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Vitorchiano

Le minibus nous conduit au petit bourg fortifié en bord de vallées encaissées. Un moai pascuan est curieusement sculpté sur le parking. Il s’agit d’un véritable monument de l’île de Pâques offert par ses habitants pour les avoir aidés à restaurer leurs propres statues. Il s’agit de la même pierre volcanique là-bas comme ici. Sur le parking du moai qui domine la ville, un petit vieux en débardeur tourne inlassablement, psychotique. Il nous salue et nous fait un sourire mais n’en continue pas moins ses tours de parking obsédants.

Nous allons prendre une bière à l’entrée du bourg, à l’ombre, une sicilienne salée Messina à 5 % d’alcool. Des ragazzi palabrent en VTT ou se lancent vaguement un ballon au pied devant la porte avant de se disperser. Ils sont presque tous habillés en noir, couleur qui semble être à la pointe de la mode en ce moment en Italie – peut-être un uniforme d’une équipe de foot. J’écoute le joli italien chantant d’une petite fille blonde qui parle à sa maman.

Nous effectuons un tour rapide du bourg médiéval car tout est fermé après 17 heures, même les églises. Il n’y a de remarquable qu’une fontaine « a fuso » du XIIIe siècle avec le symbole de chacun des quatre évangélistes.

Nous retournons à l’hôtel de Viterbe et nous dînons au même restaurant. Le menu est quasi identique à celui d’hier, un seul plat change parmi les pâtes et parmi les secundi piati. Je prends des tagliatelles aux champignons et crème de truffe, ils sont très bons, fins et goûteux. Vu nos efforts, contrairement à hier le plat de pâtes ce soir est le bienvenu. Suit pour moi une grillade mixte de porc avec travers, tranche de lard et saucisse, de la roquette en accompagnement. Nous buvons de l’eau frizzante et le vin rouge de la maison. Aux mêmes tables se trouvent les mêmes habitués du moment, que des hommes. Ils doivent travailler sur des chantiers alentour. Certains sont Napolitains, d’autres plutôt Albanais. Toute conversation est difficile dans le brouhaha ambiant car nous sommes à l’intérieur. Le sujet porte sur des films, évidemment ; les filles de province adorent.

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Jared Diamond, Effondrement

jared diamond effondrement

J’aime ces livres à la Fernand Braudel où l’archéologie et l’écologie sont mises au service de l’anthropologie. Le message de l’auteur, biologiste de l’évolution qui enseigne la géographie humaine à l’université de Los Angeles (UCLA), est que le succès ou l’effondrement des sociétés dans l’histoire est du à de multiples facteurs – dont l’environnement, mais pas seulement. « Je ne connais aucun cas dans lequel l’effondrement d’une société ne serait attribuable qu’aux seuls dommages écologiques : d’autres facteurs entrent toujours en jeu », écrit-il en Prologue p.27. Nous sommes bien loin du catastrophisme idéologique des petits intellos de la France militante ; nous sommes dans la science qui se fait, l’observation des choses et l’analyse du passé comme du présent.

Sa grille d’analyse comprend cinq facteurs principaux :

  1. Les dégradations infligées par une société à son propre environnement
  2. Les changements climatiques
  3. Les conflits avec d’autres sociétés
  4. Les relations commerciales amicales avec d’autres sociétés
  5. Les attitudes culturelles face aux changements

Bien entendu, les relations de l’homme et de son milieu sont importantes. Diamond en énumère 8 traditionnelles : déforestation, érosion et salinisation, gestion de l’eau, chasse et pêche excessives, introduction d’espèces allogènes, croissance démographique, impact humain par habitant. Plus 4 actuelles : changement climatique dus à l’homme, émissions toxiques, pénurie d’énergie, utilisation humaine maximale de la capacité de photosynthèse terrestre. Mais il montre admirablement comment certaines sociétés savent s’adapter aux changements et rectifier leurs erreurs, tandis que d’autres échouent : les mêmes Vikings ont réussi en Islande et échoué au Groenland ; sur la même île de Saint-Domingue, la partie haïtienne échoue lamentablement tandis que la partie dominicaine s’en sort plutôt bien ; le Japon des Tokugawa a réussi à gérer la forêt et empêcher déboisement et érosion, tandis que les habitants de l’île de Pâques ont déboisé et échoué.

