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L’Arrangement d’Elia Kazan

Trop long, trop « lourd », surjoué, ce pensum de la fin des années 60 est devenu un film culte sur le fait d’avoir raté sa vie. Quoi de plus triste en effet que d’être le spectateur de son existence ? Eddie Anderson (Kirk Douglas), la quarantaine et publicitaire à succès pour des cigarettes qui donnent le cancer, vit dans une grande villa avec gens de maison et sa femme Florence (Deborah Kerr) dans la banlieue de Los Angeles. Il a des maîtresses, mais il n’est pas heureux. Tout lui semble formaté, casé, faux – comme les sièges sagement alignés devant sa piscine vide. C’est tout le spleen des années 60 qui aboutira au mouvement hippie et au refus de la « société de consommation ». Avoir toujours plus ne rend pas plus heureux – au contraire – l’avoir est au détriment de l’être.

Rien de plus parlant que la première scène où l’on voit le couple dormir dans des lits jumeaux identiques, se lever au même moment sur le son de la même radio, prendre chacun sa douche dans son cabinet de toilette séparé, et se mettre à table pour le petit-déjeuner en mangeant la même assiettée d’œufs tout en écoutant la même radio qui passe sempiternellement la même publicité pour les cigarettes Z – dont Eddie a fait la pub. Tout est mensonge, depuis l’amour de convention dans le couple, l’amour en apparence filial pour la fille qui s’en fout, l’amour du métier qui conduit aux mensonges publicitaires, l’amour du patron pour son collaborateur à idées qui ne voit que son intérêt en dollars.

Tout est lourd de sens, caricatural, jusqu’à la maîtresse Gwen (Faye Dunaway), sorte de joker dans l’existence bien réglée, qui se montre comme l’envers absolu de l’épouse fidèle et soumise. Elle est mystérieuse, sourit sans raison ; elle est directe et sans faux-semblant, se moque du mâle dans son rôle professionnel ; elle joue la pute à la perfection, l’excite en lui énumérant tous les mecs qui l’ont baisée dans la même soirée, avoue un bébé dont elle dit ne pas savoir qui est le père bien qu’il puisse être d’Eddie lui-même. Elle en fait trop, hystérique dans ses colères, putassière dans ses enlacements nus sur le lit ou sur le sable ; elle le quitte brusquement en déclarant vouloir vivre seule, déçue des hommes, mais lui revient sans cesse comme un moustique attiré par la chaleur mâle pour piquer la peau et pomper le sang vital.

Kirk Douglas passe d’une outrance à l’autre, Eddie provoque son accident de voiture sous un camion – symbole de la Consommation sur la route américaine – tout en se baissant quand même pour éviter d’être tué. Il manifeste par là non son désir de mort mais son désir de rupture, de recommencer à zéro. Soigné, il est muet devant sa femme, puis déclare à son patron qu’il ne reviendra pas au travail. Il passe d’un air torturé à des fous-rires nerveux de grand malade. Le psy de l’épouse, l’avocat du couple, le frère d’Eddie, se liguent pour le ramener à la « normale » mais lui renâcle. Il se met du côté de son père, vieillard dont la fin est proche, qu’il n’a pourtant jamais aimé. Il s’est construit contre lui, contre son désir de le faire entrer dès 14 ans dans « le commerce » comme le Grec qu’il était, alors que sa mère, en apparence soumise, l’a forcé à aller au collège et à suivre des études comme un bon petit Américain intégré. Eddie s’est construit contre son père mais comprend sa révolte contre les institutions et les règlements qui voudraient l’envoyer en maison de retraite. C’est d’ailleurs ce que complote sa femme avec son avocat et son psy, de l’envoyer lui dans une maison « de repos » pour qu’il « se retrouve », alors qu’il délire hors des normes. Elle lui fait signer tous les papiers pour cela : il renonce à ses biens, à son libre-arbitre.

Le film d’Elia Kazan est issu d’un livre qu’il a écrit et lui-même publié en 1967. Bien qu’il s’en défende, c’est une sorte d’autobiographie sociale, montrant le décalage des années 60 qu’il vit avec les années 50 de son enfance. Le modèle familial sain avec réussite professionnelle et reconnaissance des pairs, sinon des pères, a vécu, effondré sous les objets achetables. Mais le bonheur n’est-il pas factice si l’on n’est pas soi-même ? Jouer un rôle social suffit-il pour être heureux ? Intégré, oui, épanoui, non. Eddie et Florence n’ont pas eu d’enfant et ont dû adopter une fille. Est-ce cela l’accomplissement de son destin d’humain ?

Lorsque Eddie rencontre le bébé Andy, il mesure le décalage entre son couple factice d’adoptant avec Florence et le couple biologique qu’il forme avec Gwen. Ce choc provoque des étincelles dans le Golem qu’il est devenu. Il redevient vivant en quittant son costume social pour réendosser la peau de compagnon et peut-être de père. Est-ce son fils ? Gwen dit que non, elle a « fait les calculs ». Mais que valent les calculs contre l’humain ? Eddie se réfugie hors du monde social, chez les fous qui sont l’inverse des normaux. Il ne veut plus accumuler pour avoir, il veut seulement être. C’est là qu’il peut dire à Gwen qu’il « l’aime ». Et ce sentiment apparaît plus vrai que les fois précédentes où il l’a dit, mais où il n’était pas lui-même, seulement un rôle social – même lorsqu’il courait tout nu sur la plage avec elle, sans le costume social et le démon de sa quarantaine. Gwen la sauvageonne, semble le comprendre et cette fois l’accepter.

DVD L’Arrangement (The Arrangement), Elia Kazan, 1969, avec Kirk Douglas, Faye Dunaway, Deborah Kerr, Richard Boone, Hume Cronyn, Warner Bros Entertainment France 2006, vo st ou doublage français, 2h05, €35,00 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Antonin Artaud, L’ombilic des limbes

Peut-être sa maladie mentale a-t-elle fait toucher à l’auteur l’essence de l’être ? Comme Nietzsche, lui aussi atteint par l’anormalité psychique, Antonin Artaud peut écrire : « je ne conçois pas d’œuvre comme détachée de la vie » p.51.

Vieux débat qui remonte peut-être à celui de l’âme et du corps, l’une immortelle et présentant seule une valeur, l’autre terrestre et limitée par la mort. Débat qui a commencé avec la Bible dans notre culture et qu’aujourd’hui dépasse peut-être, mais qu’il est bon d’examiner. « Il faut en finir avec l’Esprit comme avec la littérature. Je dis que l’Esprit et la vie communiquent à tous les degrés. Je voudrais faire un Livre qui dérange les hommes, qui soit comme une porte ouverte et qui les mène où ils n’auraient jamais consenti à aller, une porte simplement abouchée avec la réalité » p.52.

Ôtons l’enflure des majuscules, trait d’époque entre-deux-guerres, relativisons avec un peu moins de sérieux, et nous aboutissons à ce qui devrait être une évidence : que la littérature n’est pas l’écriture perpétuelle d’une Bible, inspirée par on ne sait quel esprit transcendant, mais « cette cristallisation sourde et multiforme de la pensée, qui choisit à un moment donné sa forme » p.56. Une expression personnelle et intime qui, par là-même, touche à l’universel. En effet, « je suis seul juge de ce qui est en moi » p.72.

Etonnant Artaud, il est le fou dans une cour qui se veut trop rationnelle. L’enfant du conte qui déclare tout cru voir le roi nu. Les années 30 ont précipité la folie des sociétés par le nationalisme, l’utopie communiste, la guerre, les chimères. Être Artaud alors était révolutionnaire. Mais aujourd’hui ?

Aujourd’hui, comme toujours, l’enrégimentement des esprits, des passions et des corps n’a pas disparu ; il a pris seulement d’autres formes. L’hygiénisme social, la contrainte morale écologique, le catéchisme du « correct », les tabous de l’expression, la moraline de l’acceptable, le bourrage commercial du temps de cerveau disponible, la mode et les tribus en réseau, sévissent toujours, et en force. Ils n’ont guère de contre-pouvoirs. Artaud reste celui qui dérange et relire ces textes parus en 1927 est salutaire

Antonin Artaud, L’ombilic des limbes, 1927, Poésie Gallimard 1968, 256 pages, €7.40 e-book Kindle €6.99

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Complainte au percepteur

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Shock Corridor de Samuel Fuller

Un journaliste atteint de démesure (Peter Breck) veut résoudre l’énigme d’un meurtre en se faisant passer pour fou. Il veut intégrer l’asile d’aliénés (pardon, la clinique où « l’on soigne les patients atteints de troubles de la réalité ») pour savoir auprès des trois témoins dérangés cachés sous la table qui est l’auteur d’un meurtre perpétré dans les cuisines, ce que la police n’a pas résolu. Visant le prix Pulitzer qui récompense les meilleurs journalistes, il entreprend, avec la complicité de son rédacteur-en-chef, d’apprendre sa leçon de folie auprès d’un psychiatre expert en guerre psychologique.

Seule sa maitresse (Constance Towers) voit l’aventure d’un sale œil car elle croit – en bonne behavioriste américaine – que jouer un jeu c’est devenir son personnage. La méthode Coué ne dit pas autrement, tout comme Lorenzaccio chez Musset. Le « dressage » change l’homme et s’il simule, la durée l’emporte. C’est ainsi que l’un des fous témoins est devenu « communiste » par lavage de cerveau en Corée : il a joué le rôle du converti pour avoir de meilleures conditions d’existence dans le camp de prisonniers et a fini par ressembler à ses bourreaux – jusqu’à ce qu’un sergent américain, un vieux de la vieille, lui fasse prendre conscience de sa mutation. Il est alors devenu fou et rejoue sans cesse la guerre de Sécession (autre folie schizophrène américaine).

Tout se passe bien au début, le journaliste parvient à bluffer le docteur (Paul Dubov) en récitant sa leçon apprise de fétichiste incestueux. Il fait croire qu’il a eu des pulsions sexuelles envers sa sœur unique lorsqu’il avait dix ans, caressant ses nattes, l’embrassant, avant de tenter de la violer à trente ans. La maitresse, stripteaseuse dans le civil (un autre jeu simulant le désir sexuel), finit par accepter de jouer son rôle, par pur amour. Mais elle se rend vite compte que son amant décroche.

A vivre sans cesse parmi les fous, à prendre les médicaments prescrits, à subir les électrochocs en cas de violence, la réalité se brise. On intègre un autre univers : celui des semblables qui vous entourent et que l’on rencontre dans « la rue » – un couloir entre les chambres où chacun peut se promener librement. Subrepticement, sans que l’on s’en rende compte, l’environnement rend autre car conforme aux autres. Le huis-clos d’asile est une métaphore de la société américaine. Le lieu « qui n’est pas une prison » empêche cependant d’en sortir et les « scientifiques » savent mieux que vous qui vous êtes et comment vous allez réagir. Vous n’êtes « guéri » que lorsque vous devenez socialement correct, réalisant strictement ce que la société attend de tous.

Quant aux personnages, dont la galerie est pittoresque, ils représentent les divers aspects de la société yankee : les nymphomanes obsédées de sexe qui dessinent des hommes nus bodybuildés sur les murs et se jettent sur tout mâle pour le mordre et le dévorer, l’obèse qui répète un opéra car il a eu sa première crise cardiaque lors d’une écoute (Larry Tucker), le nègre qui se prend pour le chef du Ku Klux Klan parce qu’il a été l’un des premiers à intégrer une université blanche sous Kennedy (Hari Rhodes), le savant atomiste qui retombe en enfance pour ne pas voir l’apocalypse qui vient, le soldat fier de son pays envoyé en Corée et qui devient fan du communisme.

En bref, toutes les tares modernes de la société des Etats-Unis sont réunies : le sexe, la malbouffe, le socialisme, le racisme et la bombe atomique. Lorsque le nègre fou voit un autre nègre fou, il sonne l’hallali : « tuons-le avant qu’il se reproduise ! » Ce qui donne ces scènes loufoques d’inversion où un Noir parle comme un Blanc raciste et où une bande de femmes harasse un homme égaré dans leur salle. C’était étrange à l’époque, beaucoup moins aujourd’hui… même s’il est tabou et politiquement très incorrect d’accuser de « racisme » un non-Blanc ou de « viol » une femme.

