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Saint-Philibert

Nous prenons le taxi jusqu’à Saint Philibert après le petit déjeuner de huit heures et la répartition du pique-nique. Nous visitons la chapelle Saint Philibert qui se nomme en vrai Notre-Dame de la Nativité. Elle est construite au bord de l’eau en 1648 sur le modèle d’une maison de pêcheur, sur la rive du Ster.

Une petite fontaine aux bêtes la flanque dès 1649. Comme beaucoup de chapelles, le plafond de la nef est recouvert d’une boiserie en forme de coque de bateau, peinte en bleu de mer et ornée d’étoiles.

Est notable un retable. Il est du XVIIIe siècle, un tableau romantique dans la partie centrale représente Saint Philibert débarquant dans l’anse du Ster sur une auge de pierre, brandissant la croix d’une main et la crosse de l’autre – pas vraiment bienveillant. Les caraques venues d’Angleterre et d’Irlande étaient chargées de pierres comme lest mais elles différaient des pierres de Bretagne d’où l’assimilation du bateau à la roche étrangère. Les vitraux évoquent les activités agricoles et ostréicoles du village.

Dans la nef sont suspendus des ex-voto de navires à voiles, y compris un catamaran récent, pour implorer la protection su saint lieu. Une statue de Sainte-Anne et de la Vierge enfant est érigée à droite du cœur ; c’est assez rare.

Philibert le saint venait de Gascogne. Élevé à la cour de Dagobert 1er (celui qui mettait sa culotte à l’envers), il se fit moine à 20 ans puis devint abbé avant de fonder des monastères selon la règle de saint Benoît, sur le modèle de saint Colomban. Il a fondé l’abbaye de Jumièges puis celle de Noirmoutier. Il est mort en 684 à 76 ans.

La rivière de Saint Philibert mène jusqu’à Auray. Nous la suivons jusqu’à la pointe de Kerpenhir. Il s’agit d’une ria, ses rives ont été creusées par les marées. Les vasières se découvrent à marée basse. Le GR 34 suit la plage bordée de pins d’un côté et les villas chic en bordure de l’autre. Le libre passage a été âprement négocié, beaucoup de riches en résidences secondaires refusant la promiscuité. Ils représentent plus de la moitié de la population du lieu. Nous voyons en effet des familles se prélasser, les ados déjà grands marquant la réussite sociale du père qui a les moyens de louer la maison.

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Plages de Carnac

Nous partons vers Carnac à pied, puis en navette gratuite devant le musée, en direction des plages. Il y a quelques baigneurs, mais ce n’est pas le principal. Un 12 ans à lunettes au torse encore étroit mais aux muscles secs bien dessinés, en seul bermuda de jean, joue au ballon avec un copain. Ici fleurissent des foils et des wing, toutes activités qui n’existaient pas lorsque je suis venu au début des années 1990. Seule la planche à voile et le surf étaient en vogue. L’atmosphère est très familiale, ce que je ne ressentais pas au même degré quand j’étais avec Alexis et François, Petit Pierre et sa sœur.

Les villas de vacances sont un peu en retrait de la mer, avenue des Druides, villégiatures de l’entre-deux-guerres pour riches personnes, idéalement placées. Deux pépés ramassent des huîtres sauvages accrochées au rocher affleurant à marée basse.

Une croix des Émigrés et sa plaque commémorative ont été érigées il n’y a pas si longtemps en souvenir du débarquement le 27 juin 1795 des nobles revenus d’Angleterre, accueillis par les chouans réfractaires de Georges Cadoudal et Jean Rohu. « A l’aube du 27 juin 1795, les régiments d’Émigrés foulent le sable des plages de Carnac », est-il écrit sobrement – sans jugement politique ni historique sur leurs motivations ni sur leur sort. Ils ont été repoussés par les armées révolutionnaires dirigées par le général Hoche dans la nasse de Quiberon et, pour la plupart, massacrés.

Nous revenons par les terres, la chapelle de Saint Colomban, classée Monument historique en 1928, avec sa fresque en traits rouges redécouverte en 1963 sous la chaux. On distingue une caraque de fin XVIe et un galion du XVIIe. Saint Colomban fut un moine irlandais de Bangor qui émigra en 580 avec un groupe de compagnons pour évangéliser en Angleterre puis en Bretagne avant de gagner les Vosges où il fondé l’abbaye de Luxeuil. Il prônait une religion austère qui ne plaisait pas aux cours franques. Un Christ sans bras est accroché au mur tel un cadavre voué à l’adoration. Il symbolise la chair périssable, tout comme le bois et sa destruction, contre l’Esprit toujours vivant – croit-on. Mais si nous sommes Esprit, quel était-il pour nous avant notre naissance en « ce » monde ?

Un peu plus loin, nous passons entre les champs de chanvre aux feuilles semblables à celle du cannabis. La fibre de la tige est utilisée pour tresser des cordes et des textiles, notamment les voiles très solides qui faisaient la réputation des marins bretons. Abandonnée depuis des décennies, la culture de chanvre revient. De nombreux vélos nous croisent sur le sentier. Le soleil est bien bronzant mais un petit vent rafraîchit l’atmosphère autour de 23°.

