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Frédéric Lenoir et Violette Cabesos, La promesse de l’ange

Un polar contemporain aux relents médiévaux mystiques, tel est le tour de force original d’un spécialiste des religions et d’une romancière. Johanna, jeune archéologue spécialiste de l’époque romane fouillant à Autun, se voit emmener par son amant marié François, sous-directeur de l’archéologie au Ministère de la culture dans un lieu surprise. C’est le Mont Saint-Michel. Elle y fait une crise.

A 7 ans en effet, emmenée visiter le Mont par ses parents, elle avait eu un songe où un moine noir sans tête l’interpellait dans une chapelle souterraine en lui assénant : « Il faut fouiller la terre pour accéder au ciel ! ». Elle en a fait des cauchemars durant des années et cette visite, pourtant à l’âge adulte, ravive ses souvenirs comme un viol. Elle n’a jamais surmonté son rêve.

Une fois de plus, le même moine noir vient la hanter, de la même façon, en lui répétant dans les mêmes termes son injonction. En archéologue, elle fouille bel et bien la terre ; elle y découvre parfois la tombe d’un haut dignitaire religieux, ou des bâtiments inconnus de Cluny. Mais le Mont Saint-Michel ? Une visite au mont Saint-Michel italien, le Gargano, décide la jeune femme reprise par l’hystérie. La maladie grave de l’épouse du chef de chantier libère son poste au Mont pour six mois. Johanna intrigue auprès de son amant François pour y être nommée. Un décret du Ministère l’y nomme en effet, au grand dam de Patrick, adjoint de chantier, qui aurait bien pris le poste.

Mais Johanna est une jeune femme moderne. Autrement dit, elle fonce, donc couche avec qui peut lui être utile ; son désir sexuel n’est que le prétexte à son désir professionnel. Après Paul, chef de chantier à Cluny, François, sous-directeur de l’archéologie, ce sera Simon, antiquaire passionné du Mont, voire Guillaume, celte mystique qui aide aux fouilles. Qui encore ? Dans l’équipe, Florence est une femme, Sébastien immature et Dimitri pédé. Ne reste que Christian Brard, conservateur en chef du Mont, mais il est opposé aux fouilles, donc un adversaire. Ces coucheries, qui font moderne, apparaissent comme des actes utilitaires menés par l’envie d’arriver à ses fins. L’amour, le fameux amour tant vanté, y a vraiment peu de place malgré les affirmations réitérées.

Car le « vrai » amour, celui sans conditions, est celui d’un moine bénédictin du XIe siècle, Roman, pour la belle druidesse égarée aux temps chrétiens, Moïra (qui veut dire Marie en celte). Les chapitres s’entremêlent car le moine noir apparu en rêve est Roman, qui cherche sa tête pour accéder au paradis (hum! Il faut y croire…). Et Roman, second architecte de la cathédrale après son maître Pierre de Nevers, rappelé à Cluny, est tombé amoureux de Moïra. Il a défendu une famille molestée par des coupe-jarrets et a été blessé au ventre ; Moïra l’a soigné à l’aide de décoctions et de cataplasmes de plantes, dont elle connaît les secrets par tradition ancestrale, aidé de son frère muet et vigoureux de 13 ans, Brewen. Roman a guéri et ses frères le ramènent au monastère.

Mais frère Almodius, expert au scriptorium pour recopier les manuscrits anciens, est férocement jaloux. Il est pris par la chair et désire Moïra, la jeune blonde au corps souple à la longue chevelure. Roman se défend de la chair et n’y succombe pas mais Almodius, qui espionne la fille, les voit s’étreindre dans l’obscurité, puis Moïra invoquer devant les marais Ogme, un dieu païen. Il croit le péché mortel accompli par lé démone et va les dénoncer à l’abbé. Lequel les convoque et les fait avouer, mais demande surtout à Moïra d’abjurer son culte au dieu celte, qu’elle assure conjointement à ses prières à la Vierge Marie. Elle se veut chrétienne et celte, dans la tradition syncrétique. Mais le christianisme, comme toute religion, est férocement intolérante et exige entière soumission. Moïra a sept jours pour réfléchir et abjurer.

Almodius, outré de cette clémence et tenaillé par ses démons, dénonce alors l’hérésie à l’évêque, qui accourt aussitôt, bien content de faire pièce à l’abbé du Mont Saint-Michel qui en prend selon lui un peu trop à son aise. Il fait juger Moïra et la condamne aux quatre supplices de la croix celte : par l’air, par l’eau, par la terre, par le feu. A chaque fois, elle sera sommée d’abjurer mais, comme elle fait silence, son corps est brûlé en place publique après les trois autres jours où elle a été suspendue aux vents en cage de fer, puis ligotée à un pieu à marée montante, enfin jetée dans un trou boueux. Roman est atterré mais ne peut rien y faire. Il est épargné pour bâtir la cathédrale sur l’ancienne église des chanoines, elle-même bâtie sur la grotte d’Aubert, le saint évêque à qui l’archange saint Michel, chef des milices célestes contre l’ange déchu Lucifer, a enjoint par trois fois de bâtir un sanctuaire. Lequel sanctuaire est édifié au-dessus d’un lieu de culte des druides… La dernière fois, comme la tête dure du chrétien n’entendait toujours pas, il lui a enfoncé son doigt dans le crâne et le sanctuaire a enfin été bâti. Le crâne d’Aubert, célèbre relique du Mont, attire les pèlerins.

Mais Moïra a livré un secret à Roman : il ne faut en aucun cas détruire l’église des chanoines. Roman modifie donc les plans, arguant d’une révélation de Pierre de Nevers avant son départ. Puis il est pris de fièvres, déporté sur le continent, et disparaît. Johanna va découvrir, dans un parchemin opportunément découvert à Cluny dans un sarcophage de moine par son confrère Paul, que Roman n’est même pas mort mais a changé de nom. Qu’il est revenu des dizaines d’années plus tard au Mont avant de disparaître cette fois pour de bon. Il a été décapité par Almodius, toujours présent, ce pourquoi il erre dans les limbes en attendant qu’il retrouve toute sa tête. Il apparaît à divers personnages dans l’histoire pour qu’ils fouillent et l’enterrent entier, mais en vain. Jusqu’à la jeune Johanna – une femme. Et son injonction à fouiller la terre pour accéder au ciel a aussi une vertu purement pratique que le lecteur découvrira à la fin…

C’est bien écrit, haletant, bien construit, prenant. La mystique du XIe siècle se heurte au patrimoine du XXIe siècle, deux mentalités. Johanna (parce qu’elle est une femme ?), évolue entre deux, non-croyante aux dieux mais croyante aux humains. Elle couche, elle séduit, elle intrigue – névrosée obsessionnelle pour ce qui est sa seule passion : découvrir le secret du Mont, résoudre l’énigme du moine, réconcilier les âmes. Regardez d’emblée les deux coupes du Mont Saint-Michel éditée (malheureusement) à la fin du livre et non pas au début : vous comprendre mieux les explications parfois un peu alambiquées des auteurs sur l’architecture de ce lieu qui reste – quoi que l’on croie – magique.

Prix des Maisons de la presse 2004

Frédéric Lenoir et Violette Cabesos, La promesse de l’ange, 2004, Livre de poche 2011, 636 pages, €8,90 e-book Kindle €7,99

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Voltaire, Traité sur la tolérance

Tout commence par l’affaire Calas à Toulouse le 13 octobre 1761. Dans une famille protestante, le père est accusé d’avoir tué son premier fils de 28 ans « parce qu’il » voulait se convertir au catholicisme. La rumeur publique enfle et exige des treize juges qu’ils condamnent à mort ceux qui restent, le père, la mère, le fils cadet, l’ami présent, la servante. Le tribunal condamne après enquête, mais seulement le père, à être torturé puis roué avant d’agoniser deux heures (au cas où il avouerait) puis étranglé. Mais il n’avoue rien, il est innocent, le fils aîné s’est probablement suicidé par pendaison tout seul par dépit de n’être pas reconnu professionnellement par la société (il voulait devenir avocat, ce qui était impossible à un protestant), ni par son père qui le voulait boutiquier comme lui. Voltaire en fait le scandale du siècle, le procès de l’Intolérance, qu’il attribue aux Jésuites affidés du pape et à l’Eglise soucieuse de terroriser les fidèles pour mieux les tenir.

L’écrivain en fait un « Traité » qui est plus pamphlet qu’une réflexion philosophique, un écrit « à la française » empli de raisonnements et d’ironie qui en appelle à la liberté (pourvu qu’elle ne menace pas les autres) et au bon sens (si mal partagé par les croyants poussés au fanatisme). Mais le « traité » s’arrête à l’exposé des faits et à la revue des recherches, comme on dirait aujourd’hui. La thèse n’est pas écrite qui ferait de la tolérance un souverain bien pour telle et telle raison. Ce livre est plus un placet pour agiter l’opinion publique « éclairée », juxtaposant des pièces en faveur de la révision du jugement auprès du Conseil du Roy – qui annule la sentence après nouvelle enquête en 1765.

La rhétorique « à la française » (qui subsiste en nos journaux intellos) consiste tout d’abord à remonter aux calendes grecques sur le sujet en question – au contraire des journaux anglo-saxons qui ouvrent toujours leurs articles sur le vif du sujet : les faits en premier et les hypothèses d’explication à la fin. Voltaire se préoccupe donc d’aller voir comment les peuples anciens étaient intolérants ou pas. Puis, dès que les chrétiens furent en nombre, si ce n’est pas de leur côté que l’intolérance fut la plus grande : en effet, le propre d’un croyant est de mettre au-dessus de tout son dieu et sa foi, récusant toute critique, tout aménagement et toute raison. C’est ainsi que « les martyrs » sous l’empire romain étaient de mauvais citoyens qui refusaient les rites de la société dans laquelle ils vivaient alors « qu’il n’y a, si je ne me trompe, que peu de passages dans les Evangiles dont l’esprit persécuteur ait pu inférer que l’intolérance, la contrainte, sont légitimes » chap. XIV. Les martyrs chrétiens se mettaient hors de leur société, rêvant au royaume des cieux. Les y expédier était presque leur rendre service, ironise Voltaire, mais l’intolérance était avant tout de leur côté bien loin de la raison naturelle humaine : « Si vous voulez qu’on tolère ici votre doctrine, fait dire Voltaire par un mandarin chinois à deux chrétiens, un aumônier danois et un jésuite qui se battaient, commencez par n’être ni intolérants ni intolérables » (chap. XIX). Cette maxime joliment frappée pourrait s’appliquer avec bonheur aux extrémistes de l’islam aujourd’hui. Du temps de Voltaire, l’Eglise et les sectes ecclésiales (telle les Jésuites) en ont rajouté comme eux sur le Dogme et son respect à la lettre – pour imposer leur pouvoir sur les âmes, suscitant ces guerres de religion qui ont fait tant de mal à l’Europe.

