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Steven Saylor, Le triomphe de César

Gordianus le limier a 64 ans et fatigue. Tout comme l’auteur qui ne sait plus guère ficeler des intrigues. Ce roman policier historique qui se passe à Rome au temps de Jules César se traine. Les personnages sont convenus, déjà rencontrés dans les précédents romans, notamment la tribu recomposée Gordianus faite d’esclaves mâles tous jolis, progressivement affranchis et adoptés : Meto, Eco, Davus, Rupa, Mopsius et Androclès… Seule innovation accentuée : l’intervention de la fille biologique de Gordianus, Diana, dans ses enquêtes. Son intuition féminine et sa vivacité de jeunesse font beaucoup pour activer les petites cellules grises usées du vieux limier.

César est venu, a vu, a vaincu. Mais la traduction biaisée de cet aphorisme célèbre par Hélène Prouteau, tirée chez elle par paresse de l’américain et non pas du latin, montre son inculture classique, sans parler des « on » semés un peu partout ! Pire encore : les « runes ». Page 135, la traductrice (on n’ose croire que ce soit l’auteur) évoque des « runes » sur les baguettes « gauloises » au triomphe de César. Quel anachronisme ! Les runes ne sont attestées pour la première fois qu’au Danemark (donc pas en Gaule) et seulement en 150 après JC (et pas en 46 avant). Tacite (en +98 seulement) évoque seulement des « signes » (mais toujours germains). Les Gaulois ne connaissaient pas les « runes », même si le terme est devenu très à la mode avec les séries barbares produites à la chaîne par les stations consuméristes américaines.

En 46 avant JC donc, César revient d’Egypte où il a installé Cléopâtre, la descendante grecque des Ptolémée, sur le trône – tout en refusant pour le moment de reconnaître le fils qu’il aurait eu avec elle, Césarion. La mère et l’enfant sont à Rome pour les quatre triomphes successifs de celui qui est désormais, sur décision du sénat, dictateur. Vercingétorix doit y être étranglé après six ans et Arsinoé, la sœur de Cléopâtre également, tout comme le bébé du roi Juba. Les événements et la guerre civile ont en effet empêché de fêter comme il se doit la conquête de la Gaule, la victoire sur Pompée, Pharnace et Juba. César se consacre désormais à Rome, après ses 50 batailles rangées et son million et demi de morts.

Sa cruauté fait tache dans le peuple et ce n’est pas du goût de tout le monde. Il a nombre d’ennemis. Sa quatrième femme, Calpurnia, veut croire en la menace et engage pour cela divers devins qui vont tous dans son sens. Sauf qu’ils sont assassinés les uns après les autres… Auraient-il découvert l’âme du complot contre César ?

Gordianus le limier est réputé depuis des décennies pour coucher avec la vérité et la renifler lorsqu’elle est proche. Calpurnia veut qu’il ouvre ses yeux et ses oreilles, qu’il furette dans tous les coins, pour déceler les comploteurs. Le meurtre de Hiéronymus en est le prétexte. C’est un ancien bouc émissaire massaliote et ami de Gordianus qu’il a sauvé d’une mauvaise posture alors qu’il recherchait dans cette ville encerclée par les armées de César son fils Meto.

Le grec érudit a laissé un journal de ses investigations ici ou là plus quelques notes politiques de ce qu’il communiquait à l’épouse de César. Gordianus part de ces écrits mal écrits, avant que sa fille ne s’en mêle pour y mettre de l’ordre. Une énigme est placée en évidence, mais l’évidence est ce qui se voit le moins, tout lecteur de roman policier le sait depuis la lettre volée d’Edgar Poe. Chacun des chapitres va donc examiner un coupable possible, successivement, sans avancer de beaucoup. L’action est réduite au minimum, même si Gordianus échappe de peu au poignard dans les chiottes du forum, exactement comme plusieurs années auparavant. Il n’a semble-t-il rien appris depuis.

L’essentiel du texte est consacré à la description minutieusement reconstituée des différentes cérémonies du triomphe de César à Rome, selon la pléiade d’historiens qui les ont évoquées, cités en fin de volume. Car l’essentiel de l’attrait de ce roman consiste en la vie romaine d’époque, bien rendue, même si les coucheries de César avec des garçons prennent une place démesurée au regard de leur faible probabilité. Le dernier en serait Octave, éphèbe d’encore 16 ans et qui sera l’héritier. L’auteur avoue en fin de volume qu’il a « traversé bon nombre de triomphes et d’épreuves » depuis son dernier livre et sa vie personnelle pourrait expliquer ce tropisme érotomane.

Steven Saylor, Le triomphe de César (The Triumph of Caesar), 2008, 10-18 2016, 311 pages, €7.80 e-book Kindle €9.99

Les romans policiers historiques de Steven Saylor déjà chroniqués sur ce blog

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Michel Leiris, Frêle bruit – La règle du jeu 4

michel leiris frele bruit

La vieillesse est un naufrage… Michel Leiris, 75 ans, reprend 10 ans après la suite de sa tentative de se connaître par le langage. Fibrille avait vu l’écroulement de cette utopie, couplée à celle du maoïsme, chacun retombant dans ses ornières humaines, trop humaines. Frêle bruit ne peut s’empêcher de prendre la suite.

Son projet envolé, Leiris ne publie plus que des fragments, expérimentation maniaque et volontiers obsessionnelle de dire et encore dire, de vouloir expliquer et encore expliquer, sans jamais aller au but. 146 séquences a-chronologiques purgent les fiches inutilisées jusqu’ici. Cette forme brève est issue des restes, mais aussi de la peur de ne jamais finir ce work in progress qu’est l’existence quand on veut la raconter. Elle se veut justifiée en même temps par l’exigence de rapidité de la révolution, sur l’exemple qu’offre Cuba, autre « idéal » avant qu’il ne s’aligne sur l’URSS exploiteuse en 1968, lors de l’invasion « populaire » de la Tchécoslovaquie…

Trop tourmenté de désobéir aux Commandements du catéchisme d’enfance, Michel, « à cause de quoi, suivi par l’idée du péché même si je crois m’être délié, je ne suis presque jamais parvenu à ce triomphe sur quelque front que ce soit, amour, action pure, littérature » p.930 Pléiade. Il est perclus d’angoisses, de velléités jamais réalisées faute d’oser sortir de lui-même, de grandes idées généreuses surtout pas mises en œuvres au détriment de son petit confort. Le type même du bourgeois révolutionnaire (cet oxymore !), du parisien né dans le 16ème et habitant depuis la guerre dans le 6ème, suivant la mode intello par facilité – « de gauche » donc puisque ça se fait – mais vivant en VIP, fonctionnaire nanti. « Rien que d’assez banal, malgré la mixture poésie, ethnographie et souci du progrès social », avoue-t-il p.918.

