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Dominique Paladilhe, Le roi lépreux

Mort à 25 ans de la hideuse maladie de la lèpre, ce roi franc de la Ville sainte a régné quinze ans. C’est en effet à 9 ans qu’il a été oint, après la mort de son père Baudouin III. « Ce qui est exceptionnel et le plus digne d’admiration c’est d’avoir su affronter toutes les calamités qui l’ont accablé avec une constance et une sérénité qui touche au sublime » p.239. L’adolescent éduqué par Guillaume de Tyr, qui écrira chronique des croisades, a mené maintes guerres contre les raids et les attaques des armées de Saladin, bien plus fortes en nombre mais moins fermes au combat que les Francs caparaçonnés de fer et chargeant en rang serré.

Les flèches musulmanes ont fait du dégât dans leurs rangs mais la cavalerie franque, lances en avant, était irrésistible et balayait tout sur son passage. Sauf qu’ils étaient peu nombreux. La démographie est toujours ce qui fait la différence sur le long terme. A court terme, ce sont les divisions, les egos vaniteux, l’orgueil insensé. Le roi en était conscient, ce pourquoi il a toujours tenu à être présent sur les champs de bataille, sa première à 16 ans. Sa volonté ralliait les fidélités ; les chevaliers comme les sergents auraient eu honte de fléchir alors que lui, malade, bientôt incapable de se tenir à cheval, tenait. « Lui, le faible, l’infirme, avait réussi à barrer la route du plus grand, du plus puissant, du plus résolu des ennemis que la Terre Sainte ait jamais connu » p.239. Là est le triomphe de la volonté, que l’époque appelait l’onction de Dieu.

Après lui, la faiblesse, les lâchetés ; la division, les trahisons. Guy de Lusignan, que son intrigante de mère Sybille avait imposé à son fils mourant comme successeur en le mariant à une héritière du royaume, a tout laissé couler. Toute la Terre Sainte sera perdue en quelques années face à un Saladin qui non seulement voulait se venger des Francs qui l’avaient plusieurs fois défait, mais aussi réunir ses territoires de l’Egypte à la Syrie et éradiquer toute présence chrétienne au Proche-Orient au nom d’Allah le dieu jaloux. La fitna des Arabes, la division dans la communauté, a défait les Francs plus que les flèches sarrasines ou les dysenteries ; les « idiots utiles », dans tous les camps (aujourd’hui les islamo-« gauchistes », seront toujours des traîtres que leur naïveté et leurs bonnes intentions n’excuse en rien. Saladin ne s’y trompait pas, qui les faisait décapiter.

Le bel enfant blond Baudouin de 9 ans au corps délié et au zézaiement touchant, comme son père, a consumé sa jeunesse à maintenir l’héritage féodal et chrétien reçu de sa lignée. Il a vécu pour l’honneur, pas pour l’amour ; il reste l’exemple même de l’adolescent plus valeureux que maints adultes. Surtout en son époque, le XIIe siècle sans assistance sociale ni « droits » d’aucune sorte, sauf à se faire sa place et à tenir son rang.

Dominique Paladilhe, décédé en 2015 en sa 94ème année, fut élève de l’École pratique des hautes études avant de devenir historien des croisades et du Grand siècle, en même temps que chroniqueur musical à la radio. En exergue du Roi lépreux, il rend un hommage très appuyé au Grand maître de l’ordre de Malte, successeur des Hospitaliers. Son livre d’historien sur le roi de Jérusalem Baudouin IV se lit avec plaisir, l’érudition étant cantonnée à la préface et à la bibliographie. En complément à Régine Pernoud, Les hommes de la croisade, déjà chroniqué.