Plus que la tolérance, c’est donc la liberté que prône déjà Voltaire : celle de croire sans imposer, celle de penser sans être condamné, celle d’exercer une profession sans donner des gages de sa foi. Ce qui veut dire concrètement la séparation des Eglises et de l’Etat comme John Locke l’exhortait, l’épuration de la religion de tout ce qui est impur et malsain, accumulé par les siècles d’obscurantisme et de cléricalisme, et le droit laissé à chaque citoyen de ne croire que sa raison. Plus le rire, que les caricaturistes illustrent de nos jours contre la plus fanatique de toutes les dérives religieuses : « Ce ridicule est une puissante barrière contre les extravagances de tous les sectaires » chap. 5, croit Voltaire.

Au fond, Jean-Marie Arouet ne propose pas moins qu’un vaste programme pour lequel il faudra attendre 1789 afin d’en connaître un début de réalisation, mais qui est sans cesse à recommencer car toute croyance tend à dégénérer en fanatisme (le complot sous Robespierre, les Ultras à la Restauration, l’anarchisme fin XIXe, le communisme et le fascisme au XXe siècle, l’islamisme et le politiquement correct offensé au XXIe siècle). L’universel de la raison naturelle, la tempérance humaine raisonnable, reste un idéal jamais atteint.

Voltaire, Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, 1763, Flammarion GR 1993, 193 pages, €4.90 e-book Kindle €1.99

Voir pour les détails juridiques du temps la note de Dominique Inchauspé, sur l’affaire Calas et Voltaire. L’auteur est avocat au barreau de Paris et auteur de L’intellectuel fourvoyé, Voltaire et l’affaire Sirven, publié en 2004.

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Une économie catholique selon Claudel

Qui lit Paul Claudel aujourd’hui ? L’édition de son Journal, disponible en 2009 en librairie, date de 1995 : signe qu’il y a bien peu d’acheteurs… Entre deux siècles, entre deux mondes, Claudel a eu 50 ans en 1918.

Elevé chez les sœurs, premier communiant, il ne devient vraiment croyant qu’à 18 ans, lors d’une extase derrière le pilier droit du chœur de Notre-Dame à Paris. Les curieux peuvent voir encore la plaque au sol, apposée par la hiérarchie pour cette recrue de choix. Son Journal commence tard – sur les conseils de son confesseur – mais ne s’arrête qu’avec la mort, en 1955. Claudel est un poète mystique dont la sœur est devenue folle, cette fameuse Camille Claudel maîtresse de Rodin dont un film a exhumé le souvenir voici quelques années. Le poète est intolérant, conservateur, sectaire. Il pointe dans son Journal chacune de ses confessions et messes ; il ne parle des autres que lorsqu’ils se sont convertis, surtout grâce à ses livres ; il cite abondamment les Ecritures, les docteurs de l’Eglise et les curés de sa connaissance – souvent en latin. Il note chaque « preuve » de l’existence de Dieu et de la vérité de la foi, tourmenté de cette inquiétude incessante de la conscience coupable tellement ancrée dans le tempérament catholique. Il se reproche de ne pas vivre normalement, de ne pas s’intéresser assez à ses enfants et aux gens qui l’entourent, tout à cette angoisse permanente de savoir s’il a raison de croire…

Serait-il naïf de penser qu’une foi sereine donne une assise dans la vie ? Ce ne sont pour lui, au contraire, que chocs permanents entre l’idéal au-delà et l’existence ici-bas. Telle cette obsession de la nudité qui affecte Claudel au spectacle de ces plages d’Amérique, sur lequel il revient maintes fois, et ce dégoût fasciné pour ces « enfants tout nus » de Nîmes (en fait en short), « jouant aux taureaux ». Les répulsions pré-68 d’un Bayrou, entre autres vierges effarouchées des réseaux sociaux, trouvent ici leurs racines.

Claudel hait les juifs et les protestants, encore plus que les athées peut-être. Ne trouvent grâce à ses yeux que les musulmans, prosternés devant le Dieu écrasant qui ressemble au sien, et les bouddhistes (qu’il appelle ‘les Hindous’) parce que leur façon de voir s’approche du christianisme.

Pour lui, la décadence a commencé avec la Révolution. La démocratie est une aussi vaste blague que le nationalisme qu’il a abondamment vécu durant ses deux demi-siècles. Il déteste Renan, Vigny, Lamartine et Hugo. Victor Hugo surtout n’a aucune « imagination de la proportion. Simplement une énorme capacité gazeuse résultant de la possession de beaucoup de mots » (juillet 1908, I p.63). Ce n’est pas trop mal voir l’enflure romantique… Il n’aime ni Goethe, ni Flaubert, ni Rimbaud (dont il ne parle que pour sa conversion in extremis, selon sa sœur, très catholique), ni Proust (évidemment, juif et homosexuel, pensez !). Il trouve Gide et Montherlant « dégoûtants ». Il se déclare « violemment contre » Joseph Kessel et sa ‘Belle de jour’. Il voit dans « tous les écrivains irlandais », dont Yeats et Joyce, un « galimatias d’apostats ».

Il voit chez les Français un esprit sec, allergique à la poésie de l’œuvre divine. Chez les poètes français : « L’alexandrin est bien le vers d’un peuple qui sait compter » (octobre 1921, I p.524). Il brocarde même les croyants, ses frères nationaux : « Chez les mystiques français, un peu de cet esprit de retranchement, de parcimonie, de castigation minutieuse de soi-même qui est un des traits de notre caractère, pas celui qui me plaît le plus » (avril 1915, I p.319). Notons que « castigation » est le mot snob pour punition, un anglicisme. Parce qu’il doute au fond de lui, il se veut avec orgueil un catholique : « Les catholiques à qui l’univers revient de droit. Seuls ils sont les enfants de Dieu et ils ont hérité de la terre en vertu de l’un et de l’autre Testament. Les hérétiques n’en possèdent que des morceaux déformés » (décembre 1919, I p.461).

En bref, voilà un personnage anachronique, peu recommandable et tourmenté, avec lequel notre époque ne peut « être d’accord ». Et alors ? Je ne fais pas pour ma part du fait « d’être d’accord » avec quelqu’un le préalable absolu à le fréquenter ou à le lire. Cet héritage du manichéisme stalinien qui a marqué la génération post-68 grève toujours le débat intellectuel français, au contraire des autres Européens. Il se double d’une volonté cocon qui me paraît régressive. Il s’agit de se protéger du dehors, de la contestation, de la remise en cause pour rester dans son coin, entre soi. Foin de la vérité ou du savoir, mieux vaut « être d’accord » – avec sa bande, son clan, sa tribu, ses potes. Et se défier de tous les miasmes contaminants… Le nazisme avait commencé comme cela. Au minimum, le risque est de se trouver sectaire, mou par indifférence. Mais bel et bien sectaire, autant que ces cathos d’hier et que les islamiques d’aujourd’hui (voire des archéos de la « gauche »). Tous enfiévrés de leur usage cabalistique du Livre, interdisant de dessiner la Création et de penser autrement que les prophètes, Marx y compris, cachant les femmes sous les falbalas victoriens ou les burqas afghanes.

Cet enfermement, de quelque secte qu’il vienne, n’est pas le mien. N’étant ni catho à la Claudel, ni intolérant, ni antimoderne, je lis cet auteur par liberté et bon plaisir. Tout comme Jaurès le faisait, loin du sectarisme socialiste d’aujourd’hui, selon Claudel lui-même : « Valentine Thomson me raconte que sur la table de nuit de Jaurès (après son assassinat), on trouva ‘L’Annonce faite à Marie’ qu’il était en train de lire » mars 1921, I p.505). C’est que cet homme Claudel, qui a eu la tentation du monastère, s’est marié et a eu cinq enfants. Après un bac philo et des études de droit, un passage par Science Po lui permet de réussir premier le concours des Affaires étrangères. Il sera en poste dans le monde entier, à Shanghai, Prague, Francfort, Hambourg, Rome, Rio de Janeiro, Copenhague, et notamment ambassadeur à Tokyo durant le grand tremblement de terre et l’incendie, puis à New York durant la crise de 1929. Malgré sa fermeture religieuse, il ne cessera d’observer, de comparer et de noter.

Mystique, Claudel n’en connaît pas moins l’économie. Poète, il sait négocier en diplomate. Il a cette définition catholique de l’économie qu’il nous faut méditer tant elle est dense dans sa concision : « L’économie est le sens et le besoin du juste » (mars 1920, I p.469).

Le sens du juste, car il s’agit de compter, d’ajuster, de mesurer la juste dose. Mais ni en mathématicien ni en comptable : il s’agit de compter… ce qui compte. Cette façon de faire est un besoin : produire ce qui convient à la communauté avec le moins de ressources rares disponibles (matières premières, énergie, capitaux, savoir-faire humain), administrer ce qui est possible selon la justice, c’est-à-dire l’harmonie entre les citoyens et, dans l’entreprise, l’équilibre entre employés, entrepreneurs et actionnaires. Cette façon de faire est la seule qui fasse sens : ne produire que ce qui convient, selon les ressources possibles et selon la demande de la communauté ; répartir selon les besoins, en fonction de la contribution et des moyens de chacun. Rien de plus, rien de moins. Ni spéculation ou lucre, ni macération austère ou privation inutile, ni caporalisme ou copinage. Nous traduirions aujourd’hui par : ni traders fous, ni écolos mystiques, ni bureaucrates partisans. L’économie est une science de la mesure – tout comme on dit « économie » de parole ou de moyens.

