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Histoires d’outre-tombe de Freddie Francis

« Cinq âmes en transit » est le sous-titre de cette suite de contes gothiques des années 1970, tirés des Contes de la crypte parus dans les magazines américains des années cinquante. Il y a constante référence à la mort, des cercueils, des croix, des cimetières, des moines. Justement, les visiteurs férus de frôler le destin aiment à visiter les souterrains des monastères. En arpentant l’un d’eux, à la suite du gardien qui les presse de rester groupés au risque de se perdre… les voilà perdus.

Au sens métaphysique du terme : « vous êtes perdus ! » Un passage emprunté par les cinq derniers en habits de ville, comme sortant du salon ou du bureau, aboutit à une impasse. Celle de l’éternité. Un moine à la coule brune trône sur un siège sculpté dans la roche en forme de tête de mort. Face à lui, cinq plots de roc émergent, un pour chacun. Ils sont priés de s’asseoir. Plus aucune sortie, la porte de pierre s’est refermée avec un bruit sourd. Ce qu’ils font ici ? Prendre conscience. De ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils resteront éternellement. Car nous sommes aux antichambres de l’enfer.

A chacun de se dévoiler, de révéler à tous – et à lui-même – son inconscient. Fini le déni ! La mort est l’instant de vérité, l’ultime, celle qu’on n’a pas voulu voir durant toute sa vie. Les chrétiens et les bourgeois manient le déni avec maestria, sur l’exemple de Pierre qui nia trois fois le Christ, pourtant son seigneur – qu’il disait. S’ils sont là, c’est qu’ils sont tous des monstres malgré leur apparence civile et respectable.

La première à être sollicitée de se révéler est une femme (Joan Collins). Elle a tout simplement tué son mari le soir de Noël d’un coup de tisonnier, on ne sait pourquoi, par ennui peut-être, et s’est retrouvée (ironie du destin) aux prises avec un psychopathe évadé d’un asile déguisé en père Noël. Il embobine sa petite fille et attire la mère derrière les rideaux avant de l’étrangler avec une lourde jouissance – instrument du destin. Voilà pourquoi elle est morte et se retrouve ici, portant sans vergogne la broche marguerite en opaline que son mari lui offrait pour Noël. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en meurtre.

Le second est un jeune homme (Robin Phillips), fils de famille et fils unique, imbu de son rang et de sa propriété, que son père regarde avec indulgence au lieu de l’élever. Il déteste son voisin d’en face, pauvre jardinier de la commune veuf (Peter Cushing), dont les seuls plaisirs sont de recueillir les chiens errants et de donner des jouets aux enfants. Pourquoi les attire-t-il – au vu et su de tout le monde ? La paranoïa du bourgeois est celle d’aujourd’hui : le sexe soupçonné, des réseaux sociaux pour se dédouaner, la rumeur malveillante. Le fils de famille riche commence une campagne de diffamation pour faire partir le vieux, pourtant à deux ans de sa retraite et qui a toujours vécu dans sa maison. Il fait croire que les chiens ont déterré les roses du voisin, objets de ses soins précieux (alors que lui y est allé de nuit), reçoit pour le thé la bonne société du voisinage afin d’instiller le doute chez les mères sur les intentions perverses supposées du solitaire envers les enfants, envoie une suite de lettre de saint Valentin injurieuses en le pressant de s’en aller. Le vieux, privé d’épouse, de chiens, d’enfants, de boulot, de relations sociales, se pend. Bel exemple de christianisme bourgeois que ce harcèlement communautaire ! Il ira en enfer direct, puisque l’enfer existe, selon sa croyance. Un an après, à la saint Valentin, le vieux sort de sa tombe pour aller se venger.

