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Vian et Tousart, Effectual impact – Partir de soi pour changer le monde

Malgré le globish énervant du vocabulaire (effectual, repris directement d’un anglais abâtardi, en français veut dire tout simplement effectif), le livre expose une méthode élaborée il y a vingt ans par Saras D Sarasvathy, économiste américaine de l’esprit d’entreprise, pour s’adapter au monde alors que l’on constate que l’on ne peut plus le contrôler comme on le croyait. Ce qui est plutôt intelligent. Les philosophes antiques prônaient déjà de se changer soi plutôt que de vouloir changer le monde. Et ce fut (c’est encore !) la maladie bien française de l’abstraction intello, du yaka idéaliste, que de vouloir que les choses répondent à une épure, plutôt que de les apprivoiser.

En situation d’incertitude, que faire ? Prévoir l’avenir est une vaste blague alors que tout peut changer en un instant : on l’a vu avec le Covid, la guerre en Ukraine, le pogrom du Hamas, la roquette imprévue tombée sur l’hôpital de Gaza… Notre logique habituelle cherche les causes puis les moyens de s’en prévenir pour atteindre un but. La nouvelle logique « effectuale » renverse la situation : tout sur les moyens – les effets atteignables arriveront naturellement.

Autrement dit : qui suis-je ? Quels sont mes atouts par rapport aux autres ? Que puis-je faire concrètement et avec quelles ressources ? – A partir de là, quels sont les objectifs que je peux atteindre ?

L’entrepreneur – le créateur – est alors le pilote dans l’avion ou le capitaine dans la tempête. Il fait avec l’environnement et contrôle son appareil.

Les auteurs sont un professeur à Skema Business School (issue de la fusion de l’ESC Lille et du CERAM Business School de Sophia Antipolis) et un entrepreneur ayant réussi dans les start-ups. Leur manuel pratique permet de décider quand on ne sait pas comment faire. Deux parties : 1/ cas d’applications et 2/ description des méthodes « effectuales ».

Il faut partir de soi, traduire sa « surcapacité », ce qui vous fait différent des autres, unique, pour « changer le monde à son échelle (créer des opportunités) », et « concilier liberté financière et épanouissement ». Une fois parti, « comment discerner simplement des futurs proches bénéfiques à tous », « prendre des décisions plus conscientes » et « libérer l’action collective en simplifiant notre manière de raisonner (agir à partir du problème plutôt que de chercher à tout comprendre) ».

Les méthodes concrètes sont décrites : ISMA Talents TM (identifier les qualités perçues par les proches et rechercher l’effet communs des super-talents), Space setting (stratégie par les enjeux du problème en agissant sur les effets), Focal (penser l’action à partir du positif), Effectual goals (changer la manière de concevoir ses objectifs), ISMA360 TM (quel segment de marché désire votre invention).

Au total, un manuel pratique utile pour prendre une décision et se lancer dans un projet – alors que le futur est imprévisible.

Dominique Vian et Quentin Tousart, Effectual impact – Partir de soi pour changer le monde à son échelle, 2023, autoédition Amazon, 134 pages, €12,99 e-book Kindle €9,99 ou emprunt gratuit avec abonnement

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Anne-Cécile Hartemann, Métamorphose

Née en France en 1981, Anne-Cécile Hartemann a émigré au Canada en 2004 puis a divorcé en 2016. Elle était dévastée. Elle décrit dès lors son « incroyable voyage au cœur de mon être, voyage au cours duquel j’ai eu accès à des outils puissants qui ont façonné la femme que je suis devenu » p.17. Effondrée comme beaucoup par la fin d’un projet de vie en couple idéalisé dans ce Québec où l’hiver dure six mois et où les relations sont très basiques sur fond de religion catholique austère, l’autrice a réussi à rassembler dans ce livre les ressources qui ont conduit son chemin pour en sortir.