La tare américaine est moins dans les conséquences que dans les causes : dans cette société où la compétition reste reine comme aux temps des pionniers, chacun est avide de reconnaissance personnelle. S’il n’y parvient pas, sa personnalité se dissocie : le personnage qu’il joue entre en conflit avec son être profond. Lorsque c’est l’habit qui fait le moine, l’humain sous les oripeaux sociaux ne vaut pas grand-chose, ballotté entre les injonctions morales et sociales des autres, n’existant que par leur regard. Le mythe du self-made-man qui s’est « construit tout seul » laisse croire qu’il suffit de volonté pour se façonner à son image idéale. Mais c’est se prendre pour Dieu, péché d’orgueil déjà puni lorsqu’Eve a croqué le fruit de l’arbre de la connaissance. L’individu perd son âme pour prendre toutes les formes (ce qui était la définition du Diable au Moyen-âge).

Le journaliste va découvrir qui est le meurtrier, profitant des rares instants de lucidité des trois témoins. Il saura la couleur du pantalon de celui qui a tué, apprendra à quel corps médical il appartient, et connaitra à la fin le nom de qui a donné le coup de couteau fatal. Le spectateur connait le tueur, il l’a rencontré depuis le début et s’est forgé une « image » de lui plutôt sympathique. Comme quoi l’apparence n’est – une fois de plus – pas la réalité. « C’est un débile qui a le prix Pulitzer », conclut le docteur psychiatre à la fin. Nul ne sait si l’amour – plus fort que la mort dans la mythologie américaine – réussira à vaincre la folie qui s’est emparé du cobaye volontaire.

Le noir et blanc accentue les contrastes entre le réel et la folie ; les inserts de séquences en couleur apparaissent comme des rêves (le nègre se voit en brun d’Amazonie, pas en noir d’Afrique ; le journaliste cauchemarde les chutes du Niagara qui menacent d’engloutir sa raison).

DVD Shock Corridor (3 DVD : Shock Corridor – avec la séquence en couleurs coupée à la sortie française – (VF/VOST), Naked Kiss – Police spéciale (VOST) + bonus, Samuel Fuller, 1963, avec Peter Breck, Constance Towers, Gene Evans, James Best, Hari Rhodes, Larry Tucker, Paul Dubov, Chuck Roberson, Univzersal pictures 2003, 1h41, €49.50

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Vladimir Nabokov, La défense Loujine

Est-ce parce, vers ses dix ans, ses parents, l’école et la société ont décidé de l’appeler par son nom de famille et plus par son prénom que le petit Loujine a, lui, décidé de se retirer du monde ? Il était en harmonie avec son environnement dans la datcha campagnarde et l’école proche de la nature. Sa transplantation dans la grande ville et les rivalités des élèves soucieux de leur statut social, l’ont fait se réfugier ailleurs… « Son nom rime avec illusion », avoue l’auteur dans sa préface de 1964.

L’ailleurs, c’est sa tante, la maîtresse de son père, qui lui offre. Non pas du sexe mais l’entremise du jeu d’échecs. Le petit Loujine (dont on ne connaîtra le prénom qu’à la toute fin du livre) se passionne pour ces combinaisons abstraites et ces stratégies compliquées qui le vengent de la réalité des autres, ceux qui se moquent de lui et le battent. Puisque le monde réel est dangereux et que l’on s’y sent vulnérable, autant se retirer dans le pur esprit mathématique du jeu. Nabokov lui-même était féru de mathématiques enfants, et joueur d’échecs ; il préférait surtout reconstituer les parties pour en analyser les coups.

Se met peu à peu en place chez lui une sorte de paranoïa sociale qui lui fait voir le monde comme une suite de combinaisons dont il s’agit de pénétrer les arcanes pour bâtir sa défense. La défense Loujine est donc cette lutte pied à pied contre ce qui arrive, ces attaques perpétuelles de tous, à commencer par celles de son père (pourtant aimant), de sa tante (qui lui est favorable), des écoliers (hostiles et vite envieux), des partenaires (qu’il s’agit de contrer) – enfin d’une jeune fille qui s’intéresse à lui et à qui il finit par proposer le mariage. Non pas pour consommer mais pour avoir la paix, comme un refuge familial, un cocon social qui lui permet de ne penser qu’aux échecs sans se préoccuper du reste.

Au point d’en devenir « fou », ou plutôt affecté d’une manie obsessionnelle allant jusqu’au délire pour les échecs, voyant des cases noir et blanches dans les carreaux de la salle de bain ou les halls d’hôtels. Sa tante le laisse devant un ami à elle qui joue, son père l’abandonne à son jeu sans pouvoir rien faire pour lui, un certain Valentinov prend sous son aile ce très jeune homme pour l’exploiter durant des années en tournois et concours, jusqu’à ce que la lassitude et les limites du joueur atteignent un stade où il ne sert plus à gagner de l’argent. Seule sa fiancée devenue sa femme en a pitié – ce qui est aussi une inversion des rôles traditionnels où l’épouse ne porte pas la culotte.

La vie de Loujine est « un schéma fatal », dit l’auteur, le monde vu comme une partie d’échecs « démolit les éléments les plus profonds de la santé mentale de ce pauvre garçon ». Tout lui fait figure et incite aux combinaisons en défense, tandis que son créateur bâtit son roman comme un problème d’échecs dont il analyse la partie jouée.

La chaleur existentielle propre à la tradition littéraire russe est présente dans ce roman plutôt cérébral à la structure complexe. Il décortique la figure d’un artiste logique proche du génie par son inventivité, mais sale, rustre, gras et mou dans la vraie vie. Car ni les autres ni le réel ne l’intéressent, il s’en défend. L’existence n’a pour lui rien de positif, il ne cherche qu’à lui échapper depuis tout petit. Son délire est vrai pour lui, son monde intérieur est le seul qu’il accepte et, dès l’école, il refuse jusqu’à son nom, qui est celui de son père et qui l’empêche d’exister. Le prestidigitateur vu enfant, tout comme le violoniste qui l’initie aux échecs au tout début de l’adolescence, lui donnent la clé pour s’échapper de sa prison. Loujine est un psychotique qui dénie la réalité. Les échecs sont un moyen pour lui de tenter de maîtriser sa vie hors de toutes les autorités paternelle, scolaires, administratives, sociales. Il refuse le nom du père – Lacan en aurait fait tout un fromage – mais le roman est plus riche que les interprétations purement sexuelles du « petit freudien », comme se moque Nabokov.

Vladimir Nabokov, La défense Loujine, 1929 revu 1964, Folio 1991, 281 pages, €8.30

Vladimir Nabokov, Œuvres romanesques complètes tome 1, édition de Maurice Couturier, 1999, Gallimard Pléiade, 1729 pages, €77.00

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Michel Déon, Les poneys sauvages

Les poneys sont ces jeunes hommes, trois Anglais, deux Français, qui se rencontrent à Cambridge avant de vivre la guerre, puis l’après-guerre. Leur sauvagerie est déboussolée par la médiocrité et le sordide de l’époque. Ils sont aussi le rappel de la nature, ces poneys aperçus un matin de Blitz par la fenêtre d’une auberge de la New Forest par Georges, l’un des membres. Symboles de la vie obstinée qui va, de la nature vigoureuse sans cesse recommencée, des enfants de ces pères désabusés qui forceront leur destin dans le déclin de l’homme blanc. « Nous avons tout à apprendre de cette génération à laquelle nous avons inoculé, sans le savoir, un immense dégoût de l’humanité, du bien, du mal, de l’ordre comme du désordre » p.266.

Comme chacun sait, les Trois mousquetaires étaient quatre, plus l’auteur. Michel Déon reprend le mythe avec Georges le Français en Athos, flanqué d’un fils de hasard (Daniel en Bragelonne), Barry en Porthos ayant une revanche de bâtard à prendre sur la vie (rapprochement avoué p.374), Cyril en Aramis beau, séduisant et poète, et Horace en d’Artagnan – tout aussi fidèle et mourant au service de la patrie. L’auteur se pose en Dumas, ayant nommé son fils Alexandre.

Tout commence en 1938 et se termine juste avant 1970, la guerre chaude se transformant très vite en guerre froide où les étudiants doués de Cambridge trouvent leurs repères mais s’y perdent, changeant d’existence comme d’identité. Seul l’auteur, en quête des personnages, reconstitue le fil. Ce ton distancié, ce style enquêteur, la variation des récits, des témoignages et des lettres, font le charme de ce gros livre.

Michel Déon y rassemble tout son propre univers : Cambridge, Florence, Positano, l’Algérie, Spetsaï, Paris. A 41 ans, il livre une sorte de bilan littéraire de ses inspirations. « La Grèce et la mer Egée où tout est toujours si beau que l’on a envie de se dépouiller, de retrouver la nudité antique pour que le corps entier goûte à la vie » p.461.

Mais ses personnages le mènent, tous un peu fous, hantés de passions qu’ils ne savent porter qu’à l’incandescence. « La passion rétrécit la vie parce qu’elle la dévore. Elle brouille les heures et les jours, elle emplit nos rêves et nos veilles, elle efface la réalité paisible, le sain mûrissement des êtres et des choses. (…) La passion reste la seule dynamique de la vie. Il faut lui être reconnaissant des œillères qu’elle pose, de son entêtement, de ses folies et de l’état de veille extralucide où elle nous maintient » p.466.

Passion que le renseignement et la manipulation ; passion que le communisme clandestin en Occident ; passion que l’amour impossible ou que l’aventure guerrière. Tous y cèdent, fors le narrateur, dont la passion est d’analyser celle des autres. Il sait chroniquer avec affection l’évolution de Daniel, son filleul, que sa mère ignore carrément et que son père trop souvent absent connait mal. Avec le petit garçon le parrain va camper dans la montagne, lui fait avouer une grave faute à dix ans, main dans la main à Nice, et prendre sa responsabilité, le recueille dans son île grecque à 18 ans, le conseille sur l’amour qu’il voue à la sœur de Cyril, Délia, possédée par son frère mort… « Daniel est comme un fils. Je l’aime et le protège autant qu’il me le permet » p.445. « J’ai été son ami depuis sa petite enfance et il m’a appris à aimer les enfants, ce dont je ne lui serai jamais assez reconnaissant » p.177. Ces remarques remuent quelques cordes en moi.

Ce qui a « choqué » les bien-pensants de 1970 sont la « révélation » que les massacres de Katyn (p.147) ont bien été le fait des communistes soviétiques, et le rappel d’une vérité soigneusement occultée qui veut qu’en 1962, la reddition des combattant de la Willaya IV de Si Salah (pp.205 et 223), ait été méprisée pour des raisons de vile politique, le général de Gaulle ayant préféré négocier avec les politiciens du FLN soigneusement planqués au-delà de la frontière tunisienne. Se mettre à dos les communistes et les gaullistes ne pardonnait pas dans la France étriquée qu’on nous vante aujourd’hui par nostalgie du « c’était mieux avant ». Rien de plus con qu’un dogmatique, qu’il soit de gauche ou de droite. Ces querelles de « vérité » sont insignifiantes en 2017, non que les imbéciles aient changé, mais ils ont investi un autre dogme à croire. « Il était possible que la vérité ne servît plus à rien, sinon à fausser les rapports de force, autre vérité plus profonde dont, un jour, sortirait un nouvel équilibre » p.302.

Roman d’une époque, d’une impitoyable critique sociale, d’une intense curiosité pour la vie – il se dit que Les poneys sauvages est le meilleur qu’ait produit l’auteur. Ce qui est sûr est qu’il a reçu le prix Interallié (décerné par un jury de journalistes) à sa parution. Je l’aime beaucoup.

