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Cañon del Sumidero

L’avion se pose à Tuxtla Guttierrez où un bus nous attend. L’aéroport est petit et les formalités sont vites remplies. Nous avons quitté la ville de Mexico et son altitude de 2240 m pour tomber dans une ville tropicale du Chiapas à 531 m seulement. Il fait une chaleur écrasante, étouffante, nos oreilles sont encore dures du décalage de pression. Nombre d’arbres sont fleuris le long de la route dans ce climat de printemps perpétuel, dont un certain « guyaca ». Difficile de trouver les noms français puisque la plupart nous sont donnés en tzotlil, la langue indienne de la région. Les fleurs sur les branches sont mauves, rouges, jaunes. Les jaunes ne sont en fait pas des fleurs mais les feuilles mêmes qui ont cette couleur.

Nous allons directement au cañyon del Sumidero pour une promenade en barque à moteur. Ce sont les gorges du rio Chiapa, le second fleuve du Mexique, creusées sur 22 km. L’histoire veut que, lors de la Conquête, les Indiens de la ville de Tepetchia ont préféré la mort à la soumission et se sont précipités du haut des falaises qui s’élèvent à plus de 450 m au-dessus de nos têtes. La barque du « lanchero » est légère, en acier et à fond plat. Son moteur Yamaha de 115 CV la propulse à vive allure sur l’eau du rio large de plus de 200 m, élargie et calmée par le barrage Manuel Moreno Torres.

La « rencontre des trois montagnes » (titre très chinois) surgit à un virage du rio. Elle a été reprise comme symbole dans la bannière de l’état du Chiapas. Nous rencontrons le long des berges une faune variée : des cormorans pêcheurs souples et noirs, des garces blanches effilées, des vautours « zopilotes » à collerette, guettant les charognent (ils nous ignorent), des caïmans se chauffant au soleil la gueule ouverte hérissée de crocs, des singes araignées suspendus dans les arbres, boules rousses pendues par une patte ou par la queue pour nous regarder de haut, des tamanoirs à queue dressée comme des chats, dans l’ombre de la rive…
Une grotte recueille les fleurs et les chapelets en plastique des dévots : « tiens, encore une bondieuserie ! », lâche Christophe en verve. Une plaque à proximité précise que ce petit sanctuaire est dédié « à la mémoire du dernier des explorateurs vivants, Dr Miguel Alvarez del Toro, guerrier infatigable de la nature, créateur du parc national Cañon del Sumidero ». Un peu plus loin, à flanc de falaise, c’est un beau sapin vert qui dresse ses panaches descendants : une concrétion issue de l’eau chargée de minéraux qui goutte des sommets.

Le soleil donne la même soif aux gens et la bière fraîche du déjeuner est bienvenue. Je choisis cette fois une Bohemian pour accompagner l’assiette de poisson grillé agrémenté de salade tomate-concombre-oignons-radis et ornée de deux quartiers d’avocat.

Sur chaque table, trois sauces diversement pimentées sont offertes pour ceux qui veulent corser le goût. En revanche, le vin mexicain est à des prix « parisiens », de 120 à 190 pesos la bouteille ! Même le vin espagnol est moins cher ici. Par quel mystère de l’économie ?

Nous repartons pour San Cristobal de Las Casas à environ deux heures de là par une route en lacets qui nous fait remonter à 2113 m. Sur le bord de la route, les gens apparaissent plus pauvres tel ce gamin au tee-shirt déchiré qui cueillait des marguerites avec sa mère. La région cultive aussi les fleurs sous serre plastique.

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Cascade de Nauyaca

Le lever est avant cinq heures du matin. Petit-déjeuner copieux alors qu’il fait encore nuit avec œufs brouillés trop secs, toasts mal grillés, tranches d’ananas et de pastèque – et bien sûr le riz aux haricots noirs pour les amateurs de cuisine locale. La plage nous attend pour l’embarquement à six heures. La mer est calme mais le ressac nous oblige à embarquer avec de l’eau jusqu’aux cuisses. L’un des aides, un probable neveu de la famille, a autour de 20 ans et mouille son débardeur jusqu’au cou. Il s’en débarrassera une fois en mer pour un T-shirt blanc imprimé d’un slogan de pêche au Costa Rica, révélant entre temps une poitrine souple à la musculature ferme.

Le capitaine et sa bourgeoise au sourire à double rangée de crocs sont mignons, assis tous les deux sur le banc central. Ils sont amoureux. Nous sommes le 15 août, fête de Marie montée entière au ciel, dogme papal établi en 1950 seulement et jour férié dans ce pays très catholique.

Nous emmenons avec nous sur le bateau un couple hollandais et leurs deux filles, deux belles plantes robustes et blondes de 14 et 16 ans habillées en rose et blanc. Le bateau est plus grand que le précédent, propulsé par deux Yamaha de 250 CV Four Strokes et nous filons vite sur la mer calme, puis dans la rivière en remontant le courant. On peut en fait rejoindre le lodge par la route qui arrive sur les hauteurs, un bac permet de traverser la rivière. Mais c’est plus long et empêche cette impression de bout du monde qu’est le parc du Corcovado sur la péninsule d’Osa. Le bateau effectue un passage dans la mangrove par un bras annexe. Les arbres étanchent le sel pompé avec l’eau par leurs racines dans des formes de grosses boules sur leur tronc, ce qui fait comme des goitres.

Nous faisons deux heures de bus avec arrêt au supermarché pour acheter le pique-nique. Puis nous partons aux cascades (payantes) de Nauyaca.

Nous allons marcher 5 km, 1h30 aller et autant au retour. Nous commençons par une forte descente qu’il faudra remonter, puis survient une alternance de montées et de redescentes au soleil ou sous les arbres pour entrer dans le domaine privé de la cascade. Il a fallu s’inscrire, acquitter d’un droit (inclus dans notre forfait de voyage) et porter un bracelet rose tribal attestant de notre appartenance – tradition yankee. Un gardien en bottes surveille le site d’un air débonnaire mais vigilant. Les premières cascades s’abordent par le haut, elles sont trois et bien échevelées. Un sentier étroit, pentu et glissant mène à d’autres cascades issues des premières qui forment un bassin avec un courant assez fort. Nager jusqu’au pied de la cascade n’est pas aisé et je renonce assez vite. Justin y parvient, s’assoit sous la cascade puis devant, et filme avec sa caméra GoPro.

Nous nous baignons dans les vasques creusées par l’eau dans le roc. L’onde est douce et nous change de l’océan mais la température est nettement plus fraîche. Nous ne sommes pas seuls, loin de là, les locaux sont venus en ce 15 août férié, mais surtout des touristes américains viennent s’y baigner. Un couple d’une Chinoise et d’un Blanc aux deux petits garçons qui ne se baignent qu’en T-shirt jaune est amusant à observer.

Un jeune Américain aux muscles développés mais fins de probable surfeur et à la longue chevelure vient probablement de Californie avec sa copine aux cheveux également de bonne longueur. Ils sont jeunes, probablement guère plus de 20 ans, et ont chacun un téléphone mobile et une caméra GoPro montée sur perche. Ils nagent à peine et préfèrent se filmer mutuellement et se photographier pour transmettre leur bonheur en instantané, posant en Tarzan et Jane devant les chutes. Le sourire de la fille quand elle tapote sur son téléphone montre qu’elle a déjà reçu au moins un commentaire.

Notre pique-nique est copieux, composé sur place et acheté par Adrian au supermarché. Le pain n’est pas mou pour une fois car nous ne mettons les ingrédients dedans qu’au dernier moment. Sont à notre disposition de la salade, des tranches de tomates et de concombre, du poivron mariné, du thon fumé en boîte ou du jambon, de la mortadelle, du fromage en tranches sous blister ainsi que trois ananas mûrs en dessert. C’était trop et nous n’avons pas fini. Adrian a invité le gardien à se faire un en-cas. Le couple de jeunes Américains se contente d’un sandwich chacun, tiré de leur petit sac à dos. Comme ils nous ignorent et ne sympathisent pas, avec l’arrogance habituelle aux Yankees, je ne leur ai pas proposé de nourriture.

Nous sommes revenus au bus par une marche épuisante qui nous a laissé en eau. La dernière pente de 200 m de dénivelée à 2200 m était redoutable. Sur le chemin, j’ai quand même eu la force d’observer un ara solitaire.

Sur la route, nous apercevons parfois une corde tendue en travers, à bonne hauteur : elle est pour les singes, qu’ils puissent traverser sans passer sur le sol où ils se feraient aplatir par les véhicules. Des panneaux figurant un tapir signalent que des animaux autres que les singes peuvent traverser la route.

Nous rejoignons la route transaméricaine avant de nous élever jusqu’à 3500 m d’altitude puis de redescendre dans le parc naturel vers 2200 m. C’est là que se situe notre hôtel Savegre, du nom du rio qui a creusé la vallée. Il fait 19° centigrades dehors mais l’humidité et le brouillard donnent froid dans la forêt nuageuse de San Gerardo de Dota. Avant l’hôtel, nous nous arrêtons dans un restoroute pour un café qui a du goût et peu de force, à l’américaine. Mais son eau chaude est revigorante. L’hôtel est une suite de bungalows dans la nature, parmi les fleurs tropicales. La végétation reste luxuriante même à 3500 m mais le quetzal, qui hante les avocatiers, ne se montre pas. Il fait pourtant la fierté du parc.

Nous sommes contents de prendre une vraie douche, même si elle n’est que tiède, de nous changer et de nous vêtir plus chaudement. Le dîner buffet est somptueux avec une soupe aux poireaux, une truite façon tartare, du fromage mariné à l’huile et au poivre, des cœurs de palmier, des pilons de poulet sauce barbecue, de la truite grillée sauce poivre, de la purée, des pâtes, des légumes, des profiteroles, de la glace vanille et des poires au vin. Le cuisinier est belge.

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La Sirena et « le » tapir

Nous devons nous lever à cinq heures du matin pour la marée. Eff a mis son téléphone en mode réveil à 4h45 et, lorsqu’il saute sur le plancher en même temps que gronde le tonnerre, je crois dans mon sommeil à un tremblement de terre. L’orage a commencé le soir précédent avec la pluie ; il a grondé plus ou moins toute la nuit. Au matin, après le petit déjeuner, il pleut et c’est en cape de pluie que nous nous dirigeons vers six heures sur la plage d’embarquement, les pieds dans l’eau. Nous aurons environ 1h30 de navigation avant la station de la Sirena, dans le parc national du Corcovado.

