe, fils de journaliste célèbre élevé à Chatou puis dans la couveuse de Passy-Buzenval (qui accueillit Mehdi, le Sébastien original), celui qui a su se créer un prénom recueille ici ses chroniques et les notes de son bloc entre ses 35 et 43 ans, de 2006 à 2014. « Archiver sa vie, c’est vaincre le néant » p.161.

Ce ne sont que pensées nomades, formules ciselées, jugements sur l’époque : une géographie de l’instant. Car le présent est tout, le passé illusion et l’avenir incertain. Il faut vivre ici et maintenant, cueillir le jour qui passe, immergé dans l’instant. Car seul l’instant existe en réalité.

« Ringarde, la figure du Wanderer ? Non, éternelle » p.389. La figure du vagabond romantique de l’Allemagne début de siècle, jeune, enthousiaste, proche de la nature et demi-nu, reste le modèle un peu scout de l’auteur, adolescent prolongé. Jeté dans l’aventure à 19 ans, il a attrapé le virus qui lui a inoculé sa philosophie du mouvement. « Philosopher, c’est apprendre à vivre. Et vivre c’est descendre en soi pour se connaître, accepter ce qui advient. Et comprendre que les sens sont des fenêtres. L’essentiel est de les ouvrir » p.397.

J’aime Sylvain Tesson, son esprit libre, son cœur aventureux, son corps de marcheur en mouvement. « Fuir au moindre danger, dresser promptement sa couche, subvenir à ses besoins dans la rigueur, tirer profit de l’aridité : conditions nécessaires à la vie en marche » p.342. Ecrite en 2007, cette phrase pourrait presque s’appliquer au mouvement d’Emmanuel Macron. Elle est destinée probablement à la génération qui vient, submergée par « les besoins » en ressources et énergie du nombre d’humains qui va vers les 12 milliards d’ici une trentaine d’années… Sylvain Tesson est profondément écologique, soucieux d’harmonie de l’environnement, mais garde en ses formules une position de principe très en hauteur un brin agaçante : non, on ne change pas une société par décret, ni une manière de vivre en cinq ou six ans. Et tout le monde ne peut pas être écrivain-aventurier.

Avec l’âge qui vient Sylvain, au prénom d’homme des bois, pourra moins escalader, gravir, grimper ; mais il pourra jusque fort tard marcher, tel Théodore Monod à 89 ans. Peut-être produira-t-il moins d’aphorismes concentrés et plus de livres sereins – mais trempés dans la plume acérée du réel, celle qu’il use pour griffer la bonne conscience et la bêtise, celle qui fait son charme.

Naturaliste, géopolitologue, russophile, infatigable explorateur jamais lassé du globe, il est une fenêtre aux urbains insatisfaits et râleurs que nous sommes la plupart du temps : « Être français, c’est vivre dans un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer » dit-il drôlement p.163. Mais l’aventure est un état d’esprit, une ouverture au monde, un laisser-être. Il suffit de suspendre tout jugement et d’observer ; de laisser sa morale – relative à l’époque et à sa propre société – au vestiaire des oripeaux sociaux et de rendre compte de ce qu’on voit tel qu’on le voit. Innombrables sont les notules d’émerveillement sur la nature, sur les bêtes, parfois sur les humains.

Les aphorismes apparaissent plus faibles sur la fin, rançon peut-être du trop de vodka englouti qui fusille les neurones. Mais sont accolées de somptueuses chroniques au Figaro, reprises ici sur les cristaux, les abeilles, les milieux humides, les sept « péchés capitaux » qui sont consommés allègrement chez les bêtes. Et le jour qui changea sa vie ou l’amour de la Russie dans La Croix en 2011. Contre l’impasse intello de la peinture contemporaine, il aime le naturisme du peintre russe Chichkine et contre l’abstraction contente d’elle-même de la philosophie française, la phrase du philosophe russe Chestov : « Préférer les idées à la vie, c’est le péché originel » p.110.

Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, 2012, Pocket 2018, 407 pages, €7.50

Sylvain Tesson sur ce blog

Catégories : Livres, Philosophie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

On a marché dans Paris

Dimanche dernier, des marcheurs ont arpenté les rues de la capitale. Pourquoi ? Pour le climat. Combien ? 14 500, soit 0.66% de la population parisienne – et encore, il y avait des banlieusards. Moins que n’importe quelle manif sociale. La cause ? Le sujet trop abstrait, passant par-dessus la tête du citoyen moyen. Les écologistes français ont ce travers intello d’annoncer sans cesse la catastrophe imminente (depuis le rapport du Club de Rome en 1972) et de proposer des solutions toujours radicales (issues de leur tropisme gauchiste) : rien qui satisfasse le goût du changement modéré que réclament les citoyens. Ce pourquoi Eva Joly n’a réuni que 2.31% des électeurs sur son nom à la dernière présidentielle où les écologistes présentaient un candidat, à peine plus que René Dumont en 1974.

Si la France s’arrêtait de produire et de consommer demain matin, les tendances du climat ne changeraient en rien : elle ne produit que 1% du PIB mondial et son énergie est largement décarbonée grâce au nucléaire, produisant beaucoup moins de gaz à effet de serre (qui participe au réchauffement) que l’Allemagne. Celle-ci a en effet abandonné le nucléaire… pour des centrales au charbon ! Malgré l’essor des énergies renouvelables sur les bâtiments (éolienne de cheminée, panneaux solaires) ou les fermes (méthanisation), l’énergie est insuffisante. Le nucléaire, malgré ses défauts (la gestion des déchets pour le moment insoluble), reste l’énergie de transition la plus intéressante avant de changer de monde – mais cela, c’est de la raison, pas de la croyance.

Car rêver d’un An 01 d’une existence durable est bien dans l’esprit messianique et impotent de la pensée abstraite. L’écologie est devenue en France une nouvelle religion qui a pris la suite du marxisme et du christianisme. Il faut y « croire » à la suite des « prophéties » apocalyptiques et suivre « les grands prêtres » qui prêchent les Dix commandements :

Tu n’auras pas d’autres dieux que moi, la planète.

Tu ne feras aucune idole de consommation, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces objets à la mode, pour leur rendre un culte. Car moi, la Terre-mère, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération.

Tu n’invoqueras pas le nom de la nature pour la dominer, car la planète ne laissera pas impuni celui qui veut s’en rendre maître et possesseur.

Tu feras de la jachère et de l’abstinence un mémorial, un temps sacré : tu ne feras aucun gaspillage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui réside dans ta ville.

Honore ton père le climat et ta mère la Terre, afin d’avoir longue vie que te donne la nature.

Tu ne commettras pas de meurtre d’animaux pour les manger, ni de plantes au-delà de ta nécessité.

Tu ne commettras pas d’adultère avec d’autres planètes.

Tu ne commettras pas de vol des richesses du sous-sol.

Tu ne porteras pas de faux témoignage contre le naturel.

Tu ne convoiteras pas ce que tu n’as pas et que tu désires par caprice hors de tes besoins vitaux.

Mais qui est prêt à subir une nouvelle religion alors qu’il a été très difficile déjà de se libérer des précédentes ?

Est-ce pour cela qu’il ne faut rien faire ? Non – mais soyons rationnels et réalistes : ce ne sont pas nos bonnes actions personnelles qui ralentiront le réchauffement climatique. Seules les grandes masses énergivores, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et, en Europe, les Etats industriels peuvent « faire » quelque chose, à condition qu’ils le fassent en commun. Ce n’est pas en « marchant » que l’on fait baisser la température, pas plus que les sorciers en dansant ne faisaient jadis venir la pluie. Il faut sortir des incantations et de la pensée magique !

La révolution durable passe par le bon sens augmenté du savoir, donc avant tout par l’éducation.

C’est le rôle de l’Etat, qui a prélevé en 2017 1038 milliards d’euros d’impôts et taxes, dont 37 % seulement au titre du social à redistribuer. C’est 43.3 milliards de plus qu’en 2016 et 368.5 milliards de plus qu’en 2002. Avec un prélèvement sur la production de 45.3% et une dépense publique de 56.1% du PIB (contre 44% en Allemagne), les Français vivent-ils mieux et plus durable que leurs voisins ? Les Français 2018 vivent-ils mieux qu’en 2002 sous Jospin ? On en doute… même si le « bas niveau en lecture et en calcul » en cours préparatoire et l’année suivante est largement dû aux enfants défavorisés, en général issus de l’immigration, qui n’ont pas le français courant ni la maitrise des chiffres dans leur famille. Militer pour l’environnement, c’est aussi militer pour améliorer l’environnement social, surtout l’éducation. Elle seule permet de comprendre les enjeux pour la planète et de ne pas consommer par ostentation, de ne pas suivre aveuglément la mode, de moins gaspiller l’eau, l’énergie, les aliments.

A ce stade, il y a du boulot… Car ceux qui « ont les moyens » ont peu de mérite. Voiture électrique, isolation de l’habitat, loisirs peu énergivores, jardin aménagé, alimentation bio : tout cela est bon mais coûte plus cher. Ceux qui ont reçu le capital éducatif, qui savent trouver et jauger l’information, qui sont aptes à penser par eux-mêmes, peuvent se sentir responsables de la planète et agir pour le durable. Mais les autres ? La grande majorité peu lettrée, insatisfaite, avide de consommer et envieuse de l’aisance des « riches » (4000 € par mois selon l’ineffable Hollande), se préoccupe peu de la nature et des ressources ; elles lui paraissent des injonctions d’intellos pour les rabaisser ou des ordres de dominants pour les maintenir dans leur statut social inférieur.

Souvent l’élite donne le ton et le reste les imite, avec une ou deux générations de retard. C’est pourquoi, s’il n’y a pas lieu de se glorifier de faire « bien », il est nécessaire de donner le bon exemple. La France, plus qu’ailleurs, reste une « terre de commandement » formatée par le droit paternaliste romain, la hiérarchie catholique d’église et la société de cour – que l’Administration a aisément remplacée. La « civilisation des mœurs » décrite par Norbert Elias devrait s’appliquer et les mœurs devenir plus durables, mais avec le temps. On constate des changements depuis deux ou trois décennies sur le sujet ; des initiatives fleurissent, plus à la base, dans les communes et les associations locales qu’au sommet de l’Etat. Mais tout changement est nécessairement lent : les nouvelles croyances ne s’imposent que peu à peu, même si certains rêvent de « la révolution » comme en 89 ou en 17, sur quelques années, ou des « moines guerriers » du christianisme à ses débuts qui renversaient les idoles et massacraient les philosophes en brûlant leurs livres « païens ».

