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Cerro de la Muerte

Nous nous levons à six heures pour partir tôt. Le petit déjeuner buffet est assez désert. Nous rencontrons le cuisinier belge, content de parler français.

Le bus nous monte de 2200 à 3450 m, au sommet à antennes du Cerro de la Muerte, la colline de la mort. Son nom vient des nombreux paysans trépassés en tentant de traverser lorsque le lieu était encore sauvage. Il est aujourd’hui civilisé par la route et la construction d’antennes relais de communication. Justin monte sur un rocher pour être encore plus haut que le point culminant de la route et prend le groupe en photo ; il aime bien faire mieux que les autres.

Nous sommes au-dessus des arbres qui restent prisonniers des nuages. Le ciel au-dessus de nous est bleu et clair, la lumière tranchante, le froid assez vif. Nous sentons l’altitude et toute montée essouffle vite. Le programme de la randonnée décrivait surtout la descente, mais nous commençons par monter 300 m. Puis nous prenons un sentier de chèvre dans la pente parmi les buissons.

Les arbustes espacés laissent peu à peu la place à des arbres plus grands qui ne tardent pas à créer une forêt dense un brin mystérieuse. C’est la forêt brumeuse qui commence avec ses mousses vertes au sol, ses lichens barbus aux branches, ses épiphytes sur les troncs.

Il y a, au hasard du sentier, de belles compositions florales de troncs morts, de fougères et de mousse. Tout est vert, brumeux, dans une atmosphère tempérée. Les fleurs blanches que nous apercevons s’appellent « samir » selon Adrian. Des écureuils venus du Canada gardent les mêmes habitudes de cacher les graines en prévision de l’hiver, bien que le Costa Rica ne connaisse pas de saison ; cette manie fait de ces animaux les plus grands planteurs d’arbres du pays.

Nous pique-niquons dans la forêt aux trois quarts du chemin, assis sur la mousse. Chacun a un demi-pain garni de poulet mayonnaise ou de jambon fromage, un sachet contenant une feuille de salade et une tranche de tomate pour ne pas imbiber la mie, une tranche de pastèque à part, une brique de jus de fruit individuelle, un sachet de graines, une barre de céréale et deux bonbons. Le tout a été préparé par l’hôtel.

La descente promise fera 1344 m jusqu’à l’hôtel de ce matin. Nous avons marché 13,5 km mais surtout en forêt et en dénivelée, soit quand même quatre heures. La randonnée est belle mais abîme fort les genoux. Descendre tout le temps fatigue les tendons, la dernière pente très forte sur 1 km de route surtout.

Aux abords de l’hôtel, des pommiers, des pêchers, des fleurs cactées sont plantés, donnant un aspect riant. Il faut cependant ensemencer les pommiers à la main pour qu’ils produisent des fruits car les insectes ne vivent pas à cette altitude et à cette température ! La pluie se met de la partie sur le dernier kilomètre de marche, nous obligeant à enfiler les capes jusqu’à l’hôtel. Elle durera jusqu’à la capitale San José, 2h30 plus tard.

Toilettes à l’hôtel, bus, pluie et brouillard. San José est assez vite atteint mais des embouteillages retardent le voyage à ses abords. Nous retournons à la civilisation assez brutalement. La conduite est sans règles, sous le règne du droit du plus fort dans la lignée américaine de l’esprit Trump. La double ligne jaune centrale sert de marque mais n’empêche pas de doubler, la piste cyclable sert de seconde voie et doubler par la droite est la norme.

Adrian a une application qui montre à tout moment où il se trouve, de même pour sa femme ses enfants. La vie privée n’est pas leur préoccupation, ils forment un réseau familial où chacun sait où est l’autre, voire ce qu’il fait. Chez lui, sa fille de 10 ans vit avec les bêtes : elle prend les araignées à la main pour les remettre dehors et trouve parfois l’un des deux serpents de la maison dans son lit. L’intérêt du serpent est qu’il chasse les souris. Quant aux chiens, dehors, ils surveillent.

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Flamboyant automne à Paris

L’automne flamboie à Paris en ce moment.

palais du luxembourg automne paris

Les arbres s’effritent en rideau orangé.

rideau de feuilles paris luxembourg automne

Les feuilles font comme une neige dorée sur le sol.

neige doree paris luxembourg automne

Les kids jouent avec joie dans cet or odorant.

gamin paris luxembourg automne

Le temps est bon, il fait presque chaud, en tout cas les cols s’ouvrent largement.

chaleur automne gamin paris luxembourg

Les adultes lisent au soleil.

automne paris luxembourg

La lumière d’or se filtre par les feuilles.

feuilles paris luxembourg automne

Les arbres en sont tout colorés, jetant leurs derniers feux.

feuilles de marronnier paris automne

Jouer tant qu’il en est encore temps.

kid paris luxembourg automne

Se reposer dehors, à deux sur les bancs.

paris jardin du luxembourg automne

 

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Tahiti comme à Gravelotte

Ce n’était pas un jour de gloire, ce n’était qu’un lundi comme les autres, banal.
La prison quatre étoiles de Papeari bruissait de tous sons émis par les ouvriers du chantier.
Soudain, le bull et les tronçonneuses emplirent l’espace.
Les dents des lames de scies n’annonçaient rien de bon.
Il pleuvait des arbres comme à Gravelotte.
Les Français contre les Prussiens ?
Non, les tronçonneuses contre les arbres.
Les morts se comptaient par dizaines.
Le résultat fut là, sous nos yeux embrouillés.
Plus d’arbres mais le béton d’un bâtiment longiligne qui n’en finit pas.

arbre debout tahiti

Les deux vieilles radoteuses que nous sommes ont soudain eu une idée de génie…
Depuis la pelouse, nous allons construire le Cinégeôle.
L’écran ? L’immense mur de ce bâtiment.
Les sièges ? Les troncs des arbres abattus.
Le toit ? En cas d’intempérie, une vaste toile de chez Tahiti Pas Cher.
Les tickets ? Des feuilles de purau, celles qui peuvent remplacer le papier de soie .
Un verre d’eau gratuit sera offert pour chaque achat de place.
Comme Teva I Uta ne fournit pas toujours de l’eau à ses administrés, nous stockerons l’eau de pluie dans des bassines à ciel ouvert.
Pas de vente d’alcool ni de sucreries.
Chaque siège sera équipé d’un casque individuel pour le son.

Pour ce faire, nous avons besoin de sponsors, de gens qui croient en notre idée.
Nous allons aussi demander une subvention au ministère de la Justice à Paris.
Nous demanderons également une subvention au gouvernement du territoire à Papeete.

