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Eric H. Cline, 1177 avant JC – Le jour où la civilisation s’est effondrée

La croyance issue des Lumières, à la suite du christianisme, était que le Progrès suivait une voie linéaire allant de la bête à Dieu en passant l’homme, de la loi de la jungle après Babel à la cité idéale du monde globalisé. La République universelle faisait bander Hugo, dans son enflure romantique jamais avare de formules. On a pu penser avant 1914 que la mondialisation du commerce allait éradiquer les guerres et assurer la prospérité de tous, les « grands » (Blanc, mâles, urbains des empires) allaient guider les « petits » (Nègres ou Jaunes, filles, paysans du monde qu’on ne disait pas encore « tiers »). On a pu croire après 1918 et avec la Société des Nations que la Paix universelle pourrait être assurée par un collège de puissants ; et encore après 1945 avec « le Machin » qu’évoquait de Gaulle, cet ONU qui n’a pas grand-chose de l’union mais garde beaucoup des nations sans pour autant les organiser autrement que par la loi du plus fort. De même, avec les nouvelles TIC (technologies de l’information et de la communication), a-t-on pu croire, au tournant des années 1990-2000 que les arbres allaient monter jusqu’au ciel, les hommes vivre plus longtemps et plus riches en travaillant moins, et la planète se gouverner pour la maintenir durable. Las ! il a fallu déchanter. L’immonde tropisme fanatique a fait ressurgir la vieille religion dans son sens le plus stupide – la lecture littérale – tandis que les micro-nationalismes font fermenter les égoïsmes, chacun se voulant chez soi avec ses vaches bien gardées.

Car le monde global est une croyance.

Elle ne dure que tant que l’on y croit et ne réussit à devenir réelle que si la foi la « charge » d’énergie qui vont dans ce sens. Or il suffit de peu de chose pour court-circuiter le système : un changement climatique, des famines, des fanatismes, des guerres, des migrations, l’avidité financière ou – tout simplement la bêtise humaine.

C’est ce qui est arrivé voici tout juste 3194 ans, si l’on en croit l’historien anthropologue américain Eric H. Cline, de l’université George Washington. Le monde globalisé de l’âge du bronze s’est effondré en quelques décennies partout autour de la Méditerranée ; il avait duré trois siècles. Minoens, Mycéniens, Hittites, Assyriens, Babyloniens, Mitanniens, Cananéens, Chypriotes et Égyptiens commerçaient entre eux, entretenaient une diplomatie, s’alliaient contre les trublions. Brutalement, tout s’est effondré.

Et si c’était justement cette interdépendance cosmopolite qui a contribué au désastre, s’interrogent les savants ?

Il suffit d’un choc quelque part – ou plutôt d’une série de chocs divers et répétés – pour que l’interconnexion ait un effet dominos. Les civilisations prospères ont été détruites par le fer ou par le feu. Les explications sont détaillées dans le livre, mais aucune ne suffit par elle-même pour provoquer un effondrement. Des tremblements de terre sont attestés à Mycènes et ailleurs ; des famines ont eu lieu à cause d’un épisode de sécheresse persistance en Méditerranée orientale ; des révoltes sociales ont eu lieu contre les élites ici ou là, des révolutions de palais en Égypte et autres lieux ; des migrations plus ou moins armées ont déferlé en provenance du monde grec (les Doriens), de l’Anatolie de l’ouest, de Chypre ou de plus loin (les Peuples de la mer) ; les routes commerciales internationales ont été coupées et les importations ou exportations éradiquées. Mais rien de suffit à lui seul à expliquer l’ensemble.

Faut-il faire appel à la théorie des systèmes complexes comme pour un krach boursier ? Les désintégrations partielles ont un effet de système parce qu’elles se propagent et reviennent en retour pour que l’équilibre ne soit plus jamais le même. Si loin dans le temps, nous en sommes réduits à des hypothèses. Mais les preuves archéologiques sont là pour marquer les catastrophes autour de la Méditerranée et acter le passage de l’ancien âge du bronze ou nouvel âge du fer, d’un monde globalisé à un monde morcelé en cités-états défensives et armées, plus autarciques qu’avant. La civilisation a régressé durant quelques siècles avant de repartir.

Est-ce ce qui nous guette ?