Il s’agit donc d’un guide de la connaissance de soi, fondé sur un patchwork de méthodes bricolées à mesure qu’elle les découvre mais organisé par étapes chronologiques. En trois chapitres, vous saurez tout pour sortir du puits de l’angoisse et de la négativité : tout d’abord se préparer à la métamorphose ; ensuite le mode d’emploi de la connexion ; enfin la métamorphose elle-même. L’autrice est femme et a eu deux petites filles, mais elle enfante cette méthode qui peut marcher aussi pour les hommes, dit-elle.

Le répertoire de concepts, d’outils et d’exercices est décrit comme « inspirant », ce qui à mon avis ne veut pas dire grand-chose, confondant en un même mot une réminiscence de respiration physique et d’inspiration spirituelle – mais c’est un mot attrape-tout du marketing à la mode et je suis sûr que cela, quelque part, vous séduit. Anne-Cécile Hartemann a œuvré une quinzaine d’années dans ce domaine de la communication et de la vente, métier qui permet de croire que les outils de manipulation de la conscience de soi et des autres sont aptes à résoudre les problèmes de relations entre soi et les autres. Je n’en suis pas convaincu personnellement.

Vous aurez en revanche une connaissance pratique de l’approche non directive créatrice, de la respiration en pleine conscience, du minimalisme, de l’Humanitude, de la communication non violente, de l’Expanders (une envie de se stretcher correctement), de Ho’oponopono « secret » des guérisseurs hawaïens, et ainsi de suite. Je vous les laisse découvrir, certaines valent leur pesant d’ironie dans la manipulation des mots recouvrant des attitudes de simple bon sens. Il s’agit toujours de sortir de soi par les exercices physiques, l’apaisement des passions et l’élévation spirituelle par le silence des bruits parasite, sortir par des méthodes adaptées des orientaux de ce petit soi occidental égoïste et revanchard qui enferme dans le ressentiment et la victimisation. Rien que la proposition d’une voie est prometteuse à celles et ceux qui cherchent. Il y a de multiples chemins pour s’éveiller.

Cet ouvrage apporte non seulement des connaissances théoriques sans pesanteur, mais est surtout ponctué d’exercices pratiques que chacun peut expérimenter comme apprendre à recevoir ou à donner, imaginer cinq vies, dire merci (ce qui n’est pas si simple), se sentir « énergisé » au contact d’une personne (je ne sais trop ce que cela veut dire sinon de l’écouter avec l’attention qu’elle mérite), accueillir et pardonner (essence même de l’Ho’oponopono) ou encore faire une pause « en pleine conscience » (sans penser à autre chose).

Ce manuel vous aidera, si vous en ressentez le besoin. En tout cas l’auteure a ressenti l’envie de partager son expérience et son approche est positive. Elle est devenue thérapeute en relation d’aide, soit TRA et ce manuel pratique est aussi une publicité pour son nouveau métier. Il peut aider dans leur voyage intérieur celles et ceux qui ne se sont toujours pas trouvés.

Anne-Cécile Hartemann, Métamorphose – Le courage d’aller vers soi, éditions du CRAM, Montréal, 2021, 245 pages, €19.00 e-book Kindle €12.99

Attachée de presse en France Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Le site de l’autrice https://www.achartemann.com/

Son Facebook https://www.facebook.com/Anne-C%C3%A9cile-Hartemann-TRA-Th%C3%A9rapeute-en-relation-daide-103570081564583/?__xts__%5B%AB0%BB%5D=68.a

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Et même Instagram (l’autrice est partout)

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Bruno Salazard, L’éternité et deux mains

L’auteur nourrit sa production littéraire d’une vie hachée, abonnée aux femmes dépressives sur le modèle de sa mère et d’enfants rêvés merveilleux mais insondables. Voici encore une histoire de bébé, le toujours Alexandre (prénom fétiche d’un autre roman), né sans les mains. Chirurgien spécialisé dans la main de l’enfant, l’auteur est à son affaire. Mais il conte surtout l’histoire de ces appendices qui fondent l’humain plutôt qu’il n’écrit un véritable roman.