Phrases interminables, confuses, alambiquées, faute de savoir clairement que dire ; attention aux petits détails infimes mais noyés dans les parenthèses, incises, subordonnées, retours en arrière, scrupules ; peur d’avouer, de décrire, de dire le monde tel qu’il est. Suicidaire au fond, depuis sa jeunesse, jamais en accord avec lui-même, regrettant d’être né, d’être de son milieu, d’avoir eu un père vulgaire, de s’être branlé à deux entre garçons, d’avoir fantasmé sur les cocottes durant la Grande guerre, de… « Une bonne action en tout cas pouvait s’inscrire sur son bilan : la non action qui consiste à ne pas avoir d’enfants. Abstention dont à ces moments-là il osait être fier (…) de se flatter de n’avoir pas collaboré » p.972. C’est assez minable comme justification, assez triste aussi, comme si donner la vie était péché, « participer » au monde une erreur.

Le grand naufrage de notre civilisation se voit ici dans l’âme d’un être trop sensible à la culpabilité d’avoir rendu esclave, colonisé, exploité, appauvri le grand nombre, suscité deux guerres mondiales – comme si l’avers de la médaille n’était pas digne aussi d’être cité : libération des Lumières, exploration des mondes et des planètes, progrès de la médecine, de la santé et de l’agriculture, confort industriel, élévation globale du niveau de vie et de l’espérance de vie depuis deux siècles… Le monde ici-bas n’est pas le monde platonicien de l’Idéal (cette conviction chrétienne et marxiste inculquée à la génération Leiris), mais le monde en demi-teinte où bien et mal sont mêlés (après Nietzsche, Marx et Freud). « Autre tache possible : souhaiter que la Révolution progresse et s’étende, alors que pratiquement on ne fait rien ou à peu près rien pour hâter, chez soi, son déclenchement. (…) Inutile d’argumenter, je suis marqué par cette tache, signe entre autres du grave hiatus ouvert en moi entre façon de se représenter le monde et façon de s’y comporter » p.892. Péché toujours, contre l’Utopie, l’Idéal, les Idées pures. Péché imaginaire de ne pas être parfait alors que l’on n’est pas dieu ; péché de la conscience coupable, ce poison chrétien repris par le communisme pour déstabiliser les puissants, les dominants – et prendre leur place. Péché que Nietzsche a dénoncé et décortiqué, libérant enfin la philosophie pour penser autrement – mais que Leiris n’a jamais compris (voir ce qu’il en dit maladroitement p.829, partant de biais vers le sexe et « la Nietzschéenne », roman vulgaire dont la couverture pute l’avait fait fantasmer).

michel leiris photo nb

Nous avons droits aux rêves, à des listes, des poèmes, aux segments de voyages, aux comptes-rendus d’opéras, aux évocations de sexe, aux problèmes de chiens, à la description de l’hôtel Idéal, de son appartement croulant sous les livres pas lus ou de son bureau au sous-sol du musée de l’Homme. Michel Leiris parle de lui en disant « je » puis « il », sans raison. Cela pourrait être ciselé, intéressant, mais se trouve englué dans la glose, le remord, les repentirs de vocabulaire. Quelques perles surnagent, comme ces Allemands brûlés vifs quai des Grands Augustins en 1945, sous ses fenêtres, ou la description de sa journée à la campagne avec le chien, le jour de la mort de Picasso p.929. J’avoue avoir pris le mode lecture rapide sur nombre de morceaux tant m’ennuie ce genre de diarrhée verbale à prétention littéraire. Certes, Leiris n’est pas un poseur, mais il réussit à « faire chiant », comme le préconisait Édouard Balladur à ses hauts-fonctionnaires, lorsqu’il voulait faire passer un texte sans que personne ne le lise jusqu’au bout.

Leiris en est conscient, il l’avoue, et faute avouée est à moitié pardonnée. Il étale son être coincé, malheureux, déprimé : il est lui et cela le rachète. Il a au moins un riche vocabulaire français, ce qui devient rare de nos jours. « … Mais – coquetterie, pharisaïsme ? – j’étale une rigueur sourcilleuse quant à un juste emploi des temps du verbe, j’érige en cas de conscience d’infimes problèmes d’expression, jouant au pur qui ne veut se souiller d’aucune inexactitude je passe des heures à les résoudre et je m’abstiens d’aborder la vraie question. Comme s’il était une fin en soi, dont je ne pourrais me déprendre, je dépense jour sur jour à étoffer et fignoler ce récit déjà trop ornementé, le fourbissant, le redressant, le truffant de considérations qui souvent brouillent l’horizon plus qu’elles ne l’élargissent ! » p.919.

Bien content d’en avoir fini avec cette personnalité qui me déplaît, et avec ce pavé qui s’enfonce dans le sirupeux ennui des phrases sans cause ni verbe.

Michel Leiris, Frêle bruit – La règle du jeu 4, 1976, Gallimard l’Imaginaire 1992, 406 pages, €10.50
Michel Leiris, La règle du jeu, 1948-1976, Gallimard Pléiade, édition Denis Hollier 2003, 1755 pages, €80.50

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Michel Onfray, Les sagesses antiques

michel onfray les sagesses antiques contre histoire 1
Égal à lui-même Michel Onfray, qui avait 9 ans en 1968, est de cette génération (la mienne) dont le nombre et l’énergie a bouleversé le vieux monde bien plus que les guerres stupides et revanchardes des vieux. Car, à l’origine de ces guerres et de leurs défaites successives était la pensée unique impérieuse, hiérarchique, machiste, venue de la Bible et de Platon, reprise avec avidité par les scolastiques chrétiens et les jacobins marxistes contre le paganisme et son hédonisme du bien vivre.

Michel Onfray est de sa génération, pour le meilleur et pour le pire.

  • Le meilleur est sa clarté de langage, à peine teintée du jargon obligatoire de la profession ; il est supérieur encore à l’oral, on peut le réécouter en CD durant des heures.
  • Le meilleur est sa curiosité pour les oubliés, les mineurs, les cachés sous le tapis par la doxa régnante.
  • Le meilleur est sa quête des fragments et des généalogies. Ce pourquoi il plaît tant à sa génération qui se presse à l’Université populaire de Caen et achète par milliers son abondante production livresque.

