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Xavier Müller, Erectus

Une pandémie due à un virus ! Après Ebola, Nipah, SRAS, fièvre de Lassa, Covid-19, Zika, voilà qui est d’actualité immédiate mais qui nous plonge dans les millions d’années de l’Evolution. Dans le parc Kruger, en Afrique du sud, un éléphant devient malade ; il lui pousse deux autres défenses et il est sur le flanc pendant deux jours, couvert de plaies purulentes. Puis il se remet, mais se trouve transformé : il est devenu un gomphoterium, l’ancêtre préhistorique des éléphants actuels !

L’origine ? Dès les premières analyses, les savants découvrent qu’il s’agit d’un virus recombinant qu’ils appellent le « virus Kruger ». Il coupe l’ADN et le recompose en faisant appel aux gènes endormis mais toujours présents. Ce virus est redoutable car il saute allègrement la barrière des espèces, contaminant les animaux mais aussi les végétaux. Et les humains ? Bien sûr que oui car l’homme est animal, et c’est alors que la panique se lève. Le virus se transmet par le sang, comme le sida. Quiconque est mordu ou touche une surface infectée avec une plaie ou une muqueuse, est contaminé. Il ne meurt pas mais se transforme… il régresse de deux millions d’années !

C’est ainsi qu’Homo Sapiens Sapiens doit cohabiter avec de plus en plus d’Homo Erectus qui sont d’anciens enfants, parents ou collègues. Les deux espèces, bien qu’apparentées, ne communiquent pas car Erectus n’a pas développé le langage. Il est plus que bête mais pas encore humain ; il vit en horde comme les grands singes, et communique par gestes, mimiques et grognements. Il mange ce qu’il trouve, des fruits, de la viande, du cadavre de copain accessoirement. Oui, il est cannibale. Pas agressif, sauf si on l’effraie ou l’attaque. Ce qui ne manque pas d’arriver, dans la panique des « étrangers » qui saisit toute l’espèce humaine.

L’ONU en Assemblée générale vote « à 58% » pour « décider » qu’Homo Erectus n’est pas homme et doit être cantonné en camps fermés ; la minorité visible des homos est considérée comme inférieure et menaçante. Les plus nationalistes et racistes de la planète en profitent pour faire avancer leurs thèses. Si les Chinois se contentent de tirer à vue sur les « bêtes » qui surgissent, les Russes décident de les traquer pour les éradiquer et, dans le reste du monde occidental, des milices civiles pillent les armureries pour organiser leur survie dans la meilleure veine de chasse, pêche et tradition. On les comprend, même si « les droits de l’Homme » en prennent un coup. La France elle-même dérape quand des Erectus s’échappent du zoo de Vincennes où ils étaient parqués pour se répandre dans la ville.

C’est toute la leçon de ce thriller de suggérer les conséquences d’une pandémie : sanitaires, économiques, vite politiques et encore plus vite morales. Survivre balaye tout. L’isolement des zones contaminées, le rejet des atteints, la fermeture des ports et des aéroports, donc la raréfaction des denrées, le stockage, les émeutes et le pillage ; le flicage des familles contaminées, l’ouverture de camps de rétention, l’appel à l’armée et le tir à vue, se succèdent en séquences inévitables. L’humanisme est un luxe de nanti… Et l’on survit mieux campagnard macho qu’urbain intello.

Seuls deux personnages résistent à l’ambiance de lynchage : Anna, une paléontologue française originale qui s’est marginalisée en défendant la thèse non orthodoxe d’une possible « réversion » de l’Evolution – et Kyle, un gamin blond sud-africain de 10 ans. La première perdra son petit ami Yann mordu par un mammifère marin contaminé ; le second son grand-père adoré, vétérinaire du parc Kruger, infecté par un animal. Ils tenteront à leur niveau de montrer que Sapiens et Erectus peuvent cohabiter en paix, et trouver chacun sa place dans la nature.

L’auteur, journaliste docteur ès science, développe son thriller en dix chapitres, des « premiers symptômes » au « refuge » en passant par « contamination », « riposte », antiviraux, « rébellion », « assaut »… C’est écrit sec, direct, le lecteur emballé saute à la ligne. Le récit est prenant, en sous-chapitres courts et haletants dans la meilleure lignée du thriller à l’américaine. Les personnages sont un peu faibles mais le roman de frissons n’a pas le temps d’approfondir ; il ne peut que les peindre par petites touches impressionnistes entre deux scènes d’action. Les boucs émissaires sont faciles car à la mode complotiste : les multinationales, la course au fric, les trafics, le secret militaire, la bureaucratie de l’OMS et de l’ONU.