Michel Déon, Les poneys sauvages, 1970, nouvelle éditions revue Folio 2010, 564 pages, €9.30

e-book format Kindle, €8.99

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Louis Gardel, Fort Saganne

louis gardel fort saganne

Voici un bon roman d’aventures qui se lit bien, sec et vif comme les arêtes des dunes, fort et dur comme la poudre qui claque. Un style d’aujourd’hui pour un récit d’hier. Une langue aussi rude que ce désert, aussi nue que ses hommes. Un pays dépouillé des scories occidentales. J’ai l’impression de lire du Kessel en moins littérateur. L’homme brut s’y révèle avec ses contradictions, ses forces et ses faiblesses, ses élans et ses démesures. Au Sahara on pouvait devenir héros, saint ou fou, c’est selon ; on ne pouvait rester cet homme moyen que produit en série l’Europe. Le climat fait craquer le vernis, comme se plaisait à dire mon capitaine instructeur au temps de l’école d’application.

Je crois que Louis Gardel avait à dire la fierté qu’il avait pour un ancêtre à lui, l’exaltation d’une époque où l’on pouvait rêver de grandeur sans être ridicule, une mission à laquelle on pouvait croire. Impérialiste et sûre d’elle-même – mais c’était l’époque ; elle est révolue mais ne la jugeons pas à l’aune de notre petite morale d’aujourd’hui.

Saganne n’est pas un militaire et tout l’intérêt de son personnage est dans ce décalage. Il est de cette trempe d’aventuriers qui ont endossé l’uniforme par infortune, pour les pays qu’il permettait de découvrir, pour les rôles humains qu’il permettait de remplir. L’inconnu des autres et de l’ailleurs plutôt que la routine des semblables et des métiers gris de métropole. Le désert adoré qui rend fou, l’âme brûlée. La résignation arabe, tout ce qui arrive arrive, s’il plaît à Dieu, Inch’Allah ! Les lieux sont vides et implacables, suscitant une philosophie de l’existence autre que dans les paysages variés et verdoyants d’Europe.

Le désert simplifie. Rien n’accroche le regard que l’étendue sans fin. A l’horizon même, la lumière fait mal. Rien ne retient la pensée qui va, librement, affolée de n’avoir rien à observer ni à moudre au début, plus calme et presque sage ensuite. La solitude permet d’aller au bout de soi. L’homme se contemple nu, débarrassé de ses masques, de ses déguisements moraux et de ses personnages. Nul n’est là – sauf Dieu – pour porter un regard qui juge ; la société est loin. On est seul, avec quelques compagnons semblables et le village arabe qui ne connait des valeurs que l’essentiel : le courage, la justice, l’honneur. Rien de trop.

Les passions sont plus vives dans les solitudes : amour, colère, désespoir, dérision, lutte à mort – aucun frein que soi, que l’idée que l’on a de soi-même. Les êtres sont si rares que les personnalités peuvent se dévoiler et prendre toute leur ampleur. Quel contraste avec ces tranchées de Verdun où pullulent les hommes ! Saganne, qui les connaîtra, pourra opposer deux mondes : celui de la personne et de la responsabilité, celui du nombre et de l’absurde. D’un côté le fort, de l’autre la tranchée, deux façons de voir le soldat – soit un homme, soit un pion ; deux façons de faire la guerre – soit avec courage et le sentiment d’être utile, soit avec indifférence car pour rien.

Fort Saganne a ce qu’il faut d’élan pour entraîner le lecteur derrière l’homme central du livre, avec cette lucide amertume qui est la vertu de nos années 1980. Coloniser est mal vu aujourd’hui, mais Gardel montre ce qui a pu être grand dans la colonisation : non pas le système mais les personnes. A l’inverse, les anciens combattants devraient être plus modestes : le Sahara révélait mieux les hommes que Verdun.

Louis Gardel, Fort Saganne, 1980, Points roman 2008, 395 pages, €7.60

DVD Fort Saganne d’Alain Corneau, avec Gérard Depardieu et Philippe Noiret, StudioCanal 2010, €13.00

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William Faulkner, Lumière d’août

william faulkner lumiere d aout
Son septième roman, le plus long, est aussi l’un des plus puissants. Le lecteur est pris par cette symphonie aux multiples personnages, envouté par une histoire qui pousse à la manière d’un arbre, allant explorer d’un chapitre à l’autre chacune des branches. Le fil conducteur est la fatalité terrible du péché originel. Qui veut comprendre un peu les États-Unis d’aujourd’hui doit se pencher sur cette histoire faulknérienne du sud, où sexisme et racisme sourdent du puritanisme. Même la musique, « comme toute musique protestante, garde toujours quelque chose de sévère et d’implacable, de prémédité et de froid » p.273. L’Amérique n’a pas fondamentalement changé : égalitaire mais libertaire, elle coagule les communautés en excluant les étrangers au lieu. Putains de puritains.

C’est le cas de deux routards entre Alabama et Tennessee, une femme blanche et un homme au quart noir : étrangers apporteurs d’étrange, ils sont traités comme des parias. La première, Lena Grove, s’est fait engrosser sans être mariée et cherche son homme qui lui a promis de l’installer – mais qui fuit sans cesse les responsabilités. Le second, Joe Christmas, a été abandonné dès sa naissance à l’orphelinat par son grand-père fanatique, parce que sa mère avait fauté avec un « Mexicain » soupçonné d’être à demi-nègre (en fait, nul ne sait) ; il sera adopté par un couple de pasteur tout aussi fanatique, fermier fouettard hanté de chair et obsédé du travail. Autour d’eux, des personnages secondaires étayent l’histoire : Byron Bunch pas encore marié à 35 ans, Joanna Burden en Yankee négrophile, Gail Hightower le pasteur ostracisé, Lucas Burch veule et fuyard, McEachern père fouettard Ancien testament, Doc Hines vieillard paranoïaque.

Le lien commun est la pureté. A divers degrés, en positif ou négatif, mais la hantise de la souillure. Lena veut être légitimée comme mère en recherchant « obstinément » (p.6 édition Pléiade) le père de son enfant ; Christmas se cherche, n’étant ni blanc ni noir, pas même sûr d’être quarteron, ayant la nausée de la baise et finissant par tuer toute ses « mères » nourricières, la sienne l’ayant abandonné ; Doc Hines qui l’a volontairement livré à l’orphelinat est un fou calme (p.95), un paranoïaque focalisé sur la souillure du sang par la faute femelle, l’envie irrépressible de baiser des filles venant pour lui du diable ; McEachern qui élèvera le garçon, est obsédé par la perte, celle de la semence et celle du travail, avare d’accumuler du mérite en obéissant au Seigneur et sublimant les pulsions par le fouet ; tous les personnages ont le dégoût du sexe, du frottement des chairs, des menstrues, des grossesses, de la ménopause. Cette quête éperdue de pureté, analogue à celle du salafisme, incite à la brutalité, à sublimer le sexe par la guerre et les désirs sexuels par les pratiques sadomasochistes. « Plaisir, extase, ils semblent incapables de supporter cela. Pour s’en évader, ils ne connaissent que la violence, l’ivresse, les batailles, la prière. (…) Et, dans ces conditions, pourquoi leur religion ne les pousserait-elle pas à se crucifier eux-mêmes, à se crucifier mutuellement ? » p.273.

La violence éradique, le fouet désinfecte, le meurtre blanchit – la barbarie fait le vide. D’où la guerre des sexes, la guerre des classes, la guerre des races, particulièrement virulentes dans les petites villes du sud des États-Unis : « les gens sont partout pareils, mais il semble que c’est dans les petites villes que le mal est le plus difficile à commettre, où il est plus difficile de s’isoler, que les gens arrivent à inventer le plus d’histoires les uns sur les autres » p.53.

Quoi de plus implacable, comme destin, que de croire en la prédestination ? La folie du Doc Hines, qui livre le bébé à l’abandon après avoir tué le père et laissé mourir la mère – sa propre fille – apparaît comme une « volonté » de Dieu. « Je l’ai marqué déjà », fait-il dire à Dieu (qui n’en peut mais) p.276. D’où cette « passivité tranquille » de Christmas (p.120) et de Lena, la « lente indécision » (p.8) des paysans « pour qui le temps ne compte pas » (et qui rappelle furieusement celle de François Hollande). Si tout est écrit, si tout doit arriver, pourquoi s’en faire ? Le destin s’accomplira comme une volonté de Dieu, il suffit de « laisser du temps au temps » comme l’affectionnait Mitterrand. Quand on a l’identité coupable, la punition vient inéluctablement. Joe Christmas comme Joanna Burden se persécutent comme des frères ennemis, la Femme et le Nègre représentent l’altérité radicale, en ce pays, à cette époque.

negre lynche au texas 1910

L’ordre social exige le dressage de ces enfants du diable et le refoulement des pulsions qu’ils suscitent. Trois femmes et un nègre vont mourir dans le roman, pour assurer cet ordre que le jeune Percy, « fana mili » comme on dit aujourd’hui, parfait fils d’Amérique dans la Garde nationale, accomplira en tuant puis châtrant Christmas pour avoir égorgé la femme blanche. Les sociétés closes sont effrayées du mélange, hantées par l’impur. Nègre blanc est la pire condition, bouc émissaire facile pour les anges exterminateurs, leaders de leur communauté. Il faut écouter Percy dans son idéal : « foi sublime et implicite dans le courage physique et l’obéissance aveugle ; conviction que la race blanche est supérieure à toutes les autres races, et que la race américaine est supérieure à toutes les autres races blanches, et que l’uniforme américain est supérieur à tous les hommes, et que sa propre vie serait le seul paiement qu’on lui demanderait jamais en échange de cette conviction, de ce privilège » p.335.

Écrit en 1932 alors que l’Europe se fascisait à toute allure après la crise de 1929, William Faulkner montre combien ce qu’on reproche aux autres est aussi en soi : le fanatisme, la xénophobie, le racisme. Nazisme, communisme, salafisme, sont quelques-unes de ces convictions dogmatiques éprises de pureté absolue qui considèrent tous les non-membres comme des sous-hommes – et sont hantées par la souillure.

Faulkner montre au contraire que la vraie vie n’est pas puritaine. Obéir à l’Ancien testament n’est pas une œuvre pie mais une névrose collective du surveiller et punir. « Chiennerie et abomination », éructe le vieillard Hines, poussé par une pulsion de mort au point de tout liquider autour de lui, son gendre, sa fille, sa femme, et à tourmenter son petit-fils jusqu’à la fin de ses jours. Est-ce cela, la vie ? L’inverse de la vitalité ancestrale des femmes qui mettent au monde : « Il se rappelle le jeune corps vigoureux qui, même en travail, révélait quelque chose de tranquille et de brave » p.302. L’inverse de la vitalité primitive : « champs fertiles, la vie riche et luxuriante des nègres sur la plantation, les voix chaudes, la présence de femmes fécondes, la prolifique marmaille grouillante, nue, devant les portes, et la grande maison bruyante, retentissante des cris de trois générations » p.302. William Faulkner partage peut-être certains préjugés de son temps, mais pas le racisme sûr de lui-même et dominateur des peuples qui se croient « élus ».

Faulkner se révèle ici nietzschéen dans sa critique impitoyable du fanatisme religieux, du puritanisme de mœurs, du sentiment de se sentir supérieur par obéissance à quelques simagrées prêchées en chaire. Il accuse les poètes à la Tennyson de mensonge en idéalisant la vie hors sol, pour éviter des vapeurs aux bourgeoises. « Bientôt, le joli langage galopant, la langueur anémique pleine d’arbres sans sève et de concupiscences déshydratées, commence à flotter, douce, rapide et paisible. Cela vaut mieux que la prière, et l’on n’a pas à se préoccuper de penser tout haut » p.237.