Mais comme nul n’est parfait en ce monde-ci, et que le monde idéal des idées pures n’est qu’une invention du ressentiment, Michel Onfray a aussi ses défauts – ceux de sa génération : il est parfois léger, souvent caricatural, adorateur des polémiques. Rien de tel pour faire passer une idée que de ridiculiser ses adversaires. Ce que fit Platon, puis les Chrétiens puritains pour les auteurs qui ne répondaient pas à leurs croyances, Onfray le fait avec les officiels : tous ceux qui ont pignon sur rue sont à déboulonner (Platon, Hegel, Freud, Sartre…). Mais l’assaut des Bastilles ne suffit pas en soi pour rétablir le vrai, le naturel, le bon.

Tout n’est pas à jeter chez Platon, ni dans le christianisme ou le marxisme, malgré tout. De même, tout n’est pas bon à prendre chez Démocrite, Aristippe, Diogène, Épicure ou Lucrèce, auteurs présentés entre autres dans cet opus 1 de la Contre-histoire. Il y a de l’excès soixantuitard chez ce philosophe sorti du peuple, élevé chez les curés, et qui a réussi une thèse dans le système universitaire sans jamais s’y sentir chez lui.

Il n’est pas encore Enfant, Michel Onfray, cet enfant de Nietzsche qui est « innocence et oubli, un nouveau commencement et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un ‘oui’ sacré (…) pour le jeu de la création ». Il a quitté la condition de chameau qui ploie sous l’obéissance, Onfray, pour acquérir celle du lion qui se révolte et rugit, se rend « libre pour des créations nouvelles », mais « créer des valeurs nouvelles – le lion ne le peut pas encore » (Ainsi parlait Zarathoustra – Des trois métamorphoses). Il reste dans l’assaut et la rébellion, Michel, adolescent soixantuitattardé, et cette Contre-histoire le manifeste pleinement. Ainsi sur Platon : « En interdisant aux hédonistes de défendre leur thèse, en leur prêtant une inconsistance théorique a priori, en les caricaturant, en les enfermant dans des pièges rhétoriques fabriqués sur mesure, en ne reconnaissant pas la grandeur, l’excellence et la qualité philosophique de ses interlocuteurs, en les réduisant à des personnages ridicules, en usant de sophistiqueries mises au point pour des combats falsifiés et gagnés d’avance, Platon montre un visage bien différent de ce que la tradition rapporte » p.161.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Avec la conscience de ses limites, découvrons ces auteurs oubliés, dissimulés par la philosophie dominante imposée par la religion dominante sur les siècles, dont le relai a été pris après Hegel par l’archipel marxisant ou heideggerien.

Le propos de Michel Onfray est d’opposer (facilité pédagogique un peu lourde) les tenants de l’au-delà à ceux d’ici-bas, ceux qui préfèrent le monde pur de l’âme et des idées abstraites et mathématiques à ceux qui préfèrent la pensée incarnée, incorporée, matérielle. Les premiers sont puritains par dégoût de leur existence et des gens qui les entourent, volontiers impérieux et aristocratiques, méprisant les jouisseurs et les humbles, dominateur tout entier tournés vers la pureté de l’ailleurs. Les seconds sont tout entier au présent, dans leur corps matériel, hédonistes sans êtres jouisseurs, amoureux sans être pourceaux, bien dans leur être et bien avec les autres, en harmonie avec le monde et philosophant sur le bien-vivre.

Ainsi Démocrite : « Il s’agit donc de ne pas désirer n’importe quoi ni n’importe comment et de ne pas viser n’importe quel type de plaisir. Ceux qui aliènent, momentanément ou durablement, sont à éviter. Pas d’intempérance, pas d’excès, pas de démesure, pas d’abandon aux pulsions animales, le plaisir ne se réduit pas à la trivialité d’une animalité débridée, mais à la sculpture de soi et à la construction de son autonomie. Seule et authentique jubilation : prendre plaisir à soi-même » p.72. Nous sommes loin du « tout, tout de suite » et de la baise frénétique en réponse à tout désir des aînés 1968. Tout n’est pas permis et il n’est pas interdit d’interdire. Les délires de l’orgie ou des drogues, comme ceux de la finance, sont autant exclus de cette sagesse tempérée – car son objectif est le bonheur.

Avec un message utilitaire pour aujourd’hui : « Se changer plutôt que changer l’ordre du monde, l’idée deviendra formule sous la plume de Descartes : elle triomphe dans le projet épicurien. Quand le monde s’effondre, lorsque la culture ancienne disparaît, aux heures du crépuscule, les aurores s’annoncent : l’épicurisme s’épanouit dans une époque en ruine. La construction de soi comme seule et unique réponse à la désintégration d’un monde… » p.186. Michel Onfray se verrait bien aujourd’hui comme Épicure au déclin de l’empire romain : en guide hédoniste du chacun pour soi parmi les autres.

A moins que Lucrèce ne l’emporte, lui qui a mis au jour « une idée redoutable, simple et vraie : la religion, le religieux, naissent de l’inculture et du manque de savoir. Le croyant se satisfait de la foi car il ignore. Le sacrifice aux divinités, aux mythes, aux illusions, procède d’un défaut d’informations sur la véritable cause de ce qui advient (…) Quand le clergé domine, l’intelligence régresse » p.283. La génération 68 a méprisé le savoir, honni le travail, refusé d’apprendre – la conséquence aujourd’hui est le retour des religions et des croyances, l’âge venu, quand ceux qui avaient 20 ans en 68 en ont aujourd’hui 66 – le chiffre de la Bête – ayant peur de tout, des autres et du monde, et de la mort au bout. Ils quêtent névrotiquement protection, assistance, érigent en principe la précaution appliquée à toute chose. Quitte à renier la liberté et son individualisme pour se jeter dans les bras armés des imams et des curés, des fonctionnaires – et des politiciens qui prônent un État fort.

Intéressant Michel Onfray : facile à aborder, à écouter et à lire ; plus profond qu’il ne s’affiche, un rien secret. Et qui fait réfléchir sur notre époque du Tout et du N’importe quoi.

Michel Onfray, Les sagesses antiques – Contre-histoire de la philosophie t.1, 2006, Livre de poche 2007, 351 pages, €7.10
Michel Onfray, La contre-histoire de la philosophie, coffret 12 CD, Fremeaux et associés, €79.99, volume 1 L’archipel préchrétien

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Jared Diamond, Effondrement

jared diamond effondrement

J’aime ces livres à la Fernand Braudel où l’archéologie et l’écologie sont mises au service de l’anthropologie. Le message de l’auteur, biologiste de l’évolution qui enseigne la géographie humaine à l’université de Los Angeles (UCLA), est que le succès ou l’effondrement des sociétés dans l’histoire est du à de multiples facteurs – dont l’environnement, mais pas seulement. « Je ne connais aucun cas dans lequel l’effondrement d’une société ne serait attribuable qu’aux seuls dommages écologiques : d’autres facteurs entrent toujours en jeu », écrit-il en Prologue p.27. Nous sommes bien loin du catastrophisme idéologique des petits intellos de la France militante ; nous sommes dans la science qui se fait, l’observation des choses et l’analyse du passé comme du présent.