J’aime cette définition de l’économie. Elle rejoint celle de l’antiquité comme celle du libéralisme politique français. N’est-ce pas le sens qu’un catho comme François Bayrou et son courant politique veulent promouvoir ? N’est-ce pas ce que dit de façon plus brouillonne le mouvement informel qui porte un gilet jaune ? Pour comprendre le monde présent, il n’est pas inutile de relire ce vieux ringard de Claudel.

Paul Claudel, Journal I – 1904-1932, Pléiade Gallimard 1968, 1499 pages

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Samarcande, musée d’Afrosiob et observatoire

Après le gros du cagnard, nous allons visiter un bout de Samarcande. Comme chez Agatha Christie, les « Dix petits nègres » ne sont plus que huit. Les deux autres sont restés au Tadjikistan, en attente d’un visa neuf.

Direction le musée d’Afrosiyob. C’est l’ancien nom de Samarcande.

Il évoque l’histoire du site sogdien à l’origine de la ville, depuis la forteresse et les ossuaires, les céramiques et les pièces grecques, jusqu’au mihrab zoroastrien et les inscriptions sogdiennes sur les poids marchands.

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Un panneau explicatif en ouzbek et en anglais nous éclaire sur le passé. Au 1er millénaire avant notre ère, l’agriculture était déjà florissante ici. Dès le 8ème siècle, des cités entourées de murailles défensives se développent dans la région. Il existait probablement déjà des états et la société devait connaître des classes hiérarchisées.

Depuis l’origine, Samarcande est un lieu d’échanges sur les routes commerciales. Capitale de Sogdiane, la cité comprend une acropole et une élite militaire. Les hymnes de l’Avesta mentionnent Samarcande comme créée par Ahura Mazda. Au 6ème siècle avant, la Sogdiane devient partie de l’empire perse ; c’est une satrapie qui fournit de l’or et du lapis-lazuli comme la Bactriane. Se développent alors dans la ville les quartiers des artisans du métal, de la poterie, du tissage. On trouve des bijoux en bronze, des décors en pierre, des objets en os. Des canaux et un système d’irrigation sophistiqué distribuent l’eau dans la ville et aux alentours.

Le clou du musée est la salle des fresques. Dans une semi-pénombre sont conservées des fresques sur murs de terre sèche qui se lisent de l’ouest au sud de celle salle d’apparat où le roi recevait les dignitaires. Sur la paroi ouest se reconnaissent Varkhuman, roi de Samarcande vers 650-670, les épouses sur un éléphant, la procession des dignitaires. Tous se dirigent vers un mausolée. Les têtes sont blanches ou brunes pour dire la variation de la population d’époque. La paroi nord montre les envoyés chinois apportant de la soie à Varkhuman, au sommet de la fresque, entouré de gardes turcs et de chambellans. La paroi est représente une barque emplie de musiciennes et l’impératrice de Chine qui réconcilie deux concubines. Des Chinois chassent la panthère à cheval. La fresque de la paroi sud est peu visible, mal conservée. Elle représente probablement le paradis indien où s’ébattent des enfants nus et des buffles.

Nous allons faire un tour sur la citadelle qui s’élève à côté du musée. La chaleur est accablante, conservée et réverbérée par la terre sèche. Peu de choses à voir, un « chaos » au sol comme à Pendjikent. Mais à cet endroit s’élevait le premier Samarcande, c’est toujours émouvant de s’en rendre compte.

Nous poursuivons par la visite de l’observatoire astronomique de Mirzo Oulougbek (1394-1449). Petit-fils de Tamerlan, il a régné 40 ans mais préférait l’étude. Il a fait bâtir le sextant géant qui est conservé en 1428, il a composé un catalogue d’étoiles et des tables astronomiques restées inégalées jusqu’à Ticho Brahe. Détruit après sa mort par un clergé islamique jaloux et intolérant, l’observatoire d’Oulougbek a été retrouvé en 1908 par les archéologues russes dont le chef de mission, Viatkin, est enterré à côté.

De forme ronde d’un diamètre de 46 m, l’édifice s’élevait sur deux étages dont il ne reste que les fondations. Une tranchée a conservé le sextant dont la longueur des arcs est de 63 m, creusé dans la roche dure de l’un des monts Koukhak.

Oulougbek est représenté de façon lyrique dans le petit musée attenant. Un jeune page aux joues rouges et à la taille fine lui offre une coupe de fruits tandis que lui a le regard levé vers les étoiles. Toutes les tentations de la terre ne l’ont pas détournées de son obsession cosmologique et mathématique. Voilà bien un héros de la science à la manière soviétique. Des miniatures délicates montrent des scènes de chasse, de construction du palais, de culture des champs.

Reprenant le bus, nous constatons un embouteillage sur la grande voie qui mène à Tachkent. Rios nous explique que tout le monde s’arrête ici pour acheter du pain de Samarcande. Il serait incomparable : serré, il se conserve. Les appelés au service militaire ont pour tradition de rompre le pain à leur départ et de manger le morceau qu’ils ont laissé dans leur chambre à leur retour – juste en le trempant dans l’eau. Une belle histoire nationaliste veut que Tamerlan – Timour le boiteux – emporte toujours du pain de Samarcande pour son armée lorsqu’il partait guerroyer. Un jour, il s’est dit que c’était peu économique : autant faire le pain sur place. Mais le premier essai fut raté, le pain n’était pas bon. Un second essai fut réalisé avec le boulanger de Samarcande, que l’on fit venir exprès, le pain n’était toujours pas bon. Un troisième essai fut réalisé en faisant venir aussi du blé de Samarcande, le pain n’était encore une fois pas bon. Le quatrième essai a fait venir de l’eau de Samarcande, le cinquième essai avec le four en terre spéciale du sol de Samarcande – le pain n’était toujours pas bon. Alors quoi ? La matière première, le savoir-faire, les instruments ne suffisaient pas à réaliser du pain bon comme à Samarcande ? C’est qu’il manquait l’air de Samarcande…

Nous croisons plusieurs bus dont les parois portent des inscriptions en français comme « Cars de la Meuse » ou « Autocar Machin », ou encore « Les rapides de l’Est ». Ce sont des bus d’occasion, rachetés aux compagnies de transports régionales, remis en état et importés de France. Ils servent pour le tourisme.

Le dîner a lieu ce soir au Platan, dans le secteur russe de Samarcande où les parents de Vladimir Poutine ont vécu. Ils sont d’ailleurs enterrés au cimetière russe qui domine le quartier. L’endroit où vivent les Russes est, dans la ville moderne, un endroit paisible, provincial, préservé. Comme hors du temps, avec cette douceur de vivre que l’on ressent dans le sud de l’empire, sur les bords de la mer Noire par exemple. Il est bâti selon l’architecture de l’Arbat moscovite, les rues bordées d’arbres, très résidentiel. Nous sommes les seuls clients à l’intérieur du restaurant. En terrasse, d’autres clients arrivent. Le serveur et la serveuse, peut-être les patrons, en tout cas les gérants, sont jeunes et ont le look évanescent à la mode des villes. En chemises légères, ils servent comme des fantômes. Après les zakouskis d’herbes et de légumes habituels, une soupe mélangée où domine la patate précède le chachlik, cette viande cuite en brochettes et fort gouteuse. Elle est servie avec des tomates cuites entières et un hachis d’ognons doux. De quoi aimer le monde russe un peu plus.

Christian s’éveille, il sort de sa morosité de prof parano. Il raconte le rigorisme iranien qu’il a vu dans le pays, et sa trouille des fauves en Afrique noire.

Lorsque nous repartons vers l’hôtel, il est 21 h, la nuit est tombée, mais la ville reste animée pour goûter un peu de la moindre chaleur, surtout le boulevard des étudiants, « 2 km de long » d’après Rios qui en fut un. Sur les trottoirs des rues résidentielles, des gamins jouent torse nu. La pudeur islamique n’est pas autant de rigueur en Ouzbékistan, pays plus moderne que le Tadjikistan. Toutes les rues ont changé de nom après l’indépendance ; elles se sont « ouzbékisées ».

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T. C. Boyle, Water Music

Premier roman écrit en trois ans d’un auteur américain né en 1948, il reprend la biographie romancée de l’explorateur écossais Mungo Park sur le fleuve Niger et l’entrecroise avec le destin à la Dickens d’un titi londonien inventé, Ned Rise. Drôle, picaresque, aventureux, ce gros roman joyeux évoque la misère et le rêve, ce qui pousse les êtres humains à entreprendre pour s’en sortir, malgré la bassesse des passions et l’hypocrisie de la société.

Les Water Music (musique sur l’eau) sont trois suites orchestrales composées par le musicien anglais Georg Friedrich Händel pour le roi George 1er (1660 – 1727). Une barque de 50 musiciens accompagnait la barque royale lors de son voyage sur la Tamise. Mungo Park, né en 1771, était un grand blond athlétique obsédé de savoir si le fleuve Niger coule vers l’ouest comme l’affirme Léon l’Africain dans l’antiquité, ou vers l’est comme l’affirme le bon sens. En fait, le Niger s’écoule d’abord vers le nord-est avant de faire une boucle aux marges du désert pour couler vers le sud et se jeter dans le golfe de Guinée.

