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Eric Collier, La rivière des castors

Éric et Lilian, en 1931, vont s’installer en couple dans la zone sauvage de Meldrum Creek, à 100 miles au nord de Vancouver en Colombie Britannique. Éric est anglais de Northampton et a quitté l’ancien monde à 17 ans parce que plus attiré par les buissons que par l’école. De ces deux frères aînés, l’un sera tué en 1918 sur la Somme ; Eric était trop jeune pour la guerre. Il se marie en 1928 avec Lilian, une quart d’indienne dont la grand-mère a vécu là, puis naîtra en juillet 1929 leur fils unique Veasy Eric Collier. Lilian ayant eu un accident de hanche lorsqu’elle était enfant ne peut avoir d’autre bébé. C’est dommage car Éric sait très bien élever les gamins.

Durant 21 ans, ils restent à trois dans la nature, laissant le gamin découvrir tout seul ce qui se fait et ce qui est dangereux. Il est observateur, curieux et sans peur. Il apprend au contact de son père et de la nature, tandis que sa mère lui fait la classe. Éric décédera en 1966, cinq ans après avoir écrit ce livre de souvenirs, et son fils Veasy en 2012 ; il avait 84 ans.

À deux jours de toute habitation, les trois construisent en effet une cabane, avant une nouvelle maison 16 ans plus tard lorsque le fils est adolescent. Elles sont purement écologiques, de rondins et de boue. Pour vivre, ils chassent, ils cultivent un jardin, ils trappent les animaux à fourrure qui pullulent. Une existence écologique naturelle, pas celle qui se vante de sa vertu dans les salons. Faire du foin pour les chevaux l’hiver, jardiner quelques légumes, cueillir des mûres et des baies pour les confitures, chasser pour se nourrir et pour vendre les fourrures permet d’observer la forêt et les bêtes. L’été (court) il peut faire +40° centigrades tandis que l’hiver peut descendre sous les -50° du thermomètre. La vie est rude et vous forge un beau physique. Le gamin mesure à 17 ans 1m89 pour 95 kg. Nourri de viande plus que de légumes, les deux totalement bio puisqu’issus de la chasse ou de la cueillette sauvage, plus les quelques légumes du jardin et les rares céréales achetées au bourg, il s’est développé sainement aussi bien physiquement que mentalement. Ce n’est pas lui qui prônerait la nourriture Vegan, plutôt réservée aux urbaines désœuvrées et anorexiques qui cherchent un sens à leur existence irrémédiablement fade. Se nourrir à demi carné, comme l’homo sapiens depuis 300 000 ans, vous forge un physique avantageux adapté à la vie de chasseur-cueilleur dans la nature.

Le garçon est surtout calme et efficace, empli de sang-froid. Il n’a pas peur lorsqu’à 7 ans des loups lui ont couru après sur un lac gelé alors qu’il rapportait un vison pris au piège à son père. S’il avait paniqué, les loups se seraient jetés sur lui mais, comme il est resté sûr de lui, ils ne l’ont pas attaqué – c’est la bizarrerie de ces fauves qui aiment tuer pour jouer lorsqu’ils ont déjà le ventre plein mais se méfient de quiconque semble prêt à se défendre ou les ignore. Il en ira de même à 23 ans lorsque Veasy s’engagera dans l’armée canadienne pour trois années et combattra en Corée. Son sang-froid sous le feu de l’ennemi lui vaudra une citation.

Le rôle des trois Collier dans la nature sauvage sera de redonner vie au Creek, asséché depuis que la surchasse a éradiqué les castors dont les barrages retenaient l’eau de fonte des glaciers d’hiver. Les incendies font rage l’été, les mammifères et les oiseaux ont déserté l’endroit. Éric se dit qu’il serait bien de réintroduire le castor qui pullulait au temps de la grand-mère de Lilian, mais le service des Eaux et forêts n’en voit pas l’intérêt. C’est un inspecteur anglais venu en visite qui s’en convaincra et apportera deux couples six ans plus tard. Dès lors, tout renaît : l’eau, donc la végétation, donc les oiseaux aquatiques et les animaux à fourrure, les loutres, visons et rats musqués. Les daims reviennent boire et brouter l’herbe, les coyotes et les loups suivent les herbivores pour s’en repaître ; toute la chaîne biologique se reconstitue. Même les élans reviennent dans la région, ils l’avaient déserté depuis une génération au souvenir des anciens.