Mais la raison doit l’emporter, comme la pratique démocratique. Convertir par le réel, pas par la terreur ni par l’incantation à l’Apocalypse ; appliquer par le débat et les initiatives citoyennes, pas par un pouvoir central autoritaire.

Il faut donc dénoncer ceux qui interprètent les données du GIEC comme les augures romains le faisaient des entrailles des vaches : les scientifiques bâtissent des modèles qui ne sont qu’une caricature simplifiée de la réalité très complexe de ce qui compose le climat. Tout modèle est perfectible, il n’est pas absolu. En témoignent les modèles démographiques : aucune année ne passe sans que l’on « révise » les projections de population sur la fin du siècle – et pourtant la démographie est plus simple à modéliser que le climat. La prévision actuelle est de 11,2 milliards d’humains sur la planète en 2100 : il faudra les nourrir, les chauffer, les loger, leur donner du travail. Qui dénonce le nombre comme prédateurs de la planète ? Qui critique le Pape, les imams et les rabbins pour leurs prêches en faveur du « croissez et multipliez » biblique ?

Les religions sont, comme les grèves, un tabou des écologistes. Ils préfèrent « marcher » pour les médias que porter la réflexion sur ce qui compte.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Edmond Lévy, Sparte

Sparte, cité grecque égale d’Athènes en réputation, est devenue un mythe. Son système égalitaire, sa vertu revendiquée, ses filles sportives, l’émulation des adolescents, son excellence à la guerre, ses deux rois et leurs contrepouvoirs, ont fait rêver depuis l’Antiquité. Dans l’époque récente, Sparte a inspiré Jean-Jacques Rousseau et Gracchus Babeuf mais aussi Joseph de Maistre et Maurice Barrès, avant les communistes et les nazis. Chacun prenait ce qui lui convenait – nul doute que les deux rois et les contrepouvoirs n’eurent pas l’heur de plaire à Staline ou Hitler. Aujourd’hui même, la répugnance au « capitalisme », l’austérité écolo et les incantations aux vertus civiques, voire la réinstauration d’un service militaire obligatoire pour tous les jeunes, filles comprises, ou la « saine » compétition sportive à tous niveaux, reviennent en force comme idéal de vie commune. Si l’Italie vient de conjuguer les extrêmes dans le rejet de la corruption et de la mentalité de négociation, peut-être verra-t-on un jour prochain nos Staline et Hitler nationaux – pardon, les Mélenchon et Le Pen – se rejoindre sur une spartisation de la société française ?

D’où l’utilité du retour aux sources, sous la houlette d’un historien spécialiste du sujet, professeur honoraire d’histoire grecque à l’université de Strasbourg après avoir été membre de l’Ecole française d’Athènes. Son propos, dans ce petit livre de synthèse, est de faire la part des sources et de critiquer les textes des différentes époques anciennes sur Sparte et les Spartiates. Il y réussit fort bien, même pour les non-spécialistes.

La cité austère, fondée sur l’agriculture des riches plaines de Laconie, n’était démocratique que pour les Homoioi, les semblables (qui ne sont pas des Isoioi, des identiques, erreur des révolutionnaires français). N’est pas semblable qui veut ; pour l’être, il faut avoir reçu une éducation collective (agôgé), participer financièrement et physiquement aux repas collectifs (syssities) et posséder un domaine (kléros) qui permet de payer. Il faut être aussi issu de deux Spartiates, les bâtards ayant un statut inférieur. Il s’agit donc d’une aristocratie du sang et de la culture, qui domine le reste de la société : les citoyens déchus pour lâcheté au combat ou corruption, les Périèques (ceux qui vivent autour) et les Hilotes (les serviteurs pas tout à fait esclaves).

L’éducation spartiate a fait beaucoup jaser. Elle est obligatoire et collective pour être citoyen ; elle est organisée par la cité et commence dès 7 ans par lire, écrire et chanter, et se poursuit par le sport orienté vers la discipline, la vie à la dure et l’émulation pour les adolescents jusqu’à 20 ans, âge où ils deviennent soldats. S’ils peuvent dès lors se marier et avoir des enfants (ce qui est socialement requis !), ils sont contraints cependant de vivre avec leurs camarades jusqu’à 30 ans, ne caressant et honorant leur femme que dans les intervalles de la vie collective. Ils sont aussi tenus de prendre sous leur protection vigilante un plus jeune (pédérastie) et de lui servir d’exemple de vertu ; les relations affectives n’excluent pas les relations sexuelles mais celles-ci sont secondaires et nullement obligées : ce qui compte est d’élever un éphèbe au rang de citoyen-soldat (p.62). Si les paidès (12-20 ans) « marchent pieds nus et ont un seul manteau pour toute l’année » (cet « uniforme » égalitaire que certains aimeraient voir revenir), cela « n’implique pas nécessairement l’absence de chiton » p.57, tempère l’auteur – contre Plutarque. On ne se met nu que pour la lutte et la course, et pour nager, se laver et dormir, pas toute la journée. Contrairement aux autres cités grecques, Sparte se souciait de l’éducation des filles ; on les entraînait physiquement et leur enseignait le chant choral, les poètes professionnels leur apprenaient les vertus civiques.

Mais l’égalité théorique était en contradiction avec l’encouragement à la constante émulation, tout comme l’inégalité des biens subsistait malgré les apparences. L’obéissance aux lois et la discipline militaire, l’intériorisation dès l’enfance des valeurs civiques et du sens de l’honneur qui incite à l’héroïsme, les chants patriotiques et la fusion émotive des votes par les cris, unifient les citoyens et les rendent semblables plus que les biens matériels. Mais la cité apparaît plutôt comme une société de contrainte où tous surveillent tous sur les écarts à la norme et où le conformisme est encouragé (comme sous le socialisme réalisé). La quête du prestige (timé), fait de Sparte plus une timocratie qu’une démocratie (comme sous le nazisme) !

L’accroissement des inégalités avec le temps, l’exclusion du rang de citoyen de ceux qui ont failli, les guerres coûteuses en hommes de valeur et la démographie en berne ont eu raison de la fière cité spartiate. Les éphores (surveillants) sont devenus tyrans, la gérousie (conseil des anciens) a été achetée et des deux rois un seul a subsisté, tournant au démagogue. La concorde n’a plus existé et la base civique s’est rétrécie. Rome est venue qui a mis tout le monde d’accord – sous sa botte (comme les Etats-Unis trumpistes).

Le régime spartiate n’est donc pas meilleur qu’un autre, mais il constitue un mythe auquel les démagogues contemporains reviennent systématiquement faute d’idées sur le présent : Yaka renforcer l’éducation égale pour tous ! Yaka rétablir l’uniforme à l’école ! Yaka encourager les valeurs du sport ! Yaka rétablir le service militaire qualifié de « civique » ! Yaka multiplier les lois sur les « bonnes » mœurs ! Ne restent que la pédérastie (honnie des religions du Livre), les « cuisses nues » des filles sportives, et les cantines obligatoires qui ne soient pas reprises – on se demande pourquoi. La lecture de ce livre érudit mais accessible, bourré de références et muni de trois index, sera très utile à ceux qui veulent démêler le fantasme de la réalité et ne pas lire le présent avec les fausses lunettes du passé.

Edmond Lévy, Sparte – Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, 2003, Points histoire Seuil, 370 pages, €10.00 e-book Kindle €10.99

Catégories : Grèce, Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Eric Bohème, Réalités métissées

Membre de l’Association des écrivains de Côte d’Ivoire, l’auteur est un Français qui a épousé l’Afrique après de multiples missions. Il livre ici un recueil de nouvelles, chroniques et récits, parfois démarqués des contes de Grimm, de discours politiques ou de chansons du répertoire français.

Mais s’agit-il de « métissage » ou de « mélange » ? Le métissage est un croisement biologique, le mélange une rencontre de personnes différentes. Faut-il sauter du second au premier sans y réfléchir ?

Au mélange appartient les anecdotes intitulées « Prisme » où les mœurs françaises et ivoiriennes se télescopent en suscitant étonnement, rire ou honte. Ainsi, la Sécurité sociale française est-elle tenue par la famille en Ivoirie, le rôle du psychiatre par le marabout (mais en Europe auparavant par le curé). Le quiproquo du taxi pour la rue des Canards à Abidjan au lieu de la rue du Canal est le même que celui de l’Ivoirien qui se voit conduire à l’aéroport Charles de Gaulle au lieu de la Place – que tout le monde continue d’appeler « de l’Etoile ». Sauf que le taxi parisien ne démord pas du prix de la course effectuée, alors que l’Ivoirien ne fait payer que le prix du trajet demandé.

Il n’y a qu’au prisme « arnaque » que je tique : écrire que les populations africaines « se remboursent très partiellement » de la colonisation et de l’exploitation « durant des siècles », c’est établir la morale au plus bas niveau : celui du plus fort, avec loi du talion et dent pour dent. Dans ce cas, les Français seraient-ils justifiés de voler les Italiens à cause de l’invasion de César ? Comprendre fait parfois excuser, au risque d’y perdre ses valeurs.

Au métissage appartient cet appel imaginaire attribué à Laurent Gbagbo, démarqué du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy : « Le défi de l’Europe est celui de toutes les civilisations, de toutes les cultures, de tous les peuples qui veulent garder leur identité sans s’enfermer parce qu’ils savent que l’enfermement est mortel. Les civilisations sont grandes à la mesure de leur participation au grand métissage de l’esprit humain » p.34. Que l’esprit fasse de beaux enfants aux cultures venues d’ailleurs est bienvenu, mais pourquoi ne serait-ce pas aussi le cas pour la Côte d’Ivoire ?

L’auteur s’en doute et l’encourage, sinon dénonce son abandon dans une réponse à un commentaire sur le fesses-book d’une Ivoirienne imaginaire : « notre croissance démographique est-elle choisie en toute connaissance de cause, le gouvernement et la société se donnant alors les moyens de l’accompagner en termes de maternités, d’écoles, de formation professionnelle, d’emplois, de logements, ou est-elle simplement la conséquence d’habitudes acquises ? » p.59. Faire l’amour, c’est bien – mais faire des gosses, pourquoi ? Juste pour le plaisir ? Ou pour les élever ? Cette grave question est ici à peine effleurée, mais elle l’est. Car « dans ce pays, une femme peut-elle trouver un job sans écarter les jambes ? » p.117

Les afrocentrés sont aussi sectaires que les identitaires franchouillards – sauf qu’ils préfèrent toujours la Mercedes à l’âne traditionnel.