Le troisième est un homme d’affaires impitoyable qui aime le risque et a perdu. Il est ruiné. Rentré chez lui, il annonce à son épouse (Barbara Murray) qu’ils doivent vendre leur collection de meubles, de tableaux et d’objets d’art rapportés de leurs voyages. Elle avise une statuette de jade achetée dans une boutique obscure à Hongkong et s’aperçoit qu’une inscription est gravée (en anglais!). Le propriétaire de la statue peut faire trois vœux. La conne s’empresse d’en faire un sans réfléchir, redevenir riche. L’associé de l’homme d’affaires lui téléphone à ce moment-là pour lui dire de revenir tout de suite au bureau, une grande nouvelle l’attend. Pressé, fébrile, il prend son coupé sport rouge et file sur la route. Un motard tout en noir le suit comme le destin et c’est l’accident : il meurt. Sa femme affolée s’empresse de faire un autre vœu tout aussi peu réfléchi : qu’il revienne. Les croque-morts apportent justement son cercueil. Oui mais qu’il redevienne exactement tel qu’il était avant l’accident et qu’il vive désormais éternellement, exprime en troisième vœu tout aussi con la femme. Sauf que, juste avant l’accident, il a eu une crise cardiaque… Il est désormais embaumé et – à nouveau vivant – souffre atrocement (et pour l’éternité) des acides qui lui brûlent en permanence le corps. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en affaires.

Le quatrième est un mari adultère qui quitte un soir sa famille pour raisons professionnelles, dit-il. Il embrasse ses enfants petits, une fille et un garçon comme il se doit, et prend sa voiture. Il file droit chez sa maîtresse qui l’attend avec ses valises ; elle a fait déménager son appartement. Mais il est fatigué, elle lui propose de conduire la grosse Jaguar MK2 aux quatre phares de calandre. Il rêve qu’ils ont un accident par la faute de sa maîtresse qui fonce droit sur un camion dont les phares l’hypnotisent ; en lui faisant donner un coup de volant, il envoie la voiture dans le décor et se retrouve mort. Il s’éveille brusquement pour s’apercevoir qu’il est encore dans la voiture et qu’il s’est assoupi. A ce moment, les phares d’un camion, le coup de volant, etc. A nouveau mort, il parvient jusqu’à l’appartement de sa maîtresse, désormais vide, mais s’aperçoit qu’elle est revenue, avec tous ses meubles. Il sera éternellement sujet à revivre ces moments où il a gravement fauté contre la morale, la famille et la société. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en amour.

Le cinquième et dernier est un ancien major (Nigel Patrick), embauché comme directeur d’hôpital pour les aveugles exclusivement mâles. Il n’y connaît rien en aveuglement mais a la certitude de bien connaître les hommes. Qu’il croit. Il impose désormais des restrictions pour faire des économies : moins de nourriture, plus de chauffage passé 21 h, moins de couvertures. Les habitués râlent, d’autant que le directeur se goberge, mais son chien-loup les tient en respect. Lorsqu’un aveugle meurt, de faiblesse et de froid, c’en est trop. Les autres décident de rendre au mauvais dirigeant la monnaie de sa pièce. Ils séduisent le chien avec des morceaux de bacon dont chacun donne une tranche pour l’emmener à la cave et l’enfermer dans une cellule, puis font irruption chez le directeur, le maîtrisent et l’entraînent dans la même cave, où il est enfermé lui aussi. Commence alors une activité aveugle derrière la porte. C’est tout un système de cages qui est bâti à force de scie et de clous. Au final, le directeur repu est livré au chien rendu fou par des jours de faim. Exactement le sort qui l’attendait en affamant les malades.

Deux histoires d’hommes peu reluisants et trois histoires délicieusement misogynes de femmes peu futées. Tout le sel de l’ambiance chrétienne anglo-saxonne dans ces contes édifiants au seuil de la mort. Décédé à Londres en 2007 à 89 ans, Freddie Francis le réalisateur a été un spécialiste des adaptations de Comics américains des années cinquante qui font une satire de la société puritaine et affairiste du temps sous forme d’histoires d’épouvante en bandes dessinées. Appât du gain, trahison, avarice, égoïsme sont impitoyablement vengés comme s’il existait une Justice immanente. La Morale est sauve, l’Illusion aussi.

