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Histoires de mutants

Dix-huit nouvelles de science-fiction américaine des années 1940 à 1974 sur le thème des mutants. Après tout, que se passerait-il si une mutation génétique venait créer brutalement des humains dotés de pouvoirs différents ? Les accepterions-nous avec tolérance comme des curiosités ? Le rejetterions-nous comme des déplaisants invivables ? Les utiliserions-nous pour nos fins ? Ce sont toutes ces questions – intéressantes à se poser – que se propose la fiction.

Les nouvelles sont inégales, allant du monstre au surhumain en passant par la déviance. Mais ce qu’elles pointent est vrai : nous, humains « normaux » serions mal à l’aise.

Lorsqu’un fils (l’époque était aux garçons) surpasse son propre père dans l’intuition mathématique, et qu’à 10 ans il comprend déjà une théorie que l’adulte ne parvient pas à saisir, la propension du père est d’user de son autorité pour limiter son apprentissage – avec les habituels arguments hypocrites car portés par de bons sentiments et invérifiables, tel que cela serait mauvais pour son psychisme. Lorsqu’un bébé encore dans le ventre de sa mère la commande par télépathie pour qu’elle boive du lait plutôt que du whisky et qu’elle mange telle chose plutôt que telle autre, que faire sinon obéir ? Lorsqu’un enfant est insortable car très différent d’un humain, mais qu’on n’ose pas ou ne veut pas l’éliminer, que faire d’autre sinon de l’enchaîner dans la cave ? Les mutants vont-ils nous asservir si nous ne les asservissons pas d’abord ?

Une fille cependant dans une nouvelle de 1954 (comme quoi on n’oubliait pas les filles). Son malheur est qu’elle est télépathe, fille de télépathe. Ce pouvoir semble utile mais, croyez-la, c’est un malheur ! Car toutes les pensées de tous les autres font comme un brouhaha incessant et une cacophonie qui l’empêche de se concentrer, d’agir et tout simplement d’être soi. La seule solution serait de vivre isolé dans la campagne, ce que son père a fait avec elle, mais comment participer à la société humaine ? La recherche ? Ce serait une idée si les militaires ne sautaient pas aussitôt sur l’occasion afin d’utiliser ce pouvoir contre les ennemis…

Quant aux mutants après, disons, une guerre atomique (c’était la grande peur de cette époque-là), ils se sont multipliés et diversifiés, créant de nouvelles tribus qui ressemblent assez furieusement aux nôtres, les virtuelles sur les réseaux sociaux : ignorance mutuelle, haine communautaire, massacres et pogroms fréquents. Boy a à peine 15 ans qu’il le découvre à ses dépens.

Lorsque le dernier humain « normal » se retrouve tout seul sur la terre, comme le dernier néandertalien, que ressent-il ? Tout le monde a de la compassion pour lui, mais les enfants le reconnaissent au parc et dans le bac à sable et ses facultés limitées ne servent quasiment à rien dans la société. Que peut-il faire sinon s’exiler loin de tous ? Et ainsi de suite.

Ces histoires qui ne font pas dormir debout agitent nos méninges sur l’air de « qu’arriverait-il si… ? » Et c’est cela qui est passionnant.

Histoires de mutants – Grande anthologie de la science-fiction, 1974 Livre de poche 1978, 418 pages, occasion €1,99

Les recueils de la Grande anthologie de la science-fiction déjà chroniqués sur ce blog :

Histoires de pouvoirs

Histoires fausses

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Si nous décidions de notre avenir ?

L’essor économique des Trente glorieuses, l’explosion scientifique depuis la deuxième guerre mondiale, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont modifié notre rapport aux autres, au temps et à l’avenir. La marche triomphale du Progrès vers l’Histoire inéluctable a fait long feu : la guerre de 14, la confiscation léniniste des soviets, Auschwitz et Hiroshima, le réchauffement climatique et les pesticides, l’ont remis en cause. Notre culture humaniste est-elle encore émancipatrice ? Ou la raison en délire de la bureaucratie, de l’atome, de l’État, de la finance, est-elle devenue néfaste ?

La rupture avec cette tradition des Lumières et du Progrès a été le fait d’artistes, de « rebelles » ; elle est aujourd’hui devenue tellement à la mode qu’elle en est devenue un néo-conformisme. Les désillusions du progrès et la revendication victimaire médiatique ont emporté l’histoire, notre histoire, et ont déconsidéré la civilisation, notre civilisation. D’où cette opinion aberrante mais répandue que n’importe quelle secte de l’islam a « droit » à sa différence, même en « jouissant » sexuellement de fillettes prépubères – tandis que l’église catholique n’a aucun droit à cette même pédophilie. Parce que la première est réputée être une victime colonisée, dominée et stigmatisée, alors que la seconde est reconnue impérialiste, dominante et avec pignon sur rue.