Le roman cueille l’explorateur à 24 ans lorsqu’il est prisonnier du musulman fanatique Ali Ibn Fatoudi qui traite les chrétiens comme des bêtes sur ordre d’Allah. Esclave, « Mungo Park exposait ses fesses nues aux yeux du hadj… ». Dans l’Amérique encore politiquement incorrecte de 1980, les musulmans n’étaient pas épargnés : pas tous, seulement les intolérants et bornés, chasseurs d’esclaves et pourfendeurs de nègres. « Pour les Maures, ce type de village est une proie facile il n’y vit que des Caffres, autrement dit des infidèles, et il est du devoir de tout bon musulman de répandre la parole d’Allah partout où il le peut. Sans compter que ces Caffres sont notoirement connus pour leur incapacité à se défendre. CQFD. : proies faciles. Les Noirs illettrés de Jarra, des Mandingues pour la plupart, ont le bon goût de tomber dans la catégorie des Caffres même si, de fait, ils ont presque tous adopté les principes de la religion islamique. Les Maures regardent leurs tapis de prières, leurs sandales et leurs djoubbas, observent leurs visages noirs et plats. Ils ne s’y laissent pas prendre. A leurs yeux, les habitants de Djarra appartiennent à une sorte de sous-espèce, à une race infrahumaine qu’Allah a chargé de traire les chèvres et de beurrer les tartines du Peuple élu, entendez eux-mêmes. Voilà pourquoi ils considèrent que bétail, enfants, femmes, grain, bijoux, cases et vêtements, tout ce qui a le malheur d’être caffre leur appartient de plein droit » édition Pocket 1990 p.110.

La suite est une série d’aventures dans les pays barbares, entre Maures cruels et Noirs avides, sous un climat ou bien ardent ou bien diluvien, parmi les bêtes et les parasites ; son guide et ami Johnson, nègre lettré féru des œuvres complètes de Shakespeare reliées pleine peau, est happé par un crocodile de six mètres de long. Mais Mungo s’évade, Mungo guérit, Mungo regagne l’Angleterre, où son livre de voyage connait un énorme succès.

Il se marie, fait quatre gosses en sept ans à sa femme (presque comme l’auteur, qui en a trois), puis repart malgré elle et ses petits, pour une nouvelle expédition sponsorisée par la couronne afin d’ouvrir le commerce africain avant les Français (Napoléon 1er taille des croupières au Royaume-Uni en ces temps-là). Malgré la saison des pluies, les maladies et son incompétence diplomatique à négocier le passage, Mungo Park parvient à suivre le Niger sur 1600 km avant de sombrer, noyé, aux portes de Boussa. Son second fils Thomas, qui lui ressemble, partira sur ses traces mais mourra des fièvres. Seul de son groupe survit un Anglais tout nu, qui charme les pygmées avec sa clarinette. Ce Blanc est le personnage de Ned.

Il est tout droit sorti de Dickens, enlevé enfant à sa mégère pour être vendu à Londres, survivant d’expédients, offrant sa bouche et son corps, dit l’auteur en verve, il parvient à monter adulte quelques entreprises comme un numéro de cabaret sexuel et la vente de caviar de la Tamise, avant d’être filouté par vengeance, arrêté et pendu… d’où il ressuscitera quelques heures plus tard, mal étranglé par le bourreau pressé. Envoyé au bagne de Gorée pour avoir franchi les limites d’une ferme en Ecosse et être passé pour braconnier alors qu’il ne voulait retrouver que son ex-fiancée. N’ayant plus rien à perdre, il s’engage aux côtés de Mungo Park pour sa seconde expédition de 1805 et lui devient bientôt, dans l’impéritie générale, indispensable.

Les deux histoires parallèles ne se croisent que page 478, mais s’unissent jusqu’à la fin, où elles se justifient. « Un homme facile à convaincre, ce Mungo Park, un fou égoïste. S’il ne lui avait pas repris les rênes, il y a longtemps qu’ils seraient tous morts. Cela dit, Ned ne lui veut aucun mal, le bonhomme lui est plutôt sympathique ; il a un but, il s’accroche (…) Que Mungo soit un vaniteux dévoré d’ambition, égoïste, aveugle, incompétent, infatué de lui-même, n’empêche pas qu’il ait un projet dans la vie, une raison d’être » p.649. Ned va donc efficacement seconder Mungo, et se presque noyer avec lui à Boussa. Mungo n’en sort pas, Ned si. Comme les chats, il a sept vies.

Le lecteur est pris et emporté dans le tourbillon des aventures de Mungo en Afrique et dans les espoirs et les déboires misérabilistes de Ned à Londres. Nous sommes dans le réalisme romantique, curieux mélange d’où l’idéalisme est absent mais les misères prétextes à rebondir. C’est une véritable leçon de vie que nous livre l’auteur en ce roman-fleuve, le Niger étant le prétexte à évoquer la vie qui roule malgré tout.

Tom Coraghessan Boyle, Water music, 1981, Phébus libretto 2012, 831 pages, €15.80, e-book format Kindle €14.99

Site officiel en anglais de l’auteur

Site de ressources sur TC Boyle en français

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Vers la démocrature ?

Le raccourci entre démocratie et dictature est un mot de Pierre Hassner, disciple de ce Raymond Aron qui – bien plus que Sartre et Beauvoir ! – fut lucide sur le totalitarisme marxiste en URSS, en Chine, à Cuba et ailleurs dans les années 50, 60 et 70. Ce qui n’a pas été vu hier peut n’être pas vu aujourd’hui. La démocrature donne les apparences de la libre décision démocratique (partis, élections, parlement, droit) mais assure dans la réalité l’essentiel du pouvoir aux mêmes.

La Russie de Poutine est une démocrature, l’Algérie et la Chine à parti unique en connivence avec l’armée aussi, la Turquie d’Erdogan en devient une, le Brésil du sénat destituant en est un embryon, et c’est le rêve de Donald Trump (la trompette trompeuse du parti des Éléphants !) comme de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon de la réaliser en France. Leur idéologie, c’est le Peuple. Magnifié, idéalisé, massifié : le Peuple en soi, sans aucune distinction particulière, le peuple en masse comme hier sous Hitler et Staline, « l’immense majorité » disait-on à l’époque, la « volonté générale » disait Rousseau, ce totalitaire émotionnel. Et c’est vrai : les Allemands comme les Soviétiques des années 30 votaient régulièrement ; ils élisaient massivement les mêmes, nazis et communistes – la démocratie apparente était sauve.

democratie dictatoriale

C’est que « le Peuple » n’existe pas ; comme Dieu, il lui faut des interprètes qui disent Sa pensée et qui agissent en Son nom… En URSS et en Chine pop, c’est le Parti communiste qui est le détenteur de la vérité révélée comme de l’exégèse des œuvres des grands révolutionnaires (Marx-Engels, Lénine, Staline, Mao). Dans la Russie de Poutine, c’est ce mélange de conservatisme petit-bourgeois et de nationalisme ravivé par les guéguerres aux ex-frontières qui est populaire, entretenu par une propagande massive des médias aux mains des dirigeants (tous manipulateurs experts de l’ex-KGB). En Turquie, Erdogan prend tous les pouvoirs, surtout après la tentative de putsch ratée de généraux pusillanimes qui n’ont pas pris les moyens de leurs ambitions ; le parti d’Erdogan est soutenu par une confrérie islamique sunnite puissante – et Allah est convié à soutenir le Pouvoir.

Mais la démocrature tente aussi les pays jusqu’ici démocratiques : le Royaume-Uni vient de vivre un hold-up institutionnel avec le Brexit en faisant croire que tous les maux étaient dus à la bureaucratie européenne ; certains se repentent aujourd’hui d’avoir cédés aux mensonges et aux sirènes de la souveraineté solitaire. Les États-Unis sont en train de vivre le psychodrame présidentiel, éclatés entre un Trump qui parle haut, proclame publiquement le politiquement incorrect et renverse la table – et une femme traditionnelle trop raisonnable, bien connue et longtemps au pouvoir.

Nous ne sommes pas exempts, en France, de ce genre de tentation, surtout après le troisième attentat de Nice, contre lequel le culbuto content de lui qui reste notre Président répète tout sourire que « tout va être fait » pour éviter un quatrième (puis un cinquième, puis un sixième ?) attentat – sans surtout ne rien changer aux institutions, aux procédures, ni aux manières de faire, malgré « l’état d’urgence ». Mais à quoi sert-il donc concrètement, cet état ? Le petit barrage de tapettes assuré par les diverses forces de police à Nice n’a pas de quoi rassurer les foules : il était aussi inefficace que l’entrée du bâtiment qui abritaient les parachutistes à Beyrouth, dans un pays en guerre, en 1982. Les « spécialistes » et les « décideurs » ne comprendront-ils donc jamais ?

Faut-il attendre à chaque fois la réalité meurtrière de la vraie guerre pour prendre enfin des mesures qu’on aurait dû prendre avant ? Les juges (administratifs) en restent à la lettre du droit, sans considérer les circonstances et les 240 morts français à cause de l’islam radical ? L’islam existe depuis 1300 ans et le burkini est une nouveauté : qu’a-t-il à voir avec la religion musulmane ? La provocation n’est-elle pas manifeste ? C’est ce que disent les femmes saoudiennes… contre les idiots utiles du gauchisme bobo. Toutes ces provocs ne sont-elles pas orchestrées ? C’est la thèse que défend Fatiha Boudjahlat, militante pour l’égalité en droits des femmes et secrétaire Nationale du MRC à l’Éducation… contre la bien-pensance qui se dit anti-réactionnaire et qui réagit au quart de tour. Manuel Valls a raison de dire que cet arrêt n’épuise pas le débat « politique ». L’arrêt juridique, rendu par le Conseil d’État au sujet des arrêtés des maires sur le burkini défend « les libertés » mais reste dérisoire : Tuot, l’auteur du rapport socialiste 2013 sur l’intégration a été l’un des juges. Il persiste à minimiser l’islam en religion « comme les autres », donc soumise au même droit commun – alors que l’islam est un projet global, totalisant, comme l’était le catholicisme jusqu’en 1905. Si l’idée française de nation est  la volonté de vivre ensemble, qu’en est-il de ces comportements ? Peut-on être « français comme les autres » quand on rejette volontairement et violemment ce projet collectif ? Revenons aux origines de la IIIe République, celle qui fonde la France actuelle : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. » C’est Ernest Renan qui le dit – fort justement ! Faut-il en revenir à la conception allemande du droit du sang, qui était celle de la France d’Ancien régime ? Pourquoi, dès lors, les intellos de gauche tortillent-ils du cul comme s’ils étaient gênés face à la volonté manifeste des islamistes (pas des musulmans) de renverser ce qui fait la France ? Comment devons-nous comprendre cette « soumission » volontaire au plus fort parce qu’il brandit un couteau ?