DVD Histoires d’outre-tombe (Tales of the Crypt), Freddie Francis, 1972, avec Ralph Richardson, Joan Collins, Peter Cushing, Ian Hendry, Richard Greene, ESC editions 2022, 1h32, €27,22 e-book Kindle €7,99

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Noël ou la Naissance

Noël est une fête religieuse chrétienne, la naissance du Christ (Natalis dies en latin – jour de la naissance) ; elle est aussi une fête païenne, le jour du solstice d’hiver où le soleil renait (Neo helios en grec – nouveau soleil). Les Romains fêtaient les Saturnales et les orientaux Mithra sous forme d’un nouveau-né jusqu’au 25 décembre, puisque l’année romaine ne commençait qu’en mars. C’est en 394 que le pape Liberus a fixé le 25 décembre comme date de la naissance du Christ, pour détourner les païens (de paganus, le paysan) des fêtes du solstice.

Au Moyen-Âge, les viandes servies étaient symboliques. Le porc, la truie, le sanglier disaient la fécondité en raison de leurs nombreuses portées ; la dinde, l’oie, le paon à cause de leurs gros œufs, gros de vie et comme messagers de l’au-delà.

A la Renaissance, on offrait des fruits secs et des noix en plus des œufs, signes de fécondité par leur longue conservation. Les crèches, sous l’influence de saint François d’Assise, naissent en Italie au XIIIe siècle comme spectacles vivants (avec bébé tout nu véritable et petit Jean le Baptiste à peine vêtu d’une peau de bête qui lui barre le torse). Elles ne se généralisent en France qu’au XIXe siècle. Une « laïcité » mal comprise les fait supprimer de certaines mairies pour ne pas « choquer » les incroyants et non-croyants, autrement dits mécréants. Aussi ne parle-t-on plus de « Noël » mais de « fêtes de fin d‘année » – comme si l’on disait « fête du mouton » (à qui on fait sa fête) pour l’Aïd ou « fête du printemps » pour Pessah ! Le victimaire est une idéologie morbide qui va nous faire collectivement crever.

Ce n’est qu’en 1882 que le Père Noël apparaît – aux Etats-Unis. Le début de l’acculturation européenne par les mythes commerciaux d’outre-Atlantique. Suivront la Fête des Mères, Halloween, les Super Tuesday et ainsi de suite.

Aujourd’hui, chacun fête la naissance : de l’enfant, de l’année, de la vie. Le sapin, toujours vert en hiver, symbolise la génération (le Vert-galant) et l’espoir de voir le soleil, donc la vie, renaître de la nuit. Les morts et les vivants communiquent par le rite du cycle, ils transmettent la vie reçue en héritage. L’usage symbolique du sapin de Noël naît en Allemagne, pays de forêts et est attesté vers 1600. Il est introduit en France par Hélène de Mecklembourg, épouse du fils aîné de Louis-Philippe, donc très tard. Mais le houx, toujours vert avec des boules rouges, est attesté depuis très longtemps en Angleterre et en Irlande. Les Portugais choisissent le pin et les branches d’oranger, ramené de Chine lors des Grandes découvertes – car cette plante sempervirente reste verte en hiver.

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Il faut quitter le garage du père Noël

Notre guide français s’appelle Bernard et ne doit plus être de ce monde, trente ans plus tard. Il a 67 ans et le côté ronchon de cet âge. Corse de Zicavo, il s’est marié à 19 ans, a suivi des études de théologie pour devenir pasteur protestant. Il a exercé cette profession 27 ans dans le Queyras.

Il est toujours resté proche de la nature, comme son compère Théodore Monod, mais lui a préféré le parapente au Népal et le raid à ski en Laponie aux sables trop chauds du désert.

Il est venu en cette région pour la première fois en 1964 et a imaginé ce raid aventures dans les années 1980. Nous serons l’un des derniers groupes à bénéficier de son histoire car il se dit désormais trop vieux pour continuer à ce rythme. Et aucun jeune ne veut reprendre ce circuit plutôt rude.

Le dernier jour nous préoccupe. Il va nous falloir joindre l’aéroport en skis, le seul véhicule 4×4 ne pouvant prendre que nos bagages et les rennes étant réservés à cette période pour le service après-vente du père Noël.