Le bateau est le même qu’hier mais armé par un autre capitaine, plus jeune avec une double chaîne au cou et des clous dans l’oreille. La barcasse à fond plat muni d’un tau fixe est mue par un moteur Suzuki de 200 CV. La mer est cette fois formée en raison de l’orage et du vent, et la coque tape en retombant à la lame. Ces mouvements, les vibrations et l’odeur d’essence finissent par me donner le mal de mer. Je suis content de me jeter sur la plage pour me vider par les deux bouts.

D’autres bateaux apportent leur lot de touristes dont une maman et ses deux enfants, un garçon et une fille de 7 et 9 ans environ, qui parlent en français. Je ne sais pas où est le papa, peut-être travaille-t-il dans le pays ou aux Etats-Unis tout proche en avion ? Ils sont tous les trois vêtus de la même chemise blanche légère à manches longues, translucide ; c’est plutôt mignon. Je note encore une fois combien les mères traitent différemment leur garçon de leur fille. La crème solaire est plaquée sur les joues du gamin comme une gifle et étalée vigoureusement jusque sur la nuque, alors qu’elle est plutôt caressée sur les joues de la fille. Les cols sont fermés, les manches allongées et les pantalons de rigueur contre la phobie des piqûres d’insectes. C’est une application du principe de précaution.

Un guide du parc cherche les animaux à observer. La trace d’un tapir sur le sable conduit à une grosse bête qui se repose dans les fourrés denses. Nous nous approchons doucement, il nous voit mais semble habitué et joue l’indifférent.

Un peu plus loin, un autre tapir sort nonchalamment pour aller jusqu’aux premières flaques de la marée qui descend et en aspirer un peu d’eau délicatement salée.

Il revient au milieu des touristes qui le mitraillent en photo, sans leur marquer aucun intérêt. Il en a vu d’autres. « Tapir bitte ? » – nous laissons la place à des Allemands.

Une trace de coati mène jusqu’à un terrier de sable remué ; des restes de crabes montrent que l’animal en a fait son repas.

Les traces continuent jusqu’à un nid de tortue sur la grève, dont la longue empreinte double montre qu’elle vient de pondre depuis la mer. Le coati a dévoré les œufs que les faucons noirs des mangroves achèvent.

La pluie s’est arrêtée durant toute la promenade et ne reprend qu’à la fin, et ce pour toute l’après-midi. Elle est accompagnée de tonnerre. Des singes attelle sautent de branche en branche. Comme les autres animaux du parc habitués aux touristes, ils ne sont pas très sauvages.

Après la plage, la découverte se poursuit par la forêt. Il y fait moite et boueux. Des singes hurleurs se disputent un seul arbre dans un concert de glapissements qui évoquent les monstres de Jurassic Park, film tourné en partie au Costa Rica. Nous pouvons les voir sauter de branche en branche au sommet du même kapokier et les téléobjectifs se déchaînent. Moi, réduit à mon petit appareil de poche Sony, je ne prends que des points minuscules sur l’ensemble. Une fois rentrés, les autres me montreront le vrai visage des singes.

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Pluie et rivière a la Sirena

La même rivière est traversée quatre fois, ce qui permet à Justin de tomber dans l’eau et de ne se tremper en entier qu’à la dernière fois. Puis c’est au tour d’un autre garçon sur le même gué, un arbre mort qu’ils s’obstinent à vouloir traverser pour rester au sec. Nous avons pour notre part préféré mouiller un peu nos chaussures plutôt que de glisser sur un tronc pourri.

Un caïman marron de petite taille, dont la tête triangulaire sortait de son terrier creusé dans la berge, a effrayé les filles qui ne font les bravaches qu’en bande. La rivière était trop tranquille. La bête était à l’affût d’une proie possible et il avait entendu du bruit : le nôtre.

En attendant les nageurs qui s’ébattent dans leur sac avec leurs appareils et qui s’ébrouent ensuite à grands bruits d’hippopotame, nous pouvons observer les petits crabes des arbres, les fourmis coupeuses de feuilles en procession, les fourmis soldats qui sortent aux vibrations des pas.

Sur un acacia, les fourmis rouges ont colonisé les épines et protègent l’arbre des prédateurs. Seul une espèce d’oiseau peut y faire son nid : il dépose un brin de paille, puis plusieurs. Les fourmis les coupent et en font une boule, ce qui réalise le nid de l’oiseau, qui se trouve en plus bien protégé par les fourmis ! De petites abeilles sauvages produisent un miel dont les locaux se servent comme médicament pour résorber les bosses ou désinfecter les plaies.

L’arbre crocodile a des piquants épais, mais jusqu’à deux mètres de hauteur du tronc seulement ; au-delà, c’est inutile, les prédateurs ne peuvent pas sauter assez haut pour ronger son écorce. L’eucalyptus arc-en-ciel porte une écorce multicolore. Le palmier à tiges piquantes veut se protéger des singes mais ceux-ci, plus malins viennent quand même manger les fruits. Une plante de la famille de l’ananas a des feuilles qui portent sur leur bord des piquants dans un sens puis dans un autre, cela pour éviter de se faire bouffer.

Le guide a attrapé une grande sauterelle, l’a tenue dans la main pour la photo, avant qu’elle ne saute directement sur un arbre. À la fin de la boucle de promenade, à proximité du restaurant, nous avons vu une mante religieuse sur une plante qu’avaient remarquée les enfants en chemise translucide. Le plus jeune, Antoine, l’a montrée à sa sœur.

La pluie a repris, tropicale, diluvienne, et dure un long moment. Un petit aéroport sur terre battue a été aménagé. Un avion pour quelques passagers qui a raté la piste, et dont il ne reste que la coque, est recouvert en bordure par la végétation.

La marée n’est pas assez haute encore pour remettre le bateau à flot et nous devons attendre un peu. Certains font une courte randonnée, d’autres, dont je suis, restent sous l’abri à regarder le large. Le retour est sur une mer aussi agitée qu’à l’aller mais le bateau tape moins et la route, plus proche de la côte, est plus directe. Je ne suis plus malade. L’épreuve dure encore une bonne heure et demie. Nous arrivons trempés du bas par la vague en montant sur le bateau, puis par les embruns sur le bateau, enfin par la pluie qui pénètre par les côtés ! Trois naïades hollandaises en maillot de bain deux-pièces noirs passent sur la plage lorsque nous débarquons ; elles reviennent d’on ne sait où ainsi légèrement vêtues. Il faut dire que, quand il pleut à 28°, inutile de mouiller ses vêtements !

L’après-midi libre s’achèvera sans que le déluge ne cesse, avec d’incessants grondements de l’orage. Je me demande comment la rencontre hostile de deux masses d’air, la chaude et la froide, peut générer un orage permanent en cataracte qui dure des heures. C’est peu compréhensible a priori.

Nous déjeunons tard d’un plat de riz, de salade et d’un chausson au reste de zébu sauce poivron mangé hier soir. Le petit-déjeuner était loin, nous l’avions pris dix heures plus tôt. La douche dans les bungalows est froide mais l’électricité permet de ventiler les affaires mouillées, faute de mieux. Les filles trouvent toujours une bête dans leur chambre : une araignée, deux cafards, un serpent. La bande des « ratons- laveur » s’est coagulée deux soirs plus tôt lorsque les affinités de table ont réuni les femmes célibataires ou divorcées qui ont demandé à l’autre bout le jus de fruits, la sauce à l’ail, la sauce brune – et ont tout dévoré. D’où leur surnom. Les rires et les glapissements envahissent parfois un peu trop fort l’atmosphère depuis.

Sieste et carnet pour le reste de l’après-midi. Que faire, en effet, dehors, sous une telle pluie ? Le groupe de Hollandais joue aux cartes avant de passer du temps au bar. Eff lit ou dort. Dans la chambre, j’entends le tapotement de la pluie sur le toit, le mugissement régulier des lames qui s’écrasent sur la plage proche, le grondement lointain du tonnerre, le coassement des crapauds. Ce sont tous les bruits qui surgissent lorsque nous coupons le ventilateur. L’après-midi s’étire à attendre le dîner de 19h30 sous l’éternelle pluie d’orage.

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Paul Theroux Suite indienne

L’auteur américain est reconnu pour ses récits de voyage aigus et l’observation acides de ses contemporains. Il écrit aussi des romans et en présente trois à la suite. Grosses nouvelles ou petits romans, peu importe, les Américains bien tranquilles aiment les gros bouquins alors que les Français stressés, qui ont toujours peur de manquer le dernier métro de la mode, préfèrent les formats courts qu’on survole en moins d’une heure.

A 66 ans, Paul Theroux est dans une forme éblouissante. La figure romanesque le libère des précisions de fait et rend ses personnages plus véridiques. Ce sont des Américains moyens qui raisonnent avec le bon sens de rigueur dans les états blancs, riches et protestants. Surprise amusée, jugement souverain, petits compromis avec la morale, chacun se reconnaît plus ou moins dans ces personnages de bourgeois aisés issus de la culture post-68 et ayant réussi en affaires, en études comme en amour. C’est à ce moment qu’une fois bien ferré, le lecteur est conduit au renversement inattendu des choses. Ce qu’il croit n’advient pas, au contraire ; tous les aménagements avec le bien se retournent avec une force décuplée – comme il est dit dans la philosophie indienne. Du roman, l’auteur nous mène au conte moral et sa subtile cruauté n’en est que plus délectable.

Dans La colline des singes, un couple de Bostoniens bon chic, massés d’Âyurveda et assouplis de yoga, contemple avec stupeur des singes au comportement presque humain. Ils en rient avec affectation sans voir que les Indiens, si corrects avec les clients, les observent de la même façon. Il suffit qu’ils dérapent imperceptiblement pour que tout se sache et que l’inflexible correctness héritée de la civilisation brahmanique (accentuée par le can’t britannique) se mue en rejet méprisant de ces ‘barbares’ occidentaux trop visibles. Pourtant, chaque petit geste à la limite apparaît anodin, compromis imperceptible avec la morale qui passerait sans peine aux Etats-Unis ou en France. Mais l’Inde est radicalement autre et nul n’explore sa culture profonde comme on va chez Disney. Il ne suffit pas de singer le yoga et de se soumettre à l’Âyurveda, ni de manger épicé et de porter du shatoosh, pour pénétrer la civilisation indienne. Tel est peut-être le message de Paul Theroux à ses contemporains, il le distille avec une grande finesse. Nous aimerions avoir ce don d’humour redoutable qui est sa marque et fait mouche.

