Articles tagués : -5000

Krause et Trappe, Le voyage de nos gènes

Un voyage passionnant dans l’archéogénétique, science récente due à l’accélération des possibilités de calcul numérique ces vingt dernières années. Le séquençage de l’ADN humain, décodé à grand peine en 2003 (il a fallu dix ans), est aujourd’hui beaucoup plus facile, rapide et moins cher : « La capacité de traitement de nos machines a été multiplié par 100 millions au cours des 12 dernières années, si bien qu’un seul séquenceur est capable de décoder le nombre vertigineux de 300 génomes humains par jour » p.19. D’où la multiplication des squelettes anciens décodés.

Ce qui amène l’institut d’Iéna sous la direction de Svante Pääbo à l’étude des migrations, depuis le dernier ancêtre commun aux Sapiens, Néandertaliens et Denisoviens. Les premiers hommes modernes ont quitté l’Afrique environ 600 000 ans avant aujourd’hui. Certains sont partis vers l’est à travers le Caucase, les Denisoviens ; les autres sont partis vers l’ouest au travers des Balkans, ce sont les Néandertaliens. Vers 50 000 ans avant aujourd’hui, une seconde diffusion des hommes modernes depuis l’Afrique a lieu, les Sapiens dont nous portons encore la trace génétique. Certains bifurquent vers l’Europe centrale, d’autres vers l’Europe de l’Ouest en contournant les Alpes couvertes de glaciers. Vers 38 000 ans avant le présent, les Néandertaliens sont repoussés par les Sapiens et disparaissent, parfois en se fondant par copulation avec eux (2 à 5 % de gènes néandertaliens subsistent dans les populations actuelles). On soupçonne le climat qui s’est refroidi de 4°C à cause d’une explosion du volcan napolitain des champs Phlégréens il y a environ 39 000 ans, permettant une meilleure adaptation du Sapiens grâce à ses qualités d’action collective.

C’est le règne des chasseurs-cueilleurs artistes de l’Aurignacien, du Gravettien et du Magdalénien, dont les grottes ornées enchantent les préhistoriens, les artistes et les touristes à Lascaux, Chauvet, Cosquer, Altamira, etc. A la fin de cette période glaciaire, il y a environ 18 000 ans, les Européens ont rencontré les humains des Balkans venus d’Anatolie et se sont mélangés ; ils avaient les yeux bleus et la peau sombre. Le recul des glaciers a favorisé les échanges techniques, commerciaux et génétiques.

Avec l’arrivée de l’holocène il y a 11 700 ans, le climat se réchauffe et les migrations reprennent, encouragées par l’émergence du pastoralisme et de l’agriculture. Ce deux modes de vie sont nés dans le Croissant fertile du Proche-Orient, où le climat est le plus favorable. Vers 14000 avant aujourd’hui, ce sont les Natoufiens au nord de l’Egypte ; vers 11 000 les populations vont migrer depuis le Croissant fertile du Liban-Syrie-Irak vers le Taurus, atteint 9000 ans avant puis vers le Caucase. Ils atteindront l’Europe centrale 8500 avant et l’Europe de l’Ouest environ 7500 avant, jusqu’à la Scandinavie 6200 ans avant. En deux cultures, celle de la céramique cardiale au sud en longeant la Méditerranée, et celle de la céramique rubanée au nord. Au mésolithique, on avait beaucoup d’enfants, allaités jusque vers l’âge de 6 ans faute de lait animal et de céréales ; ce néolithique importé va tout changer et submerger par la démographie les anciennes populations qui s’y sont mélangées.

Survient alors « l’heure des jeunes hommes célibataires », selon le titre du chapitre. La culture Yamna au nord du Caucase essaime vers 5200 avant aujourd’hui vers l’ouest, créant la culture de la céramique cordée, puis la culture campaniforme, selon les formes des poteries découvertes par les archéologues (décors en corde appliquée ou tournure des pots en cloche). Vers 4200 avant, c’est le début de l’âge du bronze en Europe de l’ouest, amené par ces cavaliers de la culture Yamna armés de haches de guerre qui ont occupé des lieux quasi déserts (peut-être décimés par la première épidémie de peste à l’âge de pierre). Ce pourquoi les nouveaux immigrés mâles des steppes s’imposent génétiquement : « 80 à 90 % des chromosomes Y que l’on recense à l’âge du bronze étaient jusqu’alors absents en Europe, en revanche il en allait autrement dans la steppe » p.122.

Ces immigrants du nord Caucase apportent avec eux une langue, qui donnera toutes les langues européennes. Cet « indo-européen », reconstitué avec les mêmes procédés que la génétique, serait parti de la région d’Irak vers 8000 avant pour créer vers l’est les langues de l’Iran et du nord de l’Inde, vers l’ouest les langues anatolienne et hittite, le grec ancien Linéaire B et l’Albanais, et vers le nord depuis la culture Yamna les langues balto-slaves, germaniques, celtiques et romanes. Seuls ont résisté quelques îlots non indo-européens comme le Linéaire A minoen (disparu avec l’explosion du volcan à Santorin), le proto-sarde et l’étrusque, le basque, le hongrois, l’estonien et le finnois. A noter que le turc comme les langues sémites ne sont pas d’origine indo-européenne. Mais l’interconnexion génétique s’est faite comme partout ailleurs et les langues ne permettent pas d’ancrer une « population » spécifique sur le territoire qu’elles occupent.