Un très grand roman des lettres américaines – celui qui vous fait voir l’actualité aux États-Unis telle qu’elle est : Abou Graïb, French bashing, Tea party, amende BNP…

William Faulkner, Lumière d’août (Light in August), 1932, Folio 1974, 640 pages, €8.93
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 2, Gallimard Pléiade 1995, 1479 pages, €58.90

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William Faulkner, Tandis que j’agonise

william faulkner tandis que j agonise

Cette farce tragique campagnarde aurait été écrite en six semaines (en réalité 47 jours) « entre minuit et quatre heures » dans une soute à charbon, dit l’auteur dans sa préface 1932 de Sanctuaire. Toute un nid de pécores ignares et superstitieux menés par une matrone – jusqu’après sa mort. Défense de rire, c’est le père qui le dit, elle n’aurait pas apprécié et le Seigneur jugera. La matriarche voulait être enterrée à Jefferson, une ville à 40 miles de leur campagne, avec ses parents à elle. Le père, humble et niais, presse tous les fils et la seule fille de s’entasser dans la charrette avec le cercueil pour aller à Jefferson. « C’est ben d’lui ça, un homme qui, toute sa vie, a laissé aller les choses sans s’occuper de rien, d’aller juste se mettre en tête de faire ce qui pourra causer le plus de tourment à tous ceux de sa connaissance ».

Le devoir, obstiné comme on travaille la terre, pas comme ces boutiquiers des villes qui s’enrichissent par leur industrie – le Seigneur jugera : faut-il vivre horizontalement dans l’immobilisme paysan ou verticalement dans la construction ? Ce sont les autres, hors de la famille, qui ont le plus de bon sens : « C’est un fait à remarquer qu’un homme paresseux, un homme qui n’aime pas le mouvement, s’entête toujours à aller de l’avant une fois qu’il est parti. C’est exactement comme quand il refusait de bouger. Comme si ça ne serait pas tant le mouvement qu’il déteste que le fait de partir ou de s’arrêter ». Les lamentables ont peu de convictions, ce pourquoi ils s’accrochent aux rares qu’ils ont, répétant et ressassant sans cesse ce qu’ils ont réussi pour une fois à décider.

Le fils aîné Cash, est menuisier appliqué et besogneux, tenant à ses outils comme s’ils étaient ses enfants ; le fils second, Darl, est voyeur et voyant « avec ses yeux étranges qui font jaser les gens », demi-fou, « la campagne coule des yeux de Darl » dit sa sœur. Dix ans séparent les deux aînés des trois autres. Le fils troisième Jewel, le préféré de sa mère, mince et dégingandé, est amoureux d’un cheval rétif – le seul vrai mâle de la famille peut-être « J’m’en fous pourvu qu’on fasse quelque chose. Rester là, plantés, sans grouiller une main… » – il est celui qui, dans la première scène du livre, trace son chemin droit sans faire de détour ; il est d’ailleurs le fils du pasteur, le vrai fils de l’amour, la mère ayant fauté… La fille Dewey Dell reste toujours nue sous sa robe mince pour se laisser caresser (entre autres) par le vent ; enfin le dernier au prénom de sénateur petit-blanc raciste Vardamon, prend sa mère pour le poisson qu’il vient de pêcher et qu’il éventrait au moment de sa mort, accusant dans sa folle tête le docteur de l’avoir achevée. Voilà du beau monde en cocon familial, les pauvres blancs du Mississippi que Faulkner a expulsés de son imagination.

Elijah Wood dans Huckleberry Finn

La mère totémique règne, même décédée. En 59 monologues, les différents personnages racontent la mort et la pérégrination pour obéir aux volontés de la défunte, véritable mante religieuse pour son mari pitoyable et ses quatre fils demeurés. Seule la fille rêve de Lafe, son amant qui l’a cloquée. Toute la nichée va subir les épreuves de l’eau et du feu, la crue du fleuve et l’incendie de la grange – sans parler de l’odeur. C’est qu’on n’atteint pas Jefferson aisément, au trot des mules et chargé du cercueil, neuf jours durant. La charrette verse parce que les bouseux ont voulu passer à gué, seule la corde avec le cheval de Jewel s’est tendue comme un sexe viril, empêchant l’eau de tout emmêler. Les mâles doivent traverser le chaos matriciel d’eau et de boue, immobile et mortifère, avant d’enterrer et de vivre enfin leurs rêves.

Faulkner peint la violence du Sud américain, le devoir exigé par la Mère, par la terre, par la nature qui donne la vie. Elle les aura fait chier, père, fils et fille, Addie Bundren après sa mort : deux mules noyées, l’épargne du père pour son dentier envolée et le cheval de Jewel vendu, les dix dollars de Dewey Dell pour se faire avorter confisqués, une partie des outils de Cash perdus et sa jambe cassée, la grange de l’hôte sur la route brûlée, Darl emprisonné… Elle les hait de leur indifférence ; elle leur a donné l’amour et la vie et ils ne la regardent pas, vaquant chacun à leurs affaires. Elle préfère Jewel qui s’en fout, tandis que Darl l’aime, mais c’est elle qui s’en fout car il est fou. Les paysages, les phénomènes, la nature, la femme, s’apparentent à une marâtre que l’illettrisme et la bigoterie empêchent de maîtriser. « La robe mouillée de Dewey Dell dessine (…) ces comiques rotondités mammaires qui sont les horizons et les vallées de la terre ».

L’être demeure seul face à sa propre existence. Jefferson est pour eux comme la Terre promise, celle qui va les libérer du joug maternel et de la norme ; la corde est comme un membre viril tendu au-dessus des eaux qui coulent comme le temps, elle permet d’avancer au lieu de se noyer. Le combat de Jewel dans le fleuve en crue pour récupérer le cercueil tombé à l’eau va-t-il contre la volonté de Dieu ? La lutte de Jewel en chemise contre Gillespie tout nu, devant la grange en feu où le cercueil menace de brûler, est-elle la lutte de Jacob avec l’ange – mais inversée ? Le diable a failli gagner, le Seigneur les a testés puis il les a libérés de la malédiction de la Femme. Enfin !

Sauf que le père, ce sempiternel minable qui retombe chaque fois dans ses ornières, a racolé une nouvelle femme à Jefferson, une moins bien…

William Faulkner, Tandis que j’agonise (As I Lay Dying), 1930, Folio 1973, 254 pages, €6.46
Faulkner, Œuvres romanesques tome 1, Gallimard Pléiade, édition Michel Gresset 1977, 1619 pages, €57.00

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Olivier Javal, Clown blanc, nez rouge

Premier roman, éditeur inconnu, mais belle prose. Ce qu’on peut dire en premier du livre est qu’il est bien écrit, Stendhal au XXIème siècle. Ce qu’on peut ajouter est qu’il s’agit d’un roman de la transmission. La quête est celle de quoi léguer : qu’a-t-on reçu à la naissance ? Puis au cours de son éducation ? Comment transmettre à son fils ou sa fille ce dont nous ne sommes que dépositaire (les gènes, les dysfonctions héréditaires) et ce que nous avons adopté (la religion, la culture) ?

Le personnage qui dit « je », Jacques, se découvre Jacob, prénom du grand-père donné à son petit-fils. Il a de temps à autre l’impression d’être très intelligent, nettement supérieur aux autres, puis sombre dans l’abattement et se cache, en proie au doute, au soupçon. Juif et fou, est-ce héréditaire ? Il se pose la question à propos de son fils, Julien, magnifique gamin adoré de ses parents et dont il trace le portrait, au milieu du livre comme au milieu du monde : « Un beau garçon, grand, blond, les cheveux légèrement frisés, les yeux vert noisette. Il était fin et intelligent » p.107. Il a alors juste dix ans.

Mais Julien, six ans plus tard, manifeste la même exaltation suivie de dépression que son père. En pire. La psychose paranoïaque, syndrome maniaco-dépressif appelé aujourd’hui trouble bipolaire est-elle une maladie juive ? Elle se transmet par l’hérédité, comme l’appartenance au peuple Élu. Le narrateur est troublé, écartelé entre sa vie quotidienne – « normale » – et son appartenance intime – « extra » ordinaire. Il trouble le lecteur non juif par cette obsession d’appartenir. Après tous les mélanges ethniques, durant des siècles, après l’assimilation citoyenne sous Napoléon, quelle importance cela a-t-il de se croire « juif » quand on ne croit pas en Dieu ? Ce père intégré, laïc, matheux, qui réussit sa carrière et aime son fils, semble se faire son film : on ne naît pas juif, on le devient. « A me vouloir non-juif, on m’avait fait juif, dans le sens où ma seule interrogation sur ma judéité me faisait juif » p.83. Tordu : les Corses, les Basques ou les Bretons ont-ils de ces interrogations métaphysiques ? Est-ce un péché originel de naître « juif » ?

C’est là où intervient le trouble bipolaire. Concilier les inconciliables entre la laïcité « normale » de tous les jours et l’identité héréditaire fantasmée, n’est-ce pas une double contrainte qui aboutit aux bouffées délirantes ? Clown blanc, clown rouge : petit garçon il jouait alternativement les deux au retour du cirque, comme s’il se dédoublait. D’où le titre du roman, face blanche et nez rouge, apparence « normale » et hérédité juive maniaco-dépressive. Comment se guérir, puisque toute guérison passe par l’acceptation de ce qu’on est et que cette acceptation paraît problématique ? Pourquoi l’est-elle ? Est-ce le regard des autres ? Pour transmettre, il faut accepter de recevoir – le contraire de ce que prônait la révolution de mai 68, faussement libératrice, que l’auteur et son personnage ont testée. « Je pensais de plus en plus que l’on devait assumer la transmission de ce que l’on avait reçu, qu’elle soit positive ou négative » p.146. C’est le cas de Mary, sa première femme, la mère de Julien. Elle découvre son grand-père communiste et son père collabo. Elle en est obsédée.

La quête un peu sadomasochiste du narrateur va consister à sauver son fils, atteint des mêmes maux, par le sacrifice de soi. La crucifixion à l’envers pour cause de péché originel, le meurtre du père freudien, l’obéissance au destin (autre nom de Dieu chez l’auteur ?) qui est de s’effacer pour que renaisse le gamin. Pour survivre, il est nécessaire de créer. « Les contradictions sont le germe de la création » p.126. Être père est une création, écrire un roman aussi, peut-être même bâtir sa vie (ce que disait l’existentialisme). « Une grande partie de l’art est un partage de la souffrance » p.136. L’auteur est décrit en poulpe « qui parle beaucoup, fait des nœuds avec ses multiples pattes, et sourit avec un charme infini » p.126.

Le charme est bel et bien ce qui subsiste, une fois la dernière page tournée. Paris, Paramé ; Venise, Louxor. Quels que soient les lieux, même magiques, « la vie nous apprend à dominer nos souffrances pour ne pas qu’elles nous tuent une deuxième fois » p.236. Ce mantra revient trois fois dans le livre, les trois coups du destin – assumé.

Olivier Javal, Clown blanc, nez rouge, juin 2012, éditions Kirographaires, ISBN 978-2-8225-0282-5, 236 pages, €18.95 (pas encore référencé sur Amazon)

Olivier Javal est un pseudonyme. L’auteur, prudent sur les réactions sociales (il a raison), est docteur-chercheur en informatique, où il a longuement œuvré. Comme beaucoup, écœuré par le système, il s’est reconverti dans la médiation familiale et le droit. Dans ce premier roman, il parle de lui (polytechnicien, juif, bipolaire) mais au travers du prisme littéraire.

Les petits éditeurs ne sont pas toujours professionnels. Il subsiste des incohérences ou des coquilles dans ce premier roman. Liste non exhaustive pour une seconde édition :

  • p.25-26 sommes-nous à Florence ou à Venise ?
  • p.55 « …même Yvette NE prononce plus son nom… »
  • p.72 et passim : poncif d’époque qui consiste à « échanger » avec quelqu’un sans préciser jamais quoi. On n’échange pas en soi, mais quelque chose : des fluides, des idées, un cadeau.
  • p.178 « l’enterrement de MON père » : n’est-il pas aussi celui de Nicolas, frère du narrateur, auquel celui-ci s’adresse ?
  • L’orthographe du fastfoodeur McDonald’s n’a rien à voir avec celle du maréchal d’empire Mac Donald, qui a un boulevard à Paris. Lieutenant-colonel s’écrit sans majuscules et avec trait d’union.