Certains vont même plus loin, acculturés à mort. Eric Bohème distingue avec humour trois générations d’Africains immigrés en France : les gris qui partaient tôt et rentraient tard, les djeun’s emplis de ressentiment et les golden boys américanisés. « Après ces Africains gris, si l’on peut dire, vinrent les Blacks Djeun’s ; leurs fils peut-être ? Vindicatifs, agressifs parfois, affichant une mise streetwear bijou-bijou : capuche ou casquette retournée, diamant-clou à l’oreille, baggies, baskets de marque américaine, lourde chaîne en argent sur un T-shirt « destroy » ou « metal », ces jeunes composèrent la seconde génération africaine du Rair (RER) » p.70. La « troisième génération d’Africains dans le Rair : les Golden-Boys, composée non pas des petits frères des Djeun’s mais plutôt de rejetons de ministres ou de dégé installés aux Plateaux de Dakar ou d’Abidjan » p.71. La lutte de classes sévit aussi, par procuration.

Léger, grave, amusant, ce court recueil de textes pénètre une autre façon de voir le monde que la nôtre. Il apprendra le terrain mental à ceux qui vont en Côte d’Ivoire, pour affaires ou pour le tourisme ; il enseignera les autres, dont je suis, qui ne connaissent pas ce pays.

Eric Bohème, Réalités métissées, 2017, éditions de la Lagune, 194 pages, €13.00 e-book format Kindle €5.69

Catégories : Livres, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Survivre dans la mutation mondiale

J’ai eu le plaisir intellectuel de rencontrer Henri de Castries, ancien PDG d’Axa aujourd’hui volontairement retiré des affaires à 63 ans (mais devenu président Europe pour le fonds américain General Atlantic). Cet ancien scout catholique élevé à Passy, issu d’une famille de vieille noblesse et marié à une famille de vieille noblesse, a suivi les étapes de la méritocratie républicaine : HEC, ENA, colonel de réserve parachutiste, Inspecteur des Finances durant quatre ans avant d’intégrer l’entreprise privée d’assurances Axa, dont il a prolongé la stratégie de Claude Bébéar par une adaptation mondiale et numérique.

Dans un brillant exposé sans notes il a donné sa vision de l’avenir de la France, compte-tenu de la dynamique historique. C’est un message puissant, à la Fernand Braudel, pour déterminer les courants de long terme qui s’imposent malgré qu’on en ait, les tendances à moyen terme sur lesquelles on peut encore peser, et les actions à court terme prises dans le jeu pervers des ego et de la petite politique.

Ce qui détermine le monde global aujourd’hui, et qui s’impose à tous, c’est le climat, la démographie et le combiné éducation et technologies numériques.

Sur le climat, le réchauffement est inévitable. Ce qui veut dire montée des eaux marines, ouragans, modification de la flore et de la faune. Comme près de la moitié de la production mondiale se trouve à moins de 50 km de la mer, chacun peut imaginer les bouleversements induits – que l’on peut et que l’on doit prévoir.

La démographie est inscrite dans les naissances passées, dans les pratiques culturelles d’enfanter aujourd’hui, dans les progrès fulgurants de la médecine… et dans les pandémies inévitables en monde global. Le risque est majeur pour l’Europe, Russie comprise. Car, sur les douze pays à démographie déclinante, neuf se trouvent en Europe, notamment la Russie et l’Allemagne. En même temps, aux portes mêmes de l’Europe se trouvent une Chine démographiquement puissante et avide des matières premières des étendues dépeuplées de Sibérie, et une Afrique qu’une courte distance méditerranéenne sépare de l’eldorado économique fantasmé. D’ici 25 ans, 4 à 5 millions d’Africains ne trouveront pas de boulot chez eux chaque année. Où vont-ils aller ? Nous avons donc l’impératif devoir de développer l’Afrique (qui commence à bouger) et à encourager l’entreprise locale, parce que l’intégration de millions d’allogènes à cultures différentes menace le destin de la civilisation européenne. C’est moins la menace d’un islam radical que la menace du nombre et la rapidité de l’appel d’air qui doivent être gérés. Envers la Russie, confrontée aux mêmes problèmes que nous, il nous faut négocier et s’entendre. En restant ferme sur nos intérêts mais en reconnaissant des questions communes (sur le Moyen-Orient, l’énergie).

Le numérique chamboule toute l’éducation. Les gens de sa génération (et de la mienne) ont été formés à l’écriture à la plume et à la lecture de gros livres érudits. De « lire, écrire, compter » ne reste plus guère que compter… Les écrits se dictent ou se tapotent, la lecture se réduit à sa plus simple expression, l’image remplaçant très vite le texte et l’orthographe (voire la grammaire) étant ignorées comme inutiles. Ce qui est indispensable aujourd’hui est moins la faculté de lire que de rechercher et de juger des informations pertinentes. Notre école publique est-elle préparée à ce monde déjà là ? La formation professionnelle tout au long de la vie, puisque chacun va changer dix fois de métier et plusieurs fois de statut (salarié, autoentrepreneur, libéral, peut-être un temps fonctionnaire), devient impérative ; faut-il la laisser entre les mains de partenaires sociaux moins soucieux d’avenir que de cette manne ?

Les tendances à moyen terme se trouvent pour nous surtout en Europe. L’Amérique s’éloigne avec Trump et la mentalité de ses électeurs qui préfèrent ériger un mur entre eux et le Mexique, ériger une barrière mentale contre l’idée de réchauffement climatique, et une solide barrière monétaire sur leurs intérêts immédiats. Sans l’Europe, la France n’est rien, peut-être bientôt plus « une nation » tant les politiciens nationaux sont déconsidérés, leurs partis en miettes, et que le local (commune, intercommunalité, région) est nettement plus populaire. Sans parler du communautarisme qui vient, pas seulement religieux mais aussi idéologique, sectaire – dans les médias et le politiquement correct.

Partout en Europe est menacée la classe moyenne et, avec elle, la démocratie et les libertés. Car le libéralisme est associé aux classes montantes, avec pour fond mental le christianisme qui a assuré deux choses : chacun est considéré comme individuellement responsable pour discerner le bien et le mal, et on ne peut faire société sans considérer le sort des autres. Ce qui veut dire que la raison prévaut et que la modération doit être. Le « juste » n’est pas seulement la justice mais aussi la modération. C’est ainsi qu’il y a une « religion » de la laïcité qui va au-delà de ce qui est raisonnable, alors que nous devons associer les croyants d’autres religions que chrétienne dans la même nation.

Dans le court terme politicien, tout cela doit se traduire par une adaptation à l’Europe sur la fiscalité, le droit du travail, le fonctionnement commun des traités. Mais aussi par un effort crucial français sur l’éducation et la formation professionnelle, pour assurer un niveau de chômage moins indécent comparé aux pays voisins que nos 10% de la population active. Car on ne fait pas société sans travail, c’est le chômage qui a conduit historiquement aux extrémismes, avec la crispation religieuse en sus comme dans toutes les périodes de grand bouleversement du monde (Renaissance, Révolution, guerre de 14).

En ce sens, le gouvernement Macron va dans la bonne direction, même s’il ne va pas assez loin.

Que sera la France en 2025 ? Peut-être une nation qui continue de compter (avec le seul siège permanent de l’Europe au Conseil de sécurité de l’ONU depuis le Brexit) – mais à condition d’être soi-même un exemple. Ce qui ne va pas sans redéfinition de la dépense publique, qui dépasse aujourd’hui 56% du PIB pour des avantages d’Etat-providence qui se réduisent. Ce qui ne va pas non plus sans sélection des meilleurs, dans la bonne tradition républicaine (et sur l’exemple chinois actuel), pour assurer des élites de l’administration et des entreprises à la hauteur des défis permanents. Quand des gens de 30 ans créent en dix ans plusieurs entreprises qui valent des milliards, la génération des installés doit se poser la question du comment. La hiérarchie traditionnelle et la production classique sont-elles adaptées aux nouveaux besoins et aux nouvelles façons de vivre ?

Penser loin et analyser global est rare parmi nos dirigeants – notamment sous les socialistes et avec François Hollande. Henri de Castries a couché dans la même chambrée, comme Jean-Pierre Jouyet, lors de leur service militaire commun en 1977 à Coëtquidan. Il sait de qui il parle. « Ne pas jouer les hamsters qui tournent sur place dans leur roue » est le mantra qu’il récite… mais que trop peu appliquent parmi ceux qui ont à diriger aujourd’hui.

Catégories : Economie, Géopolitique, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Johann Chapoutot, La loi du sang

johann chapoutot la loi du sang

Hitler avait tout dit, Hitler n’a pas été lu, tant les « gens bien » humanistes, étouffés par leur bonne conscience et la haute opinion qu’ils avaient d’eux-mêmes, restent à jamais aveugles sur ce qui dérange leur petit univers calfeutré. Hier comme aujourd’hui, il faut lire les ennemis. Et quand je dis « lire », cela signifie tenter de les comprendre. Non pas déjà pardonner, comme le croit si vite un ministre qui pense avec le menton plutôt qu’avec le reste de sa tête, mais pénétrer de l’intérieur les ressorts de la pensée, de la passion et des instincts de l’ennemi. Ce qui le fait vivre, réagir et agir.

Hitler avait tout dit, cité par Chapoutot : « Notre programme remplace la notion libérale d’individu et le concept marxiste d’humanité par le peuple, un peuple déterminé par son sang et enraciné dans son sol » (Mein Kampf cité p.519. Tout est résumé, lapidaire, et terriblement efficace. Mais il n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Il est facile, dès lors, d’évacuer ce qui gêne par les pirouettes intellectuelles habituelles : la folie, la barbarie, l’exception. Ce qui fut appliqué à Hitler avant de l’être à Staline, à Mao, puis aujourd’hui à l’État islamique dit Daech.