Nous rentrons à l’hôtel peu après 18 h après une journée bien remplie. Le dîner est bruyant avec un cidre offert par C. qui a eu à 14 h pile ses résultats au diplôme d’infirmière ; elle est reçue mais ne parvient pas à avoir ses notes. Le menu est une terrine de poisson avec salade, de la joue de porc aux pommes de terre grillées et aux haricots verts, et un fondant de chocolat très fort en épaississant, accompagné de crème anglaise.

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Tumulus Saint-Michel de Carnac

Nous poursuivons sur la passerelle de bois vers Kermario mais n’allons pas au bout des alignements car nous bifurquons dans la forêt, vers le tumulus Saint-Michel.

Un hommage au poète breton Guillevic est disséminé par quelques pierres dressées dans les bois, gravées de ses poèmes. Tel celui-ci :

« La feuille,

Amie du silence,

Laisse le vent

Parler pour elle. » 

Le tumulus Saint-Michel surgit, long de 125 m et large de 58 m. Il domine Carnac de sa chapelle à 12 m de hauteur. Il a été classé Monument historique en 1889. Deux tout jeunes ados expulsant leur énergie, probablement frères ou cousins, courent depuis le bas de la forêt jusqu’au sommet avant de prendre une photo avec leur téléphone, puis de redescendre par le chemin d’où ils sont venus, courant toujours. Un défi ? Une expiation ? Un jeu entre eux ?

Il n’y a rien à voir que le site car la chapelle – reconstruite en 1926 – est fermée, délaissant les croyants. Un bar-crêperie se tient à son pied, avide de touristes. Un jeune Espagnol de 10 ans joue au foot avec des plus petits, un ado de 15 ans lance une balle à son chien hirsute ; comme la balle est retenue par un élastique, le chien ne parvient pas à anticiper le retour et ne l’attrape jamais. Pas très futés, les chiens.

La tombe d’un seul personnage (donc considérable) a été fouillée une première fois en puits de 1862 à 1864 par René Galles puis refouillée cette fois en tranchée par Zacharie Le Rouzic de 1900 à 1906. Elle daterait de -4500 environ. Nous pouvons voir la porte métallique fermant le couloir qui a permis d’aller jusqu’au caveau central. Sa position au point culminant du paysage, visible à plusieurs kilomètres à la ronde, indiquait le rang social, peut-être une sorte de roi-prêtre de la trifonction indo-européenne.

Je me souviens avoir eu le petit neveu Le Rouzic comme client en gestion de patrimoine au début des années 1980. Voilà ce que c’est d’avoir une vie et une mémoire longue. J’ai d’ailleurs en marchant l’impression d’avoir beaucoup vécu, et comme plusieurs vies. Ce matin, à la Maison des Mégalithes, j’ai repéré dans le générique du film le nom d’Edward de Lumley comme directeur de la communication. Je l’ai connu petit, à 9 et 10 ans en 1976 et 1977, sur les chantiers de son père Henry au Lazaret à Nice et à Tautavel près de Perpignan. Je lui racontais la légende d’Ulysse et je l’aimais bien. C’est le souvenir de 1969 à mes 14 ans, une semaine à Carnac avec les parents en caravane, le camping situé près des alignements avec cidre, air salé et bruine vivifiante. Hier soir, c’était le souvenir d’Anne-Elisabeth et du chantier d’Etiolles, ainsi que les réminiscences des petits François et d’Alexis au musée, que je retrouverai encore sur les plages un peu excentrées de Carnac où nous allions nous baigner en juillet 1992, probablement Men Du ou Beaumer. Nous les arpentons à pied cette après-midi. Plus tard, ce sera le golfe du Morbihan, ses courants, ses amers et ses odeurs, que j’ai fréquentés il y a plus de quarante ans comme moniteur aux Glénan, sur l’île d’Arz. Cette semaine est un vrai pèlerinage vers le passé et vers moi-même.

Nous pique-niquons au pied de la chapelle, sous un chêne, à l’opposé du bar. Cette fois, il s’agit d’une salade de pâtes Lidl, d’une tomme bretonne aux algues sans guère de goût (comme tous les fromages inventés en Bretagne par le marketing actuel), et de melon.

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Alignements de Carnac

Nous quittons l’Hôtel des Alignements pour nous rendre aux alignements réels, à un quart d’heure de marche. Le temps est gris, venteux, frais. À la Maison des Mégalithes, un court film nous explique quand et quoi. Menhirs et dolmens datent du néolithique de -5000 à -2500. Il s’agissait d’une société d’agriculteurs, hiérarchisée comme le prouve la tombe de chef du tumulus Saint-Michel découvert à Carnac sous la chapelle élevée sur la butte artificielle qui a nécessité des milliers d’heures de travaux. Des haches votives en jadéite et des perles de colliers en variscite, matériaux venus des Alpes italiennes et d’Andalousie lui servaient de parures. Ces haches n’étaient pas destinées au travail car trop fragiles et précieusement taillées puis polies ; elles avaient une fonction symbolique de pouvoir, une « magie ».

