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Bruno Salazard, L’éternité et deux mains

L’auteur nourrit sa production littéraire d’une vie hachée, abonnée aux femmes dépressives sur le modèle de sa mère et d’enfants rêvés merveilleux mais insondables. Voici encore une histoire de bébé, le toujours Alexandre (prénom fétiche d’un autre roman), né sans les mains. Chirurgien spécialisé dans la main de l’enfant, l’auteur est à son affaire. Mais il conte surtout l’histoire de ces appendices qui fondent l’humain plutôt qu’il n’écrit un véritable roman.

Alexandre est re-né plus de trois-cents fois et, à chaque vie, use de ses mains selon le projet humain : dessiner, écrire, modeler, guider, caresser – et tuer. L’interaction de la main et du cerveau permet de se constituer en être humain différent de l’animal et naître sans mains est un handicap moteur. Ce pourquoi le « trans » (mot à la mode) humanisme peut permettre de relier les prothèses myoélectriques au cerveau en substitut de mains. Oh, nous ne sommes pas aujourd’hui mais pas loin : en 2023 seulement, et à New York évidemment.

Pour le reste, nous voici dans la grotte de Maltraviesco, puis dans le Sahara encore vert avant l’Egypte d’Imhotep. « Alexandre » (dont le nom a dû changer durant les millénaires mais dont on ne nous dit rien) vit de multiples existences avant de trouver peut-être la bonne. Dans sa vie juste avant l’actuelle, il se tue pour avoir fauté des mains en pilotant un drone qui a certes abattu un terroriste islamiste mais aussi deux femmes en dégât collatéral.

Vous avez des parents qui veulent bien faire mais ne savent pas trop comment, un pédiatre africain qui adore palabrer et remonter aux ancêtres, un chirurgien de la main pointu, une start-up qui offre sa technologie pour faire sa pub. Tant de fées sur le berceau qu’Alexandre s’en sortira, cette fois.

Nourri de la vie compliquée et souvent abîmée de son auteur, ce livre se veut une réflexion sur le temps très long de ce qui nous fait homme : la dialectique du manuel et du rationnel, de la main et du cerveau. Une aventure.

Bruno Salazard, L’éternité et deux mains, 2020, Librinova, 199 pages, €12.90 e-book Kindle €3.99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Un précédent roman de l’auteur a été chroniqué sur ce blog

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Kom Ombo

Le réveil a lieu vers sept heures, dans la transparence du matin. Le soleil fait se lever un voile sur la campagne et sur les eaux. Les couleurs sont plus douces, comme au lavis. Je n’ai pas le talent pour décrire la poésie de ces matins du Nil, bien plus beaux que les soirs à mon avis. C’est l’heure où le ciel se lève sur les eaux ; bientôt s’égosilleront les oiseaux ; le tout préparant la venue de l’astre du jour, frais comme un gamin sorti du lit.

petit dejeuner en felouque

Nous prenons le petit-déjeuner sur le bateau alors qu’il se met en marche pour remonter une heure durant le Nil. Le moteur tue la conversation ; il est trop bruyant. Et la longueur de la table ne permet pas d’avoir une conversation à plus de trois ou quatre. Chaque felouque a un équipage de deux felouquiers. La nôtre porte le chef de tous, un « vieux d’au moins 40 ans » (sic) à la belle prestance, et un « mousse » de 16 ans maigre et souple, fasciné par les fragments de chair nue des femmes qu’il peut apercevoir de temps à autre. Dérivent les rives vertes d’où émergent, ébouriffées, les palmes. L’eau, sombre et transparente comme un cul de bouteille, est – pourquoi pas ? – vert Nil. Le soleil y transforme les calmes en papier d’argent. Il fait bon au matin.

temple Kom Ombo

Nous sommes à 160 km de Louxor, dans une courbe du fleuve. L’eau a rongé la rive, dressant une falaise au-dessus du lit. Les felouques nous déposent dans une décharge près de la ville où sont ancrés les bateaux-usines. Nous marchons quelques centaines de mètres jusqu’au temple de Kom Ombo. Nous n’y pouvons pénétrer car il nous faut un guide : un étranger n’a pas le droit de guider, pour ne pas enlever les dollars de la poche des Égyptiens. Notre guide locale, une femme, s’est dégonflée, ou c’est son pneu, je ne sais plus, et nous l’attendons en buvant un thé dans de charmants jardins au bas de la terrasse du temple.

kom ombo personnages

De hauts-reliefs ornent les murs ; des bas-reliefs sont sculptés sur les colonnes. La ligne de coupe des blocs passe sur le nez pour la part Horus du temple ; elle passe sur l’œil dans la part Sobek. Ce temple d’époque ptolémaïque (332 BC) est en effet double. Il comprend deux sanctuaires dédiés au faucon et au crocodile, la puissance du ciel et la puissance des eaux. Horus est l’œil qui crée et fait ; il contrôle ainsi Sobek qui est museau dévorant, agressivité et fureur.

kom ombe bande dessinee

Ce temple était lieu de soins pour le corps et l’esprit. Une vaste cour aux colonnes portant encore des couleurs vives, puis deux salles successives aux colonnes ornées de bas-reliefs saisissants de vie.

kom ombo steles

Si l’architecture est massive et présente esthétiquement peu d’intérêt, les stèles sont de vraies bandes dessinées. Sur le mur d’enceinte sont figurés des instruments de chirurgie, dont « des pinces pour tirer les vers du nez ». Isis est assise sur un siège d’accouchement. Un pavillon à l’entrée contient la momie de deux crocodiles du Nil embaumés et desséchés. Ils attendent sous verre les visiteurs dans la chapelle d’Hathor.

kom ombo vautour

Les détails des mains entrelacées et du pied aux doigts tous sur le même plan sont délicieux ! Ils disent toutes les règles obligatoires de l’art égyptien : ne rien oublier des corps dans l’éternité.

kom ombo mains et pied

Plusieurs classes d’écolières visitent le site et nous regardent avec curiosité. Elles ont douze ou quatorze ans et portent le foulard. Leur goût est peu éduqué mais on sent dans leur vêture une recherche de parure. Les garçonnets en visite, de deux classes plus jeunes, paraissent plus bruts. Certains portent deux pulls malgré les 30° de cette fin de matinée. Un gavroche se distingue par sa chemise ouverte sur la peau et exhibe des pectoraux effrontés. Il n’a pas dix ans et il joue déjà au petit mâle.

kom ombo bas reliefs

Les abords du temple font tiers-monde. Alors que nous regagnons les felouques, ce ne sont que gravats, sacs plastiques au vent, béton inachevé ou constructions extravagantes, tel ce « Café Horus » multicolore et tarabiscoté.

colonnes temple kom ombo

Une heure de felouque nous permet de consulter les guides de voyage pour en savoir un peu plus sur le temple que l’on vient de voir et pour rédiger quelques pages de carnet. Il fait chaud. Adj et l’un des felouquiers se sont mis nus entre hommes et s’arrosent ; ils rient comme des gosses.

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