La distance est d’un peu plus de 40 km et l’avion en fin d’après-midi. Serons-nous assez vaillants pour parvenir jusque-là dans les temps ? Bernard nous rassure. Nous avons une semaine d’entraînement dans les jambes et, si n’avions pas vu la distance écrite noir sur blanc, nous ne nous serions douté de rien.

Partant vers 10 h du matin avec un pique-nique, nous serons arrivés largement pour nous changer et nous reposer avant l’embarquement. Souvent, l’esprit occidental calcule trop ; son imagination l’affole. Il suffit de faire tout simplement le trajet pour que la réalité s’impose à vous.

Et nous laissons la vie naturelle derrière nous, les éléments glacés, la chaleur sous la tente autour du feu, l’obscurité alentour qui rapproche. Chacun aura fait provision de souvenirs et d’air frais.

Bon, avouons-le, le père Noël n’existe pas : nous ne l’avons pas rencontré. Ses véhicules sont disponibles, broutant les lichens et les écorces des bouleaux. Il y a belle lurette que les Finlandais ont remplacé ces montures ancestrales par des autos ultramodernes. Mais ils aiment bien les enfants, tout comme le mythique père Noël.

L’avion décolle en skis et nous pose à Helsinki.

A l’arrivée, nous avons passé une nuit dans cette capitale. Nous étions étonnés de voir dans les rues autant de voitures Peugeot, notamment des 205. Mais c’est bien sûr ! Le pilote de rallye Ari Vatanen est finlandais – et il pilote des Peugeot 205 pour gagner ses rallyes ! Ce pays est bien loin du garage à rennes du père Noël que nous croyions enfant.

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Finlande, voyage au pays du Père Noël

C’était un rêve depuis longtemps, un rêve d’enfance : aller au pays du Père Noël, vivre en trappeur dans les forêts enneigées du grand nord européen. L’étendue, la solitude, le domaine des bêtes tapies dans les terriers et quêtant entre les arbres et les buissons leur pitance. Ce rêve m’a été permis par le voyage d’aventures, cette invention des années 1970, dans la lignée des routards 68. Il s’agissait, il y a 30 ans, d’un raid en skis sous tentes lapones à l’extrême nord de la Finlande. En lapon, les tentes se disent ‘kota reisu’ et tel était le nom du raid.

Il y a un siècle, les Lapons suivaient leurs rennes dans leurs migrations alimentaires, comme les chasseurs-cueilleurs du paléolithique. L’archéologie rejoignait l’aventure. Les familles vivaient entassées pour se tenir chaud sous des tentes rondes, faites de peaux de rennes tendues sur des perches de bois abattu alentour. Elles étaient dressées en triangle, laissant au sommet un trou pour la fumée du feu. Celui-ci était allumé à l’entrée pour que l’air venant de l’ouverture répande la chaleur sous la toile.

Il y a un demi-siècle, le gouvernement finlandais a voulu sédentariser les nomades pour contrôler la population (trop proche de la frontière soviétique) et scolariser les enfants. Les familles se sont alors installées dans des cabanes de rondins telles qu’on en rêve au Canada. Les hommes partaient quelques jours par semaine en itinérants pour s’occuper du troupeau de rennes. Ils dormaient par terre, entre un feu construit de deux troncs superposés pour durer toute la nuit, et un écran de peaux tendues sur des bâtons pour rabattre la chaleur.

Aujourd’hui, toute la famille vit en préfabriqués confortables avec électricité, télévision et machine à laver la vaisselle. Les hommes gèrent les rennes en skidoo et reviennent à la maison tous les soirs.

Certains s’occupent de tourisme, comme Pavo (Paul), notre Lapon accompagnateur.

Il est le père d’une solide petite fille blonde de 12 ans, Marine, saine et jolie. Elle nous a appris à pêcher le poisson engourdi au fond des lacs, dont la surface est gelée sur près d’un mètre.

Nous creusons la glace à la grande tarière, puis appâtons la ligne avec un peu de pain. Les poissons mordent, quand il y en a. Mais ils ne sont vraiment pas vifs et il faut être très patient.