Puisse le Ciel être à notre écoute.

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Une pensée pour Katmandou

La destination jadis des routards occidentaux est atteinte au cœur. Le tremblement de terre dû à l’emboutissage de la plaque asiatique par la plaque africaine (ce qui crée l’Himalaya) a fait plus de 5500 morts et des centaines de destructions irréparables de bâtiments.

nepal pasupatinat

Je suis allé au Népal dès 1987, et plusieurs fois depuis. Ce pays enclavé entre l’Inde et la Chine est un carrefour d’ethnies, de langues, de religions et de commerce. Les gens y sont mêlés, astucieux, vigoureux. Si la ville de Katmandou est sale et odorante, sans ramassage d’ordures autre que par les chiens et les cochons, si ses bâtiments sont de briques et de bois, elle possède un charme indéniable.

Nepal Sakhu

Les arbres n’hésitent pas à pousser entre les pierres et les fontaines voient chaque fin de jour les femmes et les enfants se laver en public. Et les temples hindouistes montrent cet érotisme naturel et joyeux qui déplaît tant aux quakers anglo-saxons et aux intégristes musulmans – bien loin des religions du Livre.

nepal bois erotiques Bhaktapur

Les temples fument d’encens et de lampes à graisse. La pauvreté est rarement misérable, sauf handicap ou maladie; je n’ai jamais rencontré d’enfants aussi heureux de vivre, même en loques et pieds nus, qui parlent plusieurs langues avant dix ans. Et les merles du Népal pépient sur les fils.

nepal gamin bhaktapur

La campagne est montagnarde, entre 1500 et 3500 m, et les hautes vallées sont riantes, très vertes parce que très arrosées par la mousson (qui commence dans quelques semaines). Mais les rhododendrons sont là-bas des arbres et les singes se nichent entre les branches. Il n’est pas rare de croiser une trace de guépard dans la boue d’un sentier.

nepal chemin helambu

Si l’Everest est la destination des bobos à la mode sports-extrêmes et des executive qui veulent vaincre tout ce qui leur résiste, il est là-bas le grand-père. Celui qui fume éternellement au-dessus des hommes et gronde de temps à autre, repaire du yéti (nombre de sherpas m’ont assuré l’avoir vu) et des eaux bienfaisantes.

Nepal Bhaktapur

J’ai une pensée pour Katmandou, pour le Népal et pour ses gens – que j’ai beaucoup aimés fréquenter.

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Morne Paris de février

Il pleut fin février, les vacances sont venues, les Parisiens ont déserté.

ado solitaire paris jardin du luxembourg fevrier
Le jardin des sénateurs, au Luxembourg, est désert et un ado solitaire tente de placer des balles dans le filet ; même sans rivaux, il n’y parvient pas toujours.

ado qui suis je jardin du luxembourg paris
Un autre s’interroge face au Lion de bronze, dans les bosquets du même jardin : qui suis-je ? où vais-je ? que sais-je ?

institut monde arabe est charlie
Est-il « Charlie », comme il est affiché par conviction sur la façade de métal de l’Institut du monde arabe ? Un musulman s’est-il jamais prénommé Charlie ?

ado charlie devant institut monde arabe
Un ado a compris que ces slogans, ce volontarisme de propagande – qui ne veut pas voir simplement ce qui est – n’a aucun intérêt : il s’est couché au rare soleil de février sur les marches. Soumission ? Non, indifférence. Que les politicards blablatent, il ne lit pas Charlie ni n’a envie de se convertir à quoi que ce soit.

parti socialiste solde a paris
Surtout pas au socialisme, tant le parti socialiste n’a plus rien de neuf à offrir.  La boutique accouplée affiche les soldes, « deuxième démarque », tant personne n’en veut plus de cette religion socialiste usée jusqu’à la corde. Le « concept store » Cambadélis est mort. Pas la gauche, non, qui est un élan vers l’avenir, mais le parti, crevé de l’intérieur par le copinage, les zacquis et les tabous de la génération 68 au pouvoir – bien loin de la « révolution » qu’elle affirmait… lorsqu’elle était jeune et vivante.

arbre creve paris jardin du luxembourg
Crevé comme ces arbres du Luxembourg, en train d’être sciés pour être remplacés par de plus sains, de plus verts, de plus vigoureux.

Paris pont de l archeveche cadenas
Crevé comme ce parapet du pont de l’Archevêché, derrière Notre-Dame,  dont le poids des cadenas de la mode imbécile a fait chuter un élément dans l’eau. Comme une dent manquante dans une mâchoire branlante.

Paris square viviani effondre fevriver 2015
Crevé comme le jardin du square Viviani, face à Notre-Dame sur la rive gauche, dont un affichage de la Mairie illustre la langue de bois bureaucratique – typiquement socialiste (on se croirait sous Mao !). Manquent les « excuses » ou le « merci de votre compréhension » de rigueur depuis l’ère Chirac.

buvez du vin bar parisien
Buvez du vin ! affirme un caviste parisien pour redonner de l’optimisme à une ville qui sombre. Au moins c’est du vrai rouge, pas du rose fané…

gamins devant musee orsay fevrier
La culture officielle révérée par les bobos n’enthousiasme pas les gamins assis tournant le dos au musée d’Orsay : puisque tout se vaut, que la France n’a pas d’identité, que l’Occident est coupable quoi qu’il en soit (d’esclavage, colonialisme, exploitation capitaliste, pollution, pillage des ressources, impérialisme militaire…), laissons courir.

bouquinistes paris quai montebello
Même les livres ne les intéressent pas, les kids ; les bouquinistes n’attirent que les vieux, les provinciaux, de rares étrangers.

patinoire hotel de ville paris fevrier
Ce qui les amuse est la patinoire devant l’Hôtel de ville, une bonne idée Delanoë… quand la température s’y prête : ce n’était pas le cas en décembre (ouh, la facture d’énergie pour glacer une piste lorsqu’il fait 15° dehors !) mais c’est le cas en février, où les températures oscillent entre 2 et 10°.

Paris kid bd st germain en fevrier
Certains ont même chaud pour se balader bonnet sur la tête mais gorge nue.

Paris rue de l odeon sous la pluie fevrier
Paris, sous la pluie, prend parfois une brillance étrange.

velo sous la pluis paris quai malaquais fevrier
On y déambule en Vélib, sous la pluie, sur le quai Malaquais, devant la péniche-restaurant.

Paris louvre au port des saints peres
Paris s’engloutit dans les eaux, comme au port des Saint-Pères… Fin février, il valait mieux être ailleurs.