La Porte de l’Inde est une progression. Nous sommes toujours face à un Américain type, pressé, avide et horrifié par tout ce que l’Inde présente de misère, de microbes et de pollution. Malheureux en amour au point de s’être marié tard avec une égoïste, puis d’avoir divorcé un an plus tard, il succombe aux attraits d’une très jeune Indienne qui danse devant lui seins nus et l’aguiche habilement en présentant ses dons comme un bienfait humanitaire. Les Américains se repaissent de sexe comme de food – fast and fat. Mais le sexe fait sortir Dwight, avocat d’affaires redoutable, de son univers censuré et de ses préjugés hygiénistes. « Oui, l’Inde était sensuelle. Si elle semblait puritaine, c’est que derrière son puritanisme se cachait une sensualité refoulée, plus insatiable, plus nue, plus vorace que tout ce qu’il avait jamais connu » p.208. La délicatesse polie des femmes indiennes le change des harpies égoïstes américaines. Aidé par le jaïn Shah, avocat indien, il se transforme. Le tout est de ne pas accepter l’apparence des choses. Dwight demande à rester un peu en Inde et pousse Shah à aller le remplacer aux Etats-Unis pour un séminaire. Une fois ces épreuves accomplies, l’échange peut avoir lieu : Shah offre la pauvreté et la méditation sur l’existence et Dwight fait cadeau à son partenaire de ses contacts d’affaires américain pour l’essor de sa carrière. L’auteur se garde bien de dire qui devient le plus heureux – ou qui a roulé qui : on est en Inde, pays de l’ambigu où l’apparence cache toujours l’apparence.

Le Dieu Eléphant progresse encore. Après la punition, puis la rédemption, la compréhension. Alice est une étudiante américaine pragmatique qui fait son expérience. Après que sa copine, la précieuse Stella, l’eût larguée pour un frimeur cinéaste et friqué, elle rejoint l’ashram convoité par ses propres moyens. L’occasion, dans le train indien, de rencontrer le gros Amitabh, type de jeunesse indienne moderne qui rêve fric, électronique et anglais globish – tout en restant ataviquement le machiste gâté façonné par l’éducation indienne. La suite avance : l’Américain n’en reste plus à la bêtise satisfaite, ni à la rédemption des péchés humains trop humains. L’héroïne est une fille, positive, yankee dans ce qu’elle a de pionnier ; elle veut comprendre l’Inde et non s’y immerger. Elle se laisse changer par le pays tout en aidant le pays à se changer. Habitant un ashram où un Swami l’enseigne, elle travaille grâce à Amitabh dans un centre d’appels pour produits électroniques où elle enseigne aux jeunes Indiens comment répondre et avec un accent compréhensible. Equilibre ? Presque. Rien n’est éternel, tout passe, le monde est sans cesse en mouvement. Ce fondement de la philosophie indienne la rattrape par le karma, cette suite d’actions qui engendre des conséquences. Le côté américain « bon garçon » qui a fait Alice aider Amitabh (qui se fait appeler Shah en affaires) donne des idées à l’enfant gâté : il se met en tête de la séduire, elle refuse, il la suit. Drame. La justice à l’indienne étant aussi surannée que ses expressions anglaises figées depuis la conquête, seule la justice immanente peut rééquilibrer la balance. Futée, Alice songe à l’éléphant, celui qu’elle nourrit avec plaisir et qu’elle plaint lorsqu’il est pris d’envie de liberté ; il est pour elle l’incarnation du dieu Ganesh. Portez plainte en Inde, vous vous retrouverez englués dans « une culture chicanière. Pas de justice, mais une lutte incessante et des confrontations de biais qui revenaient à fuir la réalité. L’aspect antique de l’Inde, ce côté décomposé, squelettique, était le résultat de cette tendance à tout remettre à plus tard. On pouvait mourir avant de voir la moindre promesse tenue, mais la dénégation était une autre manière de gérer les affaires. Le système judiciaire était basé sur l’accumulation d’obstacles » p.420. Alice applique donc le positivisme occidental du « aide-toi, le Ciel t’aidera », et Ganesh s’en charge. Le lecteur verra comment, nous nous en voudrions de déflorer le dénouement.

Paul Theroux livre dans cette nouvelle « la plus importante découverte des voyageurs. Vous partiez de chez vous pour aller à la rencontre d’inconnus. Personne ne connaissait votre histoire, personne ne savait qui vous étiez : c’était un recommencement, presque une renaissance. Être qui vous vouliez, qui vous décidiez d’être, était une libération » p.332. Il renouvelle la philosophie des routards hippies en mesurant combien ses contemporains se sont éloignés de son élan sain. « Avec le temps, un voyage n’est plus un simple interlude de distractions et de détours, de visites touristiques et de loisirs, mais une série de ruptures, au fil desquelles on abandonne peu à peu tout confort (…). Être seul sans jamais se sentir isolé. Il s’agissait non pas de bonheur mais de sécurité, de sérénité, de découvertes au gré des allées et venues… » p.364.

Dans cette Suite indienne, Paul Theroux montre qu’il est un grand écrivain. Ses trois histoires captivent, ses personnages bien de notre temps évoluent selon leurs ressorts intimes, son style tout de détachement et de précision décape au scalpel. Voilà qui est puissant.

Puissant est peut-être le terme le mieux adapté à ce livre, puissant comme le lotus – cette plante symbole de la culture indienne – qui pousse sa racine d’elle-même, sans insister mais avec obstination, depuis la boue du fond au travers de l’eau stagnante – pour s’épanouir à la lumière.

Paul Theroux, Suite indienne (The Elephanta Suite), 2007, Grasset 2009, 425 pages, €21.25

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La planète des singes de Franklin Schaffner

Dans une longue nouvelle de fiction, Pierre Boulle (un Français) raconte en 1963 comment une autre planète a favorisé les grands singes plutôt que les humains, à partir du rameau commun. Ce conte philosophique à la manière de Montesquieu permet de réfléchir au contraste éternel entre civilisation et barbarie. Il met en scène un univers parallèle aussi darwinien que le nôtre, dans lequel l’orgueilleuse humanité (surtout blanche) se voit réduite à son animalité fondamentale.

Car le danger de la science – mais surtout de la technologie – est la paresse : pourquoi faire effort lorsque la machine ou l’animal domestiqué, peuvent tout faire à votre place ? Plus intelligents que nous, les Grecs antiques avaient cantonné la science à la philosophie, la recherche de la Vérité visant à apaiser l’âme tandis que les efforts commerciaux ou la guerre permettaient d’acquérir marchandises et main d’œuvre bon marché.

Sur la planète de Boulle, l’évolution naturelle fait entrer l’humanité en décadence dans le même temps que les primates évolués se mettent à réfléchir et à parler.

 

La planète est baptisée Soror (sœur), cinq cents ans dans l’avenir. Les femmes vivent à poil et les chimpanzés poilus dominent la civilisation. Le vaisseau terrien qui se pose n’en croit pas ses yeux. Capturés par les singes, le narrateur commence à apprendre leur langage et il s’aperçoit que la culture simiesque n’est fondée que sur l’imitation. Donc que les grands singes ont supplanté les humains… De retour sur terre, les astronautes aperçoivent la tour Eiffel. Mais ils sont accueillis par un grand singe !

Le film tiré de la nouvelle est américain – donc transpose dans la culture basique yankee le message trop subtil du Français. L’autre planète n’est pas autre mais la nôtre ; ce n’est pas l’Evolution mais la Bombe qui a promu les singes ; la tour Eiffel est remplacée par la statue de la Liberté et Paris par New York ; la femme Nova n’est pas nue mais affublée d’un pagne et d’un soutif loqueteux ; un seul astronaute s’en sort (Charlton Heston) et – comme toutes les planètes de l’univers ne peuvent parler qu’anglais – il n’a aucun effort d’apprentissage de la langue singe à faire : ce sont eux qui parlent la sienne (et après 3000 ans sans changements !). C’est dire combien est raccourcie, caricaturée et vulgarisée la réflexion de Pierre Boulle, sans doute trop complexe pour les cerveaux primaires yankees. C’est dire aussi combien cette pression d’évolution que constitue la flemme et l’hédonisme, pointée par Boulle, agit concrètement chez les Américains contemporains.

Le film de Franklin Schaffner – le premier d’une série commerciale très inégale – reste cependant intéressant à revoir. Il accuse l’homme d’être un tueur parmi les espèces et de détruire son environnement. L’homme blanc étant le pire, peut-être parce qu’il a plus de moyens techniques. Les grands singes qui ont pris sa place font du désert plombé par le soleil un grand espace mort, tabou, que le gourou mythique des singes interdit à jamais d’explorer. Les orangs-outans, qui ont divergé il y a environ 12 millions d’années de la lignée humaine, dominent la politique et sont gardiens de la religion, tandis que les gorilles qui ont divergé il y a environ 10 millions d’années remplissent des tâches de brutes militaires et de flics, dans la même catégorie homininés que l’homo sapiens. Les chimpanzés, qui ont divergé en dernier il y a environ 6 millions d’années sont les plus proches de l’homme, donc plus « civilisés » ; ils occupent la fonction de recherche scientifique. Dans l’esprit américain 1968, l’orang-outan est le despote asiatique crispé sur le dogme (Staline ou Mao), le gorille le gros nègre fruste, violent et musculeux (Idi Amin Dada), et le chimpanzé un racé blanc blond à la pointe de l’intelligence (donc un astronaute américain)…

Ce pourquoi Charlton Heston, qui a quitté son vaisseau spatial tombé dans un lac de la zone interdite, puis devenu seul de son trio à conserver toutes ses facultés après capture par les singes (une balle l’a empêché de parler un long moment), se lie d’amitié avec un couple de chimpanzés vétérinaires (qui soignent et dissèquent l’espèce humaine pour l’étudier). John Chambers a tellement bien réussi ses maquillages simiesques que l’on ne reconnait aucun acteur ; il en a obtenu un oscar en 1968.

Le héros blanc américain réussira à fuir, à découvrir une poupée humaine qui dit « maman » dans une grotte en bordure de zone interdite, et ira explorer le rivage avec Nova, la femme sauvage qui ne connait pas le langage parlé mais qui s’est attachée à lui. Il aura la surprise de découvrir que cette autre planète n’est pas autre mais bien la même, 3000 ans plus tard. Les imbéciles de sa race maudite ont fait sauter leur Bombe atomique, ce qui a seul permis aux singes de prendre le pouvoir.

