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Une pensée pour Katmandou

La destination jadis des routards occidentaux est atteinte au cœur. Le tremblement de terre dû à l’emboutissage de la plaque asiatique par la plaque africaine (ce qui crée l’Himalaya) a fait plus de 5500 morts et des centaines de destructions irréparables de bâtiments.

nepal pasupatinat

Je suis allé au Népal dès 1987, et plusieurs fois depuis. Ce pays enclavé entre l’Inde et la Chine est un carrefour d’ethnies, de langues, de religions et de commerce. Les gens y sont mêlés, astucieux, vigoureux. Si la ville de Katmandou est sale et odorante, sans ramassage d’ordures autre que par les chiens et les cochons, si ses bâtiments sont de briques et de bois, elle possède un charme indéniable.

Nepal Sakhu

Les arbres n’hésitent pas à pousser entre les pierres et les fontaines voient chaque fin de jour les femmes et les enfants se laver en public. Et les temples hindouistes montrent cet érotisme naturel et joyeux qui déplaît tant aux quakers anglo-saxons et aux intégristes musulmans – bien loin des religions du Livre.

nepal bois erotiques Bhaktapur

Les temples fument d’encens et de lampes à graisse. La pauvreté est rarement misérable, sauf handicap ou maladie; je n’ai jamais rencontré d’enfants aussi heureux de vivre, même en loques et pieds nus, qui parlent plusieurs langues avant dix ans. Et les merles du Népal pépient sur les fils.

nepal gamin bhaktapur

La campagne est montagnarde, entre 1500 et 3500 m, et les hautes vallées sont riantes, très vertes parce que très arrosées par la mousson (qui commence dans quelques semaines). Mais les rhododendrons sont là-bas des arbres et les singes se nichent entre les branches. Il n’est pas rare de croiser une trace de guépard dans la boue d’un sentier.

nepal chemin helambu

Si l’Everest est la destination des bobos à la mode sports-extrêmes et des executive qui veulent vaincre tout ce qui leur résiste, il est là-bas le grand-père. Celui qui fume éternellement au-dessus des hommes et gronde de temps à autre, repaire du yéti (nombre de sherpas m’ont assuré l’avoir vu) et des eaux bienfaisantes.

Nepal Bhaktapur

J’ai une pensée pour Katmandou, pour le Népal et pour ses gens – que j’ai beaucoup aimés fréquenter.

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Marche dans les rizières cinghalaises

Nous nous levons plus tôt que nécessaire dans le silence de la campagne où seuls s’élèvent les chants d’oiseaux. Même la route proche se tait ou se contente de ronronner dans le virage, de temps à autre. Petit-déjeuner d’ananas, banane, papaye. Les œufs frits sont appétissants, mais l’huile de coco employée leur donne un goût de mauvaise haleine.

petit dejeuner cinghalais

La promenade commence dès le matin, elle sera mi-route mi-chemin, et même sur des murets de rizière.

riziere sri lanka

Inoj adore montrer les arbres et donner leur nom français ou latin. Il désigne ainsi le « Grusillia » (?), de la famille de l’acacia, dont les fleurs blanc-mauve sont un poison bio pour les rats : « les rats ils mangent et ils sont morts » – dit-il. Je crois, moi, que les rats connaissent les poisons endémiques de leur contrée et que, s’ils ne connaissent pas, ils testent avec un seul d’entre eux avant de manger comme lui s’il n’est pas mort.

hibiscus sri lanka

Nous rencontrons aussi les lourdes gourdes fripées du jacquier, le gros durian puant, le bananier aux larges feuilles, le palmier à coco quand nous baissons en altitude et quelques-unes des 15 autres espèces, le dhoum bien plus haut qu’en Égypte, le tek, et le bambou, là (mais qui n’est pas noir comme au Japon). Il y a l’hibiscus aux pistils offerts dans sa corolle ouverte et l’hibiscus-piment à la fleur fermée comme une gousse, des bougainvillées violets, des daturas pâles et odorants, des magnolias et des tulipiers ; les poinsettias poussent leur fleur-feuille rouge verte, les lantanas éclairent de jaune, orange et mauve le bord des chemins.