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Marche dans les rizières cinghalaises

Nous nous levons plus tôt que nécessaire dans le silence de la campagne où seuls s’élèvent les chants d’oiseaux. Même la route proche se tait ou se contente de ronronner dans le virage, de temps à autre. Petit-déjeuner d’ananas, banane, papaye. Les œufs frits sont appétissants, mais l’huile de coco employée leur donne un goût de mauvaise haleine.

petit dejeuner cinghalais

La promenade commence dès le matin, elle sera mi-route mi-chemin, et même sur des murets de rizière.

riziere sri lanka

Inoj adore montrer les arbres et donner leur nom français ou latin. Il désigne ainsi le « Grusillia » (?), de la famille de l’acacia, dont les fleurs blanc-mauve sont un poison bio pour les rats : « les rats ils mangent et ils sont morts » – dit-il. Je crois, moi, que les rats connaissent les poisons endémiques de leur contrée et que, s’ils ne connaissent pas, ils testent avec un seul d’entre eux avant de manger comme lui s’il n’est pas mort.

hibiscus sri lanka

Nous rencontrons aussi les lourdes gourdes fripées du jacquier, le gros durian puant, le bananier aux larges feuilles, le palmier à coco quand nous baissons en altitude et quelques-unes des 15 autres espèces, le dhoum bien plus haut qu’en Égypte, le tek, et le bambou, là (mais qui n’est pas noir comme au Japon). Il y a l’hibiscus aux pistils offerts dans sa corolle ouverte et l’hibiscus-piment à la fleur fermée comme une gousse, des bougainvillées violets, des daturas pâles et odorants, des magnolias et des tulipiers ; les poinsettias poussent leur fleur-feuille rouge verte, les lantanas éclairent de jaune, orange et mauve le bord des chemins.

magnolia sri lanka

Des frangipaniers ont la fleur blanche odorante aux pétales tournant vers la gauche, en roue solaire, dont on fait offrande à Bouddha dans les temples. C’est une véritable orgie végétale, tout prolifère et pousse à profusion entre le soleil et la pluie de mousson.

fleur de frangipanier sri lanka

Les arbres ont l’air de bondir, de danser, délirant de sève et de lumière : cet enthousiasme adolescent est celui que je ressens, comme Francis de Croisset, décrivant la forêt cinghalaise : « Des bambous métalliques partent comme des fusées ; des cocotiers font éclater en plein ciel leurs gerbes pluvieuses; des péronias dressent comme des baldaquins d’énormes plumes pourpres, — d’énormes plumes qui sont des fleurs. Des taliputs hissent à trente mètres des candélabres de muguets. Des palmes gonflées d’azur suspendent des parachutes. Des canéficiers érigent des fleurs en or, et d’autres des bouquets de fruits bleus. D’autres encore portent à la fois leurs fruits avec leurs fleurs, chargés comme d’immenses sapins de Noël. Des rhododendrons ont douze mètres et des pommiers-roses en ont vingt ; et des arbres inconnus, inouïs, montent et flambent comme des incendies. »

gamin medaille de shiva sri lanka

Il fait soleil et il pleut, parfois les deux en même temps. Fleurs immobiles, oiseaux de paradis mobiles, écureuil se filant de long des branches ou, d’un saut, d’une branche à l’autre, quelques singes du genre « cynique » (siniques), pas de singes noirs ici, et des chiens évidemment. Bien plus que de chats et bien moins discrets, mais pas de gamins car c’est jour d’école. Nous descendons dans les rizières où le seul chemin passe sur les murets larges de 10 cm qui les bordent. Chaussures en équilibre, appareil photo d’une main et parapluie de l’autre, nous tentons de coordonner tout ça pour avancer, admirer, clicher et ne pas tomber. Le comble, la pluie a fait sortir les sangsues et tout passage dans les herbes entraîne sa horde avide à l’assaut des chaussures. Nouveaux cris hystériques de celles qui croyaient en avoir à tout jamais fini avec ces mini pénis vampires.

curry paysan sri lanka

A l’abri chez l’habitant, nous déjeunons de divers curries pas trop épicés tandis que la pluie continue de tomber. La noix de coco râpée, légèrement humidifiée à l’eau, est souveraine pour calmer les brûlures du piment ; elle est une fin de repas fort agréable avant le thé chaud. Une petite chatte couleur poussière, qui ne quémande rien qu’un peu de compagnie, adopte les chaussures qu’elle flaire et s’endort en boule dessus. C. a beaucoup de mal à récupérer son bien et le garçon, rentré de l’école vient saisir son animal dans les bras.

cascade Bambarakanda de 263 m sri lanka

Nous sommes près du parc Hortons Plains, mais en contrebas, dans cet enfer de fin du monde que nous n’avions pas vu dans les nuages l’autre jour. Après déjeuner, il pleut toujours, mais nous montons dans les bois qui dégouttent voir la cascade Bambarakanda de 263 m qui tombe du rocher noir, la plus haute du Sri Lanka, à 1155 m d’altitude. Le jeu est de se baigner dans la vasque creusée par les siècles, mais seul un quart du groupe y va. L’eau est assez froide et l’atmosphère extérieure mouillée. Nous retournons par les bois puis par la route de ce matin, dans l’autre sens, avant de couper par des marches abruptes établies par les habitants entre les virages de la route. L’école est finie et les Hellos (nous) croisent les One pen (gosses) en échangeant toujours les mêmes propos et les mêmes gestes (sourires-photos). Même sous la pluie, ce pays est riant ; même dans l’orage, il est bien vivant. Le sol est mouillé, l’air moite, les arbres suintent, les nuages plombent le ciel dans une atmosphère d’aquarium, mais de jolis effets de brume montent sur les sapins.

brume de mousson sri lanka

Nous avons deux heures de bus pour rejoindre la réserve d’animaux où nous irons demain à l’aube. Le minibus a ses pneus avant lisses, je l’ai vu aujourd’hui. Voilà pourquoi ils crient parfois dans les virages. Le chauffeur est prudent, mais il doit négocier les chiens couchés sur la route, les vaches qui n’en font qu’à leur tête et à qui personne n’ose rien dire pour cause de sacré, les vélos non éclairés, les touk-touk aux allures d’escargot, les motos qui déboulent directement sans regarder, les bus qui doublent en forçant le passage… Je ne conduirais pas au Sri Lanka. La route est un déversoir de tout ce qui travaille, se promène et veut se rendre d’un endroit à un autre. Les chiens, habitués tout petit aux bruits et fureurs des camions et bus qui leurs passent sous la truffe ne se dérangent qu’à peine aux passages – au risque de se faire écraser une patte, voire choquer l’arrière-train. Des gosses presque nus courent librement après l’école et avant le coucher ; leur peau sombre ne se distingue pas de la route au crépuscule et leurs pieds sans chaussures ne font aucun bruit. La conduite du chauffeur est adaptée : il double les touk-touk qui n’avancent pas en double file, forçant ceux qui viennent en face à se ranger – sauf s’ils sont trop gros. Quand il double juste avant un virage, il est parfois obligé de se rabattre vite et c’est le plus petit qui cède.