Sa grille d’analyse comprend cinq facteurs principaux :

  1. Les dégradations infligées par une société à son propre environnement
  2. Les changements climatiques
  3. Les conflits avec d’autres sociétés
  4. Les relations commerciales amicales avec d’autres sociétés
  5. Les attitudes culturelles face aux changements

Bien entendu, les relations de l’homme et de son milieu sont importantes. Diamond en énumère 8 traditionnelles : déforestation, érosion et salinisation, gestion de l’eau, chasse et pêche excessives, introduction d’espèces allogènes, croissance démographique, impact humain par habitant. Plus 4 actuelles : changement climatique dus à l’homme, émissions toxiques, pénurie d’énergie, utilisation humaine maximale de la capacité de photosynthèse terrestre. Mais il montre admirablement comment certaines sociétés savent s’adapter aux changements et rectifier leurs erreurs, tandis que d’autres échouent : les mêmes Vikings ont réussi en Islande et échoué au Groenland ; sur la même île de Saint-Domingue, la partie haïtienne échoue lamentablement tandis que la partie dominicaine s’en sort plutôt bien ; le Japon des Tokugawa a réussi à gérer la forêt et empêcher déboisement et érosion, tandis que les habitants de l’île de Pâques ont déboisé et échoué.

Leçons pour le présent : « La disparition des Anasazis et celle d’autres peuples du sud-ouest des États-Unis illustre à la perfection la notion que nous avons développée d’interaction entre impact humain sur l’environnement et changement climatique ; elle souligne comment les problèmes écologiques et démographiques aboutissent à la guerre, exemples des forces mais aussi des dangers qui naissent au sein de civilisations complexes, dès lors qu’elles ne sont pas autosuffisantes et dépendant d’importations et d’exportations, et elle permet, enfin, de comprendre comment des civilisations s’effondrent rapidement après avoir atteint un apogée démographique et de pouvoir » p.215. Le Japon, l’Australie, les États-Unis sont dans ce cas de dépendance aujourd’hui ; la Chine en prend le chemin. A eux de prendre du recul pour adapter leur mode de vie à ce qui est possible, et à sélectionner leurs valeurs pour qu’elles soient efficaces en termes de survie.

L’autre exemple des Mayas est là pour rappeler l’importance des décisions prises par les chefs et les élites dans la survie d’une société. « Leur attention était à l’évidence focalisée sur leur intérêt à court terme : s’enrichir, mener des guerres, ériger des monuments, rivaliser les uns avec les autres et tirer assez de nourriture des paysans pour soutenir ces activités » p.278. Toute allusion à l’époque de l’écriture du livre, sous présidence George W. Bush, serait évidemment fortuite. Mais le lecteur français 2014 peut aussi penser à la présidence Hollande : sauf les monuments, presque tout y est (la « nourriture » d’hier étant aujourd’hui les impôts)…

Ces comportements irrationnels à courte vue sont dus bien souvent à des conflits de valeurs. Les Vikings du Groenland, chrétiens imbus de leur civilisation européenne, n’ont pas même pensé imiter les Inuits qui réussissaient sur le même territoire : cela aurait été déchoir, s’ensauvager. D’où ces dépenses somptuaires pour bâtir de grandes églises de pierres plutôt de que construire des umiaqs pour chasser le phoque. Importer à grands frais des ciboires, du vin et des vitraux plutôt que du bois d’œuvre. Une obstination à manger du bœuf plutôt que des poissons et du mouton. « La persistance dans l’erreur, le raidissement, le refus de tirer les conclusions qui s’imposent à partir de signes négatifs, l’immobilisme, la stagnation mentale » (p.668) sont des comportements mentaux conservateurs, réactionnaires, malheureusement trop fréquents dans l’humanité sûre d’elle-même. L’auteur évoque ces badernes françaises de juin 1940, vaincus en six semaines par des chars et des avions dont ils n’avaient même pas idée d’emploi, tandis que les Allemands avaient eux réfléchi…. les technocrates militaires français étaient tellement sûrs de refaire la même guerre qu’en 14-18, bien à l’abri derrière la ligne Maginot (p.655) !

On peut ajouter « l’effet de ruine » que cite l’auteur, cette répugnance à abandonner une politique, souvent par conviction « religieuse » : l’exemple du parti socialiste français est de ce type. L’Action française avant-hier et l’ultralibéralisme hier s’étaient aussi figés en dogmes quasi religieux, mais l’utopie laïque du socialisme et de son avenir radieux n’en reste pas moins une religion de moins en moins en phase avec les changements de l’époque. C’est le courage de François Hollande (s’il aligne ses actes à ses paroles) de renverser enfin la table pour adapter l’idéologie à ce que le pays à besoin, avec ce qu’il produit ici et maintenant, sans se payer de grands mots.

Mais tout ne vient pas d’en haut. La connaissance se répand et devient globale. A la base, les fermiers, les citoyens et même les entreprises savent s’adapter. L’exemple de l’entreprise américaine Chevron en Nouvelle-Guinée, analysée longuement par l’auteur, montre que l’exploitation du pétrole et du gaz peut être rendue la plus propre possible, avec le moindre impact sur l’environnement naturel et humain des lieux. Nous sommes loin du gauchisme des anciens soixantuitards reconvertis dans l’affairisme politique écolo qui forment le parti vert en notre pays !

Écrit de façon didactique bien qu’un peu bavard (la traduction lourdingue n’arrange rien, notamment les chiffres écrits interminablement en toutes lettres), le lecteur comprendra facilement comment on peu dater un site au radiocarbone, par dendrochonologie, par carottage ou par les isotopes. Une suite de monographies historiques complètent les auteurs traditionnels : vous apprendrez ainsi beaucoup sur les Vikings, les Mayas, l’île de Pâques et ses statues absurdes renversées, le Rwanda dont la guerre civile serait largement due à l’explosion démographique avec toutes ses conséquences sur la répartition des terres et du pouvoir, sur les Australiens qui s’obstinent à vivre comme les Anglais alors que leur terre ne peut pas soutenir ce mode de vie – et même sur le Montana, état pionnier sauvage illustré par un Brad Pitt au meilleur de sa jeunesse.