Avec son père, nous nous initions au skidoo. Il faut faire attention à ses accélérations fulgurantes, la neige glacée offrant peu de résistance à la glisse. Il n’est pas rare que le chauffeur inexpérimenté se voie jeté du skidoo par la poussée sous ses cuisses. Une sécurité consiste à attacher sa veste par un cordon à la clé de contact. L’éjection coupe aussitôt le moteur et le skidoo ne va pas loin sans maître. Sinon, il peut devenir fou.

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Le Père Noël est une ordure

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Quel bonheur de revoir l’humour du début des années 1980, époque Mitterrand avec la gauche bobo au pouvoir, à peine sortie de mai 68 ! Même si je préfère Les bronzés font du ski, le film qu’a tiré Jean-Marie Poiré de la pièce de théâtre est un bon moment de poilade. Peut-être parle-t-il moins à la génération Y qu’à la nôtre, car nous voici replongés dans la grand hypocrisie du « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » de l’utopie hippie – bien passée d’époque.

Voir circuler des Simca 1100, des Renault 5, des Peugeot 504, des Citroën CS et même une Talbot Samba (celle de la mère Balasko) nous replonge en pleine euphorie des Trente glorieuses finissantes. Les pères Noël déguisés avec barbe en coton distribuent des bonbons aux enfants, payés par les grands magasins aux trottoirs noirs de monde. Les vitrines croulent de victuailles et de bouteilles pour Noël. Les cadeaux sont déjà emballés. Toute la France bourgeoise et petite-bourgeoise communie aux ripailles et au plaisir des enfants.

Toute ? Non. Une tribu exotique résiste encore et toujours à la consommation. Faute d’argent, faute de volonté, faute de culture. Gérard Jugnot est un sous-père Noël obligé à distribuer des tracts pour un spectacle porno, faute d’être engagé par un magasin. Il a « collé un polichinelle dans le tiroir » de sa compagne de galère Marie-Anne Chazel, comme elle le dit, et achète une demi-portion de boudin pour en voler prestement une autre. Quant à son grand cru, c’est un gros rouge qui tache en bouteille plastique. Le couple habite un bidonville bordant le périphérique et vit de récupération.

Les bourgeois coupables se sentent obligé d’user de charité à Noël – mais pas comme avant, nous sommes dans la modernité branchée Mitterrand. C’est donc SOS-Détresse, qui calque SOS-Amitié et tous ces numéros d’aide sociale qui fleurissent à cette époque, en même temps que se poursuit l’accueil chez les uns et les autres des gens à la rue, dans la foulée de mai 68. Mais ces bourgeois ne sont pas naturels ; ils sont coincés, mal à l’aise. Ils jouent les branchés fraternels, selon les nouvelles normes issues de 68, mais n’ont pas la capacité en eux d’être vrais ; leur morale et la nôtre ne sont pas les mêmes. D’où leur constante hypocrisie, l’affichage haut et fort de convictions qui ne résistent pas à la moindre intrusion.

Les quiproquos et les inversions de rôles sont donc constants, ironiques – jusqu’au pédé de service (Christian Clavier), plus humain que le petit-bourgeois Lhermitte. Seuls le populo est vrai, car nature. Il concilie sans problème ce qu’il est avec ce qu’il fait, tandis que le bourgeois est sans arrêt obligé à jouer un rôle qui ne lui va pas. Sous les oripeaux de l’humour à la française, la bande du Splendid pratique là une critique philosophique marxiste (le divorce de l’être avec sa propre nature) avec les habits plus récents de l’existentialisme sartrien (la mécanique du garçon de café).

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Donc vous allez rire. Thierry Lhermitte, au costume à carreaux taillé dans de la housse de canapé et aux lunettes à la Chirac, a un vernis cultureux de langage (« c’est ç’là, oui… ») et l’aspiration (artiste peintre à ses heures), tout en révélant sa vraie nature ordurière lorsque les événements le surprennent (le doigt coincé par Anémone, le porc qui gambade sur le tableau, la vision d’une « serpillère » au lieu du gilet… dans les mêmes tons que son propre costume). Internationaliste et respectueux des cultures différentes, il est vite agacé par le Bulgare qui vient lui proposer les spécialités de son pays avec, coup de griffe au socialisme réel, alors en vigueur sous la férule de l’URSS dans les pays de l’Est, la margarine et la saccharine qui composent le gâteau… Lhermitte joue à merveille le petit-bourgeois du temps, vaguement intello et vaguement marié, coincé de partout mais prétendant au style et à la morale. Josiane Balasko, en grande bourgeoise autoritaire, apparaît plus authentique, n’hésitant pas user du beau langage pour rembarrer un pervers qui téléphone des propos orduriers.