Si vous voulez mesurer la fatuité intello-bobo du médiatique à la mode, ne manquez surtout pas l’article de Libération : il ne porte surtout pas sur le livre mais sur le buzz médiatique d’une attachée de presse assez rusée pour faire mouche ! La bêtise de la mode… Flaubert en aurait fait tout un livre trempé dans l’acide.

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Piafs de Tahiti

Le phaeton à brins rouges est un magnifique oiseau appelé paille-en-queue à la Réunion, tavake aux Tuamotu (pas de photo, toutes sous copyright). A Raroia, les tavake assurent le spectacle par leurs parades nuptiales et s’adonnent à une véritable cacophonie. Les oiseaux ont des ébats bruyants. Les vols nuptiaux sont insolites, les oiseaux exécutent des figures circulaires et poussent des cris gutturaux. Ils démarrent par des battements d’ailes rapides, les uns suivant les autres, « freinent » en plein vol, queue à la verticale puis reprennent voltiges et ascensions, balancent dans tous les sens leurs rectrices rouges. Les parades nuptiales terminées, les couples peuplent les miki miki. La femelle élabore un nid sur le sol où elle élèvera durant plusieurs semaines son oisillon. Le mâle est impliqué et assure bien son rôle de père, participe à l’incubation et à la recherche de nourriture pour sa femelle et son petit. Tout petit, le paille-en-queue est entièrement recouvert d’un duvet blanc gris. Puis apparaissent de petites plumes blanches et noires sur les ailes et la tête. A la maturité, son plumage laiteux apparait ainsi que les deux virgules sous ses yeux noirs, et son bec devient rouge. Ces rectrices rouges de 50 cm (plumes de queue) poussent à leur tour. Ils ne se reproduiront qu’à l’âge de 4 ans. Le tavake est à l’abri des rats, chats, chiens, cochons, hommes sur l’atoll de Raroia et l’on peut se réjouir de la survie de cette espèce louée et chantée dans tout le Pacifique (te tavake no raroia ou à l’île de Pâques manu tavake).

Il y a quelques mois, un sauveteur avait recueilli deux oisillons tombés des nids à Raroia. Le jeune fou n’a pas survécu mais le jeune gygis a bien grandi grâce aux soins de son ami pêcheur. Il est devenu un bel oiseau, a pris son envol accompagné par d’autres gygis, mais il revient chaque jour à 6, 12 et 16 heures réclamer en piaillant les morceaux de poissons frais que capture pour lui son sauveteur.

Encore un oiseau en voie de disparition inscrit sur la liste des espèces à protéger : la gallicolombe érythroptère (famille des pigeons). Elle est nommée tutururu aux Tuamotu, ‘u’u’aira’o aux Îles de la Société. Il mesure 25 cm de long, le mâle est gris ardoise, ailes et dos brun-roux, tête, gorge et poitrine blanches. La femelle marron chiné de roux. L’espèce est grégaire. L’oiseau ne vole que rarement. Il cherche sa nourriture au sol et mange des graines, des fruits, des bourgeons, des petits invertébrés. C’est un oiseau endémique à la Polynésie française. Les prédateurs a conduit l’espèce au bord de l’extinction.

Les aquaculteurs de paraha peue (platax orbicularis) sont actuellement au nombre de 4, tous installés à la presqu’île : 2 à Tautira, 1 à Vairao et 1 à Teahupoo. Ils ont tous choisi de faire du grossissage dans des cages flottantes situées dans le lagon. Les alevins sont vendus actuellement 12 FCP la pièce de 10 grammes par le centre technique aquacole alors qu’en France un alevin de 2 grammes est cédé au prix de 24 FCP aux éleveurs. En douze mois, ce poisson atteindra un poids de 900 grammes ; il ne faut que 8 mois pour un poids de 500 grammes. Mais il souffre d’une forte mortalité dans le mois suivant sa mise en cage dans le lagon.

Ouf ! Les orangers de Tamanu sont saufs : le programme de replantation a commencé. Après trois heures de marche depuis Punaauia, les plants d’orangers, cinquante pour le moment, ont été replantés sur les hauteurs du centre de l’île. 150 autres seront plantés d’ici le mois de juin. Le « jardin de Tamanu » est vaste de 3,5 ha qu’il a fallu débrousser, il accueillera 200 plants d’orangers en 2012, et autant en 2013. Les pieds doivent être espacés d’au moins 3 mètres. Dans 5 ans, ce lieu devrait être un magnifique verger.

Parution de ‘Maui et la naissance des îles‘ aux éditions Haere po, 66 pages, en franco-tahitien, illustré par des dessins de Jean-François Favre. Le livre est en vente à la librairie l’Harmattan à Paris pour les farani de France ! Maui est un grand héros légendaire de la cosmogonie polynésienne.

Hiata de Tahiti

Une ancienne édition de légende disponible sur Amazon :

Edward Dodd, La légende de Maui, 1985, éd. Haere po no Tahiti, 103 pages

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Mohammed, notre Breivic national

« Anders n’est pas fou, seulement paranoïaque. Sa logique glacée vient du sentiment d’être cerné, personnellement sans amour, socialement noyé, culturellement métissé. C’est un activiste du choc des civilisations à la Huntington, proche en pensée de la droite israélienne et des Nachis de Poutine. Behring n’est pas fasciste, il ne croit pas aux mouvements de masse ni aux partis autoritaires bottés sous le charme d’un gourou charismatique. Il est hyperindividualiste, ne croyant qu’en lui-même et aux actes personnels, proche en cela des ultraconservateurs américains, libertariens adeptes des milices armées civiles. Ce pourquoi les bobos intellos du Nouveau Snob se trompent, trop bardés de tabous politiquement corrects pour comprendre la différence entre extrême droite et anarchisme. »

Ainsi écrivis-je en juillet 2011 sur « le monstre » de Norvège. Il me suffit de répéter ce texte pour l’appliquer tel quel à Mohammed Merah. Islamisme et anarchisme hyperindividualiste se confondent lorsqu’il s’agit de passer à l’acte pour éradiquer « tous les aliens ». Et les bonobos de gauche (bourgeois NouvelObs bohêmes) qui accusaient déjà l’extrême-droite s’en mordent les doigts. C’est que le politiquement correct pavlovien n’explique rien, il dissimule. On ne veut pas voir…

Oui, l’islam, comme toutes les religions (y compris la communiste), suscite son propre intégrisme.

Mais il ne faut pas confondre l’islam avec l’islamisme, ni la politique d’Israël à Gaza avec le judaïsme, ni le christianisme avec l’Inquisition, ni la philosophie de Marx avec la Tcheka créée par Trotski, les camps par Lénine et les massacres de masse par Staline, Mao et Pol Pot. Mohammed a assassiné une fillette de sept ans en l’attrapant par les cheveux avant de lui loger une balle dans la tête. Le prophète Mohammed ? Non pas, mais d’un croyant qui porte ce beau nom pour en salir la mémoire. On peut très bien analyser, juger et condamner les massacreurs sans manquer de « respect » à une religion, quelle qu’elle soit. Et la gauche à la mode ne se trouve pas grandie des commentaires vains qu’elle a sur ces événements.

  • Sarkozy a été dans son rôle de président, il a réendossé la fonction, ce qui lui manquait souvent durant son quinquennat. La droite peut se féliciter de l’efficacité de la police, que la polémique inepte sur les lacunes du « renseignement » ne saurait diminuer. Faudrait-il emprisonner, fliquer, déchoir de leur nationalité, expulser… tous les jeunes tentés par un séjour dans un camp islamiste ou autre ? Allons donc ! Nous devons rester un État de droit.
  • Hollande a été digne et discret, faisant ce qu’il fallait faire, sans récupération ni accusations.
  • Bayrou a été nul : retombant dans ses travers de moraliste catho-pétainiste, il ne peut pas s’en empêcher.
  • Le Pen fille a été mauvaise, dans tous les sens du mot, appelant à la retenue lorsque la piste de l’extrême-droite a été évoquée, tirant à boulets rouges quand l’information a révélé l’islamisme de petit délinquant de banlieue (tout ce qu’elle « aime »).
  • Mélenchon a eu raison de dire que la vie continue malgré tout, mais déconsidéré de refuser de participer à ce qu’il voit comme un cirque alors qu’il s’agit d’un rare moment de réunion nationale ; son affirmation très légère selon laquelle « l’immigration n’est pas un problème » en sort ridiculisée : ce n’est certes pas le flux en soi des gens qui est problème, mais leur intégration s’ils veulent rester et leur volonté d’être comme les autres Français s’ils sont fils ou petit-fils d’immigrés…
  • Quant aux écolos, la Duflot a montré son inanité une fois de plus en accusant Sarkozy d’effrayer les enfants ! Caroline Eliacheff a très bien remise à sa place sur France-Culture l’égérie verte à tête de linotte en déclarant que les enfants savent bien que les adultes sont bouleversés, que ce n’est donc pas les « protéger » que de nier cette réalité là, que dire que cela aurait pu arriver à n’importe qui, dans n’importe quelle école, donc à eux aussi, c’est renforcer le sentiment d’appartenance, de solidarité, c’est ne pas distinguer une école confessionnelle (juive) des autres écoles de France…

Car de quoi cette affaire est-elle le nom ?

Du tabou : de la croyance de gauche en ces opprimés palestiniens ou afghans (bien réels) comme néo-prolétaires de la mondialisation (ce qui reste à démontrer), donc vecteurs du progrès de l’Histoire (n’ayons jamais peur des grands mots). Donc tout ce qui est connoté islamisme, anti-israélien, anti-impérialiste est « bon » ; tout ce qui vient de là ne peut qu’être « dans le sens » de l’histoire. Les mauvais sont les fascistes, les extrêmes de la droite – jamais de la gauche. Ce sont ces lunettes roses qui valent de ne pas comprendre.

Car de qui s’agit-il ?

D’un Français, né à Toulouse, dans une banlieue modeste mais pas misérable. D’un petit délinquant mal scolarisé, sans père, enfermé dans un ghetto de « potes ». D’un être de ressentiment, qui en veut à la France de ne pas avoir réussi à l’intégrer, ni à l’école, ni dans l’armée, ni dans la société.

Il s’agit donc (à ce stade des informations) d’un de nos « fils », de nos « frères », qui a dérapé dans la croyance – ni plus, ni moins que les activistes trotskistes ou maoïstes d’Action directe, ou les « nationalistes » basques de sa propre région. Il ne s’agit ni d’un fou (terme commode par lequel on évacue toute analyse), ni d’un révolutionnaire (d’un quelconque projet politique), ni d’un « étranger », allogène, d’origine, mouton noir dans un troupeau blanc. Il s’agit d’un Français né en France, élevé en France, qui a été mal intégré par sa propre société. Il a donc cherché ailleurs, dans une secte violente, un idéal pour exister. Son rattachement islamiste est reconstruit, il ne lui est ni congénital, ni familial, ni algérien.

La question est donc celle d’un échec de notre « modèle social français ».

Modèle qui fait eau de toutes parts, de la faute des élites comme des politiciens (pour éviter le terme « hommes » politiques qui déplaît tellement aux femmes féministes politiquement correctes). A croire l’Arabe néo-prolétaire à « sauver » dans l’histoire, à taper sur « l’identité nationale » en l’accusant de tous les rejets et de tous les colonialismes, en promouvant la repentance pour le n’importe quoi (la loi contre la « négation » des crimes contre les Arméniens étant la dernière invention), en ne proposant RIEN de positif autre que cette soupe tiède du « multiculturel » où personne ne se reconnaît (sauf les futiles bobos assez riches pour aller dissiper leur vie à s’amuser entre New-York, Marrakech ou les Bahamas) – la France 2012 a permis un Mohammed Merah.