« L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion », disait encore Renan : la liberté existe, celle d’aller vivre ailleurs, en conformité avec ses convictions. Mais l’exercice des libertés n’est possible que dans la neutralité et je souscris à la déclaration de Raphaël Enthoven (dans La morale de l’info sur Europe 1 le 24 août) : « interdire un interdit, c’est lui donner de la force ». Laisser faire cette « mode » aussi inconfortable que ridicule du burkini, n’est-ce pas la vouer à disparaître ? Ce qu’il faut quand on est sûr de soi ? – « défendre sans trembler la laïcité et la République qui défend aussi la majorité des musulmans contre la prise de pouvoir d’un islamisme rétrograde », dit aussi Michel Santo sur son blog. Le meilleur du libéralisme est sans doute là.

Sûr de soi, sans trembler… mais quel politique est sûr de soi et ne tremble pas ? Mais quel politique va-t-il expliquer à la fois le droit et son application POUR TOUT LE MONDE ? N’y a-t-il pas des islamistes intolérants ? des racistes musulmans ? Des bobos qui crient à l’écorché dès que l’on OSE aborder ces questions pour eux taboues ? Les électeurs sont lassés de se retrouver avec les mêmes incapables, qui trustent les postes sans résultats concrets. Et nous allons rejouer en 2017 le duo des bras cassés Hollande-Sarkozy, comme si de rien n’était ? Si les primaires sont aussi indigentes qu’elles le promettent, l’électeur sera tenté plus qu’ailleurs de renverser la table, de passer un violent coup de karcher sur ces nuisibles qu’il a assez vus.

islamisation a peine voilee 2016 a saint denis

Car, après les attentats à répétition excusés par la boboterie de la repentance et de padamalgam, des mosquées financées à guichet ouvert par les intégristes wahhabites, des prêches haineux laissé sans réaction, des provocations en tous genres donnant lieu à « polémiques » entre intellos bien au chaud ; après l’éclatement partisan à la suite de Nice ; après la dislocation européenne initiée par l’Outre-Manche attisant le pourquoi pas nous ; après l’explosion turque, « pays candidat à l’Union européenne » – les électeurs sont désormais sans aucune illusion.

Ils ont l’impression qu’une démocratie directe, où ils auraient enfin leur mot à dire, serait préférable à la démocratie représentative qui balance les pouvoirs, équilibre les institutions et demande des débats avant toute décision. Si « nous sommes en guerre » comme le dit le président, alors pourquoi ne pas adopter les processus de décision raccourcis de la guerre ? 1914-18 a montré combien l’autoritarisme s’est amplifié avec le conflit ; la guerre contre le terrorisme pourrait bien avoir de semblables effets, exigés d’en bas comme en Turquie ou aux États-Unis par la population, contre les résistances des bobos mondialistes et des élites confortablement installées dans le fromage public. L’électeur à qui l’on a appris à obéir plus qu’à réfléchir se demande : tous ces garde-fous des institutions (la double délibération des Assemblées, le recours au Conseil constitutionnel ou au Conseil d’État, l’élaboration rituelle du droit, l’indépendance de la justice, la surveillance de la police), sont-ils encore utiles ? Ne faut-il pas les raboter ? les suspendre ? les supprimer ?

Ces vertus du libéralisme politique sont fragiles, d’autant que le libéralisme est attaqué de toutes parts, à gauche comme à droite, au nom de l’État, de la Nation en armes une et indivisible, de la neutralité jacobine qui ne reconnaît aucun particularisme – ni corse, ni basque, ni breton, ni catholique, ni musulman. Le multiculturalisme est à la mode chez les gendegôch et les bobos parisiens, alors que la fécondation de la culture par l’Ailleurs est conditionnée avant tout par la santé de sa propre culture. Tout ne vaut pas tout, dans le grand méli-mélo métissé des gauchistes hors sol. Être fier d’être soi serait-il bien en Kabylie ou à Tahiti, mais horrifique en France même ? Montaigne doit-il être traduit en novlangue texto et simplifié au politiquement correct dans une jacklanguerie « artiste » du dernier chic ? Pourquoi introduire l’arabe en classe alors qu’on ne sait même pas apprendre le français correctement ?

moins de libertes contre le terrorisme

Mais si tout va mal et que les pires conservateurs apparaissent comme ceux qui sont au pouvoir et autour (en France la gauche bobo depuis Mitterrand ; aux États-Unis le clan Clinton), c’est aussi parce que la promesse de la démocratie libérale n’est plus tenue depuis le nouveau millénaire. Les excès de la finance, « la crise », la puissance des lobbies bancaires, le droit extraterritorial imposé par les États-Unis, la prosternation envers les pratiques chinoises de voyou, ont laissé stagner, voire régresser, le pouvoir d’achat – en Europe comme aux États-Unis.

L’immigration massive et incontrôlée, la culture sociologique de l’excuse qui justifie la vengeance islamiste par l’injustice passée, le rejet des fils d’immigrés mal intégrés à cause de leur idéologie radicale, l’intolérance croissante aux différences revendiquées (burkini, voile… mais aussi torse nu en ville, seins nus à la plage, short en vélo !), apparaissent à l’électeur en régression sociale comme d’insupportables provocations : les élites s’occupent des « victimes » autoproclamées par la repentance coloniale (France) ou le culte du fric et de la performance individuelle (USA), elles ne s’occupent pas de l’électeur moyen ou populaire.

Sauf qu’il a le droit de vote. Et qu’il va s’en servir. Même si les partis politiques ne font guère recette, Internet dit tout, permet tout, entraîne tout. Les vieux rassis, au pouvoir depuis trop longtemps, n’en ont aucune conscience ; ils n’y « croient pas ». Dommage pour eux, le phénomène Trump et la grossière erreur des sondages anglais le montrent.

Je déplore à titre personnel la haine irrationnelle du libéralisme, tant politique qu’économique, qui agite nos élites de gauche comme de droite, tout comme la distorsion vers le monopole du libéralisme aux États-Unis ou en Allemagne. Car le leg libéral est aussi politique : celui des institutions. Il assure la tempérance et la raison par la séparation des pouvoirs et le débat organisé. S’il venait à disparaître dans l’illibéralisme comme en Russie, en Turquie ou en Hongrie, tous les petits « révolutionnaires » indignés qui manifestent à longueur d’années pour revendiquer des « droits » seraient les premiers à en pâtir. Lénine les avait éradiqués sans état d’âme… Et nous aussi en pâtirions.

Il est difficile de résister à la pulsion de mort qui taraude nos sociétés malsaines, face à des contre-sociétés plus vigoureuses et sûres d’elles-mêmes. La psychologie de masse rencontre le petit moi étriqué laissé à lui-même par la famille déstructurée à la mode et par l’école démissionnaire du tout vaut tout. Mais il faut résister, affirmer ce qui vaut, faire appliquer les lois existantes, modifier celles qui le doivent pour assurer de vivre ensemble, renforcer l’Union européenne en posant clairement ses frontières et ses normes – comme le font les États-Unis, la Chine ou l’Inde, sans état d’âme. Cela sous peine de disparaître dans une prochaine nuit des longs couteaux.

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Purification ethnique ?

L’incitation vient d’un commentaire sur ma note à propos des bobos de gauche et du Comité de vigilance anti-daeshiste qu’ils n’ont toujours pas fondé… Faut-il « purifier » l’Europe de tous ceux qui sont « allogènes » et non-assimilables ? Mon commentateur déclarait : « la seule solution possible est l’épuration ethnique. Je rappelle pour les amnésiques que les musulmans sont des experts en le domaine d’abord en Égypte dès 1947 où l’administration du roi Farouk faisait en sorte que les Égyptiens n’ayant pas un patronyme musulman soient dans l’impossibilité de trouver un travail ou d’acheter un bien immobilier, ce qui a amené progressivement mais assez vite à l’éradication du sol de l’Égypte des égyptiens d’origine grecque et italienne par exemple. Voir aujourd’hui ce qu’est Alexandrie par rapport à l’Alexandrie de Durrel… Est-il besoin de rappeler le célèbre « la valise ou le cercueil » à Alger en 1962 ? » Il s’agirait donc d’appliquer aux musulmans ce qu’ils pratiquent eux-mêmes : la purification de la société.

Mais nos valeurs « républicaines » de Liberté-Egalite-Fraternité et notre aspiration à l’universel représentent-elles l’équivalent d’une « religion » ? Notre neutralité laïque est-elle un instrument de combat intolérant à toutes les croyances ? Refermer ce qui a fait notre histoire, la libération progressive de toutes les contraintes pseudo « naturelles » qui déterminent chacun, est-elle la solution ? Certains le prônent : fermer les frontières, renationaliser l’économie, établir un État fort et inquisiteur. Je ne crois pas que cela améliorerait les choses. Réaffirmer tranquillement le droit – et le faire appliquer sans faiblesse malgré les zassociations et les bêlements outrés des bobos angéliquement « de gôch » – OUI. Chercher dans ce qui nous arrive une sorte de péché originel à confesser pour faire amende honorable – NON. Pas de « révolution nationale » – on a vu ce que cela avait donné : une démission collective dans la lâcheté.

Il convient de parler de tout pour réactualiser sans cesse la « liberté d’expression », mais selon la raison, afin de bien comprendre ce que recouvrent de fantasmes sous-jacents les slogans affichés. Ce démontage raisonné permet d’être mieux être à même de les évaluer s’ils envahissent le paysage politique

Je ne crois pas pour ma part à l’intérêt pratique d’un transfert de masse de populations reconnaissables à leur faciès, ni ne souscris aux fantasmes de pureté qu’il recouvre. Le mythe de la « race » pure ou de la religion des origines, le mythe d’un l’âge d’or à retrouver, l’an 01 des bases « saines » ne sont que des illusions consolatrices. Tous les millénarismes ont joué de cette corde sensible pour rameuter les foules ; tous les totalitarismes se sont imposés sur ces fantasmes régressifs pour assurer leur pouvoir. Sans résultat : nous sommes ici et aujourd’hui, pas dans le passé imaginaire, sur une planète où tout réagit sur tout (à commencer par le climat et les ressources), dans une ère de communication instantanée qui ne fait que prendre son essor. C’est au présent qu’il nous faut agir – sans se réfugier dans le jadis.