La mondialisation actuelle a ses fragilités. L’égoïsme nationaliste revient, aux États-Unis, en Russie, en Turquie, en Chine, en Iran, au Royaume-Uni – et même dans les micro régions que sont la Catalogne, l’Écosse, la Corse ou même le Kosovo. L’avidité financière ressurgit avec cette absurdité du bitcoin, cette monnaie hors État et hors contrôle, uniquement composée de bits à la merci d’une panne électrique globale, d’un hacking nord-coréen, mais aussi avec les bulles qui se créent périodiquement à cause des modes, puis des croyances, avant de se résoudre en krachs de plus ou moins grande importance. Le climat se réchauffe et certains événements pourraient devenir irréversibles, comme l’inversion du Gulf Stream ou l’augmentation des oscillations El Niño, engendrant hausse du niveau des mers, sécheresses et incendies, tempêtes et inondations, famines et rupture des transports, ou encore raréfaction de l’énergie et réduction drastique du niveau de vie. Les guerres des fanatismes engendrent des attentats, des migrations massives, qui suscitent en réaction des rejets culturels et des fermetures de frontières pouvant aller jusqu’à la guerre civile.

Aucune de ces fragilités n’est peut-être suffisante pour faire s’effondrer tout notre système, comme à la fin de l’âge du bronze, mais leur accumulation répétée le fragilise. Il suffirait d’un déclencheur…

Eric H. Cline, 1177 avant JC – Le jour où la civilisation s’est effondrée, 2014, La Découverte poche 2017 (7ème tirage), 261 pages, €11.00, e-book format Kindle €9.99

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Theodore Sturgeon, Les talents de Xanadu

Edward Waldo, dit Theodore Sturgeon du nom donné par son beau-père, est mort en 1985 et il ne dira rien à la jeunesse d’aujourd’hui : c’était avant Internet ! Mais il a été l’auteur de science-fiction le plus populaire des Amériques dans les années 1950. J’évoque peu la science-fiction sur ce blog, voire pas du tout, mais j’ai beaucoup aimé le genre étant adolescent. J’y reviendrai probablement.

Dans ce recueil de sept nouvelles, Sturgeon applique à la lettre son principe majeur : « rien n’est jamais absolument comme il devrait être ». C’est ainsi que dans L’hôte parfait, un jeune garçon de 14 ans qui attend son père à la porte de l’hôpital où sa mère accouche d’une petite sœur, aperçoit à la fenêtre une femme à poil qui l’interpelle. Et pof ! Elle se jette dans le vide et s’écrase huit mètres plus bas sur le pavé, aux pieds de l’adolescent. Sauf qu’elle n’est plus là… C’est le début d’une histoire de possession, une Chose qui pénètre les esprits pour s’y lover et se repaître des joies humaines.

Maturité met en scène un homme resté enfant, créateur de dizaine de gadgets, écrivain, artiste – en bref l’insouciance à l’état pur. Les docteurs et savants qui veulent le transformer pour le faire mûrir croient qu’une fois pleinement adulte, il épanouira son talent. Mais si la source de création était justement l’esprit d’enfance ? L’auteur s’est marié 5 fois et a eu 7 enfants, il sait de quoi l’enfance est capable. Les transformistes de notre siècle, deux générations après l’auteur, auraient-ils déjà tort ?

Mais la première nouvelle, qui donne son titre au recueil, est pour moi la plus profonde. Le soleil a explosé et l’humanité s’est empressé d’essaimer. Bril est un envoyé spécial d’une planète humaine qui veut fédérer les autres sous sa coupe. En bon Américain technomaniaque et formaté à la discipline, l’auteur l’a doté d’une armure à l’épreuve des projectiles et d’armes diverses dissimulées dans ses manches et ailleurs. Mais l’homme tombe sur Xanadu, cette planète où l’humanité vit comme à l’Age d’or. Les gens ne portent rien sur eux, qu’une ceinture de composition chimique que tout le monde connait et peut reproduire, qui les vêt de couleurs chatoyantes comme un champ de force arachnéen ne laissant rien ignorer de leur harmonieuse anatomie. Tout est plaisir et jeu sur cette planète. Les maisons se construisent à plusieurs, chacun communiquant instantanément sans avoir besoin de parler, puisant son savoir technique dans les bases de données interconnectées. L’amour y est d’évidence et la jeunesse perpétuelle.