Alexandre est re-né plus de trois-cents fois et, à chaque vie, use de ses mains selon le projet humain : dessiner, écrire, modeler, guider, caresser – et tuer. L’interaction de la main et du cerveau permet de se constituer en être humain différent de l’animal et naître sans mains est un handicap moteur. Ce pourquoi le « trans » (mot à la mode) humanisme peut permettre de relier les prothèses myoélectriques au cerveau en substitut de mains. Oh, nous ne sommes pas aujourd’hui mais pas loin : en 2023 seulement, et à New York évidemment.

Pour le reste, nous voici dans la grotte de Maltraviesco, puis dans le Sahara encore vert avant l’Egypte d’Imhotep. « Alexandre » (dont le nom a dû changer durant les millénaires mais dont on ne nous dit rien) vit de multiples existences avant de trouver peut-être la bonne. Dans sa vie juste avant l’actuelle, il se tue pour avoir fauté des mains en pilotant un drone qui a certes abattu un terroriste islamiste mais aussi deux femmes en dégât collatéral.

Vous avez des parents qui veulent bien faire mais ne savent pas trop comment, un pédiatre africain qui adore palabrer et remonter aux ancêtres, un chirurgien de la main pointu, une start-up qui offre sa technologie pour faire sa pub. Tant de fées sur le berceau qu’Alexandre s’en sortira, cette fois.

Nourri de la vie compliquée et souvent abîmée de son auteur, ce livre se veut une réflexion sur le temps très long de ce qui nous fait homme : la dialectique du manuel et du rationnel, de la main et du cerveau. Une aventure.

Bruno Salazard, L’éternité et deux mains, 2020, Librinova, 199 pages, €12.90 e-book Kindle €3.99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Un précédent roman de l’auteur a été chroniqué sur ce blog

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Emilie Ménard, Repérer et neutraliser un boulet

Un « boulet », dans le vocabulaire branchouille, c’est le balourd qu’on traîne, celui qui pèse, qui rend prisonnière, qui inhibe sa liberté. Tous les hommes sont donc des boulets. Car ce manuel d’une « artiste-peintre autodidacte » (selon Amazon), fait de fiches pratiques et mis en page comme un ouvrage de développement personnel pour séminaire marketing, est écrit pour les femmes à l’encontre les hommes. Du moins les bobos urbains de la mode, si l’on en croit le descriptif répétitif des « cas ».

S’il était écrit par Monsieur sur les « boulettes », il serait honni comme « misogyne » par tout ce que la gent parisienne « in » comprend comme féministes, libérées de gauche et autres chiennes de garde ; mais comme il est écrit par Madame, il se doit d’apparaître comme une aimable satire de certains types masculins. Ne surtout pas évoquer la « misandrie », ce serait d’un mauvais goût… et d’ailleurs pas (encore) dans le dictionnaire.

« Les mecs qui se plongent dans la lecture de ce livre doivent réaliser qu’ils ont bien peu de chances d’éviter le regrettable statut de boulet », est-il tranquillement affirmé p.36. Trente-huit cas sont recensés, mais un tome 2 est prévu pour en ajouter d’autres. Soyez donc prévenus, mecs et nanas, que vous courez à la faute si vous voulez draguer. Même si « le mec parfait » n’existe pas – sauf (peut-être) le « boulet fuyant et qui s’en branle » p.80. Tant pis pour vos envies – ou alors contentez-vous de ce que vous attrapez.

Le moins pire, si l’on peut dire, est de tomber sur « le fils à papa oisif pour l’héritage ou vers un mec trop beau mais trop con pour les gènes », ainsi qu’il est conseillé p.17 – mais à la seule condition de « vouloir » des enfants. Il faut dire que cet ouvrage de sociologie pratique « étayé par une très sérieuse étude de terrain » (intro), est destiné uniquement à « la femme moderne et libérée qui allume tous les mecs qu’elle a envie de se taper » (avoué p.77). Ce qui fait quand même assez peu de Françaises, au fond.