Ce sont les personnages autour qui vont défier ces deux-là, écaillant le vernis de respectabilité. Anémone en rescapée de l’école des bonnes sœurs est généreuse au fond, pensant toujours aux autres avant de penser à elle. Ce qui occasionne quelques gaffes, dont l’irruption de Chazel en Zézette cherchant refuge contre Jugnot qui veut la battre, ou la scène de la douche où Psychose est joué à l’envers, se terminant non par le meurtre mais par le stupre, le vrai meurtre se déroulant par hasard à la porte.

Car Balasko s’est coincée dans l’ascenseur bêtement (elle savait qu’il se bloquait et, un soir de Noël, c’était prendre un bien grand risque que de l’utiliser plutôt que de descendre à pied !). Elle tente bien de bricoler les fusibles avec le tournevis d’une panoplie cadeau pour un neveu (alors qu’il suffisait d’un bon coup de poing popu pour remettre en marche le machin), mais échoue et fait appeler le dépanneur. Lorsqu’il arrive – bien tard (comme quoi la technique ne suit pas, dans ces années « modernistes ») – tout le monde l’a oublié et il se fait poivrer de trois balles par une Chazel qui décharge le pétard de son mec qui voulait la buter.

Les bourgeois sont épouvantés, Anémone tremble au point de chercher refuge dans les bras maladroits de Lhermitte. La police ne répond pas, diffusant en boucle ce message d’époque, que seule la SNCF ose aujourd’hui imiter : « vous avez appelé la police, ne quittez pas ». Jugnot, en populo avisé, s’empresse de raccrocher et de dépecer le cadavre en morceaux pour qu’il tienne dans des paquets de Noël, dont il s’agit de se débarrasser. Et toute la bande s’emploie à balancer la viande aux tigres, aux lions, aux singes, aux ours du zoo de Vincennes, désert en ce petit matin de Noël où tout s’arrête en France.

Il n’y a que le pédé, assommé par Jugnot parce qu’il voulait aller lui aussi à la police, emmené lui aussi dans la camionnette aux paquets, qui se réveille et balance la bidoche n’importe où, sans deviner ce dont il s’agit. Ecart de culture ou profond fossé entre ceux qui vivent dans un monde Bisounours et ceux forcés à survivre au jour le jour de façon réelle ? Le couple popu Chazel-Jugnot laisse alors en plan le trio de bourgeois sidérés. Il n’est de bon égoïsme qui ne commence par soi-même, n’est-ce pas ? Et pan sur le bec des charitables aux pincettes, qui ne s’investissent que pour leur bonne conscience, sans remettre jamais en cause le système qui crée les écarts sociaux. Le Père Noël est un mythe et la fraternité un grand mot : il ne suffit pas de dire ce qu’il faudrait, ni même de répondre au téléphone pour « aider ».

Le Père Noël est une ordure est plus percutant au théâtre, où les dialogues remplacent tous les actes. Mais le film est davantage dans la réalité vécue, ce qui est probablement mieux aujourd’hui pour saisir cette époque révolue, mais dont ceux qui avaient la trentaine ont la soixantaine aujourd’hui… et trustent le pouvoir. Je ris autant à chaque fois que je vois le film ou la pièce, tant sont vraies ces caricatures, tant ils nous ressemblent dans les travers « de gauche » que la France périphérique commence à dégommer à vue. Rien de tel que de s’en moquer pour en saisir toute la bêtise, au fond.