Jared Diamond, Effondrement (Collapse – How societies chose to fail or succeed), 2005, Folio 2012, 875 pages, €12.64

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Risques sur l’avenir

Pour Alain Ternier

Rien n’est solide, même si certains politiciens français se montrent porteurs de vérité révélée, au-dessus de tous et d’une suffisance agaçante. Prévoir l’avenir n’est pas aisé, mais aucune catastrophe annoncée n’est en vue.

En France, la croissance est faible

Il n’y a aucune raison que revienne une croissance forte. Nous avons une machinerie économico-politique trop lourde, des habitudes acquises trop ancrées, une absence quasi complète de flexibilité, des tabous ingérables. Puisque François Hollande et son gouvernement ont insulté stupidement « les riches », les fortunes vont en Suisse, en Belgique et même en Russie, ceux qui sont à l’aise sans être vraiment riches travaillent moins (professions libérales, chômeurs intermittents lassés de devoir payer cotisations sociales et CSG au même taux que s’ils travaillaient à plein temps), les jeunes qui pourraient devenir riches partent créer des entreprises ailleurs dans le monde, même les grandes entreprises commencent à petit bruit à « décentraliser » leur trésorerie, leur trading ou leur gestion.

L’organisation de Bercy fait que les impôts rentrent, illusion que tout va bien ; la perte des forces vives ne se voit qu’avec le temps, surtout lorsque les beaux parleurs se montrent incapables de rationaliser l’administration. Savez-vous qu’il existe encore deux « louvetiers » en Bretagne ? Fonctionnaires dont on se demande ce qu’ils font, vu que le dernier loup a été tué il y a un siècle…

tortue gaston lagaffe

Une implosion générale du système européen ?

Je n’y crois pas, toutes les crises Europe ou euro ont été gérées, avec retard et piaillements, mais cela s’est fait. Rançon de la démocratie, le débat à 27 et plus prend du temps et exige des compromis. Les différences entre pays ne sont pas plus grandes, elles ont toujours été là ; elles étaient seulement masquées par le désir d’entrer dans l’Europe. Malgré les tiraillements démagogiques, nul n’a intérêt à sortir de l’Union dans un monde globalisé ; ce sont des concessions au populisme ambiant de politiciens sans idées, ou une illusion d’ex-grand empire. Le Royaume-Uni par exemple croit pouvoir se sauver tout seul (mais peut-être sans l’Écosse et même le Pays de galles, désormais autonomes) ou avec un « allié privilégié » – les États-Unis – qui s’en moque, plus tourné vers l’Asie immense et émergente que vers une Europe vieillissante et en déclin.

La Grande inflation mondiale ?

Dans le monde, on assiste à une déflation des actifs plus qu’à une hausse générale des prix. Même les dettes d’États ne valent parfois plus leur nominal. Les actifs réels dégonflent quand la demande pour recycler les injections continues de liquidités de la part des banques centrales n’est plus là. D’ailleurs la bourse baisse, comme l’immobilier, depuis que Ben Bernanke a annoncé la fin de la partie. Ces injections ne préparaient pas la Grande inflation, elles permettaient tout juste d’éteindre les « dettes » dues aux spéculations des subprimes et autres constructions toxiques, et au système financier de ne pas s’être grippé dans des faillites en chaîne comme cela a failli être le cas fin 2008.

Mais l’économie réelle ne connait pas de dérapage car existe une « armée de réserve » de travailleurs pauvres dans un monde globalisé en Chine, en Inde, au Brésil, au Nigeria et même chez nous, prêts à s’investir pour améliorer leur condition (ce pourquoi les petits boulots en Allemagne ont eu autant de succès contre le chômage). Il existe une certaine inflation des actifs par des bulles sectorielles dues aux modes ou aux raretés, mais pas d’inflation générale due à une offre de biens inférieure à la demande. Qu’un immeuble au centre de Paris ne vaille plus que 7 millions d’euros plutôt que 10 millions, ce n’est pas cela qui va changer l’économie. Il n’y a pas perte réelle pour celui qui l’habite : il y a une moindre de valorisation de ses actifs (et moins d’ISF qui rentre dans les caisses de l’État), mais l’immeuble comme actif réel subsiste sans changement.

L’inflation se produit fondamentalement lorsque la demande dépasse l’offre possible. Or, de moins en moins de gens se trouvent prêts à augmenter la demande globale dans les pays développés : ils sont coincés par la stagnation des salaires, le chômage, les pensions réduites, les coûts obligatoires qui augmentent (assurances, énergie, impôts), la démagogie gouvernementale et la crainte de l’avenir. Quant aux pays émergents, ils ne font que satisfaire les besoins de consommation de leur propre population, livrant le surplus des biens courants à bas prix aux pays développés. Les bulles artificielles d’aujourd’hui sont transitoires et à mon avis pas inquiétantes.

Sur les matières premières et les denrées alimentaires, il y a sans conteste à long terme des  ajustements à faire, mais ils sont prévisibles et annoncés à grands sons de trompes apocalyptiques par les écologistes. Or une « apocalypse » ne peut survenir si tout le monde s’y prépare… Donc le long terme réglera les questions à mesure qu’elles se posent. Selon le rapport du Club de Rome en 1972, il y a des années que nous devrions être à sec de pétrole et en guerre ouverte pour d’autres matières vitales – et, chacun le constate, il n’en est rien… A court terme existent des tensions dans la répartition, mais elles sont conjoncturelles et se résorbent avec le système d’échanges mondiaux qui fonctionne plutôt bien (on l’a vu avec l’éthanol – invention écolo – qui a fait déraper à la hausse certains produits alimentaires – on est revenu dessus).

Et puis l’on trouve de nouveaux gisements (qui exploitait les gaz de schiste, pourtant connus il y a dix ans ?), on récupère, on adapte son alimentation. Les habitudes des générations changent dans le temps : les pays développés mangent moins de viande, plus de fruits et légumes produits localement, des poissons que l’on en élève en plus grand nombre (que l’on se souvienne du saumon, produit de luxe des années Mitterrand, fort démocratisé depuis). Même si le budget alimentation doit augmenter, il reste faible dans le budget global des ménages. C’est plutôt le budget énergie qui pèse, mais il s’agit d’une politique délibérée de l’État, pour motifs idéologiques : forcer écologiquement à consommer moins. Alors que c’est tout le monopole centralisé d’EDF qu’il faudrait remettre en cause…

Des guerres demeurent possibles

Surtout en Asie, avec la Chine pour protagoniste : moins une agressivité chinoise (qui préfère le développement économique) qu’une réaction nationaliste à des provocations sur des îles de la mer de Chine, dont les zones économiques exclusives sont remplies de matières premières à exploiter. Un dérapage de dirigeant maniaque, comme le « marxiste populaire » de la Corée du nord, reste toujours une possibilité. Il est certain qu’un « hiver nucléaire » en Asie du sud-est serait dommageable aussi bien aux populations qu’aux échanges mondiaux.