La suite est très inégale, purement inventée cette fois, sans l’aide de Pierre Boulle – ce qui réduit le message à de l’action hollywoodienne sans grand intérêt. Mais ceux qui ont été séduits par le thème de l’inversion évolutive pourront suivre avec plaisir les aventures des humains déchus perdus sur leur ancienne planète. Les hommes de ces films sont quasi nus mais pas les femmes, ce qui en dit long sur les tabous religieux présents encore bien après 68 aux Etats-Unis et sur l’homoérotisme latent de cette société puritaine. Car, lorsqu’il y a interdit, il y a tentation et fantasmes. C’est quand même la principale leçon du mouvement occidental autour de mai 1968 de l’avoir prouvé, malgré ses excès.

Pas sûr que l’on ait bien compris ; pas sûr non plus que le message de Pierre Boulle sur la paresse qui dévie l’évolution soit plus assimilé…

DVD La planète des singes de Franklin Schaffner, édition simple, avec Charlton Heston, Roddy McDowall, Kim Hunter, Maurice Evans, James Whitmore, 20th Century Fox 2006, normal €10.00, blu-ray €19.71

7 DVD La Planète des Singes – Intégrale = La Planète des singes 1968, Le Secret de la planète des singes de Ted Post 1970, Les Evadés de la planète des singes de Don Taylor 1971, La Conquête de la planète des singes de J. Lee Thompson 1972, La Bataille de la planète des singes de J. Lee Thompson 1973, La Planète des Singes de Tim Burton 2001, La Planète des Singes : Les origines de Rupert Wyatt 2011, 20th Century Fox 2011, blu-ray €29.99

Pierre Boulle, La planète des singes, 1963, Pocket 2001, 192 pages, €4.30, e-book format Kindle €7.99

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Pas si bêtes, les bêtes !

Frans de Waal est primatologue hollandais. Il étudie les comportements des singes, aux Pays-Bas et aux États-Unis. Il publie régulièrement des livres sur les résultats obtenus, qui remettent en question les préjugés humains sur les bêtes : elles sont moins bêtes que vous !

Une entrevue dans le magazine scientifique La Recherche (n°515, septembre 2016) fait le point et présente son dernier livre.

frans de waal

La bêtise, chacun le sait, est le contraire de l’intelligence… capacité très difficile à mesurer. Sot, maladroit, futile, sans valeur, ce qui est bête est réputé sans réflexion, comme programmé, automatique : ainsi font les animaux comme les fourmis ou les chiens de Pavlov. « Défaut d’intelligence », dit de la bêtise le petit Larousse. Alors comment définit-il l’intelligence ? « Faculté de connaître et de comprendre, bonne entente », affirme-t-il. Chaque espèce a développé une façon de connaître son milieu et une intelligence à survivre. Et c’est justement ce que Frans de Waal démontre des bandes de singes sociaux qu’il a étudiées…

Les chimpanzés du zoo d’Arnhem sont rarement agressifs mais à 95% du temps pacifiques. Lorsqu’une explosion agressive se produit, elle est dénoncée à hauts cris par les autres, qui encouragent à se réconcilier et, lorsque vient la réconciliation, tous se réjouissent bruyamment. Il n’est pas rare qu’une agression bénigne, genre engueulade, soit suivie d’une consolation de l’engueulé par un plus jeune ; « Il passe un bras autour de son cou, l’embrasse, l’épouille ».

singes frans de waal

Parmi les singes grands et petits du zoo d’Atlanta, la nourriture est volontiers partagée. L’empathie repose non seulement sur l’émotion immédiate et l’imitation, mais aussi sur ce que pense l’autre – et ce dont il a besoin est mis en évidence. Le primate, comme l’humain, « est par nature équipé des mécanismes fondamentaux sur lesquels repose la morale », conclut Frans de Waal. Les Dix commandements comme loi naturelle, il fallait ce raccourci pour réconcilier le bon sauvage avec la religion.

Le sentiment d’injustice est fort parmi les singes sociaux. Prenez les capucins d’Amérique du sud, assez loin de nous par la génétique. Si vous donnez à deux capucins chacun une tranche de concombre, tout va bien ; si vous donnez à l’un un grain de raisin (nettement meilleur et préféré !) et à l’autre une tranche de concombre, rien ne va plus. Le lésé se met en colère, refuse le concombre, et il n’est pas rare que l’avantagé refuse aussi de manger tant que son copain n’a pas eu le raisin comme lui. Ce sont des comportements « très semblables à ceux des enfants humains dans la même situation ».

Pourquoi avoir mis tant de temps à découvrir ces faits d’expérience qu’une bonne empathie aurait pu connaître ? A cause de la Bible et de cette croyance orgueilleuse et absurde que l’Homme est le sommet de l’évolution, hors de terre car fils de Dieu, appelé par Lui à régner sur les plantes et les bêtes et à exploiter la planète à son seul profit. Ont suivi ces théories plus bêtes que celles des bêtes : les animaux-machines de La Mettrie préparés par le fonctionnement d’horloge de l’animal selon Descartes, puis le behaviorisme de Skinner fondé sur le conditionnement (la salivation du chien de Pavlov). En psychologie humaine, cela donnait le formatage mental et la propagande de masse, voire la publicité : les gens étaient bêtes et il fallait les traiter comme des bêtes, les dresser par l’école et l’armée, leur faire peur par l’église et la justice, et les inciter à agir par réflexes conditionnés.

Nous sommes sortis de la société autoritaire – quoique nombre de pays et religions souhaitent y revenir et que les pays de l’ex-URSS y soient restés – et la science découvre autre chose que ce qu’elle cherchait auparavant à confirmer. Oui, coopération, consolation, entraide, réconciliation sont des éléments naturels de la culture en société. Les singes nous le montrent. Serions-nous assez bêtes pour ne pas les suivre ?

La Recherche, n°515, septembre 2016 en kiosque
Frans de Waal, Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ? 2016, Les liens qui libèrent, 320 pages, €24.00
Frans de Waal, L’âge de l’empathie – leçons de la nature pour une société solidaire, 2011, Acte sud poche, 386 pages, €9.70
Frans de Waal, De la réconciliation chez les primates, 2011, Champs Flammarion, 382 pages, €10.20

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Morale et politique

Qui s’intéresse à la politique connait bien sûr les deux éthiques du sociologue allemand Max Weber : l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. La première s’en tient aux Grands principes, la seconde examine les conséquences de ses décisions. La conviction est donc une position plus confortable, puisqu’elle dispense de penser et de prévoir ; elle affirme : c’est comme ça !

Notons que l’éthique (traduction française de l’allemand) est plutôt ce qui devrait être, tandis que la morale serait ce qui se pratique en termes de normes. Conviction et responsabilité vont donc plus « ce vers quoi l’on doit tendre » qu’elles ne sont des positions tranchées en noir et blanc – celles que les petits esprits (et surtout les médias) croient voir s’affronter, ayant ainsi l’illusion de vivre l’Histoire.

Weber les 2 ethiques

Lorsqu’on ne veut pas débattre d’un sujet, le recours aujourd’hui à la Morale est comme hier le recours à Dieu : vous n’avez qu’à croire, il n’y a rien à discuter !

Morale et politique sont donc antinomiques, tout comme la religion et la démocratie : qui est sûr et certain de détenir la Vérité unique ne voit pas l’intérêt d’en débattre ni de négocier les commandements. Ses opposants doivent se soumettre, tout simplement – puisque Dieu l’a dit. Si la religion a été reléguée dans l’ordre du privé, l’ordre du politique n’admet que la neutralité. Il n’y a que l’islam, religion suivie par des croyants venus de pays autoritaires, ayant peu investi dans l’éducation et emplis de ressentiment envers l’ex-colonisateur occidental, qui refuse encore la neutralité de l’espace public – du moins dans ses franges littérales, wahhabite ou salafiste.

Mais il n’y a pas que la croyance en Dieu qui conduit à ce genre de confusion entre privé et public : la croyance progressiste ou les tenants de l’Histoire en marche ont la même conviction d’avoir raison contre tous. Il y a donc une morale religieuse et une morale laïque aussi bornée l’une que l’autre quand elles confondent les ordres. La seule expression permise est pour elles le slogan du Credo ou « l’indignation » morââle. Brailler n’a jamais fait avancer les choses, c’est seulement affirmer le droit du plus fort – vous savez, comme les singes qui se défient en braillant et en se tapant les pectoraux.

priere selon mathieu ricard

Chacun peut mettre ce qu’il veut dans « l’identité nationale », j’en ai parlé déjà, mais le concept en lui-même n’est pas à rejeter comme « immoral » ou « fasciste » – d’autant que 82% des Français se déclarent « fiers » de leur identité nationale (sondage Cevipof, p.63). Il s’agit des valeurs communes et des mœurs admises qui permettent de vivre ensemble en bonne intelligence : en France la liberté d’aller, de créer et de s’exprimer, une certaine égalité fondée sur le mérite, la solidarité sociale – et la laïcité envers toutes les croyances (elles sont libres d’expression – dans la limite de la liberté des autres et de la vie collective). Cette « identité » est donc légitime et respectable ; le populaire, qui s’en revendique avec des mots peut-être frustes pour les intellos de gauche – et avec l’outrance propre à ceux qui ne sont pas entendus depuis une génération – ne peuvent pas être méprisés au nom de la Morale par l’élite autoproclamée. Qui t’a fait roi ?

Opposer la Morale à la crainte, dans le cas d’immigration massive de groupes entiers, ce n’est pas faire de la politique, c’est asséner un devoir – sans en discuter. Qu’il vienne en quelques mois plusieurs centaines de milliers de musulmans en France, est-ce vraiment négligeable ?

Doit-on faire preuve de compassion ou de bon sens ? Un peu des deux, serait-on tenté de dire, pragmatique. Mais la compassion est de mise pour les individus, est-elle de mise pour les groupes entiers ? Est-ce du même ordre d’accueillir un malheureux chez soi, ou d’accueillir tout son quartier ?

La vraie question, cependant, est celle du possible – donc des conséquences de ses décisions : la France a-t-elle les capacités et les moyens d’accueillir toute la misère du monde ? (même si elle en prend sa part – ajoutait Rocard). La cohésion nationale, déjà chancelante, en sera-telle renforcée ou un peu plus minée ?

censure mediavores

Jusqu’à nouvel avis, la France est composée de Français. D’origines diverses peut-être, mais qui ont en commun un certain nombre de choses qui forment cette « identité » que les bobos nomades mondialisés ne veulent pas voir. Ne faut-il pas leur demander, aux Français, ce qu’ils en pensent – au lieu de leur asséner des vérités toutes faites au nom de la Morale édictée par les seuls intellos ?