DVD Le Père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré, 1982, avec Anémone, Thierry Lhermitte, Josiane Balasko, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Studiocanal 2010, blu-ray €15.66

Edition simple, Studiocanal 2003, €8.20

DVD La pièce de théâtre, TF1 vidéo 2007, €11.95

DVD coffret Les Bronzés / Les Bronzés font du ski / Le Père Noël est une ordure, Studiocanal 2004, neuf €99,90, occasion à partir de €14.98

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Michel Tournier, Le coq de bruyère

michel tournier le coq de bruyere

Quinze contes pour enfant ou adulte, racontés à la façon Tournier inimitable, fois badine et grave. Guillerettes ou grinçantes, ces histoires toujours un tantinet freudiennes parlent des hommes et des femmes, des petits et des grands, de l’initiation à la puberté et de l’âge de l’amour, du fétichisme et de l’âge qui vient.

La fugue du petit Poucet sonne délicieusement années 1970 avec ce hippie à grandes bottes devenu doux ogre père d’une huitaine de petites filles, lesquelles emportent le petit Pierre évadé de son immeuble parisien de béton armé. Car il aime la nature, le petit Pierre Poucet, il ne veut pas habiter en pleine solitude au sommet d’une tour avec ascenseur automatique, vitres vissées et air conditionné. La modernité le révulse. La nature, ce sont les arbres et les petites filles aussi douce que les trois lapins qu’il a élevés. Filles qui jettent toutes leurs vêtements par-dessus les moulins le soir venu pour dormir ensemble à même le lit, entraînant le petit garçon qui en est chatouillé. Mais voilà, cela ne plaît pas au père Poucet ni à la police. La société est contre la nature, même contre-nature disait-on dans les années 1970.

Amandine est une autre fillette, elle aussi solitaire ; elle aborde l’âge où l’être humain se modifie, vers dix ans. Elle explore l’inconnu. Justement, ce jardin voisin entouré de hauts murs l’attire, parce que sa chatte s’y est perdue. La voilà prête à oser explorer cet univers pour y trouver sa chatte. Ce qu’elle réussit, au bout d’un labyrinthe où « un jeune garçon tout nu avec des ailes dans le dos » p.45 trône sur un piédestal de pierre, un arc à ses pieds, prêt à s’envoler. Lorsqu’elle revient dans son milieu, elle saigne. Ce conte initiatique, qui fit un brin « scandale » chez les prudes du journal Le Monde (catho « de gauche »…) a d’abord été publié en album pour enfant… Il n’est plus disponible, évidemment, tant la chatte sonne furieusement sexuel – même s’il s’agit de l’animal à soyeuse fourrure.

michel tournier amandine ou les deux jardins

Le nain rouge est plutôt sadique, revanche d’un aigri qui veut dominer ceux qui le dominent. Les suaires de Véronique disent combien la photo est ogresse, capturant les corps jusqu’à n’en rien laisser… Tristan Vox met en scène la voix à la radio, qui fait fantasmer, alors que l’être derrière le micro est un petit-bourgeois casanier. Le fétichiste ne peut aimer que les dessous féminins encore chauds, absolument pas la nudité. L’aire du Muguet fait entrer le printemps sur l’autoroute, une autre résistance à la modernité tellement années 60…

Et puis Le coq de bruyère : La nouvelle qui donne son titre au recueil est placée presque en dernier, on ne sait pourquoi, peut-être parce que le premier conte se passe juste après la Genèse et que le dernier sombre dans la folie. Le fameux « coq » est un fringuant sexagénaire de province, colonel à particule, qui aime lever les jeunettes pour vigoureusement les besogner. Il va à la chasse aux filles comme aux coqs de bruyère, « le premier jour je le lève, le deuxième jour je le fatigue, le troisième jour je le tire » p.207. C’est élégant mais n’a pas l’heur de plaire à sa baronne Eugénie d’épouse, élevée au couvent et emmêlée de prêtres. Je vous laisse deviner la fin.