Ce Guide de survie en territoire amoureux est quand même écrit de façon désopilante, n’hésitant pas à en rajouter pour susciter l’amusement. Il pourra intéresser un certain public parisien qui s’ennuie dans ses partouzes arrosées et assourdissantes, enfumées de substances qui annihilent le cerveau – selon le résumé repris en boucle. Ni la durée de vie de ce livre, ni son charme, ne tiendront aussi longtemps que la Chartreuse de Parme et le manuel aura vieilli avant dix ans, mais vous pourrez vous montrer original(e) au moins cinq minutes dans les soirées.

Voilà en tout cas un cadeau branché à offrir. Surtout à la Saint-Valentin – ou à la belle-mère. Même si les « éditions Ellébore » semblent avoir un grain.

[Une petite remarque : p.14 je mettrais « bombe aNAtomique » plutôt que « bombe atomique », ce serait plus drôle.]

Emilie Ménard, Repérer et neutraliser un boulet, 2017, éditions Ellébore, 163 pages, €15.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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La fin du livre ?

Entre le Smartphone qui accapare et YouTube qui permet à chacun de se faire médiateur, l’image semble l’emporter sur l’écrit. Pour les mots qui restent, les encyclopédies wiki pour pèdes et les articles pour citoyens diffusés sur la toile l’emportent de plus en plus sur les journaux et sur les livres. La presse nationale voit son lectorat se réduire d’année en année, les magazines naissent et disparaissent par effets de mode. Les étudiants lisent de moins en moins, y compris en grandes écoles. Ils ont le sentiment du relatif et de l’usure de tous les contenus et lorsque, d’aventure, ils achètent un livre pour le cours, ils le revendent en fin d’année sur Amazon. Ils exigent des bibliothèques d’investir dans plusieurs manuels car nul ne veut « s’encombrer » d’un savoir qui sera vite obsolète.

livres

Deux attitudes coexistent sur l’avenir du livre : l’anglo-saxonne et la française – comme souvent.

La première est optimiste, innovatrice. Le roi est mort ? Vive le roi ! Le livre décline ? Vive le net. Le numérique est plus efficace à stocker et plus rapide à diffuser. Il démocratise, via les réseaux informels gratuits plutôt que de se couler dans le moule social et hiérarchique cher aux pays catholiques, France en tête. Tout le monde est auteur, vidéaste, commentateur – sans passer par les intermédiaires et autres intellos, prescripteurs d’opinion. Tout le monde échange et les idées se forment des mille courants qui sinuent et se rencontrent. Tout le monde est médiateur en direct, le support est réduit au minimum : un clavier, un numérique, une liaison net. On blogue, publie ses vidéos, s’auto-édite.

La seconde est pessimiste, conservatrice. L’écran roi va tout détruire, comme Attila, avec la brutalité de l’ignorance et l’énergie de la barbarie. Promoteur du « moi-je », il sera médiatique plus que médiateur. N’existant que dans l’instant, il sera émotionnel et sans distance. Exit la réflexion, la pensée et l’écrit, objectivés par un livre qui dure. Tout dans le scoop et les paillettes. Le livre est mort, c’était mieux avant.

Nul besoin de dire que des deux, aucune ne me semble satisfaisante. La caricature pousse aux extrêmes des tendances qui se contrastent et se contredisent dans chaque courant. Les Français lisent encore, les femmes surtout, et la classe moyenne plébiscite les bibliothèques ; les éditeurs font la course à qui publiera le plus, près de 50 000 livres chaque année en France. La question est de savoir quels sont ces livres publiés, demandés, lus. A produire très vite, on produit n’importe quoi et mal écrit, les tirages baissent et seulement 2500 auteurs peuvent vivre de leur stylo, tous domaines confondus. L’astrologie et la psycho de bazar se vendent mieux que l’essai philosophique ou la littérature – mesurez les rayons relatifs des « grandes librairies ». Mais il reste quelques exceptions.