Hitler n’était pas fou, il était nazi ; les nazis n’étaient pas barbares, ils étaient allemands ; l’exception n’était pas fondée, le pays avait été vaincu et violemment rabaissé par le Traité de Versailles malgré les grands mots wilsoniens de « droit des peuples » et autres abstractions humanistes chrétiennes. Comprendre les nazis n’est pas adhérer à leur conception du monde : c’est avant tout éviter de proférer des inepties. Le métier d’historien n’est pas celui d’histrion, même si peu d’entre eux se mêlent de démêler un tel sujet politiquement incorrect : « à notre connaissance, personne n’a jamais tenté de cartographier ce que l’on pourrait appeler l’univers mental dans lequel les crimes du nazisme prennent place et sens » p.16.

Voilà qui est réparé : « Nous avons eu recours à des sources imprimées, à des textes, des images, des films (…) des œuvres de référence de l’idéologie nazie, mais aussi à la littérature pédagogique, de l’école comme du NSDAP, à la presse quotidienne, à la littérature scientifique (…) le droit (…) la philosophie, l’histoire, la raciologie… (…) 1200 titres d’ouvrages et d’articles, une cinquantaine de films (…) L’importance du corpus montre d’emblée que les auteurs avaient manifestement des choses à dire, et qu’ils ressentaient le besoin de les dire » p.25.

Hitlerjugend, Essensausgabe

Le principe normatif allemand de l’époque nazie est simple (et pas si exceptionnel que cela) : « on doit agir pour la race germanique-nordique seule (ou pour le peuple allemand) et non pour l’humanité – qui est une dangereuse et dissolvante chimère ; on doit agir pour la communauté, et non pour son seul intérêt personnel » p.23. Il s’agit d’une révolution culturelle appelée à générer un homme nouveau (cela ne vous rappelle-t-il rien ?). L’Humanité n’existe pas, il n’existe que des « races » en concurrence vitale entre elles (on dit aujourd’hui des « peuples »). Trois « impératifs catégoriques » (p.29) fondent le projet nazi : procréer en quantité des enfants nordiques sains, combattre ses paresses pour assurer la solidarité communautaire dans l’adversité, régner enfin en renversant l’ordre international imposé dès le traité de Westphalie par les trois guerres de Trente ans (1618, 1792, 1914) et étendre l’espace vital indispensable à la démographie nordique vers l’Est. Jusqu’à « la limite du hêtre » (p.475) fondée sur l’archéologie comme extension maximum des nordiques en Eurasie. Ces trois impératifs composent les trois parties du livre.

Contrairement aux lecteurs zappeurs inconséquents qui commentent sur Amazon, les nazis sont cohérents. « L’affirmation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mainte fois répétée pour justifier le rattachement au Reich des minorités » est à la fois une dérision des propos du président américain Wilson et une revendication d’un espace vital légitime au détriment d’autres peuples : les États-Unis de l’humaniste chrétien Wilson ont-ils hésité à massacrer les Indiens pour établir leur terre promise ? Leur « droit international » n’est-il pas l’entente des plus forts pour dicter leurs règles ? Le « peuple » allemand agit-il autrement lorsqu’il revendique des territoires à l’est au détriment des Slaves et une épuration ethnique ? « C’est précisément parce que nous considérons les races et les peuples comme des entités biologiques que nous approuvons le droit à la vie de chaque peuple conformément à la forme que prend sa vie », écrit Hans Frank en 1938 (cité p.121). Le lecteur commentateur a-t-il vraiment lu le livre qu’il « commente » ? Quant « à la contradiction entre industrialisation et culte de la terre » qu’un autre commentateur aussi léger profère, où est-elle ? La terre ne ment pas, elle assure le lien du sang avec le sol, elle nourrit la progéniture prolifique, elle assure la transition dans la modernité en préservant les valeurs « saines » – mais elle n’exclut en rien l’industrie ! Celle-ci est la puissance – et la puissance est valorisée par la « race nordique », inventive et industrieuse selon les critères nazis.

Le physique s’oppose au métaphysique comme le concret à l’abstrait : les nazis sont pragmatiques et pour eux le collectif (fondé sur le sang aryen) l’emporte sur les petits états d’âme de chacun. Le holisme s’oppose à l’individualisme et le fusionnel communautaire aux « ratiocinations » personnelles. La nature est valorisée puisque règle du monde ici-bas – le seul valable. La nature doit donc être protégée, valorisée et l’on doit reconnaître ses lois. La nudité est ainsi gage d’authenticité lorsqu’elle est force et santé (et non manifestation ostentatoire d’un désir destructeur égoïste), les marches dans la forêt et la montagne remettent les pieds sur terre, faire croître et prospérer du blé, des vaches, des gosses redonne le sens de la vie et des générations. « En harmonie avec les éléments, bronzé, épanoui et heureux, [le corps nu] offre au citadin corseté et asphalté l’image d’une communion retrouvée avec la grande matrice cosmique » p.45. Les écolos d’aujourd’hui après les hippies d’hier, n’ont pas dit autre chose. Attention donc aux dérives progressives de la nature vers le naturel et vers la loi de nature… En tout importent les limites. Mais il est vrai que « contrairement à ce que redoutent les Tartuffe et les professeurs de vertu, qui se méfient de la nature en eux parce qu’ils l’ont contrainte, violentée et qui, trop soucieux de faire l’ange, redoutent la bête qui les habite, le naturisme est ‘le début du chemin qui nous ramène chez nous » p.47.

1939 nudite allemande

« Il s’agit, selon Himmler, de ‘redécouvrir (…) et de réveiller la vision du monde de nos ancêtres préchrétiens et d’en faire un guide pour notre propre existence » p.53. Retour aux sources, aux origines : cela ne vous rappelle-t-il pas les intégristes du Livre, notamment la littéralité du Coran ? L’Oumma remplace la Race – mais tout est comparable… La procréation prolifique, le combat intérieur pour la domination et l’extension de son territoire (djihad). « L’homme de race pure [ou de pure religion] décide de son action sans artifice, sûrement, et de manière conforme à son instinct », écrit « Albrecht Hartl, spécialiste des questions religieuses au sein de la SS » p.70.

Un même ennemi : le Juif. Car « sang-mêlé », apatride, il a besoin d’une règle extérieure à lui, dit-on, il rêve à la République universelle parce qu’il n’a aucune terre à lui, aucune patrie. Bouc émissaire commode, l’abstraction juive affaiblit l’instinct nordique et prolifère comme un cancer dans la religion, le droit, l’administration. Ce pourquoi « éradiquer le Juif » est vue comme une opération de médecine naturelle : tout organisme se protège de qui l’attaque. Car, à l’inverse de l’abstraction humaniste chrétienne enjuivée, « religion, morale et droit nordique n’étaient qu’un, puisque la nature est une » p.76. La nature hier pour les nazis, Allah aujourd’hui pour les islamistes – pour les deux, « l’État est un moyen en vue d’une fin. Cette fin est la préservation et la promotion d’une communauté d’être vivants de même race et de même conformation physique et psychique » (Hitler, cité p.149). D’où l’État islamique et non plus la simple croyance.

Appell vor Direktor Apfeldt

Appell vor Direktor Apfeldt

On le voit, les parallèles sont puissants. Ce pourquoi il est utile et bon de lire Johann Chapoutot : à la fois pour éviter de répéter des inepties sur le passé nazi, et pour le présent éviter de répéter les aveuglements et erreurs de lecture. Tout comme hier les nazis, les islamistes aujourd’hui ne sont ni fous, ni barbares, ni exception. Ils ont un projet politique, une idéologie affirmée et une action radicale sans aucune pitié. Vont-ils susciter en réponse un néonazisme Blanc de protection vitale ? Il serait peut-être essentiel de penser cette hypothèse (assez probable en cas de troisième attentat islamique d’ampleur en France), plutôt que de gloser sur les écarts à la ligne ou les petites phrases de l’univers étroit politiquement correct…

Johann Chapoutot, La loi du sang – Penser et agir en nazi, 2014, Gallimard Bibliothèque des histoires, 569 pages, €25

e-book format Kindle €17.99

Catégories : Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Non à la Turquie dans l’Union Européenne

Barack Obama a clairement fait savoir urbi et orbi quel est l’intérêt de l’Amérique : que la Turquie, partenaire de l’OTAN, rejoigne au plus vite l’Union Européenne, ce rival potentiel des États-Unis dans le nouveau monde multipolaire. Obama donne un souffle nouveau à beaucoup de choses – mais certainement pas à la géopolitique américaine, constante depuis un demi-siècle. Celle-ci, pilotée selon les idées d’Henry Kissinger et par les administrations militaires, reste de marbre face aux bouleversements du monde. Il s’agit d’America first et les intérêts bien compris des Yankees sont d’éviter la constitution de blocs puissants, de diviser pour régner. Ils ne font en cela que reprendre la vision de l’Angleterre impériale.

Une Union Européenne à identité affirmée parlerait d’une seule voix sur la scène internationale ; elle imposerait sa culture millénaire de nuances et de libertés, son capitalisme rhénan orienté vers le travail bien fait et la participation des salariés et des collectivités à l’entreprise ; elle serait un concurrent redoutable pour les États-Unis confrontés à une Chine qui grossit et qui commence à montrer les dents. Diluer l’UE dans une vaste zone de libre-échange, liée aux États-Unis par l’Organisation de défense, est la meilleure politique pour éviter la concurrence. Le Royaume-Uni y aide de toute son âme, préférant toujours le grand large à une quelconque convergence continentale. L’intégration des pays de l’Est y ont aidé, bien plus tournés vers l’Amérique des libertés que vers l’Europe des intérêts, occupation soviétique oblige.

Ajouter la Turquie, c’est diviser un peu plus et augmenter d’un lourd boulet économique et culturel ce concurrent dangereux (le PIB turc par habitant est le quart de la moyenne de l’UE). Tout en se déchargeant un peu plus sur l’Europe du handicap islamiste, mal contré par les experts militaires et du renseignement depuis 1945 ! Que la carotte du droit européen remplace donc le gros bâton armé américain, pense l’administration américaine. Une fois la Turquie dans l’UE, les frontières seront communes avec l’Irak, l’Iran et la Syrie, la diplomatie européenne ne pourra plus faire semblant de regarder ailleurs.

turquie arguments pour ou contre le monde 2004

Il y a de multiples arguments en faveur ou contre l’entrée de la Turquie dans l’UE.