Mais on ne voit guère de risque majeur ailleurs. Les pays arabes contiennent leur agressivité en guerres civiles à motifs tribaux et religieux (même si la guerre en Syrie est susceptible de durer des années) car Israël est au cœur du Moyen-Orient et tous savent que les États-Unis interviendraient si les Juifs sont menacés. Et Assad comme l’Iran qui le soutient se sont déconsidérés gravement en usant d’armes chimiques contre des populations civiles.

Soyons donc modestes sur les prévisions

Chacun essaye d’être volontariste, mais il ne s’aperçoit qu’après coup s’il a agi dans le bon ou le mauvais sens (par exemple en Libye, qui a entraîné le Mali, qui a entraîné les enlèvements au Niger). Les tendances longues sont peu visibles mais ce sont elles qui commandent les transformations du siècle : la démographie, le changement climatique, les découvertes scientifiques, les progrès médicaux, la mondialisation des communications…

Reste ce qui ne peut être prévu : c’est là que l’incertitude demeure – mais le fait même de vivre est une aventure de tous les instants.

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La gauche morale se raccroche aux branches

Avec la « transparence », la gauche au gouvernement tente de faire oublier les frasques Cahuzac, mais aussi Strauss-Kahn, Andrieux, Lamblin, Kucheida, Guérini et bien d’autres. Le problème n’est pas que les humains soient faillibles, ils n’y a que les naïfs pour croire que c’est toujours de la faute d’une enfance malheureuse ou du système social. Le problème est que ces faillis ont été choisis par le parti ou par le président. Leur « faute » morale rejaillit donc sur les socialistes, qui ne savent pas choisir les « bons », et sur le président, qui ne contrôle rien et ne sanctionne pas les manquements.

La posture morale de la gauche  a donc explosé en vol.

Celle-ci tente de se raccrocher aux branches de diverses manières :

  • Plus vertueux que moi, tu meurs ; c’est la posture de la gauche extrême, jamais en retard d’une inquisition pour « purifier » l’humanité des méchants : voyez Maduro au Venezuela, successeur du Chavez adulé par Mélenchon, il accuse l’opposition de meurtres politiques et de complot contre l’État – alors qu’il n’est pas clair sur les procédures de vote.
  • Regardez à droite, ils ont aussi des affaires ; c’est la posture des militants déçus du gouvernement, les « cocus du socialisme » comme disait Fillon de façon prémonitoire. Raviver Sarkozy dans les « affaires » permet de dévier la rancœur vers le bouc émissaire habituel.
  • On va faire une loi ; c’est la posture du gouvernement pris en flagrant délire… à faire du Sarkozy : une émotion médiatique ? vite une loi ! Mais qui va appliquer la loi ? Qui va contrôler les contrôleurs ? Là, pas plus de moyens que sous Sarkozy mais un empilement de plus dans le millefeuille : on crée une Haute autorité… composée de fonctionnaires choisis. Ceux qui existent déjà font-ils si mal le travail pour lequel ils ont été embauchés par concours ?

Il faudrait peu de lois, mais bien écrites ; peu de règles, mais bien contrôlées ; peu de fonctionnaires, mais aux tâches précises avec des moyens adéquats. Est-ce si difficile de réformer le système étatique français ?

Le « pépère » avec sa petite « boite à outils », est-il à la hauteur des enjeux ?

Je trouve indélicat de traiter le président de « pépère » comme c’est la mode actuelle dans la presse. Mais pourquoi ce chef d’État évoque-t-il alors sa « boite à outils » ? Cette expression misérable pour traiter le chômage et l’économie ne peut que lui revenir à la figure. Le citoyen attend un architecte qui repense la tuyauterie en simplifiant et rendant le système plus efficace, réalisant plus d’économies à la copropriété que les honoraires qu’il lui coûte – pas un plombier qui se contente de bricoler les fuites avec des bouts de tuyaux, tout en envoyant sa facture (salée) !

Le problème de la gauche est la démagogie. A force de se vouloir « petit », comme tout le monde, banal, l’homme de gauche en vient à apparaître « minable » – superbe expression ayrautïque qui dit tout comme un acte manqué. Les profs qui revendiquent par exemple d’être respectés comme des cadres de la société, se laissent mettre en scène par la Casden – « banque de l’éducation, de la recherche et de la culture », pas moins ! – en étudiants attardés, mal fagotés et pas rasés ! Le respect se mérite, qu’on soit prof ou président.

prof casden

Mais il y a pire.

L’affaire « morale » Cahuzac (l’affaire matérielle suit son cours) remet en question « la » définition de la gauche française elle-même, cette prétention à être au-dessus de la société pour délivrer les injonctions au nom du Bien. Cela vient de loin, de Platon au moins, sinon de Moïse au Sinaï. Dans La République, Platon explique qu’« engendrer la justice, c’est établir entre les parties de l’âme une hiérarchie qui les subordonne les unes aux autres conformément à la nature ». Ce qui fait que le meilleur gouvernement est celui de la vertu : « quand l’un des gouvernants a autorité sur les autres, on appelle le gouvernement monarchie, et si l’autorité est partagée entre plusieurs, aristocratie » (livre IV). Platon, par la voix de Socrate, montre ici qu’il n’est pas démocrate. « Telle est la forme d’État et de gouvernement que j’appelle bonne et vraie », ajoute-t-il aussitôt en première phrase du livre V. Lui-même a conseillé le tyran de Syracuse.

La gauche d’aujourd’hui n’est pas plus « démocrate » puisqu’elle gouverne au nom du peuple, mais pas avec lui. Le gouvernement socialiste n’a rien d’une Commune, seule expression politique de la gauche vraiment démocratique. Une fois élus, les socialistes font ce qu’ils veulent, ayant promis n’importe quoi au nom de « la science du Bien » – définition de la politique selon Platon. Les technocrates de gauche, professionnels de la politique, savent mieux que vous ce qu’il vous faut, comme s’ils étaient philosophes (Platon), scientifiques (Marx) ou mandatés de Dieu (inquisiteurs). Ils ne vous demandent pas votre avis ; seulement un blanc-seing par le bulletin de vote.