Dominique Paladilhe, Le roi lépreux – Baudouin IV de Jérusalem 1160-1185, 1984, Librairie académique Perrin 1984, 283 pages, €28.58

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Régine Pernoud, Les hommes de la croisade

Contre les préjugés sommaires sur le Moyen-Âge, véhiculé par l’école et les romans du XIXe, Régine Pernoud, décédée en 1998 à 88 ans, se sert de son savoir d’archiviste paléographe et de docteur en histoire médiévale à la Sorbonne en 1935. Ne pouvant être prof parce que les femmes étaient peu recrutées à l’époque, elle se lance dans la vulgarisation du savoir, avec succès. « Transmettre dans un langage simple ce que j’avais découvert par des recherches difficiles », dit-elle.

Pour elle, la croisade fut un élan de la foi au XIe siècle avant de dégénérer par les ambitions féodales en rivalités commerciales au XIIIe siècle. Le dernier roi saint fut Louis IX, mystique de chevalerie chrétienne, après lui la déroute. Frédéric II notamment fut un destructeur.

Se mettre en marche vers une autre vie était la motivation première ; elle a commencé avec les humbles qui avaient besoin de voir et de toucher les endroits où le Christ avait vécu. C’est au cri de Dieu le veult ! que les pèlerins s’élançaient vers la terre sainte ; ils prenaient la suite de la Reconquista espagnole contre les infidèles, sectataires de Mahomet. Ce qui a entraîné peu à peu le désir de connaître son ennemi, depuis la traduction en latin du Coran aux conversations avec les savants et érudits musulmans. Car l’infidèle n’est pas le diable ; il est un adversaire honorable qui se bat bien, même s’il parjure parfois sa parole et tue jusqu’aux femmes et enfants quand il ne les réduit pas en esclavage. « Les relations avec les Assassins |les chiites ismaéliens du Vieux de la montagne] forment le chapitre le plus curieux sans doute de l’histoire des croisés, celui qui les montre de façon la plus saisissante ouverts à une mentalité en complet désaccord avec la leur. Mais, en dehors de ces alliés dangereux, les relations qui s’établissent avec l’Islam révèlent, au milieu même des combats, une estime réciproque où l’on discerne l’admiration pour la valeur guerrière, pour la sagesse d’un ennemi que l’on sait apprécier » chap.10.

L’auteur approche les croisades par les mentalités car, selon elle, l’accès aux Lieux saints primait sur tout le reste. Les musulmans récemment convertis par Mahomet pillaient, rançonnaient et massacraient selon leur lecture fruste du Coran les chrétiens se rendant en pèlerinage à Jérusalem depuis au moins l’an 333. Le calife Hakim fit même en 1009 raser les églises et monastères de Palestine pour extirper le mécréant, persécutant chrétiens et juifs. C’est ce qui a entraîné le prêche du pape Urbain II en 1095, relayé par la prédication de Pierre l’Ermite sur son âne, pour déclencher la première croisade. Ce seront 15 à 20 000 hommes dont 1000 à 2000 chevaliers qui s’élanceront en 1096 vers le Levant et mettront trois mois à rejoindre la première étape, Constantinople, à raison de 30 km par jour.

Ils prendront Jérusalem après trois ans, en 1099, malgré l’empereur byzantin Alexis Comnène qui voulait que les villes conquises lui soient remises. Cet empire chrétien d’orient deviendra le principal obstacle aux croisades, jusqu’à ce qu’exaspérés et poussés par les Vénitiens, les croisés ne prennent Constantinople pour y placer les leurs. Le second obstacle sera le pape qui enverra ses délégués, trop souvent arrogants et militairement inaptes, ce qui entraînera des désastres en Egypte. Le troisième obstacle seront les féodaux, partis sans fortune chercher la gloire, et qui se révèleront devant les infidèles : certains brilleront en stratèges, d’autres feront éclater leur incapacité, suscitant la division entre Francs, y compris lorsqu’ils appartiennent aux ordres créés pour défendre le saint Sépulcre (Templiers, Hospitaliers, Teutoniques). Le pouvoir personnel était banni à l’origine au profit du conseil des barons et Godefroi de Bouillon, lorsqu’il devient maître de Jérusalem, a refusé le titre de roi pour celui de défenseur. Mais la démesure ne tarde pas chez les barons, notamment avec ce risque-tout de Renaud de Châtillon à Hattin en 1187 et l’orgueilleux Robert d’Artois à Mansourah en 1250. Elle entraînera la zizanie, donc l’échec sur le long terme.