magnolia sri lanka

Des frangipaniers ont la fleur blanche odorante aux pétales tournant vers la gauche, en roue solaire, dont on fait offrande à Bouddha dans les temples. C’est une véritable orgie végétale, tout prolifère et pousse à profusion entre le soleil et la pluie de mousson.

fleur de frangipanier sri lanka

Les arbres ont l’air de bondir, de danser, délirant de sève et de lumière : cet enthousiasme adolescent est celui que je ressens, comme Francis de Croisset, décrivant la forêt cinghalaise : « Des bambous métalliques partent comme des fusées ; des cocotiers font éclater en plein ciel leurs gerbes pluvieuses; des péronias dressent comme des baldaquins d’énormes plumes pourpres, — d’énormes plumes qui sont des fleurs. Des taliputs hissent à trente mètres des candélabres de muguets. Des palmes gonflées d’azur suspendent des parachutes. Des canéficiers érigent des fleurs en or, et d’autres des bouquets de fruits bleus. D’autres encore portent à la fois leurs fruits avec leurs fleurs, chargés comme d’immenses sapins de Noël. Des rhododendrons ont douze mètres et des pommiers-roses en ont vingt ; et des arbres inconnus, inouïs, montent et flambent comme des incendies. »

gamin medaille de shiva sri lanka

Il fait soleil et il pleut, parfois les deux en même temps. Fleurs immobiles, oiseaux de paradis mobiles, écureuil se filant de long des branches ou, d’un saut, d’une branche à l’autre, quelques singes du genre « cynique » (siniques), pas de singes noirs ici, et des chiens évidemment. Bien plus que de chats et bien moins discrets, mais pas de gamins car c’est jour d’école. Nous descendons dans les rizières où le seul chemin passe sur les murets larges de 10 cm qui les bordent. Chaussures en équilibre, appareil photo d’une main et parapluie de l’autre, nous tentons de coordonner tout ça pour avancer, admirer, clicher et ne pas tomber. Le comble, la pluie a fait sortir les sangsues et tout passage dans les herbes entraîne sa horde avide à l’assaut des chaussures. Nouveaux cris hystériques de celles qui croyaient en avoir à tout jamais fini avec ces mini pénis vampires.

curry paysan sri lanka

A l’abri chez l’habitant, nous déjeunons de divers curries pas trop épicés tandis que la pluie continue de tomber. La noix de coco râpée, légèrement humidifiée à l’eau, est souveraine pour calmer les brûlures du piment ; elle est une fin de repas fort agréable avant le thé chaud. Une petite chatte couleur poussière, qui ne quémande rien qu’un peu de compagnie, adopte les chaussures qu’elle flaire et s’endort en boule dessus. C. a beaucoup de mal à récupérer son bien et le garçon, rentré de l’école vient saisir son animal dans les bras.

cascade Bambarakanda de 263 m sri lanka

Nous sommes près du parc Hortons Plains, mais en contrebas, dans cet enfer de fin du monde que nous n’avions pas vu dans les nuages l’autre jour. Après déjeuner, il pleut toujours, mais nous montons dans les bois qui dégouttent voir la cascade Bambarakanda de 263 m qui tombe du rocher noir, la plus haute du Sri Lanka, à 1155 m d’altitude. Le jeu est de se baigner dans la vasque creusée par les siècles, mais seul un quart du groupe y va. L’eau est assez froide et l’atmosphère extérieure mouillée. Nous retournons par les bois puis par la route de ce matin, dans l’autre sens, avant de couper par des marches abruptes établies par les habitants entre les virages de la route. L’école est finie et les Hellos (nous) croisent les One pen (gosses) en échangeant toujours les mêmes propos et les mêmes gestes (sourires-photos). Même sous la pluie, ce pays est riant ; même dans l’orage, il est bien vivant. Le sol est mouillé, l’air moite, les arbres suintent, les nuages plombent le ciel dans une atmosphère d’aquarium, mais de jolis effets de brume montent sur les sapins.

