Les nantis appellent à la restriction, les émergents trouvent légitime leur consommation, tandis que les plus pauvres attendent une fois de plus une sempiternelle « aide » internationale pour conforter les élites corrompues. L’Europe, divisée, moraliste, repue – a disparu. Le monde tourne autour du duo des hyperpuissances : les Etats-Unis et la Chine. Tant pis pour nos écolos.
Une fois de plus, ils n’ont rien compris. Trop bourgeois, trop chrétiens, trop social-moralistes, ils ont cru que réaliser des happenings en société du spectacle suffisait à galvaniser le monde. Eux donnaient la direction, révélée d’en haut ; les autres devaient suivre, convaincus par le marketing vertueux. Donc les pauvres restent pauvres, on leur fait la charité ; les émergents n’émergent plus, coincés sous le plafond de verre de la pollution ; les nantis restent nantis, tout au plus prendront-ils le vélo plutôt que la voiture… Eh bien, ce n’est pas comme ça que ça se passe.
Si « nos » écolos s’auto-intoxiquaient moins par leurs fumeux battages, s’ils secrétaient moins de moraline, s’ils analysaient les intérêts et les potentialités en réalistes plutôt qu’en histrions télégéniques, peut-être parviendraient-ils à comprendre un peu mieux le monde pour mieux le changer ? L’écologisme a pris la suite du communisme comme religion laïque. Mais s’il s’agit seulement de croyance, qui croira ? Qui y aura « intérêt » ? Pour quel « au-delà » ?
Or il importe d’analyser cette croyance. Fondée en apparence sur les scientifiques et leur « consensus » autour des travaux du GIEC (groupe international d’études sur le climat), la croyance récuse toute contestation, même venue de scientifiques. Comme si la science et sa méthode devaient s’arrêter aux convenances. Non, écolos dogmatiques, le doute reste fondamental ! Le savoir avancé exige la liberté de penser, de chercher et de dire. Le tropisme stalinien venu du passé gauchiste de trop d’écolos européens tend à faire de chaque climatologue un petit Lyssenko (dont on se rappelle tout le bien qu’il a pu faire à l’agriculture). La science est sans cesse en mouvement, elle progresse par essais et erreurs, par accumulation et confrontation. Figer le savoir en une vérité définitive, c’est nier la science et l’utiliser comme pancarte dans une manif – avec le même débat au degré zéro, la même tentative d’imposer sa vérité en force.
Alors qu’il suffirait de parler de la balance des risques pour rester rationnel, donc convaincant :
· Postulat n°1 : on ne sait pas (déjà, prévoir le temps local à trois jours, alors le climat planétaire dans 50 ans !…
· Postulat n°2 : quand on ne sait pas, on fait comme si le risque existait ;
· Postulat n°3 : dès que l’on en sait un peu plus, on corrige le tir, mais on est préparé.
C’est bien mieux pour susciter l’adhésion que la terreur millénariste !
Car si la science ne se confond pas avec la croyance, elle n’est pas non plus scientisme. La vérité ne sort pas tout armée et de façon définitive de la bouche des savants. Ceux-ci ne sont pas les exégètes d’une Parole éternelle qu’il suffit de « découvrir » comme on le fait d’un drap. Ils sont des chercheurs, ceux qui soumettent à expérience sans cesse une réalité mouvante. Il y a déjà eu des glaciations et des réchauffements, bien avant que l’homme ne fasse un feu ni ne domestique une vache ! Bien avant les centrales à charbon et le moteur à explosion ! Pourquoi le minimiser ? Cessons donc de nous croire le centre du monde, maîtres et possesseurs de la nature, ayant vocation à tout contrôler.
Chinois, Indiens, Japonais, Nigérians, ont une autre conception que celle, binaire, hiérarchique et impériale, qui est la nôtre dans le monde occidental (même pauvre), celle des religions du Livre. Eux voient la nature comme cyclique, les existences comme des réincarnations, le cosmos comme sans cesse mouvant et sans cesse à parcourir. Ce que disait Héraclite avant l’idéalisme de Platon, repris avec délectation par le christianisme (dont il confortait le Dieu unique) puis par le positivisme (qui voulait bâtir une ‘cité de Dieu’ laïque). Ce mouvement, cette infinitude, cette relativité, c’est bien ce qu’ont redécouvert Einstein, Bohr et Heisenberg après l’échec du rationalisme face aux passions de 1914. Les écolos ont, à l’inverse, la pensée régressive.