Parce que l’identité n’est pas le rejet, que le melting-pot des cohabitations à l’américaine n’est pas un modèle enviable, ni qui correspond à notre histoire de France. Parce que les Lumières libèrent, elles n’assignent pas les gens à leur essence. La liberté des diverses religions et croyances n’est permise que par la laïcité. L’égalité devant la loi donne à chacun le droit de faire, de croire et de dire tout ce qui ne pas contre la vie de la cité. Ce vivre ensemble, en bonne entente, est la fraternité. Avec Mohammed, la France d’aujourd’hui connaît donc un triple échec, fait de nos démissions :

  1. Démission sur la laïcité qui seule permet la liberté, en feignant de croire qu’il serait des religions ou des « communautés » plus respectables que d’autres ; que la viande halal peut être imposée à tous en catimini, sans traçabilité ; qu’on pourrait se voiler le visage sans conséquences sur les relations sociales ; qu’il faut voiler Voltaire sur les façades du Louvre…

2. Démission sur l’égalité en exigeant d’interdire par la loi toutes les déviances d’analyse et de discours sur l’esclavage arabe, l’histoire juive, le génocide arménien, la place des femmes, des gais, des handicapés… En laissant les « appartenances » fleurir dans le joyeux festif du multiculturel où le tag est équivalent à la Joconde ou l’éructation ado sur trois accords égal aux Beatles. En refusant d’accomplir la culture des Lumières, qui vise à « libérer » les individus de ces appartenances automatiques que sont la biologie, la famille, le clan, la bande, la mode, l’idéologie, la croyance.

3. Démission sur la fraternité en faisant de Mohammed Merah un faux français, tout de suite qualifié « d’origine », algérienne, musulmane, alors que ni l’école, ni les associations, ni la société, ne lui ont offert un destin.

Les tueries de Toulouse sont donc un symptôme de notre société française.

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Le Clézio, Le procès-verbal

A 23 ans Le Clézio entrait en littérature avec le prix Renaudot et l’ambition de se situer dans le Nouveau Roman. Les descriptions des ‘choses’ à la Robbe-Grillet y abondent (p.69, 72). Il était de son époque, bien revenue de l’idéalisme de la Résistance, hantée par la Bombe et tourmentée par les dernières braises des guerres coloniales. Ce pourquoi son personnage – qui est une version de lui-même – erre entre l’absurde comme L’Etranger de Camus, l’embrigadement social du Procès de Kafka et le Néant théorisé de Sartre.

Le titre complet paraît p.219 : « Procès-Verbal d’une catastrophe chez les fourmis ». Le Larousse 1959 apprend qu’un procès-verbal est une « pièce établie par un fonctionnaire, un agent assermenté, et constatant un fait, un délit. » Tout Le Clézio est là, pour son œuvre entière : à cette société qui révère la Connaissance et s’y enferme, à ces hommes qui aménagent volontairement leur propre univers formaté fonctionnaire, mécanique et télé, à cette existence vouée à la répétition et au futile – l’auteur est irrémédiablement étranger. « Nous sommes tous les mêmes, camarades. Nous avons inventé des monstres – des monstres, oui. Comme ces postes de télévision ou ces machines à faire les glaces à l’italienne, mais nous sommes restés dans les limites de notre nature » p.244.

Adam est son personnage, premier et dernier homme. Premier parce qu’il se met à l’écart pour renaître et dernier parce qu’il est bien le seul à le désirer. Il a la tentation du prophète, méditant sur les bêtes avant d’aller prêcher aux hommes qui se moqueront de lui. Mais nous sommes un siècle plus tard et l’organisation sociale a le maillage bien plus fin et plus solide que du temps de Nietzsche. Il sera plutôt « Adam Pollo, martyr » comme il signe ses cahiers d’écolier p.228. La France des années 1960 est un matelas mou que même le bouillonnement de mai 68 ne suffira pas à changer. Adam porte le nom saugrenu de Pollo – le poulet en espagnol – peut-être une référence à l’anglais ‘chicken’ qui signifie couard. Le Clézio parle très bien ces deux langues.

Dans ce premier roman paraît son frère, ici nommé Philippe, lui tout à fait dans les normes sociales, qui disparaîtra ensuite de l’œuvre (par exemple dans ‘Onitsha’). En 18 chapitres de A à R, Le Clézio campe le personnage du « fou », celui qui sort du service militaire (p.235) conçu comme l’embrigadement social extrême. Vivant autrement que tout le monde – « violation de domicile, vagabondage, attentat à la pudeur » (p.256) – il est hué par la populace qui hait ce qu’elle ne comprend pas. Cette populace, il la décrit férocement : « Innocents et ignominieux à la fois, les deux yeux brillaient follement au fond de leurs trous, pris par la folie multiple comme des billes dans un filet de ficelle. Voilà qu’ils avaient composé, eux tous, un agglomérat de chair et de sueur humaines, d’aspect indissoluble, où plus rien de ce qui était compris ne pouvait exister. » p.253

L’univers leclézien est autre, il court toute son œuvre future, et il est résumé magistralement p.17 de ce premier roman : « C’est drôle. Je suis sans arrêt comme ça, au soleil, presque nu, & quelquefois nu, à regarder soigneusement le ciel et la mer. » On notera l’afféterie du ‘&’, maniérisme de jeune auteur années 60 à la propension pagineuse et verbeuse. Le Clézio se corrigera très vite de cette mode Lacan. « Pour quelqu’un dans la situation d’Adam et suffisamment habitué à réfléchir par des années universitaires et une vie consacrée à la lecture, il n’y avait rien à faire, en dehors de, penser à ces choses, et éviter la neurasthénie » p.22 (la ponctuation très particulière de l’auteur est ici respectée). La société collet-monté exige d’être boutonné – tout le contraire de Le Clézio qui préfère le dépoitraillé garçon et la nudité d’enfance : « je n’aime pas les boutons » p.277.

La douleur adulte de la sensation est aussi un thème leclézien récurrent : « et lui, et chaque sensation de son corps exaspéré, qui amplifiait les détails, faisait de son être un objet monstrueux, tout de douleur, où la connaissance de la vie n’est que la connaissance nerveuse de la matière ». Tout le contraire des gamins qui vivent le présent comme il vient, tout entier et à fond : « Leurs enfants n’avaient pas cette mollesse. Ils étaient au contraire petits, nains, sérieux ; ils se groupaient au bord de l’eau et, laissés à eux-mêmes, s’organisaient pour bâtir et racler le gravier » p.31 Une société en réduction, affairée et conviviale, qui ne se pose pas de question. Les enfants justement, l’auteur y revient à la fin, dans les explications embrouillées de son personnage aux étudiants de psychiatrie : « Oui, c’est vrai, ils sont assez sociables. Mais en même temps ils recherchent une certaine – comment dire ? – une certaine communicabilité avec la nature. Je pense – ils veulent – ils cèdent facilement à des besoins d’ordre purement égocentrique – anthropomorphique. Ils cherchent un moyen de s’introduire dans les choses, parce qu’ils ont peur de leur propre personnalité » p.279.

Les adultes sociaux des années d’État-providence ont en revanche la maladie de la logique, de la domination au carré du monde : de la mise en cage des fauves et des déviants (p. 90 sur le zoo) ; l’idéal fonctionnaire de la fourmi (le mot figure p.219). Les non-conformes sont médicalement redressés, habillé de pyjamas rayés comme des bagnards ou des déportés, relégués en camps de travail où ils doivent faire le ménage, le jardin, et être les objets d’expérience des étudiants en psy – ingénieurs sociaux des âmes.

La pièce de l’asile où il est enfermé a « un aspect familier, assez familial, pour tout dire soulageant. C’était profond, et dur, et austère. Tout particulièrement les murs avaient un relief froid et réel. (…) Il y avait un jeu implicitement engagé : un jeu où il fallait que ce fût lui qui s’adaptât, lui qui se pliât, et non point les choses » p.261. Un lieu de clôture (p.262), mathématisé, où chaque angle a sa place comme les raies sur le pyjama (p.264), où l’existence est une règle (p.266). La métaphore monte d’elle-même p.282 : « Compte tenu de l’inconfort, que pouvait procurer, en cette société, un pyjama rayé, des cheveux trop courts, presque rasés, et l’air général de froidure qui régnait dans l’infirmerie, Adam ne s’en sortait pas trop mal. »

Nous sommes entre Orwell et Treblinka. La ponctuation – mal placée – est au rythme du souffle : la plupart des fragments de phrases sont des moitiés d’alexandrins. Le littérateur veut faire entrer le lecteur en sympathie par le rythme, les mots, les descriptions empathiques de sensations. L’écriture Le Clézio est cela : la minutie hors des carcans classiques, la peinture toute nue des choses, des affects et des êtres, pour travailler la réalité sans complaisance. Écrire, c’est communiquer, pas sortir une thèse philosophico-politique (tellement à la mode dans le monde « engagé » des années 60 !). « On croit toujours qu’il faut illustrer l’idée abstraite avec un exemple du dernier cru, un peu à la mode, ordurier si possible, et surtout – et surtout n’ayant aucun rapport avec la question. Bon Dieu, que tout ça est faux ! Ça pue la fausse poésie, le souvenir, l’enfance, la psychanalyse, les vertes années et l’histoire du Christianisme. On fait des romans à deux sous, avec des trucs de masturbation, de pédérastie, de Vaudois, de comportements sexuels en Mélanésie, quand ce ne sont pas les poèmes d’Ossian, Saint-Amant ou les canzonettes mises en tabulatures par Francesco da Milano » p.303.

Le Clézio hait les psy et le faux savoir qu’est pour lui la psychanalyse (tellement à la mode dans le monde freudo-lacanien des années 60 !). « C’est ce que je n’aime pas avec vous. Vous voulez toujours introduire partout vos satanés systèmes d’analyses, vos trucs de psychologie. Vous avez adopté une fois pour toutes un certain système de valeurs psychologiques. Propres à l’analyse. Mais vous ne voyez pas, vous ne voyez pas que je suis en train d’essayer de vous faire penser – à un système beaucoup plus grand. Quelque chose qui dépasse la psychologie » p.300. Est-ce expérience personnelle ? Lui se verrait un peu schizophrène, comme son personnage, alors que le psy assène doctement « délire paranoïde systématisé » p.287. Avec les inévitables et freudiennes « anomalies de la sexualité » pour faire bonne mesure. Le Clézio se moque de ces abstracteurs de quinte essence aussi nuls que les médecins de Molière.

Dans ses œuvres futures, il ne changera pas d’avis. D’où cette remarque qui en dit long sur la société française des années 60 : « Il va dormir vaguement dans le monde qu’on lui donne ; en face de la lucarne, comme pour répondre aux six croix gammées des barreaux, une seule et unique croix pendille au mur, en nacre et en rose. Il est dans l’huître et l’huître au fond de la mer » p.314. Le monde est quadrillé, les âmes formatées, la société organisée – et les psys sont comme les flics et les profs : des gardiens de la Norme sociale. Dormez, bonnes gens, le fascisme fonctionnaire de l’État-providence veille sur vous !

Ce Procès est lisible, un peu ennuyeux parfois, d’un nihilisme daté qui n’a pas l’universel de Kafka, avec des préciosités de jeune auteur. Mais toute l’œuvre du futur prix Nobel  s’en trouve enclose, ce qui vaut le détour !

Le Clézio, Le procès-verbal, 1963, Folio 1991, 315 pages, €6.93

Les livres de Le Clézio chroniqués sur ce blog

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Tahar Ben Jelloun, Moha le fou Moha le sage

J’ai retrouvé dans un recoin ce livre daté, témoin des années 1970. Le relire aujourd’hui est édifiant : l’auteur, marocain, quitte son pays pour cause d’arabisation de l’enseignement (déjà !) ; il critique la misère sociale créée par l’affairisme autour du Palais (déjà !) ; il se plonge dans l’univers traditionnel où la femme est esclave et l’enfant garçon livré à lui-même (déjà !). Je suis stupéfait de constater que tout ce qui était DÉJÀ visible dans les années 1970 n’ait ni été vu ni même soupçonné : les intellos-médiatiques font semblant de le découvrir aujourd’hui, 40 ans plus tard. Il y avait vraiment des œillères dans les « années de gauche » qui ont suivi mai 68.