  • Certains, dans la lignée romantique, y voient l’amorce d’un gouvernement mondial qui avancerait pas à pas par le droit, l’UE étant une sous-ONU en développement. C’est le rêve hugolien de République universelle par anticapitalisme, que chantent les gens de gauche (Pascal Lamy, La démocratie-monde), y compris aux États-Unis même (Immanuel Wallerstein). Pour ces postmarxistes, seules les sociétés barbares s’identifient à une ethnie, se transformant en sociétés closes, répétitives, immobiles.
  • D’autres ont justement ce rêve d’une Europe suisse, sortir de l’histoire pour se replier entre soi, dans un club chrétien, élevant des barrières protectionnistes à l’entrée et réservant l’État-providence aux nationaux. La méfiance envers le monde ouvert, envers l’étranger, la religion différente, sert de socle à une réaction en faveur d’un âge d’or où l’Europe dominait le monde.

Je ne suis pour ma part partisan d’aucun de ces projets.

Pour moi, l’Europe n’est pas qu’une entité économique et l’identité compte. Mais la xénophobie de l’entre soi et du communautarisme grégaire n’est pas mon fort. L’Europe est un projet politique (plus que juridique !) et plus le nombre des États augmente, plus ce projet se dilue dans le plus petit dénominateur commun : les seuls intérêts matériels. Ce n’est pas au moment où le capitalisme anglo-saxon, focalisé sur la seule rentabilité financière, fait faillite, que l’Europe va s’y convertir ! Notre culture est différente, nous devons la valoriser, le monde a besoin de diversité. Un projet, c’est un mouvement. Les deux puissances anglo-saxonnes sont des îles ; elles ont une identité forte et sont adeptes du chacun pour soi et du droit du plus fort. Elles ont donc tout le loisir de rester entre soi tout en côtoyant les autres, c’est l’esprit même du communautarisme. L’Europe continentale n’est pas dans le même cas, plus solidaire, plus collective.

Une intégration, compte-tenu du poids démographique et culturel de la Turquie, signifierait une dilution d’identité, une emprise des mœurs musulmanes par capillarité, une censure de fait de la liberté d’expression, une certaine islamisation de l’Europe qu’on le veuille ou non. Le soutien sans faille des milices islamistes turkmènes en Syrie montre que l’impérialisme religieux musulman turc est loin d’être un fantasme. En Turquie même, la laïcité d’Atatürk est bien loin sous l’AKP d’Erdogan, parti paravent des confréries religieuses sunnites… Une société libre, permissive et (pire encore) ‘démocratique’ apparaît aujourd’hui pour les musulmans de Turquie comme contraire à l’islam (égalité des femmes, seins nus, avortement, mariage gai, caricatures de Mahomet et neutralité de la religion). Comment un régime qui pose en souverain le peuple lui-même et pas Allah serait-il acceptable ?

J’ai montré comment islam et démocratie pouvaient ne pas être incompatibles : mais ni aujourd’hui, ni maintenant, ni avec la Turquie 2016. Surtout pas sous le satrape actuel, de plus en plus autoritaire, nationaliste, islamiste – l’inverse même des valeurs européennes. La régression culturelle, liée à la restriction socialement correcte des libertés publiques et des minorités (dont la kurde) est réelle. Kemal Atatürk était, certes, occidentaliste lorsqu’il voulait réformer la Turquie, mais c’était à une époque où la France apparaissait comme la première puissance militaire du globe. La Turquie d’aujourd’hui remet en cause la laïcité et l’esprit républicain d’Atatürk au profit des partis religieux et des mafias.

L’effacement de la foi chrétienne en Europe laisse un vide que l’islam est avide de remplir. La Turquie est musulmane à 98%, elle n’a rien de « multiculturel », au contraire ! La société turque a été homogénéisée volontairement par la force avec le génocide arménien 1915 et l’expulsion des Grecs dans les années 1920 ; elle poursuit dans cette voie avec la volonté de soumettre les Kurdes. Une telle Turquie contaminerait sans aucun doute nos mœurs, expressions, libertés et institutions. Déjà, Angela Merkel « accepte » des poursuites contre un humoriste allemand qui édite en Allemagne ! La « soumission » n’est pas loin… Michel Houellebecq ne s’y est pas trompé, ayant souvent des intuitions justes.

Les « pour » croient « civiliser » ce pays déjà de plus de 79 millions d’habitants par le droit, la politique étrangère et le marché : mais pour qui donc se prennent-ils, ces néo-colonialistes « de gauche » ? Les relations entre l’Europe et la Turquie peuvent avancer par partenariat, comme ils l’ont fait de façon constante depuis 1949. Ils n’ont pas besoin d’Union – sauf à dénaturer une telle union par son contraire.

pays qui n auront plus de majorite chretienne en 2050

L’identité n’est pas du ressort du raisonnable et il ne faut pas confondre les ordres, comme le disait Pascal, repris par Raymond Aron. L’Europe se cherche, son identité est floue. Cernons d’abord l’identité voulue du projet européen avant d’aller plus loin. Quiconque voyage sait bien ce qu’est l’Europe dans le monde. À Bamako ou à Pékin, le Français se sent avant tout « Européen ». Les limites géographiques sont floues, marquées par les flux et reflux de l’histoire. Elles sont plutôt naturelles au nord, à l’ouest et au sud, du fait des mers et océans ; elles sont historiques à l’est et au sud-est, l’Europe s’étant constituée contre les envahisseurs mongols et arabes, avant de se constituer CONTRE les religions intolérantes (l’islam et l’orthodoxie ont longtemps été les frontières de l’Europe, le catholicisme autoritaire français ou bavarois a été contré avec Waterloo 1815 et Berlin 1945). On dit que la Turquie a pris la suite de l’empire byzantin, qui était bien romain : certes ! Mais par conquête et conversion forcée à l’islam. Il a fallu le siège de Vienne en 1683 pour repousser les musulmans, après Poitiers, Lépante et la Reconquista. N’oublions pas qu’au 14e siècle la Chine, la Russie, l’Égypte, le monde arabe, le monde persan et une partie du monde indien étaient gouvernés par des princes turco-mongols. Ni l’histoire, ni la religion, ni le droit, ni les mœurs, n’ont été communs à la Turquie et à l’Europe. Comment envisager brusquement de faire civilisation commune ?

Intégrer la Turquie est un très gros morceau.

C’est renoncer à toute identité européenne propre car ce pays a 45% de sa population en-dessous de 24 ans et en aura près de 100 millions d’habitants dans 20 ans. Il serait alors le premier pays « européen » en termes démographiques, avec les conséquences institutionnelles que l’on peut aisément concevoir avec le traité de Lisbonne. Compte-tenu des écarts de niveau de vie, de mœurs et de projet de civilisation, ce n’est ni raisonnable ni souhaitable. Peut-être dans quelques générations mais pas tout de suite, et probablement avec l’entrée conjointe de la Russie – plus culturellement proche malgré sa dérive autoritaire à la Erdogan.

Ce n’est nullement mépris de ma part, j’ai voyagé en Turquie, travaillé avec des financiers turcs, eu de bons amis qui étaient Turcs durant mes études. Mais intégrer la Turquie dès maintenant, c’est donner la victoire à une certaine conception de l’Europe que je refuse : celle du seul libre marché, indépendant de toute affiliation culturelle, comme de tout projet commun.

Or la culture commande à la forme de capitalisme que nous pratiquons. L’Union européenne comme seul grand marché libre est le rêve affirmé du libéralisme à l’américaine perroquetté par les Anglais. Ces deux puissances anglo-saxonnes ont une identité forte et donc tout le loisir de rester entre soi tout en côtoyant les autres, c’est l’esprit même du communautarisme. L’Europe continentale n’est pas dans le même cas : une intégration signifierait une dilution d’identité, une emprise des mœurs musulmanes par capillarité (ces maillots de bain islamistes pour dames), une censure de fait de la liberté d’expression, une turquisation de l’Europe qu’on le veuille ou non (on commence à le voir sous Merkel…).

union europeenne percue selon sociologie

L’Europe, comme chacun d’entre nous, doit se choisir un destin.

C’est toute la philosophie de l’histoire d’un Raymond Aron tout comme l’existentialisme d’un Sartre. Je ne crois pas que les suivants les aient dépassés en ce sens. Le « non-choix » est simplement de poursuivre les tendances, sous le prétexte sous-jacent que le mouvement seul est « bon » et que la multiculture communautaire une fatalité. Je ne suis pas d’accord. C’est même le principal du rejet qui mine la construction européenne. Un temps de réflexion, d’approfondissement de ce que l’on VEUT s’impose. Une fois confortés dans le projet, nous pourrons envisager de poursuivre l’intégration. Ici et maintenant, je dis NON à l’incorporation de la Turquie dans l’Union Européenne.

Catégories : Géopolitique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Mauvaises nouvelles de Tahiti

Très mouillé ce mois dernier mais toujours pas d’eau au robinet sauf…. quelques gouttes en journée pendant le congrès des maires de Polynésie française. On fait comme si qu’on avait de l’eau courante, ça fait bien !

Une autre mauvaise nouvelle pour cette fin d’année, on annonce des cyclones et très puissants. Des réunions se succèdent pour préparer ces événements. On ne tentera pas de s’opposer à Tuni (tel est son nom) mais on active les plans État-Pays-Commune. Des messages : faites des provisions de bouche, de gaz, de piles pour la radio, attachez vos toitures, élaguez vos arbres, etc. Rien n’empêchera quel qu’individu de monter sur son toit alors que les rafales de vent sont violentes. Il pleut, il pleut bergère… Il y en a marre de toute cette flotte tandis que nos robinets sont désespérément vides. Le tavana reconnaît que le réservoir a des fissures et qu’il ne peut être qu’à demi plein, que de nouveaux habitants sont arrivés et que les conseils municipaux précédents n’ont rien fait et qu’ils (qui ?) vont faire des réparations. Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? – Si, si, les cyclones qui tournoient…

 Mais il fait bon siéger au Palais d’Iéna, miam, miam 3 767,91 € par mois avec en plus des crédits pour les déplacements, un régime de retraite avantageux, un siège parisien qui attise les convoitises. On revoit les mêmes qui postulent pour tout, et comme la méthode de désignation des représentants de cette assemblée est relativement floue… Pour le moment six candidats en lice. Deux membres issus des organisations patronales, deux membres issus des syndicats (Messieurs « grèves ? ») et deux autres demandeurs. On fourbit ses armes ?