Les hommes de la croisade étaient parfois des femmes, non comme soldates mais comme compagnes des chevaliers et barons comme des hommes du peuple venus en masse à leur suite. D’autres restaient au pays pour gérer les fiefs, fonction d’importance pour préserver l’héritage aux enfants. Les croisés partis célibataires ou qui n’avaient pas emmenés leur épouse prenaient souvent femme en Palestine car le « racisme » (cette notion moderne) n’existait pas au Moyen-Âge : seule comptait la foi. Si l’épouse devenait chrétienne, l’épouser était licite. C’était la même chose côté musulman : renier sa foi pour embrasser celle du Prophète laissait la vie sauve.

La conquête et l’occupation du pays n’avaient rien de « colonial » (encore une notion moderne) en ce sens qu’elle ne visait pas à exploiter mais à conserver l’accès aux lieux saints et à les entretenir. Le pouvoir féodal instauré par les Occidentaux laissait libre les coutumes et usages, prenant même avec la dîme moins d’impôts que les musulmans. L’infériorité numérique des croisés fut compensée par le réseau de forteresses qu’ils ont bâti en quelques années, dont le fameux krak des chevaliers.

Avec Raymond Lulle, au destin étonnant et qui meurt en 1315, la mystique politique se transforme en mystique évangélisatrice et la mission remplace la croisade.

Les hommes de la croisade sont un livre d’histoire sur l’esprit des hommes, celui qui soulève des montagnes, bien oublié en notre époque matérialiste et frileuse.

Régine Pernoud, Les hommes de la croisade, 1958 revu et augmenté 1982, Texto Tallandier 2013, 352 pages, €10.90

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Grande peur ravivée par le Covid

Le phénomène social de la « Grande peur » agite périodiquement le peuple dans l’histoire. Il suffit d’observer aujourd’hui les attitudes de répulsion des autres quand vous les croisez dans la rue (en-deçà de deux mètres), le foulard intégral remis au goût du jour en dépit de la loi de 2009 sur le voile dans l’espace public (avec Marine Le Pen en femme voilée allant reflorer la Jeanne !). Certains portent en outre lunettes, capuche et gants au cas où vous auriez la peste en sus du Covid. Je suis persuadé que certains mâles ont même enfilé une capote (on ne sait jamais !) : « sortez couverts », ils se souviennent.

Les masques pour tous ont immédiatement (et en France seulement !) provoqué l’ire des « syndicats » d’infirmières et autres « soignants » qui se voient d’un coup dévalorisés dans la rue parce qu’ils ne portent plus leur signe distinctif de Héros : le masque comme un cimier glorieux. Une sorte de marque d’honneur qui leur était jusqu’ici exclusivement réservée et qui les distinguait du vulgum pecus réduit à subir. Mais oui, le masque pour tous, c’est démocratique ! Et très utile à la santé… de tous ! Ces ignares hors de leur domaine, éduqués par Mélenchon en économie, confondent allègrement flux et stocks, commandes qui arrivent enfin et complot d’accapareurs ! Les mythes éculés de la Révolution ont la vie dure. Le gouvernement devrait penser à leur accorder un badge bien reconnaissable marqué « soignant » en lettres d’or de cinq centimètres de haut sur un fond rouge sang pour panser leur vanité blessée. Les sociétés égalitaires ont toujours retrouvé à un moment ou à un autre le sens des « distinctions » : héros de l’Union soviétique, pins à l’effigie du Grand timonier, médailles militaires, badges scouts… Les privilèges, au fond, chacun aime ça.