brume de mousson sri lanka

Nous avons deux heures de bus pour rejoindre la réserve d’animaux où nous irons demain à l’aube. Le minibus a ses pneus avant lisses, je l’ai vu aujourd’hui. Voilà pourquoi ils crient parfois dans les virages. Le chauffeur est prudent, mais il doit négocier les chiens couchés sur la route, les vaches qui n’en font qu’à leur tête et à qui personne n’ose rien dire pour cause de sacré, les vélos non éclairés, les touk-touk aux allures d’escargot, les motos qui déboulent directement sans regarder, les bus qui doublent en forçant le passage… Je ne conduirais pas au Sri Lanka. La route est un déversoir de tout ce qui travaille, se promène et veut se rendre d’un endroit à un autre. Les chiens, habitués tout petit aux bruits et fureurs des camions et bus qui leurs passent sous la truffe ne se dérangent qu’à peine aux passages – au risque de se faire écraser une patte, voire choquer l’arrière-train. Des gosses presque nus courent librement après l’école et avant le coucher ; leur peau sombre ne se distingue pas de la route au crépuscule et leurs pieds sans chaussures ne font aucun bruit. La conduite du chauffeur est adaptée : il double les touk-touk qui n’avancent pas en double file, forçant ceux qui viennent en face à se ranger – sauf s’ils sont trop gros. Quand il double juste avant un virage, il est parfois obligé de se rabattre vite et c’est le plus petit qui cède.

gamin demi nu sri lanka

Nous avons vu deux Peugeot 504, voitures qui font chic mais d’un design désuet devant les japonaises omniprésentes. Sont-elles bien entretenues ou produites localement ? Arrêtées en 1983 en France, les berlines ont été produites au Nigeria jusqu’en 2005. L’intérêt de la 504 (j’en ai eu une durant dix ans) est qu’elle ne comprend aucune électronique et qu’elle se répare facilement. Les seules autres voitures européennes sont les Volkswagen Coccinelles, dont on voit quelques épaves routardes échouées dans les garages ouverts sur la route.

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William Faulkner, Lumière d’août

william faulkner lumiere d aout
Son septième roman, le plus long, est aussi l’un des plus puissants. Le lecteur est pris par cette symphonie aux multiples personnages, envouté par une histoire qui pousse à la manière d’un arbre, allant explorer d’un chapitre à l’autre chacune des branches. Le fil conducteur est la fatalité terrible du péché originel. Qui veut comprendre un peu les États-Unis d’aujourd’hui doit se pencher sur cette histoire faulknérienne du sud, où sexisme et racisme sourdent du puritanisme. Même la musique, « comme toute musique protestante, garde toujours quelque chose de sévère et d’implacable, de prémédité et de froid » p.273. L’Amérique n’a pas fondamentalement changé : égalitaire mais libertaire, elle coagule les communautés en excluant les étrangers au lieu. Putains de puritains.

C’est le cas de deux routards entre Alabama et Tennessee, une femme blanche et un homme au quart noir : étrangers apporteurs d’étrange, ils sont traités comme des parias. La première, Lena Grove, s’est fait engrosser sans être mariée et cherche son homme qui lui a promis de l’installer – mais qui fuit sans cesse les responsabilités. Le second, Joe Christmas, a été abandonné dès sa naissance à l’orphelinat par son grand-père fanatique, parce que sa mère avait fauté avec un « Mexicain » soupçonné d’être à demi-nègre (en fait, nul ne sait) ; il sera adopté par un couple de pasteur tout aussi fanatique, fermier fouettard hanté de chair et obsédé du travail. Autour d’eux, des personnages secondaires étayent l’histoire : Byron Bunch pas encore marié à 35 ans, Joanna Burden en Yankee négrophile, Gail Hightower le pasteur ostracisé, Lucas Burch veule et fuyard, McEachern père fouettard Ancien testament, Doc Hines vieillard paranoïaque.