Deux chapitres finaux évoquent les pandémies qui ont accompagné les humains depuis leur sédentarisation néolithique et leur promiscuité sans hygiène avec les animaux. Ce sont la peste véhiculée par le rat noir, la lèpre par l’écureuil roux, la tuberculose par les bovins et par les phoques, la syphilis par le singe, les parathyphoïdes, puis les maladies épidémiques plus récentes comme la grippe, la variole, le sida et les Sars Cov. Le premier bacille de la peste simple est attesté dans la culture Yamna au nord Caucase vers 4900 avant aujourd’hui, le premier bacille de la peste bubonique (beaucoup plus contagieuse car se diffusant par lla respiration) vers 3800 avant. La peste de Justinien (540 à 750) a probablement aidé à chuter l’empire romain ; la peste noire (1346 à 1351) a éradiqué environ une personne sur deux dans toute l’Europe, concourant à la chute de l’empire byzantin et de la dynastie Yuan en Chine.

L’histoire de l’Europe est donc faite de migrations successives venues du Proche-Orient il y a 40 000 ans, 8000 ans et 5000 ans, de fluctuations sévères du climat dues aux glaciations et aux volcans, aux épidémies sporadiques dues aux bactéries et aux virus, aux nouvelles techniques de l’agriculture, de la domestication du cheval et de la fonte d’armes et d’outils en bronze, de constants et nombreux échanges commerciaux et des femmes entre les groupes humains encore peu nombreux.

Ces études sont littéralement passionnantes car nouvelles et fondées scientifiquement plus que les spéculations portant jusqu’ici sur les seuls restes techniques retrouvés dans les fouilles.

En revanche, le parti-pris idéologique mondialiste et dans le courant à la mode de l’un des auteurs agace. Si Johannes Krause est chercheur et directeur du département d’archéogénétique de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig, Thomas Krappe est simple journaliste spécialisé dans les questions sanitaires. Son discours veut à tout pris se démarquer des théories racistes du nazisme, encore sensibles en Allemagne. Mais à trop vouloir prouver, on se ridiculise. Pas besoin d’user d’un vocabulaire démagogique comme « l’avenir, c’est les immigrés », « la chute de la forteresse Europe », « la langue comme instrument de domination », « l’invention du patriarcat » et ainsi de suite pour raconter l’histoire des gènes ! Ce défaut du livre est regrettable car la science doit rester neutre et ne pas être prise pour prétexte à des idées toutes faites.

Pour sa partie scientifique, en pleine essor, je ne peux cependant que vous recommander de lire ce livre qui renouvelle nos connaissances sur le peuplement du monde – et de l’Europe en particulier.

Johannes Krause et Thomas Trappe, Le voyage de nos gènes – Comment les migrations ont fait de nous ce que nous sommes, 2021, Odile Jacob 2022, 283 pages, €23,90

Catégories : Archéologie, Livres, Science | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Poster un commentaire

Alignements de Carnac

Nous quittons l’Hôtel des Alignements pour nous rendre aux alignements réels, à un quart d’heure de marche. Le temps est gris, venteux, frais. À la Maison des Mégalithes, un court film nous explique quand et quoi. Menhirs et dolmens datent du néolithique de -5000 à -2500. Il s’agissait d’une société d’agriculteurs, hiérarchisée comme le prouve la tombe de chef du tumulus Saint-Michel découvert à Carnac sous la chapelle élevée sur la butte artificielle qui a nécessité des milliers d’heures de travaux. Des haches votives en jadéite et des perles de colliers en variscite, matériaux venus des Alpes italiennes et d’Andalousie lui servaient de parures. Ces haches n’étaient pas destinées au travail car trop fragiles et précieusement taillées puis polies ; elles avaient une fonction symbolique de pouvoir, une « magie ».

Avec une jeune conférencière du coin très brune, probablement étudiante, nous visitons les alignements du Ménec, juste en face, de l’autre côté de la route de Kerlescan. Le Ménec est le principal alignement, les autres s’étendant sur environ 4 km jusqu’aux dolmens de Kerlescan, au-delà du cromlech du même nom, que nous ne verrons pas. Se succèdent les alignements de menhirs du Ménec, ceux de Kermario, enfin de Kerlescan. Des passerelles en bois permettent de voir les alignements sur leur pourtour, sans piétiner dedans. La terre en effet se tasse et, comme une gencive les dents, déchausse les menhirs. Seules les visites guidées en groupe sont autorisées. Les guides nous demandent d’ailleurs de marcher sur les ajoncs, plantes invasives qui prennent trop de place.

