Montée du maréchalisme

La revue de réflexion Le Débat, dans son dernier numéro 205 de mai à août 2019, offre un panel d’articles sur la situation inconfortable d’aujourd’hui. Tout ce qui existait hier est remis en question… pour se réfugier dans l’avant-hier. La démocratie « représentative » est vilipendée comme confisquant le pouvoir au profit d’une élite qui « n’écoute pas »… mais le remède en serait la démocratie « plébiscitaire » adulant un homme fort tel que les fascismes et les socialismes l’ont promu à la génération d’avant. Ou, selon la classification des droites par René Rémond, la confluence de la droite légitimiste et de la droite bonapartiste.

Xi Jing-Ping déclare que la dictature d’un parti unique éclairé vaut mieux que les bavardages conflictuels des parlements démocratiques ; Poutine déclare le libéralisme « obsolète » et assume un nationalisme orthodoxe qui vante la grandeur de l’ex-URSS et la morale stricte inculquée à l’extrême jeunesse dans ce que la litote globish nomme des « Boot camps » – qui ne sont guère qu’une Putin-jugend sur le modèle de « l’Autre », l’ennemi de l’ouest. Aux Etats-Unis, mais aussi en France, un tiers de la jeunesse ne croit pas que la démocratie soit le meilleur système politique et préfèrerait une version plus musclée. En gros un Maréchal de 30 ans plutôt que de 90, la morale (voire la religion catholique) rigoureusement remise au goût du jour, les chantiers de jeunesse patriotique, la terre qui ne ment pas et le protectionnisme industriel. En témoigne la dernière élection européenne…

La souveraineté du peuple à la Rousseau comme fondement de la légitimité politique s’oppose à l’Etat de droit à la Montesquieu. Ni la représentation, ni la séparation des pouvoirs ne sont plus ressentis comme justifiés. D’où l’abstention, l’aversion ou la sécession. Toute parole officielle se trouve discréditée, et l’on assiste à l’essor des vérités « alternatives » comme au recours à la théorie du Complot. Dans le même temps le « libéralisme », dévoyé du politique à l’économique, engendre une prolifération de normes, règles et contraintes qui font douter de la « liberté » qu’il peut apporter. Les inégalités économiques croissent à mesure de la contrainte bureaucratique et la stagnation, voire le recul du niveau de vie, exacerbent les comparaisons entre statuts et positions.

Le « progrès » de gauche apparaît comme une régression sociale face aux inégalités et comme une régression culturelle face à l’immigration et aux musulmans français victimisés « plus égaux que les autres » ; le développement promis se dérègle à cause de la raréfaction des ressources, de l’énergie et de la destruction de l’environnement. Et aucun intellectuel n’est capable de proposer un nouveau modèle pour la société. L’université apparaît comme un parking où les diplômes sont dévalorisés par l’absence de sélection et par son refus de s’ouvrir au monde professionnel.

Dans l’ambiance générationnelle des nés-numériques, l’individualisme devient exacerbé. C’est chacun pour soi, du sport où la compétition fait rage au show-business où seul l’apparence compte, des profs qui prennent en otage les notes des bacheliers aux aide-soignantes qui simulent un suicide à l’insuline (tout en se faisant immédiatement soigner par les autres…), aux associations thématiques qui permettent d’émerger, aux entreprises créées à partir de rien sur des projets inédits. L’échelle locale apparaît comme la seule qui permette de valoriser le moi, et non plus ces « valeurs » abstraites d’un collectif incantatoire qui s’en fout dans les faits. Les syndicats sont dévalorisés et seul le happening (mais où l’art est dévoyé en politique) vaut titre d’existence (médiatique). Le basculement identitaire est en marche et c’est bien la faute de la gauche en France, au pouvoir par longues alternances depuis des décennies, d’avoir abandonné les individus au profit des utopies gentillettes sans racines.