Avec une jeune conférencière du coin très brune, probablement étudiante, nous visitons les alignements du Ménec, juste en face, de l’autre côté de la route de Kerlescan. Le Ménec est le principal alignement, les autres s’étendant sur environ 4 km jusqu’aux dolmens de Kerlescan, au-delà du cromlech du même nom, que nous ne verrons pas. Se succèdent les alignements de menhirs du Ménec, ceux de Kermario, enfin de Kerlescan. Des passerelles en bois permettent de voir les alignements sur leur pourtour, sans piétiner dedans. La terre en effet se tasse et, comme une gencive les dents, déchausse les menhirs. Seules les visites guidées en groupe sont autorisées. Les guides nous demandent d’ailleurs de marcher sur les ajoncs, plantes invasives qui prennent trop de place.

Les alignements du Ménec, avec leurs 1050 menhirs dressés sur 11 lignes, vont en dégradé des plus hauts menhirs d’environ 4 m de haut aux plus petits de 30 cm, du sud-ouest au nord-est sur 950 m de long et 100 m de large. Ils sont terminés par un cromlech, demi-cercle de 71 menhirs au ras des maisons du hameau du Ménec. Beaucoup ont été détruits, récupérés, retaillés, servant à bâtir l’église et quelques maisons. La roche, la granulite, affleure dans les environs et a été utilisée sur place, dans la meilleure lignée du consommer local qui est le fantasme écolo de notre post-modernité. On l’extrayait en utilisant ses fissures naturelles (diaclases) et en y enfonçant des coins de bois mouillés qui faisaient gonfler la pierre, puis des écarteurs en pierre, jusqu’à l’éclater.

L’intérêt pour ces pierres dressées naît au XIXe siècle dans la lignée du romantisme avec l’Écossais James Miln (né en 1819) et le tout jeune Carnacois de 10 ans, Zacharie Le Rouzic (né en 1864). Il a quitté l’école pour suivre son maître archéologue déjà âgé de 45 ans et sensible à la curiosité du jeune garçon. Zacharie s’est formé tout seul et a pris sa suite, effectuant des fouilles, faisant appel à l’opinion érudite afin de protéger les sites, ce qu’il parviendra à faire en 1928 en les faisant classer Monuments historiques. Il est décédé en 1939. Carnac, sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, n’a toujours pas obtenu le label.

Les menhirs en granit du coin ont été transportés sur des rondins. Une expérience de juillet 1979 sous la direction de Jean-Pierre Mohen a prouvé que 250 hommes pouvaient tirer 32 tonnes. Cet exploit social était un événement collectif qui soudait la communauté et s’effectuait peut-être avec des cérémonies. Pour leur érection, il fallait creuser dans le sol un calage profond d’une trentaine de centimètres à deux mètres selon la taille du menhir, y installer quelques pierres de retenue, tirer la pierre dans un berceaux de bois sur des rondins posés sur des rails de bois pour éviter au maximum les frottements, dresser le menhir à l’aide d’une chèvre, de leviers et de câbles en chanvre depuis son sommet, enfin de caler la base avec des pierres, de la terre, du sable et des cendres. Les cendres au pied des menhirs ont été datées par le carbone 14 de -3500.

L’étudiante nous énumère les différentes hypothèses sur leurs fonctions.

• La légende de Saint Cornély qui aurait figé l’armée de soldats païens à sa poursuite n’est plus crue par personne.

• L’hypothèse du marquis de Robien en 1755 que les menhirs étaient des stèles de sépulture ne tient pas car aucun os n’a été trouvés à leur pied.

• Le culte druidique de La Tour d’Auvergne en 1805 n’a rien qui l’atteste

• Le culte phallique des pierres « dressées » milieu XIXe est plus un fantasme de mâle en rut ou de femmes en mal d’enfant qu’une hypothèse crédible

• Le culte solaire ou du zodiaque du celtomane Jacques Cambry début XIXe est marqué par le nationalisme mais attesté par rien

• L’observatoire sismographique de Pierre Méreau en 1992 suggère que, placés sur les failles, les menhirs alignés seraient des détecteurs de tremblement de terre. Pourquoi pas ?

• L’idée d’un observatoire astronomique des étoiles et des astres pour calculer les équinoxes et les solstices afin de régler les semailles et les fêtes religieuses reste la plus probable, car des calculs permettent de le vérifier.

• L’hypothèse du passage symbolique vers l’autre monde comme les torii japonais, dernière née en raison de la mode ésotérique, n’est pas incompatible avec l’hypothèse astronomique mais ne permet pas d’être prouvée. Elle est celle de Serge Cassen, directeur de recherche au CNRS. Les espaces entre les pierres seraient des passages, des « seuils ». Il insiste sur la notion de limites posées par les humains dans le paysage : limite entre ce qui vient de la mer et ce qui vient de la terre, entre le monde des morts et celui des vivants. Le mot limite est, là encore, à la mode en notre période de migrations et de « frontières » remises en cause, sans que l’on s’interroge sur son bien-fondé à chaque cas.

• L’attraction populaire, antique pour la spiritualité et le culte funéraire comme contemporaine pour le tourisme et le patrimoine, n’est pas négliger…

Dans le groupe d’à côté, j’observe un kid blond de 7 ans en mini-short et T-shirt sans manches. Il a froid avec le vent et l’immobilité, j’ai moi-même endossé mon coupe-vent. Comme tous les enfants, il rentre ses bras sous son léger vêtement pour enserrer sa poitrine nue. Mamie n’avait rien prévu pour les enfants. D’autres parents n’avaient pas non plus prévu de chaussures, une petite fille était en claquettes dans les ajoncs piquants. À quoi pensent donc les adultes ?