L’intérêt de cette fiction est de nous plonger dans l’univers fantasmé de Karl Marx jeune, lorsqu’il rêvait du communisme utopique où la propriété ne saurait exister puisque chacun est doué de tous les talents et travaille par jeu en collectivité. Sans propriété, pas de violence, pas même de pudeur bourgeoise puisque tout le monde est égal aux autres. L’état de nature est l’état de sa nature, un naturel où l’accord est avec soi-même parmi les autres et dans la nature.

Autour de 1968, cette utopie renaissait dans le Flower Power, dans les communautés hippies où tout et tous étaient à tout le monde, amour en bannière (mais sexe à gogo). La nouvelle reflète ce monde-là mais le transcende par sa chute : car ce paradis retrouvé est le moyen le plus sûr pour convertir l’humanité entière, même les planètes militaires ! Une utopie à méditer.

Theodore Sturgeon, Les talents de Xanadu (nouvelles de SF), 1972, J’ai lu 1999, 319 pages, occasion €1.30

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Connaissez-vous les signaux faibles ?

Philippe Cahen est économiste en prospective. Il a mis au point une méthode de veille économique originale et prometteuse : la traque aux « signaux faibles ». « Il s’agit de chercher dans l’actualité des événements qui passent inaperçus mais qui préfigurent l’avenir », écrit-il. Pour quoi faire ? Pour établir le socle de scénarios dynamiques pour les secteurs et les entreprises.

Une conférence fait le point à Paris le jeudi 29 septembre.

Petits signaux, grandes conséquences : le signal faible fait penser, il demande pourquoi et avec quelles conséquences, il interpelle. Cette hygiène est vitale pour l’entreprise, confrontée à la concurrence et à la versatilité de ses marchés ; elle devrait être la méthode de l’économiste, qui le plus souvent prédit l’avenir à l’aide de rétroviseurs. C’est dire si cette discipline de traque intelligente est urgente dans un monde sans cesse en mouvement et interconnecté à la vitesse de la lumière.

C’est par exemple le signal faible de voitures robustes et pas chères, lors d’un voyage en Russie, qui a fait lancer la Logan par Louis Schweitzer. Les bureaux d’études de Renault se sont montrés plutôt réticents… mais les marchés occidentaux ont tranché : c’est un succès !

Quelques exemples de signaux faibles, donnés par Philippe Cahen dans sa lettre mensuelle de septembre 2011 aux décideurs :

Greenpeace accuse la toxicité des vêtements produits en Asie. « Mon signal faible, c’est qu’il vaut mieux être le premier à connaitre la norme ISO 26000 que le dernier. »

« Apple a été quelques jours en août la plus grande société cotée en bourse du monde, elle a plus de liquidités (76 Md$) que les États-Unis qui ont « failli » être mis en défaut et ont été dégradés par l’agence de notation Standard & Poor’s. Les entreprises américaines sont riches de plus de 1200 Md$. Donc aujourd’hui, l’argent est dans les entreprises, plus dans les États. « La puissance est dans le créateur de richesse, la dette est dans le « sauvegardeur » du social. Il ne faut pas que l’une des jambes soit malade… »

« L’Angleterre s’enflamme comme le Chili, comme l’Espagne, comme Israël : des pays riches et en croissance. Mais les études prospectives britanniques l’avait prévu il y a déjà plusieurs années : le prolétariat de demain ce sont les classes moyennes qui réagiront avec des méthodes marxistes. Le plus « amusant » est que ces révoltes touchent aussi la Chine où l’on compterait 493 révoltes par jour.  » En fait le malaise profond des classes moyennes et des jeunes est mondial avec ce monde qui change très (trop ?) vite. »

L’information est à l’infini, mais noyée dans la masse. La première chose est d’établir un état d’esprit curieux, ouvert, critique. La seconde est de recueillir ces signaux faibles, puis de les classer afin d’en révéler leur intérêt. Ensuite d’imaginer les ruptures possibles demain. Enfin d’atterrir dans l’entreprise précise pour que la méthode serve à sa stratégie de développement : de quoi animer des réunions de créativité avec une méthode précise.

Philippe Cahen, Signaux faibles mode d’emploi, Eyrolles-éditions d’Organisation, 164 pages, 2010, €21.85

Conférence avec Jacqueline Théault. « Signaux faibles et ISO 26000, enfin un changement de comportement ». Jeudi 29 septembre à 8 heures, à l’hôtel Bedford, 17 rue de l’Arcade, 75008 Paris. Places limitées, inscrivez-vous ici.

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