  1. Aux politiques d’expliquer en quoi ces musulmans-là fuient justement l’intégrisme et ne devraient pas reproduire chez nous ce qu’ils ont subi chez eux.
  2. Aux politiques d’expliquer en quoi la guerre de Bush en Irak et en Afghanistan a été une stupidité, en quoi la guerre de BHL et Sarkozy en Libye a été une imbécilité, en quoi l’inertie Obama face à Assad en Syrie, le laisser-faire OTAN au double-jeu turc et le refus de participer à l’action russe aide en quoi que ce soit à résoudre l’expansion de l’état islamique et la guerre civile – qui produisent toute cette immigration. Et pourquoi ces gens viennent en Europe et pas dans les pays musulmans alentour, leurs « frères » – si l’on a compris vaguement ce qu’est une « religion ».
  3. Aux politiques d’expliquer en quoi le multiculturalisme est une richesse ou un mélange indifférencié, en quoi il produit des étincelles de nouveauté ou des explosions d’incompatibilité.
  4. Aux politiques d’expliquer en quoi cette masse de nouveaux arrivants ne va pas ponctionner l’aide sociale des citoyens qui payent déjà beaucoup d’impôts mais participer aux cotisations et taxes en travaillant (s’ils sont autorisés à travailler…).
  5. Aux politiques d’expliquer pourquoi, malgré le chômage massif français, ces travailleurs prêts à accepter n’importe quel boulot à n’importe quel prix pour s’en sortir, ne vont pas prendre les emplois disponibles et éjecter ou paupériser les natifs, mais créer de nouveaux besoins, donc de nouvelles activités de production et d ‘échange.

C’est difficile ? Mais pourquoi la politique – avec ses privilèges et ses prébendes – serait-elle un métier facile ?

Qui revendique les votes de ses concitoyens doit au moins se préoccuper de ce qu’ils pensent.

Allez, politiciens, au boulot ! Ayez – pour une fois ! – la force de conviction de votre soi-disant éthique.

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Pashupatinath

La nuit est bonne, mais pas le petit-déjeuner. Il comprend une omelette grasse, des crispies au lait d’un goût douteux, un café transparent… Brume et froid. Que ce paysage est humide ! Nous prenons le bus jusqu’à Pashupatinath, un complexe de temples au bord de la rivière Bagmati. Le soleil se lève et fait des effets de gloire avec la brume. Le complexe est construit partout, sculpté de dieux et de déesses sur toutes les faces.

pasupaninath singe au nepal

Le culte a lieu dans la rue. On se salue, on fait tourner inlassablement les moulins à prières, on sonne la cloche pour appeler le dieu ou éloigner les démons, peut-être les deux successivement, d’ailleurs. On touche la statue en trois endroits avec de la poudre vermillon. Enfin on se plaque un point rouge au milieu du front avec l’index, le tika. Fin de la cérémonie.

ados pasupanitah nepal

Ici, tout est mélangé, la prière, les ablutions, la restauration. On se lave rituellement dans la rivière aux eaux paresseuses, sales de limon et de détritus divers – mais sacrée. Un sâdhu crasseux médite au soleil ; des enfants jouent ; des vieilles vendent des légumes assises par terre.

pasupatinath ghat sur bagmati nepal

Sur le ghât crématoire, devant le temple réservé aux hindous, une famille fête un petit garçon de six mois. Il s’agit de la cérémonie du « premier riz », l’âge où il est sevré et quitte le sein pour commencer à se nourrir de bouillies. On lui a fardé les yeux comme Cléopâtre, on l’a enveloppé dans un châle safran aux paillettes brillantes. Il est tenu dans les bras. Le père réalise une photo de famille. Les touristes que nous sommes en profitent pour attraper quelques images touchantes aussi.

pasupatinath mere et babou bapteme nepal

Sur les toits des temples et des petits stupas, des singes bondissent en bandes jacassantes. Avides et sans mémoires, ils sont la parfaite illustration de ces « foules démocratiques » selon Rudyard Kipling dans Le livre de la jungle. Je comprends ici pourquoi. Certains temples sont peints. Une sorte de yéti poilu, tout noir, exhibe son sexe et sa langue, tous deux roses. Un squelette lui fait face, tracé à la peinture rouge, un symbole en point d’interrogation inversé sur le bas ventre, comme une énergie qui se relève. Ganesh, statue de pierre, un peu plus loin, reluit de sang frais ; il paraît gras et satisfait.

pasupatinath squelette sexue nepal

Pashupatinath est serré, crasseux, grouillant. Je ressens peu de sacré en ce lieu.

pasupatinath stupas nepal

Nous reprenons le bus sur la route défoncée. La voirie est en si bon état que le véhicule passe à côté des ponts ! Ils ne doivent pas être assez solides pour supporter son poids. Dans les virages, de grands coups de klaxon préviennent de l’arrivée du monstre : femmes, vaches et gosses, rangez-vous ! On traverse des villages typiques dont la vie se passe dans les rues, même un 30 décembre, comme aujourd’hui, dans le froid et l’humidité. Tara nous parle de temples. Elle a des expressions fleuries en français, comme « elle avait trouvé tous les moyens de faire sa crise », avouant d’ailleurs « je parle de mal en mal ».

pasupatinath au matin nepal

Au temple de Bairajogini, elle nous montre une sculpture de « marin monstre ». Ce personnage fantastique qui a arpenté toutes les mers du monde s’avère un gros cétacé, un monstre marin bien traditionnel. Pour accéder au temple, il faut monter à pied un interminable escalier. Une bande de gamins s’est mise à danser autour du bus. Un jeune nous accompagne quand nous sortons. Il parle anglais et s’appelle Rassendrar. Il a 16 ans, me dit-il. Il est gentil, bien vêtu, les traits réguliers, l’air d’un gamin grandi trop vite, pas très mûr pour l’âge qu’il donne, et je ne sais pas trop ce qu’il fait dans la vie. Des singes sautent partout de murs en murs, nourris le samedi par les fidèles. Le temple est leur demeure.

pasupatinath tire langue gamin nepal

Nous essayons le « trou des péchés », un rocher percé d’une lucarne où, si l’on parvient à passer le corps, on est purifié. Annie manque de rester coincée, mais Lily passe. Seuls les gamins n’ont aucun problèmes, ils sont purs d’office ! Un moine nous ouvre un petit sanctuaire dédié à un sage récent qui a reçu la foudre. L’autel est garni de gadgets en vitrine, une photo, des lampes à huiles devant elle, des fleurs, un plateau à offrandes rempli de grains de riz flanqués de quelques billets. Les cercopithèques, copains de Christine qui en a disséqué d’autres, s’épouillent et se chamaillent parmi les sculptures en bois des toits. Un peu plus bas, des fidèles accomplissent encore des sacrifices d’animaux à Kali. La déesse aime le sang. On peut apercevoir son rocher d’offrande, rouge et nauséabond et des restes de plumes sanglantes par terre.

pasupatinath nepal

Nous reprenons le bus, puis marchons un peu à pied, vers le village de Sakhu. Les boutiques sont ouvertes sur la rue, des enfants grouillent partout, des légumes sèchent à terre, des temples s’élèvent dans tous les coins. Ici, il y a des couleurs. Christine a une théorie sur notre déception à propos des couleurs du Népal, qui ne sont plus ce qu’elles étaient. Muriel Cerf a écrit son livre dans les années soixante-dix, au moment où l’occident ne s’habillait que de couleurs ternes, bien austères et bien bourgeoises (qui sont revenues dès le milieu des années 1990, d’ailleurs). D’où son étonnement de se trouver plonger dans cet appendice de l’Inde où les vêtements sont vifs et bigarrés. Aujourd’hui (1988), la mode d’Occident a adopté les mauves et les roses vifs rapportés par les ex-routards reconvertis dans la pub. Le contraste apparaît donc moins grand. Et les gens importent des jeans et des tee-shirts de l’Inde au lieu de s’habiller de tissus traditionnels, ce qui renforce la fadeur que nous percevons. Le raisonnement est séduisant.

pasupatinath garuda nepal

Nous montons au temple de Cangunarayan et pique-niquons juste avant de l’aborder, dans la montée. Le temple est superbe, en carré avec un sanctuaire central très sculpté. Des adolescents font de ce temple un but de promenade. Le site est beau, on y rencontre les autres. Nous descendons ensuite vers Jhankel, parmi les rues non pavées où s’affairent les locaux. En stop, nous empruntons la benne d’un camion qui passe, puis le bus nous rejoint et nous conduit à Bhaktapur.

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De l’amour vers Katmandou

Nous effectuons la pause déjeuner dans une clairière, au cœur de la forêt. Il y fait un peu froid sans le soleil, mais c’est le moment le plus agréable de la journée. Je poursuis une conversation philosophique avec Liliane qui est parisienne et psychanalyste. Elle est drôle et m’évoque la Maud du film culte Harold & Maud avec les chansons de Cat Stevens. Elle porte ses 60 ans à l’américaine, avec la hantise de paraître vieille. Cheveux teints en blond, portant des couleurs vives, elle se veut « jeune » dans sa tête.

maison du nepal

« L’amour ? Platon a dit tout ce qu’il fallait dire dans le Banquet, n’est-ce pas ? » L’amour est une activité dialectique, y est-il écrit il y a 2373 ans. Ah bon ! Mais l’amour n’est pas bonté ou beauté, il est désir de, affirme-t-elle. Cette tendance à posséder peut être atteinte par des voies différentes, selon Socrate, la procréation des corps ou celle des esprits. La seconde est plus noble pour un grec. La vision d’un beau corps (d’éphèbe) laisse entrevoir une âme noble qu’il faut former par des discours sages et l’exemple du courage et de la probité. Ces liens d’amitiés seront plus puissants et plus durables que ceux qui lient homme et femme. L’amour, j’en suis d’accord, c’est donc bien autre chose que les feuilletons à l’eau de rose ou les pâmoisons romantiques : l’amour, ne saurait se réduire au sexe. Et peut-être la sexualité empêche-t-elle d’ailleurs le véritable amour, comme un voile de Maya sur les choses ? Dans l’amour sexuel reste une volonté de possession, d’assouvissement, qui laisse dubitatif sur le désintéressement de l’amoureux (ou amoureuse). A l’inverse, l’amour filial, maternel ou paternel, ou l’amitié pure, sont des « amours » sans sexualité. J’en suis convaincu, l’amour n’est pas désincarné ; je déclare à Lily que ne crois pas à « l’amour de Dieu » parce que « Dieu » n’est que fantasme et que l’amour exige réciprocité. Le « pur amour » n’est qu’exaltation personnelle, une pathologie du « moi ».

