Ian McEwan, L’enfant volé

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L’auteur a semble-t-il recensé tous les thèmes de l’enfance : la paternité, la perte, le désir d’un couple, la maternité immédiate, la pédagogie, le retour en enfance, le désir pour l’enfant… L’enfant volé n’est peut-être pas celui qu’on pense. Le titre anglais fait allusion à l’enfant « au bon moment », signe qu’il faut chercher l’enfance plutôt que l’enfant.

Dans notre monde efficace et théâtral, existe-t-il encore une place pour l’enfance ? Ceux qui n’en ont pas volent ceux des autres, ceux qui l’ont quittée veulent y revenir, ceux qui restent adultes la désirent sexuellement, la société tout entière réclame une manière de traiter l’enfant, ce qu’elle ne sait plus faire : un manuel de pédagogie.

Stephen est l’heureux papa d’une petite Kate de 4 ans. Un dimanche matin, au supermarché, elle lui est enlevée. Une seconde elle se tient debout derrière le chariot du supermarché à la caisse, la seconde d’après elle n’est plus là. Disparue, enlevée, éradiquée à jamais de sa famille et de son enfance – jamais retrouvée. Lorsque l’enfant disparaît, chacun entre en dépression. Même si la société est gênée collectivement par les enfants – turbulents, désobéissants, délinquants – chacun en sa vie propre ne peut se passer d’enfants : celui qu’il a été, celui qu’il en engendré, celui qu’il désire.

Stephen a écrit un premier roman, dont le premier chapitre est devenu livre tout entier consacré à un moment de son enfance. Charles, l’éditeur, a adoré. Papillonnant et sans cesse en besoin d’autre chose, Charles est passé à la politique, où il a brillamment réussi, attirant l’œil du Premier ministre. Mais Charles n’a jamais évacué son enfance, il reste bloqué à la période insouciante, compensant par le dynamisme et l’audace toute sa fragilité interne. Désiré par le Premier ministre, promis à une carrière politique rapide, il se retire avec sa femme dans un endroit sauvage de la lointaine banlieue de Londres. Il y joue au petit garçon, vivant en chemisette ouverte et culotte courte et construisant une cabane au sommet d’un hêtre géant.

Cupidon

Stephen, désespéré de la perte de sa fille, impuissant à la retrouver, s’illusionnant parfois de la confondre avec une autre, sa femme l’ayant quitté après le drame, se reconstruit petit à petit. Il participe à l’insipide comité pour la pédagogie mandé par le gouvernement pour redresser le laisser-aller post-68. Des passages du Manuel officiel sont mis en tête des chapitres, répétition cocasse qui force l’attention. L’enfance n’est pas une essence mais un passage ; l’enfant ne doit pas être dressé mais épanoui ; il n’est ni une gêne ni un objet mais un désir devenu personne à aimer et conduire.

Curieux roman qui semble se perdre pour mieux se retrouver. Il commence par le récit glacé d’une disparition pour se terminer par une nouvelle naissance. Entre temps, institutionnalisation, régression, menace d’avortement… Toute l’enfance est contenue dans ce livre – dont le message global est « l’enfant au bon moment ». Oui à l’enfance, mais pas à 49 ans ; oui à l’enfant, mais désiré et accueilli ; oui à la renaissance, même si la perte ne peut être oubliée. En fait, les femmes semblent plus fortes : viscéralement attachées, bien que peu capables d’élever ; les hommes ont plus de réticence à accepter l’enfant, trop souvent miroir de leurs ambitions frustrées, mais paraissent plus solides dans le temps – autre thème du livre.

Prenant et fluide, une peinture non seulement de l’Angleterre sombre de la fin des années 1980, post-coïtum triste, post-68 mal vécue, mais aussi de la condition humaine qui se fait une montagne de l’acte naturel de désirer un enfant, de le faire et de l’éduquer.

Ian McEwan, L’enfant volé (The Child in Time), 1987, Folio 1995, 411 pages, €7.79


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