Mais le tout fonctionne car, après tout, le principal est le développement du scénario catastrophe : une pandémie signifie un bouleversement complet de notre mode de vie, de l’alimentation facile, des relations mondialisées, des liens sociaux, de la bénévolence morale. A méditer pour le virus à bière corona – et pour les pandémies qui vont inévitablement suivre.

Xavier Müller, Erectus, 2018, Pocket thriller 2019, 501 pages, €8.00 e-book Kindle €12.99

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Vie locale du Nil

« Les fumées noires sont toujours des usines de canne à sucre. » C’est ainsi que Dji répond à nos interrogations sur la pollution du ciel à certains endroits.

Nous descendons marcher un moment dans la palmeraie des rives. Passent des fellahs montés sur des bourricots, au sommet de grosses bottes de trèfle d’Alexandrie. Des champs, des plantations, des huttes de roseaux ponctuent le chemin poussiéreux. Pas d’enfants, ils doivent être à l’école, mais des chameaux. Nous revenons en bord de Nil pour rejoindre le bateau et y déjeuner.

chameaux egypte

Nous nous arrêtons devant les balcons du Nil, ces dunes qui montrent le niveau des plus hautes crues. Deux heures de marche entre Nil et canal secondaire nous attendent, sur la rive est cette fois. Des champs et des fellahs, des villages de terre entourés de grands murs, établis en hauteur, loin des plus hautes crues : rien ne change dans le paysage. Quatre ou cinq gamins enlèvent leurs habits – sauf le short – et traversent le canal secondaire, un sac à la main. Il contient, outre les vêtements qu’ils viennent d’ôter, une serpette pour cueillir les « mauvaises herbes ». Dji grommelle vaguement qu’ils vont couper le haschich, mais peut-être ai-je mal compris. Les jeunes garçons sont minces et musclés, beaux à voir ; leur corps est bien dessiné.

facade maison village nilotique

Sur les questions incessantes des femmes du groupe, Dji se lance alors dans une grande série de réponses entrecoupées d’anecdotes. Tout y passe, la condition des femmes, la vie sexuelle, l’existence au village. La conclusion de tout cela est curieusement « politiquement correcte » : les femmes-fellahs sont de maîtresses femmes qui mènent leur barque et souvent leur mari. Les Occidentales sont contentes, c’est ce qu’elles voulaient entendre. En cas de répudiation ou de divorce, c’est à la femme que sont confiés les enfants, les filles jusqu’à 12 ans, les garçons jusqu’à 14 ans. Les problèmes des mariages mixtes avec des étrangères ? C’est là où il y a souvent contresens : l’Égypte est un pays musulman. Lorsque le père est musulman, les enfants sont réputés l’être également. La mère, étrangère, n’est pas musulmane, sauf si elle se convertit (ce qui arrive rarement…). Les enfants ne peuvent être confiés à une non-musulmane et c’est le père qui les garde ! Dji commente, un brin goguenard : « Avis à vous, Mesdames, il faut toujours examiner le droit et l’histoire avant de conclure naïvement une histoire d’amour par un mariage avec une autre culture. »

villageois bord du nil

Mais ce qu’il ne dit pas, Rachid Mimouni le dit crûment : « une femme pour un islamiste, c’est comme un Juif pour un Nazi », une espèce différente, inférieure, soumise. Si les femmes traditionnelles, peu scolarisée et rurales, sont peu concernées par l’intégrisme musulman, les femmes modernes des villes, éduquées et travaillant, réagissent différemment. Certaines choisissent l’islamisme et ses symboles. Le voile permet aussi d’éviter la promiscuité dans les transports, de bien séparer l’espace privé et familial (dévoilé) et public (voilé). Mais, dans une société aussi fermée, ont-elles vraiment le choix ? Je ne souscris pas, en tout cas, à son optimisme sur l’islam. La terreur des religieux et des croyants conservateurs ressentie face à toute expression de la sexualité ne rend pas optimiste. En témoigne « l’affaire du baiser » d’adolescents marocains de 14 ans.