gamin demi nu sri lanka

Nous avons vu deux Peugeot 504, voitures qui font chic mais d’un design désuet devant les japonaises omniprésentes. Sont-elles bien entretenues ou produites localement ? Arrêtées en 1983 en France, les berlines ont été produites au Nigeria jusqu’en 2005. L’intérêt de la 504 (j’en ai eu une durant dix ans) est qu’elle ne comprend aucune électronique et qu’elle se répare facilement. Les seules autres voitures européennes sont les Volkswagen Coccinelles, dont on voit quelques épaves routardes échouées dans les garages ouverts sur la route.

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Dambatenne parmi les jardins de thé

La richesse de Ceylan consistait jadis dans la culture du café mais un insecte, l’hemileia vastatrix, parvint à tout ravager en détruisant les feuilles dès l’année 1869. Le caféier a donc été remplacé par le thé à l’initiative des Anglais en 1876. Le climat sur les collines de l’intérieur permet une récolte très fructueuse à Ceylan. Sir Thomas Lipton, né en 1850 et mort en 1931, est écossais. Épicier, il achète des plantations de thé à 180 km de Colombo, dans les collines de Poonagala. Autodidacte, il fait fortune avec ses sachets, encore étiquetés « thé Lipton », mais il s’est plus intéressé à la Coupe de l’America et aux régates de yachting qu’à Ceylan. C’est cependant sous son nom qu’est encore établie la plantation Sherwood, à Haputale. Le domaine est devenu entreprise locale dès l’indépendance, son thé est vendu en gros sous le nom de Larkin.

plantation sherwood haputale sri lanka

Nous débutons la journée par un peu de bus, qui nous conduit jusqu’à l’orée de la plantation. Chose curieuse, il fait beau. Nous montons par la route qui serpente parmi les jardins de thé et les hameaux tamouls sur les pentes des collines. Les seuls endroits plats sont cultivés de légumes et construits de maisons. Il y a un temple hindou en bas, une mosquée plus haut, et encore plus haut une chapelle chrétienne à la Vierge. Comme sur les murs de l’école que nous longeons, toutes les religions du pays sont représentées. La façade scolaire représente aussi un écolier du primaire effectuant les mouvements yoguiques du Salut au soleil.

village tamoul haputale sri lanka

Tous les gens que nous croisons nous lancent des hello ! à quelques exceptions près, musulmanes (pourquoi ai-je envie d’ajouter : « évidemment » ?). Les gamins sont particulièrement avenants, curieux de la modernité et du reste du monde. Ils parlent très peu anglais mais n’hésitent jamais (contrairement aux nôtres…) à utiliser leurs maigres connaissances pour parler. Un treize ans pieds nus, chaîne d’or au cou, me demande d’où je viens ; son copain, plus jeune et plus terreux, ne sait dire que « what’s your name » et « give a pen ». Deux autres, assis sur un muret, nous offrent des goyaves vertes qu’ils viennent de cueillir directement à l’arbre. Les femmes sourient, les petites filles se laissent prendre en photo mais ne parlent pas un mot d’anglais, entre pudeur et ignorance.

13 ans et son copain haputale sri lanka

Les parcelles plantées de théiers sont numérotées. Chaque plaque indique la superficie de l’exploitation, le Ph et la teneur en carbonate du sol, enfin la date de la dernière taille des arbustes. Chaque parcelle correspond à une exposition, donc à une qualité de cru. Selon les résultats sur quatre ou cinq ans, le propriétaire va planter un arbre ou deux de plus pour ombrager ou, au contraire, en couper. Des panneaux indiquent qu’il est interdit sur le domaine de chasser, de sectionner les arbres et de jeter des ordures.

jardin de the plantation sherwood haputale sri lanka

Des maximes politiquement correctes en anglais ponctuent la route à chaque virage, là où l’on doit ralentir pour négocier la courbe. Elles portent sur l’environnement dans un mélange de mystique écolo, de libéralisme anglais et de bouddhisme syncrétique. Par exemple : « le fameux équilibre de la nature est le plus extraordinaire de tous les systèmes cybernétiques. Laissé à lui-même, il est toujours autorégulé ». Ou encore : « Ceux qui espèrent apprivoiser et materner des jeunes animaux sauvages les « aiment ». Mais ceux qui respectent leur nature et espèrent les laisser vivre normalement les aiment plus encore. » Et encore : « Une personne qui écrit la nuit peut éteindre la lampe, mais les mots qu’elle a écrits restent. C’est la même chose avec le destin que nous nous créons dans le monde ».

maxime ecolo plantation sherwood haputale sri lanka

Elles ponctuent la montée au Lipton Seat, point de vue culminant où sir Thomas, dit-on aimait à monter le soir pour contempler son œuvre, sinon la beauté calme du paysage.

lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous y prenons un thé, bien entendu, dans une petite boutique installée tout près. Dommage que le choix des qualités ne soit pas développé et que nous devions boire le thé générique, infusé dans l’eau chauffée au feu de bois qui s’est imprégnée du goût de fumée. Les nuages se sont assez levés pour dissiper la brume sur le paysage au-dessous.

the au lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous redescendons par les escaliers sommaires qui servent à drainer les pluies et à accéder à la cueillette avant de visiter la Dambatenne Tea Factory.

farique de the sherwood haputale sri lanka

Le secret de « fabrication » est si bien gardé qu’il est interdit de prendre aucune photo – l’indépendance rend susceptible et tend à garder jalousement des procédés – acquis du colonisateur.