Le lien commun est la pureté. A divers degrés, en positif ou négatif, mais la hantise de la souillure. Lena veut être légitimée comme mère en recherchant « obstinément » (p.6 édition Pléiade) le père de son enfant ; Christmas se cherche, n’étant ni blanc ni noir, pas même sûr d’être quarteron, ayant la nausée de la baise et finissant par tuer toute ses « mères » nourricières, la sienne l’ayant abandonné ; Doc Hines qui l’a volontairement livré à l’orphelinat est un fou calme (p.95), un paranoïaque focalisé sur la souillure du sang par la faute femelle, l’envie irrépressible de baiser des filles venant pour lui du diable ; McEachern qui élèvera le garçon, est obsédé par la perte, celle de la semence et celle du travail, avare d’accumuler du mérite en obéissant au Seigneur et sublimant les pulsions par le fouet ; tous les personnages ont le dégoût du sexe, du frottement des chairs, des menstrues, des grossesses, de la ménopause. Cette quête éperdue de pureté, analogue à celle du salafisme, incite à la brutalité, à sublimer le sexe par la guerre et les désirs sexuels par les pratiques sadomasochistes. « Plaisir, extase, ils semblent incapables de supporter cela. Pour s’en évader, ils ne connaissent que la violence, l’ivresse, les batailles, la prière. (…) Et, dans ces conditions, pourquoi leur religion ne les pousserait-elle pas à se crucifier eux-mêmes, à se crucifier mutuellement ? » p.273.

La violence éradique, le fouet désinfecte, le meurtre blanchit – la barbarie fait le vide. D’où la guerre des sexes, la guerre des classes, la guerre des races, particulièrement virulentes dans les petites villes du sud des États-Unis : « les gens sont partout pareils, mais il semble que c’est dans les petites villes que le mal est le plus difficile à commettre, où il est plus difficile de s’isoler, que les gens arrivent à inventer le plus d’histoires les uns sur les autres » p.53.

Quoi de plus implacable, comme destin, que de croire en la prédestination ? La folie du Doc Hines, qui livre le bébé à l’abandon après avoir tué le père et laissé mourir la mère – sa propre fille – apparaît comme une « volonté » de Dieu. « Je l’ai marqué déjà », fait-il dire à Dieu (qui n’en peut mais) p.276. D’où cette « passivité tranquille » de Christmas (p.120) et de Lena, la « lente indécision » (p.8) des paysans « pour qui le temps ne compte pas » (et qui rappelle furieusement celle de François Hollande). Si tout est écrit, si tout doit arriver, pourquoi s’en faire ? Le destin s’accomplira comme une volonté de Dieu, il suffit de « laisser du temps au temps » comme l’affectionnait Mitterrand. Quand on a l’identité coupable, la punition vient inéluctablement. Joe Christmas comme Joanna Burden se persécutent comme des frères ennemis, la Femme et le Nègre représentent l’altérité radicale, en ce pays, à cette époque.

negre lynche au texas 1910

L’ordre social exige le dressage de ces enfants du diable et le refoulement des pulsions qu’ils suscitent. Trois femmes et un nègre vont mourir dans le roman, pour assurer cet ordre que le jeune Percy, « fana mili » comme on dit aujourd’hui, parfait fils d’Amérique dans la Garde nationale, accomplira en tuant puis châtrant Christmas pour avoir égorgé la femme blanche. Les sociétés closes sont effrayées du mélange, hantées par l’impur. Nègre blanc est la pire condition, bouc émissaire facile pour les anges exterminateurs, leaders de leur communauté. Il faut écouter Percy dans son idéal : « foi sublime et implicite dans le courage physique et l’obéissance aveugle ; conviction que la race blanche est supérieure à toutes les autres races, et que la race américaine est supérieure à toutes les autres races blanches, et que l’uniforme américain est supérieur à tous les hommes, et que sa propre vie serait le seul paiement qu’on lui demanderait jamais en échange de cette conviction, de ce privilège » p.335.