Les 18-24 ans des enquêtes montrent qu’ils votent le plus pour des candidats radicaux, 25.7% pour Marine Le Pen au premier tour de la dernière présidentielle, 24.6% pour Jean-Luc Mélenchon (OpinionWay) contre 21% pour Emmanuel Macron. L’originalité de Mélenchon au premier tour a été d’avoir rompu avec la gauche culturelle européiste pour mener une campagne populiste et souverainiste ; l’erreur de Mélenchon au second tour a été d’abandonner cette posture identitaire pour rallier le reste de la gauche et en devenir son leader : son discours gauchisant sur l’immigration, l’éducation, la famille, l’Europe, a déçu. Même les gilets jaunes aujourd’hui lui tournent le dos – et les européennes ont montré que sa coalition n’était que de circonstance, fragilisée par ses coups d’éclat personnels.

L’identité malheureuse, la dépression économique, la régression nationale face aux géants américains, chinois, russes ou même allemands font que la génération jeune rejette la génération vieille qui a « joui sans entraves » en laissant un fardeau de dettes, de fils d’immigrés mal assimilés et d’immigrés récents de plus en plus inassimilables, sans parler du réchauffement climatique, des impôts au plafond et de la hausse exponentielle des taxes sur l’énergie. Le « vivre-ensemble » du discours lénifiant de la gauche bobo ne passe plus sur le terrain des inégalités économiques, des incivilités ethniques et de l’insécurité culturelle. Quand on n’a plus de repères aujourd’hui, on en revient volontiers aux repères d’hier.

Et le premier est la frontière : politique pour ne pas être inféodé, économique pour protéger ses industries, sociale pour préserver le système de santé, de chômage et de retraite, enfin culturelle face à la masse africaine (Maghreb et Afrique noire) dont l’explosion est déjà programmée : 150 millions dans les années 1930, 1.3 milliards aujourd’hui, 2.4 milliards en 2050 – seulement dans trente ans. Il faudrait être niais pour feindre de croire qu’une petite part des Africains jeunes ne désireront pas « rejoindre les cousins » dans l’eldorado européen, là justement où la démographie stagne et où la population vieillit, mettant en péril production, cotisations santé et retraites. Déjà, un immigré sur deux en France vient d’Afrique : réfugié, clandestin économique, étudiant qui reste ou regroupement familial.

Or l’islamisme progresse en Afrique et se fait plus intégriste. L’intégration des immigrés n’est pas une question sociale mais de plus en plus une question de mœurs, de religion et de culture. L’essor de l’individualisme engendre partout l’entre-soi, donc des tensions croissantes entre des « eux » et des « nous ». La religion est souvent le prétexte pour justifier des exactions violentes comme le dit Olivier Roy, mais les banlieues se radicalisent sous la férule des imams formés en Arabie saoudite comme le dit Gilles Kepel. Le fait religieux est autonome de la position sociale, ce sont surtout les classes moyennes qui partent en Syrie – même si la fratrie, la bande de petite délinquance et la mosquée servent de viviers. Selon Hakim El-Karoui, plus d’un quart des musulmans de France ont un système de valeurs qui s’oppose clairement à celles de la République. 68% des musulmans d’une cohorte de 11 000 collégiens des Bouches-du-Rhône interrogés mettent la loi de l’islam au-dessus de la loi française (contre 34% des catholiques). Une autre étude portant sur 7000 lycéens de seconde montre que 33% des musulmans ont une vision « absolutiste » de la religion, contre 11% pour les autres (enquêtes citées p.136).

Les « idiots utiles » (terme de Lénine à propos des intellos) dénient et minimisent, littéralement aveugles à la réalité identitaire qui monte en pression. Elle est pour eux « fasciste » et ils mettent dans ce mot le Diable incarné – qu’il ne faut dès lors qu’exorciser et non pas dialectiquement réfuter. Cette gauche morale en faillite, crispée sur ses positions de jeunesse alors que le monde n’est plus le même, a colonisé les médias et imposé son dogme, stigmatisant et rejetant dans les ténèbres extérieures tous ceux qui pensent autrement. La générosité est manipulée sur des cas individuels pour encourager l’immigration sans frontières ; la « domination » est mise en avant pour dévaloriser la culture traditionnelle, qualifiée de « bourgeoise » même quand il s’agit des sciences physiques ou statistiques ; la honte est agitée sur le rationalisme exacerbé en dérive des Lumières, sur la colonisation (à l’origine de gauche pour « éduquer » les peuples « enfants »…), sur la Shoah.