‘Moha le fou, Moha le sage’ a été prix des Bibliothécaires de France 1978 et prix Radio-Monte-Carlo 1979 – c’est dire s’il était populaire, reconnu par les média et encensé du grand public. Mais ni les intellos ni le grand public n’ont rien vu : ils ont joui d’être à la mode, ensemble, dans la fusion communautaire, enfermés dans leur ego occidental à bonne conscience de gauche. En 1978, j’y ai travaillé, au Maroc, j’ai pu ressentir ce que l’auteur disait de sa langue de poète, bien loin du voile d’illusion des idéalistes qui préfèrent toujours leur image narcissique à toute réalité de leur temps.

Si vous lisez aujourd’hui ce livre, il ne vous sera pas d’une grande révélation. Il joue sur le personnage du bouffon du roi, du « fou », toujours celui qui dit ce que tout le monde pense tout bas mais n’ose pas dire, dans les sociétés traditionnelles. L’enfant du conte d’Andersen était le seul à dire que le roi était nu, tous les bons bourgeois de cour faisaient semblant de ne pas le voir et s’auto-persuadaient que le roi était paré. Pareil dans les années 1970 :

  • l’islam ? – un archaïsme qui allait disparaître avec la modernité
  • la condition de la femme ? – rien qu’une bonne série de lois imminentes ne puisse contrer
  • l’affairisme ? – il suffit de le dénoncer, il s’écroulera de honte lui-même

Qu’il y avait donc de « bêtise » dans ces a priori idéalistes ! La franchouille moderniste, sûre d’être de gauche et progressiste, ne voulait pas VOIR ce qui était sous ses yeux. Cachez ce sexe féminin que je ne saurais voir, violé à répétition par le maître de maison macho et paternaliste. Cachez ce sexe de garçon pubère que je ne saurais voir, montré à tous les autres dans les terrains vagues, ou prostitué aux adultes pour se défrustrer. Cachez cette modernité que je ne saurais voir (puisque plus avancé), agressive et affairiste, mal partagée, mal expliquée, allant trop vite, dans un pays traditionnel resté féodal.

Tahar Ben Jelloun a obtenu un doctorat de 3° cycle en psychiatrie sociale dans l’université française, il sait de quoi il parle. ‘La Nuit sacrée’ est devenu le roman prix Goncourt 1987. Nicolas Sarkozy, président de la République française, lui remet en 2008 la Croix de Grand Officier de la Légion d’honneur. Dernier avatar du maître, il reçoit le Prix de la paix Erich-Maria Remarque pour son essai ‘L’étincelle dans les pays arabes’ le 21 juin 2011. C’est dire si Tahar Ben Jelloun, français d’origine marocaine est reconnu, « intégré », écrivain à part entière. Et pourtant, ceux qui l’ont lu n’ont rien vu, rien assimilé, rien compris…

C’est qu’il manie le conte, absorbe les rites maghrébins et traditionnels dans une symbiose avec le quotidien. Il replace dans ‘Moha’ la société marocaine entre la mémoire et la modernité en devenir. Il évoque les sujets tabous et les exclus de la parole. Les gamins, les putes, les fous, les déviants, les errants, sont dans ‘Moha le fou Moha le sage’. Engagé, Tahar Ben Jelloun ? L’époque adorait l’engagement, à la suite du Sartre sur son tonneau devant les ouvriers goguenards de Billancourt. Un divorce entre populo et intello, déjà…

Justement, le romancier ne reproduit pas les schémas idéologiques aisément étiquetés par les médias et les intello-progressistes. Il est poète, écrivant comme Brassens pour faire surgir en chacun cette petite étincelle d’universel humain. Ses personnages sont imaginaires, issus de la mémoire et reconstitués à la Proust. Aïcha qui fait le ménage dès 12 ans, Dada l’esclave soudanaise des plaisirs sexuels du patriarche, l’enfant « né adulte comme d’autres naissent infirmes » livré à lui-même et hanté de sexe et d’amour, Moché le vieux juif marocain lui aussi sage à sa manière, l’imam « jeune génération qui a fait des études dans les pays d’islam (…) fonctionnaire du ministère. D’après lui, l’islam a tout prévu », Milliard le banquier qui lui explique sa vie, le psychiatre au discours rigide – lacanien – aliéné par sa théorie, l’arbre refuge qui ne dit rien mais transmet la nature. Voix plurielle, mémoire au présent, poète « fou » qui dit la vérité, Moha périra sous la torture des sbires du Palais, semble-t-il. Il était d’époque de dénoncer la torture des puissants et de leur police.

Moha peut être l’abréviation de Mohammed, nom du Prophète et prénom répandu au Maroc pour dire le personnage lambda ; Moha en français, puisque l’auteur est le francophone le plus traduit au monde, sonne aussi comme ‘moi’, cet ego franco-marocain écartelé entre tradition et modernité, ancrage dans le patriarcat musulman et le contrat social.

Un message qui n’a pas été lu…

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Anders Behring Breivic le monstre de Norvège

Un attentat à la bombe contre le gouvernement social-démocrate et des  jeunes travaillistes de 14 à 30 ans tués par balles en quelques heures. Breivic a frappé fort pour qu’on le considère. Rançon de notre société du spectacle où les idées sont inaudibles si elles ne hurlent pas devant les caméras.

Qui est donc Anders Behring Breivic ?

Anders n’est pas fou, seulement paranoïaque. Sa logique glacée vient du sentiment d’être cerné, personnellement sans amour, socialement noyé, culturellement métissé. C’est un activiste du choc des civilisations à la Huntington, proche en pensée de la droite israélienne et des Nachis de Poutine.

Behring n’est pas fasciste, il ne croit pas aux mouvements de masse ni aux partis autoritaires bottés sous le charme d’un gourou charismatique. Il est hyperindividualiste, ne croyant qu’en lui-même et aux actes personnels, proche en cela des ultraconservateurs américains, libertariens adeptes des milices armées civiles. Ce pourquoi les bobos intellos du Nouveau Snob se trompent, trop bardés de tabous politiquement corrects pour comprendre la différence entre extrême droite et anarchisme.

Breivic n’est pas raciste, non seulement il le dit mais la meilleure preuve est qu’il a massacré les siens, des ados blonds aux yeux bleus, et pas les basanés immigrés du coin. Il est proche en cela de l’Unabomber américain, un solitaire psychotique qui tuait parmi les siens tous ceux qui représentaient le gouvernement. Ce qui limite probablement son message.

Pourquoi parler de ses idées ?

Jamais je n’accomplirai un acte aussi barbare que de tuer au pistolet-mitrailleur des gosses en slip au bord d’un lac, qui n’ont que leurs mains pour se défendre. Jamais je ne justifierai un tel ‘happening’ au nom de je ne sais quelle révolution ou avenir radieux. Jamais je n’obéirai à la logique glacée des partisans persuadés d’avoir tout seul raison, de Savonarole à Torquemada, de Lénine à Pol Pot.

Mais je crois à la lucidité. Nul ne peut combattre la mort qui marche sans comprendre les ressorts qui la font s’avancer. Comprendre n’est jamais pardonner, cela est d’un autre ordre. Il n’y a aucune morale à analyser pour tenter de savoir ; juger, en revanche, est le lot de la société.

Quelles sont les idées du tueur ?

Elles ne sont pas aberrantes, loin s’en faut. Elles sont seulement poussées à leur logique folle, tout comme les Évangiles avec l’Inquisition et le Capital de Marx avec les camps staliniens. Ses idées sont contenues dans un opuscule de 1518 pages en anglais, qu’il diffuse gratuitement sous le titre de ‘2083 A European Declaration of Independence’.

Anders Behring Breivic accuse l’Occident d’avoir laissé depuis 1945 l’égalitarisme marxiste envahir la culture pour saper les fondements même de la civilisation européenne. Il se dit « chrétien » mais version taliban : fasciné par le Jihad musulman, il se veut un croisé, retournant le jihad contre ses promoteurs. Ce pourquoi il revivifie le mythe du Templier, ordre militaire contre les infidèles. Il a trop joué à World of Warcraft, ado marqué par son époque, où le spectacle en ligne pousse à échapper à la réalité.

Il n’a rien d’un partisan d’extrême-droite (il a quitté le Parti du Progrès qui ne lui apportait rien) mais plus d’un anarchiste nihiliste. Un populiste braqué contre les élites vénales et lâches. Le marxisme, hérésie laïque du christianisme, prône l’égalité absolue des conditions, toute différence étant condamnable en soi. Philosophie de l’histoire tirée de l’observation socio-économique, Gramsci, Lukacs, Marcuse, Adorno et l’école de Francfort l’ont rendu « culturel », générant la « pensée 68 » et gangrenant les campus universitaires au nom de la révolution et de l’anti-répression des désirs. De déconstruction en contestation de toute légitimité, de féminisme en châtrage des valeurs mâles, jusqu’à l’anti-négationnisme où la loi interdit même de discuter des thèses d’histoire politiquement incorrectes. Il en fait un chapitre (p.343), « Le nom du diable est : marxisme culturel, multiculturalisme, mondialisation, féminisme, culte de l’émotion, humanisme suicidaire, égalitarisme »… Dans ce nivellement global « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

Sauf que les Musulmans ne sont pas gentils, ils sont croyants et intégristes, domptant les femmes à pondre des enfants. Qui ne prononce pas allégeance à Allah et ne se fait pas circoncire est à abattre comme un chien. L’immigration en Europe atteint l’étiage des 10%, avec une natalité plus forte. Dans une génération ou deux à ce rythme, l’Europe ne sera plus européenne mais la banlieue de l’islam. Avec la bonne volonté de ses dirigeants, qui appellent à une Eurabie en affirmant que l’islam est une part de l’Europe (comme la Turquie), encourageant immigration familiale et mœurs islamiques (voile, harem, épargne charia compatible, commerce halal, cantines spéciales, piscines séparées, enseignement de l’histoire expurgé, apprentissage de l’arabe à l’école, financement des mosquées…). Les musulmans pourraient représenter 50% de la population française en 2050 ! Je ne sais pas d’où viennent ces sources (Wikipedia ?) mais cela explique la « résistance » de l’auteur, « vrai » chrétien, traditionaliste souverainiste, tenant de la civilisation européenne historique.

Breivic fait appel aux sources Internet et à des textes glanés ici ou là dans l’Encyclopaedia Britannica et dans les journaux en ligne pour rassembler ses idées en 1518 pages. Son plan est en 5 parties : 1/ la montée du marxisme culturel et du multiculturalisme en Europe, 2/ pourquoi la colonisation islamique commence en Europe, 3/ l’état des mouvements de résistance européens antimarxistes et anti-jihad, 4/ les solutions pour l’Europe occidentale, et 5/les thèmes de discussion d’application utile à la stratégie politique. Pourquoi 2083 ? Parce qu’à ce moment, croit l’auteur, entre un tiers et la moitié de la population européenne sera musulmane, induisant un violent mouvement de réaction des autochtones avec coups d’état, déportation, interdiction de toute référence multiculturelle et imposition d’une idéologie nationale conservatrice (p.803).

Page 837 vient la formule appliquée littéralement par Breivic vendredi : « la meilleure méthode est d’attaquer de façon violente et par tromperie (attaque choc) avec des forces limitées (1 ou 2 individus). » Le terrorisme conservateur est aussi haïssable que celui d’extrême gauche durant les années de plomb des Brigades rouges, de la bande à Baader et d’Action directe. En cela, les partis de la droite extrême ne sont pas plus coupables de leurs idées que les partis d’extrême gauche. Le terrorisme est mimétique, partant des mêmes causes (un parti mou sans action concrète), avec les mêmes effets (des actes individuels de commando qui sèment la mort sans rien changer à la société).

Comment le contrer ?

En étant clair sur les objectifs de l’Union européenne, ferme sur la culture à transmettre et sur les valeurs qui composent notre vivre-ensemble, opposé à la lâcheté médiatique du métissage où tout vaut tout – pour mieux abêtir et vendre Coca cola.

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Nietzsche, Prologue de Zarathoustra

Nous sommes en 1883. Le Prologue en dix paragraphes présente l’œuvre, faite de quatre parties. Zarathoustra est parti sur la montagne à 30 ans, âge où la fougue juvénile commence à se calmer et qui éprouve le besoin de méditer. A 40 ans, il redescend, homme mûr, au midi de son âge et de sa pensée. Il ressent le besoin de donner comme « une coupe qui veut déborder ».