La purification ethnique, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas la solution. Sans remonter trop loin (expulsion des Maures d’Espagne en 1492, révocation et exil des Protestants sous Louis XIV, lois discriminatoires de Vichy), prenons trois exemples emblématiques de purifications ethniques réalisées : la turque, la nazie, la salafiste. À chaque fois ce sont les mêmes fantasmes manipulés, à chaque fois les mêmes ressorts politiques, à chaque fois les mêmes conséquences antihumaines – tant pour les victimes que pour les bourreaux.

armeniens nus genocide turc 1915

En 1908 accèdent au pouvoir les Jeunes Turcs qui veulent refonder le pays en État-nation après la fin de l’empire. Les défaites des guerres balkaniques 1912-13 et la perte des territoires européens entraînent en 1912, à initiative des autorités, le boycott des chrétiens Grecs et Arméniens de Turquie. La volonté du nouvel État est : islamisation, turquification, restauration conservatrice. Il s’agit de purifier le pays afin d’homogénéiser la population et de favoriser son assimilation. L’idée de départ est de vider le territoire turc de tous les Grecs, Syriaques et Arméniens, pour y importer des musulmans migrants depuis le reste des Balkans. C’est la guerre de 14 qui rend propice l’éradication physique des Arméniens, les puissances ayant leur attention détournée. Héritage des massacres sous le sultan Abdullamid II en 1894-96, les Arméniens sont considérés comme des ennemis de l’intérieur et n’ont pas d’État protecteur (la Russie se méfie d’eux tandis qu’elle a protégé les Bulgares, et les Occidentaux les Grecs). La décision d’extermination est prise entre 20 et 25 mars 1915 et confiée de façon non-officielle à des groupes paramilitaires. Il y aura près de 2 millions de morts, les Grecs seront expulsés en masse dans les années 1920. La Turquie n’a pas encore fini, en 2015, de payer ce crime contre l’humanité. Son entrée dans l’Union européenne tarde (et n’est pas souhaitable) car elle reste un pays archaïque et sa réislamisation l’éloigne des valeurs du reste de l’Union ; son appartenance à l’OTAN pourrait être remise en cause, tant elle aide les daeshistes en leur achetant en contrebande leur pétrole et en laissant ses frontières ouvertes aux combattants internationaux et aux blessés salafistes.

Qu’est-ce que le massacre ethnique a apporté à la Turquie ? Un appauvrissement en compétences durant tout le reste du XXe siècle, une population toujours en majorité soumise à la superstition et peu éduquée, une suspicion de ses alliés occidentaux. Le nationalisme ethnique ne permet pas d’être plus fort, mais plus faible…

mesurer la race blonde le roi des aulnes film

La purification ethnique nazie est d’une ampleur inouïe, mais n’a pas mieux réussi à redresser le pays. C’est au contraire la défaite – totale et humiliante – de l’Allemagne en 1945 qui a permis l’essor économique, la stabilité politique et la réintégration de ce grand peuple à l’histoire du monde. Tout commence avec l’antijudaïsme chrétien : peuple déicide et communauté à part qui refuse de s’assimiler car persuadée d’être le peuple élu, le Juif est écarté de la propriété féodale et des corporations, il n’exerce que des métiers méprisés comme le commerce, l’usure, le prêt sur gage. L’essor industriel et le déracinement capitaliste aggravent les tensions économiques, culturelles et sociales. Les Juifs ont l’habitude de manier l’’argent et de faire du commerce, ils participent bien plus que d’autres à la prospérité économique sous Bismarck ; ils font donc des envieux. Nombre d’intellectuels rêvent du retour à la nature, de la santé à la campagne (si possible tout nu au soleil), ils critiquent la modernité aliénante de la ville et de l’usine pour rêver d’un âge d’or tout imbibé de romantisme. Des liens se nouent entre nationalisme pangermanique, doctrine raciale, antisémitisme et darwinisme social. La République de Weimar, née de la défaite de 1918, promeut tous les citoyens à égalité, donc les Juifs : c’est insupportable pour les pangermanistes qui les voient comme des traîtres. Les révolutionnaires de gauche sont souvent juifs (Karl Marx, Rosa Luxembourg). Les Juifs sont les boucs émissaires commodes de toutes les injustices commises en Allemagne et contre elle. La crise mondiale des années 30 et l’hyperinflation s’ajoutent à l’amertume de la défaite et la perte de territoires. Le peuple traumatisé entre en régression émotionnelle et cherche refuge sous la poigne d’un homme fort. Hitler fait du Juif le principe cosmique du Mal, l’acteur même du complot politique mondial, le bacille infectieux de tout ce qui affaiblit : internationalisme, démocratie, marxisme, pacifisme, capitalisme apatride, marchandisation. Dans son discours au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler éructe qu’il va exterminer tous les Juifs d’Europe. Dès 1938, l’Allemagne encourage l’émigration juive, puis choisit l’expulsion des Juifs allemands jusqu’en 1941. La défaite française ouvre Madagascar (proposé fin 1938 à Ribbentrop par le ministre français des Affaires étrangères Georges Bonnet), mais la résistance de l’Angleterre empêche le plan. Suivent la déportation en Pologne puis la concentration en camps d’extermination industrielle : tous les Juifs doivent disparaître de l’espace vital de la race allemande – mais aussi comme diaspora menaçante et complotiste hors de cet espace vital (conférence de Wannsee en janvier 1942). Car la guerre qui se retourne en URSS et l’entrée des USA poussent à la « solution finale ».

Qui ne finit rien du tout et ne ramène nul âge d’or – malgré les quelques 6 millions de Juifs exterminés… L’Allemagne a perdu des cerveaux inestimables tels que les physiciens Albert Einstein et Max Born, le biologiste Otto Fritz Meyerhofle, les compositeurs Arnold Schönberg, Kurt Weill et Paul Hindemith, le chef d’orchestre Otto Klemperer, les philosophes Theodor Adorno, Hannah Arendt, Ernst Bloch et Walter Benjamin, les écrivains Alfred Döblin et Lion Feuchtwanger, les architectes Erich Mendelsohn et Marcel Breuer, le sociologue Norbert Elias, les cinéastes Fritz Lang, Max Ophuls, Billy Wilder, Peter Lorre et Friedrich Hollandern, l’actrice Marlène Dietrich…

arabe muscle

Aujourd’hui Daesh, sur ce territoire laissé vide entre Irak et Syrie, instaure le Califat pour éliminer de sa population tous les éléments “impurs“. Il œuvre à éradiquer à la fois Chiites, Chrétiens, Yézidis, Zoroastriens – et les Juifs, s’il en reste ! Il rejette la conception occidentale de l’État-nation (construction d’un vouloir-vivre en commun forgé par une population hétérogène) au profit de la Communauté (oumma) des « seuls » croyants en l’islam dans sa version salafiste djihadiste, régie par la « seule » loi divine intangible (charia). Tous les individus sont niés au profit du collectif – ceux qui résistent sont éliminés. Leur retour de l’âge d’or est celui des premiers temps (salaf = compagnon du Prophète) et leur avenir est la fin des temps (qu’ils croient toute proche). Il faut donc se purifier et éliminer les impies par la violence. Ce culte de la force mâle à qui tout est permis au nom de Dieu attire les déclassés du monde entier qui peuvent assouvir leurs bas instincts sans connaître grand-chose de l’islam. Décapiter est la pratique rituelle envers les animaux : elle vise à faire sortir les victimes de l’humanité, tout en leur ôtant l’âme éternelle (qui siège dans la tête). Établir la Cité de Dieu sur la terre entière permet de faire rêver, les sites Internet et surtout les vidéos de propagande attisent la soif d’action et le ressentiment. Le nazisme avait déjà séduit une partie des dirigeants arabes dans les années 30 (Nasser, le grand mufti de Jérusalem…). Daesh partage avec l’Arabie Saoudite la même vision salafiste de l’islam, la glorification du djihad, les mêmes adversaires chiites. Mais les Saoud ont instrumentalisé la religion pour imposer leur légitimité politique sur les Lieux saints et contre le nationalisme arabe alentour. Ben Laden avait dénoncé l’hypocrisie de la monarchie qui ne respecte pas les principes salafistes (en autorisant par exemple des soldats impies – et même des femmes soldates dépoitraillées ! – sur le sol béni en 1991).

Quel avenir a ce millénarisme ? Probablement aucun, tant il coalise contre lui les États de la région, les grandes puissances mais aussi les opinions un peu partout sur la planète, outrées de voir de petites Shoah fleurir un peu partout selon le bon plaisir des sectaires. Quant à l’islam majoritaire… il se tait, fait profil bas devant la violence des Frères. Lâchement.

daesh crucifie les chretiens

Mais les États jouent chacun leur petit jeu diplomatique, sans guère se préoccuper de la menace pour l’humanité que sont ces crimes quotidiens. Barak Obama, qui ne cesse de décevoir depuis sa première élection, ignore l’Europe, ne veut pas fâcher la Russie ni mécontenter l’Iran, avec qui il négocie sur la prolifération nucléaire. Il joue l’inertie et son opinion manifestement s’en fout, puisqu’il n’y a pas d’Américains ni de Juifs crucifiés (comme les chrétiens d’Irak), décapités (comme les journalistes japonais ou les coptes d’Égypte), ni grillés vifs (comme un pilote jordanien). L’Europe est impuissante, nain politique, les seules puissances militaires (Royaume-Uni, France) gardant la culpabilité du colonialisme et des budgets exsangues. Quant à la Turquie, elle joue le même rôle ambigu avec les daeshistes que le Pakistan avec les talibans et le Qatar avec les Frères musulmans : une complicité objective.