kids tamouls haputale sri lanka

La fabrique travaille au ralenti le dimanche, mais le contremaître nous montre cependant l’usine, contre paiement de 250 roupies chacun. Il nous explique en anglais le processus qui mène de la feuille au sachet. Après cueillette, le séchage sous de gros ventilateurs d’air chaud, puis le roulage en machine, la fermentation quelques heures pas plus, puis trois coupes successives des feuilles avant tamisage et tri par taille, de la poussière (jetée) aux résidus (jetés au compost) – les tailles intermédiaires réparties par qualité. Il y a le BODF (Broken Orange Pekoe Fine), le BOP (Broken Orange Pekoe), le BP (Broken Pekoe), le BPS (Broken Pekoe Souchong) très grossier de basse qualité, enfin le Broken tea, très médiocre. La fabrique ne produit pas de « tips », ces feuilles en bourgeon encore presque blanches, qui sont du goût le plus subtil. Pekoe signifie en chinois duvet blanc et désigne les jeunes feuilles, encore enroulées. Les grades sont alors le TGBOP (Tippy Golden Broken Orange Pekoe), le GFBOP (Golden Flowery Broken Orange Pekoe), le GBOP (Golden Broken Orange Pekoe), le FBOP (Flowery Broken Orange Pekoe), enfin le BOP1 (Broken Orange Pekoe).

femmes tamoul haputale sri lanka

« Pourquoi Orange ? » Eh bien, il semble que ce soit un hommage rendu par les premiers importateurs de thé hollandais à leur famille royale : les Orange Nassau. Le nom, originaire d’un domaine du Vaucluse, a été porté par les princes des Pays-Bas, notamment Guillaume 1er qui combattit les Espagnols de Philippe II, et Guillaume III, qui devint roi d’Angleterre et d’Écosse sous Louis XIV.

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Jardin botanique de Peradeniya

Nous commençons la journée par la visite du célèbre jardin botanique tropical de Peradeniya, fondé dès 1371 par le roi Wikkramabahu III, mais établi en ce lieu en 1821 par Alexander Moon qui transfera des plantes depuis le jardin Kalutara. Moon fut l’auteur du Catalogue des plantes de Ceylan, publié en 1824, qui en recense 1127. Baigné par la rivière de Mahavéli, établi à 456 mètres d’altitude, il est à 7 km de Kandy.

pluie Jardin botanique de Peradeniya sri lanka

Nous ne parcourons qu’une partie des 60 hectares. Dommage que nous l’ayons vu sous la pluie, une fois de plus – il ne pleuvait pas durant notre petit déjeuner mais, dès notre sortie de l’hôtel, la pluie a commencé à tomber. Piétiner dans les flaques pendant que tombe l’eau à torrent sur le parapluie, à écouter déblatérer Inoj dans son français hésitant, n’est pas très intéressant.

racines Jardin botanique de Peradeniya sri lanka

Mais les arbres sont magnifiques, la végétation luxuriante, la collection de bambous impressionnante, les racines du ficus elastica serpentines, l’allée des palmiers une perspective unique, les 4000 plantes conservées une performance, les plantations de chaque VIP une anecdote – mais toujours la pluie.

allee des palmiers Jardin botanique de Peradeniya sri lanka

Chaque chef d’État ou de gouvernement, chaque artiste célèbre, a été convié à planter un arbre dans une partie du jardin. Je vois celui de la reine Elisabeth II, de Chou Enlai, mais pas celui de Che Guevara qui est venu aussi, dit-on.

fleur Jardin botanique de Peradeniya sri lanka

Un pont suspendu sur la plus longue rivière du pays ne s’arpente que jusqu’au milieu, et encore pas à plus de six, juste de quoi prendre la sensation de roulis et pouvoir contempler les eaux jaunes chargées de limon par la mousson. Une serre aux orchidées offre ses fleurs colorées et découpées magnifiques, étonnantes de variété.

orchidee Jardin botanique de Peradeniya sri lanka

Le soleil ne revient que lorsque nous allons échouer dans une autre boutique, la « jewellery », bijouterie en français, dont je ne sais d’ailleurs si le nom anglais vient de Jew, le Juif. Comme toujours, on commence par nous appâter par une présentation vidéo de l’extraction sri-lankaise, une maquette de mine artisanale creusée en puits, une visite éclair de l’atelier de taille, un long arrêt dans le « musée » qui présente les différentes pierres précieuses et semi-précieuses en vrac ou montées sur de vieux bijoux. Mais le temps le plus long est réservé aux deux étages de vente de gemmes brutes ou en bijoux. J’aime l’éclat des couleurs, notamment dans les bleus, saphir, topaze, aigue marine ; j’aime le reflet nacré des pierres de lune et des saphirs blancs œil de chat. Mais je n’aime pas les bijoux qui font toc, sauf à rouler les pierres en rivière pour la gorge. Quelques-uns sacrifient à l’achat : une topaze bleue sertie en bague pour la brestoise, une pierre de lune pour la champenoise, un collier pour le grenoblois, qui le destine aux trente ans de sa compagne.

topazes sri lanka

Une heure de bus jusqu’au premier temple, le Gadaladeniya, de la période Gampola des 15ème et 17ème siècles. Nous croquons en face de l’entrée un pique-nique rapide de pain de mie salade, un œuf dur et une banane. Des chiens se disputent les restes. Il pleut encore, mais moins. Le temple est campagnard, ancien, proche d’une école dont la sortie propulse les collégiens et collégiennes devant notre pique-nique.

atelier bronzier sri lanka

Puis nous randonnons en enfilant les temples. Le chemin passe par des maisons cachées par la verdure avec gosses criant hello et femmes riantes. En passant, nous visitons un atelier sombre et anarchique de bronziers qui fondent, coulent et polissent des lampes votives.

bain elephant sri lanka

Deux éléphants se font laver à une fontaine et ils adorent ça, autant que les badauds qui regardent de tous leurs yeux, à distance respectueuse cependant.

temple Lankatilaka Rajamaha Viharaya sri lanka

Nous arrivons 4 km plus loin au temple Lankatilaka Rajamaha Viharaya, érigé en 1344 sur deux étages posés sur un rocher appelé Panhalgala. Sa profusion d’antiquités et de peintures à l’intérieur inspire le respect, après une arche d’entrée en forme de dragon ; ses murs extérieurs sont sculptés d’éléphants en relief. Une statue de Bouddha en saphir a 750 ans, l’une des trois dans le monde. Dans l’enceinte du lieu, deux éléphants bien vivants engloutissent des brassées de feuilles coupées exprès pour eux. Des ados en bande les regardent faire, avant de nous regarder, nous, spectacle plus original à leurs yeux. Nous descendons du temple par un long escalier, côté est, qui mène dans la vallée à l’arrière, d’où nous remontons en suivant la piste des villages. Un boulanger qui fait sa tournée en touk-touk augmente ses affaires du jour en nous vendant 25 roupies chacune des brioches ou des friands épicés.