Officiellement nous sommes 271 800 Polynésiens. 32,5 ans, c’est l’âge moyen auquel les Polynésiennes se marient (35,9 ans pour les hommes) tandis qu’en France 30,5 et 32,5 ans. L’âge moyen des mères à la naissance de leur enfant est de 27,5 ans (30 ans dans l’Hexagone). La mortalité infantile reste deux fois plus élevée qu’en France, c’est le côté négatif. L’espérance de vie, 73,8 ans pour les hommes contre 79,3 en métropole. Pour les femmes, l’espérance de vie est de 78 ans en Polynésie contre 85,5 ans en métropole.

paeari travaux terrassement prison

Allo, le centre pénitentiaire de Papeari ? C’est le plombier-serrurier qui vous répond ! Ah ? Ce n’est pas encore ouvert, alors ? Non, au premier trimestre 2017 (si tout va bien !) Voici quelques news de l’hôtel 5 étoiles : 410 baldaquins seront installés, Nuutania n’en gardera que 165. Pour le taux d’occupation de la maison d’arrêt il y avait 449 occupants au 20 août 2015 dont 16 femmes et 4 mineurs. C’est « la pire prison de la République » à cause de son sureffectif. Mais certains détenus refusent les aménagements de peine, ils travaillent en collaboration avec la mairie de Faa’a et sont rétribués. Par ailleurs la prison actuelle devrait fonctionner en cellules fermées mais, devant le grand nombre d’occupants, les cellules sont ouvertes le jour afin d’éviter une explosion, et apparemment cela fonctionne bien !

Je cours acheter piles et bougies, conserves et gaz, et vous tiendrais au courant de la suite des événements. Entre nous les prix ont fait un petit bond en hauteur !

Gardez-vous bien.

Hiata de Tahiti

Catégories : Polynésie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Dans quelle économie entrons-nous ?

Il y a déjà 40 ans, Richard Easterlin a mis en évidence le paradoxe de la croissance : une hausse de la richesse ne se traduit pas forcément par un meilleur bien-être. Les Français sont par exemple environ deux fois plus riches que dans les années 1970, mais ne se sentent pas plus heureux. Faut-il incriminer le thermomètre ? La mesure de la croissance par le seul PIB (production intérieure brute) est certes un instrument imparfait, mais minimal. Il semble que ce soient plutôt vers les relations sociales qu’il faille se tourner : le sentiment de bien-être s’accroît lorsqu’existe un espoir de gagner plus que ses parents, de vivre mieux que ses voisins, et que son revenu personnel relatif augmente.

C’est donc l’inégalité croissante qui a fait le bonheur croissant dans l’économie industrielle, pas le niveau de richesse brut.

Le problème survient avec l’économie numérique. Si l’industrie accroissait la productivité du travail, permettant une hausse rapide du niveau de vie de chacun, la nouvelle économie substitue la machine au travail, améliorant peu la productivité. Elle permet de couper les coûts de production, donc d’offrir des produits de consommation moins chers ; elle permet de mettre en relations des consommateurs, donc d’offrir des services décentralisés à la carte (Uber, MOOC, Couchsurfing, Amazon…) ; elle permet de gérer les inconvénients de la croissance industrielle (pollutions, épuisement des matières premières, consommation d’énergie, etc.) – mais elle n’invente rien de vraiment neuf : les avions volent moins cher et moins polluants mais pas plus vite.

dinky toys

Avons-nous encore besoin de croissance, diront les décroissants ?

Oui, car la démographie fait que nous sommes plus nombreux dans le monde et même en France à partager le même gâteau ; il est donc nécessaire que le gâteau augmente. Oui, car tous nous désirons vivre mieux, plus vieux, être mieux soignés, disposer d’objets et de loisirs meilleurs. Il faut bien sûr repenser l’exploitation de la planète pour que ce soit soutenable, mais l’économie numérique et le capitalisme (comme système de meilleurs coûts) y aident. La fameuse loi de Moore, qui observe que la capacité des composants électroniques double à peu près tous les 18 mois, ne restera pas vérifiée à l’infini, mais elle a encore quelques décennies devant elles.

Dès lors, le monde n’est pas infini mais il se complexifie, offrant des potentialités de croissance – de quelque façon qu’on la mesure. Le logiciel crée moins d’innovations industrielles qu’il ne permet de les rendre plus accessibles et plus sophistiquées. La croissance a toujours besoin d’emplois, mais moins qu’avant et pas les mêmes : les non-qualifiés sont requis (pour effectuer les tâches que les machines ne peuvent réaliser), et les surqualifiés sont adulés (car ils imaginent les architectures, créent les logiciels, inventent les objets ou les services à produire). Seule la classe moyenne, petits maîtres et cadres moyens, sert de moins en moins, l’organisation suppléant à leur fonction dans la nouvelle société.

Clavier ordi gris b

Comment gérer cette transition entre société industrielle et société numérique, moins créatrice d’emplois ?

Dans la société industrielle, le capital était complémentaire au travail : il fallait investir dans les machines et les réseaux pour produire et vendre des voitures. Dans la société numérique, le capital se substitue au travail, les logiciels ayant vocation à remplacer tout travail répétitif – mais le capital financier a beaucoup moins d’importance : en raison de la loi de Moore, le numérique coûte de moins en moins cher.

Restent donc les emplois de services orientés vers la relation : éducation, formation, santé, restauration, sports, loisirs. Mettant en connexion des êtres humains entre eux, ils devraient se développer hors des machines, même s’ils sont aidés par elles (ordinateurs, Smartphones, GPS, MOOC, sites de réservations, etc.).

Selon le choix de société, ces emplois peuvent être publics ou privés, l’État n’a pas vocation à emplir tout l’espace social. Dans la santé, nombre d’infirmières et de médecins n’officient pas dans le public ; dans l’éducation, les écoles privées, dont les écoles de commerce, s’ajoutent aux écoles publiques ; dans les services fiscaux, les conseillers privés sont plus proches, sinon plus efficaces, que les fonctionnaires du Trésor – et ainsi de suite.

A l’inverse de la société industrielle qui rassemblait les travailleurs, l’organisation sociale issue de la société numérique les fragmente, chaque travailleur étant plus ou moins voué à être employé à la carte ou en indépendant. Les rapports de force ne peuvent donc plus être les mêmes, les syndicats devenant moins puissants, les créateurs plus individualistes et les intermédiaires court-circuités par les réseaux. Si le salariat est menacé, pas le travail, qui reste indispensable.

L’État ne doit donc pas disparaître (vieille utopie de Marx), mais ses fonctions doivent évoluer. Il doit servir de protection aux travailleurs, qui deviendront majoritairement non salariés. Côté négatif, il ne doit plus par exemple laisser les chômeurs à leur solitude mais leur réserver les taxes à la formation pour requalifier périodiquement les métiers menacés. Côté positif, il ne doit plus « soutenir l’innovation », il y a pléthore d’innovations, mais doit plutôt favoriser leur émergence en révisant la masse de règlementations et de normes qui inhibent toute création d’entreprise (même en agriculture « de qualité » !).

Il est donc nécessaire de revoir l’État-providence : non pas le faire disparaître, ni lui faire jouer le rôle d’empêcheur d’innover (comme pour Uber), mais requalifier ses missions pour les adapter à la société nouvelle numérique. Par exemple, le système des retraites, fondé sur la croissance, ne peut plus être viable ; comme dans les pays scandinaves, il faut adopter un système d’équilibre à points, où la production annuelle sert de référence aux retraites servies. Protéger des aléas du travail, alors qu’il n’a jusqu’ici protégé que des autres aléas (santé, maternité, vieillesse).

C’est ce que prône Daniel Cohen, dans une intéressante émission de l’Esprit public sur France-Culture cet été, qui fera l’objet d’un livre prochain.

Livre désormais paru :

Daniel Cohen, Le monde est clos et le désir infini, 2015, Albin Michel, 220 pages, €17.90 / format Kindle €12.99

Catégories : Economie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Prédiction, prévision, prospective

Chacun sait qu’il est plus facile de « prévoir » le passé que l’avenir… Chacun croit savoir ce qu’il aurait fait s’il s’était trouvé dans telle situation. La raison en est que l’enchaînement des causes, survenues par hasard, peut être logiquement reconstitué lorsque l’on a une vue d’ensemble : il fallait « évidemment » choisir le camp de la résistance fin juin 1940… et pourtant De Gaulle et ceux qui ont refusé d’obéir aux ordres du gouvernement Pétain « légitimement » nommé étaient juridiquement des traîtres.

Si le passé est écrit définitivement, l’avenir reste ouvert et incertain. Cette incertitude fait peur, tant l’être raisonnable qu’est l’humain a besoin de logique pour agir en sécurité. Selon la gradation du plus fantaisiste au plus scientifique, il va chercher à prédire l’avenir, à prévoir les événements, ou à bâtir une prospective. La différence entre ces trois mots est importante.

boule ado a prevoir avenir

La prédiction pré-dit, c’est-à-dire qu’elle veut énoncer tout simplement l’avenir tel qu’il va advenir. Ce sont les mots des prophètes, des voyants, mais aussi des dogmatiques : le prédicatif affirme d’une façon absolue et définitive. Nous sommes dans la croyance, qu’elle soit religieuse, idéologique ou scientiste – nous ne sommes pas dans la raison. Le performatif règne en maître – où dire c’est faire ; l’annoncer, c’est comme si c’était fait. Les politiciens sont passés maîtres dans cet art de la com’ qui s’apparente au mensonge, sous couvert d’une apparente volonté.

Prédire est affirmer ce qu’on voudrait qu’il advienne, sans autre certitude que celle de sa conviction : la « vraie » vie dans l’au-delà, la fin du monde, la société sans classe de l’avenir radieux, le bonheur-santé-richesse des marabouts et autres diseuses de bonne aventure. Rappelons cependant que Madame Soleil, qui « voyait tout » selon ses dires, n’a jamais prévu le contrôle fiscal qui lui est tombé dessus pour ses gains en liquides non déclarés…

La prévision est moins affirmative, elle ne « dit » pas l’avenir, elle se contente d’en avoir une « vision » plausible. L’intelligence entre alors en scène et maîtrise les émotions sur le futur. Le raisonnement intervient, étayé par des chiffres, des théories, des modèles (tous révisables). La statistique permet de calculer des séries temporelles, que l’on peut projeter ensuite dans l’avenir. Le plus fiable est par exemple la démographie : tous les humains qui auront l’âge de la retraite dans 10 ans sont déjà nés, la seule incertitude réside dans la mortalité de cette cohorte d’ici-là – et dans l’âge de la retraite lui-même, qui peut changer. Le moins fiable est peut-être la bourse ou la météo, les deux dépendant de tant de variables qu’il est difficile de dessiner une tendance – sauf lorsque la situation reste à peu près stable ou dans un trend établi.