felouquier bord du nil

Claude Lévi-Strauss le disait très bien dans Tristes tropiques, en 1955 déjà : « si un corps de garde pouvait être religieux, l’islam paraîtrait sa religion idéale : stricte observance du règlement (prière cinq fois par jour, chacune exigeant cinquante génuflexions) ; revues de détail et soins de propreté (les ablutions rituelles) ; promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions organiques ; et pas de femmes. » Lui, Dji, s’en accommode fort bien : il préfère vivre avec les garçons. Moi, pas ; j’ai besoin des femmes, de leur conversation, de leur contact. Les anciens Égyptiens avaient un hiéroglyphe imagé pour écrire l’amour : une houe devant un homme qui porte la main à sa bouche. Quand à « faire l’amour », il était dessiné par un phallus et deux pulsations. Rien à voir avec cette ségrégation musulmane d’aujourd’hui !

crepuscule sur le nil

Toujours pas d’avancée à la voile. Nous reprenons le bateau à moteur pour nous échouer un mille plus loin sur une rive déserte, où les felouques de camping attendent déjà pour la nuit. Les felouquiers, qui ont entre 16 et 40 ans, ont allumé un feu de palmes et chantent en s’accompagnant d’un tambourin. Nous allons chanter avec eux, le rythme et la mélodie étant les seules formes de communication entre deux langues trop éloignées pour se comprendre. L’une du groupe déchaîne « Alouette » et d’autres chansons traditionnelles lorsque vient notre tour de chanter. Dans la fraternité des autres, Adj est rayonnant. Ils sont tous plus moustachus que lui, mais il a les épaules plus larges et le teint plus frais. Tous les yeux brillent et les dents blanches sourient jusqu’aux oreilles dans les faces basanées. La joie affleure vite chez nos felouquiers : un feu, du rythme, et c’est parti. Pas besoin d’alcool ni de femme pour se faire plaisir. On se presse les uns contre les autres par camaraderie et on rigole en connivence. Aux lueurs dansantes des flammes qui les éclairent par en-dessous, les hommes révèlent des « gueules » à la Breughel ; ils ont chacun leur caractère et attirent la sympathie.

Au dîner, les dix plats sont apportés simultanément et chacun pioche comme il veut dans la montagne de riz, les poivrons farcis, les crudités « de saison », les beignets d’aubergine, les patates à la tomate, les cuisses de poulet ou le potage aux pois chiches. Une toilette à l’eau chaude, sur un réchaud posé au bord du Nil, nous dépoussière et nous rassérène avant la nuit tombée.

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Égypte d’aujourd’hui

Ce matin le soleil est vif et embrase la campagne. Elle s’ébroue peu à peu de ses voiles nocturnes. Car nous découvrons qu’il fait froid l’hiver durant les heures de nuit ; l’Égypte n’est pas le pays de l’éternel printemps. Nous partons vite pour Edfou en car. Des champs de cannes à sucre s’étendent largement le long du Nil sur la rive ouest. Dji nous parle un peu de l’époque contemporaine durant le lent trajet. L’Égypte s’est émancipée de la tutelle anglaise en 1952 parce que la mode était à la décolonisation et au nationalisme tiers-mondiste – mais aussi (je l’ajoute) parce que l’Inde, devenue indépendante dès 1948, ne nécessitait pas de conserver sous contrôle la route maritime passant par le canal de Suez. Gamal Abdel Nasser a pris le pouvoir et réalisé à cette occasion, en 1952, la « dévolution des terres ». Chaque paysan a reçu 2,5 hectares, limités à 30 hectares pour un même nom afin d’éviter un trop grand pouvoir économique des familles étendues.

gamin sur chameau Egypte

Il existe aujourd’hui des terres privées et des terres d’État ; celles-ci sont gérées en coopératives. Les cultures privées ne sont pas entièrement indépendantes car les paysans doivent cultiver ce qui est décidé par la coopérative pour la moitié de son exploitation. La canne à sucre fait florès autour de Louxor. Elle sert à produire du sucre, des cartonnages, et un aggloméré pour les parois des habitations. Des rails à voie étroite courent parfois sur le sol ; ils servent aux wagons collecteurs de cannes. Celles-ci sont aussi transportées en camions à remorque. Aux ralentissements, des gamins se précipitent d’ailleurs pour tirer une ou deux cannes du chargement, afin de les écorcer et de croquer la tige juteuse et sucrée.