Le troisième temple de la brochette, Embekke, dédié au dieu Kataragama a de vénérables piliers de bois sculptés du 14ème de toute beauté. Les scènes antiques montrent un guerrier cinghalais, un guerrier portugais, deux oies, un oiseau-lion, et ainsi de suite. Deux gosses hilares d’une dizaine d’années nous contemplent au temple en se serrant tendrement le cou.

temple embekke sri lanka

Nous avons beaucoup perdu de temps avec les éléphants, les photographes se sentant obligés de prendre trente fois les mêmes bêtes et les mêmes gens en 20 mn. Nous avons encore deux heures de bus pour joindre Nuwara Eliya, station d’altitude inventée par les Anglais en 1819 à 1900 m. Les lacets de la route se succèdent sans arrêt pour accéder aux hauteurs, de quoi nous donner mal au cœur dans le minibus japonais diesel aux sièges étroits, conçus pour des carrures asiatiques. Là-haut, il fait froid, pas plus de 15°, et il est tard. Nous prenons un buffet rapide pour nous tout seul et une douche chaude en chambre froide. Mais il y a des édredons sur les lits dans cet hôtel Summer Hill Breeze. La nuit sera parfaite.

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Amender le jardin à Tahiti

Une grande cour à entretenir, quelques arbres manguier, abiu, ramboutan, avocatier, vi Tahiti, cocotiers, carambolier, longane, ça donne des feuilles à ramasser, mais aussi de succulentes assiettes de fruits au petit-déjeuner.

PAPEARI JUILLET 2014

Constatez par vous-même le travail que cela donne !

PAPEARI JUILLET 2014

Une idée a germé dans la tête de J. toujours en quête de nouveauté malgré ses maux physiques affreusement douloureux. De l’abattoir il ramène des fûts de déchets cuits à 2 000°.

PAPEARI JUILLET 2014

Il creuse des trous avec un engin relié à son tracteur, y verse le presque « cinq de chez C. »

PAPEARI JUILLET 2014

Puis il arrose et comble le trou car chiens, poulets, sont à l’affût de ce succulent ma’a.

PAPEARI JUILLET 2014

Ensuite il faudra planter de nouveaux arbres fruitiers, et attendre (pourvu que Dieu nous prête vie).

PAPEARI JUILLET 2014

C’est la période des vacances ici aussi, et Hiata fait roue libre, pardonnez-la !

PAPEARI JUILLET 2014

Profitez bien de vos vacances afin d’entamer une rentrée en pleine forme.

PAPEARI JUILLET 2014

Hiata de Tahiti

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Novembre

Voici novembre, le neuvième mois. Le paysage se liquéfie sous le ciel bas ; le vent abat des rafales de pluie sur les vitres. L’eau tombe, insistante, inexorable, monotone. Les arbres dénudés frissonnent, tordant leurs branches comme des doigts désespérés vers le plafond des nuages. La forêt est brune et rousse, les feuilles rougies des châtaigniers lancent des lueurs tristes.

L’automne est là brusquement, humide, molle, alanguie. La végétation fond pour devenir couleur de terre et se confondre peu à peu avec elle, humus pourrissant, liquide sale. Voici le temps des morts.

Les fusils claquent dans les bois et sur les champs vides. Le gibier fuit ou s’envole, roux comme les feuilles tombées, dérisoire tentative de camouflage. Sur le fond grisâtre de l’horizon passent des vols de corbeaux noirs.

Le marcheur a froid, la pluie coule dans son cou et son dos, l’humidité s’insinue jusqu’à son cœur et ses os. Dans la pénombre des arbres, sur l’étendue des champs, tout est nettoyé, uniforme, décoloré. Les grillons se sont tu, les oiseaux se cachent, le vent gémit. Le voyageur serre son manteau et relève son col. Il pense à la maison douillette où brûle la lumière, aux sourires de ses proches, à l’alcool âpre qui fait chanter l’esprit près de la cheminée, au livre amical qui parle d’autres pays, aux disques qui révèlent un autre monde.

Face aux éléments hostiles, l’homme est pareil à l’ours. Il aspire à sa tanière et à s’y enfermer pour hiberner. Au centre de son monde calme et clos, où se perpétue un peu de la chaleur d’été, il prend le temps de penser à lui-même, à ses petits et à tous ceux qui ne sont plus.

Novembre, mois des morts et des chasses sauvages.

L’automne, comme le printemps, est une saison instable, une saison qui devient. Elle n’a pas cette plénitude de l’été ou de l’hiver, elle ne dure pas, elle hésite entre regret d’été et prémisses d’hiver. L’automne n’a ni un climat, ni des couleurs, ni des odeurs constants pour en faire une saison. C’est un passage, transition d’une fin d’été à un début d’hiver. L’automne n’est ni la nature morte ou endormie, ni la nature vive et éveillée : en nos pays elle s’endort peu à peu.

Novembre, mois des proches qui sont morts et qui s’effacent lentement du souvenir pour que la vie se perpétue sans le poids du passé.

Il est des hommes rudes que le froid revigore et exalte. L’humidité envahissante de l’automne les stimule et les incite à réagir contre la mollesse du paysage, la liquéfaction du végétal et le pourrissement des fruits. Leur vitalité refuse l’idée de mourir. Non pas l’idée de la mort, qui est inéluctable du seul fait de naître, mais ce passage graduel de la vivacité à la fatigue, la mort lente par la paresse, la vieillesse et la décrépitude. Les guerriers préfèrent quitter la vie les armes à la main, avec brusquerie et courage. C’est pourquoi l’automne, saison langoureuse et lasse, mélancolique et propice aux débordements de sentimentalité, leur déplaît. Ils n’aiment point les transitions, préfèrent ce qui tranche.

Novembre était pour les Celtes Samhain, la fête de la grande bataille des dieux, dont les Chrétiens ont fait la fête de tous les saints.

C’est une vérité d’expérience que le monde extérieur agit sur le tempérament des hommes. Fait-il beau, nous sommes joyeux ; fait-il sombre, le gris du ciel fait lever en nous la tristesse par sympathie. Notre rythme hormonal, notre climat émotionnel, nos états d’âme, semblent suivre ceux de la nature en ses saisons : enthousiaste au printemps, mélancolique en automne, joyeux en été comme en hiver grâce au soleil ou à la neige. Est-ce pour cela que nous revient la pensée profonde de Renan ? « L’histoire du monde n’est que l’histoire du soleil. »

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Le Clézio, Trois villes saintes

Ce sont des villes antiques, aztèques ou mayas, que Le Clézio chante durant son trip mexicain des années 1970. Tout tourne autour des dieux morts, ceux qui faisaient venir la pluie, sans laquelle nulle vie n’est possible. Les envahisseurs blancs ont vu, sont venus, ont vaincu, et la sécheresse s’est installée avec la fin des hommes. Mais, pour Le Clézio, les lieux terrestres où sont nées les civilisations, ne sauraient mourir. Ils attendent. Qu’un autre peuple ou d’autres circonstances permettent la renaissance.