Mais je ne parle pas de cela avec Elle, la philosophie l’ennuie très vite.

gamin nepal

Participe aussi Michel, professeur d’histoire et géographie au lycée français de Fribourg en Allemagne. Son indemnité d’expatrié, et les vacances scolaires lui permettent de voyager beaucoup. Il est très sensible au tiers-monde par mimétisme culturel avec ces Allemands écolos et un peu romantiques qu’il côtoie tous les jours. J’y suis moins sensible, plus réaliste et plus pragmatique, d’autant que je ne me sens nullement « coupable » des colonisations passées. Le monde change, à chaque époque ses marottes. Tout cela entraîne des discussions amicales mais fermes. Elle se tait, comme d’habitude. Elle pense lentement sur ces problèmes généraux et a peur de déplaire en affirmant des convictions. En fait, elle n’y a pas beaucoup réfléchi. Médecin réanimateur, elle est technicienne et ces vastes questions lui passent un peu par-dessus la tête. Elle préfère les gens concrets aux idées, ce pourquoi je l’aime bien.

neige a siwapuri nepal

Nous reprenons la grimpée sous les rhododendrons géants. Dans les clairières subsistent des plaques de neige, signe qu’il n’y fait pas chaud la nuit ! Et cela permet aux sherpas de repérer des traces de singes et de léopards, qu’ils nous montrent avec une certaine crainte. Ils parlent de « tigre », mais c’est vraiment petit pour un « tigre », même si le tigre du Bengale existe dans certaines parties du Népal. Un singe bien vivant paraît et disparaît presque aussi vite. Il a froid et s’élance se cacher. Quelques oiseaux volent de-ci delà, mais nous en voyons peu. Ils chantent moins en cette saison que dans les forêts européennes de l’automne.

nepal camp siwapuri

Le campement est installé à Siwapuri Dara, sur un plateau vers 2600 mètres d’altitude qui fait face aux Himalaya. Le thé sert d’apéritif au repas traditionnel qui suit, de riz sauce lentilles et légumes au curry. Comme hier, le feu crépite et nous nous serrons contre sa chaleur et sa lumière en sirotant le thé. Il fait froid comme d’habitude. Une fois la nuit tombée, les porteurs entonnent des chants locaux et se mettent à danser.

A la surprise de Christine qui lui donnait 13 ans, le plus jeune des cuisiniers non seulement en a plus, nous dit Tara (elle ne nous dit pas combien) mais danse remarquablement. Il a de la souplesse, un sens aigu du rythme, et la hardiesse de dessiner des figures originales. Il meut son corps jeune comme un peintre son pinceau, créant du volume en harmonie par ses mouvements encodés. Sa réputation est faite car les autres l’entraînent et l’incitent à danser. Sa jeunesse, sa fraîcheur, sa gentillesse, sa virilité encore neuve, le rendent sympathique aux Népalais plus âgés. En revanche, le jeune éphèbe à l’air chinois, mince comme une liane et au visage de poupée, qui porte le sac de Christine et est si résistant comme porteur, est resté ce soir très discret. Il sourit aux blagues des autres mais ne parle presque pas. Cela ne l’empêche pas de porter la journée ses trois sacs comme les autres, penché en avant, la corde passée sur le front, bien assuré sur ses tongs. Il a 20 ans nous dit Tara, mais il en paraît 15 ! Christine – apparemment obsédée par tous ces petits jeunes – n’en revient pas.

nepalais

La nuit est très froide et surtout très humide. Appareil photo, rasoir à piles et lampe de poche dorment avec moi au fond du duvet car les batteries détestent le froid humide. Sur deux lampes, une ne fonctionne déjà plus. Ne plus oublier en montagne d’emporter des piles de rechange.

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Une pensée pour Katmandou

La destination jadis des routards occidentaux est atteinte au cœur. Le tremblement de terre dû à l’emboutissage de la plaque asiatique par la plaque africaine (ce qui crée l’Himalaya) a fait plus de 5500 morts et des centaines de destructions irréparables de bâtiments.

nepal pasupatinat

Je suis allé au Népal dès 1987, et plusieurs fois depuis. Ce pays enclavé entre l’Inde et la Chine est un carrefour d’ethnies, de langues, de religions et de commerce. Les gens y sont mêlés, astucieux, vigoureux. Si la ville de Katmandou est sale et odorante, sans ramassage d’ordures autre que par les chiens et les cochons, si ses bâtiments sont de briques et de bois, elle possède un charme indéniable.

Nepal Sakhu

Les arbres n’hésitent pas à pousser entre les pierres et les fontaines voient chaque fin de jour les femmes et les enfants se laver en public. Et les temples hindouistes montrent cet érotisme naturel et joyeux qui déplaît tant aux quakers anglo-saxons et aux intégristes musulmans – bien loin des religions du Livre.

nepal bois erotiques Bhaktapur

Les temples fument d’encens et de lampes à graisse. La pauvreté est rarement misérable, sauf handicap ou maladie; je n’ai jamais rencontré d’enfants aussi heureux de vivre, même en loques et pieds nus, qui parlent plusieurs langues avant dix ans. Et les merles du Népal pépient sur les fils.

nepal gamin bhaktapur

La campagne est montagnarde, entre 1500 et 3500 m, et les hautes vallées sont riantes, très vertes parce que très arrosées par la mousson (qui commence dans quelques semaines). Mais les rhododendrons sont là-bas des arbres et les singes se nichent entre les branches. Il n’est pas rare de croiser une trace de guépard dans la boue d’un sentier.

nepal chemin helambu

Si l’Everest est la destination des bobos à la mode sports-extrêmes et des executive qui veulent vaincre tout ce qui leur résiste, il est là-bas le grand-père. Celui qui fume éternellement au-dessus des hommes et gronde de temps à autre, repaire du yéti (nombre de sherpas m’ont assuré l’avoir vu) et des eaux bienfaisantes.

Nepal Bhaktapur

J’ai une pensée pour Katmandou, pour le Népal et pour ses gens – que j’ai beaucoup aimés fréquenter.

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Marche dans les rizières cinghalaises

Nous nous levons plus tôt que nécessaire dans le silence de la campagne où seuls s’élèvent les chants d’oiseaux. Même la route proche se tait ou se contente de ronronner dans le virage, de temps à autre. Petit-déjeuner d’ananas, banane, papaye. Les œufs frits sont appétissants, mais l’huile de coco employée leur donne un goût de mauvaise haleine.

petit dejeuner cinghalais

La promenade commence dès le matin, elle sera mi-route mi-chemin, et même sur des murets de rizière.

riziere sri lanka

Inoj adore montrer les arbres et donner leur nom français ou latin. Il désigne ainsi le « Grusillia » (?), de la famille de l’acacia, dont les fleurs blanc-mauve sont un poison bio pour les rats : « les rats ils mangent et ils sont morts » – dit-il. Je crois, moi, que les rats connaissent les poisons endémiques de leur contrée et que, s’ils ne connaissent pas, ils testent avec un seul d’entre eux avant de manger comme lui s’il n’est pas mort.

hibiscus sri lanka

Nous rencontrons aussi les lourdes gourdes fripées du jacquier, le gros durian puant, le bananier aux larges feuilles, le palmier à coco quand nous baissons en altitude et quelques-unes des 15 autres espèces, le dhoum bien plus haut qu’en Égypte, le tek, et le bambou, là (mais qui n’est pas noir comme au Japon). Il y a l’hibiscus aux pistils offerts dans sa corolle ouverte et l’hibiscus-piment à la fleur fermée comme une gousse, des bougainvillées violets, des daturas pâles et odorants, des magnolias et des tulipiers ; les poinsettias poussent leur fleur-feuille rouge verte, les lantanas éclairent de jaune, orange et mauve le bord des chemins.

magnolia sri lanka

Des frangipaniers ont la fleur blanche odorante aux pétales tournant vers la gauche, en roue solaire, dont on fait offrande à Bouddha dans les temples. C’est une véritable orgie végétale, tout prolifère et pousse à profusion entre le soleil et la pluie de mousson.

fleur de frangipanier sri lanka

Les arbres ont l’air de bondir, de danser, délirant de sève et de lumière : cet enthousiasme adolescent est celui que je ressens, comme Francis de Croisset, décrivant la forêt cinghalaise : « Des bambous métalliques partent comme des fusées ; des cocotiers font éclater en plein ciel leurs gerbes pluvieuses; des péronias dressent comme des baldaquins d’énormes plumes pourpres, — d’énormes plumes qui sont des fleurs. Des taliputs hissent à trente mètres des candélabres de muguets. Des palmes gonflées d’azur suspendent des parachutes. Des canéficiers érigent des fleurs en or, et d’autres des bouquets de fruits bleus. D’autres encore portent à la fois leurs fruits avec leurs fleurs, chargés comme d’immenses sapins de Noël. Des rhododendrons ont douze mètres et des pommiers-roses en ont vingt ; et des arbres inconnus, inouïs, montent et flambent comme des incendies. »

gamin medaille de shiva sri lanka

Il fait soleil et il pleut, parfois les deux en même temps. Fleurs immobiles, oiseaux de paradis mobiles, écureuil se filant de long des branches ou, d’un saut, d’une branche à l’autre, quelques singes du genre « cynique » (siniques), pas de singes noirs ici, et des chiens évidemment. Bien plus que de chats et bien moins discrets, mais pas de gamins car c’est jour d’école. Nous descendons dans les rizières où le seul chemin passe sur les murets larges de 10 cm qui les bordent. Chaussures en équilibre, appareil photo d’une main et parapluie de l’autre, nous tentons de coordonner tout ça pour avancer, admirer, clicher et ne pas tomber. Le comble, la pluie a fait sortir les sangsues et tout passage dans les herbes entraîne sa horde avide à l’assaut des chaussures. Nouveaux cris hystériques de celles qui croyaient en avoir à tout jamais fini avec ces mini pénis vampires.

