Zemmour désamour

La « polémique » a attiré mon attention sur un discours qui serait autrement resté pour moi invisible. La vertu de « la polémique » est son imbécilité : les bonnes âmes des ligues de vertu morale et politique (pour eux c’est pareil) savent mieux que vous ce que vous devez penser et mettent en valeur ce qui devrait à leurs yeux rester caché. Et qui devient donc diablement intéressant.

Eric Zemmour, « écrivain polémiste », est intervenu à la Convention de la droite, version Maréchal. Malgré les « problèmes techniques » qui n’ont cessé d’émailler de bout en bout l’intervention, le discours retransmis en direct par LCI dans un souci démocratique (mais ôté de YouTube par la bien-pensance puritaine yankee) est audible. Est-il bizarre que la droite réactionnaire soit plus nulle de la gauche ultra-progressiste dans l’usage des outils techniques de la modernité ?

Malgré les jérémiades à l’infini des « plaignants » qui ne supportent pas physiquement d’entendre des propos qu’ils ne partagent pas, le régime démocratique exige le débat, donc les libres propos. Eric Zemmour n’a pas dépassé les bornes de la polémique politique même si, depuis l’effondrement de l’idéologie communiste, les citoyens comme les « intellectuels » n’ont plus l’habitude des mots qui fâchent. Ils en appellent aussitôt à la loi, voire révisent la Constitution, pour surtout cacher ce sein qu’ils ne sauraient voir. Depuis Molière, les Tartuffes restent les mêmes.

Que dit donc de si diaboliquement sulfureux l’écrivain polémiste Zemmour ? Que l’ensemble du « progrès » (la science, l’industrialisation, la mondialisation, la société et la morale qui va avec) est à honnir. Il n’a apporté que désillusions et déboires : la boucherie de Verdun avec l’industrie, Hiroshima avec la science, la pauvreté ouvrière avec la mondialisation – il aurait pu ajouter l’effondrement du droit du travail et le sous-paiement systématique avec les GAFAM, mais il n’est pas toujours à la page.

Selon lui, il y a pire : mondialisation rime avec colonisation. Si la première mondialisation d’hier a vu les Occidentaux coloniser les pays enfants, la seconde mondialisation d’aujourd’hui (que Trump achève) voit les enfants du tiers-monde coloniser l’Occident. Son angoisse, c’est l’Afrique : deux milliards et demi d’habitants en 2050, contre un demi-milliard seulement en Europe. C’était l’inverse en 1900, selon lui : cent millions contre quatre cents millions. Les flux vont donc s’inverser et le « grand remplacement » dénoncé par Renaud Camus commencer. D’où la question qu’il pose : « Les jeunes Français seront-ils majoritaires sur la terre de leurs ancêtres ? » L’auditeur est supposé savoir que « les Français » sont tous ceux qui sont présents depuis des siècles, pas les récents autorisés administratifs, sinon les musulmans qu’il dénonce seraient tout aussi Français que les catholiques de souche…

Ce qui manque au polémiste, qui définit soigneusement progrès et progressisme, est une définition du Français. Est-on français par droit du sol ou droit du sang ? Il n’en dit rien, lui-même juif berbère immigré d’Algérie, décrété Français par Crémieux. Le progressisme est pour Zemmour « un matérialisme divinisé » ; on ne sait trop ce qu’il entend par cet oxymore qui fait chic : peut-on faire un dieu de la matière qui justement n’a rien de divin ? Ce jeu de concepts masque l’absence de pensée sur le sujet, sinon de plaire aux milieux catholiques. Que l’être humain se construise durant sa vie, et que la société s’organise sans intervention d’un dieu quelconque (fut-il une Morale laïque), n’est pas dans le logiciel du polémiste. Or c’est pourtant ce qu’il prône ! Car il s’agit pour lui que les individus se sentent solidaires du collectif social, lequel doit « résister » et « restaurer » un ordre ancien préférable. Une morale construite remplace l’autre tout aussi construite – et cette progression n’est qu’une bifurcation d’un sens qui reste toujours construit…

Le propos qui choque les pacifistes volontiers collaborateurs des fanatismes totalitaires (aujourd’hui sous Macron comme hier sous Pétain) est le suivant : « Les idiots utiles d’une guerre d’extermination des mâles blancs hétérosexuels catholiques ». Et le polémiste diplômé de Science Po élevé par des femmes (et qui a raté deux fois l’ENA) de dénoncer le féminisme des porcs, le racisme des noires et des rappeurs qui appellent au meurtre et au viol des Blancs, la théorie du genre qui fait que la ministre Agnès Buzyn peut déclarer sans rire « qu’une femme peut être père », enfin l’islam (radical – je précise, ce que Zemmour omet) qui veut imposer la loi coranique et massacrer les mécréants. Pour Eric Zemmour, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « guerre des races et des religions » avec pour but « occupation et colonisation » par l’islam et par le nombre. Évoquer cette « guerre » signifie-t-il appeler à la faire ? Le polémiste y invite mais ne dit pas comment : par la kalachnikov ou par les arguments ? La guerre civile ou le droit républicain ?