Un Mélenchon ne qualifie Merah, le froid tueur d’enfants, que de simple « fou » d’un banal fait divers ; un Peillon réduit à l’hitlérisme toute critique des islamistes en comparant le sort des Musulmans au sort des Juifs durant la Seconde guerre mondiale – on se demande d’où sort la politique de ce prof de philo… Si nombre de Juifs français fuient les banlieues où ils ne peuvent plus vivre ni étudier en sécurité, si de plus en plus quittent la France, ce n’est certainement pas le cas des Musulmans qui, eux, arrivent en masse et réclament toujours plus de visas ! S’ils étaient tellement menacés par « le racisme » en France, ne la quitteraient-ils pas pour un autre pays ou pour revenir chez eux ? Une telle niaiserie de la part de politiciens « progressistes » dans le déni, la complaisance ou le silence, laisse pantois. Ce pourquoi la gauche s’est effondrée et ses politiciens déconsidérés à vie.

Restent deux pôles : le raisonnable et réformiste démocratique – et le retour de l’archaïque sur le modèle Poutine d’un âge d’or mythifié autoritaire. Aujourd’hui Emmanuel Macron (malgré ses défauts) ou Marine Le Pen (avec ses défauts). Mais demain probablement Marion Maréchal, bien plus crédible que sa tante mais encore un peu jeune, prônant l’alliance de la bourgeoisie conservatrice et des classes populaires via le problème identitaire. Elle est évidemment pro-Trump tout comme elle était membre du groupe d’amitié France-Russie lorsqu’elle siégeait à l’Assemblée nationale…

Oui, le maréchalisme monte lentement en France.


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4 réflexions sur “Montée du maréchalisme