Un livre est aujourd’hui moins un monument qu’on révère, honoré dans sa bibliothèque comme dans une châsse et sorti une fois l’an avec des précautions de Saint-Sacrement – qu’un ami qu’on emporte avec soi dans le métro ou le train, qu’on annote et qu’on corne, qu’on relit et sur lequel, parfois, il nous arrive de réfléchir. Symbole social ? Certes, il le reste en France, pays dévot où la révérence pour le savoir passe souvent par l’étalage des catalogues de musée sur table basse ou des classiques reliés peau en bibliothèque trônant dans le salon de réception. Mais le plaisir de lire demeure car il se fait en silence, par l’imagination intérieure. La pensée écrite stimule la réflexion personnelle.

Toute autre est la lecture par devoir : celle de textes utilitaires, de l’actualité, ou de manuels techniques. On s’y réfère, mais on court vers l’édition la plus récente. Là, le numérique remplace le livre utilement. A condition d’oublier cette religion hippie du tout gratuit pour tous qui a deux inconvénients : 1/ la fiction de croire qu’un bon auteur va passer plusieurs années de sa vie à composer un manuel exhaustif pour la beauté du geste, au lieu de se vautrer comme les autres dans le divertissement, 2/ la fiction de croire que le gratuit est réellement gratuit, alors que tant de bandeaux publicitaires et de captations d’adresses passent par l’interrogation des moteurs.

Le livre va-t-il disparaître ? L’actualité, la mode, le mal écrit et le people, probablement – soit 95% de la production annuelle peut-être.

Mais la qualité restera – comme toujours, comme partout. Des lecteurs continueront à s’intéresser à Louis XVI dont la biographie de l’historien Petitfils rencontre un grand succès, ou même à la littérature dont le Dictionnaire égoïste de Charles Dantzig plaît beaucoup. Malgré le trollisme ambiant, ce qui est bien pensé, bien bâti et bien présenté demeure la référence. Et on lira encore des livres. Par élitisme, par goût du beau, par désir de penser par soi-même.

Ce n’est pas donné à tout le monde.

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Ian McEwan, L’enfant volé

ian mcewan l enfant vole

L’auteur a semble-t-il recensé tous les thèmes de l’enfance : la paternité, la perte, le désir d’un couple, la maternité immédiate, la pédagogie, le retour en enfance, le désir pour l’enfant… L’enfant volé n’est peut-être pas celui qu’on pense. Le titre anglais fait allusion à l’enfant « au bon moment », signe qu’il faut chercher l’enfance plutôt que l’enfant.

Dans notre monde efficace et théâtral, existe-t-il encore une place pour l’enfance ? Ceux qui n’en ont pas volent ceux des autres, ceux qui l’ont quittée veulent y revenir, ceux qui restent adultes la désirent sexuellement, la société tout entière réclame une manière de traiter l’enfant, ce qu’elle ne sait plus faire : un manuel de pédagogie.

Stephen est l’heureux papa d’une petite Kate de 4 ans. Un dimanche matin, au supermarché, elle lui est enlevée. Une seconde elle se tient debout derrière le chariot du supermarché à la caisse, la seconde d’après elle n’est plus là. Disparue, enlevée, éradiquée à jamais de sa famille et de son enfance – jamais retrouvée. Lorsque l’enfant disparaît, chacun entre en dépression. Même si la société est gênée collectivement par les enfants – turbulents, désobéissants, délinquants – chacun en sa vie propre ne peut se passer d’enfants : celui qu’il a été, celui qu’il en engendré, celui qu’il désire.

Stephen a écrit un premier roman, dont le premier chapitre est devenu livre tout entier consacré à un moment de son enfance. Charles, l’éditeur, a adoré. Papillonnant et sans cesse en besoin d’autre chose, Charles est passé à la politique, où il a brillamment réussi, attirant l’œil du Premier ministre. Mais Charles n’a jamais évacué son enfance, il reste bloqué à la période insouciante, compensant par le dynamisme et l’audace toute sa fragilité interne. Désiré par le Premier ministre, promis à une carrière politique rapide, il se retire avec sa femme dans un endroit sauvage de la lointaine banlieue de Londres. Il y joue au petit garçon, vivant en chemisette ouverte et culotte courte et construisant une cabane au sommet d’un hêtre géant.