Ce que veulent les quelques 2 à 3000 salafistes sectaires en France, c’est aller « faire le djihad » puis, auréolés d’une gloire factice auprès des « petites frères » des banlieues laissées pour compte par l’indifférence de la droite (yaka mettre des flics) et l’angélisme de la gauche (yaka mettre des moyens), tenter de déstabiliser la société mécréante par des attentats, du prosélytisme, des réactions violentes. Dès lors, la « purification ethnique » est ce qu’ils veulent : que la société des « sous-chiens » chasse les « arabes » afin qu’ils n’aient plus qu’à se soumettre aux « bons » salafistes qui vont les accueillir (à condition d’obéir). En bref quelque chose analogue au scénario juif (qu’ils envient), la terre promise après les camps…

Ce noir-et-blanc peut-il régler définitivement les problèmes de démocratie en France, d’inanité scolaire, de pauvreté, d’étatisme forcené ? J’en doute. Expulser les délinquants récidivistes et les priver de leur nationalité française imméritée (s’ils en ont une autre…), est possible. Mais ce sont les banlieusards nés et élevés en France – donc Français – qui ont sombré dans le salafisme sectaire après être passés par la case voyou. Tout comme les gauchistes idéologues d’Action directe il y a peu contre « le système ». Faudrait-il réviser – comme sous Vichy – les naturalisations sur trois générations ? Ou faire des « tests ADN » (autre nom du compas nazi à mesurer les crânes) pour décréter qui est digne d’être Français ou pas ? Nous serions aussi ridicules que la Corée du nord et sûrement pas suivis par les pays de notre Europe… C’est pourtant le parti des Le Pen qui laisse prôner ce « grand remplacement » à l’envers. L’histoire montre ce que cela a donné. Vous me pourrez pas dire que vous avez voté sans savoir !

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Racisme, injure à la mode – mais au-delà du mot ?

Nier scientifiquement les races n’est pas le problème, la dignité humaine est question de droit, pas de biologie. Se croire supérieur est remis en cause par l’histoire même. Seuls les échanges permettent d’avancer – à condition d’être ouvert, donc capable d’être soi, bien formé par le système scolaire et la société. Or l’idéologie antiraciste est devenue un politiquement correct qui conforte l’immobilisme et ne veut rien connaître du ressentiment des petits Blancs. Elle est la bonne excuse des gens de gauche pour surtout ne rien changer aux maux de la société. Pour vivre ensemble en bonne intelligence, il faut plutôt conforter transparence et démocratie : c’est de la politique, ni de la science, ni de la morale.

1/ Les races humaines n’existent pas pour la biologie moléculaire qui ne considère que les gènes ; pas plus pour la génétique des populations qui fait des « races » des fréquences statistiques en perpétuel changement. Mais les classifications faites par chacun pour parler des autres ne sauraient se réduire au réductionnisme moléculaire. La science peut nous dire comment est fait le monde ; elle ne nous dit rien sur la façon de nous conduire. Ce qui est en question dans la société n’est pas la différence entre minorités visibles, mais l’égalité des droits et devoirs en dignité et comme citoyens. Les rapports sociaux sont infiniment plus importants dans la vie de tous les jours que les classements en fonction des peaux, des sangs et des gènes. L’égalité des droits ne doit rien à la biologie ; la politique n’est pas, chez nous, une biopolitique. En démocratie, les assistés imbéciles ont les mêmes droits que les géniaux inventeurs et nul ne peut savoir si l’un est plus « utile » à la société que l’autre car ni le génie ni la bêtise ne se transmettent par les gènes, seulement par l’éducation, la culture et le milieu historique. Nul être humain ne se réduit à un ensemble de caractéristiques objectives, mesurables, scientifiques. Le sujet ne saurait être un objet.

Nous ne vivons pas chaque jour dans une population de gènes, nous vivons dans une population d’humains. Claude Lévi-Strauss le disait déjà dans Race et histoire (1951) : il ne faut pas confondre les caractéristiques biologiques et les productions sociales et culturelles. Certains médicaments, comme le vasodilatateur BiDil sont efficaces seulement chez les populations d’origine africaine – c’est un fait d’expérience. Mais reconnaître ce fait n’est pas de l’ethnocentrisme, qui consiste à rejeter tout ce qui ne correspond pas à notre norme. Ni de la xénophobie, qui consiste à faire de l’étranger (à la famille, au village, à la région, à la nation, à la race) un bouc émissaire de tout ce qui ne va pas dans notre société. Comme les Grecs disaient « barbares » tous les non-Grecs – forcément non-« civilisés ». Les ados aujourd’hui « niquent » ou tabassent tous ceux qui ne sont pas comme eux (photo) : où est la différence ?

Elle est dans la culture : quand Alexandre a vaincu les Perses, il a bien vu que la civilisation n’était pas seulement grecque. Et de cette fécondation croisée est née la grande bibliothèque d’Alexandrie – progrès – avant son incendie par les sectaires chrétiens, puis son éradication totale par l’islam intolérant.

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2/ L’évolutionnisme biologique formulé par Darwin est fondé sur l’observation des espèces, mais le « faux évolutionnisme », selon Lévi-Strauss, est fondé sur l’apparente continuité historique qui aurait fait se succéder les civilisations dans un Progrès linéaire. Or le progrès n’est jamais linéaire : mille ans avant Jésus, on croyait la terre ronde ; mille ans après, on la croyait plate… Les civilisations stables dans la durée n’en sont pas moins subtiles et en évolution, même si leur histoire – tout aussi longue que la nôtre – présente peu de changements apparents. Les civilisations à la même époque se juxtaposent et échangent des marchandises, des idées et des hommes ; elles se combattent ou s’allient. La Renaissance se caractérise par la rencontre des cultures grecque, romaine, arabe, orthodoxe avec la culture européenne ; le jazz, le blues, viennent du melting-pot américain par le rythme africain et les vieilles chansons de marche françaises. Seule la puissance fait qu’une civilisation s’impose provisoirement, mais la puissance est sans cesse remise en cause : le Royaume-Uni régnait sur le monde en 1914 ; il a cédé le pas aux États-Unis dans les années 1930 ; ceux-ci vont probablement céder le pas à la Chine d’ici la fin du siècle.

Pour Lévi-Strauss, les sociétés qui connaissent le plus d’échanges ont pu cumuler le plus les idées, les capitaux et les innovations. Ce que montrent aussi l’historien Fernand Braudel et les économistes Joseph Schumpeter, Nicolaï Kondratiev et Immanuel Wallerstein. Chaque grappe d’innovations engendre de nouveaux métiers qui rebattent les distinctions sociales. La globalisation, au lieu d’aboutir à une même culture, amène plus de diversité. Elle est le moteur du progrès qui, par ses innovations, produit à son tour une diversité de cultures. A condition d’être ouvert à la nouveauté, et bien formé pour la recevoir. C’est là qu’est le problème…

3/ Être ouvert, c’est avoir une personnalité forgée par le savoir scolaire, mais aussi par les disciplines comme le sport qui forment le caractère. Pour être ouvert aux autres, il faut d’abord être soi. Claude Lévi-Strauss, dans la conférence Race et Culture prononcée à l’UNESCO à Paris en 1971, déclare : « toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs pouvant aller jusqu’à leur refus et même leur négation ». Scandale pour les béni oui-oui du politiquement correct ! Ce n’est pourtant que ce que tous les sages disent à leurs disciples : « Deviens ce que tu es » (temple de Delphes), « trouve ta voie » (Bouddha), « des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, et non des cadavres, des troupeaux ou des croyants » (Nietzsche), « vaincre toutes les aliénations de l’homme « (Marx), « tuez le Père » (Freud). Pour être soi même, il faut quitter sa famille, se dresser contre la tradition paternelle, sortir de son milieu. C’est à ce titre seulement que l’on devient adulte et responsable, individu créateur et pas un pion formaté interchangeable. Dire que tout ne vaut pas tout, ce n’est pas être « raciste » ni ingrat, mais déclarer que certaines façons d’être ont à nos yeux plus de valeurs que d’autres. Est-ce que l’école et même la société forment des êtres de caractère et de culture ? La démission du système depuis 1968 et peut-être avant (1940 ?) n’est-elle pas une part du problème ?

Racisme anti blanc Monde 16mars20054/ Créée sous l’égide de l’UNESCO en 1950, l’idéologie antiraciste était destinée à lutter contre les séquelles du nazisme et à affronter l’apartheid qui régnait aussi bien en Afrique du sud qu’aux États-Unis. Mais le politiquement utile est devenu politiquement correct. L’association CRAN s’est créée  sur le critère de la « race » noire – ce qui disqualifie son combat même. L’apartheid a été éradiqué, sauf peut-être entre Israël et Palestine, mais n’empêche nullement des massacres « ethniques » en ex-Yougoslavie, les « génocides » au Rwanda et au Congo, ou autres répressions de « minorités » au Tibet, en Birmanie ou en Irak – sans que l’UNESCO s’en émeuve. Le retour des guerres de religion a remplacé ces derniers temps les guerres raciales. Mais le mécréant est situé par les croyants bien en-dessous de l’humain, comme s’il était d’une autre « race » : donc exploitable, vendable, corvéable à merci. Le lumpen proletariat d’Arabie Saoudite, les chrétiens enlevés et négociés par les sectes islamiques, les Coptes massacrés par les « musulmans en colère » sont autant d’exemples de sous-humanité traitée comme du bétail – dont les « antiracistes » ne disent pas un mot.

En nos pays développés, le tabou sur les minorités visibles, victimes – forcément victimes – fait que l’on ne peut critiquer leurs travers sans être accusé de la rage : le racisme. Pourquoi ne pas dire qu’il y a plus de délinquants d’origine maghrébine dans les prisons françaises que la moyenne ? Pourquoi ne pas dire aussi que de très nombreux étudiants aux noms maghrébins présentent des thèses en économie, finance, mathématique, médecine et autres domaines ? En quoi serait-il injurieux de dire les faits ? Au contraire, la transparence permet seule de remonter aux causes et de tenter des solutions. L’attitude du déni ne sert que l’immobilisme et le fantasme du Complot.