Chancah, Tixacacal et Chun Pom sont pour lui de ces villes matrices. Les forces qui les ont fait naître ne sont qu’endormies et des « soldats » veillent pour faire revenir la vie. Le style « années 70 » de l’auteur est une longue incantation sur le mode agaçant du « on ». L’impersonnel d’une force qui va, le « mouvement social » dans toute son acception d’époque. Alternent la prose en phrases longues au vocabulaire basique (l’une d’elle fait 4 pages !), ponctuées de virgules, et des inserts de textes indiens anciens tirés des prophéties du Chilam Balam. L’auteur adore faire rouler les sonorités des noms étrangers, ou les éparpiller visuellement sur la page.

« La nourriture et la boisson sont le seul langage des dieux, la seule réponse aux prières » p.35. Selon Karl Marx – doxa 1970 revue par Le Clézio étranger dans sa société : les biens matériels sont la base du désir spirituel. La vérité, la liberté, c’est l’eau venue du ciel et qui irrigue les champs et la forêt comme les gosiers des hommes. La « conscience » n’attend pas ni n’exige. « Elle ne juge pas. Ce qu’elle demande, comme cela, muettement, avec orgueil, ce n’est pas vengeance, ni l’argent. Elle est accordée avec le désir des dieux, et elle ne demande que ceci : le pain et l’eau » p.46. Conscience « de classe » ? Ou vieux refrain des années hippies, plus tard constante de la mythologie leclézienne ? Elle est aujourd’hui recyclé en écologie et décroissance : « Les hommes qui ressemblent à la terre, les hommes qui sont pareils aux arbres, les hommes qui ont la peau couleur de terre, les femmes qui ont la peau couleur de maïs, ceux qui ne vivent que par le pain et l’eau ne sont jamais vaincus. Ce ne sont pas les richesses qu’ils désirent, ni le pouvoir sur les terres étrangères. Ils ne cherchent que l’ordre du monde qu’ils habitent, comme cela, obstinément, par le seul pouvoir du regard et de la parole » p.58.

Humilité chrétienne, angoisse malthusienne, fatalité marxiste – ou sagesse séculaire du point trop n’en faut ? Il y a de ces mélanges chez Le Clézio alors trentenaire. Au Sahara, au Mexique, dans les îles, Le Clézio erre, toujours mal dans sa peau. Il observe comment « la civilisation » qu’il hait a stérilisé ou isolé les peuples « premiers ». Et il n’aime pas, préférant l’éternité figée de l’âge d’or aux changements de la modernité, le « retour » des anciennes sources au mouvement historique.

« Là-bas, les hommes dorment sur eux-mêmes, sans rêves, entourés de leurs signes maudits, solitaires, sans défense, au bord des carrefours des routes de goudron, à l’ombre des camions, des hangars, des dépôts. Alors on s’en va, on les quitte, on marche tout seul sur le chemin de poussière, et on approche de la vraie ville vivante, la capitale du pays silencieux, au milieu de la forêt, là où cesse la soif et la fatigue, là où l’on chante, où l’on prie, la ville sainte » p.67. « On » c’est « on » qui parle, le « on est con » de foule anonyme. Qu’est-ce donc pour Le Clézio : une sorte d’instinct ? de sagesse des nations ? une volonté de s’annihiler ?

Choisir l’avant plutôt que le présent, l’éternel plutôt que le vivant, l’identité fixe plutôt que le devenir – ne serait-ce pas là un signe de dépression ?

Le Clézio, Trois villes saintes, 1980, Gallimard, 83 pages, €12.83
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Étiolles au musée de préhistoire de Nemours

Article repris par Ideoz.

J’ai déjà évoqué Étiolles pour sa découverte, à laquelle j’ai participé à la fin de mes seize ans. Étiolles reste un chantier école pour les étudiants archéologues de l’université de Paris 1 Sorbonne, mais est aussi au musée. La petite ville de Nemours, assoupie au bord du Loin en Seine-et-Marne, a ouvert en 1981 le musée de préhistoire de l’Île-de-France. L’époque était à la mode rétro, élever des chèvres, restaurer les vieilles pierres, marcher en sabots (suédois). Le musée de l’architecte Roland Simounet s’est donc installé à l’écart du centre ville, dans les bois, en même temps que le collège. Les neuves frimousses côtoient les plus anciens silex. Le béton brut du musée s’ouvre par des puits de lumière et de grandes baies sur les arbres alentour, illusion d’être ramené aux âges farouches…

La création d’un musée offre de la place pour tout ce qui est trouvé au même moment. Les visiteurs peuvent ainsi voir un moulage de l’habitation n°1 de Pincevent, dans une pièce assombrie pour créer une « atmosphère ». Cette ambiance ne plaît pas à tous les petits, j’ai vu l’un d’eux hurler de terreur en imaginant des monstres assoupis, restes de télé mal digérés parce que les parents laissent regarder n’importe quoi à n’importe quel âge. Le moulage du foyer W5 d’Étiolles est en bonne place, mais lumineux. Autant le visiteur est incité à rêver dans l’obscurité sur Pincevent, autant Étiolles est présenté comme chantier école à la lumière. C’est un théâtre scientifique avec truelles et grattoirs, mètre pliant et carroyage, sur planches à plots destinées à préserver le sol archéologique.

Une pièce entière est consacrée au Magdalénien, cette période séparée de nous en gros de 10 à 15000 ans. Le climat était plus froid, les humains vivaient de chasse, pêche, nature et traditions, suivant les bonnes habitudes. Ils poursuivaient troupeaux de rennes dans leur migration saisonnière à la recherche d’herbe grasse. Cela permettait aux hommes d’exploiter le silex affleurant en certains endroits, de pêcher sur la Seine et ses affluents, et de ramasser les baies, herbes et champignons comestibles sur les pentes. Des coquillages inconnus dans la région et des variétés de silex que l’on n’y trouve pas montrent que des contacts étaient entretenus avec d’autres communautés humaines vivant ailleurs.

Les activités étaient principalement pour se nourrir, s’abriter, se vêtir et s’outiller. Le soir à la veillée, ou lors de cérémonies magiques, les traditions s’exaltaient pour dire l’origine et le destin, chanter la gloire du clan et des grands personnages. Chamane ou chamasesse, ancien ou ancienne, guérisseur ou guérisseuse, donnaient un sens à l’existence.