Prévoir, c’est prendre des précautions logiques en fonction de ce que l’on connait aujourd’hui. Ce n’est pas affirmer un avenir certain, mais seulement un avenir possible. C’est considérer comme plus ou moins probable la survenance de tel évènement (chaque probabilité est calculable) – et s’y préparer « au cas où ».

La prospective est plus large. Elle vient d’un terme d’optique qui permet d’élargir la vision. Il s’agit de différents scénarios plausibles, plus ou moins probables mais dont aucun n’est certain. Ils forment des cadres de réflexion pour effectuer des prévisions plus concrètes dans des domaines particuliers. Cette « façon de regarder de loin » trace non pas une ligne véritable mais une tendance vraisemblable. Rien n’est écrit, rien n’est certain, mais certaines logiques sont déjà l’œuvre maintenant, qui peuvent se confirmer.

Ainsi le prospect est-il un probable futur client, la prospection explore les lieux où découvrir de possibles gisements, la prospective réunit historiens et sociologues pour proposer une évolution possible de notre société et de notre monde.

Si prédire n’est guère utile aux décideurs (sauf à agiter une croyance comme banderole pour se faire élire), prévoir est indispensable pour ne pas aller dans le mur (ainsi François Hollande et son « inversion » de la courbe du chômage), et la prospective manque cruellement (dans ce monde de court-terme et de zapping médiatique permanent).

  • N’importe quel gourou autoproclamé peut prédire les cours de bourse en n’ayant raison que par hasard (Paul Jorion aime par exemple à se faire le prophète annoncé de la grande catastrophe financière imminente et nombreux sont ceux qui le trouvent génial parce qu’il leur dit seulement ce qu’ils ont envie d’entendre… bien qu’il se trompe régulièrement depuis 8 ans !)
  • N’importe quel gérant peut évaluer les probabilités plus réalistes qu’à un cycle en succède un autre, en se fondant sur les statistiques de cours passées mais aussi sur la psychologie de marché (la période novembre-avril est propice à la monté des cours de bourse, la période mai-octobre est au contraire plus agitée).
  • Mais il faut faire l’effort d’investir du temps, de la réflexion et des échanges pour bâtir une prospective qui se tienne. Sa logique est en partie contenue dans les tendances à l’œuvre dès aujourd’hui, mais les réactions, inventions, découvertes et mutations restent ouvertes dans le futur.

Quittez donc le monde de la « croyance » pour celui de la raison, vous vous en porterez mieux, en bourse comme en politique, et même pour votre confort mental.

Catégories : Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Tahiti se dépeuple

Le déficit migratoire est confirmé à la hausse. Quelques chiffres 2012 intéressants : au premier janvier 2013 : 269 mille habitants en Polynésie Française et 63,6 millions en France… La croissance de la population 2012 est de 0,6 % en P.F. et 0,5 % en France. Pour les naissances, l’indice conjoncturel de fécondité est le même : 2,0. Le taux de mortalité infantile est de 7,5 % en P.F. et 3,5 % en F. L’âge moyen des mères : 27,7 en P.F. et 30,1 en F. Pour les décès : l’espérance de vie d’un homme est de 73,3 années en P.F. et 78,5 en F. Pour les femmes 78,2 années en P.F. et 84,8 en F. Question mariage, le taux de nuptialité est de 5,4% en P.F. et de 4,0 % en F. L’âge moyen du premier mariage est pour l’époux de 35,9 en P.F. contre 32,0 en F ; celui de la femme de 32,5 ans en P.F. et 30,2 en F.

gamin torse nu

Les touristes ont encore boudé la Polynésie en décembre 2013, encore 4 585 visiteurs en moins par rapport à 2012. Cela se répercute sur la fréquentation hôtelière. L’Amérique du Nord est le seul marché émetteur en hausse sur le dernier mois de l’année. Le nombre de touristes venant de France  enregistre le plus fort recul (-23,7%). C’est depuis janvier 2013 un recul de 2,7% par rapport à 2012.

Aéroport de Tahiti a annoncé son programme de grands travaux ; rénovation de la piste qui permettra d’accueillir des Boeing 777-300, l’Airbus 380, l’Airbus 340-600. Une arrivée internationale repensée, de nouveaux carrousels  à bagages, et dès l’arrivée les voyageurs internationaux seront plongés dans l’ambiance polynésienne grâce à la collaboration du Centre des métiers d’art et du Musée de Tahiti et des îles. Pourvu qu’ils ne plongent pas trop profond… et qu’ils puissent ressortir !

Vahines nues Tahiti

Il y a ceux qui quittent le Peï, il y a ceux qui arrivent au Peï, d’après l’ISPF (L’Institut de la statistique de la Polynésie Française) l’exode est sans précédent. Rappel : entre 2007 et 2012 18 350 personnes ont quitté la Polynésie ; sur la même période 10 650 venus de l’étranger ou de métropole se sont installés au fenua ; soit un déficit de 7 550 âmes en 5 ans. Qui part ? Pourquoi part-on ? Difficile de le dire avoue le statisticien puisqu’on ne les interroge pas ! Par contre on remarque que toutes les tranches d’âges sont touchées. Pour les jeunes à la recherche d’un emploi, la Nouvelle-Calédonie apparaît comme un nouvel eldorado. D’autres, tel ce commerçant de 40 ans s’envolera sous peu pour Singapour. Tel retraité trouve que les gens sont de moins en moins sympas et préfère partir ! L’autre, métier du bois, préfère faire ses valises car il a des problèmes de stock et table sur de nouvelles techniques de travail en Europe ; il et regrette le vase clos où il vit ici. L’histoire de la Polynésie est faite ainsi mais demain ?

L’Académie des sciences patrimoniales est créée. Elle sera la gardienne des savoirs traditionnels polynésiens. Elle aura pour mission « de faire dialoguer les savoirs endogènes et scientifiques dans un cadre protégé qui permettra de sauvegarder, pour les générations futures, notre savoir traditionnel, issu de notre patrimoine culturel et intellectuel ».

Hiata de Tahiti

Catégories : Polynésie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Égypte d’aujourd’hui

Ce matin le soleil est vif et embrase la campagne. Elle s’ébroue peu à peu de ses voiles nocturnes. Car nous découvrons qu’il fait froid l’hiver durant les heures de nuit ; l’Égypte n’est pas le pays de l’éternel printemps. Nous partons vite pour Edfou en car. Des champs de cannes à sucre s’étendent largement le long du Nil sur la rive ouest. Dji nous parle un peu de l’époque contemporaine durant le lent trajet. L’Égypte s’est émancipée de la tutelle anglaise en 1952 parce que la mode était à la décolonisation et au nationalisme tiers-mondiste – mais aussi (je l’ajoute) parce que l’Inde, devenue indépendante dès 1948, ne nécessitait pas de conserver sous contrôle la route maritime passant par le canal de Suez. Gamal Abdel Nasser a pris le pouvoir et réalisé à cette occasion, en 1952, la « dévolution des terres ». Chaque paysan a reçu 2,5 hectares, limités à 30 hectares pour un même nom afin d’éviter un trop grand pouvoir économique des familles étendues.

gamin sur chameau Egypte

Il existe aujourd’hui des terres privées et des terres d’État ; celles-ci sont gérées en coopératives. Les cultures privées ne sont pas entièrement indépendantes car les paysans doivent cultiver ce qui est décidé par la coopérative pour la moitié de son exploitation. La canne à sucre fait florès autour de Louxor. Elle sert à produire du sucre, des cartonnages, et un aggloméré pour les parois des habitations. Des rails à voie étroite courent parfois sur le sol ; ils servent aux wagons collecteurs de cannes. Celles-ci sont aussi transportées en camions à remorque. Aux ralentissements, des gamins se précipitent d’ailleurs pour tirer une ou deux cannes du chargement, afin de les écorcer et de croquer la tige juteuse et sucrée.

État « socialiste démocratique » pour l’affichage international, l’Égypte est surtout clanique, organisée autour de l’armée – cette élite des mâles qu’affectionnent les pays musulmans (voir le Pakistan, la Libye de Kadhafi et même l’Algérie). Le pays exporte surtout du coton (50% des gains en devises), mais aussi du sucre, du blé, du maïs, du riz, des tomates, des oranges. Il produit du gaz naturel et même du pétrole (14 ans de consommation au rythme actuel). Ce que Dji ne dit pas est que la politique de redistribution des terres aux fellahs est un échec car la démographie a été (et va encore) plus vite que le développement : le rendement des petites propriétés est déficitaire et l’analphabétisme rural monte à 67% ! C’est encore le tourisme qui rapporte le plus, employant 2,5 millions de personnes et rapportant deux fois le montant de l’aide annuelle américaine.

Egypte campagne

Quel contraste entre deux pays de delta, l’Égypte au Proche-Orient et le Vietnam en Asie ! Tous deux sont pauvres, sortis de la colonisation ou de la guerre, majoritairement paysans. Mais l’un s’en sort et l’autre pas ! On peut tristement le constater, aucun pays arabe n’a développé d’économie avancée. Ils ont acheté des compétences et des services à l’extérieur plutôt que de chercher à apprendre et produire par eux-mêmes, poursuivant leur tradition de prédateurs guerriers. Mentalité proche, en plus fruste, de celle de nos aristocrates d’ancien régime. L’Égypte n’a pas connu de solution à son problème de développement, rien que des secours d’urgence et des gestions de crise. Tout est dévolu à l’armée, « orgueil arabe », improductive et autoritaire par définition.

adolescent en galabieh egypte

Riches ou pauvres, tous les pays arabes sans exception ont des régimes despotiques dans les années 2000. Les dirigeants ne sont pas responsables, leurs actes sont imprévisibles, toute l’économie est subordonnée à la politique, celle-ci réduite au clientélisme et aux féodalités. Le développement économique n’est pas une fin en soi, nous sommes bien d’accord, mais demandez aux paysans du Nil s’ils veulent être nourris convenablement et bien vêtus, s’ils veulent envoyer leurs enfants à l’école et comprendre un peu mieux le monde dans lequel ils vivent ? J’ai l’intuition qu’ils vous répondront oui. Je ne connais personne qui veuille rester dans la crasse ou l’ignorance, même l’écologiste ou le tiers-mondiste le plus convaincu. L’absence de développement des pays arabes est un problème culturel. Pourtant, la démocratie, je l’ai montré, n’est pas incompatible avec l’islam.