L’ethnocentrisme sûr de soi et dominateur a été remis en question par les idéologies du soupçon, de Nietzsche, Marx et Freud, en attendant le structuralisme puis Bourdieu. Cela était utile et bénéfique. Mais ceux qui doutent de la tradition ont appris à douter de tout. Puisque tout est relatif, autant vaut le lointain et le sauvage que le proche et le civilisé, trop connus. La « civilisation » n’a-t-elle pas produit la boucherie de 14, les camps de Staline et de Hitler, l’irradiation d’Hiroshima à Fukushima et le Big Brother bureaucratique, étatique et informatique ? Une certaine écologie aspire à vivre nue, austère, en marge, éclairée à la bougie et cultivant son propre jardin.

gamin console

Mauvaise conscience et mésestime de soi marquent l’époque – qui ne croit plus à rien. Les sectes trouvent un terreau fertile où se multiplier dans ce tout vaut tout et rien ne va plus. Du New Age à Daesh, en passant par toutes les « thérapies » alternatives qui visent à se faire du bien pour soi, entre soi.

En politique, c’est le vide : blanc bonnet et bonnet blanc, UMPS, gauche et droite tout aussi technocratique et velléitaire, tout aussi portée à s’en mettre plein les poches et à faire de la com’ plutôt que de la… politique. Il y a très loin de De Gaulle à Chirac, de Mitterrand à Hollande. Mesurettes et réformettes suivent les promesses plus grosses que le bœuf.

L’Union européenne s’est construite sur le processus du cliquet, chaque avancée étant réputée irréversible. Sauf que l’économie l’a emporté, puisque non politiquement sensible – et que le grand méchant marché s’en est emparé, puisque le monde se globalise. Les négociations à 28 s’éternisent, accouchent avec lenteur de souris ; chaque État souverain dispose d’une voix, le Luxembourg minuscule comme l’Allemagne formidable – on n’avance pas. Dans l’atonie du sur-place, c’est la loi du plus fort : la puissance industrielle allemande, le potentiel militaire (affaibli) français, le pouvoir financier anglais. L’Europe hésite entre une Union à tendance fédérale et un libre-marché aussi étendu que possible. Turquie or not Turquie, that is the question. Si on l’intègre, adieu l’Europe en tant que communauté culturelle ; si on ne l’intègre pas, où sont définies les frontières ?

Car, de la cellule aux sociétés humaines, nul être vivant ne subsiste sans frontières sûres et reconnues. En deçà, nous pouvons organiser notre existence par nos votes et nos gouvernements ; au-delà, ce sont les États qui négocient en bloc. Sans frontières, pas de politique : un vaste laisser-faire, laisser-passer, un vaste foutoir. Dont je m’étonne que le « gauchisme culturel » puisse y aspirer : quoi, laisser-passer pour les hommes mais pas pour les capitaux ? laisser-faire pour les émigrés mais pas pour les marchandises ? Si l’on est « antilibéral », pourquoi faire exception pour les mœurs et les personnes ?

Mon explication à cette contradiction est que l’économisme a remplacé la politique, le yaka idéologique a supplanté le débat démocratique, le zapping permanent du présent éternel a submergé la vision longue de l’histoire. Pourquoi donc, sinon par démission politique, le grand méchant marché s’est-il imposé comme légitime ? Pourquoi donc la compétition, l’ouverture sans frein, le laisser-faire généralisé s’est-il imposé au détriment de la vie bonne, des droits de douane justifiés et des contrôles de qualité sur les marchandises ? La libre concurrence est-elle angélique ? N’est-elle pas – avant tout – le droit du plus fort ? Et que fait-on pour s’en défendre, pour être fort à notre tour dans les domaines où c’est le cas, pour négocier des échanges mutuellement fructueux ?

ado s eclate et jouit en fontaine

S’il faut être « moderne », cela ne veut pas dire épouser la moindre idée venue des Amériques. Cela voudrait plutôt dire adapter à nos façons d’être et de faire les techniques d’efficacité et de productivité qui nous sont données en exemple. Sans angélisme : l’État fédéral américain n’est PAS libéral, il impose ses normes à la planète entière (normes audit, IFRS, FATCA, amendes BNP et UBS…), ses grandes entreprises ne reconnaissent pas les lois autres qu’américaines (Google, Facebook,…), son département de la Défense finance largement la recherche industrielle et informatique pour garder une longueur d’avance. La fuite en avant moderniste est sans but, agitant sans cesse les molécules et les gens, sans projet, sans savoir où l’on va. D’où les Grandes peurs chez nous comme au Moyen-Âge, le nucléaire, le fichage généralisé, les colorants et pesticides, la « grande » distribution, la fiscalité confiscatoire…

Tout paraît mieux ailleurs que dans notre culture : les arts « premiers », les comportements machos musulmans, les écrivains caraïbes, la sagesse des Andes – voire pour certains les muscles virils de Poutine. Et si l’on se posait un peu ? Si l’on reprenait le fil de l’histoire ? Si nous changions ces élites ineptes et nuisibles ? Si nous élisions des gens plus jeunes et plus ambitieux ? Si nous décidions de notre avenir sans nous le laisser dicter ?

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