Les enfants apprenaient tout petit sur l’exemple de leurs parents ce qu’il faut faire et ne pas faire, non pas d’une quelconque morale « révélée », mais simplement pour survivre. Si les activités les plus physiques étaient probablement masculines (vigueur musculaire oblige), rien ne permet de penser que les femmes ne taillaient pas le silex ou ne chassaient pas avec les hommes et les adolescents. Tous les pionniers le savent, la survie en milieu hostile exige de chaque individu la plus grande autonomie et réduit la spécialisation sexuelle ou sociale.

Les grandes lames de silex, qui font la réputation du site magdalénien d’Étiolles chez les archéologues, étaient tirées par percussion indirecte, un os ou un bois faisant levier pour détacher la pièce. En reconstituant le nucleus (noyau originel de silex brut), les préhistoriens permettent de donner du mouvement aux objets. Chacun étant relevé précisément sur le sol archéologique, un schéma se trace aisément entre les morceaux qui se remontent sur le nucleus commun. On peut ainsi formuler des hypothèses sur l’endroit (de taille, de retouches, d’usage ou de déchet), sur la succession des mouvements (éclats corticaux, éclats de préparation, outils, finition) et sur la répartition sociale des tailleurs (confirmé, apprenti, gamin imitant).

C’est ce qu’il y a de plus émouvant : faire lever les gestes humains des millénaires. L’outil de silex une fois taillé, il pouvait servir à chasser, gratter les peaux, couper les viandes, écharner les os, tailler le bois et mille autres usages dont un canif donne une assez belle idée à la campagne.

Les os travaillés en harpons, en alènes et  en aiguilles à chas permettent d’imaginer un artisanat du vêtement et de la tente, issu de pauvres bêtes (comme écrit le Cancre des dictées).

Outre le moulage du sol, le musée de Nemours recèle le trésor d’Étiolles : le galet gravé. Sur la face et sur l’avers, à chaque fois un cheval, dessiné de stries dans la pierre. On distingue parfois l’ébauche d’un autre animal, mais surtout une figuration humaine derrière le grand cheval.

Sur deux pattes, cuisses musclées, sexe tendu, bras levés, tête couverte d’un masque chevalin, naseaux et œil dardant des rayons, la « créature » fait penser aux déguisements des rituels chamaniques. Mais ce n’est qu’hypothèse. Certains (certaines, pour cause de féminisme ?) voient dans « le sexe » un « sein flasque » puisque placé au-dessus de l’entre-jambe. Mais la musculature impressionnante des cuisses me laisse dubitatif sur l’aspect féminin de la créature. D’autant que le cheval est indubitablement un mâle, le sexe clairement dessiné.

L’animal, en tout cas, est bien dessiné, d’un trait sûr comme à Lascaux, grotte peinte à peu près à la même époque. Faut-il y voir une exaltation religieuse de l’animal fétiche chassé pour sa viande, ses tendons, ses os ? Deux traits sur le flanc peuvent montrer qu’il est en train de mourir, haletant selon les traits qui échappent des naseaux. Est-ce un hommage à sa beauté charnelle arrêtée dans son mouvement, une excuse pour avoir ravi sa vie, la reconnaissance de sa vigueur musculaire masculine ? C’est le cas encore de nos jours chez les peuples animistes, mais nous ne pouvons qu’inférer de notre humanité d’aujourd’hui les croyances éventuelles de l’humanité d’hier, sachant que les Magdaléniens étaient des Homos sapiens sapiens comme nous.

Vous trouverez bien autre chose dans ce musée, des silex issus des fouilles de Daniel Mordant un peu partout ou Béatrice Schmider à Saint-Sulpice de Favières, entre autres, une barque fossile du néolithique à Noyelles-sur-Seine, des épées et de haches de l’âge du bronze, un casque gaulois, des verres gallo-romains… Philippe Andrieux a reconstitué l’expérience des métalliers du bronze, dans des fours de fortune faits de terre et d’un soufflet de peau.

Chaque jour que l’été fait, une animation est effectuée sur un sujet : la chasse, l’alimentation, les outils, le feu, la protohistoire… Une partie est destinée aux enfants, avec toucher des armes et broyage du grain à la meule. Toucher, mimer, ils adorent ça. Leur imagination travaille bien plus que par les mots du prof !

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Journée cueillette en Nouvelle-Zélande

Article repris par Medium4You.

Après un brunch bien fourni nous embarquons pour Tekapo.

Le premier arrêt permet aux Tahitiens de cueillir des cerises dans un verger, de juteuses cerises, d’un rouge puissant. Les arbres sont protégés de la gourmandise des oiseaux par des filets. Des échelles sont à la disposition des clients qui cueillent eux-mêmes les cerises avant de les faire peser et d’en acquitter le montant. Oh ! Surprise… certains ne ramassent que le fruit et laissent pendre les queues sur la branche ! Il faut leur indiquer comment on cueille des cerises ! « On savait pas, on nous avait rien dit ! » Certains se gavent de fruits avant le pesage, mais sont vite rassasiés. Ils en ont cueilli des cartons de cerises !  Attention aux intestins fragiles, mais les Tahitiens sont costauds. Un magnifique vignoble fait face aux cerisiers.

Des  rosiers sont plantés en début de ligne des vignes. A ceux de mon van, j’avais indiqué l’usage des rosiers dans les vignobles. Ceux des autres vans ont reçu une toute autre explication de l’accompagnatrice : grâce à la couleur des roses, les vignerons Néo se souviendront des cépages rouges, rosés, et blancs qu’ils ont planté ! A posteriori, cela a déclenché une bonne crise de fou-rire.

Poursuivons notre route, arrêt à Cromwell, capitale des fruits. Cette petite ville a survécu au déclin des mines d’or en devenant la ville des fruits au milieu d’une des principales régions fruiticoles de Nouvelle-Zélande. Une abondance d’abricots, de pêches, de brugnons, de melons, de pommes, de poires, de cerises, de fruits secs et d’ice-cream… aux fruits. Toujours le même procédé : à la crème glacée on mêle, à la demande du client, des cerises et autres fruits réduits en purée. Ce que les Tahitiens peuvent les aimer, ces glaces !

Le reboisement prend de curieuses allures de coiffure punk parfois, dans le paysage.

Allez, en route car il reste de nombreux kilomètres à parcourir. La route est longue mais variée : Twizel, village crée en 1969 dans le cadre de l’aménagement hydro-électrique de l’Upper Waitaki.

Le lac Pukaki, vallée glaciaire parallèle à celle du lac Tekapo. La route longe la pointe sud du lac Pukaki.

D’ici, on a une vue à couper le souffle sur les Southern Alps et le mont Cook.

Sabine

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