  1. 1 – L’hypothèse maréchaliste est vraisemblable, c’est justement le propos de la note (qui ne porte pas de jugement moral)
    2 – La démocratie représentative en France reste de mise, malgré la « monarchie républicaine » de la Ve République : outre De gaulle viré lors d’un référendum-plébiscite raté, Giscard n’a pas été réélu, ni Sarkozy, et Hollande n’a pas osé se représenter devant l’opinion. Nous sommes loin de Poutine qui règne puis devient « premier ministre » avant de représider à nouveau – ou de Xi Jin Ping qui modifie les statuts du Parti pour durer encore plus
    3 – Les « affaires » déclenchées dès que l’on veut terrasser un adversaire sont une nouveauté dans leur ampleur depuis Strauss-Kahn, descendu en flamme… non pas pour la soubrette de New York mais pour les escorts de Lille. Fillon a été torpillé par la gauche hollandaise de la même façon (j’ai écris une note là-dessus : https://argoul.com/2017/02/09/justice-democratique-ou-lynchage-populiste/). Mais un Chirac, un Villepin, un Sarkozy, malgré les affaires, échappent aux conséquences par leur habileté. Croyez-vous que « les mêmes têtes au sommet de l’Etat » complotent contre les autres pour empêcher tout renouvellement ? Et Macron alors – qui n’était prévu par personne ? L’usage des traîtres et des réseaux sociaux, démultipliés par Internet, ne font pas une politique – ils n’en sont que les instruments.
    4 – La « répression » touche moins les gilets jaunes initiaux que les casseurs, souvent d’extrême-droite ou anars d’ultragauche, qui ne sont pas, à mon avis, assez « réprimés » en amont. Quant au boxeur qui voulait casser la république, il a besoin de se voir rappeler les limites – comme tout gamin irresponsable et violent qui dépasse les bornes.
    5 – Ce qui est bien avec le mensonge est qu’il est perçu très vite et immédiatement dénoncé : nous sommes loin de Trump, de Poutine, de Xi et d’Erdogan.
    6 – Les médias font surtout de l’entre-soi parisien, sortant des mêmes écoles (« grandes ») et tournant en rond dans le marigot complice avec les politiques (le navet Davet-Lhomme) ; les oligarques qui les possèdent n’ont guère de contrôle éditorial, nous sommes loin de l’ère Hersant. De plus, la plupart des gens s’informent ailleurs, malheureusement au pire : sur Internet où fleurissent les sites de désinformation style Russia Today ou de complot style Boulevard Voltaire. Les « grands journaux » n’existent plus guère, il faut lire la presse étrangère (Tribune de Genève, The Economist, NY Herald) pour collecter une information pas trop biaisée – ou bien les revues de réflexion trimestrielles : Le Débat, Contrepoint, Esprit. Il faut surtout, à mon avis, fouiller un peu et penser par soi-même avec bon sens, ce qui ne semble guère partagé par les soumis pathologiques. La liberté se prend, y compris celle de l’esprit, et ne sont dans les fers que ceux qui y consentent. Tout casser par frustration alors ne sert à rien, qu’à se forger de nouvelles chaînes : seule la responsabilité citoyenne importe pour que « la démocratie » fonctionne correctement : mais qui y est prêt ?
    7 – Le contrôle « démocratique » existe plus dans chacun des Etats que dans l’Union européenne, c’est un fait. Mais l’Union ne s’est pas construite comme une démocratie mais comme une oligarchie d’Etats qui décident en Conseil européen des chefs d’Etat ou de gouvernement; le Parlement n’est là que comme étape progressive encore très loin du contrôle effectif du Budget (très faible) et de la nomination d’un Exécutif (resté volontairement entre les mains des Etats, jaloux de leur « souveraineté »). Ne confondez donc pas le Machin européen avec les institutions françaises ou anglaises ou allemandes, etc.
    8 – Je ne crois pas au « blocage » mais à une mutation. La globalisation lessive les classes moyennes et dévalorise l’artisan qualifié. Mais de nouvelles préoccupations apparaissent qui relocalisent les activités : l’écologie, la guerre commerciale d’un Trump aux abois. Si nous avions des politiciens moins nuls dans les partis écolos, qui contribuent à l’extinction des homards et encouragent le sulfite dans les grands vins, si la pression de l’opinion sur la FNSEA se faisait plus criante pour enfin changer de sens à la course aux glyphosate, aux algues vertes, au blé transformé et autres saloperies chimiques dans l’agriculture, nous aurions peut-être une meilleure qualité de vie et plus de travail local et les périphéries riraient moins jaune.
    9 – Je ne crois pas enfin à l’angélisme exterminateur d’un « homme fort » pur et sans tache qui surviendrait tel un Sauveur – et règlerait le tout d’un coup de braguette magique. Trump en a une grosse mais la réalité de son action, depuis deux ans, n’est guère positive, surtout pour les Américains ; la Russie, la Chine et la Turquie ne valent guère mieux. Quant au Royaume-Uni, il n’est toujours pas sorti (depuis 3 ans !) de son sursaut nationaliste et les conséquences inévitables de la rupture ne se sont pas encore fait sentir : elles feront mal. Non, le yaka populiste n’est pas la solution – même si je prédis dans la note qu’il arrive même en France, à petits pas. Ce pourquoi je souhaite qu’Emmanuel Macron réussisse les réformes pour donner un peu d’air et montrer qu’une autre voie est possible, moins radicale et probablement plus sûre à terme qu’un néofascisme dont on a mesuré les conséquences dans les années 30. J’ai écris une note là-dessus disponible sur ce blog : ce que nous vivons sont les conséquences de la crise de 2008, suite logique comme en 1929 : nous y sommes. https://argoul.com/2017/02/15/la-crise-de-1929-et-la-notre-en-quatre-chocs/

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  2. Chris

    Merci de votre réponse.
    Vous prétendez vous borner à un constat. Je prétends la même chose. Je ne suis pas particulièrement friand du maréchalisme ou des régimes autoritaires de manière générale.
    Néanmoins, je constate que tout est fait, à la fois pour rendre cette hypothèse vraisemblable mais aussi désirable pour une large frange de la population.

    C’est le premier point.

    En second lieu, vous vantez la démocratie représentative, imparfaite mais salutaire. C’est entendu, mais vous semblez ne pas avoir acté que ce régime n’est plus celui de la France, laquelle n’a plus grand chose à envier aujourd’hui à la Russie ou à la Chine.