Quand aux névrosées obsessionnelles (je l’ai vu surtout chez les femmes), elles ne cessent de passer de la lingette alcoolisée sur tout ce qu’elles touchent, du chariot de supermarché à l’emballage des pommes et aux touches de l’appareil à cartes : pourquoi ne portent-elles pas plutôt, comme moi, des gants jetables ? Je songe aux gestes « barrière » des nobles de Pékin, dans la Chine impériale, qui portaient d’immenses chapeaux garnis de tiges pour éviter que quiconque n’ose les approcher de trop près. Le barrage sanitaire devient vite un barrage social, engendrant méfiance, prophylaxie et soupçons. Rien de tel que le mépris pour engendrer une révolte.

La Grande peur de la Bête (Satan lui-même, invention d’église), aurait donné paniques et croisades autour de l’an mille de l’ère chrétienne. Mais il s’agit de l’interprétation millénariste de l’Apocalypse par saint Augustin car Jean de Patmos lançait un message d’espoir selon Jean Delumeau (L’Express 23.09.1999) : le retour du Christ sur la terre pour un règne de justice de mille ans. C’est Michelet qui en fit le mythe de la Grande peur qui nous reste à l’esprit, alors même que les neuf dixièmes de la population médiévale ne savaient pas lire et qu’ils ne connaissaient ni l’année, ni la date du jour, ni celle de leur naissance. « L’an mille » était donc un temps nébuleux, pas un événement précis ou marquant – sauf peut-être chez les clercs, volontiers enfiévrés de continence et confinés à macérer entre eux. L’Apocalypse de Jean n’est d’ailleurs devenue livre canonique chrétien qu’au XIVe siècle…

Le terme de Grande Peur a été donné en priorité aux insurrections paysannes de 1789 par les historiens marxistes qui faisaient commencer la France sociale moderne à ce moment – en oubliant, comme aurait dit Marc Bloch, le sacre de Reims. Tout vient alors des campagnes, comme aujourd’hui les gilets jaunes. Les mauvaises récoltes (les mauvais salaires et prestations) engendrent la pénurie, donc les théories du Complot. Des racailles (appelés jadis « vagabonds ») sont grossies et déformées par l’imagination pop en « armées » de brigands. Il se propage la rumeur (par les réseaux sociaux d’époque) qu’à Paris une « Saint-Barthélemy des patriotes » a lieu : un grand massacre CRS de gilets jaunes, dirait-on sur Twitter. L’alarme se répand et naissent les inévitables dommages collatéraux (pas perdus pour tout le monde, resquilleurs, détrousseurs et Black Blocs de l’époque) : pillages, émeutes, attentats, incendies, viols. Les symboles du pouvoir social, alors châteaux et abbayes, aujourd’hui préfectures, palais de la République, avenues prestigieuses, banques et grands magasins, sont envahis et dévastés.

La Grande peur du « Boche » en 40 (qui a engendré l’Exode) a été suivie (aux Etats-Unis surtout) de la Grande peur de l’apocalypse nucléaire après-guerre, tandis que l’envolée des cours du pétrole à la fin des années 70, suivie de la récession occidentale et son chômage chronique dont les délocalisations mondialisées ne sont qu’un avatar, ont engendré une Grande peur du déclin inexorable de l’Occident. L’immigration arabe, touchant à la bite et au couteau – ces instruments vitaux du viril – a créé chez les Blancs déclassés, divorcés et en manque d’enfants (combien de gosses chez Renaud Camus ?), la Grande peur hantée d’un Grand remplacement. Plus récemment, avec les tempêtes, les ouragans, les incendies, les catastrophes industrielles (dont Tchernobyl et Fukushima), la Grande peur est celle du climat et de « la Terre qui se venge » dans une Apocalypse prédite par les textes bibliques – jusqu’au virus grippal issu des coucheries incestueuses des hommes et des bêtes en Chine qui a fait jusqu’ici autant de morts que la grippe de 1957 sans engendrer alors de Grande peur (on avait d’autres soucis, à commencer par la guerre civile en Algérie, département français qui allait encourager le putsch des généraux). Même le Sida n’était censé toucher que les déviants (« juste » châtiment divin pour avoir bafoué les Commandements du Père fouettard Jéhovah de ne coucher qu’avec l’unique femme sacralisée devant Lui par le curé).