La vie de Robinson se poursuit simple et tranquille avec une visite par mois au bourg pour y refaire provisions de cartouches de matériel, de quelques rares vêtements, de farine pour les puddings et de sucre pour confire les baies. Pour le reste, les trois vivent sur le pays, leurs vestes et mocassins sont en peau de daim, fourrés de loutre, tous produits de la chasse. Éric tient un journal d’où il tirera ce livre ce qui permet d’avoir une connaissance vécue de sa vie quotidienne aujourd’hui. Il était précurseur, pratiquant l’écologie comme on respire. Il n’en faisait pas une religion, contrairement à ceux qui n’ont jamais vu un brin d’herbe parce que nés sur les trottoirs des villes encombrées. Sa vertu n’est pas de prêcher mais d’observer pour s’adapter, de rester humble devant les forces du climat et des animaux, et de faire son nid dans la nature telle que cela se pratiquait avant l’agriculture, au temps des chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire.

Ce beau récit vécu est paru en 1963 en livre de poche en français dans la collection Leur aventure de l’éditeur J’ai lu, une collection bleue qui ne publiait pas que des livres de guerre. Fan de Jack London et de Fenimore Cooper, l’auteur a fait sa vie selon son imaginaire d’enfant et sait le transmettre aux enfants d’aujourd’hui comme à celui que j’étais hier. À lire pour savoir ce qu’est la véritable écologie – bien loin de l’écologisme – et à offrir aux enfants dès qu’ils s’intéressent à la lecture, vers l’âge de huit ou neuf ans.

Eric Collier, La rivière des castors (Three in The Wilderness), 1961, J’ai lu 1963, 367 pages, occasion €10.94

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Finlande, voyage au pays du Père Noël

C’était un rêve depuis longtemps, un rêve d’enfance : aller au pays du Père Noël, vivre en trappeur dans les forêts enneigées du grand nord européen. L’étendue, la solitude, le domaine des bêtes tapies dans les terriers et quêtant entre les arbres et les buissons leur pitance. Ce rêve m’a été permis par le voyage d’aventures, cette invention des années 1970, dans la lignée des routards 68. Il s’agissait, il y a 30 ans, d’un raid en skis sous tentes lapones à l’extrême nord de la Finlande. En lapon, les tentes se disent ‘kota reisu’ et tel était le nom du raid.

Il y a un siècle, les Lapons suivaient leurs rennes dans leurs migrations alimentaires, comme les chasseurs-cueilleurs du paléolithique. L’archéologie rejoignait l’aventure. Les familles vivaient entassées pour se tenir chaud sous des tentes rondes, faites de peaux de rennes tendues sur des perches de bois abattu alentour. Elles étaient dressées en triangle, laissant au sommet un trou pour la fumée du feu. Celui-ci était allumé à l’entrée pour que l’air venant de l’ouverture répande la chaleur sous la toile.

Il y a un demi-siècle, le gouvernement finlandais a voulu sédentariser les nomades pour contrôler la population (trop proche de la frontière soviétique) et scolariser les enfants. Les familles se sont alors installées dans des cabanes de rondins telles qu’on en rêve au Canada. Les hommes partaient quelques jours par semaine en itinérants pour s’occuper du troupeau de rennes. Ils dormaient par terre, entre un feu construit de deux troncs superposés pour durer toute la nuit, et un écran de peaux tendues sur des bâtons pour rabattre la chaleur.

Aujourd’hui, toute la famille vit en préfabriqués confortables avec électricité, télévision et machine à laver la vaisselle. Les hommes gèrent les rennes en skidoo et reviennent à la maison tous les soirs.

Certains s’occupent de tourisme, comme Pavo (Paul), notre Lapon accompagnateur.

Il est le père d’une solide petite fille blonde de 12 ans, Marine, saine et jolie. Elle nous a appris à pêcher le poisson engourdi au fond des lacs, dont la surface est gelée sur près d’un mètre.

Nous creusons la glace à la grande tarière, puis appâtons la ligne avec un peu de pain. Les poissons mordent, quand il y en a. Mais ils ne sont vraiment pas vifs et il faut être très patient.

Avec son père, nous nous initions au skidoo. Il faut faire attention à ses accélérations fulgurantes, la neige glacée offrant peu de résistance à la glisse. Il n’est pas rare que le chauffeur inexpérimenté se voie jeté du skidoo par la poussée sous ses cuisses. Une sécurité consiste à attacher sa veste par un cordon à la clé de contact. L’éjection coupe aussitôt le moteur et le skidoo ne va pas loin sans maître. Sinon, il peut devenir fou.

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