Cupidon

Stephen, désespéré de la perte de sa fille, impuissant à la retrouver, s’illusionnant parfois de la confondre avec une autre, sa femme l’ayant quitté après le drame, se reconstruit petit à petit. Il participe à l’insipide comité pour la pédagogie mandé par le gouvernement pour redresser le laisser-aller post-68. Des passages du Manuel officiel sont mis en tête des chapitres, répétition cocasse qui force l’attention. L’enfance n’est pas une essence mais un passage ; l’enfant ne doit pas être dressé mais épanoui ; il n’est ni une gêne ni un objet mais un désir devenu personne à aimer et conduire.

Curieux roman qui semble se perdre pour mieux se retrouver. Il commence par le récit glacé d’une disparition pour se terminer par une nouvelle naissance. Entre temps, institutionnalisation, régression, menace d’avortement… Toute l’enfance est contenue dans ce livre – dont le message global est « l’enfant au bon moment ». Oui à l’enfance, mais pas à 49 ans ; oui à l’enfant, mais désiré et accueilli ; oui à la renaissance, même si la perte ne peut être oubliée. En fait, les femmes semblent plus fortes : viscéralement attachées, bien que peu capables d’élever ; les hommes ont plus de réticence à accepter l’enfant, trop souvent miroir de leurs ambitions frustrées, mais paraissent plus solides dans le temps – autre thème du livre.

Prenant et fluide, une peinture non seulement de l’Angleterre sombre de la fin des années 1980, post-coïtum triste, post-68 mal vécue, mais aussi de la condition humaine qui se fait une montagne de l’acte naturel de désirer un enfant, de le faire et de l’éduquer.

Ian McEwan, L’enfant volé (The Child in Time), 1987, Folio 1995, 411 pages, €7.79

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Problèmes de poids : on vous doit la vérité

Dr Rakotovao Problemes de poids

Repris dans le blog Sélection des meilleurs articles

Vous avez fait les fêtes ? Pris quelques kilos ? Ne faites surtout pas régime amaigrissant, ce genre de commerce ne fait qu’amaigrir votre porte-monnaie – tout en engraissant les charlatans. Le mérite de ce livre est qu’il ne sera jamais un best seller : il ne promet pas de perdre des bourrelets en quelques semaines, ni d’avoir un corps de rêve, ni de ressembler aux modèles des magasines. Mais c’est justement parce qu’il a du bon sens que ce manuel est précieux.

Le docteur Rakotovao est d’origine malgache et a passé le bac à 16 ans (dans plusieurs séries). Il a étudié la médecine à Tananarive puis à Marseille avant de suivre la formation universitaire Nutrition de Rennes. Il est à la fois médecin généraliste et spécialisé en nutrition : l’idéal pour soigner les gens dans toutes leurs dimensions.

Car nous ne sommes pas qu’un corps… Nous sommes aussi émotions et sociabilité. Manger n’a pas pour fonction que de se remplir, mais aussi de converser agréablement ou de gérer le stress, tout en obéissant à des normes sociales et culturelles. Vaste programme ! Comment voulez-vous qu’un régime diktat, qui n’agit que sur un seul facteur, vous réussisse durablement ? « Il faut admettre et ne pas hésiter à dire qu’un régime d’amaigrissement est une des principales causes de l’obésité, si ce n’est la première » p.59. Surveiller et punir troublent la régulation naturelle, engendrant ces yoyos de poids que forme le couple infernal restrictions/boulimie.