Progressisme de substitution, paravent commode à l’immobilisme du système social, l’idéologie antiraciste remplace la lutte des classes et fait religion pour les laïcs. Le « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » a été engendré la mondialisation et par l’essor des techniques, aboutissant à cette création médiatique : le consommateur aliéné. Nul ne peut plus blasphémer sans être aussitôt moralement condamné par la bonne conscience « de gauche » – forcément de gauche – confite dans le contentement de soi.

Les prolétaires sont d’autant plus racistes que leur privilège de Blancs est bien la seule chose qui les distingue de leurs collègues de couleur, tout aussi exploités et méprisés. Les homophobes sont d’autant plus attachés à leurs privilèges d’hétérosexuels que c’est bien un des seuls dont ils peuvent encore jouir en ces temps de féminisme. Comprendre cela, c’est saisir que « le racisme » n’est pas une conviction profonde mais une réaction d’humilié qui cherche à se distinguer socialement. C’est donc pouvoir agir sur les causes : le chômage, le déclassement, les ghettos périurbains, l’inadaptation scolaire… Tout ce à quoi échappent les bobos confortablement installés dans les CDI par copinage, le statut social par mariage, les centres-villes, les écoles privées. La gauche, par son « indignation » moraliste, se garde bien de concrètement agir. Surveiller et punir est plus paresseux que de se retrousser les manches sur l’emploi, la formation, le logement, les programmes scolaires et la formation des maîtres.

Que veut-on ? L’assimilation au nom du nivellement de toutes les différences ? Ou la juxtaposition en bonne intelligence de communautés fermées sur elles-mêmes ? Ni l’un ni l’autre, me direz-vous peut-être ?…

Donc acceptons les différences, acceptons que l’on parle des différences, acceptons les règles de la bonne intelligence – dont la première consiste à ne pas choquer les autres en public, en agitant des bananes ou en arborant un niqab.

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Péguy et la mystique républicaine

Dans les années 80 j’ai trouvé en solde dans la collection « Velpeau » de Gallimard un court livre édité en 1933 et réédité depuis en Folio essais : ‘Notre jeunesse’. On ne lisait déjà plus Péguy et avec raison tant le style est lourd, redondant, circulaire. C’est un style de tribune fait pour être dit, pas pour être lu. La déclamation d’assemblée passe mal le silence de la page. ‘Notre jeunesse’ est peut-être la plus lisible des œuvres de Péguy. Le lecteur y découvre quelques idées restées neuves.

S’il est peu question de la jeunesse en général, et encore moins de celle de l’auteur malgré le titre, Charles Péguy développe certaines de ses conceptions politiques à leurs débuts. Elles sont marquées de façon indélébile par l’affaire Dreyfus. J’ai retrouvé certaines de mes interrogations adolescentes, notamment ce que Péguy nomme avec emphase la « mystique républicaine ». Un Mélenchon n’a pas peur de raviver l’idée aujourd’hui pour servir sa dissidence. Mais c’est une grande idée, simple comme toutes les grandeurs. Je crois qu’elle porte encore puisqu’elle est probablement le moteur des révolutions arabes.

Il s’agit d’une transcendance. La république comme substitut de religion. Le contraire même de la religion d’État ou de la religion de l’État. Louis XIV qui ne voulait voir qu’une tête (la sienne) et le jacobinisme botté intolérant d’une certaine gauche comme d’une certaine droite, apparaissent aussi insupportables en regard de la république. Celle-ci, « chose publique », signifie l’intérêt général.

  • Il n’est pas forcément celui du plus grand nombre : ce ne sont pas les sondages qui gouvernent.
  • Il n’est certainement pas celui d’un seul, omniprésident, guide, conducator ou secrétaire général.
  • Il est celui d’un groupe informel et pas d’un parti.
  • Il est soucieux du bien de la nation avant toute autre chose. Mitterrand a ainsi imposé l’abolition de la peine de mort à une opinion rétive… qui reconnaît son bien-fondé. De Gaulle avait de même imposé l’indépendance algérienne à son camp qui y était hostile, volontiers nationaliste.

Ces présidents-là avaient l’air de gouverner seuls. Ils incarnaient en fait la France, une certaine idée partagée de l’avenir commun. Leur solitude était légion.

La mystique signifie l’au-delà de la matière, la mise en veilleuse des petits intérêts cuits à petit feu dans leurs petits coins par les petits lobbies et les partis étroits. L’argent, les machines politiques, les alliances internationales, la mondialisation, conduisent du fait de leur complexité à réserver le champ du politique aux seuls spécialistes. Or la politique est la vie de la cité, elle concerne chaque citoyen, elle appelle tous ceux qui veulent le devenir, jeunes, exclus ou immigrés. Avec le recul, c’est bien la mystique républicaine qui a fait naître la Résistance comme la conquête du pouvoir par la gauche en 1981, ou encore la volonté de bouger enfin la France dans un monde qui accélérait, en 2007. C’est l’une des causes des révoltes arabes, et certainement ce qui pousse los indignados à revendiquer d’exister dans une société qui les ignore, les éduque par-dessus la jambe et les exclut du travail.

Que dit donc Péguy ? Pour lui, la modernité est « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique » p.15. Cette mystique qu’il revendique est une foi, mais pas forcément religieuse. Elle est le sens des valeurs, la culture en acte. Incarnations : Jeanne d’Arc, Barra, Gavroche, de Gaulle au 18 juin, Jean Moulin, Albert Camus face à la haine des Sartre – pour n’évoquer aucun vivant.

« Ne parlez point si légèrement de la république, elle n’a pas toujours été un amas de politiciens, elle a derrière elle une mystique, elle a derrière elle tout un passé de gloire, tout un passé d’honneur, et ce qui est peut-être plus important encore, plus près de l’essence, tout un passé de race, d’héroïsme, peut-être de sainteté » p.17. Ne sautez pas au plafond au mot de ‘race’, c’est une clause du style d’époque pour dire l’honneur, d’essence aristocratique. La ‘race’ au sens de Péguy n’est pas la sélection génétique mais le tamis des valeurs inculquées par la culture et le milieu. « Car des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi » p.28.

Mais c’est une loi historique que toute foi s’use, que toute légitimité se voit remise en cause, que toute noblesse devienne routine. La tragédie se répète en comédie, la mystique se dégrade en politique, les pensées vivantes en idéologie fermée, la volonté en propositions réduites à l’acceptable, la culture en enseignement monotone et l’enseignement en pédagogisme… Ce qui était vivant, fruit d’un élan, s’intellectualise, se dessèche, se réduit, se bureaucratise. On ne construit plus, on nomme une commission ; on ne décide plus, on cherche le plus petit commun dénominateur pour ne fâcher personne. Les saints deviennent clercs, puis énarques ; les héros passent nobliaux fiers de leur naissance plus que de leurs actes, puis politiciens démagos fiers de leur beau quartier, de leur écoles huppées, des résidences réservées et des rallyes privilégiés pour marier leurs descendance ; les entrepreneurs deviennent gestionnaires puis administrateurs, l’esprit d’entreprise se dégrade pour se réduire ultimement au seul contrôle des coûts.

La grandeur, on ne la comprend plus, donc on la méprise. Le scepticisme intellectuel croît très fort dans le calme et la paix, engendrant une somnolence de la raison, plus sollicitée par les instincts ou les mouvements. Chaque catastrophe nous le révèle : l’Administration n’a jamais rien vu, les politiciens n’ont rien anticipé, les décideurs réagissent affolés à ce qui aurait dû être au moins envisagé. L’État n’est plus incarné, c’est personne. Voilà la politique du parapluie, le principe de précaution inscrit dans la Constitution, la somnolence Chirac élevée au rang des beaux arts… Auparavant, il y eût la faillite de mai 1940, la débâcle de toute une société petite-bourgeoise, provinciale, contente d’elle-même et confite en un « radicalisme » qui n’avait plus aucune radicalité autre que celle de conserver à tout prix ses zacquis.

Ce sont alors les obscurs, les sans-grades qui sauvent l’honneur, ceux qui avaient gardé en leur cœur quelques braises de cette mystique républicaine. Joseph Kessel a magnifiquement décrit ce premier mouvement dans ‘Pour l’honneur’, dédié aux résistants de la première heure face à la démission des élites française de la IIIe République en 1940, tout comme aux républicains espagnols catalans.

La mystique républicaine s’applique à tous les peuples. Mais la France a ses particularismes en Europe et dans le monde. Charles Péguy les énumère : « la vaillance claire, la rapidité, la bonne humeur, la constance, la fermeté, un courage opiniâtre, mais de bon ton, de belle tenue, de bonne tenue, fanatique à la fois et mesuré, forcené ensemble et pleinement sensé ; une tristesse gaie qui est le propre du Français ; un propos délibéré, une résolution chaude et froide ; une aisance, un renseignement constant ; une docilité et ensemble une révolte constante à l’événement ; une impossibilité organique à consentir l’injustice, à prendre son parti de rien. Un délié, une finesse de lame. Une acuité de pointe » p.130. Avec l’hédonisme post-68 et la contamination américaine, ces vertus seraient à revoir, mais ne boudons pas notre plaisir : la mystique républicaine reste.

La question est : qui l’incarne ? Il ne suffit pas de le clamer, comme Mélenchon. On sent chez lui que, très vite l’intérêt « général » risque de se réduire à celui de son clan, de sa vérité étroite. Comme Chavez ou Castro, il est universel avant de prendre le pouvoir, il risque d’être sectaire après. Il y avait de Gaulle, il y a eu Mitterrand. Quelques autres ont émergé sans accéder à la haute fonction. Qui  pour 2012 ?

Charles Péguy, Notre jeunesse, 1933, Folio essais 1993, 344 pages, €9.40

Joseph Kessel, Pour l’honneur, 1964, Livre de poche 1972, €1.80 occasion

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