La traduction sociale-démocrate de la gauche, fondée à la base sur les travailleurs réunis en syndicats, a été vite écrasée par les idéologues abstraits fin XIXe en France (contrairement aux États voisins : Allemagne, Angleterre, Scandinavie). Les lois se veulent un discours rationnel que la cité adresse aux citoyens pour les éduquer dans la vertu. D’où l’importance à gauche de légiférer sur tout et n’importe quoi. Les gouvernants doivent être « sages », les gardiens « courageux » et les producteurs « tempérants ». La loi doit les y forcer pour que cette éducation les rendent vertueux : ne voilà-t-il pas, résumé par Platon, toute la philosophie socialiste ?

Mais quand les gouvernants n’ont pas la sagesse ?

Leur despotisme éclairé flirte alors selon Platon  avec cette pente naturelle à la démocratie : la tyrannie. La tyrannie est le régime qui abolit les lois parce qu’il est fondé non sur la tempérance de l’âme (la sagesse), mais sur le désir (anarchique). La gauche devrait être et avoir été contre la tyrannie. Or il n’en fut rien ou presque rien dans son histoire !

  • Qu’on se souvienne de Robespierre l’Incorruptible et de son ami Saint-Just le Vertueux – jamais le « rasoir républicain » n’a purgé aussi vite les « ennemis du peuple » selon la ligne d’un  seul.
  • Qu’on se souvienne de Lénine et de sa traduction politique de Marx en « lois scientifiques » pour faire advenir l’Homme nouveau par la contrainte sociale – jamais les grandes purges n’ont été si vertueuses que sous Staline, continuateur de Lénine.
  • La transparence du gouvernement actuel est-elle autre chose qu’un fantasme de pureté du même genre ?

Les philosophes persuadés de connaître la loi divine ou naturelle, d’avoir atteint la sagesse ou de connaître la science des sociétés, sont devenus des tyrans. Loin d’avoir l’âme tempérante, ils l’ont rigide ; loin d’être des sages, ils sont des inquisiteurs. Leur désir est d’imposer leur loi, pas de la discuter. Ils sont persuadés de détenir la science infuse : « peut-on débattre du soleil qui se lève ? » avait coutume de dire Staline.

Platon disait que la tyrannie était la pente naturelle de la démocratie. « N’est-il pas vrai, dis-je, que, dans les premiers jours et au début, il n’a que sourires et saluts pour tous ceux qu’il rencontre, qu’il se défend d’être un tyran ; qu’il multiplie les promesses en particulier et en public, qu’il remet des dettes et partage des terres au peuple et à ses favoris et affecte la bienveillance et la douceur envers tout le monde ? – Il le faut, dit-il. – Mais quand il en a fini avec ses ennemis du dehors, en s’arrangeant avec les uns, en ruinant les autres, et qu’il est tranquille de ce côté, tout d’abord il ne cesse de susciter des guerres, pour que le peuple ait besoin d’un chef. – C’est logique. – Et aussi pour que les citoyens appauvris par les impôts soient forcés de s’appliquer à leurs besoins journaliers et conspirent moins contre lui » (livre VIII). Promesses, redistributions populaires, chasse aux riches, guerre au Mali et guerre aux anti-gays & lesbiens, hausse d’impôts… ce qu’accomplit Hollande, Platon l’avait prévu !

Nous ne voulons pas dire par là que le président Hollande soit un tyran, les conditions ne sont pas entièrement réunies, mais que le système dans lequel il gouverne en suit la pente. Le président n’apparaît pas comme celui de tous les Français, au-dessus des partis. Il cumule les mandats en président-directeur général secrétaire du parti socialiste, plus jacobin que décentralisateur, plus étatiste que libéral, plus autoritaire que libertaire. La vertu a failli ? Encore plus de vertu ! La « transparence » vise alors à faire peur : montrez ce sein que vous ne sauriez voir ; à poil les ministres, bientôt les députés, puis les maires des villes de plus de 50 000 habitants, enfin les citoyens. S’ils ont quelque chose à cacher, c’est qu’ils ne sont pas assez vertueux, donc soupçonnables. Il n’y a aucune limite au soupçon.

La vertu est la tyrannie suprême – surtout quand elle est définie par ceux qui gouvernent…

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François Huguenin, L’Action française

Article repris sur le site Action française.

Retour vers le futur ? Cette école de pensée fondée en 1898 après l’affaire Dreyfus pour faire pendant à la Ligue des droits de l’homme, a eu une vaste influence intellectuelle jusqu’aux années 1970, mais n’a jamais pu aboutir politiquement. Les raisons en sont multiples, dues aux saignées successives des guerres et aux partages binaires qu’il fallait alors opérer. L’intelligence a péri dans les tranchées, avant d’éclater entre collabos, pronazis et résistants. C’est que la droite n’est pas simple… Les idées Action française reviennent-elles ?

François Huguenin a étudié avec minutie l’embrouillamini de personnalités, de courants, d’idées, réunis autour de la figure emblématique de Charles Maurras. Il évacue avec discernement le double problème de l’antisémitisme et du maréchalisme, qui sont dérives personnelles dues à la peur de la division et de la guerre civile franco-française, doublées d’une personnalité maurassienne physiquement sourde et intellectuellement persuadée d’avoir raison.

L’Action française n’était pas en soi raciste, ni en faveur d’un pouvoir militaire. Elle voulait la monarchie comme type idéal de société « organique » tirée de « la nature », où règne l’ordre hiérarchique et les communautés d’appartenance. Le monarque n’était pas pour elle « l’État c’est moi » mais, à l’anglaise, l’incarnation de la personnalité nationale. Ce à quoi on pourrait objecter que Jeanne d’Arc a joué aussi ce rôle sous la Troisième république. Si l’auteur se pose en effet la question de la Tradition en régime républicain, il n’explique que très partiellement pourquoi les maurassiens ont exclu tout régime autre que monarchique. La pensée d’un Tocqueville apparaît nettement plus vivante et plus pratique que celle d’un Maurras…

Charles Maurras, obsédé de sensualité à l’adolescence, a rigidifié sa raison pour se dompter. Il était sourd et félibrige, aimant le localisme de son Sud. Est-ce que ceci explique cela ? L’auteur passe très vite, peu à l’aise avec les synthèses et préférant le factuel. Les racines maurassiennes sont Joseph de Maistre et Auguste Comte, l’apologie de l’Ancien régime contre la révolution et le scientisme de la Raison. Anti-cosmopolite, anticapitaliste, antilibérale, l’Action française est souverainiste : autorité en haut, libertés en bas.

L’individu n’existe pas, ce concept abstrait ne réalise la personne que dans la famille, unité communautaire de base auxquelles se superposent d’autres communautés « organiques » englobantes comme le village, la province, les associations, le métier, la corporation, la nation. L’Action française est donc résolument anti-jacobine et anti-égalité (« révolte de l’égoïsme et de l’envie »). Pour elle, il faut faire la société bonne pour que l’homme soit bon : une resucée de la Cité de Dieu sous l’égide de la bonne vieille religion (François Huguenin poursuit sa quête sur le sujet dans un autre livre, Résister au libéralisme).