Que devient l’histoire, justement ? La tradition grecque, reprise par l’humanisme Renaissance puis par le libéralisme des Lumières, fait de l’être humain un animal inachevé, sans cesse en apprentissage, créant son propre destin par son histoire et en aménageant son milieu. Or les écolos remplacent l’histoire de chacun comme l’histoire des peuples ou même celle de la planète par un engrenage unique : l’Apocalypse ! C’est une régression à la pensée antimoderne, celle des légitimistes d’Ancien régime. Finie l’histoire en construction, l’être humain est réduit à sa seule condition naturelle, il doit subir. La Nature, substitut du Dieu tonnant d’hier, le punira. Il sera chassé du Paradis et condamné à errer dans les limbes laissés par la montée des eaux, l’assèchement des terres fertiles et des énergies fossiles, les forêts rabougries ravagées par les incendies et les tempêtes – comme s’il n’y en avait jamais eu avant. Il verra en tout frère un Caïn en puissance, prêt à lui sauter dessus pour lui prendre son eau, son blé ou le pucelage de sa fille. Est-ce la loi de la jungle dont se réclament les écolos ?
Il y a du ‘no future’ dans l’écologisme en Europe. D’où l’échec devant la planète. Le monde entier n’est pas prêt à croire à ce malthusianisme de développés, à cette morale de nantis issue du Dieu proche-oriental, à cet histrionisme médiatique en cercle fermé. D’autant qu’il y a collusion de système : médias comme consultants, labos comme industries spécialisées, crient après le financement. Plus ils font de bruit, plus ils parlent catastrophe, plus ils ont de retentissement dans cette société du zapping et du spectacle permanent ! Pour exister, faire peur ; pour obtenir des financements, manipuler l’opinion ; pour acquérir du pouvoir, faire pression médiatique sur les gouvernants.
Pour ma part, il n’est pas question de suivre les histrions, ni de naturaliser l’histoire, ni de dissoudre l’humain dans la mécanique scientiste. En revanche, soyons réalistes, c’est bien plus réconfortant et bien plus efficace. Il y a quelque chose à faire. Le défi de l’environnement est une nouvelle frontière :
- Face aux ressources limitées de la planète, nous avons besoin de faire des économies.
- Face aux défis climatiques et alimentaires, nous avons besoin d’innover et de faire avancer plus encore le savoir scientifique.
- Face aux rumeurs, croyances et autres complots « pour le Bien », nous avons besoin de véritable information scientifique, de rationnel et de travailler en commun sans obéir aux diktats des clercs de la nouvelle mode, ni aux prophètes d’Apocalypse.
Economie, innovation, science – vous avez bien lu. Quelle est la méthode la plus efficace capable de réaliser l’un et l’autre ? L’autoritarisme d’Etat ? La dictature du parti unique ? Une nouvelle théocratie d’écolos initiés ? L’anarchie de petits groupes réfugiés dans leurs grottes en montagne bouffant bio ? Vous n’y êtes pas… Les Chinois le redécouvrent depuis plus de 40 ans, il n’y a qu’un seul système d’efficacité, apte à fonctionner sous tous les régimes politiques : le capitalisme.
Je ne parle évidemment pas des traders et autres financiers manipulateurs, qui doivent être régulés par des autorités responsables, mais du capitalisme industriel : celui qui sait produire le mieux avec le moins à condition qu’on l’oriente (loin de la mode, du fric et des paillettes, du sport-spectacle et autres histrionismes infantiles). Quand les écolos reconnaîtront que le savoir scientifique, appliqué à la technologie, et que la méthode capitaliste, appliquée à l’économie, sont capables à la fois de réaliser la sobriété nécessaire et d’innover pour vivre bien – alors on les écoutera.
Daniel Cohn-Bendit, en vrai politique, le savait déjà. Reste à convaincre tous les illuminés qui ne servent pas la cause de la planète avec leurs glapissements effrayés. Ni la cause de l’Europe, rendue inaudible aux Etats-Unis, comme en Chine ou en Inde, par sa propension à la morale et son appel à la décroissance. Mais, comme le disait de Gaulle d’un autre travers (la connerie) : « vaste programme ! ».
Raisonner ou résonner ?
Hier la culture était comme la confiture de grand-mère, un assaisonnement maison de la tartine, une délicatesse de la personnalité. Aujourd’hui ? La culture est comme la confiture industrielle, la préférence pour le « light » et le « bio », l’irraison est élevée au rang des beaux arts.
C’est un professeur de philosophie qui le dit : « Une chose est de constater la présence d’erreurs de jugement, d’incompréhensions, de lacunes dans les connaissances. Ce qu’on observe aujourd’hui est d’une autre nature : il s’agit de l’incapacité des élèves à saisir le sens même du travail qui leur est demandé. (…) Il est devenu impossible de se référer à l’art de construire une problématique et une argumentation pour différencier les copies. » (Eric Deschavanne dans ‘Le Débat’ mai-août 2007). Bien que déjà mûrs – plus qu’avant – à 17 ou 18 ans, bien que possédant une ‘culture’ qui, si elle n’est pas celle des humanités passées, n’en est pas moins réelle, les jeunes gens paraissent dans leur majorité incapables d’exercer leur intelligence avec méthode.
Ils ne raisonnent pas, ils résonnent.