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Musée de préhistoire de Carnac

Au sortir de l’église, le musée n’est pas loin, juste au-delà de l’office du tourisme. Il occupe une grande bâtisse ancienne, un presbytère du XIXe, montrant combien les curés étaient des personnages considérables à l’époque. J’ai le souvenir de l’avoir visité avec des amis en août 1993, commenté par Anne-Élisabeth Riskine, une copine des fouilles d’Étiolles née à Carnac et devenue conservateur du musée en 1980 après avoir été admissible deux fois au très difficile concours de la conservation. Elle a donc obtenu un poste secondaire, aidée par sa connaissance du maire de la commune. Elle est décédée brusquement en 2001 un matin dans son garage, à 54 ans ; elle était forte et cardiaque.

J’entre pour 8 € et visite les vitrines rénovées d’objets archéologiques découverts dans la région et bien mis en valeur. Le paléolithique est représenté par le site de la Pointe de Saint-Colomban daté de -450 000 ans. Galets aménagés, choppers et outillage sur éclats de quartz étaient l’œuvre de l’Homo erectus d’Heidelberg.

Au mésolithique, vers -10 000, ce sont les hommes modernes qui s’installent en baie de Quiberon et taillent des microlithes en silex pour chasser. Les tombes sont individuelles ou collectives sous amas coquilliers, ce qui a préservé les ossements de l’acidité du sol breton. La dame de Téviec a été retrouvée en position repliée et parée de perles en coquillages.

Mais c’est le néolithique qui est le plus intéressant car évoquant directement les mégalithes de la région. La néolithisation intervient en Europe vers -8000 par deux courants d’est en ouest. Le premier par les terres le long du Danube jusqu’en Normandie (danubien ou rubané) ; l’autre par la mer le long des côte méditerranéennes (cardial). L’Armorique (ar mor = en bord de mer ; ar couet = dans les terres) se situe à la jonction de ces deux courants et a vu probablement la naissance du mégalisthisme vers -5 500. Les tombes sont décorées de gravures à vocation probablement spirituelles. Elles tournent autour de trois grands thèmes universels : la femme – maîtresse de la fécondité et déesse des morts ; la nature sauvage – via le taureau ; le pouvoir – religieux ou politique – des hommes.

L’agriculture est véritablement la grande césure de l’humanité jusqu’à l’ère numérique : elle a anthropisé le paysage, il est devenu façonné par l’homme et les mégalithes en sont le premier témoignage. Les humains se sédentarisent, deviennent producteurs plutôt que prédateurs ; la société se hiérarchise avec l’essor démographique ; les hommes aménagent le paysage et élèvent les tombes tumulus pour leur élite comme des monuments.

La hache polie en pierre rare, surtout de couleur verte, est symbole de prestige et constitue un trésor aux pouvoirs sacrés – elle n’était pas utilisable pour le travail. Le tertre avec sa chambre cachée figure la caverne, sein maternel fantasmé pour l’au-delà et la terre Mère. Plusieurs dolmens peuvent se regrouper sous un même cairn, peut-être une tombe de clan ou de famille de haut niveau social. Et les menhirs, en alignements, pourraient participer au départ symbolique de ces morts vers l’au-delà – sans avoir besoin d’évoquer les extraterrestres – tout en marquant les limites symboliques des vivants et des morts.

A l’âge du bronze, vers -2000, ce sont des haches à douilles qui servent de monnaie d’échange et d’armes pour tuer. Les poignards, dont un exemplaire magnifique est reconstitué en vitrine, brillant de tous ses feux, complètent la panoplie d’armes létales.

A l’âge du fer vers -750, les Celtes venus de la région située entre Bohême et Bavière vont submerger les populations du bronze par leurs armes encore plus solides et meurtrières, la fameuse épée longue en fer. Les monnaies gauloises s’inspirent des monnaies grecques dès la fin du IVe siècle avant et le bracelet en verre, importé d’Égypte ou du Proche-Orient devient objet précieux car rare et montrant la richesse par l’échange.

À l’étage, une animation sur les outils et leur utilisation est une attractivité pour les familles. Notamment l’arc qui n’est ici pas une arme mais une hélice pour un perçoir à coquilles minuscules. L’ensemble du musée est assez rapide à voir et donne une bonne initiation aux monuments mégalithiques alentour et à leur civilisation, bien loin de la nôtre.

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Église Saint Cornély de Carnac

L’église est au carrefour des rues principales du bourg.

Elle est très chargée, essentiellement du XVIIIe siècle avec des vitraux de la fin XIXe. Elle est dédiée à saint Cornély (Cornélius en latin, Corneille en français), 21ème pape et martyr du troisième siècle, de 251 à 253. Il a été « persécuté » par l’empereur romain Trébonien Galle qui ne l’a pas mis à mort mais simplement exilé à Civitaveccia où il se serait éteint de mort naturelle. On connaît pire comme « martyre » chrétien… Sa légende, selon laquelle il aurait été poursuivi par des soldats romains jusque sur la côte de Carnac et les aurait changés en pierre, est une fausse vérité de la religion. Il est représenté en façade par une statue en pierre colorée du XVIIe entourée d’une vache et d’un bœuf, il est le protecteur des bovins et aussi, dit-on je ne sais pourquoi, des enfants.