Outre une Ligue, fondée en 1898, l’Action française crée en 1906 un Institut d’enseignement supérieur privé, une maison d’édition, un quotidien en 1908, un mouvement de jeunesse la même année, les Camelots du roi, plusieurs revues intellectuelles et ainsi de suite. Manque à la somme de Huguenin une chronologie pour éclairer ce foisonnement. De grands écrivains ont été influencés par l’Action française : Paul Bourget, Maurice Barrès, Léon Daudet, Jacques Bainville, Patrice de La Tour du Pin, Georges Bernanos, Jacques Maritain, Thierry Maulnier, Robert Brasillach, Maurice Bardèche, Lucien Rebatet, Claude Roy, Kléber Haedens, Georges Blond… Sans parler de ceux qui gravitent autour comme Gide, Montherlant, Malraux et Mauriac.

Charles Maurras sera élu à l’Académie française en 1938 (avant d’en être exclu en 1945… comme si l’on pouvait exclure de l’immortalité un « Immortel » – à moins que ce ne soit que du vent ?). Le Pape a condamné « les traces de renaissance du paganisme » (gréco-latin) de Maurras en 1926 et a mis ses œuvres à l’Index : il fera moins la fine gueule devant le paganisme germanique des nazis dans les années 1930…

Mais le fascisme n’attirera que quelques personnalités proches d’Action française : l’État totalitaire était à l’opposé de la subsidiarité (comme on dit à Bruxelles) entre la nation et les communautés. Henri Massis fustigera même le « bolchevisme raciste » des nazis. Traditionnaliste, l’Action française est catholique de culture, la foi étant affaire personnelle et l’Église étant exclue de l’organisation politique depuis le Moyen-âge. La Providence comme la Nation ou l’État sont des mythes barbares, totalitaires, bien loin des conceptions « de nature » sur le modèle patriarcal. L’Action française politique serait plus proche de Franco que de Mussolini, encore moins d’Hitler ! Maurras et Pujo furent maréchalistes pour faire hiberner la nation française dans la guerre (mais Maurras a approuvé les prises d’otages français et la politique antijuive !) ; Robert Brasillach, Georges Valois et Lucien Rebatet se font nazis par rancœur contre les égoïsmes et divisions de la démocratie libérale parlementaire de leur temps ; d’Estienne d’Orves, d’Astier de la Vigerie, de Bénouville, Renouvin et le colonel Rémy seront résistants pour faire vivre la nation en ses profondeurs, comme disait De Gaulle. Il n’y a donc pas de voie unique pour la pensée Action française, comme la gauche stalinienne a toujours voulu le faire croire.

L’héritage ? L’Action française ne fait plus parler d’elle, aujourd’hui que le catholicisme est revivaliste à l’américaine et que les grandes idéologies ont sombrées avec l’URSS, la maolâtrie, le Cambodge « démocratique » des Pot et la sénilité crispée des Castro. Les années 1950 ont vu la naissance d’une « jeune droite » littéraire appelée les Hussards avec Roger Nimier, André Blondin, Michel Déon et Jacques Perret. Gabriel Marcel, Michel de Saint-Pierre et Bertrand de Jouvenel ont renouvelé les idées ; l’auteur cite aussi Gabriel Matzneff. Pierre Boutang a essayé de faire revivre une politique. On pourrait aussi – l’auteur n’en parle pas… – mentionner Pierre Joubert, Serge Dalens, Jean-Louis Foncine (tous scouts de la collection Signes de piste), Hergé (François Huguenin a un petit air de Tintin) et Jacques Martin, père d’Alix, et probablement Philippe Murray et Renaud Camus. Maurras meurt en 1952, mais c’est la Nouvelle droite d’un côté et les Nouveaux philosophes de l’autre qui reprendront certaines thèses : libertés contre totalitarisme, État organique européen, nations enracinées mais ouvertes, sociabilité de l’ordre naturel. Sans parler de la Vème République, dont l’organisation doit beaucoup aux idées de Maurras…

Et aujourd’hui ? On peut trouver des rapprochements chez les cathos intégristes – mais ce n’est pas l’Action française historique. Certaines proximités se font chez François Bayrou, beaucoup moins au Front national, mais beaucoup chez les écologistes : critique de la société de consommation, du capitalisme financier, du paraître narcissique au détriment de l’être, de la croissance quantitative plus que qualitative, de la centralisation jacobine d’État ; refus des banlieues tristes au profit des terroirs enracinés ; loisir communautaire plutôt que travail en miettes ; l’Europe, mais si elle est protectrice de la diversité, en subsidiarité. Ce pourquoi il reste intéressant de se replonger dans ce mouvement de droite oublié : il court toujours sous la glace, et d’autant plus que la gauche n’a plus grand-chose à dire.

Le lecteur regrettera les coquilles innombrables du volume, issues probablement d’un logiciel de reconnaissance de caractères non relu : dans le même paragraphe Muillain pour Guillain, Aus pour plus, A la main pour les Romains, Mont-fort où le tiret a été laissé en milieu de phrase… C’est dommage pour un travail qui se veut érudit.

Si les détails sont largement exposés, manque à cette étude de vigoureuses pages de synthèse qui sortent du jargon Science Po ou de la philosophie allemande… Dire par exemple que l’Action française est « l’être de l’étant » est une cuistrerie qui n’explique rien. Développer en quoi la nature et la tradition fondent un conservatisme révolutionnaire qui n’est ni réactionnaire ni progressiste serait beaucoup plus utile. François Huguenin fait dans la dentelle (et les historiens universitaires adorent cela), mais son pointillisme névrotique manque l’essentiel : en quoi l’Action française nous intéresse-t-elle ? Pourquoi a-t-elle tant séduit, jusqu’à De Gaulle et Mitterrand (et peut-être – ce n’est pas dit – Bayrou) ? A trop se perdre dans les sous-sectes littéraires et les scrupules d’obéissance catholique, où est le mouvement ?

Malgré ces défauts, la somme ici éditée en poche a une profondeur historique qui manque trop souvent aux histoires des idées politiques. Un siècle complet, c’est rare. Comprendre la droite, c’est aussi comprendre ce que fut la France intellectuelle et ce qui reste dans la politique aujourd’hui de l’Action française.

François Huguenin, L’Action française – une histoire intellectuelle, 1998, édition revue et complétée août 2011, Perrin Tempus, 686 pages, €11.40

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