Pour arriver à cette prise de conscience, le Dr Rakotovao a appliqué une méthode simple : « J’ai organisé régulièrement des soirées avec des personnes souffrant de problèmes de poids : j’ai réuni à chaque fois de dix à quinze patients, au rythme d’une fois par semaine pendant deux ans. Nous avons travaillé les ressentis, les problèmes auxquels ils avaient été confrontés, ce qu’ils avaient entrepris précédemment au niveau du poids, les personnes qu’ils avaient déjà rencontrées, etc. » p.16. Le docteur a aussi rencontré ses confrères, en médecine et autour : diététiciens, psychologues.

Il publie ce manuel court et facilement compréhensible en deux parties : ce qu’il faut savoir et ce qu’il faut faire. Dans la première, il apprend qu’une alimentation équilibrée doit provoquer trois équilibres : le physiologique (varier les aliments), le psychologique (goût et plaisir), le social (identité culturelle). Il insiste sur le rôle néfaste des additifs dans l’alimentation industrielle. Tout le monde évoque les cancers possibles, le Dr Rakotovao pointe surtout la perturbation de la sensation de faim : les colorants, conservateurs, exhausteurs et autre E000 servent à exciter l’appétit dans un but commercial. Manger naturel est la première leçon pour perdre du poids.

La seconde est de surveiller son IMC (indice de masse corporelle) = poids / (taille)². Pas de tyrannie du surpoids ! On n’est obèse qu’avec un IMC>30, en-dessous il faut faire attention aux prédispositions génétiques de maladies liées au poids (diabète, hypertension, os et articulations). Rien de moins, mais rien de plus. Il n’y a de poids « idéal » que celui dans lequel on se sent bien, mangeant à sa faim et en société, sans risque de santé.

La troisième est de gérer son état psychologique. Pour ce faire, le docteur donne l’exemple de patients concrets : régimes à répétition, arrêt du sport, stress et grignotage de compensation, manque de confiance en soi et intériorisation de la colère qui pousse à manger pour se faire plaisir, fantasme du carré de chocolat « qui fait prendre 1 kg », repas tout prêts avec additifs qui excitent et perturbent, médicaments, pilule… Chaque cas est différent mais, pour tous, « l’apprentissage d’une régulation (…) permet de vous faire perdre du poids » p.98. « Le résultat final doit devenir un comportement, c’est-à-dire un réflexe naturel ne nécessitant pas d’effort et qui stabilise l’organisme quelles que soient les circonstances » p.102.

Tyrannie de la mode…

torse nu mode

Il faut apprendre à manger de bonnes choses, et avec plaisir. Avec la variété, la présentation, l’absence d’interdits, le calme d’une mastication nécessaire à une sensation de satiété, vous perdrez du poids. Cela prendra plusieurs mois mais perdurera. Finis les diktats péremptoires : pas de sel, que des protéines, ni graisses ni alcool, voire régime de bananes… Ou boire en mangeant : à proscrire, disent les uns, car le bol alimentaire file plus vite vers l’intestin et ne favorise pas la sensation d’être rassasié ; au contraire, disent les autres, boire leste l’estomac, ce qui empêche de trop manger. Rien de tout ça, dit le Dr Rakotovao : boire trop est néfaste en effet, mais boire un peu est utile car hydrate le bol alimentaire et rassasie. Et le vin est bon car il ouvre l’esprit et calme le corps (1 verre par repas).

Point trop n’en faut, mais de tout un peu. Manger avec plaisir et laisser le corps réguler. Faire de l’activité physique mais pas forcément « du sport » passé un certain âge. Laisser les magasines de mode et les conversations de pintades à leur inanité. Ne pas croire aux miracles (des régimes). Prendre conscience du lien entre les croyances et leurs conséquences sur le comportement. Telles sont les leçons de bon sens du Dr Rakotovao, bien loin de l’hystérie médiatique qui ne pousse à toujours plus faire vendre (tout en se revendiquant anticapitaliste). Un manuel du bien vivre.

Docteur M. Rakotovao, Problèmes de poids : on vous doit la vérité, 2012, éditions Baudelaire, 166 pages, €15.50 Préface du professeur honoraire de cardiologie Bernard Denis.

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