Leçons pour le présent : « La disparition des Anasazis et celle d’autres peuples du sud-ouest des États-Unis illustre à la perfection la notion que nous avons développée d’interaction entre impact humain sur l’environnement et changement climatique ; elle souligne comment les problèmes écologiques et démographiques aboutissent à la guerre, exemples des forces mais aussi des dangers qui naissent au sein de civilisations complexes, dès lors qu’elles ne sont pas autosuffisantes et dépendant d’importations et d’exportations, et elle permet, enfin, de comprendre comment des civilisations s’effondrent rapidement après avoir atteint un apogée démographique et de pouvoir » p.215. Le Japon, l’Australie, les États-Unis sont dans ce cas de dépendance aujourd’hui ; la Chine en prend le chemin. A eux de prendre du recul pour adapter leur mode de vie à ce qui est possible, et à sélectionner leurs valeurs pour qu’elles soient efficaces en termes de survie.

L’autre exemple des Mayas est là pour rappeler l’importance des décisions prises par les chefs et les élites dans la survie d’une société. « Leur attention était à l’évidence focalisée sur leur intérêt à court terme : s’enrichir, mener des guerres, ériger des monuments, rivaliser les uns avec les autres et tirer assez de nourriture des paysans pour soutenir ces activités » p.278. Toute allusion à l’époque de l’écriture du livre, sous présidence George W. Bush, serait évidemment fortuite. Mais le lecteur français 2014 peut aussi penser à la présidence Hollande : sauf les monuments, presque tout y est (la « nourriture » d’hier étant aujourd’hui les impôts)…

Ces comportements irrationnels à courte vue sont dus bien souvent à des conflits de valeurs. Les Vikings du Groenland, chrétiens imbus de leur civilisation européenne, n’ont pas même pensé imiter les Inuits qui réussissaient sur le même territoire : cela aurait été déchoir, s’ensauvager. D’où ces dépenses somptuaires pour bâtir de grandes églises de pierres plutôt de que construire des umiaqs pour chasser le phoque. Importer à grands frais des ciboires, du vin et des vitraux plutôt que du bois d’œuvre. Une obstination à manger du bœuf plutôt que des poissons et du mouton. « La persistance dans l’erreur, le raidissement, le refus de tirer les conclusions qui s’imposent à partir de signes négatifs, l’immobilisme, la stagnation mentale » (p.668) sont des comportements mentaux conservateurs, réactionnaires, malheureusement trop fréquents dans l’humanité sûre d’elle-même. L’auteur évoque ces badernes françaises de juin 1940, vaincus en six semaines par des chars et des avions dont ils n’avaient même pas idée d’emploi, tandis que les Allemands avaient eux réfléchi…. les technocrates militaires français étaient tellement sûrs de refaire la même guerre qu’en 14-18, bien à l’abri derrière la ligne Maginot (p.655) !

On peut ajouter « l’effet de ruine » que cite l’auteur, cette répugnance à abandonner une politique, souvent par conviction « religieuse » : l’exemple du parti socialiste français est de ce type. L’Action française avant-hier et l’ultralibéralisme hier s’étaient aussi figés en dogmes quasi religieux, mais l’utopie laïque du socialisme et de son avenir radieux n’en reste pas moins une religion de moins en moins en phase avec les changements de l’époque. C’est le courage de François Hollande (s’il aligne ses actes à ses paroles) de renverser enfin la table pour adapter l’idéologie à ce que le pays à besoin, avec ce qu’il produit ici et maintenant, sans se payer de grands mots.

Mais tout ne vient pas d’en haut. La connaissance se répand et devient globale. A la base, les fermiers, les citoyens et même les entreprises savent s’adapter. L’exemple de l’entreprise américaine Chevron en Nouvelle-Guinée, analysée longuement par l’auteur, montre que l’exploitation du pétrole et du gaz peut être rendue la plus propre possible, avec le moindre impact sur l’environnement naturel et humain des lieux. Nous sommes loin du gauchisme des anciens soixantuitards reconvertis dans l’affairisme politique écolo qui forment le parti vert en notre pays !

Écrit de façon didactique bien qu’un peu bavard (la traduction lourdingue n’arrange rien, notamment les chiffres écrits interminablement en toutes lettres), le lecteur comprendra facilement comment on peu dater un site au radiocarbone, par dendrochonologie, par carottage ou par les isotopes. Une suite de monographies historiques complètent les auteurs traditionnels : vous apprendrez ainsi beaucoup sur les Vikings, les Mayas, l’île de Pâques et ses statues absurdes renversées, le Rwanda dont la guerre civile serait largement due à l’explosion démographique avec toutes ses conséquences sur la répartition des terres et du pouvoir, sur les Australiens qui s’obstinent à vivre comme les Anglais alors que leur terre ne peut pas soutenir ce mode de vie – et même sur le Montana, état pionnier sauvage illustré par un Brad Pitt au meilleur de sa jeunesse.