Écrit en 1932 alors que l’Europe se fascisait à toute allure après la crise de 1929, William Faulkner montre combien ce qu’on reproche aux autres est aussi en soi : le fanatisme, la xénophobie, le racisme. Nazisme, communisme, salafisme, sont quelques-unes de ces convictions dogmatiques éprises de pureté absolue qui considèrent tous les non-membres comme des sous-hommes – et sont hantées par la souillure.

Faulkner montre au contraire que la vraie vie n’est pas puritaine. Obéir à l’Ancien testament n’est pas une œuvre pie mais une névrose collective du surveiller et punir. « Chiennerie et abomination », éructe le vieillard Hines, poussé par une pulsion de mort au point de tout liquider autour de lui, son gendre, sa fille, sa femme, et à tourmenter son petit-fils jusqu’à la fin de ses jours. Est-ce cela, la vie ? L’inverse de la vitalité ancestrale des femmes qui mettent au monde : « Il se rappelle le jeune corps vigoureux qui, même en travail, révélait quelque chose de tranquille et de brave » p.302. L’inverse de la vitalité primitive : « champs fertiles, la vie riche et luxuriante des nègres sur la plantation, les voix chaudes, la présence de femmes fécondes, la prolifique marmaille grouillante, nue, devant les portes, et la grande maison bruyante, retentissante des cris de trois générations » p.302. William Faulkner partage peut-être certains préjugés de son temps, mais pas le racisme sûr de lui-même et dominateur des peuples qui se croient « élus ».

Faulkner se révèle ici nietzschéen dans sa critique impitoyable du fanatisme religieux, du puritanisme de mœurs, du sentiment de se sentir supérieur par obéissance à quelques simagrées prêchées en chaire. Il accuse les poètes à la Tennyson de mensonge en idéalisant la vie hors sol, pour éviter des vapeurs aux bourgeoises. « Bientôt, le joli langage galopant, la langueur anémique pleine d’arbres sans sève et de concupiscences déshydratées, commence à flotter, douce, rapide et paisible. Cela vaut mieux que la prière, et l’on n’a pas à se préoccuper de penser tout haut » p.237.

Un très grand roman des lettres américaines – celui qui vous fait voir l’actualité aux États-Unis telle qu’elle est : Abou Graïb, French bashing, Tea party, amende BNP…

William Faulkner, Lumière d’août (Light in August), 1932, Folio 1974, 640 pages, €8.93
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 2, Gallimard Pléiade 1995, 1479 pages, €58.90

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Terres d’aventure a 35 ans

C’est l’âge mûr pour les hommes, mais l’âge mutant pour une entreprise. Fondée par des passionnés de 25 ans, comment ont-ils passé la main à 60 ans ? L’anniversaire des 35 ans prend alors un relief particulier, un retour sur les idées fondatrices et une ouverture vers l’avenir.

L’agence de voyage nature fête à Paris et dans deux grandes villes de province cet anniversaire avec ses plus fidèles clients. Je le suis moi-même depuis 1986, soit 26 ans. J’ai accompagné Terres d’aventure et ses accompagnateurs pendant les trois-quarts de son existence.

Je l’ai vu changer, bien sûr, avec l’époque, la société française et sa clientèle. Les routards du début ont laissé la place aux bobos, puis aux seniors aisés. Il y a moins de jeunes aujourd’hui, faute d’argent puisqu’on ne trouve un emploi stable qu’assez tard dans la vie. Les jeunes d’hier sont devenus plus soucieux de confort et de culture, aimant moins la marche dans les lieux escarpés que l’hédonisme d’endroits « de rêve » où le tourisme va peu.