Aujourd’hui est différent : on joue à se faire peur. Le confinement rend con, finement. Ressasser entre soi les mêmes rengaines paranoïaques n’améliore pas le jugement. Au contraire : la raison se perd au profit de la croyance en tout et n’importe quoi. L’imagination, laissée à elle-même la plupart du temps par le chômage partiel (ou intégral pour les fonctionnaires, payés à rester chez eux jusqu’au dernier centime), travaille (elle) : « on » l’avait bien dit, « on » nous cache des choses, « on » aurait fait mieux, oh, là ! là !

Or, si l’empire inca s’est effondré à cause de la variole et l’empire des Yuan au profit des Ming en Chine à cause d’une épidémie, les différentes pestes et choléras en Europe n’ont rien changé au monde du temps. Le commerce avant tout : la santé, c’est bien, mais celle de l’économie, c’est-à-dire de toute la société dans sa survie, c’est mieux. L’être humain est social et a besoin vital d’échanges. Le commerce en est un, celui des marchandises, et la culture un autre, qui se diffuse aujourd’hui par l’industrie (de la presse, du livre, des concerts, des raves, des spectacles, des réseaux), tout comme les lieux de sociabilité que sont les bars, café, restaurants, théâtres et stades – ou le tourisme. La frénésie de purification ne dure qu’un temps. Une fois éradiqués les boucs émissaires dans la panique, la promiscuité entre égaux retrouve ses droits, parfois entre sectes du même gourou : « le monde ne peut que penser comme moi ». Quitte à bâtir une maison de pierre plutôt que de paille, pour résister au loup méchant, comme dans les Trois petits cochons – ce que Trump entreprend, tonitruant, en fermant les frontières.

La peur, selon le sociologue historien Norbert Elias, est le mécanisme qui permet aux structures élémentaires de la société d’être transmises aux psychologies individuelles. Les peurs sont intériorisées pour que chaque personne se trouve en phase avec sa société dans sa culture. Selon les biologistes, les souvenirs des traumatismes se transmettent de génération en génération par l’épigénétique (Brian Dias, université Emory d’Atlanta, in La Recherche, janvier 2015) ! Dès lors, la Révolution de 1789, la Grande guerre de 14-18, la honteuse Défaite de 40 et son Exode rural, les guerres perdues coloniales, les attentats islamistes, sont des marqueurs français plus profonds qu’une épidémie : ils viennent des humains, pas du destin; des élites défaillantes ou de la lâcheté du peuple. Car d’autres pandémies, nous en auront dans le futur.

Mais la vie continue, elle continue toujours, et il faudra reprendre le collier comme avant, même si quelque chose aura changé (peut-être) dans les mentalités. Un recentrage sur les vrais métiers (alimentaire, santé, artisanat, communications numériques ?) au détriment des futilités (foot surévalué et surpayé, « spectacles » sans intérêt, spéculation financière vide ?), retour aux vrais amis et aux proches (bien oubliés jusqu’ici dans le « virtuel » et les EHPAD ?), bifurcation politique (plus de souverainisme, plus d’achat français et local, cesser de jargonner globish, aspiration à plus de participation, de décentralisation, de parler franc ? de « solidarité » réelle peut-être ?), désurbanisation possible (pour les nantis qui peuvent financer deux résidences ou travailler à distance ?), voire retour à la terre, sinon à « la nature » (concept flou) ?