Jared Diamond, Effondrement (Collapse – How societies chose to fail or succeed), 2005, Folio 2012, 875 pages, €12.64

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Sacré et massacré à Tahiti

A Rapa Nui ou île de Pâques, on se pose toujours la question de savoir comment les grandes statues de l’île ont pu être déplacées. Tout a été invoqué, même les extra-terrestres ! Des scientifiques ont réussi à faire avancer de 100 m en une heure une fausse statue de 4,4 tonnes. A l’aide de trois équipes munies d’une solide corde, l’expérience a montré qu’il est possible de faire avancer les statues de l’Ile de Pâques quand elles sont debout. Des oscillations de côté font progresser le moai tandis que le dernier groupe l’empêche de tomber en avant.

ile-de-paques statuesAux Marquises, à Hiva Oa, le site cérémoniel d’Upeke dans la vallée de Taaoa a encore été profané. La tête du tiki a disparu. C’est la seconde profanation de ce site, il y a un an, le tiki de basalte avait déjà eu l’oreille tailladée à coups de machette. D’après les spécialistes, le premier site sacré établi sur Hiva Oa serait celui de Upeke. De lave rouge sombre, cette tête ovoïde était posée sur une petite plate-forme à quelques mètres en contrebas du grand tiki. A ce jour, elle a disparue. Elle doit mesurer environ 40 cm de hauteur et peser plusieurs dizaines de kilogrammes.

Tandis que le sénateur Tahoera’a se trouvait en Nouvelle-Zélande, sa maison était entièrement détruite par les flammes à Pirea. La maison était construite en bois, et les bouches à incendie manquaient cruellement d’eau. Le brasier a tenu trois heures devant les pompiers. A ce retour de Nouvelle-Zélande où il était allé faire faire son visa de séjour pour les États-Unis, il a été accueilli par une foule nombreuse à l’aéroport, et couvert de fleurs. Mais le vieux lion demeure un battant, il n’est pas abattu, et se dit prêt à continuer la lutte.

upeke tikiC’est une catastrophe, accidents et décès sur la route repartent à la hausse. Un chirurgien en traumatologie déclare : « Je suis effaré par la quantité de morts et de blessés et par la nature des lésions. J’ai découvert la chirurgie de guerre sur les routes de Tahiti. Il demande aux jeunes, principalement, de prendre conscience des drames humains. Il comparait les 88 morts en Afghanistan en dix ans et les 300 morts sur les routes de Tahiti pendant la même période. Il poursuivait : « la traumatologie routière est comportementale. Si l’on élimine tous les morts liés à l’alcool, au cannabis, à la bêtise comme rouler sans casque, il resterait peut-être quatre ou cinq accidents mortels dus à pas de chance ». Pour le Parquet, tolérance zéro. Pour les dix premiers mois de l’année les gendarmes ont fait 75 315 dépistages d’alcoolémie donnant lieu à 2 700 contrôles positifs et 3 438 infractions à la vitesse ; 1 107 permis de conduire ont fait l’objet d’une rétention administrative.

La pire phrase du mois : « Ce n’est pas la première fois que je la frappe, mais c’est la première fois qu’elle meurt ». Telle est la réponse faite par un homme accusé d’avoir tué sa femme, au président de la Cour d’assise. Ce dernier rappelait cet épisode, lors des assises de l’aide aux victimes, pour souligner la banalisation de la violence.

Hiata de Tahiti

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Paul-Émile Lafontaine, Campagne des mers du sud

Madame Dominique Delord a retrouvé chez une amie les cahiers de mer de son grand-père, lieutenant de vaisseau de la marine française. Il appareille pour une longue campagne dans le Pacifique, depuis Toulon, en décembre 1875. La République troisième est à peine installée et, bientôt, le maréchal Mac Mahon fera parler de lui en tentant l’autoritarisme. Il devra bientôt se démettre, faute de se soumettre. Le croiseur Seignelay est à voile et à vapeur, il sillonnera la côte sud-américaine de la Terre de feu à Vancouver, et assurera la présence de la France dans les îles par millier du Pacifique dont le statut est encore incertain. Le XIXe siècle optimiste, scientifique et missionnaire, désirait apporter aux « sauvages » les bienfaits de la civilisation, tout en confortant la gloire de leur nation.