Ne comprenant pas le sujet, ils le réduisent au connu des lieux communs véhiculés par la culture de masse (le net, Facebook, la télé) ; ne connaissant que peu de choses et ne s’intéressant à ‘rien’ d’adulte (surtout ne pas être responsable trop tôt, ne pas s’installer, rester dans le cocon infantile), ils régurgitent le peu de savoir qu’ils ont acquis sans ordre, sans rapport avec le sujet.
Ils n’agissent pas, il réagissent.
Ils ne font pas l’effort d’apprendre, ils « posent des questions ». Leur cerveau frontal, peu sollicité par les images, la musique et les « ambiances » propres à la culture jeune, ne parvient pas à embrayer, laissant la place aux sentiments et aux « émotions ». Ils ont de grandes difficultés avec l’abstraction, l’imagination et la mémorisation, car ce ne sont pas les images animées ni les jeux de rôle, ni le rythme basique et le vocabulaire du rap qui encouragent tout cela… Tout organe non sollicité s’atrophie. On n’argumente pas, on « s’exprime ». On n’écoute pas ce que l’autre peut dire, on est « d’accord » ou « pas d’accord », en bloc et sans pourquoi.
Comment s’étonner que l’exercice démocratique d’une élection se réduise, pour le choix d’un candidat, à « pouvoir le sentir » ? Comment s’étonner que l’exercice pédagogique de la dissertation soit abandonné comme « trop dur », au profit de la paraphrase du « commentaire » ? Comment s’étonner que le bac devienne, pour notre époque, ce que fut le certificat d’études jadis, la sanction d’un niveau moyen d’une génération et absolument pas le premier grade des études supérieures ?
Et c’est là que l’on mesure que ce peut avoir d’hypocrite la moraline dégoulinante de bons sentiments des soi-disant progressistes français. Cette expression de Frédéric Nietzsche dans ‘Ecce Homo’ signifie la mièvrerie bien-pensante, l’optimisme béat des croyants en la bonté foncière, les « bons sentiments » qui pavent l’enfer depuis toujours.
Le collège unique pour tous ! La culture générale obligatoire jusqu’à 16 ans ! 80% d’une classe d’âge au bac ! Qu’est-ce que cela signifie réellement, sinon « l’effet de moyenne », cet autre nom de la médiocrité ? Car que croyez-vous qu’il se passe quand la notation des épreuves est réduite à se mettre au niveau des élèves ? Quand l’éducation ne consiste plus qu’à faire de l’animation dans les classes, pour avoir la paix ?
Eh bien, c’est tout simple : la véritable éducation à la vie adulte s’effectue ailleurs. Et c’est là où la « reproduction », chère à Bourdieu et Passeron, revient – et plus qu’avant.
Quels sont les parents qui limitent le Smartphone, la télé, les jeux vidéo et le tropisme facile de la culture de masse ? Pas ceux des banlieues ni les ménages moyens… mais ceux qui ont la capacité à voir plus loin, à financer des cours privés et à inscrire leurs enfants dans des quartiers où puisse jouer le mimétisme social du bon exemple. Mais oui, on tient encore des raisonnements logiques dans les khâgnes et les prépas ; on apprend encore dans les ‘grandes’ écoles, surtout à simuler des situations ; on ingurgite des connaissances lorsqu’il y a concours. Le « crétinisme égalitariste » de l’UNEF, que dénonçait Oliver Duhamel sur France Culture, laisse jouer à plein tous les atouts qui ne sont pas du système : les parents, leurs moyens financiers, leur quartier, leurs relations.
Le fossé se creuse donc entre une élite qui sait manier son intelligence, parce qu’elle a appris à le faire, et une masse de plus en plus amorphe, acculturée et manipulée – laissée par l’école à ses manques. Cette superficialité voulue à tous les niveaux scolaires de la maternelle à l’Université conduit à réduire l’effet ascenseur social qui régnait à l’école d’après-guerre.
Faut-il en incriminer « le capitalisme » ? Allons donc ! Quel bouc émissaire facile pour évacuer l’indigence de la pensée « démocratique » ! Ne trouvez-vous pas étrange que, malgré deux septennats de présidence de gauche, un quinquennat de gouvernement Jospin et un quasi quinquennat de présidence Hollande, malgré la vulgate anti-bourgeoise des intellectuels depuis 1968 – l’égalité des chances n’ait EN RIEN progressé depuis une génération ? Au contraire même.
L’élite d’il y a 1000 ans se maintenait par la force : l’épée, se tenir à cheval, la parentèle. L’élite du 21ème siècle se maintient par l’intelligence : savoir s’adapter, anticiper, trouver des exemples dans le passé et les interpréter pour aujourd’hui, la formation du caractère – et toujours la parentèle (étendue au réseau social).
Ne pas offrir d’exercer l’intelligence est une faute politique et une hypocrisie sociale. Elle réduit l’humain à résonner en chœur, pas à raisonner en adulte citoyen. Certains diront que c’est voulu ; je pense pour ma part qu’il s’agit de lâcheté politique.