curry paysan sri lanka

A l’abri chez l’habitant, nous déjeunons de divers curries pas trop épicés tandis que la pluie continue de tomber. La noix de coco râpée, légèrement humidifiée à l’eau, est souveraine pour calmer les brûlures du piment ; elle est une fin de repas fort agréable avant le thé chaud. Une petite chatte couleur poussière, qui ne quémande rien qu’un peu de compagnie, adopte les chaussures qu’elle flaire et s’endort en boule dessus. C. a beaucoup de mal à récupérer son bien et le garçon, rentré de l’école vient saisir son animal dans les bras.

cascade Bambarakanda de 263 m sri lanka

Nous sommes près du parc Hortons Plains, mais en contrebas, dans cet enfer de fin du monde que nous n’avions pas vu dans les nuages l’autre jour. Après déjeuner, il pleut toujours, mais nous montons dans les bois qui dégouttent voir la cascade Bambarakanda de 263 m qui tombe du rocher noir, la plus haute du Sri Lanka, à 1155 m d’altitude. Le jeu est de se baigner dans la vasque creusée par les siècles, mais seul un quart du groupe y va. L’eau est assez froide et l’atmosphère extérieure mouillée. Nous retournons par les bois puis par la route de ce matin, dans l’autre sens, avant de couper par des marches abruptes établies par les habitants entre les virages de la route. L’école est finie et les Hellos (nous) croisent les One pen (gosses) en échangeant toujours les mêmes propos et les mêmes gestes (sourires-photos). Même sous la pluie, ce pays est riant ; même dans l’orage, il est bien vivant. Le sol est mouillé, l’air moite, les arbres suintent, les nuages plombent le ciel dans une atmosphère d’aquarium, mais de jolis effets de brume montent sur les sapins.

brume de mousson sri lanka

Nous avons deux heures de bus pour rejoindre la réserve d’animaux où nous irons demain à l’aube. Le minibus a ses pneus avant lisses, je l’ai vu aujourd’hui. Voilà pourquoi ils crient parfois dans les virages. Le chauffeur est prudent, mais il doit négocier les chiens couchés sur la route, les vaches qui n’en font qu’à leur tête et à qui personne n’ose rien dire pour cause de sacré, les vélos non éclairés, les touk-touk aux allures d’escargot, les motos qui déboulent directement sans regarder, les bus qui doublent en forçant le passage… Je ne conduirais pas au Sri Lanka. La route est un déversoir de tout ce qui travaille, se promène et veut se rendre d’un endroit à un autre. Les chiens, habitués tout petit aux bruits et fureurs des camions et bus qui leurs passent sous la truffe ne se dérangent qu’à peine aux passages – au risque de se faire écraser une patte, voire choquer l’arrière-train. Des gosses presque nus courent librement après l’école et avant le coucher ; leur peau sombre ne se distingue pas de la route au crépuscule et leurs pieds sans chaussures ne font aucun bruit. La conduite du chauffeur est adaptée : il double les touk-touk qui n’avancent pas en double file, forçant ceux qui viennent en face à se ranger – sauf s’ils sont trop gros. Quand il double juste avant un virage, il est parfois obligé de se rabattre vite et c’est le plus petit qui cède.

gamin demi nu sri lanka

Nous avons vu deux Peugeot 504, voitures qui font chic mais d’un design désuet devant les japonaises omniprésentes. Sont-elles bien entretenues ou produites localement ? Arrêtées en 1983 en France, les berlines ont été produites au Nigeria jusqu’en 2005. L’intérêt de la 504 (j’en ai eu une durant dix ans) est qu’elle ne comprend aucune électronique et qu’elle se répare facilement. Les seules autres voitures européennes sont les Volkswagen Coccinelles, dont on voit quelques épaves routardes échouées dans les garages ouverts sur la route.

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Attaqués par les sangsues !

La pluie se calme assez pour que nous commencions notre première randonnée avec un assistant supplémentaire, qui nous guide sur le chemin. J’étonne tout le monde en sortant mon parapluie. Il fait chaud et d’ailleurs les gamins sortis de l’école vers 14 h se promènent pieds nus et torse nu, leur chemisette scolaire au lavage. Ils sont toujours curieux de nous observer, attirés par les étrangers et aimant à se faire prendre en photo.

jeune fille sri lanka

Nous montons dans la forêt d’hévéas, de cacao et de poivre où nichent les singes et où passent des oiseaux. Nous redescendons vers la rivière Suga Gang qui signifie la rivière blanche, et qui a servi de décor au film Le pont de la rivière Kwaï.

pont qui a servi au film la riviere kwai sri lanka

Une famille se baigne en faisant sa lessive, le jeune garçon restant nu lorsque nous passons.

gamin nu au bain sri lanka

Après un pont métallique suspendu (dont les lattes ne bougent pas trop mais où le guide Inoj apparaît le moins à l’aise) nous abordons les rizières et les cultures maraîchères en bord de forêt. Y poussent des aubergines et une sorte de haricot vert à section en étoile à trois branches qui se mange cru et a un goût de fève. Les monts Knuckles se dessinent vaguement dans la brume. Des averses tombent par intermittence, le sentier est boueux et le paysage très vert. Nous rencontrons une sangsue sur le chemin : aucun trentenaire venu de France n’en a jamais vu !

champs sri lanka

Selon Inoj, « les Anglais » ont introduit au Sri Lanka dès la colonisation en 1815 le sapin, l’hévéa et le thé, « ils sont les plus grands pollueurs de la planète » car les aiguilles de sapin forment tapis au sol et empêchent les autres plantes de pousser, aggravant l’érosion et détruisant la vie endémique. Le territoire est planté à 11% en thé et les femmes en cueillent 20 kg par jour.

jardins de the sous la pluie sri lanka

Ce sont les Tamouls, introduits avec le thé par les Anglais depuis le sud-est de l’Inde pour travailler dans les plantations, qui posent problème au Sri Lanka. Composant environ 25% de la population, l’indépendance de 1948 a créé une discrimination positive en faveur des Cinghalais : en 1959 le cinghalais est déclaré langue officielle unique et le bouddhisme est décrété religion d’État. La guerre civile a opposé les Tigres Tamouls aux Cinghalais dès 1972, les uns musulmans, les autres hindouistes et bouddhistes, mais c’est en 1983 que la guerre s’intensifie avec des attentats spectaculaires. Elle prend fin en 2009 avec l’écrasement des Tigres par l’armée sri-lankaise, ayant fait dans les 70 000 morts. Les derniers résistants ont tenté de se fondre parmi les civils du dernier carré, dans le nord-est de l’île, ce qui a engendré de nombreuses victimes parmi les femmes et les enfants. Tout ça de la faute initiale des Anglais, ces pollueurs de planète – dit le guide. J’y vois plutôt la faute des musulmans, les pires pollueurs idéologiques de la planète depuis que le khoneynisme a remplacé le communisme comme fanatisme de masse populaire.

fabrique de the sous la pluie sri lanka

Encore 40 mn sur des routes de bout du monde, paradis des touk-touk et des motos et où deux voitures ne peuvent se croiser. A 800 m d’altitude, au bout d’un village entouré de plantations de thé, la Sanasuma Guest House est installée sur la pente. L’endroit est froid, humide et venteux mais sauvage et fort joli. Les chambres sont spartiates, « l’eau chaude » quasi froide (chauffée en bidon noir au soleil sur les toits), mais le tout est propre et sans bêtes – sauf les geckos qui glapissent sur les murs de la salle de bain, répondant aux crapauds qui logent dans le réservoir de la chasse.

Nous quittons la guest house au matin pour mieux y revenir le soir. Le bus nous emmène en hauteur et nos chaussures nous ramènerons vers 13 h. Nous attendrons donc 15 h pour avoir un repas, après avoir marché trois heures le matin.

La randonnée s’est déroulée entièrement sous la pluie. Pas de plan B en cas de mauvais temps,le programme est le programme. La mousson existe, pourquoi le nier ? Marcher sous la pluie est imbécile, pourquoi ne pas le voir ? Les éclaircies ne sont que de quelques minutes, la mousson est une averse qui dure. Le paysage des jardins de thé est dans la brume, presque chinois d’estampe sur les lointains. Les silhouettes fines des Grevillea robusta, plantés par les Anglais au-dessus des théiers pour les ombrer et les ventiler, se découpent en gris sur fond blanc. Cela ne va pas sans une certaine beauté, mais pour trois heures… Marcher constamment sous la pluie ne permet en aucun cas d’apprécier le paysage, engoncé sous la cape ou brandissant un parapluie.

pluie sri lanka

Et magie, comme pour les escargots, la pluie fait sortir de terre les sangsues. « Ces sangsues sont la plus forte plaie de Ceylan », s’écriait déjà un colonel cité par Franz Hoffmann en 1886 dans son Voyage à Ceylan. Le groupe n’en a pour la plupart jamais vu et leur aspect caoutchouteux, avide, presque phallique, en fait hurler d’hystérie plus d’une. Même si ces animaux sont ici minuscules, quelques centimètres de long et à peine un quart de centimètre de diamètre – car il y en a qui font jusqu’à 20 cm de long ! Le groupe découvre très vite combien ces bêtes sont habiles à percevoir le mouvement, à flairer le dioxyde de carbone et à sentir la chaleur, même sous les bottes. Comment grimpent sur le cuir avec leur ventouse de tête et celle de queue pour atteindre la jambe pour y planter solidement les crocs. Combien elles sont lestes à sauter d’une herbe en hauteur pour se loger au plus intime, dans le cou ou sur les seins, passant par les échancrures des habits. Et combien elles sont affamées d’un endroit chaud et tendre pour s’y gorger de sang, sur les fesses, dans le cou, sous le short. S’enduire de crème anti-insectes ou même de crème solaire les empêche de planter leur gueule mais ne les empêche pas de ramper et de monter pour trouver un endroit favorable. Leur appétit n’en est pas coupé pour autant. Le groupe passe donc son temps à s’inspecter périodiquement les jambes et les chaussures, sans plus s’intéresser au pays.

sangsue sri lanka

De retour au guest house, nous prenons immédiatement le bus. Sur la route vers Kandy, nous assistons à la sortie des collégiens et collégiennes, c’est l’heure ; les cours n’ont lieu que le matin. Les gamines vont en bande, portant cravate ; les gamins se tiennent par deux ou trois, se tenant par les épaules, le col ouvert, plus largement vers 14 ans. Une fois rentrés ils se changent pour ne pas salir l’uniforme, quittant chaussures, pantalon et chemise pour se mettre en short et tongs, en polo ou chemisette fantaisie ouverte, parfois le col relevé pour faire mode.