    – Parti unique : Check. Dans la forme, le pluralisme existe. Dans les faits, dès qu’un adversaire devient un tant soit peu menaçant, le molosse judiciaire est lâché sur l’opposant qui ne s’en remet pas (Fillon, Mélenchon, MLP). Le RN joue le rôle de parti d’opposition fantoche. Il n’a aucune chance d’accéder au pouvoir et permet la perpétuation du quart d’heure de la haine qui maintient les mêmes têtes au sommet de l’État. Ce n’est qu’un faire-valoir.

    – Répression brutale : Check. 30 semaines de gilets jaunes ont laissé une imposante cohorte de gueules cassées dans leur sillage. La mansuétude des forces de police semble réservée aux supporters de l’équipe algérienne de football…

    – Mensonge pathologique : Check. Sibeth Ndiaye n’a pas à rougir face à un Trump.

    – Média complices : Check. Tous les grands média appartiennent à quelques oligarques et racontent tous la même chose, ce qui est un signe évident de désinformation selon le regretté Vladimir Volkoff.

    – Absence de contrôle démocratique : Check. La désignation des chefs de l’UE, dans une parfaite opacité, et au mépris du résultat des élections est emblématique. Les supposés garde-fous sont des machins inutiles, comme le cas de Vincent Lambert, assassiné de manière barbare avec l’assentiment de toutes les institutions l’a amplement démontré.

    C’est ce sentiment de blocage qui finira par faire sauter la marmite et j’appelle effectivement ce mouvement de mes vœux, puisque si rien ne change, la France aura disparu dans quelques années ou décennies, emportée par la crise colossale qu’on nous mitonne, à la fois financière, démographique, sociale, culturelle et spirituelle.

    Le temps n’est plus aux mesurettes et aux conciliabules. Ce que vous nommez « montée du maréchalisme » n’est pas tant pour moi l’appel à un homme fort que l’appel à celui qui sera plus préoccupé par le destin de son pays que par son compte en Suisse ou sa cote de popularité à St-Germain-des-prés. Qu’on les apprécie ou non, Trump, Poutine, Orban ou Salvini sont de ceux-là.

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  3. Vous n’avez pas tort, la démocratie est le pire régime… à l’exception de tous les autres.
    Mais une démocratie directe où « le peuple » déciderait en son entier est un leurre : l’individualisme croissant conduit à la poursuite d’intérêts personnels incompatibles et « le peuple » n’existe que comme abstraction incommode. Nous sommes loin de l’unanimisme des citoyens athéniens mâles pour la Cité. Pourquoi ? parce qu’ils étaient peu nombreux, uniquement des hommes citoyens-propriétaires-guerriers, d’ethnie et de nation très homogène. Ils pouvaient être quasi unanimes et décider en groupe parce que leur intérêt général était assez clair.
    Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Le mécanisme de la représentation, aussi imparfait qu’il soit, est le seul remède que l’on ait trouvé pour préserver un semblant de liberté (relative) et l’expression de tous les intérêts particuliers. Que certains en profitent, certes – mais dans les semi-dictatures comme en Chine, en Russie, en Turquie et j’en passe, n’est-ce pas pire ? C’est dissimulé et l’on en parle moins, voire pas du tout puisque les médias sont muselés et les journalistes d’investigation emprisonnés – ou tués. Cela ne veut pas dire que ça n’existe pas.
    La démocratie représentative est probablement plus proche d’une forme de gouvernement « aristocratique » (aristoï = les meilleurs, les optimates) au sens d’Aristote et de Montesquieu, que du gouvernement du peuple par le peuple. Sauf que le choix des « meilleurs » est effectué par le vote et que ce vote est effectué régulièrement, conduisant à la validation ou au rejet des candidats. Et que leurs actes sont contrôlés par des contre-pouvoirs (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, cours de justice – y compris européenne, Cour des comptes, médias, réseaux sociaux). Si un seul parti est toléré (comme en Chine, en Russie, en Turquie voire en Hongrie), il ne peut y avoir liberté d’expression ni d’investigation, ni contrôle des actes du gouvernement.
    Les « affaires » sont comme le viol : elles ne se multiplient aujourd’hui que parce qu’elles sont plus surveillées et mieux dénoncées, d’où l’effet multiplicateur : avant, on en parlait pas ou lorsque c’était énorme.
    Pour contrer ce que peut avoir de trop « aristocratique » la démocratie représentative, il existe des moyens : encourager le pluralisme des partis, associations, organes de média, d’opinion (débats); autoriser une extension du référendum sur des sujets hors Constitution; peut-être instiller une dose de proportionnelle (mais au risque de la chienlit de la IVe République dont on a mesuré les effets délétères), respecter les échéances (ce que ne font ni Xi Jing Ping, ni Erdogan, ni Poutine), accentuer la décentralisation pour amener la décision au plus près des citoyens. Mais surtout améliorer la sélection (inévitable) des élites. Trop d’entre-soi est mauvais, en politique comme ailleurs.
    La Ve République en France est assez centralisée et autoritaire pour assurer à l’Exécutif une force suffisante pour décider – à condition d’en avoir la volonté politique. L’appel à un « homme » fort (au sens générique d’humain) est à mon avis une mauvaise solution. Tout comme le parti unique ou hégémonique (voir le PS dans les années 1990-2010 !).
    Vous semblez adepte du « maréchalisme », pourquoi pas ? Toutes les idées sont à considérer. Mon billet fait un constat : celui de sa montée, en phase avec les grandes puissances du monde. Et Marion Maréchal est probablement plus capable que sa tante de mener une politique volontariste dans le sens que vous semblez souhaiter.
    Mais cela ne changera pas le régime : il restera représentatif, peut-être un peu plus démagogique à la Trump, et les « fausses vérités » feront croire que tout va mieux dans le meilleur des régimes politiques possibles. Mais j’ai suffisamment vécu et analysé la politique et les politiciens pour ne pas vraiment y croire. Le retour de l’archaïque ne m’a jamais semblé la solution – pas plus le Coran que Pétain ou le modèle soviétique.