Ce n’est pas la courbe de croissance économique qui importe pour lui mais la courbe de croissance démographique. Or, pour Zemmour, « à chaque vague démographique correspond une vague idéologique ». L’universalisme a été porté par la population française, exubérante à la Révolution et durant la colonisation ; aujourd’hui, cette idéologie est obsolète, se réduisant à « un individualisme borné » dans un contexte de taux d’enfant par femme réduit, tandis que l’islam se répand par sa démographie (même si les musulmans intégrés ont tendance à aligner leur taux de fécondité sur celui de la société dans laquelle ils se trouvent). « La question identitaire n’est pas la seule, mais elle précède toutes les autres questions » (sociales, économiques, politiciennes). Elle est la seule question « rassembleuse » de « toutes les droites », sauf « la mondialiste ».

Car deux totalitarismes actuels ont conclu désormais l’équivalent du « pacte germano-soviétique » des totalitarismes d’hier : 1/ « le libéralisme droitdel’hommiste » des citoyens du monde qui vivent en métropoles – et 2/ « l’islamisme des banlieues ». Tous les deux foulent aux pieds la nation, aucun ne se sent Français : les premiers parce qu’ils se voudraient Américains, les seconds parce qu’ils appartiennent avant tout à l’Oumma musulmane. Les Français catholiques, où peuvent-ils se retrouver ? Il oublie curieusement la France périphérique, ni métropole ni banlieue, que les gilets jaunes ont révélée – sa pensée est-elle en retard d’une analyse sociologique ou répugnerait-elle à s’adapter ?

Obsédé jusqu’à la névrose, Eric Zemmour attribue tous les problèmes actuels de la France à l’islam dans un syllogisme peu convaincant : « tous nos problèmes sont aggravés par l’immigration ; et l’immigration est aggravée par l’islam ». L’auditeur comprend quelle est sa bête « noire », mais peut-il être convaincu par le seul alignement des mots ?

Il ne faut pas oublier à quel public il s’adresse : aux catholiques réactionnaires de la droite Maréchal. En général des bourgeois n’ayant pas de problèmes de fin de mois et qui, s’ils vivent majoritairement en province ou dans l’ouest vert de la banlieue parisienne, restent attachés aux traditions. C’est leur milieu et leur droit d’être et de penser, mais ils ne forment pas la majorité des citoyens français. Le discours est donc orienté sur leurs phobies présentes et leurs angoisses de l’avenir, orné de citations littéraires de Lamartine, Condorcet, Drieu la Rochelle, Bernanos, lu avec quelques éclats et passages fleuris. Rien de bien grave dans le grand débat national mais une expression qui mérite d’être rappelée pour mieux en débattre.

Car le fanatisme islamique est un problème, révélé par les attentats de 1995, même s’il ne touche qu’une minorité agissante. Le développement démographique de l’Afrique en est un autre qu’il est bon de ne pas ignorer. La propension des intellos à rester toujours dans le sens du vent bien-pensant, aboutissant parfois à devenir de véritables « collabos » des plus forts, est largement documentée depuis deux siècles, l’analyse la plus fine ayant été fournie par Raymond Aron en 1955 avec L’opium des intellectuels. Le retour des « nationalismes » (ou du repli sur soi) des pays développés de plus en plus nombreux est un fait d’évidence. Mais à quoi cela sert-il d’agiter les peurs et les angoisses (sinon à des fins de manipulation politicienne) ? Il nous faut au contraire apprivoiser ces événements par la raison, les analyser lucidement, pour décider de la façon de nous y adapter en conservant notre identité de pays ayant mille ans d’histoire.

Le problème d’Eric Zemmour est probablement qu’il ne s’aime pas. Il avait écrit un livre éclairant portant ce titre à propos de Jacques Chirac, en 2002 : L’homme qui ne s’aimait pas. Parlait-il avant tout de lui-même ?