L’intérieur de l’église est surchargé de boiseries peintes et de tableaux. Les anges potelés nus hantent les lambris au-dessus des saints personnages, ce qui donne une ambiance païenne et très charnelle à la foi. Le désir est un enfant innocent, évanescent, une pure nuée née de l’Esprit.

Ce qui est rare est une représentation de Dieu le Père dans la nef tenant le Fils dans ses bras sous la Trinité du Saint Esprit au-dessus d’eux.

Le plafond de bois peint raconte des scènes de la vie du Christ et de la Vierge. L’orgue classé de 1775 permet des concerts, assez nombreux en cette période estivale.

L’intérieur de l’église connaît un va-et-vient incessant de touristes, quelques-uns agrippés par des jeunes catholiques bénévoles qui s’empressent d’expliquer sa fonction et ses décors religieux à une masse déchristianisée de plus en plus inculte.

Le marketing n’est pas absent car une boite aux dons est proposée pour « participer aux travaux de rénovation de l’éclairage » avec, raffinement psychologique, la possibilité de « planter un clou » doré dans un tronc d’arbre pour manifester son don. Comment refuser ce plaisir aux petits ?

Des familles vont et viennent, dont un petit blond en combinaison de surf noir qui moule son torse étroit mais bien dessiné et met en valeur ses épaules carrées. La combi noire qui cache pudiquement le corps se veut une sorte de burkini pudique pour cathos. Mais elle moule la poitrine comme le ventre de façon intime ; ceux qui passent en short et T-shirt sont moins exposés. Le gamin est accompagné de son frère un peu plus jeune vêtu de même, espiègle comme la sœur. Leur mère ou tante est un grand échalas anorexique à la robe fleurie trop courte pour ses pattes de héron et une coiffure en pétard de la dernière mode cool-chic ridicule.

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Chapelle Sainte-Barbe de Plouharnel et chapelle Saint-Antoine

Sainte-Barbe a été bâtie au XVIe siècle en « un lieu de grand péril », comme on disait alors : les vagues qui venaient battre le pied de la fontaine d’eau douce, les tempêtes qui échouaient les naufragés. Le clocher a servi aux Bleus de Hoche à surveiller la côte et le débarquement des Émigres, puis aux nazis en 1940 à surveiller Lorient.

Le vitrail latéral du chœur symbolise les naufrages, celui de la nef rappelle les combats des Bleus et des Blancs, tous réalisés par Gérard Milon en 1985. La façade de la chapelle a été classée Monument historique en 1925 ; le clocher a été partiellement détruit en 1944 et reconstruit tronqué, la tour carrée abrite la cloche. Les bancs de pierre situés au nord et au sud, permettaient aux paroissiens de s’asseoir pour papoter après la messe.

La fontaine proche est réputée… protéger des incendies ! Il est vrai que sainte Barbe est la patronne des artificiers et des pompiers. Sainte Barbe est sainte Barbara : enfermée dans une tour par son père parce qu’elle avait épousé le Christ et refusait de se marier (l’éternel conflit du spirituel et du temporel), elle en fut sortie pour l’accouplement. Refusant toujours, son père la tua en brandissant son épée et fut immédiatement frappé par la foudre – d’où le patronage sur tout ce qui rappelle le feu, la foudre, la poudre. Malheureusement, c’est une légende : la sainte n’a jamais existé et elle a été retirée du culte en 1969 par l’Église.

Saint Antoine, en revanche, a plusieurs occurrences. Pas moins d’une cinquantaine ! Le plus connu est Antoine le Grand, père de tous les moines, ermite de Haute Égypte au IVe siècle avant d’organiser une communauté à Fayum. Saint Athanase a écrit sa biographie car il est mort à plus de 90 ans. Il est représenté avec une croix en T et un porc, symbolisant à l’origine le diable.

Sa chapelle a le plafond de sa nef en forme de coque de bateau renversée ; elle est peinte du bleu de la Vierge (et de la mer), et cloutée d’étoiles. Un Christ en bois longiligne pend sur sa croix en faisant saillir ses côtes, la tête ronde et la bouche amère.

Nous reprenons un taxi pour rejoindre l’hôtel à Carnac.

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Carnac, Baie de Plouharnel

Une courte semaine à Carnac pour revoir les menhirs et me replonger dans la récente préhistoire. Au premier jour, le petit-déjeuner est à 7h30, à l’ouverture, exceptionnellement pour un départ tôt en raison de la chaleur, bien que la température ait chuté depuis hier soir. La Bretagne a un climat qui change très vite. D’ailleurs le ciel est gris et un orage se lève, il n’est pas question de marcher avec le risque de foudre.