État « socialiste démocratique » pour l’affichage international, l’Égypte est surtout clanique, organisée autour de l’armée – cette élite des mâles qu’affectionnent les pays musulmans (voir le Pakistan, la Libye de Kadhafi et même l’Algérie). Le pays exporte surtout du coton (50% des gains en devises), mais aussi du sucre, du blé, du maïs, du riz, des tomates, des oranges. Il produit du gaz naturel et même du pétrole (14 ans de consommation au rythme actuel). Ce que Dji ne dit pas est que la politique de redistribution des terres aux fellahs est un échec car la démographie a été (et va encore) plus vite que le développement : le rendement des petites propriétés est déficitaire et l’analphabétisme rural monte à 67% ! C’est encore le tourisme qui rapporte le plus, employant 2,5 millions de personnes et rapportant deux fois le montant de l’aide annuelle américaine.

Egypte campagne

Quel contraste entre deux pays de delta, l’Égypte au Proche-Orient et le Vietnam en Asie ! Tous deux sont pauvres, sortis de la colonisation ou de la guerre, majoritairement paysans. Mais l’un s’en sort et l’autre pas ! On peut tristement le constater, aucun pays arabe n’a développé d’économie avancée. Ils ont acheté des compétences et des services à l’extérieur plutôt que de chercher à apprendre et produire par eux-mêmes, poursuivant leur tradition de prédateurs guerriers. Mentalité proche, en plus fruste, de celle de nos aristocrates d’ancien régime. L’Égypte n’a pas connu de solution à son problème de développement, rien que des secours d’urgence et des gestions de crise. Tout est dévolu à l’armée, « orgueil arabe », improductive et autoritaire par définition.

adolescent en galabieh egypte

Riches ou pauvres, tous les pays arabes sans exception ont des régimes despotiques dans les années 2000. Les dirigeants ne sont pas responsables, leurs actes sont imprévisibles, toute l’économie est subordonnée à la politique, celle-ci réduite au clientélisme et aux féodalités. Le développement économique n’est pas une fin en soi, nous sommes bien d’accord, mais demandez aux paysans du Nil s’ils veulent être nourris convenablement et bien vêtus, s’ils veulent envoyer leurs enfants à l’école et comprendre un peu mieux le monde dans lequel ils vivent ? J’ai l’intuition qu’ils vous répondront oui. Je ne connais personne qui veuille rester dans la crasse ou l’ignorance, même l’écologiste ou le tiers-mondiste le plus convaincu. L’absence de développement des pays arabes est un problème culturel. Pourtant, la démocratie, je l’ai montré, n’est pas incompatible avec l’islam.

Egypte Medinet Habou

On peut en incriminer la religion : le Dieu de l’Islam est sans désir ni amour ; il dépasse l’intelligence et la raison ; il n’aime pas ses créatures qui lui sont indifférentes. Sa puissance est insensible, « islam » veut dire « résignation ». Mais, après tout, le catholicisme n’est pas plus ouvert… La différence est que les sociétés arabes ne génèrent pas de main d’œuvre informée ni capable ; elles rejettent les idées et les techniques nouvelles par préjugé antioccidental (les chrétiens sont honnis) ; la révérence pour le Coran – Livre saint qui a tout dit – empêche toute réflexion personnelle et tout apport extérieur (les chrétiens ont vécu cela jusqu’à Galilée) ; même le savoir que certains acquièrent à l’étranger n’est pas respecté, on lui préfère le clanisme et le bakchich – terme qui vient d’ailleurs de l’arabe. Les entrepreneurs locaux n’appartiennent pas par hasard aux minorités copte, juive ou grecque dans l’histoire de l’Égypte. Même le coton, richesse actuelle du pays, a été introduit par le français Jumel en 1822.

gamins Egypte

Le principal obstacle au développement est peut-être le machisme ambiant. Les femmes sont tenues à l’écart, comme une espèce « inférieure ». Cette attitude prive le pays de main d’œuvre de talent, elle sape le désir de réussite des garçons (traités comme des « pachas »), elle délaisse toute tentative de réflexion ou de débat au profit, très vite, de la violence, expression du physique quand manquent les mots mais aussi quintessence hormonale de l’identité mâle et modèle culturel du guerrier. Le problème est qu’on ne conquiert pas la programmation informatique par le sabre, ni les processus complexes pour fabriquer un avion par la querelle. Sans ouverture culturelle à l’autre, les pays arabes resteront dans leur ghetto. Peut-être est-ce ainsi qu’il faut interpréter l’espoir qu’a fait naître le printemps arabe, malgré ses airs d’automne déjà venu.

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