L’auteur du Suicide français pourrait-il faire sienne la maxime qu’il livre aux maréchalistes de droite à la fin de son discours : « La vraie espérance est le désespoir surmonté » ? L’homme qui ne s’aimait pas pourra-il un jour s’aimer ?

Le discours d’Eric Zemmour à la Convention de la droite (très mauvaise qualité d’image et son médiocre)


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4 réflexions sur “Zemmour désamour

  1. Quant au public, je faisais allusion à celui présente à la convention, que l’on peut voir en vidéo.
    Quant à « l’identité française » et « la nationalité », je pense au contraire de vous que ce sont des questions cruciales. Qu’est-ce qu’être administrativement français ? Qu’est-ce se sentir français ? La tuerie terroriste de l’Antillais converti récemment à l’islam montre que ce n’est pas si simple.
    Zemmour est un angoissé, comme beaucoup de Juifs que j’ai pu rencontrer, et qu’Enthiven manifeste physiquement dans sa propre intervention. Il a peur et en rajoute ; il agite les peurs comme Trump aux Etats-Unis, il fabrique des fantasmes et les tisse en histoire cohérentes (storytelling) mais aux prémisses discutables.
    Mais vous avez raison de dire que ce sont l’amalgame des perdants en colère qui adhère au parti des oubliés. Maréchal veut en user comme d’un levier pour une OPA sur la droite, en attendant un créneau historique favorable. Je ne suis pas de ce bord-là et je crois qu’il va à l’échec car on ne construit pas une histoire ni ne redore le blason d’un pays par le repli haineux sur soi. Mais ce n’est que mon avis.

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  2. Krissou

    Zemmour ne s’adresse pas aux « catholiques » bourgeois sans problèmes de fin de mois. Sauf exceptions, ceux-là se sont macronisés. Ils sont les gagnants de la mondialisation, ils ont renié leur foi et votent sans remord pour un parti qui soutient l’IVG, la PMA et toutes les « avancées » transhumanistes qui suivront, pourvu qu’il préserve leur train de vie de nantis.
    Ces gens-là sont vendus au parti de l’étranger et sont parfaitement sourds à un discours axé sur l’identité nationale.
    Les résultats des dernières élections à Versailles ou dans les beaux quartiers parisiens sont sans équivoque.

    Tout au contraire, la parole de Zemmour est celle des perdants. C’est celle de ceux qui souffrent et dont tout le monde se fout : les ouvriers, petits employés, petits fonctionnaires, retraités, gilets jaunes. Ces gens qui n’ont aucun pouvoir ni aucun représentant, puisque le RN est un allié objectif du pouvoir en ce qu’il neutralise la colère légitime des oubliés.

    Autre problème de votre présentation : la question de la définition du fait d’être français. Zemmour n’a pas repris, dans une intervention relativement courte, l’intégralité de sa pensée. Ce n’était pas un cours ou une conférence. À d’autres occasions, il a cité Renaud Camus, en disant que si on peut assimiler des personnes, on ne peut pas assimiler des peuples.
    Il cite également Engels fréquemment, en disant qu’au-delà d’un certain nombre la quantité devient une qualité.

    La définition du français est secondaire. La seule question qui vaille est de savoir comment l’identité française survivra si elle devient minoritaire sur son sol. Sa réponse est qu’elle survivra comme un folklore, comme un régionalisme, ce qui revient à dire qu’elle ne survivra pas.

    Finalement, je ne pense pas que Zemmour agite les peurs, comme Macron agite la peur du changement climatique ou du retour de la peste brune. Je ne vois pas d’hypocrisie dans son discours. Je pense que Zemmour aime la France et a peur. Il s’adresse à d’autres gens qui eux-aussi ont peur. Et ce ne sont pas les événements de la préfecture de police de Paris qui vont les rassurer.

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  3. Les termes de votre dernière phrase ne sont pas des arguments rationnels mais dénotent une passion mauvaise. Sur le fond, Zemmour dit des choses justes : il ne propose pas une solution efficace. Le repli sur soi au lieu d’affronter lucidement les choses n’aboutit à rien de positif.

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  4. alainrivier

    Bravo, j’approuve totalement ZEMMOUR et ce sont des gens dangereux ceux qui n’écoutent au nom d’un universalisme béat. Ces gens (les salafistes et autres illuminés maudits de l’humanité)) nous détestent profondément et vomissent nos valeurs, nos traditions, nos coutumes, nos cultures, nos musiques nos sexualités et ils haïssent le République et nient l’Histoire de l’humanité leur sort par les yeux. Pauvres crétins, servis par une classe politique de minables corrompus.

    Alain Rivier

    Elu local

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