L’orage passé, nous partons à pied de l’hôtel évidemment nommé « Les alignements » vers la baie de Plouharnel et ses ostréiculteurs à touche-touche le long de la mer, dans l’anse du Pô. À force de voir des huîtres, nous avons envie d’en manger. Ce que nous faisons pour ceux qui aiment, vers 11h30 au soleil qui revient et à la marée qui descend. Ce sont six numéros deux pour moi pour 8,50 €. A., que cela répugne, se décide à goûter et elle découvre qu’elle aime. Elle qui a, depuis des années, refusé à Noël les plateaux d’huîtres, se dit qu’elle pourrait désormais y céder ; elle est un peu chochotte. C., en revanche, prend un plateau de rillettes de poisson. Cette pause nous occupe bien trois quarts d’heure.

Nous poursuivons le sentier GR 34 au-dessus des vasières et de l’étang du Moulin en observant les mouettes rieuses à capuchon noir, les gros goélands aux ailes argentées, les sternes fines qui plongent au ras de l’eau. Les mouettes trépignent des pattes sur le bord pour faire sortir les vers. Des moutons noirs aux cornes recourbées broutent l’herbe d’un pré salé minuscule en bord de sentier ; c’est une race rustique réintroduite ici, le mouton des landes.

Au pied d’une propriété secondaire s’élève un « baromètre breton », construction humoristique que le propriétaire n’a pas inventée, à ce qu’il nous avoue en revenant en vélo. C’est tout simple : galet sec = beau temps ; galet mouillé = pluie ; galet mouvant = vent ; galet invisible = brouillard ; galet blanc = neige ; pas de galet = il a été volé.

Nous passons entre les maisons neuves ou retapées, surtout destinées aux vacances. Enfants et adolescents peuvent s’initier au kite surf, au paddle, à la voile, au wing – une planche à voile avec une voile légère sans mât – ou d’autres activités. Une théorie de jeunes adolescents en colonie de vacances passe en vélo, tous casqués et habillés et portant le gilet jaune de rigueur. Nous croisons quelques randonneurs adultes en couple, mais ils ne marchent qu’autour de leur maison, en promenade apéritive. Plus tard, un adulte torse nu défait son sac de ses épaules en nous voyant pour le porter sur sa poitrine. Curieuse pudeur puritaine venue des États-Unis.

Nous pique-niquons sur une table et des bancs en bois aménagés sur le GR, dans un parc communal ombragé de grands chênes. Un ancien lavoir, d’où sourd encore l’eau de la fontaine malgré la pellicule de lentilles d’eau qui recouvre la surface, rafraîchit l’atmosphère. Outre la salade nous avons de la variété : le pâté de cochon du cousin charcutier en Bretagne (et pas du cochon de cousin), le fromage frais de brebis du coin, le fromage blanc mi yaourt de marque Saint-Malo, des cerises et de la confiture de fraises aux poivrons. Je note deux doses de fraise pour une de poivron rouge.

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Flaubert et Du Camp, Par les champs et par les grèves

flaubert du camp par les champs et par les greves
Du 1er mai à fin juillet 1847, Flaubert a 25 ans et quitte sa jeunesse. Il entreprend avec son ami Du Camp un périple à pied, en bateau, en voiture de trois mois en Anjou, Bretagne et Normandie. Gustave écrit les chapitres impairs et Maxime les chapitres pairs de cette relation de voyage faite pour ne pas être publiée. Car nous sommes dans les derniers mois du règne bourgeois de Louis-Philippe et, comme sous François Hollande, la bienséance et la pudibonderie règnent en maître. Les journaux et les salons sont volontiers « choqués » par toute inconvenance et ostracisent toute idée hors de la ligne, soit anticléricale, soit antiroyaliste. Flaubert, parce qu’il sait ne pas publier, se lâche souvent sur la « bêtise » du goût et sur l’hypocrisie du sexe de ceux qu’il rencontre.

Le voyage en France était à la mode, issu du courant romantique qui revalorisait le peuple des campagne et « l’âme nationale » des paysages et monuments – tout comme les pré-écolos du Larzac ont relancé la mode des randos dans la France profonde dans les années 70. Gustave et Maxime ont sacrifié à ce rite, mais à leur mode, un brin persiffleuse et aristocratique. Ce qui fait la verve de leur récit, au-delà des descriptions d’églises nourries des livres d’histoire potassés avant le départ par nos deux compères.

itineraire flaubert du camp 1847

Le voyage commence à Blois, suit la Loire jusqu’à Nantes, explore les côtes sud et nord de la Bretagne, aboutit au Mont Saint-Michel, revient sur Rennes, passe par Dives, Trouville, et se termine à Honfleur. Il aura duré trois mois sur 640 km.

Nous y lisons un Flaubert d’avant le style, un Gustave plus près du ton spontané de sa Correspondance que des affres de ses romans futurs à « rendre » la couleur. Un Flaubert en liberté : de corps, d’esprit, d’écriture. Il se trouve en accord avec le monde, en accord avec l’amitié, en accord avec la langue. « Poitrine nue et la chemise bouffant à l’air, la cravate autour des reins, le sac à l’épaule, blancs de poussière, hâlés par le soleil, avec nos habits déchirés, nos chaussures usées, rapiécées, nous avions une belle allure vagabonde, insolente et pleine d’orgueil » (chap. IX).