Reste un esprit : celui de la « résistance » au tout matériel et à l’argent roi issu de la révolte de la jeunesse en 1968. Les cinq premiers voyages ont été éclectiques et curieux : la rivière Kwaï en Thaïlande, le Niger en pirogue jusqu’au Mali, la Cappadoce turque avec ses schtroumpf troglodytes, le GR20 corse sur la ligne de crête et une méharée dans le Hoggar. « Pour moi l’aventure est une ouverture sur le monde, sur les autres et, au final, sur soi-même : une ouverture sur l’inconnu », dit volontiers Daniel Popp, l’un des co-fondateurs. Nous « avions l’envie de sortir du cadre du tourisme organisé de l’époque », déclare Hervé Derain, l’autre co-fondateur. Ce qui fut fait à l’été 1976. Désormais 35 000 personnes voyagent avec Terres d’aventure chaque année.

L’aventure est moins le baroud ou l’exploit (il existe aussi avec la Transhimalayenne ou sur l’Everest) que la curiosité, moteur du rêve. Voyager est se dépayser, sortir de soi, donc prendre son temps. Le rythme de la marche, du canoë, du kayak de mer, du vélo, du cheval ou du chameau, permet d’acclimater l’ailleurs. Le voyageur est de plain pied dans le paysage, ses odeurs, ses lumières, ses chauds et froid. Il rencontre les gens tels qu’ils vivent, à leur rythme, sans apparaître comme des extraterrestres en cage dans les automobiles, les cars climatisés ou les paquebots. Il est des touristes qui adorent être entre eux, ne regardant l’étranger qu’au travers un écran, de loin. Ceux là restent sur leur quant à soi et devraient plutôt demeurer devant leur télévision. Mais il en est d’autres qui aiment s’ouvrir.

C’est cela l’esprit jeune. Il n’a pas d’âge. Il existe des vieux rassis de 18 ans, toujours en jean quelque soit le climat, baladeur vissé sur les oreilles pour ne pas écouter le monde, et Smartphone à la main pour rester branché à leur étroite communauté fusionnelle de potes. Il existe aussi, fort heureusement, des jeunes aventureux de 70 ans qui s’habillent comme la température l’exige, oreilles grandes ouvertes et nez au vent, sourire aux lèvres et quelques mots appris pour parler aux locaux.

Ceux là sont des explorateurs et pas des consommateurs. Ils restent dans la lignée des grands, ceux qui ont défriché les cartes. Terre d’aventure a eu l’heureuse idée de fixer cet état d’esprit dans un beau livre coédité avec Solar cette année : ‘Sur les traces des grands explorateurs’. Dirigé par Eve Sivaddjian, journaliste à Géo, et préfacé par Jean-Louis Etienne, explorateur nature, il retrace en 223 pages l’amour du monde tel qu’il est. Eve Sivaddjian est une grande dame fort sympathique. Elle a beaucoup voyagé et m’a conseillé, après les quelques 57 pays déjà arpentés, d’aller explorer l’Arménie.

Cinq domaines rythment les explorations : les déserts, les glaces, les forêts, les montagnes et les fleuves. Pour chacun, cinq explorateurs emblématiques, des plus connus (Alexandra David-Néel, Edmund Hillary, Ella Maillart, Paul-Émile Victor, David Livingstone) aux oubliés (Eugène Lenfant, Robert O’Hara Burke, Vladimir Arseniev, Vittorio Sella, Isabella Lucy Bird Bishop). De courts textes de présentation alternent avec d’innombrables photos commentées. Des vues actuelles, issues du fond photographique de Terres d’aventure, aux documents d’époque, parfois anonymes.

Ce livre est un esprit. Ses images une nature, paysages et humains mêlés, avec leurs animaux et les plantes environnantes, comme il se doit. Un hymne à la découverte, au voyage. Bien loin du tourisme marchandise… Qu’on se le lise !

Terres d’aventure sur les traces des grands explorateurs, Eve Sivadjian dir., coédition Terres d’aventure-Solar, avril 2011. Comme l’ouvrage n’est pas référencé sur Amazon ni visible sur le site des éditions Solar (!), voici le code ISBN utile aux libraires : 978-2-263-05417-4

Agence de voyage Terres d’aventure : www.terdav.com

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