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  4. Chris

    Au lieu de présenter le problème sous l’angle du rejet de la démocratie parlementaire, propre à fustiger les populistes de droite comme de gauche, il vaudrait mieux, me semble-t-il, insister sur le rejet de la démocratie parlementaire par elle-même.

    La séparation des pouvoirs est une vue de l’esprit. La justice est désormais largement inféodée au pouvoir politique (gilets jaunes, affaire Fillon, expertise psychiatrique de MLP, mur des cons…), le parlement n’a plus pour fonction effective que de servir de fastueux repas à ses membres. Le conseil constitutionnel ne trouvera pas plus à redire à la loi Avia qu’à toutes les lois liberticides entérinées auparavant et le conseil d’État approuve le meurtre par inanition des plus fragiles sans sourciller.

    Les institutions sont donc largement vérolées et il n’y a plus grand chose à en attendre.

    Le système électoral est conçu pour tenir à l’écart des décisions une part considérable de la population, les couillons qui ont loyalement joué à un jeu auquel ils n’ont aucune chance de gagner, en attendant qu’ils réalisent que l’édifice démocratique est une illusion.

    La république est une arnaque et il n’y a rien à en attendre. Merci à ceux qui s’échinent à démontrer au bas-peuple qu’il n’y a aucun espoir à placer dans la solution légale et pacifique des conflits politiques.

    La conquête démocratique du pouvoir politique est un bel incitatif à la médiocrité, au mensonge, à la démagogie, aux trahisons. C’est le festival des petites magouilles, des mosquées contre des voix, des barbouzeries, des renvois d’ascenseurs remplis d’argent public. Une fois élu, l’objectif est de s’en mettre plein les poches le plus vite possible, à se faire une indigestion de homards. Et tant pis si on solde les bijoux de la couronne pour un plat de lentilles. Tant pis pour Alstom, tant pis pour Areva, tant pis pour les sans-dents.
    Et s’ils ne sont pas contents, il reste toujours un beau stock de LBD pour les faire taire et finir de les convaincre qu’on ne sera pas plus mal traités sous un(e) Maréchal et que « la terre ne ment pas » vaut toujours mieux que la mort par suicide d’un agriculteur chaque jour que Dieu fait, dans la parfaite indifférence des lampeurs de château Yquem des châteaux de la république.

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