RDA est un curieux sigle que nous voyons depuis le début, orné d’une croix gammée tournant à l’envers. Il n’a rien à voir avec la République démocratique allemande, défunt pays de l’est, mais signifie Road Development Authority, le service public des routes et autoroutes. Il préempte les terrains autour de la voie, plantant des bornes pour désigner les endroits où aucune construction ne doit être faite. Dans les villes, les maisons sont carrément reculées de plusieurs mètres ; on en voit les ruines et les façades reconstruites. Ce n’est pas grave car les constructions sont souvent légères, en briques et sans fondations ; mais cela fait un peu désordre.

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Infuser à Ceylan

Me voilà, té ! comme disent les gens du sud. J’embarque pour Ceylan, assez longtemps pour infuser dans son climat tropical. L’île de l’océan indien était appelée Taprobane par Ptolémée, Serendip par les Arabes, Ceylan par les Anglais, avant de prendre son nom actuel en 1972 : Sri Lanka. Elle a été envahie successivement par les Cinghalais au 6ème siècle avant, les Dravidiens au 3ème siècle avant, les Tamouls du royaume de Chola au 10ème siècle après, les Thaïs au 13ème siècle, les Portugais au 16ème siècle, les Hollandais au 17ème et les Anglais au 19ème ; elle a acquis son indépendance en même temps que l’Inde en 1948. Le mot anglais serendipity, venu de Serendip et intraduisible en français autrement que par une périphrase, veut dire « découverte heureuse due au hasard ». Je vais découvrir.

sri lanka carte

Qatar Airways embarque à 9h15 pour Colombo avec une escale à Doha. L’Airbus 360 est climatisé vers 18° alors qu’il fait au moins 24° dehors. L’escale de Doha est chaude et moite, à 37°. Le contraste avec l’avion est brutal ; heureusement, la correspondance est rapide. Le vol suivant s’effectue en Airbus 320, plus petit. Colombo nous accueille avec la même chaleur moite, mais tempérée par une brise de mer. Je change 100 euros pour 16750 roupies locales, soit le tiers d’un salaire moyen ici, me dira-t-on. Cela suffira largement pour mes boissons, mes extras et pour les pourboires des guides, chauffeur et assistants divers.

jardin Anuradhapura sri lanka

Nous sommes accueillis par Monsieur Inoj (dont l’anagramme donne Joni), notre guide francophone à la prononciation empêtrée. Il ressemble à Achille Talon avec un chapeau scout. Ce qu’il a préparé en français passe à peu près bien, ce qu’il improvise est souvent incompréhensible. Mais après la guerre civile, puis le tsunami de 2005, le tourisme repart à peine et il est difficile de trouver de bons guides locaux. Nous prenons le bus presqu’aussitôt, sans nous arrêter dans la capitale où il est 3h30 du matin, heure locale. Nous dormons à moitié durant les 5h de route jusqu’à l’hôtel d’Anuradhapura, dont les chambres entourent un jardin tropical orné d’une piscine, le Galway Maridiya Lodge. Durant le trajet, chauffeur et guide s’arrêtent pour nous montrer les oiseaux du pays : cigognes, martin-pêcheur, hérons, aigle, chauve-souris…

buffet piment sri lanka

Le jardin luxuriant borde presque un lac au bord duquel broutent les zébus. Le déjeuner est un buffet, comme toujours au Sri Lanka. Il est épicé, le plus fort du séjour. Certains se laissent prendre aux morceaux de piment vert mélangés l’air de rien aux légumes. Ils se goinfrent aussi de crudités et de fruits coupés ; ne sachant trop quelle hygiène règne dans les hôtels du pays, je m’en tiens à mes principes : du cuit et chaud seulement, ou des fruits à éplucher moi-même. Les serveurs adolescents glissent silencieusement sur leurs pieds nus ; l’absence de chaussures leur donne une grâce corporelle. Une horde disciplinée de Japonais d’un certain âge déjeune à la table parallèle ; ils ont l’air de la classe très moyenne, un peu vulgaire.

biere lion sri lanka

L’après-midi est libre, nous décidons par petits groupes de prendre des touk-touk, ces Vespa à trois roues et cabine capotée, pour visiter un peu la ville. Nous sommes trois par engin et cela nous coutera 1000 roupies chacun pour le reste de la journée. Notre taxi a 25 ans, le teint très sombre et la taille empâtée, mais débrouillard. Il a du bagout ; j’apprendrai qu’être un peu replet est signe de prospérité, ses talents lui permettent de bien gagner sa vie. Pour 3000 roupies, un beau salaire pour une demi-journée, il offre à un cousin moins chanceux la même aubaine et nous promène dans des lieux agréables où les gens se mêlent à la nature, les plantes aux bêtes. Pèlerins, ados, singes, palmiers, composent un ensemble luxuriant à nos yeux neufs. Nous rencontrons même un groupe de filles en uniforme à numéros, comme une équipe de foot.

temple aux 500 bouddhas Anuradhapura sri lanka

Nous commençons par le temple aux 500 Bouddhas, Isurumuniya Vihara, bâti au 3ème siècle. C’était un complexe monastique qui reçut son nom de 500 nobles (issara, ceux du premier rang) qui ont reçu l’ordination comme moines en ce lieu. Il est probablement le temple le plus ombragé et le plus tranquille d’Anuradhapura, comme nous nous en apercevrons le lendemain ! C’est kitsch et populaire comme à Lourdes. Une allée bétonnée sur laquelle il faut aller pieds nus longe 500 statues de béton armés représentant Bouddhas, couleur minium et visage blanc. Elle serpente, monte jusqu’à un belvédère aux offrandes (une boite est prévue à cet effet) puis redescend sous terre dans une grotte artificielle où sont présentées des scènes édifiantes, toujours en béton armé : ainsi le cycle des corps de la naissance à la mort, ou le cycle de retour au grand Tout, du cadavre aux restes du squelette. Des femmes nous sourient, des gamins, des adolescents nous regardent avec curiosité ; il est vrai que nous sommes à peu près les seuls étrangers à visiter ce temple kitsch. Bonjour se dit « ayouboâne » et merci « stotsi ».

restes temple Vessagiriya a Anuradhapura sri lanka

A Vessagiriya, nous voyons les restes d’un temple troglodyte, 23 grottes aux moines et des fondations de bâtiments en briques du 10ème siècle autour. Le Ranmasu Uyana offre ses singes et ses jeunes filles en visite scolaire. Son nom signifie parc des poissons dorés. Il suffit de monter une butte pour trouver un lac. Un vol de perroquets verts le survole.

A Sri Sarananda Maha Piriwene (tous ces temples ont des noms à rallonge remplis de syllabes en a), un grand Bouddha blanc d’une quinzaine de mètres de haut trône en lotus – probablement en béton armé lui aussi ; il s’agit du lieu de culte d’une fondation bouddhiste militante.

bouddha blanc Anuradhapura sri lanka

Nous rentrons à la nuit tombante, vers 18h30 ici, très content de notre première journée et après 62,5 cl de bière Lion à 4.8° d’alcool. Fabriquée dans le pays depuis 1881, elle est une lagger très rafraîchissante. Nous nous jetons dans la piscine au crépuscule pour nous délasser du jour moite. Il n’y a que nous dans l’eau, les kids du matin et les ados du midi venus en ce dimanche ont déserté. La lune est une faucille brillante en son premier quartier. Des vols silencieux de chauves-souris hantent le ciel entre les arbres. Nous en avons vue une ce matin sur la route, électrocutée pour avoir touché trois fils électriques d’une portée de tension. On aurait dit un vieux chiffon.

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Sur le rio Napo

Après le mont, la jungle. Nous allons jusqu’à Puerto Misahualli sur le Napo, un affluent de l’Amazone. Nous sommes dans la jungle.

Nous apprenons du guide de jungle comment se « scarifier »  le visage avec une teinture rouge au cas où l’on rencontrerait des Indiens d’une autre tribu. A se servir d’une racine qui est une râpe naturelle…

A découvrir un peu de flore et de faune, comme par exemple les fourmis géantes et le curare. Le curare, rendu célèbre par Tintin chez les Picaros, doit enduire la pointe des flèches. Nous apprenons comment le fabriquer à partir des pommes du Mancenillier, une sorte de liane. Le résultat provoque la mort après plusieurs heures de paralysie.

Guayaquil est une ville chaotique avec ses raffineries de pétrole et de sucre, ses cimenteries, ses brasseries, ses usines, ses manufactures et son port d’où partent les bananes. Des bananes d’une grande variété : vous goûterez les oritas de la taille du petit doigt, les platanos ou verdes, bananes plantain qui se font cuire, les mangueños de couleur rouge, la guineo jaune tigrée.

On nous a emmenés visiter un refuge pour animaux capturés par les douanes. Il y a là beaucoup de singes, surtout des petits, un tapir, des toucans. A l’entrée, on nous a prévenus, ne laissez rien traîner car les singes chapardent. Je circule tranquillement, on m’interpelle. Allez voir votre amie, elle a un problème. Je me rends au lieu indiqué et je découvre B. paniquée, un « gros singe » sur la tête. Gros, tout est relatif, enfin plus gros que la majorité d’entre eux ! B : « je ne peux plus bouger, si je bouge il s’accroche à mes cheveux. Pourquoi moi qui suis la plus petite et menue j’ai reçu ce gros singe sur la tête et qui crie ? » Moi : « tu es la plus éloignée des branches, ce devait être un plus costaud qui saute ! Pourquoi continues-tu à crier ? » B : « je veux qu’on me débarrasse de celui-ci. » Les gens du refuge sont arrivés et ont chassé l’intrus. Moi : « tu as senti ? On dirait qu’il a fait caca dans ton dos ? » B : « oui, j’ai senti c’était lorsque j’ai crié, la caméra doit aussi avoir été atteinte. »

Nous avons fait une lessive rapide dans le Napo pour la veste de B. Elle avait acheté des vêtements qui devaient la faire passer inaperçue dans la jungle, la terrible jungle…

Dans le lodge de la jungle, nous allions installer pour la première fois notre moustiquaire deux places. Et chacun de venir voir pour se moquer de nous. Contre vent et moustiques, nous installons la moustiquaire. Le lendemain matin, au petit-déjeuner, tous grattent leurs horribles placards rouges, tous ont été piqués et joliment, sauf nous deux. Vous vous êtes bien amusés à nos dépends hier soir, voyez, constatez que cette moustiquaire a bien rempli sa fonction. Et rit bien qui rit le dernier !

Hiata de Tahiti

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