Mais l’on découvre en ce conte grivois l’attrait de Cécile Aubry aux yeux de l’auteur. Il est vrai que l’égérie télé des années 60, mère du vif et vigoureux Mehdi qui joua si bien Sébastien, a un air de garçon. En ces années pré-68, elle pouvait plaire tant au fils du Pacha de Marrakech, qui lui fit son sensuel enfant acteur, qu’à l’écrivain Michel Tournier, peu enclin aux minauderies et aux falbalas des têtes de linotte de son époque. « Cécile Aubry… Hé, hé ! Un peu petite certes, la tête un peu grosse pour le corps, le visage boudeur du genre pékinois. Mais tout de même, tout de même, quel joli brin de petite fille… ! » p.221.

cecile aubry

Il y a de l’allégresse en ces humanités, dit le conteur. Père Noël, Robinson, petit Poucet, Abel et Caïn, l’auteur agite les mythes et les rend inactuels. Ce que notre époque de petit-bourgeois illettrés trop sérieux a perdue. L’auteur n’est plus mais sa manière lui survit : la vie, justement, est un magasin de friandises, même si l’on est malheureux parfois. Il suffit de la prendre du bon côté et de se laisser guider par le printemps.

Michel Tournier, Le coq de bruyère, 1978, Folio 1980, 343 pages, €8.20

e-book format Kindle, €7.99

Michel Tournier chroniqué sur ce blog

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Arnaldur Indridason, La voix

On a assassiné le père Noël ! Même en Islande, pays de la glace et du feu, cet incident ne passe pas inaperçu. Mais point de cellule d’aide psychologique pour les enfants déçus, on n’est pas dans la France du care aubryste. La compassion est plus subtile au pays des sagas et des poèmes skaldiques. Elle consiste en une enquête à la Maigret, avec tâtonnements et fausses pistes, toujours dans la psychologie.

C’est que l’aujourd’hui dépend d’hier et qu’hier n’a pas été toujours innocent. Qui était donc ce père Noël, dans le civil portier d’hôtel effacé vivotant au fond d’un cagibi depuis vint ans ? Pour quelle raison l’a-t-on tué ? Le sexe ? L’argent ? La réputation ? Ces trois motifs récurrents de tous les meurtres sont examinés tour à tour.

Le grand hôtel de Reykjavik s’emplit de touristes venus apprécier la bonne neige et la tempête hivernale, tout en se gavant de mouton fumé, de bière hors de prix (la plus chère du monde, dit l’auteur en 2002) et en se déguisant des fameux pulls islandais qui ne sont guère portables autrement, sinon dans l’Himalaya. Le criminel est-il un touriste de passage ? Un collègue de l’hôtel ? Une pute attirée par la foule des michetons ? Quelqu’un d’autre entré ici comme dans un moulin ?

Le commissaire Erlendur est un taiseux. Il cache en ses profondeurs un drame qu’il a peine à sortir. Divorcé depuis vingt ans, il a délaissé ses enfants (dans ce roman, on apprend pourquoi) et sa fille, qui vient le voir quand même, s’est droguée et a perdu un bébé. Pas simple de se dépatouiller des vies des autres lorsque la sienne n’est déjà pas claire… C’est tout le sel de cette enquête, menée en lieu clos et en six jours – comme dans la Bible. Le septième jour est Noël, où chacun se retire en famille, comme il se doit.

Flanqué de ses adjoints l’inspecteur Sigurdur Öli, qui n’a jamais pu avoir d’enfant jusqu’ici, et de l’inspectrice Elinborg, qui suit le procès d’un enfant battu, le commissaire Erlendur patauge mais avec méthode. La lumière se fait peu à peu, d’indices en indices. L’enfant est ici le thème du livre : enfant désaimé, enfant prétexte, enfant modèle, enfant repoussoir, enfant poupée… Certains pères exigent de leur enfant qu’ils deviennent le modèle qu’eux-mêmes ont dans la tête, la réalisation qu’ils n’ont pu accomplir. D’autres se servent de leur enfant comme d’un punching ball dans les moments de stress, ou de faire-valoir social quand ça les arrange. A moins que ce soit la mère, effacée en apparence, en retrait ou décédée, qui soit finalement responsable de tout ce qui arrive.

La voix du titre français est celle d’un soliste de douze ans. Elle ouvre et clôt le livre. Un bien beau livre où la psychologie atteint des profondeurs qu’on ne trouve plus guère en France.

Arnaldur Indridason, La voix, 2002, Points policier, Seuil 2008, 401 pages, €7.12

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