Il exprime ses goûts et ses émotions plus que Maxime, le contraste est net entre les chapitres entrelacés. Gustave s’attache à des détails, seuls supports vrais, pour lui, qui permettent de rendre compte de ce qu’il éprouve à l’instant. On pourrait parler « d’impressionnisme » en littérature, tant le réalisme des détails est submergé par l’impression d’ensemble, l’empreinte de l’instant sur l’âme, l’esprit, le cœur et les reins de l’auteur. « Ainsi se passe une journée de voyage ; il n’en faut pas plus pour la remplir : une rivière, des buissons, une belle tête d’enfant, des tombeaux. On savoure la couleur des herbes, on écoute le bruit de l’eau, on contemple les visages, on se promène parmi les pierres usées, on s’accoude sur les tombes ; et le lendemain on rencontre d’autres hommes, d’autres pays, d’autres débris… » (chap. VII).

pointe-du-raz fleurs

Il contemple la douceur du paysage de Loire, la fureur de la mer à la pointe du Raz, la grande tristesse du soleil qui se couche au Grand-Bé, l’exubérance du gazon des sentiers et la vivacité des ravenelles qui poussent sur les ruines ; il est rendu « presque furieux » par la sauvagerie exaltante des rochers de Belle-Île et de ses grottes marines. Et des vagues : « Nous les regardions venir. Elles écumaient dans les roches à fleur d’eau, tourbillonnaient dans les creux, sautaient comme des écharpes qui s’envolent, retombaient en cascades et en perles, et dans un long balancement ramenaient à elles leurs grandes nappes vertes » (chap. V).

Il décrit les abattoirs de Quimper, les bordels de Brest, le métier de marchand d’hommes ; il raille volontiers la bêtise d’une peinture, trop édifiante et trop chargée comme celle de l’évêque mort, les fioritures du gothique repeint et enluminé, la lourdeur des montreurs d’ours ou le bavardage narcissique et inconsistant des représentants de commerce ; il ridiculise les théories plus fumeuses les unes que les autres des archéologues du temps sur les alignements de Carnac… Il vilipende la manie sexuelle des conservateurs sur les statues antiques : « je donnerai tout cela de bon cœur et sur l’heure pour savoir le nom, l’âge, la demeure, la profession et la figure du monsieur qui a inventé pour les statues du musée de Nantes des feuilles de vigne en fer-blanc, qui ont l’air d’appareils contre l’onanisme. L’Apollon du Belvédère, le Discobole et un joueur de fifre sont enharnachés de ces honteux caleçons métalliques qui reluisent comme des casseroles. On voit d’ailleurs que c’est un ouvrage médité de longtemps et exécuté avec amour. C’est escalopé sur les bords et enfoncé avec des vis dans les membres des pauvres plâtres, qui s’en sont écaillés de douleur. Par ce temps de bêtises plates qui court au milieu des stupidités normales qui nous encombrent, il est réjouissant de rencontrer au moins une bêtise échevelée, une stupidité gigantesque ! » (chap. III).

enfant breton cheveux blonds

Il s’attendrit sur la foi naïve des paysannes, sur le cœur des fidèles, sur le sentiment de communauté des Bretons à l’église ; il médite sur la petite chambre de Chateaubriand à Combourg ; il s’émeut aussi sur les enfants qui se baignent nus sous les remparts de Saint-Malo et se contorsionnent pour enfiler leur chemise, sur le petit guide en guenilles agile sur les rocs du Raz, sur la Vénus en granit de Quinipily « à la sensualité à la fois barbare et raffinée » (chap. VII), sur le jeune garçon chanteur de l’église Sainte-Croix à Quimperlé (« il était robuste et beau » chap. VII) ou sur cette petite fille qui vient livrer des fraises et repart en sautillant avec pour paiement un gros pain.

Combourg chateau

Il est remué de sensualité par les femmes, servante à qui il demanderait bien autre chose qu’une assiette, femme fièrement embijoutée qui expose sa brocante, hardie gitane de 14 ans au corps cambré.

Par tout son être, Gustave Flaubert participe à la vitalité universelle. Il boit le paysage, analyse les œuvres humaines, a de l’empathie pour les êtres simples, des élans pour la joyeuse santé du féminin et de l’enfance.

Plus qu’un récit de voyage, c’est déjà une œuvre en germe, intéressante à lire. Nous y trouvons certes le pittoresque des monuments et paysages d’avant l’industrialisation (à comparer avec aujourd’hui), mais aussi l’expression d’une sensibilité cosmique qui ne peut que remuer.

Gustave Flaubert et Maxime Du Camp, Par les champs et par les grèves, 1847, publié 1885, Livre de poche 2012, 288 pages, €6.10
Format Kindle, €5.99
Gustave Flaubert et Maxime Du Camp, Par les champs et par les grèves (texte complet), éditions La part commune 2010, 480 pages, €19.00
Gustave Flaubert, Œuvres complètes tome 2 – 1845-1851, Gallimard Pléiade 2013, 1680 pages, €72.00

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Laëtitia Reynders, Rouge poison

Si d’aventure vous passez vos vacances en Bretagne, n’allez pas vous installer à Vannes dans la librairie salon de thé Esotérica – il pourrait vous arriver une étrange histoire.