Une Grande peur marque toujours ; mais elle n’a pas forcément de conséquences directes. Juste une cristallisation des tendances sous-jacentes peut-être, une accélération des remises en causes restées jusqu’ici latentes. Le monde de demain ressemblera à celui d’hier, malgré les utopistes ; le capitalisme restera cette technique inégalée d’efficacité économique applicable en tout, malgré ceux qui annoncent sa chute… depuis deux siècles ; la mondialisation se poursuivra, un peu différente sur certaines chaînes de valeurs, mais inexorable malgré les écolos qui chantent déjà victoire ; les particularismes nationalistes et identitaires s’exacerberont en réaction, malgré les incantations à « gauche ». Il est fort probable que les clowns qui gouvernent soient réélus car ils racontent la « belle histoire » que la majorité veut entendre, même si le conte a souvent peu à voir avec la réalité ; il est fort probable que les oppositions, aujourd’hui nulles, restent dans leur nullité et leur opposition, ici ou ailleurs – pour cause de nullité sans remède à échéance connue et d’opposition systématique qui déconsidère leur soi-disant projet.

Mais nous aurons vécu quelque chose, une période inédite dans l’histoire ; nous nous serons recentrés sur nous-mêmes et nos proches, forcés à confiner, ce qui peut inciter à penser par soi-même au lieu de suivre les hordes ou les modes. Qui sait ?

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Le tour de Notre-Dame

La cathédrale Notre-Dame est plus qu’un lieu de culte catholique, elle est un symbole, l’incarnation d’un imaginaire dans l’histoire longue, ce qui fait toute société selon l’anthropologue Maurice Godelier.  Le tweet raciste de l’inculte nomade diversitaire de l’UNEF nommée Hafsa montre que « faire société » n’est pas l’objectif de tous dans notre pays. Or Notre-Dame est le cœur de la France. Pour le comprendre, il faut en faire le tour.

Depuis son parvis sont calculées les distances de tous les lieux du pays. Le point zéro des routes est ici, sur l’île où vogue Notre-Dame comme une nef renversée. Car cette église est un vaisseau échoué, ses deux tours comme un château arrière, sa flèche (aujourd’hui détruite) comme un beaupré haubané d’arches fines, tendant les mâts de sa toiture. Elle vogue à la rencontre du soleil et de Jérusalem, lieu de la naissance du Christ. Ce vaisseau de ligne est la foi qui passe et qui protège.

Elle recèle un trésor : celui ramené par Saint-Louis des croisades, « la » Couronne d’épines qui a martyrisé Jésus, attestée par les récits des pèlerins au 4ème siècle et négociée par le roi Louis en 1239. Chaque premier vendredi du mois et le Vendredi Saint, elle est présentée à la vénération des fidèles. L’accompagnent un clou de la Passion et un fragment du bois de la « vraie » Croix, découverte par Hélène, impératrice devenue Sainte, à Jérusalem en 326. L’authenticité de ces reliques est rien moins que prouvée mais cela n’importe pas aux croyants.

La cathédrale par le quai Saint-Michel surgit au-dessus des éventaires des bouquinistes comme une élévation de la culture, une sorte de temple qui justifie le savoir et la philosophie. Sa façade ouest fait face au soleil de l’après-midi. Elle est carrée, claire, apollinienne. Elle est force sereine, même la nuit. Sa façade est un visage : ses deux yeux sont les tours de 69 m de haut, son nez la rosace de la Vierge, son sourire les trois portails en demi-lune comme des dents. Elle présente sa puissance aux vents venus du large comme aux Vikings et autres ennemis venus par la Seine. Sur son île, elle trône comme la Foi, le Savoir et la Sagesse. Elle est la France éternelle dont l’esprit survit sous d’autres aspects.

Elle a été bâtie en ce beau treizième siècle de réchauffement climatique, d’essor démographique et de formidable optimisme des hommes. Un lieu de culte gaulois, puis romain, existait sur cette partie de l’île – des vestiges datant de Tibère (+14 et +37) ont été découverts. Une basilique mérovingienne les avait remplacés vers le 5ème siècle. Mais c’est le mouvement gothique qui a incité l’évêque Maurice de Sully à lancer ce projet en 1160. La première pierre a été posée en 1163 il y a presque mille ans. La consécration du maître-autel a eu lieu en 1182 et la cathédrale a été déclarée achevée en 1345 – jusqu’aux restaurations du 19ème siècle après les déprédations révolutionnaires.