Egypte Medinet Habou

On peut en incriminer la religion : le Dieu de l’Islam est sans désir ni amour ; il dépasse l’intelligence et la raison ; il n’aime pas ses créatures qui lui sont indifférentes. Sa puissance est insensible, « islam » veut dire « résignation ». Mais, après tout, le catholicisme n’est pas plus ouvert… La différence est que les sociétés arabes ne génèrent pas de main d’œuvre informée ni capable ; elles rejettent les idées et les techniques nouvelles par préjugé antioccidental (les chrétiens sont honnis) ; la révérence pour le Coran – Livre saint qui a tout dit – empêche toute réflexion personnelle et tout apport extérieur (les chrétiens ont vécu cela jusqu’à Galilée) ; même le savoir que certains acquièrent à l’étranger n’est pas respecté, on lui préfère le clanisme et le bakchich – terme qui vient d’ailleurs de l’arabe. Les entrepreneurs locaux n’appartiennent pas par hasard aux minorités copte, juive ou grecque dans l’histoire de l’Égypte. Même le coton, richesse actuelle du pays, a été introduit par le français Jumel en 1822.

gamins Egypte

Le principal obstacle au développement est peut-être le machisme ambiant. Les femmes sont tenues à l’écart, comme une espèce « inférieure ». Cette attitude prive le pays de main d’œuvre de talent, elle sape le désir de réussite des garçons (traités comme des « pachas »), elle délaisse toute tentative de réflexion ou de débat au profit, très vite, de la violence, expression du physique quand manquent les mots mais aussi quintessence hormonale de l’identité mâle et modèle culturel du guerrier. Le problème est qu’on ne conquiert pas la programmation informatique par le sabre, ni les processus complexes pour fabriquer un avion par la querelle. Sans ouverture culturelle à l’autre, les pays arabes resteront dans leur ghetto. Peut-être est-ce ainsi qu’il faut interpréter l’espoir qu’a fait naître le printemps arabe, malgré ses airs d’automne déjà venu.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Risques sur l’avenir

Pour Alain Ternier

Rien n’est solide, même si certains politiciens français se montrent porteurs de vérité révélée, au-dessus de tous et d’une suffisance agaçante. Prévoir l’avenir n’est pas aisé, mais aucune catastrophe annoncée n’est en vue.

En France, la croissance est faible

Il n’y a aucune raison que revienne une croissance forte. Nous avons une machinerie économico-politique trop lourde, des habitudes acquises trop ancrées, une absence quasi complète de flexibilité, des tabous ingérables. Puisque François Hollande et son gouvernement ont insulté stupidement « les riches », les fortunes vont en Suisse, en Belgique et même en Russie, ceux qui sont à l’aise sans être vraiment riches travaillent moins (professions libérales, chômeurs intermittents lassés de devoir payer cotisations sociales et CSG au même taux que s’ils travaillaient à plein temps), les jeunes qui pourraient devenir riches partent créer des entreprises ailleurs dans le monde, même les grandes entreprises commencent à petit bruit à « décentraliser » leur trésorerie, leur trading ou leur gestion.

L’organisation de Bercy fait que les impôts rentrent, illusion que tout va bien ; la perte des forces vives ne se voit qu’avec le temps, surtout lorsque les beaux parleurs se montrent incapables de rationaliser l’administration. Savez-vous qu’il existe encore deux « louvetiers » en Bretagne ? Fonctionnaires dont on se demande ce qu’ils font, vu que le dernier loup a été tué il y a un siècle…

tortue gaston lagaffe

Une implosion générale du système européen ?

Je n’y crois pas, toutes les crises Europe ou euro ont été gérées, avec retard et piaillements, mais cela s’est fait. Rançon de la démocratie, le débat à 27 et plus prend du temps et exige des compromis. Les différences entre pays ne sont pas plus grandes, elles ont toujours été là ; elles étaient seulement masquées par le désir d’entrer dans l’Europe. Malgré les tiraillements démagogiques, nul n’a intérêt à sortir de l’Union dans un monde globalisé ; ce sont des concessions au populisme ambiant de politiciens sans idées, ou une illusion d’ex-grand empire. Le Royaume-Uni par exemple croit pouvoir se sauver tout seul (mais peut-être sans l’Écosse et même le Pays de galles, désormais autonomes) ou avec un « allié privilégié » – les États-Unis – qui s’en moque, plus tourné vers l’Asie immense et émergente que vers une Europe vieillissante et en déclin.

La Grande inflation mondiale ?

Dans le monde, on assiste à une déflation des actifs plus qu’à une hausse générale des prix. Même les dettes d’États ne valent parfois plus leur nominal. Les actifs réels dégonflent quand la demande pour recycler les injections continues de liquidités de la part des banques centrales n’est plus là. D’ailleurs la bourse baisse, comme l’immobilier, depuis que Ben Bernanke a annoncé la fin de la partie. Ces injections ne préparaient pas la Grande inflation, elles permettaient tout juste d’éteindre les « dettes » dues aux spéculations des subprimes et autres constructions toxiques, et au système financier de ne pas s’être grippé dans des faillites en chaîne comme cela a failli être le cas fin 2008.

Mais l’économie réelle ne connait pas de dérapage car existe une « armée de réserve » de travailleurs pauvres dans un monde globalisé en Chine, en Inde, au Brésil, au Nigeria et même chez nous, prêts à s’investir pour améliorer leur condition (ce pourquoi les petits boulots en Allemagne ont eu autant de succès contre le chômage). Il existe une certaine inflation des actifs par des bulles sectorielles dues aux modes ou aux raretés, mais pas d’inflation générale due à une offre de biens inférieure à la demande. Qu’un immeuble au centre de Paris ne vaille plus que 7 millions d’euros plutôt que 10 millions, ce n’est pas cela qui va changer l’économie. Il n’y a pas perte réelle pour celui qui l’habite : il y a une moindre de valorisation de ses actifs (et moins d’ISF qui rentre dans les caisses de l’État), mais l’immeuble comme actif réel subsiste sans changement.

L’inflation se produit fondamentalement lorsque la demande dépasse l’offre possible. Or, de moins en moins de gens se trouvent prêts à augmenter la demande globale dans les pays développés : ils sont coincés par la stagnation des salaires, le chômage, les pensions réduites, les coûts obligatoires qui augmentent (assurances, énergie, impôts), la démagogie gouvernementale et la crainte de l’avenir. Quant aux pays émergents, ils ne font que satisfaire les besoins de consommation de leur propre population, livrant le surplus des biens courants à bas prix aux pays développés. Les bulles artificielles d’aujourd’hui sont transitoires et à mon avis pas inquiétantes.

Sur les matières premières et les denrées alimentaires, il y a sans conteste à long terme des  ajustements à faire, mais ils sont prévisibles et annoncés à grands sons de trompes apocalyptiques par les écologistes. Or une « apocalypse » ne peut survenir si tout le monde s’y prépare… Donc le long terme réglera les questions à mesure qu’elles se posent. Selon le rapport du Club de Rome en 1972, il y a des années que nous devrions être à sec de pétrole et en guerre ouverte pour d’autres matières vitales – et, chacun le constate, il n’en est rien… A court terme existent des tensions dans la répartition, mais elles sont conjoncturelles et se résorbent avec le système d’échanges mondiaux qui fonctionne plutôt bien (on l’a vu avec l’éthanol – invention écolo – qui a fait déraper à la hausse certains produits alimentaires – on est revenu dessus).

Et puis l’on trouve de nouveaux gisements (qui exploitait les gaz de schiste, pourtant connus il y a dix ans ?), on récupère, on adapte son alimentation. Les habitudes des générations changent dans le temps : les pays développés mangent moins de viande, plus de fruits et légumes produits localement, des poissons que l’on en élève en plus grand nombre (que l’on se souvienne du saumon, produit de luxe des années Mitterrand, fort démocratisé depuis). Même si le budget alimentation doit augmenter, il reste faible dans le budget global des ménages. C’est plutôt le budget énergie qui pèse, mais il s’agit d’une politique délibérée de l’État, pour motifs idéologiques : forcer écologiquement à consommer moins. Alors que c’est tout le monopole centralisé d’EDF qu’il faudrait remettre en cause…

Des guerres demeurent possibles

Surtout en Asie, avec la Chine pour protagoniste : moins une agressivité chinoise (qui préfère le développement économique) qu’une réaction nationaliste à des provocations sur des îles de la mer de Chine, dont les zones économiques exclusives sont remplies de matières premières à exploiter. Un dérapage de dirigeant maniaque, comme le « marxiste populaire » de la Corée du nord, reste toujours une possibilité. Il est certain qu’un « hiver nucléaire » en Asie du sud-est serait dommageable aussi bien aux populations qu’aux échanges mondiaux.

Mais on ne voit guère de risque majeur ailleurs. Les pays arabes contiennent leur agressivité en guerres civiles à motifs tribaux et religieux (même si la guerre en Syrie est susceptible de durer des années) car Israël est au cœur du Moyen-Orient et tous savent que les États-Unis interviendraient si les Juifs sont menacés. Et Assad comme l’Iran qui le soutient se sont déconsidérés gravement en usant d’armes chimiques contre des populations civiles.

Soyons donc modestes sur les prévisions

Chacun essaye d’être volontariste, mais il ne s’aperçoit qu’après coup s’il a agi dans le bon ou le mauvais sens (par exemple en Libye, qui a entraîné le Mali, qui a entraîné les enlèvements au Niger). Les tendances longues sont peu visibles mais ce sont elles qui commandent les transformations du siècle : la démographie, le changement climatique, les découvertes scientifiques, les progrès médicaux, la mondialisation des communications…

Reste ce qui ne peut être prévu : c’est là que l’incertitude demeure – mais le fait même de vivre est une aventure de tous les instants.

Catégories : Economie, Géopolitique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,