C’est ce qui s’est produit pour Leana, femme seule venue s’installer dans la région après quelques déboires sentimentaux. Fan de séries TV américaines et de BD belge, elle n’est nullement étonnée de se trouver face à face avec un meurtrier qui officie sous ses yeux. Certes, elle s’évanouit, mais elle ne ressent nulle peur, elle ne fait pas de cauchemar, elle n’est nullement traumatisée…

Serait-elle soumise à quelque mystérieuse influence ? Le lecteur mâle soupçonne la prestance du garçon, la jeunesse épanouie, la taille élancée, le corps agile et musclé, les yeux très bleus, le teint diaphane. Mais il y a autre chose.

Leana le découvrira progressivement, notamment un soir qu’elle a verrouillé son appartement, fenêtres fermées, et qu’elle se prépare une soirée télé devant un plateau. Ne voilà-t-il pas qu’elle découvre l’assassin assis tout tranquillement sur son canapé ? Pire encore : il lui déclare son amour inconditionnel et ses yeux l’attirent.

S’il a 89 ans, il en paraît 35. Pourquoi ? Parce que c’est un vampire. Quoi de plus naturel pour notre époque qui en a vu d’autres à la télé ? Très à la mode ces temps-ci, ces créatures comblent le désir de mystère comme celui de jeunesse éternelle. Dieu ennuie avec son autoritarisme infantilisant, les créatures du Diable ne sont-elles pas plus séduisantes ? Les alignements de Carnac en observatoires des astres sont moins drôles que ces réunions pseudo-druidiques pour célébrer un sabbat.

Mais pourquoi diantre l’appeler Cohen ? Et son oncle Aaron ? N’y aurait-il que les Juifs qui soient sorciers dans l’inconscient catholique ? L’auteur est née à Liège en 1978 et reste frôlée par ces toiles d’araignée poussiéreuses de la tradition cléricale. Elle confond allègrement, pour les besoins du roman, sabbat avec fête païenne, et mythologie celtique avec mythologie scandinave. Non, Samhain n’est pas un « sabbat » ! Mais la grande réunion des dieux celtiques avec les hommes qui sépare les jours clairs des jours sombres de l’année ; elle a donné notre Toussaint. Jul (écrit Yule parce que les ignares wikipedistes le font – alors que c’est pareil) n’est un « sabbat » que par mépris chrétien et ésotérisme fumeux… Elle est surtout la fête scandinave du solstice d’hiver, très importante dans les pays où la nuit dure six mois; elle a donné notre Noël. Shabbat est le septième jour, temps de repos de la semaine juive, le quatrième des dix commandements donnés par Dieu à Moïse dans le désert – pas le jour où des sorcières rôtissent le balai. Où l’on retrouve l’univers monomaniaque de l’ésotérisme, associé à tout ce qui n’est pas chrétien, en particulier le Talmud et les pratiques juives. Les Vikings historiques étaient très loin de ces élucubrations.

Si l’on considère ces approximations comme un folklore pour l’imagination, alors on peut entrer dans cet univers de sorciers et de vampires et s’en amuser. L’héroïne du roman court comme une folle dans ces divagations qui ont pour elle la force de l’évidence. La télé, Google et Wikipedia n’en parlent-ils pas comme s’il s’agissait d’un genre étudié par la science ? Le métier d’éducatrice pour enfants dans un hôpital psychiatrique a sans doute aidé l’auteur à prendre les délires pour la réalité. Pourquoi pas ?

L’intrigue est bien menée, avec ce zeste de psychologie féminine qui intéresse. Jusqu’au retournement final… qui se retourne sur lui-même, comme l’année en ses saisons. Et comme les séries TV qui préparent la saison suivante ! Ce premier roman construit avec le sens du théâtre, de lecture captivante, sera-t-il suivi d’autres ?

Si d’aventure vous passez vos vacances en Bretagne, allez donc vous installer à Vannes dans la librairie salon de thé Esotérica. Votre feuilleton peut commencer, on ne sait jamais…

Laëtitia Reynders, Rouge poison, juin 2012, éditions Baudelaire – 11 cours Vitton 69452 Lyon cedex, 301 pages, €19.47 

Le site des éditions Baudelaire www.editions-baudelaire.com

J’ai noté à titre anecdotique quelques fautes de relecture :

  • p.155 « le rituel devant l’hôtel » (autel serait mieux venu…)
  • p.161 « typesse » (quel est ce langage incongru ?)
  • p.163 « un ciseau » (à bois ? ou plutôt une paire de… ?)
  • p.172 « une petite ballade pour rejoindre » (une ballade se chante, une balade fait en revanche promener)
  • p.240 « mes pensées l’envoi » (et pourquoi pas l’accord au pluriel : l’envoient ? ce n’est pourtant pas sorcier…)
  • Également ce belgicisme : « les essuies » pour les serviettes, un peu bizarre pour un éditeur lyonnais et un roman qui se passe en Bretagne. Mais là c’est plutôt mignon. Pourquoi pas une note en bas de page ?
  • Il y en a bien pour certains mots courants comme ‘lounge’, ‘nervis’, ‘cloné’, ‘paroxysme’ ou ‘sweat’. Vous n’en portez jamais de sweat ? Il y a même Panoramix p.165, « notre druide » – personne ne connaît plus Astérix ? Ou les Schtroumpf p.174. Le roman ambitionne-t-il d’être traduit en Chinois, où cette culture d’ambiance est inconnue ?
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