Cet esprit tourné vers l’avenir est revigorant pour nos vieilles mentalités confites dans le quant à soi. Le voyage est l’occasion non de juger en morale (sauf une répugnance marquée pour le cannibalisme), mais d’observer. Le « pittoresque » (ce qui peut se peindre comme le dit parfois l’auteur) est privilégié. Ces gens des antipodes ne sont certes pas « comme nous », mais pas moins dignes pour cela. Ils sont en général beaux, vigoureux, sensuels. Les femmes y sont parfois reines, comme Pomaré IV, reine de Tahiti, que l’auteur aura l’occasion de rencontrer plusieurs fois. Les missionnaires chrétiens ne sont pas en odeur de sainteté parmi les républicains convaincus du bateau, mais l’auteur distingue les catholiques, épris d’autorité voire de tyrannie, et les protestants qui sont parfois très près de leurs affaires, mais laissent les indigènes plus libres d’initiatives. Il blâme cependant ceux qui veulent à tout prix voiler la « pudeur » des femmes ou des jeunes gens, les mettant à l’amende pour montrer leurs seins. Un pêcheur adolescent s’est vu contraint de payer parce qu’il avait enlevé sa chemise pour entrer dans l’eau ! Comme quoi l’intégrisme ne date pas d’hier, ni ne vient forcément de pays plus barbares que nous…

Il faut dire que l’équipage du Seigneulay, bateau de guerre, a 21 ans de moyenne d’âge et comprend 35 mousses (de plus de 15 ans). Les officiers eux-mêmes ont 35 ans d’âge moyen. Cette disponibilité du regard et cet optimisme foncier font qu’ils voient autrement l’exotisme que les littéraires rassis restés à Paris. Les anecdotes ne manquent pas, cocasses ou cruelles, en tout cas véridiques. Le navire prend parfois des passagers, comme cette excentrique anglaise Constance Gordon Cumming ou cet archéologue explorateur français Alphonse Pinart.

Les quatre cahiers détaillent les excursions des officiers lors des relâches, surtout des chasses homériques dont on revient souvent bredouille, mais qui donnent du piquant aux expéditions. Ce XIXe siècle est en effet prédateur, avide de rapporter du gibier, du poisson, des échantillons de roches, de plantes ou de crânes humains pour les cabinets de curiosité. Le Musée de l’homme (désormais Arts premiers) a été formé par cet esprit encyclopédique du siècle qui voulait rassembler tout ce que le monde compte de diversité pour mieux l’étudier et le comprendre. Vu d’aujourd’hui, nous sommes presque dans un autre monde, celui, disparu, de Jules Verne…

Dès la page 153 apparaît Tahiti, où l’auteur reviendra plusieurs fois en mission. Il ira également aux Marquises, à l’île Juan Fernandez rendue célèbre par Robinson Crusoé, à l’île de Pâques où il mesurera les statues géantes, aux Tuamotou, aux Fidji, à Wallis & Futuna, aux Tonga et à Samoa. A l’époque (1877), « la ville de Papeete comprend environ deux cents maisons européennes » (p.155). Dans le village de Piré, situé à deux kilomètres de Papeete, « nous y allions quelquefois le soir entendre les hyménés ou chœurs, formés de jeunes gens des deux sexes, qui se réunissaient le soir, dans la salle de la maison commune nommée Faréo, pour y chanter des aires canaques. Autrefois on y dansait ! Aujourd’hui, cela est défendu par les ordres de MM. les gouverneurs. Ah ! la réglementation, quelle belle chose ! » (p.156).

Le lecteur sera surpris de la qualité d’écriture de ce jeune officier marinier. Il est vrai que l’époque privilégiait les classiques et qu’écrire une pièce de théâtre était un jeu (le lieutenant l’a fait pour égayer les marins et flatter le public sud-américain). Chacun sait qu’on n’observe d’autant mieux qu’on a les mots pour le décrire, et qu’on juge d’autant moins en morale qu’on a la profondeur d’un esprit cultivé. Je ne sais ce que donnerait la génération Internet sur ce genre de campagne, mais je crains que l’humanité n’ait régressé en un siècle… Il est fort plaisant et jamais ennuyeux de lire ces cahiers exhumés du XIXe. Ils nous donnent à voir un monde encore neuf qui a disparu de façon accélérée.

Paul-Émile Lafontaine, Campagne des mers du sud 1875-1879, Mercure de France Le temps retrouvé poche, 2006, 456 pages, 8.08€

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