Les alignements du Ménec, avec leurs 1050 menhirs dressés sur 11 lignes, vont en dégradé des plus hauts menhirs d’environ 4 m de haut aux plus petits de 30 cm, du sud-ouest au nord-est sur 950 m de long et 100 m de large. Ils sont terminés par un cromlech, demi-cercle de 71 menhirs au ras des maisons du hameau du Ménec. Beaucoup ont été détruits, récupérés, retaillés, servant à bâtir l’église et quelques maisons. La roche, la granulite, affleure dans les environs et a été utilisée sur place, dans la meilleure lignée du consommer local qui est le fantasme écolo de notre post-modernité. On l’extrayait en utilisant ses fissures naturelles (diaclases) et en y enfonçant des coins de bois mouillés qui faisaient gonfler la pierre, puis des écarteurs en pierre, jusqu’à l’éclater.

L’intérêt pour ces pierres dressées naît au XIXe siècle dans la lignée du romantisme avec l’Écossais James Miln (né en 1819) et le tout jeune Carnacois de 10 ans, Zacharie Le Rouzic (né en 1864). Il a quitté l’école pour suivre son maître archéologue déjà âgé de 45 ans et sensible à la curiosité du jeune garçon. Zacharie s’est formé tout seul et a pris sa suite, effectuant des fouilles, faisant appel à l’opinion érudite afin de protéger les sites, ce qu’il parviendra à faire en 1928 en les faisant classer Monuments historiques. Il est décédé en 1939. Carnac, sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, n’a toujours pas obtenu le label.

Les menhirs en granit du coin ont été transportés sur des rondins. Une expérience de juillet 1979 sous la direction de Jean-Pierre Mohen a prouvé que 250 hommes pouvaient tirer 32 tonnes. Cet exploit social était un événement collectif qui soudait la communauté et s’effectuait peut-être avec des cérémonies. Pour leur érection, il fallait creuser dans le sol un calage profond d’une trentaine de centimètres à deux mètres selon la taille du menhir, y installer quelques pierres de retenue, tirer la pierre dans un berceaux de bois sur des rondins posés sur des rails de bois pour éviter au maximum les frottements, dresser le menhir à l’aide d’une chèvre, de leviers et de câbles en chanvre depuis son sommet, enfin de caler la base avec des pierres, de la terre, du sable et des cendres. Les cendres au pied des menhirs ont été datées par le carbone 14 de -3500.

L’étudiante nous énumère les différentes hypothèses sur leurs fonctions.

• La légende de Saint Cornély qui aurait figé l’armée de soldats païens à sa poursuite n’est plus crue par personne.

• L’hypothèse du marquis de Robien en 1755 que les menhirs étaient des stèles de sépulture ne tient pas car aucun os n’a été trouvés à leur pied.

• Le culte druidique de La Tour d’Auvergne en 1805 n’a rien qui l’atteste

• Le culte phallique des pierres « dressées » milieu XIXe est plus un fantasme de mâle en rut ou de femmes en mal d’enfant qu’une hypothèse crédible

• Le culte solaire ou du zodiaque du celtomane Jacques Cambry début XIXe est marqué par le nationalisme mais attesté par rien

• L’observatoire sismographique de Pierre Méreau en 1992 suggère que, placés sur les failles, les menhirs alignés seraient des détecteurs de tremblement de terre. Pourquoi pas ?

• L’idée d’un observatoire astronomique des étoiles et des astres pour calculer les équinoxes et les solstices afin de régler les semailles et les fêtes religieuses reste la plus probable, car des calculs permettent de le vérifier.

• L’hypothèse du passage symbolique vers l’autre monde comme les torii japonais, dernière née en raison de la mode ésotérique, n’est pas incompatible avec l’hypothèse astronomique mais ne permet pas d’être prouvée. Elle est celle de Serge Cassen, directeur de recherche au CNRS. Les espaces entre les pierres seraient des passages, des « seuils ». Il insiste sur la notion de limites posées par les humains dans le paysage : limite entre ce qui vient de la mer et ce qui vient de la terre, entre le monde des morts et celui des vivants. Le mot limite est, là encore, à la mode en notre période de migrations et de « frontières » remises en cause, sans que l’on s’interroge sur son bien-fondé à chaque cas.

• L’attraction populaire, antique pour la spiritualité et le culte funéraire comme contemporaine pour le tourisme et le patrimoine, n’est pas négliger…

Dans le groupe d’à côté, j’observe un kid blond de 7 ans en mini-short et T-shirt sans manches. Il a froid avec le vent et l’immobilité, j’ai moi-même endossé mon coupe-vent. Comme tous les enfants, il rentre ses bras sous son léger vêtement pour enserrer sa poitrine nue. Mamie n’avait rien prévu pour les enfants. D’autres parents n’avaient pas non plus prévu de chaussures, une petite fille était en claquettes dans les ajoncs piquants. À quoi pensent donc les adultes ?

Catégories : Archéologie, Bretagne, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Poster un commentaire