Louis VII a fait un don en 1180, mais la cathédrale n’a pas été un « chantier royal » ; elle a été financée par les bourgeois de la ville et par le peuple. Comme aujourd’hui où les dons, même défiscalisés à 60 ou 75%, seront les principaux financements du chantier, « l’Etat » n’apportant que peu au pot, hors les impôts qu’il ne prélèvera pas (il est donc faux de dire que la défiscalisation appartient au budget de l’Etat : il ne donne rien, il ne ponctionne pas).

Le vaisseau doit être contourné pour l’examiner sous tous ses angles. Son portail sud, bâti en 1257 au-dessus du petit jardin du presbytère, est lumineux, au centre exact de ses 127,5 m de longueur. Au centre du portail Saint-Etienne trône de part et d’autre des portes la rosace des Vierges sages et des Vierges folles, thème issu de l’évangéliste Matthieu: « Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d’huile avec elles; mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases » (25:3-4). Celles qui sont prêtes dans l’Au-delà entrent dans la salle des noces avec l’Epoux ; les autres sont laissées à la porte. La leçon de morale est que fou est celui ou folle est celle qui méprise la sagesse, qui ne craint pas le Seigneur, qui ne respecte pas sa volonté ni les commandements de Dieu.

Sur le pont de l’Archevêché, des peintres du dimanche composaient jusqu’à l’incendie des Notre-Dame d’amateurs. Ils tentaient ainsi de s’approprier cet élan et cette beauté qui, partout, font vivre.

Côté est, la flèche gracile prévue à l’origine mais installée en bois au 19ème siècle par Viollet-le-Duc a brûlé et s’est effondrée ce lundi soir 2019. Elle pointait comme une aiguille aimantée vers la lointaine Ville sainte qui sert de méridien zéro. Elle pesait quand même 750 tonnes : faut-il la reconstruire en bois à l’identique ? Ou en matériaux contemporains ? Ce qui compte est le symbole, pas la lettre, et « conserver » la restauration 19ème ne me semble pas forcément le meilleur. Ce chevet respire par la verdure du square Jean XXIII, espace dégagé par les travaux du baron Haussmann sous Napoléon III. Un ange de l’ère romantique frissonne au coin de la fontaine.

La façade nord est sombre et froide, coincée par l’étroite rue du Cloître Notre-Dame. Elle est toute hérissée de contreforts qui dardent leurs gargouilles monstrueuses. L’ennemi est bien l’obscurité, le gel, l’obscurantisme. La barbarie vient de ces endroits sombres d’où ressurgissent toutes les terreurs, les non-dits, l’informulé. Le retour vers le parvis est un soulagement. Toute religion, en nos pays tempérés, semble liée d’une façon ou d’une autre au soleil : à sa chaleur qui apaise, à ses facultés germinatives, à sa lumière qui chasse les fantômes.

Il y a la queue à la tour nord. 387 marches à monter et une vue sur tout Paris. Le tout Paris médiéval car depuis, la ville s’est trop étendue pour la saisir d’un regard. Même la tour Eiffel n’y suffit plus. Mais il faut se remettre dans les conditions du 13ème siècle pour mesurer le tranquille orgueil de qui pouvait contempler toute la ville capitale du royaume d’Occident d’un seul coup d’œil. La Foi, le Savoir et la Sagesse dominaient le monde alentour comme l’esprit humain dominait le corps. Ce temps d’optimisme, nous l’avons perdu.

Est-ce pour cela que 11 millions de visiteurs viennent ici chaque année ? Sont-ils en pèlerinage pour implorer cette source de vitalité ? Est-ce pour cela que courent encore ces petits Scouts de France dont la chemise bleu de ciel est un rappel du manteau bleu de la Vierge ?

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