Ce n’est pas un hasard, le bouddhisme commençait d’être connu et ses textes traduits en allemand vers le milieu du 19ème siècle : Zarathoustra agit comme Bouddha – être humain qui s’est changé lui-même et non pas « dieu » advenu tout armé pour commander aux hommes. Il revient vers ses frères comme un bodhisattva – un saint homme qui préfère donner aux autres par générosité plutôt qu’entrer de suite dans le nirvana, ce grand Tout où l’individualité s’abolit. Dès lors, Zarathoustra commence son « déclin ». Car tout ce qui n’avance plus recule, tout ce qui donne se retranche.

Mais tel est le destin de l’homme : d’être détruit pour être surmonté. Ainsi les enfants poussent les parents dans la tombe – et c’est bien ainsi. C’est le tragique de l’existence que le « sur » homme doit accepter plutôt que de se consoler dans les illusions religieuses. Ce oui à la vie née d’eux, les parents s’en font joie ; leur mort inéluctable pour laisser la place, ils la désirent parce que, sans elle, les enfants ne seraient pas. Et leur amour est assez grand pour s’effacer devant ceux qui leur succèdent.

Tout, dans l’univers, a sa place et sa fonction. Celle du soleil est d’éclairer, indifférent au sort des êtres ; celle de Zarathoustra est d’éclairer les hommes, en prophète, parce qu’il « aime les hommes ». Oui, « Il s’est transformé, Zarathoustra. Il s’est fait enfant, il s’est éveillé » – Bouddha fut lui-même appelé l’Eveillé. L’enfant de Nietzsche est celui qui, adulte, a retrouvé les grâces et l’énergie vitale de l’âge tendre : la curiosité, le désir, l’innocence du devenir. L’univers est une harmonie dont l’homme est une partie. Il est fait d’interrelations (tout est lié) et d’interactions (tout agit sur tout) – on le voit bien avec le climat qui lie les économies du monde, ou les sociétés qui lient les individus entre eux.

L’idée de Nietzsche est que le mouvement même est positif et que « le bonheur », cet état de satisfaction béate et immobile du « dernier homme » (en France, la période Chirac), est négatif. Le « bonheur » – ce Paradis retrouvé – signifie l’arrêt du désir, l’arrêt du travail, l’arrêt de la création (donc du sexe). « Amour ? Création ? Désir ? Etoile ? Qu’est cela ? – Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil. (…) On ne devient plus ni pauvre ni riche : c’est trop pénible. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait encore obéir ? C’est trop pénible. Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : quiconque est d’un autre sentiment va de son plein gré dans la maison des fous. ‘Autrefois, tout le monde était fou’, disent les plus fins, et ils clignent de l’œil. On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé. » On reconnaît là le « principe de précaution ». N’a-t-il pas été introduit par Chirac dans la Constitution, ce contrat social des Français ?

Cet exemple trivial pour montrer comment Nietzsche peut être « inactuel » ou « intempestif ». Il est universel parce qu’hors de son temps ; les idées qu’il a émises sont toujours d’actualité. Ainsi, « l’homme doit être surmonté ».

Il ne faut pas se méprendre sur « le surhomme » : il ne s’agit pas d’un raidissement de morgue à la prussienne, ni d’un néo-racisme biologique que le nazisme a tenté de faire advenir. L’homme a évolué depuis l’Australopithèque des savanes africaines ; il continue son évolution, même si elle est peu perceptible sur une génération. Mais ce qui forçait l’évolution humaine étaient les conditions de survie, les changements climatiques, la nourriture à trouver, les prédateurs auxquels échapper. Aujourd’hui, sous la civilisation, ces vertus de survie ne suscitent plus aussi fortement le désir. Les uns se réfugient dans les illusions supraterrestres de la religion au lieu de se préoccuper de ce qui arrive sur cette terre ; d’autres méprisent leur corps, mais « votre corps, qu’annonce-t-il de votre âme ? » ; d’autres laissent en friche leur raison alors que, demande Nietzsche, « est-elle avide de savoir, comme le lion de nourriture ? »

De même pour Nietzsche, la justice devrait être « ardeur », la vertu faire « délirer » et la pitié « la croix où l’on cloue celui qui aime les hommes ». Or, rien de tout cela n’advient dans la société de son temps, la civilisation bourgeoise, allemande, bien-pensante, de la fin 19ème. « Suffisance » et « avarice » sont les deux défauts de cette population là. A-t-on vraiment évolué depuis ? La finance 2008 n’a-t-elle pas montré combien suffisance scientiste et avarice égoïste mènent encore la société.

« L’homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme – une corde au-dessus d’un abîme. Danger de le franchir, danger de rester en route, danger de regarder en arrière – frisson et arrêt dangereux. Ce qu’il y a de grand en l’homme est qu’il est un pont et non un but. » Des trois dangers, Nietzsche ne choisit pas le conservatisme (regarder en arrière), ni l’immobilisme àlachiraque (rester en route) : il est pénétré du désir d’aller de l’avant (franchir). « J’aime ceux qui ne cherchent pas par-delà les étoiles, une raison de périr ou de se sacrifier, qui au contraire se sacrifient à la terre, pour qu’un jour vienne le règne du surhomme. J’aime celui qui vit pour connaître (…) celui qui travaille et invente (…) celui dont l’âme se dépense (…) qui tient toujours plus qu’il ne promet (…) celui qui justifie ceux de l’avenir et qui délivre ceux du passé… » Et, concernant la vertu : « Qui donne à manger aux affamés réconforte sa propre âme : ainsi parle la sagesse. » Nietzsche est donc très loin de la caricature qui lui est souvent faite.

Mais son message n’est sans doute pas fait pour le grand nombre car ce qui dérange les habitudes, ce que le médiocre nomme « la folie » parce qu’il ne le comprend pas, fait peur. Or elle est bien souvent ce qui dépasse le commun – la frontière est si ténue qui sépare la folie du génie ou de la grandeur. Quant à la pauvreté, elle est sociale et non personnelle ; elle résulte de conséquences économiques et non d’une « nature » héréditaire. On ne naît pas pauvre, on le devient par son milieu ou sa déchéance sociale. La « richesse » est un jugement de valeur, un ensemble de biens et de qualités reconnus par la partie puissante de la société. Le vieux Diogène en haillons dans son tonneau était plus « riche » aux yeux des Grecs qu’Alexandre, le jeune et brillant roi de Macédoine, conquérant de la Perse.

C’est la raison pour laquelle Nietzsche, dans ce Prologue, dit pourquoi il ne s’adresse pas en prophète à la foule. « Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, et non des cadavres, des troupeaux ou des croyants. Des créateurs comme lui (…) de ceux qui inscrivent des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles. » Ainsi firent tous les philosophes avec leurs disciples.

Au contraire des politiciens et des gourous qui veulent embrigader et asservir !

Frédéric Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, Livre de Poche, 4.27€ 

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Céline et les bons trucs pour vivre en société

Dans son premier roman, Céline donne sa philosophie de l’existence. Il a déjà 38 ans et acquis une expérience humaine au travers des écoles, de l’apprentissage, de l’armée, de l’arrière, des colonies, de l’Amérique et de la banlieue parisienne. Le peuple, dont il sort, n’est armé que de sa débrouille, il n’a pas fait d’études et n’a pas l’usage familial de la bonne société. Donc il observe, il note, il retient ce qui marche.

Par exemple le culot. Quand on ne sait pas, on affirme. L’énergie développée en société entraîne les autres et vous voilà reconnu, suivi. « Pour qu’on vous croye raisonnable, rien de tel que de posséder un sacré culot. Quand on a un bon culot, ça suffit, presque tout alors vous est permis, absolument tout, on a la majorité pour soi et c’est la majorité qui décrète de ce qui est fou et de ce qui ne l’est pas » p.61.

Pour bien s’entendre avec les autres, il faut savoir se taire et écouter. Ce n’est pas gueuler plus fort ni montrer qu’on a la plus grosse qui compte, mais faire parler et acquiescer. « Ce qu’il faut au fond pour obtenir une sorte de paix avec les hommes, officiers ou non, armistices fragiles il est vrai, mais précieux quand même, c’est leur permettre en toutes circonstances de s’étaler, de se vautrer parmi les vantardises niaises. Il n’y a pas de vanité intelligente. C’est un instinct » p.122.

Aimer est dangereux, on ne sait pas où on met les pieds. « Tant qu’il faut aimer quelque chose, on risque moins avec les enfants qu’avec les hommes, on a au moins l’excuse d’espérer qu’ils seront moins carnes que nous autres plus tard. On ne savait pas » p.242. Ainsi Bébert, le môme de sept ans qui mourra comme le gamin de Camus dans ‘La peste’, absurde. Céline donnera le nom à son chat, douze ans plus tard, pour en perpétuer le souvenir.

Se faire aimer n’est pas difficile au fond, il suffit de se montrer vulnérable et bien gentil. Les femmes n’y résistent pas, mais (c’est moins connu) les patrons non plus. « Un patron se trouve toujours un peu rassuré par l’ignominie de son personnel. L’esclave doit être coûte que coûte un peu et même beaucoup méprisable. Un ensemble de petites tares chroniques morales et physiques justifie le sort qui l’accable. La terre tourne mieux ainsi puisque chacun se trouve dessus à sa place méritée » p.428.

Pour régner, deux méthodes de la « civilisation ». Il y a la classique et la moderne. « A Topo en somme, tout minuscule que fut l’endroit, il y avait quand même place pour deux systèmes de civilisation, celle du lieutenant Grappa, plutôt à la romaine, qui fouettait le soumis pour en extraire simplement le tribut, (…) et puis le système Alcide proprement dit, plus compliqué, dans lequel se discernait déjà les signes du second stade civilisateur, la naissance dans chaque tirailleur d’un client, combinaison commercialo-militaire en somme, beaucoup plus moderne, plus hypocrite, la nôtre » p.156.

Quelqu’un vous impressionne ? Vous êtes tétanisé devant lui, bredouillant et incapable de penser ? Ôtez donc les oripeaux du prestige social pour voir l’homme nu. C’est ce que font les ados de nos jours en se prenant en plus simple appareil au bout de leur téléphone portable et s’exhiber sur leur fesses-book. Il fallait y penser, Céline était un précurseur ! « Et puis je me l’imaginais, pour m’amuser, tout nu devant son autel [le curé]… C’est ainsi qu’il faut s’habituer à transposer dès le premier abord les hommes qui viennent vous rendre visite, on les comprend bien plus vite après ça, on discerne tout de suite dans n’importe quel personnage sa réalité d’énorme et d’avide asticot. C’est un bon truc d’imagination. Son sale prestige se dissipe, s’évapore. Tout nu, il ne reste plus devant vous en somme qu’une pauvre besace prétentieuse et vantarde qui s’évertue à bafouiller futilement dans un genre ou un autre » p.336.

Les passions sont comme les orages, aveugles et sourds. Pour remettre les idées en place, rien de tel qu’un choc. « Depuis toujours l’envie me prenait de claquer une tête ainsi possédée par la colère pour voir comment elles tournent les têtes en colère dans ces cas-là. Ça ou un beau chèque, c’est ce qu’il faut pour voir d’un seul coup virer d’un bond toutes les passions qui sont à louvoyer dans une tête » p.470. On aura noté que la violence n’est pas seulement physique : agir sur les bas instincts de la possession et de l’avarice – par « un beau chèque » – fonctionne tout aussi bien. La carotte plutôt que le bâton, mais les deux méthodes ont le même résultat de ramener à la raison.

Il est malin, Céline, comme le peuple n’est pas fort il est malin. Ce pourquoi le ‘Voyage’ est comme ‘l’Odyssée’ avec un rusé Ulysse en quête de sens.

Louis-Ferdinand Céline, Romans 1 – Voyage au bout de la nuit – Mort à crédit, édition  Henri Godard, Pléiade Gallimard 1981, 1582 pages, €54.63

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932, Folio plus classiques, 614 pages, €8.93

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